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Que sais-je ?

COLLECTION FONDÉE PAR PAUL ANGOULVENT


Bertrand Jacquillat, Les 100 mots de la finance, no 3736.
Frank Mordacq, Les Finances publiques, no 3908.
Bruno Moschetto et Bruno-Laurent Moschetto, Crises financières et régulations bancaires, no 4082.
ISBN 978-2-13-081171-8
ISSN 0768-0066

Dépôt légal – 1re édition : 2019, avril

© Que sais-je ? / Humensis, 2019


170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Introduction

À l’origine, les politiques fiscales répondaient à des préoccupations


économiques et sociales nationales. Le niveau d’imposition et les modalités
de recouvrement de l’impôt variaient en fonction des politiques publiques
de chaque État. Bâtis autour d’économies fermées, les systèmes fiscaux
nationaux avaient très peu d’interactions entre eux et se limitaient à
l’imposition des résidents. Tout au plus imposaient-ils les revenus de source
étrangère perçus par les résidents nationaux et ceux de source nationale des
non-résidents, sans que cela ait une quelconque incidence sur le plan
international compte tenu de la faible mobilité des capitaux. Ainsi, chaque
pays disposait d’une maîtrise complète de sa politique fiscale en imposant
son niveau de prélèvement et son choix de fiscalité (directe ou indirecte)
tout en envisageant, selon les besoins, des incitations fiscales à
l’investissement. Toutes ces mesures prises en fonction de préoccupations
internes avaient des effets se limitant aux économies nationales.
La mise en place de marchés communs et de zones de libre-échange
(Union européenne, MERCOSUR, ALENA, etc.) eut pour effet de
supprimer les principaux obstacles à la mondialisation et à l’interaction des
échanges entre les États. Cet important changement fut à l’origine de
l’intégration des économies nationales, de la suppression des barrières
douanières et de l’intensification des investissements internationaux. Dès
lors, les relations internationales s’en trouvèrent changées et durent
s’adapter à la mobilité des capitaux ainsi qu’à la concurrence économique et
fiscale entre les États. Devant ce phénomène nouveau, les pays ont été
contraints de réviser leurs régimes fiscaux et de revoir leurs dépenses
publiques.
La globalisation des échanges eut également pour conséquence
d’exacerber la concurrence entre les entreprises sur le marché mondial. Les
multinationales, détachées de leurs pays d’origine, élaborèrent des
stratégies nouvelles de développement, tirant profit des différences
juridiques et fiscales entre les États. L’amélioration des technologies et des
moyens de communication renforça ces nouvelles stratégies. Profitant de
l’interaction des régimes fiscaux, elles purent enregistrer leurs sièges
sociaux dans des pays autres que leur lieu d’activité effectif et principal.
Certains États et territoires, se jouant de la concurrence fiscale
dommageable entre les pays, firent le choix d’offrir des régimes juridiques
attractifs aux personnes physiques et morales désireuses d’échapper à
l’impôt d’États dont la fiscalité était jugée confiscatoire. Les paradis
fiscaux, appelés tax haven (« refuge fiscal ») en anglais ou Steueroase
(« oasis fiscale ») en allemand, se sont développés grâce à la mondialisation
et aux différences tant juridiques que fiscales qu’ils entretiennent avec les
autres États. Cela étant, ceux-ci doivent également leur attractivité à leur
stabilité économique, fiscale et politique, aux importants réseaux d’accords
bilatéraux qu’ils entretiennent et à la facilité des opérations
d’enregistrement qu’ils offrent à leurs bénéficiaires.
Parmi les paradis fiscaux, nombre d’entre eux sont également des États
ou des territoires qui, par des régimes juridiques et fiscaux attractifs, ont
souhaité compenser des désavantages structurels importants liés à leur
situation géographique, à la faiblesse de leur sol en ressources naturelles ou
à la taille réduite de leur territoire et de leur population.
Tout cela doit être envisagé dans un contexte géopolitique où plusieurs
paradis fiscaux sont « protégés » par d’autres États avec lesquels ils
entretiennent des liens économiques et politiques particuliers. C’est le cas
de Monaco avec la France, de Hong Kong avec la Chine, de Chypre avec la
Russie, des États du Delaware et du Nevada aux États-Unis, du
Liechtenstein avec l’Allemagne et l’Autriche, de Jersey et Guernesey avec
le Royaume-Uni, de Saint-Marin avec l’Italie, d’Andorre avec la France et
l’Espagne, etc. Ainsi, au-delà de l’attrait fiscal et financier, les paradis
fiscaux sont aussi des soupapes de sécurité pour des États qui ne souhaitent
pas voir fuir leurs capitaux.
La mondialisation ainsi que l’évasion et la concurrence fiscales
dommageables qui en découlent ont des répercussions directes sur le budget
des États. Soumis à des exigences de dépenses publiques et à des missions
impératives de service public, les pays ont vu concomitamment leurs
recettes fiscales diminuer. Face à de telles contraintes qui creusent leurs
déficits et déséquilibrent leurs budgets, nombre d’États ont dû multiplier les
accords d’échange de renseignements fiscaux, insérer dans leurs législations
des mesures anti-évasion et revoir leurs bases nationales d’imposition.
Parallèlement, plusieurs organisations internationales et non
gouvernementales, en concevant des instruments au service des États, se
sont engagées dans la lutte contre les paradis fiscaux.
Directement liés à la mondialisation, les paradis fiscaux sont un
phénomène international qui ne peut être endigué que par la prise de
décisions collectives de la part des États. Néanmoins, en l’absence de
législation internationale en matière fiscale, il n’existe pas de définition
juridique universellement reconnue du concept de « paradis fiscal », ce qui
explique la variété des critères pour les identifier et toute la difficulté qu’il y
a à mettre fin à leur existence. Ainsi, les paradis fiscaux sont aussi
nombreux que variés et leur liste évolue régulièrement en fonction des
considérations politiques des États et des organisations internationales qui
les identifient. Concept aux multiples visages et aux caractéristiques
diverses, les paradis fiscaux sont tout autant des États, des centres financiers
offshore, des zones franches de défiscalisation ou des divisions
administratives d’États, ce qui laisse entrevoir pourquoi il est si délicat de
lutter contre eux.
Outre leurs législations particulièrement avantageuses dans des
domaines variés, un certain nombre de paradis fiscaux se sont spécialisés
dans des secteurs d’activité. C’est dans cette logique que les îles anglo-
normandes sont reconnues pour l’administration des fonds
d’investissement, les Bermudes pour l’enregistrement de sociétés
d’assurance, la Suisse pour la gestion de fortunes, le Panama pour les
pavillons de complaisance, etc. Cette spécialisation leur permet une
complémentarité, notamment dans le cadre de montages juridiques offshore.
Dans un tel contexte, l’optimisation fiscale prend une tout autre nature
lorsqu’elle passe par des paradis fiscaux. Elle devient un enjeu économique
fort pour de nombreux groupes souhaitant minimiser leurs charges fiscales
et accroître leurs bénéfices et leur rentabilité. De même, la tentation est
grande pour tout fraudeur désireux d’échapper à l’impôt d’avoir recours à
des outils juridiques et fiscaux hors normes. Dans des cas plus extrêmes,
certains paradis fiscaux permettent également le blanchiment d’argent à
toute personne cherchant à introduire dans le circuit licite des fonds obtenus
illégalement.
Il ressort que le phénomène des « paradis fiscaux » repose sur un
concept aux contours imprécis (chapitre I), dont l’existence relève avant
tout d’instruments juridiques et fiscaux attractifs (chapitre II), à l’origine
d’une complexité qui rend difficile la mise en œuvre de dispositifs de lutte
de la part des États et des organisations internationales (chapitre III).
CHAPITRE PREMIER

Un concept flou

Dans l’imaginaire collectif, les « paradis fiscaux » sont des territoires


offrant des outils juridiques et fiscaux qui permettent d’échapper aux impôts
d’États dont la fiscalité est jugée lourde, voire confiscatoire. Nombre
d’auteurs se sont essayés à définir ce concept sans jamais y parvenir
complètement. Toute la complexité réside dans l’absence de définition
officielle.
Il faut admettre que ce concept abstrait aux contours imprécis tire ses
fondements d’une histoire séculaire (§ I), dont la notion est polysémique
(§ II) et a conduit à l’élaboration de critères d’identification (§ III) destinés
à éviter de les confondre avec des notions voisines (§ IV).

I. – L’histoire des paradis fiscaux


1. Aux origines. – Le phénomène des paradis fiscaux est concomitant à
la naissance de l’impôt. Dès l’Antiquité, les îles voisines d’Athènes sont des
refuges pour tout marchand désireux d’échapper aux taxes portuaires de la
Cité. Au Moyen Âge, la naissance des « villes franches » permet à certaines
villes de jouir d’un statut extraterritorial en matière fiscale et commerciale.
La City de Londres s’était ainsi vu reconnaître un statut particulier
exonérant d’impôts les commerçants qui s’y installaient. Le système des
franchises se répand et des ports francs voient le jour, exempts de droits de
douane, et des foires franches où les marchands sont exonérés de taxes
diverses.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’évasion fiscale croît avec l’intensification
des échanges commerciaux. En Europe, c’est en Flandre et en Hollande
qu’elle est la plus insidieuse. En effet, grâce à une fiscalité très bénéfique
pour les marchands, ces deux territoires sont au cœur du commerce. Ce
phénomène s’observe également aux États-Unis. Ainsi, le refus des impôts
de la couronne britannique par les treize colonies américaines encourage
ces dernières à faire transiter leurs marchandises par l’Amérique latine. Ce
sont les prémices de la révolution d’indépendance américaine.
Au XIXe siècle, la révolution industrielle engendre des transformations
économiques et politiques importantes. Le concept d’État-nation prend
souche et les gouvernements revendiquent leur souveraineté nationale en
prenant des mesures protectionnistes. Simultanément, une mondialisation
économique se développe avec de forts mouvements de capitaux. Les
premières multinationales apparaissent et, fort de celles-ci, chaque État
s’efforce de soutenir ses fleurons nationaux.
L’impôt va dès lors devenir un enjeu géopolitique et stratégique. Les
États voient leurs multinationales et leurs filiales soumises à des fiscalités
différentes, causant de fortes rivalités économiques. Impuissants dans un
contexte où chaque État est souverain sur son sol, certains pays
industrialisés, tels que les États-Unis ou le Royaume-Uni, sont précurseurs
en matière d’économie offshore. De celle-ci naîtra le concept de « paradis
fiscal », seul stratagème favorisant le contournement des autres législations
nationales.
2. Les principales évolutions. – Les « paradis fiscaux » connaissent
par la suite trois évolutions juridiques importantes. La première vient du
New Jersey et du Delaware qui, respectivement en 1880 et 1898, sur les
conseils de cabinets d’avocats, accordent des franchises aux sociétés qui
domicilient leur siège social dans leur circonscription. Cette mesure leur
permet donc de faire face à des difficultés budgétaires tout en attirant des
entreprises domiciliées dans les États voisins (New York, Massachusetts).
Avec un impôt plafonné, nombre d’entreprises délocalisent juridiquement
leur siège social sans pour autant déplacer physiquement leur activité.
La seconde est la conséquence de plusieurs décisions de jurisprudence
rendues par les juridictions anglaises. Dès 1876, les juges britanniques, dans
deux décisions – Calcutta Jute Mills et Cesena Sulphur Mines –,
considèrent que des entreprises dont l’activité effective est réalisée à
l’étranger sont assujetties à l’impôt britannique (indépendamment de leur
lieu d’enregistrement) dès lors que leur organe de contrôle est situé au
Royaume-Uni. En 1906, ce courant jurisprudentiel est confirmé par la
célèbre décision De Beers, reconnaissant qu’une entreprise d’extraction de
diamants en Afrique du Sud (quelle que soit la nationalité de son dirigeant)
est assujettie à l’impôt britannique lorsque son contrôle s’opère depuis
Londres.
En réaction, de nombreuses entreprises font le choix de transférer leur
organe de contrôle à l’étranger. Cette nouvelle difficulté est portée à la
connaissance des juges britanniques. Dans la décision Egyptian Delta Land
de 1929, ceux-ci décident qu’une société anglaise de promotion
immobilière en Égypte dont le conseil d’administration siège au Caire n’est
pas soumise à la législation britannique. Dans les faits, les dirigeants de
l’entreprise n’avaient fait que déplacer le conseil d’administration en dehors
du Royaume-Uni.
Indirectement, les juges de la Couronne venaient d’homologuer le
principe de la domiciliation fictive. Dès lors, il suffisait qu’une entreprise
enregistrée à Londres domicilie son organe de contrôle à l’étranger pour
que ses revenus de sources étrangères échappent à l’impôt, et ce,
indépendamment de la nationalité de ses dirigeants. Une telle décision
applicable à l’ensemble de l’Empire colonial britannique sera à l’origine de
l’émergence de nombreux paradis fiscaux, tels Hong Kong, les Bermudes,
les Bahamas, etc.
La dernière évolution du concept de « paradis fiscal » a été apportée par
la loi suisse du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d’épargne.
Par celle-ci, la Confédération helvétique a renforcé son arsenal juridique en
pénalisant de plusieurs années d’emprisonnement toute atteinte au secret
bancaire. Bien que les comptes anonymes et numérotés existent en Suisse
depuis la fin du XIXe siècle, cette loi à coloration pénale intervient dans une
situation de crise économique forte.
La crise de 1929 n’a pas épargné la place financière helvétique,
certaines de ses banques ayant rencontré des difficultés. C’est dans ce
contexte sans précédent que la Suisse fait le choix de renforcer le contrôle
de son système bancaire. Néanmoins, la contrepartie à de telles mesures se
révèle être un renforcement du secret bancaire.
Ce choix politique sera encouragé également par la sécurisation des
banques face aux nombreux scandales de l’époque, et en premier lieu
l’affaire des fraudes fiscales du gouvernement d’Édouard Herriot. Cette
affaire éclate en 1932 et implique diverses personnalités (des sénateurs,
l’évêque d’Orléans, des généraux, des industriels…) accusées de fraude
fiscale pour avoir bénéficié des services de la Banque commerciale de Bâle
(BCB). L’ampleur de l’affaire est telle que l’État français doit demander
aux autorités helvétiques une entraide judiciaire, laquelle lui sera d’ailleurs
refusée. De nombreux clients étrangers retirent leurs comptes, faisant
vaciller les banques suisses. Cette situation fait prendre conscience aux
autorités helvètes de l’obligation de garantir l’inviolabilité du secret
bancaire.
La naissance des paradis fiscaux est liée à ces trois phénomènes, qui
évolueront selon les territoires. Certains se sont spécialisés dans la
domiciliation fictive, d’autres dans la fiscalité à taux réduit ou le secret
bancaire absolu. Face aux flux financiers internationaux, ces trois leviers
sont des variables d’ajustement pour tout paradis fiscal désireux d’attirer le
plus grand nombre de capitaux étrangers.
Dans les années 1960, bien que la livre sterling ait perdu sa place de
première monnaie mondiale au profit du dollar, la City de Londres devient
une place financière importante grâce au développement des eurodollars. La
banque du Royaume-Uni innove en autorisant les transactions financières
en devise étrangère entre non-résidents. Elle deviendra ainsi le lieu de dépôt
privilégié des Soviétiques qui craignaient de voir leurs avoirs en dollars
bloqués par les banques américaines. C’est le début de l’économie
mondialisée et de la place hégémonique de la City dans un monde financier
en pleine globalisation.
Dès lors, de nombreux territoires de l’ex-Empire colonial britannique,
devenus indépendants (Bahamas) ou territoires d’outre-mer britanniques
(Bermudes, îles Caïmans, etc.), se développent en tant que paradis fiscaux,
privilégiant les liens étroits qui les unissent au Royaume-Uni. Les
multinationales en profitent et les capitaux offshore s’accroissent dans un
environnement où les contrôles deviennent de plus en plus difficiles avec la
libre circulation des flux financiers.

3. Les enjeux récents. – La fin des Trente Glorieuses et le premier


choc pétrolier provoquent une importante crise économique dans les pays
industrialisés. Les entreprises souffrent, et les « paradis fiscaux »
deviennent de formidables refuges pour toute multinationale désireuse
d’échapper aux contraintes fiscales et juridiques. Ils prospèrent et les outils
qu’offrait la Confédération helvétique sont également proposés par d’autres
territoires d’Europe, d’Asie et des Caraïbes.
En pleine crise économique et alors qu’un certain nombre d’États
occidentaux connaissent leurs premiers déficits budgétaires, l’évasion
fiscale bat son plein, si bien que la communauté internationale prend
conscience de la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux. Afin de les
identifier clairement, les premières études sont réalisées et plusieurs critères
dégagés pour les définir.
Ainsi, par une note du 9 octobre 1975, l’administration fiscale française
met en exergue l’existence de « pays à régime fiscal privilégié ». Toutefois,
il faut attendre le rapport américain du conseiller spécial en taxation
internationale, Richard A. Gordon, intitulé Tax Havens and their use by
United States Taxpapers : An Overview, publié le 12 janvier 1981, pour
avoir la première étude moderne sur le phénomène des paradis fiscaux. Il y
indique que « constitue un paradis fiscal tout pays considéré comme tel et
qui est de ceux qui se veulent comme tels ».
Néanmoins, c’est à la fin des années 1990 que le phénomène s’amplifie.
Le développement du numérique et l’intensification des échanges
internationaux auront pour effet d’accroître la mondialisation et par
conséquent le nombre de paradis fiscaux. Face à ce phénomène sans
commune mesure, l’OCDE a établi en 1998 une liste de critères
d’identification dans un rapport intitulé Concurrence fiscale dommageable,
un problème mondial. Ce rapport identifiait 47 États à régimes fiscaux
préférentiels dommageables et 41 juridictions non coopératives.
En 2000, dans son rapport Les Progrès dans l’identification et
l’élimination des pratiques fiscales dommageables, l’OCDE a également
mis en place un système de listes classant les juridictions qu’elle considérait
comme des paradis fiscaux. Elle y inscrivait sur une liste noire provisoire
celles qui n’avaient pas pris l’engagement de suivre un calendrier de
réformes visant à mettre fin à leurs pratiques fiscales dites
« dommageables », notamment par la signature de douze conventions
fiscales d’échange de renseignements.
Mais en 2009, lors du Forum mondial de la transparence et de l’échange
de renseignements à des fins fiscales, ce système de listes est jugé
inefficace et abandonné. Il sera remplacé par « un examen par les pairs ».
Ce dispositif privilégie le dialogue et le contrôle par les représentants des
États membres de l’OCDE.
Parallèlement, d’autres États et organisations internationales essaient
d’endiguer le phénomène. Ainsi, par une loi du 30 décembre 2009, la
France constitue une liste française des États et territoires considérés
comme non coopératifs (ETNC), liste réactualisée régulièrement par le
ministère de l’Économie.
De même, les États-Unis se dotent d’une législation sans équivalent : la
loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) est adoptée par le
Congrès américain le 18 mars 2010. Elle impose désormais aux banques du
monde entier de communiquer au département du Trésor américain des
renseignements détaillés sur les comptes détenus à l’étranger par des
contribuables américains.
De son côté, l’Union européenne n’a pris que très tardivement la mesure
de l’ampleur des paradis fiscaux. Au départ, elle s’est contentée de
contrôler les revenus de l’épargne des personnes physiques au sein de
l’Union. Par deux directives dites « Épargne » de 2003 et 2014, applicables
aux États membres et par des accords garantissant des mesures équivalentes
à Monaco, Saint-Marin, Andorre, le Liechtenstein et la Suisse, l’Union
impose la taxation des revenus de l’épargne et l’échange d’informations
relatives aux placements des particuliers non résidents.
Dès 2015, à la suite de l’affaire des LuxLeaks (2014), la Commission
européenne dressera une liste noire européenne des paradis fiscaux. Les
affaires qui suivront celles des Panama Papers en avril 2016, puis des
Paradise Papers en novembre 2017 encourageront les autorités européennes
à accentuer leur lutte et à se doter d’un système de listes pour une plus
grande efficacité. Rendue publique pour la première fois le 5 décembre
2017, cette liste est établie et révisée une fois par an par les ministres des
Finances de l’Union européenne qui composent le Conseil pour les affaires
économiques et financières (ECOFIN).

II. – Une notion polysémique


1. Une définition complexe. – Bien que la notion de « paradis fiscal »
soit connue de tous et couramment employée, sa définition reste difficile à
appréhender. À la question « Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ? », certains
diront qu’il s’agit d’un État avec une fiscalité attractive, d’autres d’un
micro-État, voire d’une zone franche de défiscalisation ou d’un centre
financier offshore. Toute la complexité à identifier les paradis fiscaux réside
dans la polysémie de cette notion. Chaque paradis fiscal est le fruit d’une
histoire, d’une géographie et d’un système politique qui peuvent paraître
très différents d’un territoire à l’autre. Cela explique les différentes
caractéristiques entre ces territoires, et ce pourquoi certains auteurs
affirment qu’il existe autant de définitions que de paradis fiscaux. Ainsi, il
n’y a pas un type de paradis fiscal mais plusieurs variétés, aux contours
multiples, qui se sont adaptées en proposant des régimes particulièrement
incitatifs, propres à certaines zones géographiques ou à certaines activités.
Tous ont pour point commun d’être des territoires qui offrent des outils
juridiques et fiscaux permettant d’échapper à l’impôt d’États dont la
fiscalité est jugée trop lourde. Une telle définition serait complète s’il ne
subsistait pas, entre ces territoires, de véritables différences de statut
juridique.

