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POST’U (2016)

Prise en charge de l’anémie ferriprive


chez la personne âgée
; Emeline Clair, Stéphane Nahon
(u) Service de Gastroentérologie, Groupe Hospitalier Intercommunal, Le Raincy-Montfermeil, 10, avenue du Général-Leclerc, 93370 Montfermeil, France
E-mail : snahon@ch-montfermeil.fr, snahon@club-internet.fr

ET COLOPROCTOLOGIE
GASTROENTÉROLOGIE
Introduction Principales
causes d’anémie
L’anémie ferriprive (AF) est une des
premières causes d’anémie chez la per-
sonne âgée. Elle résulte dans la majo- Les causes d’anémie les plus fréquentes
rité des cas d’un saignement digestif sont l’inflammation (47 %), l’insuffi-
et requiert une exploration endosco- sance rénale chronique (46 %), la dénu-
pique. Si l’endoscopie bidirectionnelle trition sévère (35 %) et la carence
(endoscopie œso-gastro-duodénale et martiale (33 %), une myélodysplasie
coloscopie) est recommandée, sa réali- (14,5 %), une carence en folates (7 %),
sation n’est pas toujours aisée en rai- une hémolyse (6 %), une dysthyroidie
son des contraintes liées à la coloscopie (4 %) et une carence en vitamine B12
et à l’anesthésie générale. (4 %). Dans la plupart des cas, l’anémie
est multifactorielle.
En 2011, le nombre de personnes âgées
de plus de 75 ans était de 5,8 millions
et sera de 11,9 millions en 2060 soit
Objectifs pédagogiques plus de 16 % de la population si bien
que la prise en charge d’une AF aug- Définition et fréquence
– Connaître les facteurs de risque asso- mentera siginificativement ces pro- de la carence martiale
ciés à l’anémie ferriprive chaines années.
– Définir les stratégies diagnostiques
Dans une série récente américaine de
adaptées
Définition et fréquence patients âgés ambulatoires (âge moyen
– Connaître les particularités théra- 78 ± 7 ans, 85 % hommes), la fréquence
peutiques
de l’anémie
de l’AF était de 12 % [3]. Les méca-
nismes de la carence en fer sont : 1) une
L’âge ne fait pas partie des critères de diminution de l’absorption (achlo-
définition d’une anémie selon l’orga- rydrie souvent d’origine médicamen-
nisation mondiale de la santé. Ainsi, teuse ou liée à une atrophie villosi-
une anémie est définie par un taux taire) [4] ; 2) une perte excessive en
d’Hb < 12 g/dL chez la femme et < 13 g/ raison d’un saignement chronique
dL chez l’homme. La prévalence de (surtout d’origine digestive), 3) une
l’anémie est de 8 % entre 65 et 74 ans, inflammation chronique, 4) les
13 % entre 75 et 84 ans et 23 % après carences d’apport ont un impact plus
85 ans ; avec une légère prédominance faible.
masculine (20 % chez les femmes et
26 % chez les hommes). Une prévalence
La ferritinémie est le paramètre biolo-
plus importante de 40 à 50 % est obser-
gique le plus simple et le plus rentable
vée chez les patients hospitalisés et
pour conduire au diagnostic de carence
se situe à 47 % chez les patients en
martiale, il n’est pas utile de doser le
institution [1].
fer sérique ni le coefficient de satu-
L’anémie est un facteur indépendant ration. Une ferritinémie < 50 µg/l est
de mortalité. Dans une large cohorte une valeur considérée comme à la fois
de 1 016 patients âgés de plus de sensible (85 %) et spécifique (92 %)
85 ans suivis sur plus de 10 ans : le chez la personne âgée [5]. Néan-
risque relatif de décès était de 1,6 chez moins, ce paramètre est influencé par
les femmes et 2,3 chez les hommes d’autres facteurs, comme l’inflam-
anémiques [2]. mation (Tableau I).

