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RECHERCHE DE LÉGITIMITÉ
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Karim MESSEGHEM, Sylvie SAMMUT Revue de l’Entrepreneuriat, vol 9, n°1, 2010
Introduction
Les structures d’accompagnement comme les pépinières ont pour mission d’aider le créateur à
construire des relations avec son environnement et ainsi de rompre son isolement. La norme
NFX 50-770 qui définit les missions de ces structures invite à mettre en relation le créateur
avec un réseau de partenaires. Pourtant, les structures d’accompagnement ne parviennent pas
toujours à aider les créateurs à annihiler ce sentiment d’isolement. Rice (2002) montre que le
rôle de certaines structures d’accompagnement se limite à proposer un hébergement et des
facilités. Comment les créateurs parviennent-ils dès lors à rompre leur isolement ?
La thèse que nous défendons dans cet article est que la recherche de légitimé peut constituer
un moyen pour le créateur de sortir de son isolement. La capacité à être reconnue et crédible
est un moyen de renforcer son insertion dans son environnement. La notion d’isolement sou-
vent associée au processus entrepreneurial (Shapero, 1975 ; Léger-Jarniou, 2005 ; Messeghem
et Sammut, 2007) a pourtant rarement fait l’objet d’une conceptualisation. Nous proposons de
combler cette lacune en nous inspirant de l’approche interactionniste. L’étude du processus de
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Cette recherche s’appuie sur une étude qualitative menée auprès d’une pépinière dont la mis-
sion se limite à fournir des facilités. La méthodologie utilisée est celle de l’étude de cas.
Quatre cas sont présentés dans le cadre de cette étude exploratoire. Une analyse de contenu a
été réalisée en tenant compte de la dialogique individu/projet à partir d’une lecture proces-
suelle inspirée des travaux de Gartner. Le positionnement interprétativiste retenu vise à com-
prendre comment la construction de la légitimité permet aux créateurs de s’extraire de leur
situation d’isolement. Le principal résultat de cette recherche est l’élaboration d’une taxono-
mie fondée sur la recherche de légitimité. Ce retour du focus sur l’entrepreneur invite à retenir
une approche contingente de l’accompagnement.
Dans une première partie, nous définirons les notions d’isolement et de légitimité que nous
croiserons avec la notion d’accompagnement. Dans une seconde partie, nous présenterons
notre étude empirique en mettant en évidence les stratégies développées par les créateurs
d’entreprises pour sortir de leur isolement.
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Karim MESSEGHEM, Sylvie SAMMUT Revue de l’Entrepreneuriat, vol 9, n°1, 2010
1995). L’entrepreneur est souvent seul, même lorsqu’il trouve refuge dans des structures
d’accompagnement comme les pépinières d’entreprise. La connaissance de la solitude de
l’entrepreneur mérite d’être approfondie. Nous allons nous inspirer de la sociologie et en par-
ticulier du courant interactionniste pour mieux décrypter ce phénomène. Nous prolongerons la
réflexion en mettant l’accent sur la légitimité qui peut être vue comme un antidote face au
risque d’isolement.
L’entrepreneuriat peut être conceptualisé comme une forme de rupture avec le monde salarial.
Cette coupure s’accompagne parfois pour l’entrepreneur d’un sentiment de solitude. L’image
de l’entrepreneur qui lance son affaire seul dans sa chambre ou dans son garage tend à exa-
cerber ce sentiment de solitude. La littérature en entrepreneuriat a jusqu’à présent peu exploré
ce phénomène.
Les notions d’isolement et de solitude sont utilisées en sociologie pour étudier des groupes
sociaux comme les personnes âgées (Delisle, 1996), les demandeurs d’emploi (Ebersold,
2004). Delisle (1996), s’inspirant de Mayrat (1982), distingue deux formes de solitude :
- « La solitude objective est un fait observable, c’est l’isolement qui est la privation de com-
pagnie humaine, la mise hors du circuit social.
- La solitude subjective est un phénomène du vécu qui échappe à l’observation et au contrôle.
Elle est de l’ordre du sensible. C’est un état d’âme ressenti sur un mode émotionnel. Ce sen-
timent peut être douloureux et angoissant pour la personne qui l’éprouve » (Delisle, 1996,
p. 1).