2. Les États et micro-États. – Certains d’entre eux sont d’abord des


États et donc dotés d’un territoire, d’une population et d’une autorité
politique propres. Souverains, ils jouissent d’une personnalité juridique
internationale et d’une reconnaissance des autres États qui les autorisent à
signer des accords internationaux et à être membres d’organisations
internationales (par exemple la Suisse, les Pays-Bas ou encore le Panama).
Dans cette catégorie existent également des micro-États dont le statut d’État
est incontestable, mais qui ont pour caractéristiques d’avoir un territoire
microscopique et une faible population (par exemple le Liechtenstein,
Monaco, Andorre ou Saint-Marin).
Les autres types de paradis fiscaux n’ont pas le statut d’État et sont
souvent plus difficiles à identifier. N’ayant pas de visibilité sur la scène
internationale, ils ne sont pas membres d’organisations internationales et
n’ont pas nécessairement à répondre d’engagements internationaux. Ils
doivent cependant leur existence à un statut juridique qu’ils se sont vu
accorder par un État pour des raisons très diverses (historiques,
géographiques, juridiques, économiques ou politiques).

3. Les États fédérés et régions autonomes. – Parmi ces derniers, il


existe des divisions administratives ou étatiques qui, sous forme de
province autonome ou d’État fédéré, sont considérées comme des paradis
fiscaux en raison de leur régime particulièrement attrayant en matière
fiscale et juridique. C’est notamment le cas des États du Delaware et du
Nevada aux États-Unis, des régions administratives spéciales de Macao et
de Hong Kong en Chine, ou des Antilles néerlandaises pour les Pays-Bas.

4. Les zones franches. – Certains États préfèrent installer sur leur


territoire des zones franches de défiscalisation aux caractéristiques
multiples : commerciales, bancaires ou industrielles, portuaires,
aéroportuaires et urbaines, favorisant les transactions financières, la
domiciliation de sociétés, de banques offshore ou l’instauration de pavillons
de complaisance pour les navires étrangers. Ces zones franches ont
l’avantage d’accorder à une portion strictement délimitée d’un territoire un
régime dérogeant au droit commun. C’est le cas par exemple du port
d’Anvers en Belgique, de la zone franche de Colón au Panama, voire du
port de Genève en Suisse ; mais aussi des offshore banking units (« zones
franches bancaires ») de Chypre ou Tanger au Maroc, qui accordent le droit
aux banques qui y sont domiciliées d’offrir des services offshore à
destination exclusive des non-résidents et en devises étrangères.

5. Les territoires aux statuts anglo-saxons. – Dans le même esprit, le


Royaume-Uni est à l’origine de nombreux territoires aux statuts juridiques
variés. Certains sont des dépendances de la Couronne directement
rattachées au souverain britannique et indépendantes du Royaume-Uni, sauf
dans le domaine international, à savoir Jersey, Guernesey et l’île de Man.
D’autres, quant à eux, sont des territoires britanniques d’outre-mer, anciens
reliquats de l’ex-Empire colonial, qui, faute d’accéder à l’indépendance, se
sont vu octroyer une autonomie comparable à celle d’un État, mais sous la
souveraineté et le contrôle formel du Royaume-Uni. Peuvent être cités
notamment : Gibraltar, les Bermudes, les îles Vierges britanniques, les îles
Turques-et-Caïques. S’y ajoutent certains membres du Commonwealth of
Nations, qui est une organisation internationale présidée par le souverain
britannique et qui vise à entretenir des liens diplomatiques, économiques,
fiscaux et politiques forts entre les anciennes colonies de l’Empire
britannique et le Royaume-Uni. Parmi ces États, nombre d’entre eux sont
identifiés comme des paradis fiscaux, tels que les Bermudes, les Bahamas,
la Barbade, Belize.

6. Les centres financiers « offshore ». – Au-delà de ces statuts,


certains États ou territoires sont également des centres financiers
extraterritoriaux ou offshore qui accordent un ensemble de services
bancaires et financiers à des agents économiques non résidents. Pour ce
faire, ils se sont dotés de deux législations distinctes. D’une part, une
législation dite « onshore » réservée aux activités nationales des résidents ;
d’autre part, une législation dite « offshore » dévolue à des opérations
financières internationales exclusivement destinées aux non-résidents et
sans lien direct avec l’activité économique de l’État ou du territoire de
domiciliation. C’est le cas notamment des sociétés de « Web casino » qui,
bien qu’implantées au Costa Rica, exercent leur activité à l’étranger. Il en
ressort que si tous les centres financiers offshore sont des paradis fiscaux, la
réciproque n’est pas vraie.

7. Le cumul de caractéristiques. – Ainsi, les paradis fiscaux présentent


des visages multiples et des caractéristiques juridiques extrêmement
variées : ils peuvent être des États, des régions autonomes, des zones
franches de défiscalisation ou des centres financiers extraterritoriaux.
Certains s’administrent librement, d’autres sont autonomes ou dépendent
exclusivement d’un État. Leurs statuts ne sont pas tous identiques, et
nombre de paradis fiscaux cumulent les atouts et les particularismes. Par
exemple, la City de Londres est dotée à la fois d’une zone franche urbaine
et d’un centre financier offshore. Elle n’est pas administrée par le maire de
Londres mais par une société, la City of London Corporation, avec à sa
direction un lord-maire. Dans le même esprit, l’archipel de Madère, région
autonome du Portugal, s’est doté d’une zone franche industrielle et d’un
centre financier offshore dont les activités financières extraterritoriales sont
confiées à la Société de développement de Madère (SDM).
Face à une telle complexité, il n’est pas envisageable de donner une
définition unique et objective du concept de « paradis fiscal », mais
simplement d’identifier des pratiques fiscales et juridiques dommageables
qui prennent la forme de paradis fiscaux. Cette difficulté a conduit l’OCDE
à utiliser l’expression de « juridictions non coopératives » en lieu et place
de celle de paradis fiscal. Cette notion plus large a l’avantage d’éviter les
amalgames et prend en compte l’ensemble des paradis fiscaux, quel que soit
leur statut. Dans la même logique, l’administration fiscale française préfère
à l’expression « paradis fiscal » la désignation d’« États et territoires non
coopératifs », ou « ETNC ». Toutefois, il est à noter que, si le concept de
paradis fiscal ne fait pas l’objet d’une définition officielle, c’est notamment
en l’absence de législation fiscale internationale. Face à ce vide juridique,
de nombreux États et organisations internationales se sont essayés à les
reconnaître au moyen de multiples critères d’identification disparates.

III. – Les critères d’identification


Dans un rapport de 1987 sur la fiscalité internationale, l’OCDE précisait
qu’« il n’existe pas de critère unique, clair et objectif permettant d’identifier
un pays comme étant un paradis fiscal ». C’est dire combien il est délicat
d’identifier les juridictions non coopératives, notamment à cause de la
diversité de leurs statuts. Le phénomène des paradis fiscaux ne renvoie pas
à des entités juridiques précises mais à un ensemble de pratiques fiscales
dommageables, parmi celles-ci : l’évasion fiscale consistant à échapper à
l’impôt au moyen de pratiques légales, l’« optimisation fiscale », ou
illégales, « la fraude fiscale ». La première exploite les carences et les
failles de la législation d’un État (niches fiscales ou régimes dérogatoires),
alors que la seconde vise à se soustraire à l’impôt au moyen de mécanismes
répréhensibles et illégaux. À cela s’ajoute le blanchiment de capitaux, la
législation de certains paradis fiscaux offrant des outils juridiques afin de
faciliter l’introduction dans le système financier de fonds dont l’origine est
frauduleuse ou illicite (spéculations illégales, activités mafieuses, trafic de
drogue, d’armes, extorsion, corruption, fraude fiscale, etc.). De telles
pratiques sont souvent renforcées par le secret bancaire et le refus
d’échanger des informations en matière fiscale.
Face à la difficulté de clarifier les contours exacts des paradis fiscaux,
des États ou des organisations internationales et non gouvernementales ont
tenté de les identifier en dégageant des faisceaux d’indices censés
confondre leurs pratiques fiscales et juridiques. Mais le défi que soulèvent
les paradis fiscaux touche tout autant à la finance, à la politique, à
l’économie, à la fiscalité et au commerce. C’est la raison pour laquelle de
multiples critères d’identification existent, tous liés au champ d’activité des
entités qui les choisissent. Observé au travers de prismes différents, le
concept de paradis fiscal est décliné sous des appellations qui varient et ne
reflètent que la définition de leurs auteurs.

1. Les organisations internationales. – Les organisations


internationales ont naturellement appréhendé ce phénomène sous l’angle
des missions qui leur sont dévolues. Dans les années 2000, le Forum de
stabilité financière (FSF), le Groupement d’action financière (GAFI) et
l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)
ont établi des listes de juridictions non coopératives. Très vite jugées
inefficaces à cause des considérations politiques qui présidaient à
l’inscription ou au retrait d’un État, ces listes ont laissé place au système
d’examen par les pairs, sous l’égide de comités d’experts. Il n’en demeure
pas moins que les critères qui préexistaient à l’élaboration de ces listes
étayent le concept de « paradis fiscal ».
Le Forum de stabilité financière (devenu le Conseil de stabilité
financière), la Banque des règlements internationaux (BRI) et le Fonds
monétaire international, dans une logique de prévention des risques relatifs
aux marchés financiers et bancaires, se sont ainsi attachés uniquement à
identifier les centres financiers offshore, qu’ils ont définis comme des
territoires dont l’activité est essentiellement tournée vers les non-résidents,
avec une réglementation souple non contraignante et un niveau de taxation
quasi nul, voire nul.
En matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du
terrorisme, le GAFI a identifié des « pays et territoires non coopératifs »
(PTNC). Relèvent de cette identification des juridictions montrant des
carences en matière de réglementation financière, disposant d’une
législation accommodante en matière d’identification des bénéficiaires de
sociétés, limitant la coopération fiscale et judiciaire internationale et ne
garantissant pas la prévention de la délinquance financière. Avec la fin du
système de liste et l’examen par les pairs, le GAFI identifie dorénavant les
« juridictions à haut risque ou non coopératives » qui présentent des
défaillances stratégiques en matière de blanchiment de capitaux ou de
financement du terrorisme.
De toutes ces définitions, celle de l’OCDE reste une référence.
Soucieuse d’améliorer la transparence fiscale internationale entre les États,
l’OCDE a élaboré un faisceau d’indices censés permettre l’identification
des paradis fiscaux. Après avoir rappelé que celle-ci était complexe et
qu’aucune véritable définition ne pouvait être retenue, l’OCDE a cependant
déterminé des facteurs essentiels pour les reconnaître :
L’impôt y est inexistant ou insuffisant, critère premier pour classer un
État dans la catégorie des paradis fiscaux. Il faut entendre par là que,
dans ce cas, l’État n’impose pas ou pratiquement pas les revenus.
Il est impossible d’obtenir d’eux des renseignements : les États
concernés disposent d’une législation garantissant aux entreprises et aux
personnes concernées le secret de leurs informations fiscales et
bancaires.
La transparence n’y est pas la règle : elle se décèle quand l’État ne
montre pas une réelle volonté de transparence administrative, juridique
et législative.
Aucune activité substantielle n’est réalisée sur son sol : l’absence de
l’obligation d’exercer une activité significative sur le territoire de l’État
montre que ce dernier veut simplement attirer à des fins fiscales des
investissements et des transactions d’origine étrangère.
Tous ces critères permettent d’identifier, selon l’OCDE, un paradis
fiscal. L’absence d’échange de renseignements atteste que l’État fait
obstruction aux administrations fiscales étrangères dans leur recherche
d’informations ; et la non-obligation de mettre en place une activité notable
sur le territoire de l’État démontre que ce dernier souhaite uniquement
attirer des capitaux étrangers, voire faire office de « boîte aux lettres ».
L’OCDE n’a aucun pouvoir coercitif lui permettant d’imposer des
sanctions ; il n’en reste pas moins que ses définitions ainsi que les outils
qu’elle met à la disposition des États sont souvent suivis.

2. L’Union européenne. – Dans cette logique, l’Union européenne a


publié le 5 décembre 2017 une liste noire des juridictions qu’elle
considérait comme non coopératives. Cette liste repose notamment sur les
travaux de l’OCDE. L’identification d’une juridiction non coopérative fait
appel à trois critères distincts. D’une part, à la transparence fiscale, en
respectant les normes de l’OCDE relatives à l’échange automatique
d’informations ; d’autre part, à l’équité fiscale, en ne permettant pas la
création de structures offshore qui ne refléteraient pas une activité
économique réelle ; pour finir, la mise en œuvre des mesures anti-BEPS
(base erosion and profit shifting). Ces dernières visent à établir un ensemble
unique de règles fiscales internationales pour mettre fin à l’érosion des
bases d’imposition et au transfert artificiel de bénéfices vers certains pays
ou territoires dans le but de se soustraire à l’impôt. En outre, la liste noire
européenne des paradis fiscaux identifie 17 entités comme telles au
5 décembre 2017, puis seulement 9 après réactualisation de cette liste au
13 mars 2018 (Samoa américaine, Bahamas, Guam, Namibie, Palaos,
Samoa, Saint-Christophe-et-Niévès, Trinité-et-Tobago, les îles Vierges
américaines).

3. La France. – Il est de fait que chaque État a sa propre méthode


d’identification des paradis fiscaux. En France, dans une instruction du
ministère des Finances du 18 mai 1973, le paradis fiscal était défini comme
un pays « qui applique un régime fiscal dérogatoire tel, qu’il conduit à un
niveau d’imposition anormalement bas ». De même, l’article 238 A du
Code général des impôts ne fait aucunement mention des paradis fiscaux,
mais signale des pays « à régime fiscal privilégié ». Néanmoins, depuis la
loi du 30 décembre 2009, le ministère de l’Économie et des Finances publie
chaque année une liste des États et territoires non coopératifs en matière
fiscale. La constitution de cette liste est établie selon deux critères
clairement définis à l’article 238-0 A du Code général des impôts. Sont
déclarés comme ETNC :
les États et territoires non membres de la Communauté européenne dont
la situation au regard de la transparence et de l’échange d’informations
en matière fiscale a fait l’objet d’un examen par l’OCDE ;
les États n’ayant conclu avec la France aucune convention d’assistance
administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à
l’application de la législation fiscale des parties, ni signé une telle
convention avec au moins douze États ou territoires.
Par arrêté du 10 avril 2016 du ministre des Finances, la France n’a
identifié que 7 États et territoires non coopératifs (Botswana, Brunei,
Guatemala, îles Marshall, Nauru, Niue et Panama). Depuis la loi du
23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, la France a fait le choix
d’intégrer à la liste des ETNC les États et territoires de la liste européenne
des paradis fiscaux.

4. Les organisations non gouvernementales. Contrairement aux


organisations internationales qui sont cantonnées à leur champ d’activité,
les organisations non gouvernementales ont l’avantage de pouvoir
diversifier leurs critères. C’est ce qui explique l’important écart
d’identification des paradis fiscaux. Les organisations non
gouvernementales utilisent quasiment les mêmes repères, mais elles ont
l’avantage de la transversalité et de la diversité dans l’élaboration de leurs
faisceaux d’indices. Parmi les nombreuses organisations non
gouvernementales, l’une d’entre elles peut être particulièrement mise en
avant, Tax Justice Network, qui a élaboré un indice d’opacité financière
financial secrecy index, dit « FSI », censé classer les juridictions dites
« opaques ». Cet indice est fondé sur deux critères distincts, l’un qualitatif,
qui mesure le niveau de transparence de l’État à partir d’une vingtaine
d’informations (lois, règlements, niveau de régulation et de coopération…),
l’autre quantitatif, pondérant le premier en appréciant globalement la taille
et l’importance de la juridiction sur les marchés financiers internationaux
(montant des transferts estimés, activité transfrontalière…). Il en résulte une
note entre 1 et 100 : plus l’indice est élevé, plus la juridiction est considérée
comme opaque.
Compte tenu de la variété et de l’ingéniosité des mécanismes et des
montages juridiques offerts par les paradis fiscaux, leur reconnaissance
reste très difficile. Parce qu’ils sont difformes et multiples, leur
identification n’est possible qu’à travers les pratiques et les avantages qu’ils
octroient aux investisseurs étrangers. Nombre de paradis fiscaux cumulent
les caractéristiques, au point qu’une classification peut paraître laborieuse,
et semer une confusion avec des notions voisines.

IV. – Les notions voisines


Le concept de « paradis fiscal » ne doit pas être confondu avec certaines
notions voisines. En cumulant les avantages juridiques et fiscaux, certains
territoires ne sont pas seulement des paradis fiscaux : des États ont par
exemple instauré des législations attractives sans pour autant qu’il soit
permis de les qualifier de « paradis fiscaux ». La diversité des faisceaux
d’indices et leurs critères d’identification peuvent être source de confusion.
Dès lors, paradis bancaires, réglementaires, judiciaires et États à régime
fiscal privilégié ou préférentiel dommageable doivent être distingués pour
éviter tout amalgame avec la notion de « paradis fiscal ».
1. Les paradis bancaires. – Certains territoires se caractérisent par une
législation qui garantit de tenir absolument secrètes les informations que
détiennent leurs organismes bancaires. Ceux-ci assurent aux clients des
banques une confidentialité absolue sur leurs informations financières et
commerciales. Ainsi, ni l’administration ni les particuliers ne peuvent
accéder à ces données. Le secret bancaire est favorisé par la discrétion
totale, la rapidité et la facilité d’enregistrement des sociétés offshore. La
levée du secret bancaire n’est possible que dans le cadre de procédures
juridictionnelles particulières. Les territoires qui assurent ce type de
services sont qualifiés de paradis bancaires ou financiers.

2. Les paradis réglementaires. – D’autres territoires se caractérisent


quant à eux par la flexibilité de leur législation juridique et fiscale
permettant la création de produits financiers et des montages juridiques
particulièrement avantageux. Ces législations répondent à des règles hors
du commun qui facilitent la dissimulation de capitaux par l’intermédiaire
d’un droit des sociétés innovant (par exemple les sociétés de domiciliation,
les pavillons de complaisance, des fondations, des trusts, etc.). Appelés plus
communément « paradis réglementaires », ces territoires s’identifient
comme tels par l’ingéniosité de leur droit portant sur les sociétés et par
l’attractivité de leur fiscalité. Ces derniers offrent des exigences
comptables, prudentielles et d’enregistrement des sociétés peu
contraignantes, accordant pour certains la constitution de sociétés avec des
titres au porteur autorisant la dissimulation de l’identité des actionnaires
(jusqu’en 2008, par exemple, les sociétés domiciliées à Andorre n’étaient
pas soumises à l’obligation de tenir une comptabilité).

3. Les paradis judiciaires. – À cela s’ajoutent des territoires aux


législations pénales permissives et peu répréhensibles qui facilitent la
criminalité financière. N’ayant pas adopté les principaux dispositifs
d’échange de renseignements et de lutte contre le blanchiment d’argent, ces
juridictions, appelées plus communément « paradis judiciaires », excluent
toute entraide et coopération judiciaire internationale. Dès lors, leurs
autorités (judiciaire et fiscale) refusent de répondre aux demandes
d’informations relatives aux particuliers et aux entreprises qu’ils hébergent.
De même, n’ayant pas incorporé dans leur législation les principaux
dispositifs répressifs communément admis dans la plupart des pays, leurs
juridictions ne sont pas tenues de juger des faits reprochés par les autorités
étrangères. Indifférents à l’origine des fonds, à l’identité de leurs détenteurs
et à l’activité à laquelle ceux-ci sont dévolus, les paradis judiciaires
entretiennent une opacité financière certaine.

4. Les États à régime fiscal préférentiel dommageable (définition


OCDE). – Il est à noter que certains États ont mis en place des régimes
fiscaux attractifs qui attirent des activités financières ou des prestations de
service. Ces régimes concernent essentiellement des investissements passifs
ou des bénéfices comptables d’activités qui ne sont liés à aucune offre ou
aucune demande en rapport avec leur marché intérieur. Ces États à régime
fiscal préférentiel dommageable ne sont pas des paradis fiscaux mais des
États dont le régime ou les régimes fiscaux plus favorables qu’ailleurs
peuvent porter atteinte aux autres États. Pour les identifier, l’OCDE définit
plusieurs critères :
taux effectifs d’imposition nuls ou faibles (comme pour les paradis
fiscaux, le premier critère permettant d’identifier un régime fiscal
préférentiel est un taux d’imposition faible ou nul, mais il n’est pas
suffisant, car il doit être adjoint à un autre critère) ;
cantonnement des régimes (la législation du pays vient limiter
l’application du régime fiscal à une certaine catégorie, par exemple
l’interdiction du régime aux contribuables résidents ou à certaines
entreprises qui souhaitent intervenir sur le marché intérieur de l’État
concerné) ;
absence de transparence (ce critère large tient compte de toutes les
techniques dont peut user un État pour empêcher l’État d’origine du
contribuable dans sa recherche d’informations qui lui permettrait d’agir
contre ce dernier, et ce, par la prise de mesures légales, réglementaires
ou en dissimulant les informations sur ses pratiques administratives) ;
absence de véritable échange d’informations (pour cela, il suffit que
l’État refuse de transmettre des informations sur un contribuable
bénéficiant d’un régime fiscal préférentiel).
De tels régimes fiscaux sont souvent mis en place par les États pour
favoriser certains secteurs d’activité ou une catégorie particulière de
personnes (par exemple les résidents ou les non-résidents). En les
identifiant, l’OCDE vise à mettre fin à la concurrence fiscale dommageable
entre les États.