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Tableau I. Définitions des différents types d’anémie par carence martiale [19] l’endoscopie s’avère nécessaire. La réa-
lisation de biopsies gastriques à la
Type d’anémie par carence martiale
(Hb < 12 g/dL (femme)/13 g/dL (homme)
Ferritine CRP recherche d’une gastrite atrophique
(µg/mL) (mg/L) fundique, associée ou non à une atro-
et CST < 20 %)
AF au sens de carence en fer absolue < 30 <5
phie antrale, ainsi que la réalisation de
biopsies duodénales à la recherche
Anémie inflammatoire
(carence martiale fonctionnelle)
> 100 ≥5 d’une atrophie villositaire duoénale,
doit être systématique en l’absence de
Anémie mixte Entre 30 et 100 ≥5 lésion digestive digestive pouvant
expliquer clairement l’anémie. Une
Cas particulier du syndrome supplémentation martiale sans explo-
inflammatoire Carence martiale ration doit être réservée aux patients
dont les explorations seraient trop ris-
et pathologies quées et/ou n’auraient pas de consé-
En cas d’association à un syndrome
inflammatoire, la carence en fer peut
cardiovasculaires [9] quences sur la prise en charge ulté-
être affirmée par l’augmentation du rieure. En effet, l’AF peut être le mode
récepteur soluble de la transferrine Une carence martiale, associée ou non de révélation de pathologies graves et
(TfRs). Toutefois, l’association d’une fer- à une anémie, est observée chez 30 curables, notamment le cancer colo-
ritinémie < 100 µg/l et d’un coefficient à 50 % des patients présentant une rectal (CCR).
de saturation de la transferrine < 16 % insuffisance cardiaque (IC) chronique
est évocatrice d’une carence martiale [10]. Le fer est nécessaire, non seule- Endoscopie
et doit être proposée avant le dosage du ment à l’hématopoïèse, mais égale-
TfRs, ce d’autant que ce dosage n’est pas ment aux tissus ayant une consomma-
Faisabilité de l’endoscopie
disponible en médecine de ville. tion énergétique importante dont le
myocarde. Une étude récente a montré Avant la réalisation d’une coloscopie
Le rapport TfRs/log ferritine est < 1 en que le contenu en fer et l’expression du chez la personne âgée, une évaluation
cas d’anémie associée à une maladie récepteur à la transferrine des cardio- de la balance bénéfices/risques est
chronique et > 2 en cas de carence mar- myocytes étaient diminués chez les nécessaire qui tiendra compte : 1) de
tiale y compris en association à une patients présentant une IC [11]. La l’espérance de vie (sans incapacité),
pathologie chronique [6]. carence martiale est un facteur indé- 2) du diagnostic recherché et 3) d’une
pendant de mortalité chez les patients estimation des complications des exa-
Anémie ferriprive et carence présentant une IC chronique et le taux mens et après un éventuel traitement.
en vitamine B12 de NT- proBNP semble associé au degré À 80 ans, l’espérance de vie globale est
de carence en fer [10]. Plusieurs essais de 8,8 ans pour les femmes et de 7 ans
La gastrite chronique atrophique fun- cliniques randomisés suggèrent que la pour les hommes, et de 2,7 ans pour les
dique, qu’elle soit d’origine auto- carence martiale est une cible théra- femmes et 2,4 pour les hommes à
immune (maladie de Biermer) ou liée peutique potentielle chez les patients 95 ans. Une évaluation gériatrique glo-
à l’âge, peut être à l’origine d’une insuffisants cardiaques. Toblli et al. ont bale (autonomie, fonctions cognitives,
carence en vitamine B12 associée ou montré l’efficacité d’un traitement par état nutritionnel, comorbidités, res-
non à une carence en fer (par mal- fer intraveineux (sucrose de fer) chez sources sociales et qualité de vie) sera
absorption résultant de l’achlorhydrie). 40 patients (âge moyen 76 ± 7 ans) nécessaire dans les cas difficiles. Les
Certaines études ont rapporté une fré- ayant une IC chronique attestée par indications de l’examen doivent s’ins-
quence de la gastrite atrophique asso- une amélioration significative du score crire dans un projet thérapeutique
ciée ou non à H. pylori de plus de 40 % NYHA, du test de marche de 6 minutes aboutissant à une démarche curative
chez les patients âgés de plus de 80 ans et de la fraction d’éjection systolique potentielle. Une complexité supplé-
[7]. La réalisation de biopsies gas- [12]. Un essai randomisé multicen- mentaire est liée aux traitements anti-
triques systématiques dans le bilan trique incluant 459 patients (âgés en agrégants plaquettaires et/ou anticoa-
d’une AF ainsi qu’un dosage de la vita- moyenne de 68 ± 10 ans) ayant une gulants plus souvent utilisés chez la
mine B12 sont recommandés. IC chroniques NYHA II-III associée à personne âgée.
une carence martiale a confirmé l’effi-
cacité du carboxymaltose ferrique Une endoscopie œso-gastro-duodénale
Particularités cliniques (Ferinject®) y compris en l’absence (EOGD) et une coloscopie sont dans la
d’anémie sur les symptomes de l’IC majorité des cas réalisables chez la per-
chez le sujet âgé sonne âgée en raison de l’amélioration,
[13].
d’une part, des techniques endosco-
L’asthénie est souvent considérée piques et, d’autre part, de l’anesthésie
comme banale, et multi-factorielle. L’AF Explorations générale. Ainsi, dans une cohorte hos-
peut être révélée par la décompensa- pitalière de 111 patients âgés de plus
tion d’une autre pathologie chronique, morphologiques de 75 ans et ayant une AF, l’EOGD était
notamment cardiaque. Une sensibili- réalisable dans 92 % des cas et la colos-
sation de nos collègues cardiologues La majorité des AF chez la personne copie dans 82 % des cas [5]. L’EOGD
est cruciale. L’AF peut diminuer les âgée résultant d’un saignement d’ori- sans anesthésie générale est un geste
capacités fonctionnelles et cognitives, gine digestive, une exploration du trac- à faible risque, le plus souvent bien
augmenter le risque de chute et altérer tus digestif par une endoscopie bidi- toléré. Les préparations à base de PEG
la qualité de vie [8]. rectionnelle ou par une alternative à seront préférées aux solutions à base

