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Bibliographie

Nous avons lu pour vous

cratie parlementaire) et sociales (l’impôt, Dossier : Les grandes œuvres


comme instrument de redistribution des fiscales, coordonné par
richesses). Au fil de ses démonstrations, Christophe de la Mardière
Michel Bouvier convoque les théoriciens
de l’impôt (Montesquieu, Hobbes, Vauban, Revue européenne et internationale de droit
Proudhon, Leroy-Beaulieu…) aussi bien que fiscal, n° 2019-3, 380 p.
des hommes de lettres (Rousseau, Voltaire,

L
Anatole France…).Plus près de nous, ses a « revue-livre » consacrée aux « grands
exposés portent sur les libéraux, les liber- œuvres fiscales » par la REIDF mérite
tariens, les écoles de Chicago et du Public l’attention. L’immense culture des contri-
Choice, la courbe de Laffer (ou plutôt celle buteurs et leurs choix, parfois originaux,
d’Arsène-Jules-Emile Dupuit),les théories sont une source abondante de connais-
L’impôt sans le citoyen ? de l’impôt unique (Nicolas Kaldor), la jus- sance et, surtout, de réflexion sur l’impôt,
Michel Bouvier tice sociale selon John Rawls, le plan BEPS pris dans sa dimension de « fait social et
LGDJ Lextenso, 2019, 171 p. de l’OCDE… politique », comme l’indique Thierry Lam-
L’auteur met en lumière l’inadaptation bert dans son éditorial. Malgré l’absence

L ’éminent professeur nous livre, dans un


ouvrage court et à l’écriture limpide,
une synthèse de sa réflexion sur l’avenir
croissante des systèmes fiscaux hérités
d’une époque organisée autour d’États
relativement peu ouverts, d’ une économie
de définition et de critères explicites du
concept de « grandes œuvres fiscales »,
on ne critiquera pas le choix des treize
de l’impôt que chacun avait pu découvrir industrielle et d’ une démocratie représen- ouvrages ou auteurs présentés par ordre
au fil de ses ouvrages et articles et de ses tative alors que les défis futurs sont ceux chronologique et qui, d’ailleurs, jalonnent
éditoriaux de la Revue française de finances d’une économie mondialisée, du tout bien l’histoire de la pensée fiscale. Elle
publiques qu’il dirige. Il rappelle très op- numérique et d’une société qui pourrait s’exprime dans des œuvres bien connues
portunément que les questions fiscales devenir « sans État » sous l’influence des (La Dîme royale de Vauban-1707, les plai-
ne relèvent pas de l’idéologie ou d’une réseaux d’entreprises multinationales et doyers de Joseph Caillaux en faveur de
approche technique mais sont d’abord des de métropoles internationales. l’impôt sur le revenu-1910 ou le Traité de
sujets de réflexion politique au sens plein Cet « impôt du futur » suppose une trans- politique fiscale de Maurice Lauré-1956)
du mot : elles concernent les modes de formation profonde des outils fiscaux mais aussi dans d’autres moins souvent
gouvernance de la société et expriment pour s’adapter à l’économie numérique, citées (Le Code théodosien-438, le Ro-
une certaine conception du lien entre les s’ouvrir à l’international tout en luttant sier des Guerres-vers 1470, Des finances
citoyens et l’État. Or, les bouleversements contre l’évasion fiscale. Ces perspectives de la République française en l’an IX de
des sociétés modernes perturbent les ap- ne sont guère davantage précisées par Ramel de Nogaret, l’initiateur de l’im-
proches traditionnelles et génèrent un vé- l’auteur à l’exception de la référence pôt sur les portes et fenêtres-1801, le
ritable « désarroi fiscal » qui appelle rien aux derniers travaux de l’OCDE sur la Steuer-recht d’Albert Hensel-1924, par
moins que la «  réinvention d’une fiscalité lutte contre l’érosion des bases fiscales exemple). Elle est à rechercher dans
pour le XXIe siècle ». Vaste programme ! et sur la territorialisation de l’imposition des ouvrages relatifs aux finances (outre
L’ouvrage passe en revue les différentes des multinationales du numérique. On ceux précédemment cités, la Théorie
conceptions du consentement à/de l’im- peut regretter l’absence d’observations de l’impôt de Mirabeau -le père-1760,
pôt, de la justice fiscale, des principales sur la contribution de la fiscalité du futur le Traité de la Science des finances de
notions de techniques fiscales. Il rappelle au développement durable et à la lutte Paul Leroy-Beaulieu-1877, La théorie de
les fondements historiques et philoso- contre le changement climatique. On au- l’imposition d’Adolphe Wagner-1909),
phiques des deux principales conceptions : rait attendu aussi des développements mais, aussi, au sein de propos plus larges
la théorie de l’impôt-échange, chère aux plus substantiels sur le renouveau d’une concernant le bon gouvernement ou
libéraux (et à Proudhon) pour laquelle participation des citoyens face aux ten- l’économie (Les six livres de la République
l’impôt est le prix des services rendus aux tatives de « nouveau civisme fiscal » plus de Jean Bodin-1576, les Recherches sur la
individus par la collectivité et la théorie de ou moins consuméristes, au recours aux nature et les causes de la richesse des na-
l’impôt-solidarité, selon laquelle l’impôt tire experts ou aux tentations populistes. tions d’Adam Smith-1776, la Solidarité de
sa légitimité de ses fonctions politiques (le Mais il appartient à tous et à chacun de Léon Bourgeois-1896). La lecture fait res-
consentement à l’impôt ,base de la démo- poursuivre cette stimulante réflexion. ■ sortir certaines inerties (la prudente transi-