5. Les États et territoires à régime fiscal privilégié (définition


française). – Pour finir, la législation fiscale française considère que toute
personne physique ou morale est soumise à un régime fiscal privilégié dès
lors qu’elle transfère des fonds à destination d’un territoire ne pratiquant
pas l’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices, voire, lorsque celui-ci existe,
le pratiquant mais à un montant inférieur à plus de la moitié de ce qui a
cours en France (ce qui correspond à un taux inférieur à 16,5 % pour
l’impôt sur les sociétés). Il est à noter que cette mesure ne concerne pas les
pays membres de l’Union européenne (par exemple Chypre et l’Irlande, qui
pratiquent respectivement une imposition sur les sociétés à un taux de
12,5 % et 13 %). Bien que n’étant pas des ETNC, le droit français identifie
des États et territoires aux régimes fiscaux privilégiés dont les transactions à
destination de ces derniers sont soumises à une retenue à la source de 25 à
33 %.
Le concept de « paradis fiscal », quoique unique, s’appuie sur de
multiples critères qui varient selon l’identification souhaitée par les États et
les organisations internationales ou non gouvernementales. Ce qui explique
les fréquentes confusions avec des notions voisines. De fait, il n’existe pas
un seul type de paradis fiscal mais une diversité, prenant appui sur des
caractéristiques juridiques et fiscales très différentes, ainsi que sur des
instruments mis à la disposition de leurs bénéficiaires qui sont parfois très
éloignés.
CHAPITRE II

Les instruments juridiques

La mondialisation est l’une des principales causes de l’évasion fiscale


internationale. Les paradis fiscaux en ont profité pour concevoir des
législations compétitives favorisant la fraude ou l’optimisation fiscales.
Cependant, pour attirer des capitaux étrangers, il ne leur a pas fallu
uniquement alléger leur pression fiscale (§ I), mais garantir l’anonymat des
propriétaires souhaitant déposer des fonds ou des biens, grâce à des
législations strictes sur le secret bancaire et professionnel (§ II). L’attrait
qu’ils suscitent tient de la souplesse de leur législation en droit des sociétés
(§ III) et des forts réseaux d’accords bilatéraux qu’ils entretiennent (§ IV).

I. – Une imposition à taux réduit


La principale caractéristique commune à tous les paradis fiscaux est le
faible niveau – voire l’absence – de fiscalité. En entretenant délibérément
des taux très préférentiels, les paradis fiscaux visent à faire venir sur leur
territoire des capitaux de source étrangère provenant d’États dont la fiscalité
est jugée trop lourde. Comme partout ailleurs, leurs législations fiscales
prennent en compte une imposition différenciée selon qu’il s’agit de
personnes physiques ou morales, et de capitaux provenant d’activités
nationales ou de sources étrangères. Certains font même le choix d’accorder
des avantages fiscaux spécifiques à certains secteurs d’activité ou à
certaines catégories de résidents.

1. L’imposition sur le revenu. – Il existe une quinzaine d’États au


monde ayant fait le choix de ne pas soumettre leurs résidents à un impôt
direct sur le revenu. C’est le cas notamment d’Anguilla, des Bahamas, des
Bermudes, des îles Caïmans, des Émirats arabes unis, du Koweït, du
sultanat d’Oman, de Bahreïn, de Nauru, de Brunei, de Turques-et-Caïques,
du Vanuatu, du Qatar et de Monaco (excepté pour les Français justifiant
d’une résidence habituelle dans la principauté depuis cinq ans à la date du
18 mai 1963). À cette liste s’ajoute Campione d’Italia, ville enclave
italienne située en Suisse. Néanmoins, aucun de ces territoires ne fait
obstacle aux dispositions du droit des États-Unis, qui imposent à l’ensemble
des ressortissants américains, nonobstant le lieu où ils résident dans le
monde, de faire connaître leurs revenus à l’administration fiscale
américaine.
Certains États ont fait le choix d’un impôt à taux réduit, avec, selon les
territoires, des dispositifs fiscaux avantageux. Sans en dresser la liste
exhaustive, peuvent être citées la Bulgarie et la Lituanie, qui sont membres
de l’Union européenne et ont une fiscalité des plus avantageuses, avec un
taux d’imposition sur les revenus annuels respectivement de 10 % et 15 %.
En dehors de l’Union européenne, d’autres États appliquent un taux
particulièrement bas. C’est le cas notamment d’Andorre, dont la
réglementation dispose que les revenus annuels inférieurs à 24 000 euros
sont considérés comme non imposables. Ils le deviennent au-delà de ce
montant avec un taux de 5 % entre 24 000 euros et 40 000 euros, et de 10 %
au-delà de 40 000 euros. Autre exemple : l’île Maurice, avec son taux
d’imposition unique de 15 %, ou encore les îles Vierges britanniques avec
un taux d’impôt sur le revenu de 0 %.
Au-delà des faibles taux d’imposition, d’autres États dotés de
législations fiscales ordinaires ont fait le choix de régimes fiscaux
avantageux à l’attention de certaines catégories de contribuables. C’est le
cas notamment du Royaume-Uni, dont le statut de « résident non
domicilié », accordé uniquement à des étrangers de parents non
britanniques, permet une exonération fiscale d’une durée de sept ans sur
l’ensemble des revenus de source étrangère non rapatriés. De même, le
Portugal avec son statut de « résident non habituel » permet aux étrangers
qui en sont bénéficiaires d’obtenir une exonération fiscale d’une durée de
dix ans sur leurs revenus provenant de l’étranger. Ces États ne sont pas les
seuls : la Bolivie, Malte, Belize, l’île de Curaçao et Gibraltar offrent des
régimes semblables imposant les revenus de source locale et accordant aux
non-résidents une exonération sur leurs revenus de source étrangère.
À l’instar de ces États, le Liechtenstein et la Suisse permettent à
certaines catégories d’étrangers d’opter pour une imposition sur leurs
dépenses plutôt que sur leurs revenus. Appelé communément « forfait
fiscal », ce dispositif est dévolu aux résidents de nationalité étrangère qui ne
perçoivent que des revenus de sources étrangères et qui n’exercent aucune
activité lucrative sur le territoire. Ceux-ci sont imposés sur un montant
forfaitaire annuel prenant en compte leurs dépenses de la vie courante pour
un montant approximatif de 100 000 francs suisses et correspondant à cinq
fois le montant annuel d’un loyer ou de la valeur locative d’un bien. Cet
impôt très spécifique ne concerne qu’un nombre très restreint de personnes
aisées.
Ces régimes fiscaux préférentiels sont souvent conditionnés à une
obligation d’investissement, raison pour laquelle de tels régimes sont mis en
place. La pratique des visas dorés, ou golden visas, consistant en l’octroi
d’un statut résidentiel ou d’une nationalité en échange d’un investissement
est décriée par de nombreuses organisations internationales. Cette pratique
concerne cependant plus de quatre-vingt-dix États dans le monde, parmi
lesquels une quinzaine sont membres de l’Union européenne. Ces pays
accordent des dispositifs juridiques et fiscaux attractifs à une population
étrangère aisée en échange d’investissements sous des formes variées
(investissement dans une entreprise locale, achat immobilier, voire dépôt
d’une somme d’argent, etc.). Parmi ceux-ci, l’île Maurice, les Bahamas ou
les îles Caïmans conditionnent l’obtention du statut de résident permanent à
un investissement de 500 000 dollars. Profitant de l’espace Schengen,
certains États ont fait le choix de promulguer d’autres législations
particulières avantageuses. C’est le cas notamment du Portugal, avec la loi
« autorisation de résidence pour activités d’investissement », qui accorde
des golden visas aux personnes qui investissent un million d’euros, créent
au moins dix emplois ou achètent un bien immobilier d’une valeur
minimum de 500 000 euros. D’autres États, comme Andorre, ont instauré
des statuts de résidents par catégorie socioprofessionnelle. Les trois statuts
andorrans de résidents passifs, ou plus exactement « sans permis de
travail », concernent les personnes économiquement indépendantes
(retraités, rentiers, etc.), les personnes aux revenus internationaux (hommes
d’affaires) et les personnalités dites « reconnues » (sportifs, artistes,
chercheurs, etc.). Ces derniers jouissent d’un statut résidentiel leur
garantissant une imposition sur le revenu de 0 %, en contrepartie du
versement d’une caution de 50 000 euros, d’un investissement de
400 000 euros en Andorre et d’une obligation d’y séjourner plus de quatre-
vingt-dix jours par an. Antigua et Barbuda, Malte ou Chypre autorisent
quant à eux l’acquisition de leur nationalité sous certaines conditions par
une contribution significative à leur développement économique et social,
ainsi que par des investissements immobiliers ou des contributions
financières aux montants déterminés.

2. L’impôt sur les sociétés (imposition sur les bénéfices). – Les


paradis fiscaux sont également reconnus pour leurs fiscalités sur les
sociétés, régimes très avantageux combinant à la fois fiscalité attractive,
structures sociétaires innovantes et montages juridiques complexes. C’est ce
qui explique leur attrait auprès des personnes à la recherche d’une
optimisation fiscale agressive. Avec des dispositifs singuliers, ils permettent
à certaines sociétés ou certains secteurs d’activité d’être faiblement imposés
ou d’échapper à la fiscalité sur les sociétés. C’est le cas notamment de
Dubaï où, à l’exception des compagnies pétrolières, gazières et
pétrochimiques, toutes les sociétés sont exonérées d’impôt. De nombreux
autres pays appliquent des taux d’imposition réduits, comme Brunei (8 %),
les îles Vierges britanniques (15 %), Singapour (18 %), et même au sein de
l’Union européenne, où Chypre et l’Irlande (13 % et 12,5 %) appliquent des
taux considérés comme faibles.
Nombre de ces territoires ont également fait le choix d’accorder des
régimes fiscaux dérogatoires en faveur de sociétés extraterritoriales ayant
des activités tournées vers l’étranger. Parmi celles-ci, les plus courantes
sont les sociétés dites international business company (ou IBC). Ces
sociétés offshore, très répandues dans les territoires anglo-saxons (Anguilla,
les Bahamas, Belize, la Dominique, Nevis, Saint-Vincent, les
Seychelles, etc.), ont un intérêt essentiellement fiscal. Bien que soumises à
des réglementations quelque peu différentes d’un territoire à l’autre, celles-
ci restent limitées dans leurs activités, tout en présentant l’avantage d’être
exonérées des principales taxes locales. Ainsi aux Bahamas, les « IBC »
sont réservées à certains secteurs (bancaire, assurantiel et immobilier) ou à
certaines pratiques (les relations d’affaires avec des résidents bahaméens,
ou sièges sociaux de sociétés étrangères). Elles sont ainsi exonérées de tout
impôt sur les bénéfices et sur les plus-values pour une durée de vingt ans.
Dans le même esprit, l’île de Man exonère d’impôt les IBC uniquement
lorsqu’elles exercent une activité hors de l’île ou lorsqu’elles ont pour
actionnaire ultime un non-résident. Dans le cas contraire, celles-ci disposent
néanmoins de la faculté de négocier leur taux d’imposition avec
l’administration fiscale mannoise (taux qui ne peut dépasser 35 %).
D’autres sociétés ont quant à elles un statut d’exempt company, accordé
par de nombreux paradis fiscaux anglo-saxons (Bermudes, Gibraltar, îles
Caïmans, etc.) à des sociétés qui n’entretiennent pas de relations d’affaires
sur leur territoire, sauf pour les besoins de leurs activités à l’étranger. Ainsi,
à Jersey et Guernesey, les sociétés dites « exempt company » sont des
sociétés sans aucune activité commerciale ou industrielle avec les îles
anglo-normandes et dont les actionnaires ultimes sont des non-résidents.
Celles-ci sont dès lors exonérées d’impôt, mais soumises à une taxe
annuelle forfaitaire de 600 livres. Dans le même esprit, l’administration des
Antilles néerlandaises accorde un statut de tax exempt company (TEC) à
certaines sociétés de capitaux à responsabilité limitée, appelées plus
communément Netherlands Antilles besloten vennootschap (NABV). Pour
jouir d’un tel statut, et être exonérées de l’impôt sur les sociétés de 34,5 %,
celles-ci doivent se limiter à des activités financières et d’investissements
(octroi de crédit, investissement en titres et dépôts). D’autres, plus
simplement, comme Hong Kong et Singapour, voire l’État du Delaware
(avec les Delaware limited liability company, ou LLC), exonèrent les
sociétés immatriculées sur leur territoire et dont l’activité s’exerce à
l’étranger.
Il existe également d’autres types de sociétés offshore de formes
juridiques variées (non-résident companies, special license companies, etc.)
qui toutes présentent le point commun de bénéficier d’un statut
extraterritorial afin d’être exonérées d’impôts. Sans activité directe avec
leur juridiction de domiciliation, ces sociétés souvent considérées comme
« écrans » servent principalement à transférer des revenus de l’étranger.
Elles offrent également à leurs bénéficiaires l’opportunité de se soustraire à
l’imposition dont ils seraient redevables dans leur pays de résidence, étant
entendu que l’efficacité de ces structures ne peut être assurée qu’en
garantissant une stricte confidentialité.
II. – Des secrets bancaire et professionnel quasi
absolus
Le secret est l’un des fondements essentiels des paradis fiscaux,
permettant une certaine opacité réduisant la traçabilité des fonds. Il
pérennise leur existence et garantit l’efficacité des outils juridiques qu’ils
proposent. Grâce à la confidentialité des informations financières, bancaires
et commerciales, les paradis fiscaux assurent leur attractivité et leur survie.
L’importance est de taille, et c’est ce qui explique que, à l’instar de
l’Autriche, nombre de juridictions ont constitutionnalisé le « secret
bancaire » ou ont tenté de le faire, comme la Suisse. Le secret est essentiel
et, quelle que soit sa nature (secret professionnel ou secret bancaire), il est
garanti par une législation stricte qui peut parfois se heurter aux normes
internationales.

1. Le secret bancaire. – Découlant du secret professionnel et plus


généralement du droit au respect de la vie privée, le secret bancaire est l’un
des principaux atouts des paradis fiscaux. Ses limites précises et sa
définition sont peu connues. Il ne fait généralement pas l’objet d’une seule,
mais de plusieurs dispositions, constituées de normes situées dans plusieurs
secteurs de l’ordre juridique de la juridiction concernée. Le secret bancaire
consiste à assurer aux clients des banques une confidentialité absolue de
leurs informations bancaires. Que ce soit l’administration ou les
particuliers, personne n’est en mesure d’accéder à ces données. Le secret est
favorisé non seulement par la discrétion absolue, mais encore par la rapidité
et la facilité d’enregistrement des sociétés offshore. Il assure la
confidentialité, tant des renseignements bancaires que de ceux qui sont
relatifs à l’identité des propriétaires.
L’ouverture d’un compte dans une banque extraterritoriale dite offshore
(banque située à l’extérieur du pays de résidence du déposant) peut se
révéler compliquée en raison des règles KYC (know your customer) et LBA
(loi antiblanchiment d’argent). Ainsi, nombreuses sont les banques situées
dans les paradis fiscaux qui exigent suffisamment d’informations sur le ou
les bénéficiaires finaux des comptes bancaires (personne morale ou
physique). Pour autant, tous ces organismes ne contrôlent pas
nécessairement l’origine ou la destination finale des fonds. D’où la facilité
pour certains fraudeurs ou criminels de blanchir de l’argent ou d’échapper à
l’impôt.
À l’origine, certaines juridictions permettaient l’emploi de comptes
anonymes dont l’identité du client n’était pas connue de l’établissement
bancaire. Depuis l’entrée en vigueur de certaines normes internationales, les
paradis fiscaux imposent à leurs organismes bancaires de connaître
l’identité de leurs clients. Ce qui explique que nombre d’entre eux octroient
des comptes dits « numérotés », remplaçant le nom du déposant ou du
créancier par un numéro. Ainsi, aucun compte n’est vraiment « anonyme »,
mais dans un souci de protection vis-à-vis des employés, il arrive que des
opérations relatives aux clients soient traitées sous un numéro ou un
pseudonyme. Précurseur de ce type de comptes, la Suisse a rapidement été
rattrapée par d’autres paradis fiscaux, notamment le Luxembourg et
l’Autriche.
Le secret bancaire est au bénéfice du client et non de la banque. En
effet, elle ne peut pas se soustraire à ses obligations de confidentialité. Le
secret n’est cependant pas totalement absolu, et certaines juridictions ont
dans leur ordre juridique des dispositions civiles et pénales qui prévoient sa
levée. Celle-ci peut être obtenue sur demande d’une autorité judiciaire
(notamment dans le cadre d’une affaire pénale), ou en matière d’entraide
judiciaire entre États. À l’exception de ce cadre légal, toute violation du
secret bancaire fait souvent courir le risque de poursuites pénales.

2. Le secret professionnel. – Au côté du secret assuré par les banques


coexiste également le secret reconnu aux autres professions. Important pour
les paradis fiscaux, il permet de garantir aux investisseurs extérieurs la
stricte confidentialité des informations communiquées aux professionnels
du droit et de la finance offshore (avocat, notaire, comptable…). Avec un
éventail large, il est souvent institué par les juridictions non coopératives
dans le but d’assurer une confidentialité absolue des informations bancaires,
financières et commerciales des clients de ces professions.
Parmi celles-ci, l’activité de nominees, ou « prête-nom », est fortement
pratiquée dans les paradis fiscaux. Elle permet à certains investisseurs non
résidents d’assurer leur anonymat lors de la constitution de société offshore.
Directeurs (nominee directors) ou actionnaires (nominee shareholders), ils
sont les seuls à apparaître officiellement auprès de l’administration de la
juridiction. Professionnels en la matière, ces derniers entretiennent souvent
des liens étroits avec les établissements bancaires. Ils facilitent ainsi
l’ouverture des comptes et évitent à leurs clients de se déplacer. Pour autant,
l’anonymat absolu n’est pas toujours garanti. Nombre de banques exigent
de connaître l’identité du bénéficiaire final des opérations bancaires.
Difficulté que rencontrent de nombreux professionnels de la finance
offshore exerçant en tant qu’intermédiaires auprès des organismes bancaires
(trustee, gestionnaire de fortune, etc.).
Néanmoins, le secret professionnel est souvent le dernier rempart
auquel se heurtent les demandes d’entraide judiciaire. Pour ce faire, de
nombreuses juridictions ont signé des accords et élaboré des législations qui
garantissent indépendance et confidentialité aux professionnels de la
finance offshore. C’est le cas notamment de la législation américaine
FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) qui impose aux banques du
monde entier de communiquer au Trésor américain des renseignements
détaillés sur les comptes détenus à l’étranger par des contribuables
américains. Cependant, la Suisse a signé un accord avec les États-Unis le
14 février 2013, amendé par une convention américano-suisse du 19 février
2016, qui autorise les avocats et les notaires helvètes à opposer leur secret
professionnel à toute demande d’information concernant des comptes
appartenant aux clients dont ils assurent la gestion. Prévenues dès
l’ouverture du compte, les banques suisses n’ont plus à identifier les clients
visés, garantissant ainsi le respect du secret professionnel auquel le droit
suisse soumet les avocats et les notaires.
En outre, le secret professionnel a récemment été renforcé par une
directive européenne du 8 juin 2016. Nouvellement transposée dans la
législation française par une loi du 31 juillet 2018, celle-ci protège les
sociétés contre le vol, l’utilisation ou la divulgation de toute information
portant atteinte au « secret des affaires » (brevet, secret de fabrication,
données économiques ou stratégiques, documents internes, etc.). Faute de
jurisprudence en la matière, il y a fort à parier que la place des « lanceurs
d’alertes » et des journalistes dont l’importance est réelle dans de nombreux
scandales financiers risque d’être remise en cause (Luxleaks, Panama
Papers, etc.). Fortes de celle-ci, les sociétés s’estimant lésées pourront ainsi
demander la destruction des supports informatiques concernés,
l’interdiction préventive de prises de parole publiques, et la réparation des
préjudices occasionnés.
Au cours des dernières années, les nombreuses normes internationales
adoptées en la matière ont permis d’affaiblir le secret absolu des paradis
fiscaux. Pour autant, il n’en demeure pas moins que subsiste le secret
professionnel dévolu aux professionnels de la finance offshore. Ce dernier
garantit l’attractivité de ces juridictions et assure une confidentialité stricte
sur les structures et les montages juridiques proposés aux investisseurs
extérieurs.

III. – Des structures sociétaires et des montages


juridiques innovants
L’attrait des paradis fiscaux s’explique également par leurs régimes
juridiques innovants en droit des sociétés. Adaptés aux contraintes fiscales
internationales et aux enjeux financiers, ces derniers permettent aux
investisseurs étrangers de bénéficier d’instruments juridiques hors normes.
Tous les paradis fiscaux ont élaboré des structures sociétaires d’exception
qui garantissent la confidentialité, et facilitent l’optimisation ou la fraude
fiscale, grâce notamment à des montages juridiques complexes mêlant à la
fois droit des sociétés, droit fiscal et droit international.