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Tableau II. Rentabilité diagnostique Les échecs sont liés soit à un défaut de
des explorations endoscopiques bidirectionnelles distension, soit à un défaut de prépa-
ration colique. Le sigmoïde est parfois
1er auteur Joosten Wilcox Gordon Coban Nahon
(réf.) [27] [28] [29] [30] [5] difficile à distendre notamment en cas
de diverticules. On pourra alors réaliser
Patients (n) 96 52 170 106 111
le même jour une rectosigmoïdoscopie.
Âge moyen (m ± DS) 84 ± 6 66 ± 13 69 > 65 82,3 ± 6,4 Dans un travail, les complications
Lésions colorectales 32 % 25 % 30 % 27,1 % 39 % à type de perforation étaient excep-
Cancer colorectal 14 % 21 % 9% 7,5 % 28 %
tionnelles : 7 cas sur 40 121 examens
(0,02 %) [17].
Lésions œsogastroduodénales 49 % 19 % 41 % 57,3 % 40 %
Rentabilité diagnostique 54 % 44 % 59 % 84,4 % 76 % L’exploration du côlon par la vidéo-
capsule n’a pas été évaluée spécifique-
Lésions synchrones 9% – 0% – 11 %
ment dans cette indication, cependant,
elle peut avoir sa place après avoir