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tion entre la théorie domaniale et l’impôt formes financières et fiscales :intégration
permanent à la fin du moyen-âge ; l’ac- dans la Communauté économique et
ceptation des privilèges chez tous les au- monétaire d’Afrique centrale (Cemac),
teurs de l’Ancien régime à l’exception de introduction d’un impôt sur le revenu et
Vauban ; l’acceptation de la gabelle par d’un impôt sur les bénéfices, régimes
le même auteur et des impôts indirects fiscaux dérogatoires très favorables aux
par Ramel de Nogaret, 10 ans après leur investissements, délégation du recouvre-
suppression…) mais aussi des innovations ment aux banques, informatisation des
durables : le consentement à l’impôt chez administrations fiscales et douanières).
Bodin et Mirabeau ,probablement dans L’auteur conclut à un constat d’échec,
un sens très différent du principe révo- tant du point de vue du développe-
lutionnaire, la limitation de l’impôt par ment économique et social que du ren-
la nécessité (chez Bodin et Adam Smith). La fiscalité et l’impératif dement fiscal, qui est resté très faible.
L’ouvrage donne des éléments fonda- de développement Exprimant la conviction que le dévelop-
mentaux de débats encore actuels : Sur la du Centrafrique pement et la stabilité ne peuvent venir
conception des impôts , l’opposition qui que de ressources endogènes durables,
semble se réactualiser entre les théories Mathurin Mbounou-Ngopo M. Mbounou-Ngopo préconise, à tra-
de l’impôt-échange (Bodin, Adam Smith, L’Harmattan, 2019, 379 p. vers la notion originale de « performance
Leroy-Beaulieu) et celles de l’impôt-soli- fiscale », une nouvelle conception de la
darité (Cailleaux, Bourgeois, A. Wagner),
d’ailleurs parfaitement compatibles avec
le libéralisme, et entre l’impôt proportion-
L ’intérêt de la thèse de M. Mbou-
nou-Ngopo, inspecteur des impôts
et enseignant à l’Université de Bangui,
fiscalité au service du développement :
coordination des politiques économiques
et des politiques fiscales, pilotage de la
nel et l’impôt progressif ; sur le plan de la soutenue à Aix-en-provence, dépasse politique fiscale par les indicateurs et
mise en œuvre de la fiscalité, avec l’accent largement le cadre du Centrafrique. Son l’évaluation, simplification de la fiscalité
mis sur la juridicisation de la fiscalité par étude de la contribution de la fiscalité au dans le cadre des directives Cemac, ré-
Albert Hensel auquel semble répondre développement est pleine d’intérêt pour vision des régimes de faveur, adaptation
l’approche psychologique de Maurice inspirer la politique de développement de la fiscalité spécifique sur les mines, les
Lauré. Certains auteurs font preuve d’une dans tous les pays d’Afrique et pour la forêts et les télécommunications, fiscali-
grande originalité (la comparaison entre théorie générale de la fiscalité comme sation du secteur économique informel,
le Code théodosien et l’actuel système outil de politique publique. L’auteur ana- conception d’une fiscalité pétrolière,
fiscal suisse est audacieuse ) ou d’esprit lyse avec pertinence l’histoire coloniale amélioration du recouvrement, promo-
très critique à l’égard des auteurs com- et post-coloniale du pays et la fiscalité tion du civisme fiscal, décentralisation,
mentés (Christophe de la Marlière pour qui lui est attachée, fondée sur la capi- coordination des administrations fis-
Vauban et Xavier Cabannes pour Mira- tation et des droits de douanes, puis les cales et douanières, formation et gestion
beau) et tous d’une grande érudition qui politiques d’ajustement structurel et les des ressources humaines dans la fonction
invite à déguster ce n° exceptionnel d’une plans de lutte contre la pauvreté qui se publique, coopération fiscale internatio-
belle revue. ■ sont accompagnés de nombreuses ré- nale. ■

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