1. Les « trusts ». – Certains mécanismes juridiques offerts par les


paradis fiscaux n’ont pas d’équivalent en droit civil français. C’est le cas
notamment des trusts, qui sont de véritables créations jurisprudentielles des
tribunaux de common law. Pendant longtemps, les trusts, dont la traduction
signifie « confiance », n’ont pas eu de définition juridique en droit romano-
germanique. Il faut dire que le trust est une forme de fiducie, plus
précisément un patrimoine d’affectation dont l’intérêt premier est de
permettre à son fondateur de sortir des éléments de son patrimoine propre.
Virtuellement appauvri, ce dernier peut ainsi présenter aux autorités fiscales
de son pays un patrimoine amoindri, et donc payer moins d’impôts. Face à
l’ampleur du phénomène et aux enjeux financiers, de nombreux pays ont
adopté des législations qui conduisent à mieux les contrôler.
Dans la pratique, le trust est un contrat par lequel le propriétaire d’un
bien dénommé « settlor » confie à une ou plusieurs personnes physiques ou
morales dites « trustee » la charge de l’administrer pour le compte d’un
bénéficiaire appelé « beneficiary ». Celui-ci laisse au settlor le soin
d’assurer la gestion de ses actifs par un tiers et d’en léguer tout ou partie à
un bénéficiaire. Très flexible, selon les prescriptions qu’elle comporte, cette
convention peut se faire entre vifs (trust entre vifs) ou pour cause de mort
(trust testamentaire). Dans le premier cas, le bénéficiaire en retire les
bénéfices à une échéance donnée, alors que, dans l’autre, il doit attendre le
décès du settlor. Il en existe d’autres formes, qui varient selon les
juridictions : certains trusts sont révocables ou irrévocables, simples ou
discrétionnaires, et permettent, selon le bon vouloir du settlor, des
versements périodiques ou non au profit du bénéficiaire. Il est à noter que,
selon les législations, la qualité de bénéficiaire peut revenir également au
trustee et au settlor, voire aux deux à la fois.
Dépourvus de personnalité juridique, les actifs détenus par un trust
peuvent ou non couvrir des activités commerciales. Le bénéficiaire de cette
fiducie est désigné par les statuts. Il est par ailleurs possible de désigner un
« protector » dont le rôle est de surveiller le trustee pendant toute la durée
du trust. Le trustee détient du settlor l’autorité, legal ownership, pour
administrer les biens qui lui sont confiés pendant une période donnée. Au
terme de cette dernière, il revient au bénéficiaire qui a le pouvoir exclusif
de prétendre au profit et à l’usage des biens mis en trust (equitable
ownership). Juridiquement, tout type de bien peut être mis en trust, biens
mobiliers ou immobiliers, valeurs mobilières, sommes d’argent, etc. Les
actifs mis en trust ne font plus partie du patrimoine du settlor et sont
distincts du patrimoine du trustee, qui n’en a pas la jouissance, puisque,
selon l’acte constitutif du trust deed, elle revient au bénéficiaire.
En ce qui concerne les règles de constitution et d’enregistrement des
trusts, celles-ci varient d’une juridiction à l’autre. Certaines, à l’instar des
Bermudes ou de Jersey, n’exigent aucun formalisme particulier. De même,
Monaco et Andorre ne permettent pas la création de trusts nationaux, mais
acceptent la gestion de trusts de droit étranger dits « trusts offshore ». Dans
ce dernier cas, le trust est transféré de sa juridiction d’origine et est
administré selon la législation interne de celle-ci. D’autres, comme le
Liechtenstein, Gibraltar et Saint-Marin, reconnaissent les deux.
Les trusts assurent une confidentialité absolue sur les actifs qu’ils
gèrent. La plupart des paradis fiscaux n’imposent aucune obligation de
transmission d’informations à l’administration dès lors que le trustee est un
professionnel (banquier d’affaires, notaire, avocat ou même sociétés
extraterritoriales). Ainsi, rares sont les juridictions qui imposent
l’enregistrement des trusts sur un registre officiel, préférant se limiter à
réglementer l’activité de trustee afin de garantir un anonymat absolu. Il
revient par la suite aux professionnels de contrôler l’identité de leurs clients
et l’origine des fonds. De même, il leur appartient de s’assurer que le trust
respecte le domicile fiscal de ces derniers, ainsi que la législation de toutes
les juridictions où les actifs seront placés.
La législation d’origine du constituant est toujours prise en
considération lors de la constitution d’un trust, conformément à la
convention de La Haye relative à la loi applicable aux trusts et à sa
reconnaissance du 1er juillet 1985. Pratiquement, tous les paradis fiscaux
usent des règles du droit international privé qui régissent la prise en compte
du droit du pays d’origine en cas de décès du settlor pour connaître les
règles de dévolution des biens mobiliers en matière de trust offshore. Ainsi,
suivant le territoire d’origine du trust, les règles du droit des successions
vont changer et permettre notamment d’astucieux montages juridiques. En
ce sens, prenons l’exemple d’un Britannique domicilié à Monaco qui
décède après avoir constitué un trust. Monaco n’autorisant pas la création
de trusts nationaux, celui-ci sera nécessairement anglais et fera application
des règles du droit britannique qui renvoient à la dernière domiciliation du
défunt pour connaître les règles de dévolution de ses biens mobiliers. Ce
dernier étant domicilié à Monaco, c’est le droit monégasque qui
s’appliquera au trust anglais.
Ce n’est pas un hasard si le trust est souvent surnommé la « niche
fiscale des milliardaires ». Au-delà de la gestion des actifs et de sa
confidentialité, l’intérêt des trusts est surtout fiscal. Ils dispensent le
fondateur de déclarer à l’administration fiscale de son pays l’existence
d’actifs dissimulés dans un trust, certaines juridictions leur octroyant des
régimes fiscaux particulièrement favorables. C’est le cas notamment des
Bahamas, qui ne soumettent les trusts à aucun impôt. D’autres, à l’instar de
Gibraltar, du Panama ou des îles Caïmans, exonèrent les revenus de sources
extérieures ou accordent un statut d’exempter trust lorsque le bénéficiaire
est un non-résident.
L’institution du trust n’existant pas en droit français, les administrations
et les juridictions françaises rencontrent de véritables difficultés à
l’appréhender. C’est toute la force de cet instrument juridique, à l’origine de
débats et d’interprétations casuistiques. Il est incontestable que le système
des trusts institué dans les paradis fiscaux permet de pratiquer
l’optimisation fiscale. Les actifs détenus dans les trusts et leurs propriétaires
sont souvent inconnus des autorités françaises. Par cette législation
attractive, les juridictions concernées s’assurent d’être reconnues comme
des places financières majeures, garantissant la confidentialité et le secret
des informations patrimoniales de leurs clients.

2. Les fondations. – Dans les paradis fiscaux, d’autres outils juridiques


sont comparables aux trusts. C’est le cas notamment des fondations, qui
sont créées par un ou plusieurs fondateurs, personnes physiques ou morales,
dans un but non lucratif et afin de poursuivre un intérêt général. Proches
dans leurs résultats, trusts et fondations sont néanmoins deux outils
juridiques différents. Il est à noter par exemple que la législation sur les
trusts, soumis au régime de la common law, est beaucoup plus complexe
que celle des fondations, car elle fait souvent appel à des législations
étrangères et à l’interprétation de la jurisprudence. Mais la principale
distinction réside dans la personnalité juridique dont est dotée la fondation.
Dans la pratique, le trust et les fondations offrent tous les deux
l’opportunité de faire de l’optimisation fiscale. Affecter une partie de ses
biens à une fondation permet au fondateur d’amoindrir son patrimoine, et
ainsi de payer moins d’impôts. C’est pour cette raison que le juge Van
Ruymbeke, auditionné par la commission d’enquête du Sénat le 22 mai
2012 au sujet de l’évasion des capitaux et des actifs hors de France, a pu
déclarer qu’« une fondation au Liechtenstein a tout sauf un but non
lucratif ».
Quels que soient les paradis fiscaux, les fondations ont un régime
juridique comparable, qui varie sensiblement selon les territoires. Ainsi,
outre les fondations classiques dites « de charité », d’utilité publique et à
but non lucratif, d’autres régimes, comme les fondations familiales,
garantissent la gestion des actifs du fondateur ou des fondations privées.
Elles offrent des avantages fiscaux significatifs et préservent les intérêts
économiques des héritiers. À celles-ci s’ajoutent également des fondations
ayant un intérêt économique, souvent associé à une activité civile, comme
au Liechtenstein. Certaines juridictions, comme celle des Pays-Bas, vont
même plus loin en autorisant la prise de participations et le contrôle de
sociétés. Dans ce dernier cas, les titres d’une société sont transférés à la
fondation qui joue un rôle de holding et délivre des certificats permettant à
leurs détenteurs de jouir des avantages économiques qui leur sont attachés
(droit aux dividendes, amortissement du capital, etc.). Il en résulte que le
contrôle des actions, et donc des sociétés, demeure au sein de la fondation.
L’intérêt majeur de la fiscalité sur les fondations est également l’une des
principales raisons de leur succès. À Monaco, celles-ci ne sont soumises à
aucun impôt direct. Le Liechtenstein connaît une législation comparable
permettant aux fondations familiales de ne pas être assujetties aux droits sur
les successions et sur les donations, à condition que le fondateur ne soit pas
résident du Liechtenstein. Quant aux Antilles néerlandaises, elles
exonérèrent les fondations privées de tout impôt sur les bénéfices, alors que
d’autres, tel Saint-Marin, exonèrent certaines activités et accordent des
déductions d’impôts sur le transfert de patrimoine en provenance de
sociétés.

3. L’« Anstalt ». – La principauté du Liechtenstein a conçu une


structure juridique unique au monde dénommée « Anstalt ». Cette
appellation peut se traduire littéralement par « établissement » ou
« institution ». Ce type de forme sociale est une caractéristique du droit
liechtensteinois et ne connaît pas d’équivalent dans les autres législations de
droit latin ou anglo-saxon.
La création d’une Anstalt nécessite un capital minimal de 30 000 francs
suisses. Sa forme sociétaire est hybride, à mi-chemin entre la société en
commandite par actions et la fondation. Dotée de la personnalité juridique
et d’un patrimoine propre, l’Anstalt peut être créée par un ou plusieurs
fondateurs, personnes physiques ou morales dont l’anonymat est protégé
(l’identité et les droits des fondateurs figurent dans un acte notarié). Cela
étant, ceux-ci sont contraints à la règle de l’unanimité dans toutes leurs
décisions (d’où l’importance des Anstalten à fondateur unique). Entité
propice à la gestion de fortune, elle permet de pratiquer tous types
d’activités financières ou commerciales, à l’exception des activités
bancaires et d’assurance. Dans la pratique, une telle structure est
principalement employée en tant que holding.
Dans son fonctionnement, l’Anstalt est composée d’une organisation
interne qui s’articule autour de trois composantes. Tout d’abord, l’organe
supérieur (oberste Organ) constitué du ou des fondateurs, à qui il revient de
nommer et de révoquer les membres du conseil d’administration et de
l’« organe de contrôle » (Kontrollstelle), d’examiner les bilans et d’arbitrer
les questions relatives à l’affectation des bénéfices. L’autre organe de cette
structure est le conseil d’administration (Verwaltungrate) qui gère l’Ansalt,
conformément aux statuts et aux directives de l’organe supérieur. Quant à la
dernière composante, l’organe de contrôle, sa mise en place est obligatoire
dans le cadre d’activités commerciales, mais facultative si celles-ci se
limitent à une simple gestion de patrimoine. Il lui appartient de certifier les
comptes tous les six mois. Les bénéficiaires sont ceux qui bénéficient du
résultat de l’exploitation. Si ce sont des tiers, ils sont désignés comme tels
par l’organe supérieur ; à défaut, c’est le fondateur qui en tire profit.
L’Anstalt accorde de nombreux avantages, tant fiscaux qu’économiques.
Elle permet tout d’abord de protéger les fondateurs qui ne peuvent voir leur
responsabilité et leur patrimoine engagés. Pour ce faire, leurs droits sont
« organiques » et « non patrimoniaux », c’est-à-dire non incorporés à leur
patrimoine et attachés à leurs fonctions. De plus, dotée d’une responsabilité
limitée, l’Anstalt n’est responsable qu’à hauteur du montant de son capital.
Quant à son régime fiscal, il diffère en fonction de la nature de son activité.
Lorsque l’activité est commerciale, l’Anstalt est soumise à l’impôt
liechtensteinois sur les sociétés. À l’inverse, lorsque son activité consiste en
la gestion et l’administration d’un patrimoine ou la détention de
participation, elle est exonérée d’impôt sur les bénéfices. De même, il est à
noter que la transmission des droits des fondateurs, tant par vente que par
succession, est exonérée d’impôt.

En définitive, le trust, la fondation et l’Anstalt sont des instruments


juridiques réservés aux investisseurs dotés de hauts revenus. Ils leur
permettent d’assurer la gestion de leur patrimoine, de garantir leur
confidentialité et de jouir d’importants avantages fiscaux et financiers.
Néanmoins, ceux-ci sont peu recommandés dans l’Hexagone, car ils
suscitent des craintes de la part des autorités françaises qui voient en eux
des outils d’évasion fiscale. C’est pour cette raison que leur création relève
principalement de cabinets étrangers spécialisés dans la gestion de fortune
et l’optimisation fiscale.

4. Les sociétés de services offshore. – L’un des principaux atouts des


paradis fiscaux tient à leur législation sur les sociétés offshore, dont la
traduction littérale veut dire « en dehors des côtes ». Ces sociétés dites
également « extraterritoriales » ont pour caractéristiques communes d’être
domiciliées dans un paradis fiscal, d’être contrôlées par des personnes
physiques ou morales non résidentes et d’exercer l’essentiel de leurs
activités à l’extérieur de leur juridiction de domiciliation (souvent en
devises étrangères).
La domiciliation est le lieu d’enregistrement du siège social d’une
société qu’il ne faut pas confondre avec le lieu d’activité de l’entreprise. Il
en découle l’adresse fiscale et juridique de la personne morale. Les sociétés
offshore ne sont rien d’autre que des sociétés de droit commun, avec un
fonctionnement juridique analogue à celui qui existe dans la plupart des
pays du monde. La différence tient au fait que, une fois enregistrées dans
les paradis fiscaux, ces sociétés jouissent d’un régime juridique plus
avantageux, aussi bien en matière fiscale que sociétaire. L’entreprise se voit
détentrice d’une adresse postale différente du lieu où elle exerce réellement
son activité. Dès lors, il peut être fait mention de « boîtes aux lettres » ou de
locaux inoccupés, voire fictifs. L’enregistrement d’une société « écran » est
tout à fait légal. Pour domicilier une société dans un paradis fiscal, il suffit
de répondre aux conditions d’enregistrement et d’avoir son siège sur le
territoire de celui-ci.
La plupart des paradis fiscaux acceptent que ces sociétés soient gérées
depuis l’étranger mais imposent sur place un représentant légal de
l’actionnaire qui, en droit anglo-saxon, s’appelle un nominee director ou
nominee shareholder. C’est souvent une personne morale qui représente
l’actionnaire sur le territoire de la juridiction et facilite la constitution et la
gestion de ces sociétés. Ces représentants sont des cabinets d’avocats ou
fiduciaires, inscrits sur des registres et dont l’activité est liée à la
constitution de firmes. Il est à noter que la constitution d’une société
extraterritoriale s’accompagne très fréquemment de l’ouverture d’un
compte dans une banque offshore facilitant les transactions financières et
protégeant les fonds des fluctuations économiques (dépression,
inflation, etc.) tout en préservant la confidentialité des informations.
À l’exception des international business company (IBC) anglo-
saxonnes, et des global business company (GBC) mauriciennes, dont la
forme particulière de société est spécialisée dans l’offshoring, la plupart des
sociétés extraterritoriales sont des sociétés classiques bénéficiant d’un statut
spécial d’exonération fiscale, par exemple du statut d’exempt company.
Ainsi, jouissant de suffixes différents selon leur régime juridique
(Incorporated, Inc., Ltd., Corporation, Corp., SA), les sociétés offshore
peuvent être classées en cinq grandes catégories :
international business company (IBC) ;
global business company (GBC), spécifique à l’île Maurice ;
private limited company (PLC), comparable à la SA du système
français ;
limited liability company (LLC) ;
limited liability parternerships (LLP) ou private company limited by
shares, comparable à la SARL du système français.
De même, agissant dans le cadre d’opérations de commerce
international, les sociétés offshore ont des fonctionnalités différentes selon
les raisons de leur constitution et la place qu’elles occupent dans les
montages juridiques offshore:
sociétés de facturation : spécialisées dans l’affacturage, ces sociétés
s’identifient par des surfacturations directes ou indirectes dans le cadre
d’opérations d’achat et de vente ;
sociétés de prestations de services : ces sociétés se caractérisent par la
facturation de prestations fictives ou exécutées par des tiers, voire
effectives mais artificiellement majorées ;
sociétés de gestion de redevances et de brevets : ces sociétés ont pour
objet de recueillir un brevet, une marque ou un savoir-faire et de
permettre à la redevance qui en découle d’être imposée à un taux
réduit ;
sociétés d’administration et de gestion de patrimoine : ces sociétés
permettent de dissimuler et d’administrer le patrimoine d’un
contribuable, tout en le faisant profiter d’un régime fiscal attractif.
Selon le type d’activités réalisées, des statuts fiscaux spécifiques
peuvent être accordés. C’est le cas des sociétés holding (holding de
contrôle, holding de participation, holding de brevets ou de marques, etc.),
qui sont des sociétés de participations bénéficiant d’un régime
d’exonération très large. Sans activité commerciale, ces sociétés sont créées
par des personnes physiques ou morales non résidentes dans le seul but de
prendre des participations dans des sociétés filiales. Un holding, ou encore
une société mère, a l’avantage de pouvoir contrôler des sociétés « filles », et
de faire remonter les bénéfices de ces dernières (dans le cadre d’accords
internationaux de non double imposition). Une fois dans la société holding,
les dividendes distribués aux actionnaires sont soumis à une fiscalité
attractive.
D’autres statuts existent, tel celui des sociétés de domicile, régime fiscal
accordé en Suisse et au Liechtenstein à certaines sociétés majoritairement
détenues par des étrangers et dont l’activité s’exerce en dehors de leur
territoire. Généralement sans activité commerciale, sans immeuble et sans
personnel, ces sociétés sont rattachées à des banques, à des sociétés
d’avocats ou à des sociétés fiduciaires qui les dirigent pour le compte de
leurs actionnaires. Elles tirent essentiellement leurs recettes de sources
étrangères (dividendes, intérêts, redevances de licences, etc.). Elles sont
surnommées sociétés « boîtes aux lettres ».
De telles structures accordent aux actionnaires des avantages qu’ils ne
pourraient obtenir dans les pays où ils réalisent l’essentiel de leurs activités
commerciales. Par ces structures, ceux-ci recherchent avant tout la
confidentialité de leurs informations, une comptabilité allégée et une
fiscalité peu élevée. Ainsi, de telles sociétés sont souvent utiles lorsqu’elles
interviennent dans le cadre de montages juridiques complexes.
5. Les montages juridiques offshore. – Afin de se soustraire ou de
minimiser l’impôt dont ils devraient être redevables au titre de leurs
activités professionnelles, certains investisseurs profitent des avantages
qu’offrent les législations étrangères et les conventions internationales afin
d’interposer dans leurs circuits commerciaux des sociétés établies dans les
paradis fiscaux. Il en résulte des montages juridiques parfois très complexes
dont l’intérêt premier est de réduire la charge fiscale. Pour installer une
société relais, son fondateur doit en détenir la majorité des parts et pouvoir
la contrôler. Prenant souvent la forme d’une société de capitaux, sa
constitution et sa fiscalité doivent être conformes à la législation locale du
paradis fiscal où elle est domiciliée.
La grande majorité des montages juridiques frauduleux, appelés
« schémas fiscaux abusifs » ou « tax shelters », se matérialisent par des
surfacturations directes ou indirectes, dans le but de faire sortir des fonds
d’un territoire. L’émission de fausses factures peut se faire par le fraudeur
lui-même ou grâce à un tiers (fournisseurs, paiement de commissions, etc.).
De tels montages étant facilement identifiables, la constitution de sociétés
écrans est souvent un rempart pour dissimuler des opérations illicites au
regard des autorités administratives et judiciaires. Dans certains cas, les
délinquants pratiquent la protection par le vide en faisant disparaître la
société créée sitôt l’opération effectuée. Néanmoins, très fréquemment, les
fraudeurs n’ont pas recours à un seul mais à de multiples montages
juridiques cumulatifs, décrits ci-après.
Montage 1 : société de facturation (vente à prix minoré)

L’affacturage donne l’opportunité de dissimuler de l’argent dans une


société extraterritoriale au moyen de ventes à prix minorés. C’est le cas
notamment du montage ci-dessus, par lequel une société française facture
des produits de sa fabrication pour un montant de 500 euros à une société
écran domiciliée à l’étranger. Concomitamment, cette dernière les revend et
les refacture 1 000 euros au client destinataire. Les produits sont
directement expédiés par la société française au client final sans jamais
avoir transité matériellement par la société écran. Une telle opération aura
eu l’avantage de dissimuler 500 euros dans une société offshore,
correspondant à la minoration du prix de vente de la société française. Bien
que n’ayant pas nécessairement de liens juridiques, les deux sociétés
(française et offshore) ont en général le même dirigeant, dont l’intérêt
premier est le transfert des bénéfices dans un paradis fiscal.
Montage 2 : société de facturation
(majoration abusive d’achat)