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GASTROENTÉROLOGIE
de sodium phosphate qui peuvent Alternatives radiologiques éliminé une sténose colique.
occasionner des troubles hydroélectro- à la coloscopie : coloscanner
lytiques ou une insuffisance rénale. Devenir à long terme après une
L’utilisation d’endoscopes de calibres Une exploration radiologique du côlon première exploration négative
plus fins peut être une alternative inté- peut se discuter en cas de comorbidités
ressante car elle réduit le risque de empêchant temporairement la réalisa- Après une première exploration endos-
désaturation et d’arythmie. Dans une tion d’une coloscopie. Un coloscanner copique bidirectionnelle, aucune cause
méta-analyse de 20 études ayant ana- est une alternative ayant une rentabi- n’est identifiée dans 10 à 40 % des cas
lysé les complications des coloscopies lité diagnostique élevée pour une chez les patients âgés. Le pronostic est
après 65 ans, l’incidence des perfora- acceptabilité satisfaisante. Pour visua- toutefois le plus souvent favorable.
tions (pour 1000 coloscopies) étaient liser la paroi colique, une préparation Le taux de récidive hémorragique est
de 1,0 (95 % CI, 0,9-1,5), 6,3 (95 % CI, colique est le plus souvent nécessaire, compris entre 11 % et 30 %, l’âge ne
5,7-7) pour les hémorragies, 19 (95 % suivie d’une distension du cadre semblant pas constituer un facteur
CI, 18-20) pour les complications car- colique, soit par de l’eau (coloscanner à favorisant [5].
dio-respiratoires [14]. Parmi les octogé- l’eau), soit par du gaz (le plus souvent
naires, le risque de perforations était du CO2, coloscanner à l’air ou colo- Soon et al. ont suivi sur 65 mois
1,5/1 000, et de 29/1 000 pour les scopie virtuelle). Le coloscanner à l’air, 105 hommes et 9 femmes présentant
complications cardio-respiratoires. contrairement au coloscanner à l’eau, une AF avec endoscopie digestive
Le taux d’incidence de décès était ne nécessite pas d’injection d’iode et a bidirectionnelle négative [18]. Une
de 1 pour 1 000 (95 % CI, 0,7-2.2) colos- une meilleure sensibilité pour le dépis- pathologie significative (CCR, ulcère
copies [14]. tage de polypes, en revanche les autres gastrique, angiodysplasies, adéno-
organes ne sont pas bien visualisés. carcinome duodénal) n’était diagnos-
Une fois l’acquisition scanner faite, tiquée que chez 4 % des patients ayant
Anesthésie générale
une reconstruction en 3D est réalisée. une anémie corrigée, contre 54 % chez
Une sensibilité accrue à la sédation est Chez le sujet âgé, cette technique paraît les patients présentant une anémie
observée chez la personne âgée (apnées adaptée car l’examen est bien toléré et récidivante à l’arrêt du traitement
et désaturation), le risque d’inhalation les techniques actuelles de traitement substitutif par fer (11 patients). La mor-
est également majoré. L’élimination de l’image permettent de s’affranchir talité était différente en fonction de la
des produits anesthésiques est plus d’une préparation colique. résolution de l’anémie après traite-
lente nécessitant l’utilisation de pro- ment : 12,5 % en cas d’anémie compen-
Kim et al. ont montré que la coloscopie sée, contre 34,5 % en cas d’anémie
duits à demi-vie courte, à doses plus
virtuelle était une méthode efficace et persistante ou récurrente.
faibles, d’administration plus lente
sans risque pour le dépistage des
nécessitant un monitoring étroit.
lésions colo-rectales (infra-centimé- Il paraît donc raisonnable de proposer
trique) dans une série de 577 patients un traitement par fer et une surveil-
Résultats des explorations âgés de plus de 65 ans [15]. lance clinico-biologique chez les
endoscopiques patients ayant une AF dont le premier
Le coloscanner à l’eau est effectué avec bilan endoscopique est négatif, et de
Le Tableau II résume les résultats des une injection de contraste iodé. Les ne réaliser des explorations digestives
différentes études. La rentabilité de contre-indications sont les mêmes que de seconde intention qu’en cas de non-
l’endoscopie bidirectionnelle varie celle de la TDM avec injection. L’examen correction ou de récidive de l’AF après
selon les études de 44 à 84 % [5, 27-30]. permet l’analyse de la paroi colique et un traitement par fer.
Une lésion œsogastroduodénale est celle des viscères abdominaux. En
identifiée dans 19 à 57 % des cas et une revanche la sensibilité de cet examen
lésion colique dans 25 à 39 % des cas. est probablement inférieure à celle du Quelles investigations en cas
[5, 27-30]. Les lésions digestives hautes coloscanner à l’air pour les petites de récidive ou de persistance
sont dominées par les lésions pep- lésions. Ridereau Zins et al. [16] ont de l’anémie ?
tiques. Un cancer du côlon (notamment étudié le coloscanner à l’eau chez
du côlon droit) est observé dans 7 à 191 patients, la sensibilité de détection Il est pertinent de réaliser à nouveau
28 % des cas. Une lésion synchrone est des cancers coliques était de 98,6 % et une EOGD, voire une coloscopie, si la
notée dans 0 à 11 % des cas [5, 27-30]. la valeur prédictive négative de 99,1 %. première n’a pas été réalisée dans les