D’autres mécanismes d’affacturage permettent à une société française


de majorer le prix de ses acquisitions pour baisser le montant de son
bénéfice imposable. Cas patent d’une société française important des
marchandises d’une société domiciliée dans un pays étranger. Les
marchandises sont directement livrées par la société « étrangère », mais la
facturation est établie par l’intermédiaire d’une société écran immatriculée
dans un paradis fiscal. Ainsi, dans ce montage juridique, qui fait intervenir
trois sociétés appartenant à un même groupe, la société domiciliée à
l’étranger facture 1 000 euros ses marchandises à une société offshore qui
refacture celles-ci 1 500 euros à la société française.
Montage 3 : société de services
(localisation fictive d’une activité exercée en France)

Afin de dissimuler des avoirs à l’étranger, certains dirigeants ont


recours à des sociétés de prestations de services. Dans le cadre du montage
ci-dessus, le prestataire, domicilié en France, réalise des prestations pour
deux clients, V et U, eux-mêmes domiciliés en France. Pour ce faire, le
dirigeant crée une société offshore qui facture les clients et encaisse les
paiements sur un compte offshore. Un tel mécanisme permet au dirigeant de
dissimuler des avoirs à l’étranger, lieu d’implantation fictive de son activité.
Pour autant, dans les faits, le dirigeant travaille depuis la France et
dissimule une partie de son activité par le truchement d’une société
extraterritoriale.
Montage 4 : société de services
(services fictifs facturés par une société offshore)

D’autres montages juridiques offshore permettent également de


dissimuler des avoirs à l’étranger à partir de sociétés de prestation de
services. C’est le cas notamment du montage ci-dessus, dans lequel un
dirigeant dirige deux sociétés distinctes, dont l’une est domiciliée en France
et dont l’autre est offshore, domiciliée dans un paradis fiscal. Pour le
dirigeant, l’intérêt d’un tel montage est de faire sortir de l’argent de sa
société française, vers un lieu où la fiscalité est attractive. À cet effet, la
société extraterritoriale facture des prestations fictives (commissions
fictives, frais de publicité, études financières, etc.) à la société française, ce
qui permet à son dirigeant de dissimuler des avoirs à l’étranger tout en
baissant le bénéfice imposable de sa société française.
Montage 5 : société de gestion de droits de propriété
intellectuelle

En suivant ce montage, de nombreuses sociétés, à l’instar des « GAFA »


(Google, Amazon, Facebook et Apple), créent des sociétés de gestion de
leurs droits de propriété intellectuelle aux fins d’optimisation fiscale. En
l’espèce, une société détentrice de brevets et de marques cède ses droits à
une filiale offshore en contrepartie d’une licence d’exploitation. Par cette
cession, la société mère paie une redevance à sa filiale domiciliée dans un
paradis fiscal afin de pouvoir user de ses droits d’exploitation. Un tel
montage permet de réduire les bénéfices imposables de la société mère et de
dissimuler des avoirs à l’étranger dans une société jouissant d’une fiscalité
avantageuse.
Montage 6 : société de gestion ou d’administration
de patrimoine

Certains particuliers peuvent solliciter des sociétés offshore afin de


soustraire de leur patrimoine certains revenus ou certains biens. Ils ont alors
recours à des sociétés écrans qui administrent et gèrent leurs avoirs à
l’étranger. Dans ce schéma, les fonds ne transitent jamais par le territoire
français. Souvent de sources étrangères, ils deviennent la propriété d’une
société extraterritoriale qui en a la garde et les administre pour le compte de
son créateur. Ainsi cachés par une structure opaque qui peut être elle-même
détenue par d’autres sociétés écrans, ces biens et revenus sont alors
dissimulés à l’administration fiscale.
Montage 7 : société de gestion de droit à l’image
(dispositif rent a star system).

Certains artistes ou sportifs professionnels ont recours au « rent a star


company » pour optimiser leur fiscalité. Ce montage juridique bien connu
des systèmes anglo-saxons consiste, pour le sportif de haut niveau ou
l’artiste, à céder les droits d’exploitation de son image à une société
offshore dont il détient le contrôle. Dès lors, cette société reçoit les cachets
et les redevances d’exploitation qu’elle reverse ensuite sous forme de
salaire à son dirigeant-artiste. Beaucoup de clubs de football anglais ont eu
recours à ce montage juridique offshore, intercalant parfois une autre société
(le plus souvent le club de football en tant qu’employeur). Outre le fait
qu’un tel mécanisme peut être considéré comme étant à la source d’une
rémunération de services fictifs, l’administration fiscale française s’est
dotée d’un encadrement développé à l’article 155 A du CGI qui lui donne
autorité pour aborder les véritables prestations de service :
lorsque l’artiste ou le sportif contrôle directement la société ;
lorsqu’il n’est pas établi que la société exerce de manière prépondérante
une activité industrielle ou commerciale en dehors de l’exploitation du
droit à l’image ;
lorsque la société jouit d’un régime fiscal privilégié.
Une autre catégorie de montages juridiques très spécifiques existe et fait
appel à des entités hybrides autorisant une double déduction fiscale dite
« double dip » (voir le montage 8). Ces montages juridiques offshore se
jouent de l’interprétation quelque peu différente des régimes fiscaux des
sociétés par les États qui domicilient plusieurs sociétés appartenant à un
même groupe.

Montage 8 : montage hybride dit « double dip »

Dans le montage juridique ci-dessus, les sociétés A et B sont


domiciliées dans deux États différents. Cependant, la société A détient la
société B grâce à des participations et cette dernière dispose d’une filiale
domiciliée dans le même État. La société B emprunte de l’argent auprès
d’une banque mais la déduction des intérêts bancaires y afférents va varier
selon le territoire :
dans un premier temps, l’État B va considérer que la société B est
« opaque » (c’est-à-dire dotée d’une personnalité juridique et fiscale) et
lui permet de déduire les intérêts bancaires des résultats du groupe
qu’elle forme avec sa filiale ;
dans un second temps, l’État A, va, contrairement à l’État B, considérer
que la société B est transparente fiscalement (sans personnalité
juridique et fiscale), et accepter l’intégration de son résultat fiscal à
celui de la société A.
Par cette interprétation différenciée du régime fiscal de la société B,
celle-ci va être dotée d’un régime hybride permettant une double déduction
fiscale.
Au-delà des entités hybrides, il existe également une multitude
d’instruments hybrides qui aident les multinationales à faire d’importantes
économies. C’est le cas de deux sociétés domiciliées dans deux États
distincts : la première finance la seconde en entrant dans son capital. Pour
l’État de la première société, celle-ci dispose de titres de participation sous
forme d’actions, alors que pour l’État de la seconde, ceux-ci sont des titres
de dette sous forme d’obligation. Il faut ainsi comprendre qu’il y a deux
États et à la fois deux régimes juridiques différents. Le premier État va
considérer que la première société jouit d’un régime « mère-fille » dont les
dividendes reçus par la seconde sont exonérés d’impôt. La seconde va
considérer que ceux-ci sont en fait des charges d’intérêts qui permettent à la
seconde société de les déduire de son résultat fiscal. De ce produit hybride,
il ressort une double déduction fiscale.
Les compagnies américaines Google, Amazon, Facebook, McDonald,
ou encore Apple ont recours à deux mécanismes d’optimalisation fiscale.
Appelés le « sandwich néerlandais » et le « double irlandais », ceux-ci
consistent, par un jeu de holdings, à prendre en « sandwich » une société
néerlandaise entre deux sociétés irlandaises.
Montage de Google 1

Le cas le plus emblématique de ce montage juridique complexe est celui


de Google.
Avant toute chose, il faut garder en mémoire le fait que la société
américaine « Google Inc. » a initialement cédé ses droits de propriété
intellectuelle (brevet, marque, etc.), à une société hybride irlandaise
domiciliée aux Bermudes : Google Ireland Holding (régie par le droit des
sociétés irlandais sans y être résidente fiscalement). En contrepartie, cette
dernière lui concède une licence d’exploitation, pour laquelle Google Inc.
verse une redevance à Google Ireland Holding. Ce premier montage permet
de faire remonter des capitaux de la société américaine à la société holding
domiciliée aux Bermudes pour un prix de transfert négocié avec
l’administration fiscale américaine.
Détentrice des droits sur la marque, c’est par l’intermédiaire de cette
seconde société, Google Ireland Holding, que découle un ensemble de
concessions en cascades auprès des filiales européennes du groupe. Ainsi,
Google Ireland Holding concède une licence d’exploitation de la marque à
une filiale néerlandaise Google Netherlands BV, qui à son tour la sous-
concède à une société irlandaise, Google Ireland Ltd., qui fait de même
avec les différentes sociétés européennes du groupe.
L’intérêt d’un tel montage est de permettre à Google de faire remonter
les revenus engrangés par ses filiales européennes jusqu’à son holding
domicilié aux Bermudes qui est exonéré d’impôt sur les bénéfices. Pour ce
faire, Google considère que ses filiales européennes ne sont pas des
« établissements stables », et les rémunère au titre d’apporteurs d’affaires à
hauteur de 10 % des revenus qu’elles apportent. Selon la firme, une telle
décision est justifiée par le fait que les clients de la marque ne contractent
pas avec ses filiales européennes, mais directement avec sa société mère
irlandaise Google Ireland Ltd.
Ainsi, une fois remontés à la société Google Ireland Ltd., les bénéfices
de cette dernière sont rétribués sous forme de redevance (en application de
la licence d’exploitation de la marque) à la société Google Netherlands BV
qui, par suite, fait de même avec son holding Google Ireland Holding. Ces
bénéfices (de sources étrangères), une fois envoyés aux Bermudes, sont
exonérés d’impôt et ne sont pas transférés aux États-Unis, où ils seraient
imposés à 35 %. L’Irlande a un double intérêt pour un tel montage : d’une
part, cet État a le taux d’imposition sur les bénéfices le plus faible d’Europe
(12,5 %), d’autre part, le transfert de la redevance vers les Pays-Bas est
dépourvu de retenue à la source au nom de la directive « Intérêts et
redevances » sur les flux intra-communautaires. De même, l’intérêt des
Pays-Bas, souvent surnommés « État tunnel », s’explique par le fait qu’ils
ne pratiquent pas de retenue à la source sur les redevances qui entrent et qui
sortent de son territoire grâce à un important réseau de conventions
bilatérales. De ce mécanisme découle un effet dit « check the box », propre
aux multinationales américaines qui, lorsqu’elles se développent à
l’étranger, créent des sociétés offshore, dont l’intérêt est le contrôle de
filiales étrangères afin de faire remonter leurs bénéfices jusqu’au paradis
fiscal, lieu de domiciliation de la société mère. Les fonds sont dès lors
faiblement imposés tant qu’ils ne sont pas rapatriés aux États-Unis (voir
montage ci-dessus).
D’autres sociétés ont fait appel à des rescrits fiscaux, ou rulings,
pratique consistant à demander à l’administration fiscale une lettre de
confort négociée avec cette dernière afin d’anticiper le montant de l’impôt
exigé. Ainsi, nombre d’entreprises anticipent leurs prix de transfert
intragroupe et élaborent des montages juridiques complexes qu’elles font
approuver par les autorités fiscales concernées. D’importants États comme
le Luxembourg, les Pays-Bas ou l’Irlande sont adeptes de cette pratique, qui
n’est pas illégale. L’une des illustrations les plus connues est celle de la
société Starbucks.

Montage de Starbucks 2

Tout le fonctionnement du montage juridique élaboré par Starbucks


repose sur sa société dénommée Starbucks Manufacturings, domiciliée aux
Pays-Bas. Celle-ci a pour objet d’acheter les grains de café à une société
suisse, Starbucks Coffee Trading SARL, et vendre du café torréfié aux
points de vente du groupe situés en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.
En contrepartie, celle-ci reverse une redevance à une société de droit
britannique, dénommée ALKI, pour les droits afférents aux procédés de
fabrication des cafés torréfiés.
En 2008, les autorités néerlandaises ont accordé un rescrit fiscal à la
société Starbucks Manufacturings qui a été contesté par la Commission
européenne. Celle-ci avançait que la marge pratiquée par Starbucks Coffee
Trading SARL avait augmenté de manière injustifiée au fil des années afin
d’amoindrir le bénéfice imposable de la société néerlandaise au profit de la
société suisse quasi exonérée d’impôt. Elle notait aussi que, parallèlement,
la redevance payée à la société ALKI avait augmenté de manière
significative. Elle voit dès lors dans ce rescrit fiscal une aide d’État
déguisée, dont elle a demandé le recouvrement auprès de l’administration
fiscale néerlandaise (voir montage ci-dessus).
Dans un tout autre ordre d’idée, une affaire bien connue a été révélée en
2004 ; il s’agit du groupe américain Colgate-Palmolive lors de sa
restructuration interne sous forme de business restructuring. À l’origine, le
groupe implanté en France se composait d’usines qui achetaient leur
matière première auprès de fournisseurs, la transformaient et la distribuaient
avec un réseau de revendeurs.
Souhaitant réduire sa charge fiscale, le groupe a mis en œuvre un plan
dénommé « Optima », consistant à déplacer son siège social en Suisse afin
d’y loger sa marque et ses brevets. Ainsi, après restructuration, les
fournisseurs du groupe vendaient leur matière première directement à la
société mère domiciliée en Suisse, qui à son tour la revendait aux usines
françaises. Ce n’est qu’après transformation que ces dernières vendaient
leur production à la société mère qui avait la charge de la revendre aux
distributeurs et d’enregistrer les bénéfices imposés à faible taux en Suisse
(voir montage ci-dessous).
Montage de Colgate-Palmolive 3

6. Les prix de transfert. – Outre ces montages juridiques complexes,


l’une des principales techniques d’optimisation fiscale pratiquées par les
grands groupes internationaux est la manipulation des prix de transfert. Ces
prix sont pratiqués dans le cadre de ventes de marchandises ou de services
entre sociétés appartenant à un même groupe, mais implantées dans des
pays différents. Le flux financier intragroupe alimenté par ces ventes vise à
déplacer les capitaux d’un pays dont la fiscalité est jugée trop élevée à un
autre où elle est jugée plus avantageuse. Ce procédé permet la diminution
du bénéfice imposable d’un groupe international par la majoration ou la
minoration artificielle de ses charges ou de son chiffre d’affaires. Ainsi, lors
d’une vente, le prix peut être volontairement sous-évalué pour diminuer les
bénéfices de l’entreprise et baisser son imposition. L’un des cas connus est
celui des ventes de bananes de Jersey. Cette juridiction est l’un des plus
importants exportateurs au monde en la matière. Les bananes sont vendues
par une société domiciliée au Costa Rica à une société de Jersey, qui revend
celles-ci à une société française appartenant au même groupe, mais à un
prix beaucoup plus élevé. Cette opération induit une réduction de la base
imposable de la société française et une augmentation des bénéfices de la
société jersiaise dont les revenus de source extérieure sont exonérés
d’impôt. Il est à noter que, dans ce cas, les bananes ont été vendues en
France sans jamais avoir transité sur le territoire anglo-normand.
Pour conclure, il est à noter que l’optimisation fiscale pratiquée par les
multinationales se fonde sur cinq outils différents :
les régimes de type « mère-fille » : ayant pour objet d’exonérer les
dividendes versés par une société filiale à sa société mère domiciliée
dans un autre État ;
le financement par l’endettement : économies fiscales en réduisant le
résultat fiscal par des charges d’intérêts excessives ;
l’utilisation de produits hybrides : jouissant de qualifications juridiques
différentes d’un État à l’autre, à l’instar des prises de participation qui,
considérées comme des actions dans un pays, peuvent être des titres de
dettes sous forme d’obligation dans un autre ;
la création d’entités opaques : disposant d’un double régime et qui sont,
selon l’État, considérées comme transparentes ou opaques d’un point de
vue fiscal ;
les prix de transfert : prix appliqués intragroupes ; optimisation des
échanges transfrontaliers au sein des multinationales par le transfert de
dettes ou de revenus selon la fiscalité des États.
Les montages juridiques offshore sont nombreux et ont l’avantage, au-
delà du gain financier qu’ils offrent, d’assurer, selon leur niveau de
complexité, un certain anonymat sur l’origine des fonds et l’identité de leur
détenteur. De telles combinaisons n’ont de sens que tant que les États
entretiennent des régimes juridiques et fiscaux différents, afin que les
investisseurs puissent sélectionner les territoires qui leur offrent la meilleure
optimisation fiscale en fonction de leurs besoins.

IV. – Le treaty shopping


L’ensemble des États du monde signe et ratifie des traités internationaux
afin de prévenir tout risque de double imposition, de fraude et d’évasion
fiscale. Ces conventions ont pour intérêt de répartir l’impôt prélevé lors de
transactions transfrontalières (entre le pays à la source du revenu et celui de
son bénéficiaire). Elles visent également pour les États signataires à
favoriser leurs nationaux en leur accordant l’exclusivité de certains
dispositifs juridiques et fiscaux.
Face à cela, nombre d’investisseurs étrangers exclus de ces accords
pratiquent le treaty shopping, ou « chalandage de traités ». Ils analysent et
comparent les conventions fiscales entre États et choisissent celles qui leur
permettent d’en tirer le meilleur profit. Pour ce faire, ils orientent leurs flux
financiers internationaux vers les territoires qui leur semblent les plus
fiscalement intéressants. Certains y voient une utilisation abusive des
traités, d’autres une stratégie légitime des investisseurs pour optimiser leurs
profits en bénéficiant des meilleurs régimes fiscaux. Il n’en demeure pas
moins que le treaty shopping est rendu possible par des politiques parfois
contradictoires qui encouragent les investissements étrangers tout en traitant
différemment les investissements nationaux et extranationaux.
Cette pratique est l’apanage des multinationales dont les montages
juridiques offshore sont la conséquence. Elles maximisent ainsi leurs
bénéfices et réduisent leur charge fiscale par l’utilisation astucieuse des
traités internationaux. À l’instar des mécanismes précédemment évoqués,
c’est le cas par exemple d’une multinationale qui fait « remonter » une
redevance (pour une licence d’exploitation de brevets) d’une filiale
française vers une société mère domiciliée aux Bermudes. Faute d’accord
fiscal particulier en la matière entre ces deux États, la transaction financière
serait soumise à une retenue à la source de 33,33 %. Pour autant, afin de
contourner celle-ci, la multinationale fait le choix d’intercaler une société
néerlandaise entre ces deux sociétés. En effet, la redevance versée par la
société française sera doublement exonérée de retenue à la source, d’une
part au titre des flux intracommunautaires en application de la directive
« Intérêts et redevances » du 3 juin 2003, d’autre part grâce aux accords
internationaux signés entre les Pays-Bas et les Bermudes.

Montage treaty shopping

Le treaty shopping est essentiellement une pratique des groupes


transnationaux exercée dans trois hypothèses :
1. L’État A, dont l’investisseur possède la nationalité, ne dispose
d’aucun accord avec l’État B, pays d’accueil de l’investissement. Cet
État B a en revanche signé un accord avec un État C. Dans ce cas,
l’investisseur de l’État A va chercher à obtenir la nationalité de l’État
C pour pouvoir investir avantageusement dans l’État B.
2. L’État A, nationalité de l’investisseur, a signé un accord avec l’État
B, pays d’accueil de l’investissement, mais cet État B a également
signé un accord plus favorable avec un autre État C. Souhaitant
bénéficier de cet accord, comme dans la précédente hypothèse,
l’investisseur de l’État A va tenter d’obtenir la nationalité de l’État C
pour investir dans l’État B.
3. Contrairement aux deux autres hypothèses, c’est celle où
l’investisseur investit dans son propre État A. Apprenant cependant
qu’un accord international entre l’État A et l’État B favorise les
investissements en provenance de ce dernier, l’investisseur de l’État
A va tenter d’obtenir la nationalité de l’État B.
Quant à la méthode employée, elle change selon la nature de
l’investisseur. Ainsi, une personne physique fera l’acquisition d’une
seconde nationalité ou déplacera sa résidence. À l’inverse, une personne
morale utilisera une société « écran » sous forme de « coquille vide » dite
« mailbox company » :
soit en faisant de celle-ci une société dite « relais » (conduit company),
domiciliée dans un État disposant d’une convention fiscale
internationale avec l’État d’origine, pour y délocaliser les résultats vers
un État qui ne possède pas de convention ;
soit en faisant de celle-ci une société « tremplin » (stepping stone
devices), interposée également entre deux États, afin d’obtenir une
double déduction fiscale.
De tout cela, il ressort que, pour être efficace, un treaty shopping doit se
composer de trois éléments :
une réduction de l’impôt sur les sociétés dans l’État à l’origine du
revenu ;
un taux d’imposition faible ou nul dans le pays bénéficiaire du
paiement ;
un taux d’imposition faible ou nul sur les paiements à destination de
bénéficiaires de pays tiers (État « tunnel »).
De telles pratiques dommageables pour les États ne sont rendues
possibles que par le fait que ces derniers édictent souverainement leur
propre législation sans prendre en compte celle des autres. Le phénomène
des treaty shopping est assez ancien et les États sous le régime de la
common law ont été les premiers à prendre le phénomène au sérieux. Les
États-Unis, précurseurs en la matière, ont toujours veillé à ce que leurs
accords bilatéraux ne profitent qu’aux seuls ressortissants des pays
signataires. C’est ce qui explique qu’ils aient imposé à leurs partenaires, au
prix parfois de difficiles renégociations, des clauses « anti-abus » dont la
complexité s’explique par le nombre de critères tenant à la personnalité
juridique, à l’actionnariat majoritaire, à la domiciliation ou la résidence, à
l’effectivité des activités et leur nature (industrielle ou commerciale). Parmi
ceux-ci, il en ressort deux clauses importantes : la clause « limitation on
benefits clause », dite « LoB clause », qui prévoit des critères objectifs
(actionnariat, structure juridique, etc.), et la clause « principal purpose
test » qui prévoit des critères plus subjectifs, prenant en compte notamment
la finalité de la transaction.
Depuis, sous l’impulsion de l’OCDE, la quasi-totalité des États ont fait
le choix d’insérer dans leurs traités et de manière systématique des clauses
« anti-abus ». Celles-ci varient d’un État à l’autre, de même que leur
nombre et leur portée. Très diverses, elles peuvent être classées en quatre
groupes selon qu’elles visent le changement de résidence d’un contribuable,
le transfert offshore de revenus, l’érosion des bases taxables d’une
entreprise ou la modification de la nature d’un revenu. La plupart de ces
clauses sont de portée générale et prennent en compte le bénéficiaire
effectif. D’autres sont plus spécifiques car tournées vers un secteur
économique ou des techniques d’évasion fiscale particulières. C’est le cas
des clauses norvégiennes en matière d’exportation pétrolière, qui imposent
d’indexer le prix du baril de pétrole au prix en vigueur sur le marché
mondial.
Le treaty shopping est l’une des principales conséquences de la
mondialisation, et les montages juridiques offshore qui en résultent en sont
une illustration. Une telle pratique permet aux investisseurs étrangers de
faire leur marché et de choisir parmi les paradis fiscaux les traités qui leur
semblent les plus avantageux. Ils peuvent ainsi optimiser ou frauder pour
échapper à l’impôt d’État dont la fiscalité est jugée trop lourde. Face à de
tels enjeux et à la complexité des instruments juridiques imaginés par
certains territoires, un nombre important d’États et d’organisations
internationales ont conçu des dispositifs de lutte contre les paradis fiscaux.
CHAPITRE III

Les dispositifs de lutte

Le phénomène des paradis fiscaux, d’envergure internationale, tire sa


force de la diversité des statuts juridiques des territoires concernés, de leur
capacité à s’adapter aux évolutions législatives des États, ainsi que des
contraintes administratives et diplomatiques que ces derniers rencontrent
pour réagir. Face à cela, de nombreuses organisations internationales ont
conçu des dispositifs de lutte contre les juridictions non coopératives et les
pratiques fiscales dommageables. Parmi celles-ci, l’OCDE et ses standards
internationaux (§ I) ; ou, plus récemment, l’Union européenne et sa
directive ATAD (§ II). Cela étant, nombre d’États, à l’instar de la France
(§ III) et des États-Unis (§ IV), se sont également dotés d’outils de lutte
contre les paradis fiscaux.

I. – Les travaux de l’OCDE


L’Organisation de coopération et de développement économique
(OCDE) est l’une des principales organisations internationales en matière
de lutte contre les juridictions non coopératives. Créée en 1961 dans la
continuité de l’Organisation européenne de coopération économique
(OECE), elle a pour mission de promouvoir et d’améliorer les politiques
économiques et sociales dans le monde. C’est dans ce cadre précis qu’elle
travaille activement à mettre fin à la concurrence fiscale dommageable.
Bien que ne disposant pas de pouvoirs coercitifs, les instruments dont elle
s’est dotée relèvent du soft power et ont pour objet de permettre aux États
de formaliser et d’harmoniser leurs politiques. Néanmoins, depuis le
sommet du G20 de Londres en 2009, les compétences de l’OCDE et celles
du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements
(émanation de l’OCDE) ont été clarifiées. La première organisation est
chargée de la rédaction des normes quand la seconde l’est de leur contrôle
et du suivi de la bonne application des règles de transparence fiscale
internationale.

1. Le système des listes. – Les travaux de l’OCDE sur les paradis


fiscaux ont véritablement commencé en 1996 dans le cadre du Forum
mondial sur les pratiques fiscales dommageables. Ceux-ci ont abouti à la
publication d’un rapport en 1998 intitulé : « Concurrence fiscale
dommageable : un problème mondial », qui identifiait quarante-sept États à
régimes fiscaux préférentiels dommageables et trente-cinq juridictions non
coopératives.
En 2000, fort de ses critères d’identification et après avoir opéré
quelques modifications notables, l’OCDE a mis en place un système de
listes (blanche, grise et noire), d’abord provisoires et qui sont devenues
définitives le 31 juillet 2001. Y figurait tout État de la liste noire provisoire
qui n’avait pas, préalablement à la constitution de cette liste, pris
d’engagement public de promouvoir une politique visant à suivre un
calendrier de réformes avant le 31 décembre 2005. Ces juridictions devaient
également maintenir le statu quo et ne pouvaient renforcer ou modifier leur
régime fiscal. Avec le Forum mondial de la transparence et de l’échange
d’informations, elles devaient se montrer déterminées à accomplir des
progrès évalués annuellement. Dès la prise d’engagements, les juridictions
concernées quittaient pour une période d’un an la liste noire au profit de la
liste grise. Ce retrait était renouvelable jusqu’à ce qu’il soit constaté que le
plan de réformes progressif était appliqué. À l’inverse, son non-respect dans
les délais exigés pouvait conduire à une réinscription sur la liste noire.
Quant à la liste blanche, elle n’était accordée qu’aux juridictions ayant
signé au minimum douze conventions fiscales d’échange de
renseignements.
Ce n’est qu’à l’approche du sommet du G20 de Londres (2 avril 2009)
et de la publication officielle des trois listes que le nombre de signatures
d’accord d’échange de renseignements s’est accéléré. Il faut dire que les
membres avaient envisagé plusieurs mesures visant à contraindre les
juridictions non coopératives à lever le secret bancaire. Parmi celles-ci :
l’augmentation des obligations de déclaration de la part des institutions
financières et des contribuables concernant les transactions en lien avec
les juridictions non coopératives ;
l’instauration d’une retenue à la source pour les versements à
destination de juridictions non coopératives ;
l’acceptation de réviser les accords passés avec des juridictions non
coopératives qui ne respectent pas les standards de l’OCDE en matière
de transparence ;
l’exclusion des territoires non coopératifs des politiques menées par les
institutions internationales et les banques de développement régional ;
l’accroissement des exigences de transparence et d’échange
d’informations dans les programmes d’aides bilatéraux.
Le système des listes s’est révélé inefficace tout en ayant eu le mérite
d’améliorer la politique d’évaluation des juridictions non coopératives et la
coopération fiscale entre les États. Il fut très vite limité à plus d’un titre.
Tout d’abord parce qu’il permettait aux juridictions non coopératives de
signer entre elles des conventions d’échange de renseignements. En outre,
bien que paraphés formellement, certains accords n’étaient pas appliqués
pour des motifs divers. Plusieurs juridictions disposaient de régimes trop
protecteurs les rendant incapables d’obtenir certaines informations, d’autres
ne souhaitaient pas coopérer en l’absence d’intérêt fiscal national ou
d’accord sur un level playing field (l’existence de règles du jeu équitables).
Dans tous les cas, le contrôle de l’application des conventions se révélait
impossible. L’échec du système de listes a encouragé l’OCDE à renforcer le
système d’évaluation par les pairs, contrôle qu’elle avait déjà envisagé lors
du forum sur les pratiques fiscales dommageables en 1998.

2. L’examen par les pairs. – Le Forum mondial sur la transparence et


l’échange de renseignements à des fins fiscales (dont l’objet est la
surveillance approfondie de la bonne mise en œuvre des standards de
l’OCDE) s’est réuni à Mexico les 1er et 2 septembre 2009. Cent vingt-deux
juridictions y étaient représentées. Les États membres ont décidé de réviser
les méthodes d’évaluation en mettant sur un même pied d’égalité toutes les
juridictions et en privilégiant le contrôle par les pairs plutôt que le système
de listes. Un véritable processus d’évaluation était alors établi pour assister
les États dans leur travail de transparence et de mise en œuvre des accords
d’échange de renseignements. L’intérêt étant d’intensifier le dialogue entre
les États et de mettre fin aux distorsions fiscales liées aux différences de
législation. Les États s’évaluent entre eux, d’où l’idée d’« examen par les
pairs ».
Cette méthode d’évaluation se fait dans différents domaines (économie,
agriculture, éducation, santé, etc.) et notamment en matière de coopération
fiscale internationale. Elle repose sur la confiance mutuelle et légitime des
États entre eux et a pour objectif de les aider à se conformer aux critères de
l’OCDE. Cet instrument est particulièrement souple, car il ne s’agit pas
d’un audit ou d’un jugement mais d’un dialogue entre parties. Cette
évaluation fait appel aux experts de l’OCDE qui rendent un rapport et font
état du suivi des recommandations transmises à l’État évalué.
L’évaluation ne fait pas intervenir tous les pays, mais quelques-uns, et
par roulement. Les évaluateurs sont choisis parmi les fonctionnaires qui
composent le comité, le groupe de travail et l’instance qui dirige. Tous sont
rattachés à un pays qu’ils représentent. Leur rôle est de diriger l’enquête,
d’étudier les documents et de participer aux entretiens et aux débats.
L’examen par les pairs ne fait pas l’objet d’une procédure type. Certains
principes existent, mais les méthodes de mesure peuvent légèrement
changer. Il est surtout pris en compte l’ensemble des normes d’un État et
des standards exigés au regard des objectifs conventionnels demandés.
Toutes ces exigences sont définies chaque année par le Conseil, organe
exécutif de l’OCDE. C’est à lui qu’il revient de commander une évaluation
à sa demande ou à la demande d’un État qui peut ne pas être membre de
l’OCDE. Ce cas de figure arrive parfois quand un candidat souhaite
préparer son adhésion. La forme la plus importante reste l’évaluation des
performances d’un pays dans l’application de recommandations ou de
règles directrices. Toutes reposent sur le principe de « pression des pairs »,
qui fait intervenir différents éléments contraignant l’État, directement ou
indirectement, à se réformer. Parmi ceux-ci, il peut être distingué les
recommandations des autres États, les dialogues entre États, mais aussi
l’élaboration par l’organisation de tableaux comparatifs avec classement.
Tous ces dispositifs visent à produire des effets dans l’opinion publique.
L’organisation ne cherche pas à contraindre les États, mais à les persuader
de faire évoluer leur législation conformément aux standards de l’OCDE
qu’ils ont conventionnellement acceptés. À cette fin, elle utilise la
technique de l’évaluation quantitative et réalise un classement des États ou
de l’« opprobre » en désignant par publication les États qui ne se
conforment pas aux exigences internationales.
Sa principale réussite tient au dialogue qu’elle crée entre États. Les
conventions d’échange de renseignements fiscaux en ressortent renforcées
et la coopération entre États, encouragée. L’adhésion par les États à
des valeurs qu’ils partagent induit la réussite d’une telle évaluation. Bien
évidemment, une confiance mutuelle doit prévaloir entre eux. Tous sont
tenus d’accepter de coopérer et de mettre les ressources nécessaires à la
disposition des évaluateurs. Le rapport final, pour qu’il ne soit pas contesté,
est approuvé par l’État. Ainsi, la crédibilité de l’organisation et son
indépendance à l’égard des États renforcent ce processus. Le Forum
mondial sur la transparence fiscale inspecte plus d’une cinquantaine d’États
afin de leur attribuer individuellement une note et un classement.
L’évaluation comprend deux phases : l’une sur pièces consistant à étudier le
cadre légal et réglementaire en matière d’échange de renseignements (phase
1), et l’autre, sur place, visant à apprécier la mise en pratique des standards
de l’OCDE (phase 2). Les rapports qui en ressortent témoignent de
l’intention des juridictions de coopérer en matière de transparence.

3. Le modèle de convention OCDE. – En 2002, le Forum mondial a


profité de l’obligation de signer douze conventions d’échange de
renseignements pour mettre à disposition des États un modèle de
convention OCDE (le modèle de 1988 élaboré conjointement par l’OCDE
et le Conseil de l’Europe et amendé plusieurs fois). Doté de clauses
« types » régulièrement mises à jour, cet instrument reconnu de tous
présente l’avantage de faciliter la coopération internationale, de garantir
l’assistance administrative et judiciaire, de limiter les restrictions à
l’échange d’informations (secret bancaire ou intérêt fiscal national) et
d’assurer le respect des droits des contribuables, ainsi que la confidentialité
des informations échangées. Ce modèle est devenu indispensable dans un
contexte où l’évasion fiscale tire avantage de l’absence de convention
d’échange de renseignements. Norme de référence sur le plan international
sans être pour autant un instrument de droit impératif, présenté sous forme
bilatérale ou multilatérale, il permet aux États qui le souhaitent de garantir
leurs échanges de renseignements en matière fiscale.
Parmi les nombreuses clauses du modèle de convention OCDE figure
l’article 26. Cette stipulation définit précisément les modalités d’échange de
renseignements entre les États contractants. Elle les régit pour permettre le
recouvrement de l’impôt, mais en aucune manière n’impose à l’État de
prendre des mesures qui iraient au-delà de sa propre législation ou de celle
de l’État demandeur. Pourtant, cette disposition relative à l’assistance
administrative n’autorise pas l’État sollicité à refuser d’échanger une
information aux motifs que celle-ci serait détenue par un organisme
bancaire, financier ou administratif qui ne présenterait aucun intérêt pour
l’État demandeur. L’article 26 met en place une obligation d’échange de
renseignements pertinents pour la bonne application de la convention et
pour l’application des législations fiscales nationales. Pour ce faire, l’État
demandeur doit démontrer que l’information qu’il requiert revêt un
caractère pertinent et qu’il a utilisé, préalablement à sa demande, tous les
moyens nationaux dont il dispose pour l’obtenir. L’État sollicité a le devoir
de répondre, même s’il dispose dans son arsenal juridique d’une définition
limitative de la fraude. Paradoxalement, cette disposition n’empêche pas le
secret bancaire de perdurer dans de nombreuses juridictions signataires de
conventions d’échange de renseignements fiscaux.

4. L’échange automatique d’informations. – En 2013, sous


l’impulsion du G20, l’OCDE a présenté un modèle d’échange automatique
d’informations fiscales (automatic exchange of information). Adopté par
plus d’une centaine de juridictions, ce nouvel instrument est en passe de
devenir la norme en lieu et place de l’échange d’informations à la demande
(tax information exchange agreements). Cette dernière a été très décriée
pour ses délais et pour sa mise en œuvre difficile, notamment en raison des
renseignements précis et circonstanciés qu’elle impose (identité de
l’individu, numéro de compte bancaire, etc.). Avec l’échange automatique,
ce ne sont plus exclusivement les personnes physiques qui sont visées,
comme c’était le cas auparavant, mais également les personnes morales et
certains trusts. L’État à la source du revenu (dividendes, intérêts, etc.) doit
communiquer annuellement à l’État de résidence du contribuable et
conformément aux standards OCDE (Common Reporting Standard CRS)
les informations qu’il détient sur ces revenus.
Néanmoins, l’échange automatique d’informations engendre de
nombreuses difficultés ; c’est ce qui explique sa tardive entrée en vigueur.
Contraintes de réviser leurs législations pour se conformer à ces nouveaux
standards, toutes les juridictions signataires s’étaient engagées à le mettre
en application au plus tard en 2018. Appliquée sous forme bilatérale ou
multilatérale, de nombreux États ont préféré signer la convention
multilatérale OCDE d’échange de renseignements de 2013. Un tel accord
ne contraint cependant pas les juridictions à prendre l’engagement de mettre
en œuvre l’échange automatique d’informations avec toutes les juridictions
signataires. Au sein même de l’accord multilatéral, le choix du signataire
avec lequel appliquer l’accord relève de chaque juridiction. Il faut ainsi
comprendre qu’au-delà de cette convention unique l’échange automatique
nécessite la prise d’accords bilatéraux entre chaque partie signataire.

5. Les mesures de lutte contre les BEPS. – Les travaux de l’OCDE ne


se limitent pas à l’échange d’informations entre juridictions. Ils tendent
également à prévenir l’optimisation fiscale agressive des multinationales
qui profitent de l’absence d’harmonisation fiscale internationale pour
transférer leurs bénéfices dans des États à faible fiscalité. Devant cette
situation, le G20 réuni au sommet de Los Cabos en 2012 a demandé à
l’OCDE de prévoir des dispositifs de lutte contre l’érosion de la base
d’imposition des États et le transfert des bénéfices dit « BEPS » (base
erosion and profit shifting). C’est ce que fit l’organisation en publiant, dès
2013, une série de quinze rapports qui aboutirent dès 2015 à la mise en
place du projet « BEPS », regroupant quinze actions à disposition des États
et garantissant l’imposition des bénéfices des multinationales dans le pays
de l’activité économique réelle.
Fondé sur un ensemble complet de mesures approuvées par les pays
membres du G20 et de l’OCDE, le projet d’action BEPS vise à assurer la
convergence des législations nationales et la transparence fiscale
internationale. À cet effet, il remet à niveau les standards fiscaux
internationaux non remaniés depuis près d’un siècle et dote les États
d’outils leur permettant de lutter efficacement contre les pratiques d’évasion
fiscale en matière d’imposition des entreprises. Bien qu’ayant une valeur
non impérative, plus d’une centaine d’États se sont engagés à appliquer ces
nouveaux standards afin d’assurer une réponse coordonnée à l’échelle
mondiale.
En élaborant le plan d’action BEPS, l’OCDE a tenté de couvrir un large
spectre, apportant une réponse adéquate face au défi de l’érosion de la base
d’imposition des États et le transfert de bénéfices. Le projet est bâti autour
de trois volets dont le premier concerne le chalandage de traité, les
dispositifs hybrides, les régimes préférentiels dommageables ainsi que la
déduction des intérêts et des frais financiers. Le second vise les conditions
de territorialité, la notion d’établissement stable et le régime des sociétés
étrangères contrôlées, notamment dans le cadre de l’économie numérique.
Pour finir, le dernier s’attache à revoir les exigences relatives au prix de
transfert. Le projet BEPS se décline sous la forme de quinze actions dont
quatre (les actions 5, 6, 13 et 14) sont considérées comme des standards
a minima dont la mise en œuvre est obligatoire pour toutes les juridictions
participantes :
action 1 : relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique ;
action 2 : neutraliser les effets des dispositifs hybrides ;
action 3 : concevoir des règles efficaces concernant les sociétés
étrangères contrôlées ;
action 4 : limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les
déductions d’intérêts et autres frais financiers ;
action 5 : lutter efficacement contre les pratiques fiscales
dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ;
action 6 : empêcher l’octroi des avantages des conventions fiscales
lorsqu’il est inapproprié d’accorder ces avantages ;
action 7 : empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut
d’établissement stable ;
actions 8-10 : aligner les prix de transfert calculés sur la création de
valeurs ;
action 11 : mesurer et suivre les données relatives au BEPS ;
action 12 : règle de communication obligatoire d’information ;
action 13 : documentation des prix de transfert et déclaration pays par
pays ;
action 14 : accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des
différends ;
action 15 : élaboration d’un instrument multilatéral pour modifier les
conventions fiscales bilatérales.
En l’absence d’éléments concrets, le projet BEPS vise à mesurer et à
analyser les données économiques actuelles afin d’évaluer l’ampleur du
phénomène (action 11). Il renforce les règles des prix de transfert et propose
une nouvelle approche spécifique pour les actifs incorporels difficiles à
évaluer (droit de propriété intellectuelle ; actions 8-10). Il contraint les
multinationales à des obligations de déclaration pays par pays sur leurs
activités et leurs politiques de prix de transfert (action 13).
De plus, il renforce et clarifie les dispositifs composant les conventions
fiscales internationales. Tout d’abord, par la limitation de la pratique du
chalandage de traités, en s’assurant que les avantages retirés d’une
convention sont conformes à son esprit (action 6). Ensuite, en redéfinissant
la notion d’établissement stable afin qu’un usage artificiel ne puisse être
opéré (action 7). Et pour finir, en garantissant un règlement efficace et
rapide des différends grâce à la mise en œuvre de procédures amiables ou
arbitrales par les États (action 14).
Le projet BEPS vise également à assurer une concurrence fiscale loyale
et à limiter les disparités de législations nationales. Dans ce but, il
encourage les États à éliminer leurs régimes fiscaux préférentiels
dommageables (action 5), et à supprimer les dispositifs hybrides qui
permettent à certaines catégories de contribuables de prétendre à plusieurs
déductions fiscales au titre d’une même dépense (action 2). De même, il
instaure de nouvelles règles en ce qui concerne les sociétés étrangères
contrôlées (action 3), et la déductibilité des intérêts ou de certains frais par
les multinationales (action 4). Tout cela en prenant notamment en compte
les nouveaux défis fiscaux imposés par l’économie du numérique (action 1).
L’application de ces nouveaux standards internationaux n’est pas
évidente, mais entre déjà dans le cadre de l’examen par les pairs. Certaines
de ces actions ont pu être introduites directement dans la législation des
États alors que d’autres nécessitent la révision des accords fiscaux
bilatéraux en cours. Parmi celles-ci, à noter les actions relatives à la
suppression des dispositifs hybrides (action 2), à la pratique du chalandage
de traité (action 6), à la redéfinition de la notion d’établissement stable
(action 7) et celle qui est relative aux mécanismes de règlement des
différends (action 14). À cet effet, l’action 15 prévoyait l’adoption d’une
convention multilatérale inédite permettant aux pays intéressés de modifier
de manière synchronisée et sans renégociation le réseau des trois mille
conventions fiscales bilatérales en application. Pour ce faire, un groupe ad
hoc a été constitué afin d’élaborer un instrument multilatéral qui a été
adopté par l’OCDE, et signé le 7 juin 2017 par soixante-huit États.
Bien que toutes les actions proposées dans le cadre du projet BEPS
n’aient pas été adoptées par l’ensemble des juridictions du monde, il est
indéniable qu’un bouleversement des règles de la fiscalité internationale est
en cours. D’autres organisations internationales ont choisi de s’attaquer aux
effets de la concurrence fiscale dommageable. C’est le cas notamment de
l’Union européenne, dont les outils développés renforcent les travaux de
l’OCDE.