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conditions optimales avant de réaliser Une étude rétrospective a montré que Fer par voie orale
des examens de deuxième ligne. En l’anémie ne récidivait pas après traite-
effet, environ 10 % des lésions diges- ment endoscopique par entéroscopie Le traitement consiste en l’adminis-
tives hautes et 7 % de lésions coliques après 18 mois de suivi chez 71 % des tration orale de 300 mg de fer sulfate
peuvent être manquées à la première patients ; et qu’en l’absence de lésion (60 mg de fer élément) pendant au
endoscopie [19]. identifiée à l’entéroscopie, l’anémie ne moins 3 à 6 mois, jusqu’à correction
récidivait pas dans 63 % des cas ; sem- complète des paramètres biologiques.
blant justifier ainsi une attitude atten- Une méta-analyse récente de 3 études
La vidéocapsule endoscopique tiste en cas d’entéroscopie négative effectuées chez des patients hospitali-
(VCE) [23]. sés de plus de 70 ans a montré une
efficacité du fer oral, néanmoins
Les 2/3 des patients présentant une AF modeste : après 4 à 6 semaines de trai-
sans lésion à l’endoscopie digestive Entéroscanner et entéro-IRM
tement, élévation de l’Hb de 0,35 g/dL
bidirectionnelle ont une lésion du L’entéroscanner et l’entéro-IRM sont (95 % CI 0,12-0,59) [25]. Il semblerait
grêle. Le qualité de visualisation indiqués en cas de suspicion de sténose que l’absorption intestinale du fer soit
complète de la muqueuse n’est pas grêlique avant la réalisation de la VCE plus faible chez les patients plus âgés
influencé par l’âge. Il n’existe pas de ou en cas de lésion notamment tissu- notamment en raison d’une inflamma-
contre-indication spécifique à l’âge, on laire visualisée à la VCE. Pour les dia- tion plus fréquente dans cette popula-
sera toutefois vigilants aux troubles de gnostics de tumeurs du grêle (GIST, tion et également liée à l’hypochlo-
la déglutition. Dans les cas où une sté- adénocarcinome), un essai prospectif rydrie liée à l’âge ou à l’administration
nose est suspectée, la réalisation préa- a montré la supériorité des explora- fréquente d’IPP.
lable d’un examen morphologique est tions radiologiques comparées aux
souhaitable. explorations endoscopiques (sensibi- Les effets secondaires sont fréquents,
lité 88 % vs 38 %)[24]. représentés surtout par des symp-
Nahon et al. ont étudié le rendement tômes digestifs.
de la VCE chez 76 patients âgés de plus
de 70 ans ayant une AF récidivante ou
une hémorragie extériorisée sans Pronostic et évolution Fer par voie intraveineuse
cause identifiée après une endoscopie
bidirectionnelle [20]. Une lésion a été Nahon et al. ont suivi prospectivement Différentes formules de fer IV sont dis-
identifiée dans 63 % des cas ; il s’agis- une cohorte hospitalière de 111 per- ponibles en Europe ; notamment le
sait d’angiodysplasies dans 73 % des sonnes âgées (82 ± 6 ans) présentant sucrose de fer (Venofer®) et le carboxy-
cas. Après un suivi médian de 461 jours, une AF ; la survie à long terme n’était maltose ferrique (Ferinject®). Les effets
une récidive hémorragique a été obser- pas différente qu’il s’agisse d’une AF secondaires sont dominés par les réac-
vée dans 23 % des cas. Tsibouris et al. sans cause identifiée à l’endoscopie tions allergiques pouvant survenir
ont montré une prévalence accrue des bidirectionnelle (74 %), d’une AF pendant ou dans les 30 minutes sui-
angiodysplasies après 80 ans (80 vs secondaire à une pathologie bénigne vant la perfusion nécessitant une
47 %, p < 0,0001) (23 % des AF, 40 % des (78 %) ou d’une AF secondaire à une administration hospitalière de ces trai-
anémies obscures) [21]. tumeur traitée carcinologiquement tements. Une attention particulière
(71 %). Ainsi, le pronostic de l’AF paraît sera portée au capital veineux (risque
satisfaisant pour peu que la cause de de veinites, lymphangites, ou abcès au
Entéroscopie l’AF soit identifiée et qu’un traitement point de ponction) notamment chez la
adapté puisse être administré [5]. personne âgée.
L’entéroscopie (double ballon) a sa
place à visée diagnostique en cas de Enfin la tolérance du Ferinject est
lésions visualisées à l’imagerie ou à notamment très bonne dans plusieurs
visée thérapeutique notamment pour
Prise en charge cohortes de patients âgés de plus de
l’hémostase endoscopique des angio- thérapeutique 70 ans [26] . La dose de fer administrée
dysplasies visualisées à la VCE. dépend du taux d’hémoglobine et du
Le traitement est étiologique lorsque poids du patient.
Les principales complications sont
la cause de l’AF est identifiée et qu’il est
représentées par les perforations, pan-
possible. Une transfusion sanguine
créatites et hémorragies, survenant Fer oral ou IV ?
peut être nécessaire lorque l’hémo-
dans 1 à 2 % des cas. Dans une étude
globine est inférieure à 8g/dl, surtout
rétrospective menée chez 60 patients L’agence européenne de Médecine
en présence de comorbidités cardio-
âgés de plus de 75 ans comparés à réserve la supplémentation intra-
vasculaires.
110 patients plus jeunes, la fréquence veineuse aux échecs ou aux intolé-
des angiodysplasies était plus impor- Une supplémentation martiale est rances du traitement oral. La hausse
tante dans la population âgée (39 % vs nécessaire afin de corriger l’anémie et initiale de l’hémoglobine est plus
23 %, p = 0.01), ainsi que le recours à un restaurer les stocks de fer. Un dépistage rapide par voie IV et celle-ci sera pré-
traitement endoscopique (48.6 % vs et une supplémentation, le cas échéant, férée en cas d’AF symptomatique,
29,2 %, p = 0.01). Le taux de complica- des carences vitaminiques associées lorsque l’Hb est < 10 g/dL, en alter-
tions global était de 0,9 % sans compli- est nécessaire. L’efficacité du traite- native à la transfusion, ou en cas d’in-
cation sévère observée. Le taux de suc- ment doit être évaluée par un dosage flammation chronique ou pathologies
cès et de complications n’était pas de l’hémoglobine et du bilan martial à affectant l’absorption intestinale
différent selon l’âge [22]. 6 semaines. du fer.