II. – Les outils développés par l’Union européenne


Au sein de l’Union européenne, la politique fiscale est en partie
réservée aux États membres, ce qui explique les difficultés rencontrées par
les instances européennes dans l’élaboration d’outils de lutte contre les
pratiques fiscales dommageables. Les traités fondateurs (TFUE et TUE) ne
prévoyant pas l’harmonisation de la fiscalité directe, une telle mesure
requiert l’unanimité des pays membres, ce qui se révèle très complexe en
pratique en raison des divergences politiques. Néanmoins, face à la
concurrence fiscale de certains États ainsi qu’aux travaux de l’OCDE,
l’Union européenne a contribué à l’évolution de la fiscalité, tant au travers
de la jurisprudence de la CJUE que par le développement d’instruments
appropriés. L’Union européenne s’est ainsi montrée active : pour contrôler
l’imposition des revenus de l’épargne, pour harmoniser la fiscalité à
l’échelon européen et pour appliquer certains standards internationaux en
matière de BEPS.

1. L’imposition des revenus de l’épargne. – Les différences de


régimes entre États membres permettaient à certains contribuables
d’échapper à l’imposition des revenus de l’épargne. Face à ce constat, le
Conseil de l’Union européenne a adopté le 3 juin 2003 une directive
2003/48/CE dite « Épargne » entrée en vigueur le 1er juillet 2005 et visant à
soumettre les revenus de l’épargne réalisés dans un État membre à
l’imposition de l’État de résidence du contribuable. Un tel dispositif était
conditionné à la prise de mesures équivalentes sous forme de traité avec la
Suisse et les micro-États européens (Monaco, le Liechtenstein, Andorre,
Saint-Marin), de même qu’avec l’ensemble des territoires rattachés ou
associés aux États membres (Jersey, Guernesey, l’île de Man, les îles
Vierges britanniques, Montserrat, les îles Caïmans, Anguilla, Aruba et les
Antilles néerlandaises). Limitée aux revenus sous forme de paiement
d’intérêts, la directive requérait des administrations des États concernés un
échange automatique d’informations. Réticents à lever le secret bancaire,
les territoires soumis à des mesures équivalentes, et ceux qui sont soumis à
une période transitoire (jusqu’au 1er janvier 2017), l’Autriche, la Belgique et
le Luxembourg, ont fait le choix de ne pas se soumettre à l’échange
automatique d’informations en contrepartie d’une retenue à la source
reversée à l’État de résidence du bénéficiaire.
Très vite, il est apparu que cette directive présentait de nombreuses
lacunes qui n’empêchaient pas son contournement par le paiement
d’intérêts en dehors de l’Union (par le biais de trusts, de fondations, etc.).
Sous la pression de la France et de l’Allemagne, le Conseil a modifié et
adopté le 24 mars 2014 la directive (UE) 2014/48 transposée en droit
interne au plus tard le 1er janvier 2016. Complétant et modifiant la directive
« Épargne », ce nouvel instrument vise à élargir le dispositif existant aux
contrats d’assurance-vie et à l’ensemble des revenus de l’épargne (fonds
d’investissement, fonds de pension, dividendes, etc.).

2. L’échange automatique d’informations. – Le régime instauré par la


directive « Épargne » 2003/48/CE a été précurseur en matière d’échange
automatique d’informations entre administrations fiscales. Limité aux
revenus de l’épargne sous forme d’intérêts, ce dispositif sera renforcé et
amélioré avec la directive (UE) 2011/16 dite « DAC » sur la coopération
administrative en matière fiscale. Cette dernière prévoyait l’introduction de
contrôles simultanés, l’échange de bonnes pratiques et d’expériences entre
administrations fiscales, ainsi que l’échange automatique d’informations
pour cinq catégories de revenus (revenus professionnels, produits
d’assurance-vie non prévus par la directive épargne, jetons de présence,
pensions et revenus de biens immobiliers).
Par courrier du 9 avril 2013, cinq ministres de l’Économie (France,
Allemagne, Espagne, Royaume-Uni et Italie) ont demandé au commissaire
européen chargé de la fiscalité, M. Šemeta, une révision des normes de
l’Union en matière d’échange de renseignements. Une telle demande était
fondée à la fois sur le constat que les produits de l’épargne et les
comportements des investisseurs avaient évolué, et sur l’application par les
États membres des accords FATCA et des nouveaux standards OCDE.
Celle-ci sera suivie le 22 mai 2013 d’une demande par le Conseil européen
d’extension de l’échange automatique d’informations à l’ensemble de
l’Union européenne.
À cet effet, le Conseil a décidé l’adoption d’une nouvelle directive (UE)
2014/48 dite « Épargne 2 » du 24 mars 2014 modifiant la directive
« Épargne » 2003/48/CE. Il a également souhaité une révision complète du
mécanisme d’assistance mutuelle en matière fiscale. Ce qui a conduit à
l’entrée en vigueur de la directive (UE) 2014/107 dite « DAC 2 » amendant
la directive (UE) 2011/16 afin de se conformer aux standards OCDE
d’échange automatique d’informations fondés sur une « Norme commune
de déclaration » (en matière de collecte et de transmission des données),
tout en élargissant le dispositif aux dividendes, aux plus-values, aux soldes
des comptes et aux autres revenus financiers.
Au travers de ces réformes, l’intérêt du Conseil était de doter les États
membres d’une base juridique appropriée au niveau de l’Union pour mettre
en œuvre la nouvelle norme mondiale en matière d’échange automatique
d’informations. Cette seconde directive a le mérite de corriger les doublons
nés de l’application par les États membres des nouvelles normes OCDE
d’échange de renseignements. Elle fait primer ses instruments sur les
standards internationaux, impose l’échange automatique de renseignements
et contraint les établissements payeurs d’intérêts à identifier les
bénéficiaires réels des paiements. Il s’est très vite avéré que deux
instruments juridiques distincts coexistaient, ce qui faisait courir le risque
d’une absence de lisibilité et de clarté pour les institutions financières, ce
qui a alors conduit la Commission à abroger la directive « Épargne »
2003/48/CE en adoptant la directive (UE) 2015/2060 du 10 novembre 2015.
Afin d’améliorer la transparence fiscale entre États membres, la
Commission a élargi le dispositif d’échange automatique d’informations
aux rescrits fiscaux (tax rulings) et aux arrangements préalables en matière
de prix de transfert dits « advance pricing agreement » (APA). Cette
réforme a donné lieu à l’adoption, le 8 décembre 2015, d’une directive (UE)
2015/2376 dite « DAC 3 » qui modifie la directive (UE) 2011/16 en matière
de coopération administrative dans le domaine fiscal. Les rescrits et les
APA sont des décisions anticipées de l’administration fiscale qui, à la
demande des entreprises, leur permettent de connaître à l’avance le calcul
de leur imposition sur une période donnée. Nombre d’États ont recours à
ces dispositifs qui ne sont pas illégaux, sauf quand ils accordent un
avantage fiscal à une société donnée au détriment de ses concurrents. Dans
ce dernier cas, la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne y
voient une aide d’État déguisée pouvant causer une concurrence fiscale
dommageable.
Une telle réforme est née du constat selon lequel les États membres
échangeaient peu d’informations sur leurs décisions fiscales, mais aussi et
surtout parce que cette faculté et le contenu des échanges relevaient de leur
seul pouvoir discrétionnaire. Il en ressortait que certains États membres ne
pouvaient connaître les décisions prises par d’autres États, ni leurs
répercussions sur leurs propres recettes fiscales. De cette absence de
transparence, les multinationales pouvaient dès lors naturellement réduire
leurs charges fiscales en transférant leurs bénéfices dans les États membres
de l’Union dont la fiscalité est plus favorable.
Pour ce faire, la définition du concept du « rescrit fiscal » introduite
dans la directive (UE) 2015/2376 est large afin d’englober un nombre
important de décisions. Cette directive applicable depuis le 1er janvier 2017
impose aux autorités fiscales nationales de communiquer tous les trois mois
à l’ensemble des États membres les décisions anticipées à caractère
transfrontalier qu’elles ont prises en matière fiscale, ainsi que l’ensemble de
leurs accords préalables sur des prix de transfert. Cette obligation de
communication est rétroactive sur cinq années à compter de l’entrée en
vigueur de la directive. Elle concerne toutes les décisions accordées à
compter du 1er janvier 2012. Les décisions rendues avant cette date et qui
ont toujours cours ne sont pas soumises à une obligation d’échange de
renseignements.
Dans la continuité des travaux BEPS de l’OCDE, l’Union européenne a
adopté la directive (UE) 2016/881 du Conseil du 25 mai 2016 dite « DAC
4 » qui modifie la directive (UE) 2011/16 et impose aux multinationales de
remplir une déclaration pays par pays, plus connue sous l’expression
anglaise « country by country reporting » (CBCR). Cette déclaration, qui
vise à prévenir les abus en matière de prix de transfert, comprend de
nombreuses informations sur le groupe, la nature de l’activité, le montant de
l’impôt sur les bénéfices, le chiffre d’affaires, le nombre d’employés, les
entités constitutives de ce groupe, etc. Par suite, l’administration fiscale de
l’État qui en est destinataire a l’obligation de transmettre sous forme
d’échange automatique les informations qu’elle détient à l’ensemble des
administrations fiscales des États membres qui hébergent des entités
résidentes à des fins fiscales ou imposées au titre de leurs activités. Cette
communication doit intervenir à l’issue du dernier jour de l’exercice fiscal
du groupe.

3. Les dispositifs issus de la directive ATAD. Bien au-delà de


l’échange automatique d’informations, les travaux de l’OCDE ont
également encouragé l’Union européenne à adopter un certain nombre de
mesures pour lutter contre l’évasion fiscale internationale. C’est ce qu’elle
fit avec l’adoption le 12 juillet 2016 par le Conseil de la directive (UE)
2016/1164 dite « ATAD » (Anti Tax Avoidance directive). Cette directive
devait être transposée en droit interne dans l’ensemble des États membres
avant le 1er janvier 2019. Fortement inspirée du plan d’action BEPS et du
projet de directive ACCIS, la directive ATAD est constituée autour de cinq
mesures anti-évasions.
La première d’entre elles est la limitation de la déduction des intérêts.
Recommandée par le rapport sur l’action 4 du BEPS, elle a pour objet de
décourager les entreprises de réduire leur base d’imposition en augmentant
leurs charges par le paiement d’intérêts excessifs. Un tel dispositif vise à
mettre fin aux montages juridiques astucieux de certaines entreprises qui, de
façon artificielle, produisent de l’endettement pour réduire leurs impôts.
Dans cet esprit, la directive prévoit de limiter la déduction des intérêts (les
surcoûts d’emprunt) à hauteur de 30 % de l’EBITDA ajusté (earning before
interest, taxes, depreciation and amortization) et 3 millions d’euros pour les
multinationales qui font le choix de prendre en considération l’endettement
global du groupe au niveau mondial.
La seconde est l’imposition à la sortie, communément appelée « exit
tax », dont l’intérêt est de prévenir tout transfert d’actifs, de résidence ou
d’activité vers un autre État aux fins d’évitement de l’impôt. En effet,
nombre de sociétés transfèrent leurs droits de propriété intellectuelle et
leurs brevets dans des pays à faible fiscalité en prévision des bénéfices
qu’ils produiront. Pour y faire obstacle, l’Union européenne prévoit que les
États membres puissent appliquer une taxe de sortie sur les actifs transférés
hors de leur territoire. Calculée sur la valeur de marché des actifs
concernés, cette taxe pourra être échelonnée sur cinq ans dans le cadre de
transferts entre États membres.
La troisième mesure est quant à elle une clause anti-abus générale
(General Anti-Abuse Rule, ou GAAR). Recommandé par le rapport sur
l’action 6 du plan d’action BEPS, ce nouveau dispositif autorise les
autorités fiscales des États membres à refuser le bénéfice de montages
juridiques dont la finalité va à l’encontre de celle du droit fiscal applicable.
Agissant en tant que filet de sécurité contre des montages fiscaux non
authentiques, cette nouvelle clause permet d’agir dans des cas précis où
aucun autre dispositif anti-abus n’existe. Grâce à elle, les États peuvent
ainsi taxer les entreprises concernées en fonction de la réalité économique
de leurs activités.
La quatrième mesure est née du constat que nombre de groupes
transféraient leurs bénéfices à l’étranger afin de minorer leurs charges
fiscales. C’est ce qui a conduit la Commission à introduire dans la directive
ATAD un dispositif visant à prévenir tout transfert abusif de bénéfices entre
une société mère et une société filiale domiciliée dans des États à fiscalité
faible ou nulle. Pour remplir cet objectif, la directive oblige les États
membres à imposer les sociétés étrangères contrôlées (SEC) qui bénéficient
d’un taux d’imposition effectif sur les bénéfices inférieur à 50 % de celui de
l’État de domiciliation de leur société mère. Dans pareilles circonstances, la
directive accorde aux États le choix d’imposer soit les revenus passifs de
ces sociétés (revenus d’actifs financiers, revenus de propriété
industrielle, etc.), soit leurs revenus en provenance de montages non
authentiques (c’est-à-dire de montages juridiques dont la finalité n’est pas
économique mais essentiellement fiscale).
La dernière mesure vise à neutraliser les dispositifs hybrides. Ces
montages juridiques complexes permettent aux sociétés de tirer profit de
l’interaction des systèmes juridiques des États, et notamment de
l’interprétation différente qu’ils peuvent avoir de certains instruments
(instruments hybrides) ou entités (entités hybrides). Ce qui laisse
l’opportunité d’une double non-imposition par déduction ou exonération
fiscale. En conséquence, le dispositif anti-hybride prévoit qu’en cas de
double déduction, seul l’État à la source du revenu est en droit de
l’accorder. De la même manière, si le dispositif entraîne une déduction sans
prise en compte du revenu correspondant dans l’autre État, l’État membre
du contribuable doit refuser la déduction. Afin d’être en accord avec
l’action 2 du projet BEPS de l’OCDE, la directive (UE) 2017/952 dite
« ATAD 2 » du 29 mai 2017 a élargi à ceux des pays tiers ce dispositif qui
ne s’appliquait précédemment qu’aux systèmes fiscaux des États membres.
Par cette directive, le Conseil de l’Union met fin aux déséquilibres nés des
dispositifs hybrides avec des États non membres et n’entrant pas dans le
champ de la directive « ATAD ».

4. La liste noire européenne des paradis fiscaux. Dans la continuité


des travaux de l’OCDE, l’Union européenne s’est également dotée d’une
liste noire des juridictions non coopératives. Élaboré uniquement à partir de
pays non membres, le processus d’établissement de cette liste a été
approuvé par le Conseil des affaires économiques et financières de l’Union
européenne (ECOFIN) le 25 mai 2016. Le 14 septembre 2016, s’est
ensuivie la présentation par la Commission européenne aux experts des
États membres réunis dans le cadre d’un groupe dénommé « Code de
conduite (fiscalité des entreprises) » d’une évaluation préalable menée sur
213 juridictions à partir de 1 600 indicateurs. Par suite, le 8 novembre 2016,
le Conseil a retenu trois des quatre critères suggérés par la Commission
européenne, écartant celui du taux d’imposition, censé identifier les
juridictions appliquant sur les sociétés un taux d’imposition quasi nul, voire
nul. Ont alors été retenues comme critères, d’une part, la « transparence
fiscale », respectant les normes OCDE relatives à l’échange automatique
d’informations et, d’autre part, l’« équité fiscale », en ne permettant pas la
création de structures offshore qui ne reflètent pas une activité économique
réelle ; enfin, la « mise en œuvre des mesures anti-BEPS » (base erosion
and profit shifting).
Contrairement à celle de l’OCDE, cette liste européenne a le mérite de
ne pas être établie uniquement à partir du critère de la transparence. Elle
présente cependant l’inconvénient d’être fondée sur le principe du « name
and shame » et de ne pas proposer d’emblée de sanction dont le champ
restera à définir. Dès sa publication le 5 décembre 2017, la liste qui
présentait 17 juridictions s’est réduite le 15 mai 2018 à 7 États après
réactualisation (Samoa américaine, Guam, Namibie, Palaos, Samoa, Trinité-
et-Tobago, les îles Vierges américaines).

5. Projet de directive « ACCIS ». – La Commission européenne a


proposé le 16 mars 2011, à l’issue de dix années de travaux, un projet de
directive relative à une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les
sociétés (ACCIS). Ce projet ne prévoit aucunement une harmonisation des
taux d’imposition, qui relèvent de la compétence des États, mais la
définition d’une base imposable commune pour l’impôt sur les sociétés en
fonction de critères objectifs (chiffre d’affaires, masse salariale, valeur du
capital, etc.). Les entreprises peuvent ainsi calculer leur imposition en
fonction de règles uniques et non selon des règles nationales différentes. De
la même façon, elles peuvent compenser les pertes qu’elles accusent dans
un État membre par les bénéfices qu’elles obtiennent dans un autre.
Présentée initialement comme un outil de simplification de la fiscalité des
entreprises confrontées à 28 régimes d’imposition différents, l’ACCIS a
rapidement été un instrument de lutte contre l’évasion fiscale internationale.
En harmonisant l’assiette de l’impôt sur les sociétés, l’Union européenne
vise à lutter contre la concurrence fiscale dommageable. Les premières
négociations sur l’établissement d’une assiette commune n’ont pas connu
de point d’achoppement, ce qui ne fut pas le cas du mécanisme à retenir
pour la consolidation du bénéfice imposable.
Alors qu’il était au point mort depuis plusieurs mois, la Commission a
décidé de relancer le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur
les sociétés (ACCIS). Réactualisée, la proposition de directive du Conseil
du 25 octobre 2016 n’innove pas considérablement. Une exception : elle
dissocie les deux piliers de la directive de 2011. La commission a fait le
choix d’une évolution à deux vitesses autour de deux directives, l’une
concernant l’harmonisation de l’assiette commune (COM (2016, 685 final),
et l’autre sur le mécanisme de consolidation (COM [2016] 683 final). Ce
nouveau dispositif ACCIS présente les mêmes avantages que celui de 2011
et permet aux groupes de sociétés d’opter pour une assiette imposable
alternative dite « consolidée » à l’échelle de l’Union, avec une seule
administration fiscale comme interlocuteur (guichet unique). Une fois
consolidée, l’assiette est ainsi répartie entre les États membres selon une clé
de répartition (chiffre d’affaires, immobilisations corporelles et main-
d’œuvre). La grande nouveauté de cette directive revient aux groupes de
sociétés dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 750 millions
d’euros qui se voient soumis obligatoirement aux règles ACCIS. À cette fin,
la Commission a souhaité que, des deux directives adoptées par le
Parlement européen le 15 mars 2018, celle concernant l’harmonisation de
l’assiette consolidée soit transposée en droit interne avant le 31 décembre
2018 pour une application au 1er janvier 2019.
L’Union européenne est l’une des seules organisations
gouvernementales à avoir adopté des dispositifs de lutte contre l’évasion
fiscale. Issus pour partie du projet d’action BEPS de l’OCDE, ces
instruments à disposition des États deviennent contraignants pour les pays
membres dès lors qu’ils intègrent le droit communautaire. Transposés en
droit interne, ils renforcent à l’échelle européenne les actions de lutte contre
les paradis fiscaux.

III. – Le droit français


La France dispose également d’un arsenal juridique pour lutter contre
l’évasion fiscale. Fortement influencée par l’OCDE et l’Union européenne,
la législation fiscale française reprend l’essentiel des standards
internationaux, d’une part en transposant les directives européennes, d’autre
part en appliquant plusieurs conventions internationales. Si les mesures
anti-fraude concernent de multiples domaines, la majorité d’entre elles
s’appliquent à la fiscalité, en raison de son incidence budgétaire. De
nombreuses dispositions de lutte sont présentes dans le Code général des
impôts. Entre les dispositifs de transposition et ceux qui sont instaurés
uniquement à l’échelle nationale, ces instruments sont en constante
évolution, avec un risque d’empilement (en matière de déduction des
charges financières par exemple) et d’insécurité juridique, chaque loi de
finances venant ajuster ces mesures (la récente loi relative à la lutte contre
la fraude du 23 octobre 2018 ou encore la loi de finances 2019 en sont des
exemples).
Parmi les nombreux outils de lutte contre la fraude fiscale de portée
extraterritoriale développés par la France, souvent liés les uns aux autres,
figurent des dispositifs classiques (l’abus de droit, l’acte anormal de
gestion, etc.), et d’autres plus spécifiques (la liste des ETNC, les États à
régime fiscal privilégié, etc.). Il en ressort que l’ensemble de ces dispositifs
s’articulent de telle manière que certains articles du Code conduisent à
l’application de régimes qui varient selon les circonstances.

1. L’abus de droit (art. 64 du LPF). – Visé à l’article 64 du Livre des


procédures fiscales, l’abus de droit est un régime exorbitant du droit
commun qui autorise l’administration fiscale à requalifier une situation
juridique donnée dès lors qu’elle considère celle-ci comme fictive ou
comme reposant sur une interprétation trop littérale du texte à des fins
d’évitement de l’impôt. Dans les faits, le contribuable est libre de concevoir
les montages juridiques qu’il souhaite sous réserve que ceux-ci n’aient pas
pour objectif de se soustraire à l’impôt dû. Cet outil permet à
l’administration fiscale de faire obstacle à nombre de montages juridiques
abusifs. En cas de désaccord, le contribuable ou l’administration elle-même
sont en droit de saisir pour avis le comité de l’abus de droit fiscal. Dans ce
cas précis, si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du comité, elle
doit néanmoins apporter le bien-fondé de son action.

2. L’acte anormal de gestion. – Il tire ses fondements de la


jurisprudence. Très utile à l’administration, il va bien au-delà de la
mauvaise gestion du dirigeant malveillant envers son entreprise. L’acte
anormal de gestion s’identifie lorsque des actes anormaux qui pourraient
caractériser une mauvaise gestion ont été mis en œuvre non dans l’intérêt de
l’entreprise mais à des fins d’évitement de l’impôt ou au profit d’un tiers.
Le nombre d’actes susceptibles d’entrer dans cette catégorie est exhaustif
(dépenses injustifiées, dépenses abusives, renonciation de recettes, etc.).
Lorsque l’acte anormal de gestion est avéré, l’administration fiscale peut
notamment refuser la déduction de certaines charges, demander la
réintégration dans le résultat imposable de bénéfices transférés à une société
domiciliée à l’étranger, voire imposer le bénéficiaire de l’acte. Elle dispose
ainsi de toute une palette de mesures visant à sanctionner et à corriger l’acte
faisant grief.
En outre, en application de la directive ATAD précédemment évoquée,
une nouvelle clause anti-abus générale en matière d’impôt sur les sociétés
devait entrer en application à partir du 1er janvier 2019.
3. La liste des États et territoires non coopératifs (ETNC) (art. 238-
0 A du CGI). – La France a fait le choix de se doter d’une liste d’États et
territoires non coopératifs. Introduit par la loi no 2009-1676 du 30 décembre
2009, l’article 238-0 A du CGI confie le soin aux ministres chargés de
l’Économie et du Budget de publier une liste révisée annuellement au
1er janvier des États et territoires non coopératifs (hors États membres de
l’Union européenne). Cette liste prend en compte l’avis préalable du
ministre des Affaires étrangères et deux critères cumulatifs clairement
définis à l’article 238-0 A du Code général des impôts (CGI). Sont
considérés comme ETNC :
les États et territoires dont la situation au regard de la transparence et de
l’échange d’informations en matière fiscale n’a pas fait l’objet d’un
examen par l’OCDE ;
les États n’ayant pas conclu avec la France une convention d’assistance
administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à
l’application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins
douze États ou territoire une telle convention.
Fondée uniquement sur le critère de la coopération administrative,
l’adoption par le législateur de la loi relative à la lutte contre la fraude
fiscale du 23 octobre 2018 résulte de la volonté de prendre en compte les
critères de transparence et d’équité fiscale, ainsi que le respect des mesures
contre l’érosion des bases d’imposition du plan d’action BEPS. Ce qui
explique que l’article 238-0 A révisé intègre également la liste européenne
des États et territoires non coopératifs.
L’inscription sur cette liste a pour conséquence de soumettre les
opérations réalisées avec ces États et territoires à des dispositions fiscales
spécifiques anti-évasions. Parmi celles-ci, l’interdiction de déduction de
charges pour les sociétés, sauf à apporter la preuve que les dépenses
correspondent à des opérations réelles et ne présentent pas de caractère
anormal ou exagéré (art. 238 A du CGI), l’instauration d’une obligation
documentaire spécifique en matière de prix de transfert (art. L. 13 AB du
Livre des procédures fiscales LPF), l’application d’un régime spécifique en
matière d’imputabilité des retenues à la source perçues sur les dividendes et
les redevances en matière de sociétés étrangères contrôlées (art. 209 B du
CGI), etc. Toutes ces mesures anti-abus applicables au régime des ETNC ne
se réduisent pas à ce dernier. Conformément à l’arrêté du 8 avril 2016,
figurent sur la liste des ETNC : le Botswana, Nauru, le Panama, les îles
Marshall, le Guatemala, Brunei et Niue.
4. Les paiements au profit de non-résidents soumis à un régime
fiscal privilégié (art. 238 A du CGI). – Le dispositif relatif aux États à
régime fiscal privilégié est de moindre portée, quoique tout aussi important.
Prévu à l’article 238 A du CGI, cet outil vise à prévenir toute pratique
consistant, pour une personne (physique ou morale) domiciliée en France, à
réduire son imposition en augmentant artificiellement ses charges fiscales ;
et ce, au moyen de paiements – redevances, intérêts, licence
d’exploitation, etc. – au profit d’une personne (physique ou morale)
demeurant dans un pays à régime fiscal privilégié (État ou territoire n’ayant
pas adopté d’impôt sur le revenu ou les bénéfices, voire lorsqu’il existe si
celui-ci est inférieur de plus de la moitié au taux d’imposition sur les
sociétés françaises). Dans pareilles circonstances, l’article 238 A du CGI
applique une présomption simple de fictivité conduisant à une interdiction
de déductibilité des paiements versés, sauf à apporter la preuve que les
dépenses correspondent à des dépenses réelles et ne sont pas anormales et
exagérées.

5. Le régime des sociétés étrangères contrôlées (SEC) (art. 209 B du


CGI). – Dans la continuité du dispositif susmentionné, l’article 209 B du
CGI relatif au régime des sociétés étrangères contrôlées (SEC) a pour objet
de dissuader les sociétés françaises de délocaliser une partie de leurs
bénéfices dans des filiales domiciliées dans des États à régime fiscal
privilégié au sens de l’article 238 A du CGI. Sont concernées les filiales
détenues à 50 % par des sociétés françaises qui, en application de ce
dispositif, voient leurs bénéfices soumis à l’impôt sur les sociétés. De
même, lorsque ces bénéfices sont réalisés par des entités juridiques
(personne morale, organisme, fiducie ou institutions comparables), ceux-ci
sont considérés comme des capitaux mobiliers de la société française
imposables à proportion de sa quote-part dans le capital de l’entité juridique
concernée.
6. La participation dans des entités étrangères soumises à un
régime privilégié (art. 123 bis du CGI). L’article 123 bis du CGI, pendant
de l’article 209 B, s’attache quant à lui à imposer les personnes physiques
domiciliées en France et détenant au moins 10 % d’actions, de parts et de
droits financiers dans une entité juridique (personne morale, organisme,
fiducie ou institution) implantée à l’étranger et bénéficiant d’un régime
fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI. Pour ce faire, le
dispositif instauré par la loi de finances pour 1999 impose les bénéfices de
ces entités au titre de revenus de capitaux mobiliers de la personne physique
à proportion de leurs actions, parts ou droits financiers. Grâce à ce
dispositif, l’administration fiscale apprécie la condition relative au régime
fiscal privilégié au regard de la situation particulière de la structure
contrôlée. Tout comme l’article 209 B, l’article 123 bis impose des
obligations de déclarations spécifiques.

7. Le contrôle des prix de transfert (art. 57 du CGI). Dans un autre


ordre, l’article 57 du CGI tend à prévenir les transferts indirects de
bénéfices à l’étranger entre entreprises dépendantes. Pour l’administration,
l’intérêt d’un tel dispositif est d’empêcher l’évasion et la localisation à
l’étranger de bénéfices normalement imposables en France et réalisés par la
majoration ou la diminution des prix d’achat ou de vente. Ce faisant, les
services fiscaux peuvent redresser le résultat déclaré d’une société française
à condition de démontrer que celle-ci est sous « la dépendance ou possède
le contrôle » d’une société établie hors de France. En revanche, cette
exigence n’existe pas dans le cadre de transferts opérés avec des sociétés
domiciliées dans des ETNC ou dans des États et territoires à régime fiscal
privilégié conformément aux dispositions des articles 238-0 A et 238 A du
CGI. Dans ce second cas, l’administration peut déduire du flux financier
observé une présomption de dépendance ou de contrôle entre les deux
sociétés.
8. Les sommes versées à l’étranger au titre des services rendus en
France (art. 155 A du CGI). – La lutte contre les sociétés écrans n’a pas
été oubliée, notamment en ce qui concerne les professionnels (sportifs,
artistes…) qui peuvent être tentés d’avoir recours à des sociétés étrangères
pour percevoir à leur place les sommes qu’ils reçoivent au titre des services
qu’ils fournissent en France. Domiciliées à l’étranger, ces sociétés
détournent ainsi les sommes concernées de leur imposition en France, ce
qui a conduit le législateur à introduire à l’article 155 A du CGI un
dispositif visant à imposer les sommes versées à l’étranger au titre des
services rendus en France. Pour ce faire, l’administration fiscale regarde si
la société rémunérée est sous le contrôle du prestataire de service, si celle-ci
exerce majoritairement une activité de prestation de service plutôt
qu’industrielle ou commerciale, ou si elle est domiciliée dans un État à
régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI.

9. Le contrôle de la déduction des charges financières. – De


nombreux groupes ont recours à l’endettement pour réduire artificiellement
leur base taxable. Comme évoqué précédemment, les instances
supranationales cherchent à contrôler cette pratique certes légale, mais
néfaste pour les budgets des États. En France, plusieurs dispositifs ont été
progressivement mis en place, visant soit les taux d’intérêt pratiqués pour
des prêts intragroupes (art. 212. I a. et 39.1.3 du CGI), soit les pratiques de
sous-capitalisation (art. 212 II du CGI). D’autres dispositifs plus spécifiques
ont été instaurés (art. 209, IX du CGI, dit « amendement Carrez » et art. 223
B du CGI dit « amendement Charasse ») qui visent les montages créés pour
l’acquisition de sociétés françaises. Les deux dispositifs les plus récents
sont ceux du « rabot » (seuil de déductibilité des charges financières) et de
la limitation de déductibilité en cas de faible imposition des intérêts versés.
Cet empilement de mesures de contrôle de la déductibilité des charges
financières révèle l’usage abusif du recours à l’endettement par les groupes
internationaux pour réduire leur base taxable et la difficulté pour le
législateur de contrôler ces différentes pratiques.
Néanmoins, avec la loi de finances 2019 faisant entrer en application
une partie du projet BEPS précédemment évoqué, une partie de ces mesures
devrait être supprimée avec l’instauration d’une règle de plafonnement de la
déductibilité des charges financières à 30 % de l’EBITDA.

10. L’obligation de reporting pays par pays (art. 223 quinquies du


CGI). – L’arsenal juridique de la France s’est également renforcé grâce aux
outils du plan d’action BEPS. C’est le cas notamment de l’article 223
quinquies C du CGI relatif à l’obligation de reporting pays par pays (action
13 du projet BEPS). Entré en vigueur en 2016, ce dispositif récent contraint
les sociétés ou les groupes français et étrangers établis en France dont le
chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros à fournir à
l’administration fiscale française une déclaration comportant la répartition
pays par pays des bénéfices du groupe et des agrégats économiques,
comptables et fiscaux, ainsi que des informations sur les activités des
entités concernées.

11. Le régime fiscal applicable aux brevets. – Pour rendre compatible


le régime fiscal français applicable aux brevets avec les standards
internationaux et européens, la loi de finances pour 2019 a prévu d’intégrer
l’approche nexus, proportionnant les avantages fiscaux au lieu de réalisation
des actifs incorporels, afin de réduire les abus en matière de crédit impôt-
recherches.
À ceux-ci s’ajoutent bien d’autres dispositifs anti-abus, tel l’alinéa 9 de
l’article 120 du CGI qui permet d’imposer les revenus d’un trust. Dans
d’autres cas, il subsiste des obligations de déclaration de revenus ou de
résultats, des références des comptes ouverts à l’étranger, utilisés ou clos,
appartenant à des personnes physiques, des associations ou des sociétés
domiciliées en France n’ayant pas de forme commerciale (art. 1649 A du
CGI).
Avec l’évolution de l’économie et des moyens de communication,
l’arsenal juridique français de lutte contre la fraude a dû innover. Doté à
l’origine uniquement de dispositifs classiques anti-fraude, il a été renforcé
par l’ajout de dispositifs spécifiques à l’évasion fiscale. Fortement influencé
par les travaux de l’OCDE et l’entrée en vigueur de nouvelles directives
européennes en la matière, il doit également son évolution aux accords
internationaux signés avec les États-Unis.

IV. – Le droit américain


En matière de lutte contre les paradis fiscaux, les États-Unis adoptent
une position ambivalente : bien qu’acteurs de cette lutte, ils n’ont pas
adopté certains dispositifs OCDE importants, notamment la convention
multilatérale visant à prévenir l’érosion de la base d’imposition et le
transfert des bénéfices (plan d’action BEPS). Grâce à leur puissance
économique et financière, les États-Unis ont opté pour l’élaboration de leurs
propres instruments, qu’ils imposent pour certains aux autres pays du
monde.

1. Le Foreign Account Tax Compliance Act, dit « FATCA ». – Parmi


ces instruments, l’un des plus importants, le Foreign Account Tax
Compliance Act dit « FATCA » voté le 18 mars 2010 par le Congrès
américain, qui fit de l’échange automatique d’informations la norme
internationale. Dispositif législatif, initialement unilatéral, extraterritorial et
sans réciprocité, il est devenu conventionnel le 7 février 2012 après que les
États-Unis eurent accepté de le mettre en œuvre sous forme d’accords
bilatéraux avec l’ensemble des pays du monde. Cet accord a pour objet
d’imposer à l’ensemble des établissements bancaires et financiers du monde
entier la transmission à l’administration fiscale américaine (internal revenue
service, ou IRS) de l’ensemble des informations relatives aux comptes
actifs et revenus des contribuables américains qu’ils détiennent. Avec cette
nouvelle norme dans leur arsenal juridique, les États-Unis ont souhaité
notamment optimiser l’imposition des revenus mondiaux des ressortissants
américains (quel que soit leur lieu de résidence dans le monde, les
ressortissants américains sont assujettis à l’impôt fédéral sur le revenu qui
leur impose de déclarer l’ensemble de leurs revenus de source mondiale),
grâce aux renseignements des institutions financières des autres pays.
À l’inverse, l’absence d’accord ou le non-respect de ce dernier sont
sanctionnés d’une retenue à la source de 30 % appliquée à l’ensemble des
revenus financiers versés depuis les États-Unis vers des institutions
étrangères.
À cet effet, deux modèles d’accords bilatéraux ont été élaborés par
l’administration américaine :
l’accord FATCA 1, qui prévoit que les informations sont collectées
directement par l’administration fiscale de l’État signataire auprès des
institutions financières, puis transmises par celles-ci, une fois par an au
service de l’IRS (en contrepartie, une condition de réciprocité est
généralement insérée) ;
l’accord FATCA 2 qui concerne les États ne souhaitant pas lever le
secret bancaire. Dans ce cas précis, l’accord prévoit que les
informations sont collectées et transmises directement par les
institutions financières, sans passer par l’administration fiscale de l’État
signataire. Celles-ci doivent alors s’enregistrer directement auprès des
services de l’IRS et obtenir l’accord du client avant toute
communication. En cas de refus de sa part, seules des données agrégées
sont transmises. Le niveau de coopération étant plus faible, aucune
condition de réciprocité n’est appliquée.
La loi du 29 septembre 2014 a permis à la France, comme à la majorité
des États, de ratifier l’accord FATCA de type 1. Seules huit juridictions – la
Suisse, l’Autriche, les Bermudes, le Chili, Hong Kong, le Japon, la
Moldavie et Saint-Marin – ont choisi de signer un accord FATCA de type 2.
La Russie reste le seul État à n’avoir signé aucun accord de type FATCA.
Par ailleurs, il est important de noter que, même si les États-Unis ont
accepté le principe de la réciprocité dans le cadre d’un accord de type
FATCA 1, il apparaît clairement que cet accord est inégalitaire parce que la
législation américaine n’autorise pas la transmission des informations
relatives aux soldes des comptes et la valeur de rachat des contrats
d’assurance-vie localisés aux États-Unis.

2. Le Tax Cuts and Job’s Act dit « TCJA ». – Le Congrès américain,


sous l’influence de l’administration Trump, a adopté le 22 décembre 2017
une réforme de la fiscalité américaine. Celle-ci fait passer depuis le
1er janvier 2018 le taux d’imposition sur les bénéfices de 35 % à 21 %. De
même, cette nouvelle loi accorde aux entreprises la possibilité de reporter
prospectivement leurs pertes d’exploitation nettes (PEN), et ce, pour une
période indéfinie. En revanche, le montant de PEN ne doit pas dépasser
80 % du bénéfice imposable. La loi exige également que certains revenus
mondiaux à faible taux d’imposition tirés de biens incorporels (GILTI) par
des sociétés étrangères contrôlées (SEC) soient inclus dans les revenus
bruts de la société mère américaine. Enfin, elle prévoit aussi un impôt anti-
abus contre l’érosion des bases d’imposition. Toutes ces mesures récentes
dont l’intérêt premier est de dynamiser l’économie américaine auront
indéniablement des répercussions à long terme sur les flux financiers
américains à destination de paradis fiscaux.
Conclusion

L’existence des paradis fiscaux est indéniablement liée à la


mondialisation et à l’internationalisation des flux financiers. Concept
abstrait aux visages multiples, il n’existe pas de critères précis et officiels
permettant de les identifier. États, régions, zones franches de défiscalisation,
centres financiers offshore, territoires aux statuts particuliers, les paradis
fiscaux, assortis parfois des qualificatifs « bancaires » ou « judiciaires »,
sont surtout des zones de basse pression fiscale, garantissant le secret
bancaire et facilitant la mise en œuvre de montages juridiques complexes et
innovants en droit des sociétés. Leur attrait réside dans leur formidable
capacité à s’adapter aux législations d’États dont la fiscalité est jugée
confiscatoire par ceux qui ont recours aux paradis fiscaux.
Face à ce phénomène d’envergure mondiale, tirant à la fois profit des
différences de législations entre États et des failles qui subsistent entre elles,
nombre de pays et d’organisations internationales ont pris conscience de
l’intérêt d’adopter des instruments communs de lutte contre l’évasion
fiscale. C’est ce qui explique l’élaboration et la mise à disposition par
l’OCDE de nouveaux standards internationaux, comme le projet d’action
BEPS. L’Union européenne elle aussi a adopté de nouvelles directives
visant à intensifier l’échange d’informations, la convergence des
législations et la lutte contre la concurrence fiscale dommageable entre
États membres.
L’entrée en vigueur de ces nouveaux dispositifs n’est pas chose aisée.
La fiscalité touche directement le budget des États et les enjeux politiques
et financiers sont importants. Nombre de pays sont contraints de procéder à
une refonte de leur fiscalité, et doivent s’engager à respecter la bonne
application des accords internationaux qu’ils ont ratifiés. Il n’en demeure
pas moins que certains d’entre eux, à l’instar des États-Unis, préfèrent rester
maîtres du jeu et imposer leurs normes aux autres pays du monde.
Dans un contexte où les multinationales sont de plus en plus puissantes,
il est possible d’affirmer, faute de disposer du recul suffisant sur l’entrée en
vigueur de ces nouveaux instruments, que la lutte contre les paradis fiscaux
est loin d’avoir été menée à son terme.
Bibliographie

OUVRAGES GÉNÉRAUX ET SPÉCIALISÉS


Berthet K., L’Évolution de la lutte contre les paradis fiscaux, Bruxelles,
Larcier, 2015.
Chavagneux C., Palan R., Les Paradis fiscaux, Paris, La Découverte,
« Repères », 2017.
Lasserre Capdeville J., Marchessou P., Trescher B., Cutajar C., Fraude et
évasion fiscales. État des lieux et moyens de lutte (pratique des
affaires), Paris, Lextenso, 2015.

ARTICLES ET REVUES
Fournier A., Laumonier A., « Présentation de la pratique abusive des
grands groupes », Revue de droit fiscal, no 49, 8 décembre 2016.
Fourriques M., « La localisation des bénéfices dans des paradis fiscaux via
des sociétés offshore », Agefiactifs.com, no 553, 2012.
Lesprit E., « La réaction de l’OCDE face à l’évasion et la fraude fiscales :
le plan d’action BEPS », Revue de droit fiscal, no 49, 8 décembre 2016.
Raingeard de La Blétière E., Leroy V., « Adoption formelle de la directive
anti-évasion fiscale : premier aperçu », La Semaine juridique.
Entreprise et affaires, no 36, 8 septembre 2016.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction

Chapitre premier - Un concept flou

I. – L'histoire des paradis fiscaux

II. – Une notion polysémique


III. – Les critères d'identification

IV. – Les notions voisines

Chapitre II - Les instruments juridiques

I. – Une imposition à taux réduit


II. – Des secrets bancaire et professionnel quasi absolus

III. – Des structures sociétaires et des montages juridiques innovants

IV. – Le treaty shopping

Chapitre III - Les dispositifs de lutte


I. – Les travaux de l'OCDE

II. – Les outils développés par l'Union européenne

III. – Le droit français

IV. – Le droit américain

Conclusion

Bibliographie
www.quesaisje.com
1. A. Fournier, A. Laumonier, « Présentation de la pratique abusive des grands groupes »,
Revue de droit fiscal, no 49, 8 décembre 2016.
2. Ibid.
3. Ibid.

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