108
Anémie ferriprive : Hb < 12 g/dL(F)/13 g/dL(H),
Ferritine < 75 µg/L

Traitement substitutif par fer oral et/ou IV + évaluation gériatrique globale

1 2 3

EOGD + EOGD + coloscanner


+/– Traitement symptomatique
coloscopie et simple surveillance
rectosigmoïdoscopie

ET COLOPROCTOLOGIE
GASTROENTÉROLOGIE
Cause de saignement identifiée Pas de cause de saignement

Surveillance NFS ferritine


Traitement spécifique
Récidive ou persistance de l’AF

Anémie corrigée
VCE
+ –

Traitement spécifique
Surveillance NFS
(entéroscopie…)
ferrine

Figure 1. Algorythme de prise en charge de l’anémie ferriprive chez le sujet âgé

ferritin index. Arch Intern Med 2002;162(4):


Conclusion Références 445-9.
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5
Les Cinq points forts
L’anémie ferriprive est fréquente chez les personnes âgées. C’est
un facteur indépendant de mortalité.
L’anémie ferriprive peut être révélée par la décompensation d’une
autre pathologie chronique, notamment cardiaque.
Si l’état du patient le permet, après une éventuelle évaluation
gériatrique, une endoscopie digestive haute et basse doit être réalisée.
Après une exploration endoscopique digestive haute et basse négative,
le pronostic est favorable avec un taux de récidive de l’anémie < 30 %
après un traitement par fer. Une surveillance clinico­biologique est
nécessaire.
En absence de correction ou en cas de récidive de l’anémie, une
exploration du grêle par vidéocapsule à la recherche d’angiodysplasies
est recommandée.

110
Questions à choix unique

Question 1
Quel est l’examen biologique le plus pertinent pour le diagnostic d’une carence martiale chez le sujet âgé avec CRP normale ?
❏ A. Fer sérique, ferritine
❏ B. Ferritine,
❏ C. Ferritine, récepteur soluble de la transferrine
❏ D. Ferritine, coefficient de saturation de la transferrine

Question 2

ET COLOPROCTOLOGIE
GASTROENTÉROLOGIE
Quelle est la cause digestive basse la plus fréquente d’anémie ferriprive chez la personne âgée après endoscopie
bidirectionnelle négative ?
❏ A. Diverticulose du grêle étendue
❏ B. Angiodysplasies
❏ C. Maladie de Crohn
❏ D. Maladie cœliaque
❏ E. Tumeur du grêle

Question 3
Quelle est la stratégie de prise en charge la plus pertinente en cas d’anémie ferriprive chez la personne âgée ?
❏ A. Traitement par fer et surveillance
❏ B. Endoscopie digestive haute et surveillance
❏ C. Endoscopie bidirectionnelle si l’état du patient le permet
❏ D. Tomodensidométrie abdominopelvienne

111
Notes

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