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Les travaux de Becker (1963) sur la déviance permettent de comprendre ce sentiment. Le pro-
cessus entrepreneurial peut être analysé comme une forme de déviance dans la mesure où il
conduit à s’extraire de la société managériale. Cette interprétation de l’entrepreneuriat est ex-
primée de façon exacerbée dans certains modèles comme celui de Shapero (1975) qui évoque
une logique de déplacement. Le cadre d’analyse de Becker (1963) peut se révéler utile pour
étudier l’engagement entrepreneurial. Ce tenant de l’interactionnisme symbolique a contribué
au développement de la « labeling theory » ou théorie de l’étiquetage (Lacaze, 2008). Dans
cette théorie, la déviance peut être considérée comme une « création sociale », voire une cons-
truction sociale au sens de Berger et Luckmann (1966). Selon Becker (1963, p. 33), « le dé-
viant est celui à qui l’étiquette de déviant a été appliquée avec succès ; le comportement dé-
viant est le comportement que les gens stigmatisent comme tel ».
L’entrepreneuriat peut apparaître comme une forme de déviance par rapport à la situation
commune qui demeure le salariat, tout au moins dans nos sociétés. Le choix de la carrière
d’entrepreneur est souvent représenté comme une rupture, un renoncement. L’entrepreneuriat
exprime de la défiance face à la société managériale. En s’engageant dans la création
d’entreprise, l’entrepreneur décide de s’écarter de l’ordre managérial, de rompre avec la hié-
rarchie. Cette interprétation de l’engagement peut se réaliser en termes de carrière au sens de
Becker (1963) :
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Le statut d’entrepreneur apparaît comme une étiquette qui définit une identité à un moment
donné et qui est le résultat d’un processus. Cette lecture du processus entrepreneurial en
termes d’étiquette peut révéler de l’ambivalence. La stigmatisation de l’entrepreneur est atté-
nuée par le rôle accordé à l’entrepreneuriat dans la dynamique du capitalisme. Il peut se révé-
ler alors utile d’interpréter le comportement entrepreneurial en termes de dialogique.
La condition d’entrepreneur est ambivalente dans la mesure où elle reflète à la fois la réussite
ou l’échec. Le discours et les mesures de soutien à l’entrepreneuriat tendent à réhabiliter le
rôle du créateur d’entreprise. La rhétorique entrepreneuriale contemporaine met en avant la
figure du héros qui a réussi. Cunningham et Lischeron (1991) classent les travaux qui s’y ré-
férent dans le courant du leadership. Le discours sur l’entrepreneuriat met également l’accent
sur le risque d’échec. Il est souvent rappelé qu’une création sur deux ne franchit pas le cap de
la cinquième année. L’entrepreneuriat peut alors être assimilé à une situation de précarité.
Le schéma suivant (figure 1) met en relation les trois dialogiques du processus entrepreneurial
dans une structure d’accompagnement.
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Légitimité
Réussite
+
Mise en relation Reconnaissance
Stigmatisation Isolement
Échec –
Figure 1. Accompagnement et dialogiques entrepreneuriales
La légitimité est une construction sociale qui peut être appréciée en termes de contenu et de
processus.
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La légitimité professionnelle peut être mise en relation avec la notion d’isolement. Ebersold
(2004), dans une étude consacrée à l’insertion des chômeurs, établit un lien entre la rupture de
l’isolement et la recherche de légitimité professionnelle, dans un contexte marqué par la mon-
tée de l’idéologie entrepreneuriale : « en substituant le modèle de l’employabilité à celui de la
carrière, elle disqualifie également la condition salariale en opposant à la figure du salarié
détenteur d’une qualification et d’une qualité spécifique celle de l’individu incertain dont
l’identité se structure autour d’une vision entrepreneuriale du monde social et dont
l’appartenance sociale réside dans l’aptitude à construire et à entretenir par lui-même sa légi-
timité professionnelle et sociale » (Ebersold, 2004, p. 98). La construction de sa légitimité
professionnelle apparaît dès lors comme un moyen de rompre son isolement. Dans le champ
de la création d’entreprise, la légitimité professionnelle est déterminante. Le fait d’être recon-
nu par la profession peut être un moyen d’accéder à des ressources et à des informations ; elle
est donc une condition de survie à court et moyen terme. Cette reconnaissance est très souvent
indispensable pour engager des relations avec d’éventuels clients ou fournisseurs. Les struc-
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La légitimité n’est donc pas acquise une fois pour toutes. Elle est le résultat d’un chemine-
ment plus ou moins long appelé processus de légitimation. Ce processus peut s’apprécier de
façon passive, en termes de conformité, ou de façon plus proactive (Zimmerman et Zeitz,
2002). Tornikoski et Newbert (2007) ont étudié les déterminants de l’émergence organisa-
tionnelle en retenant une perspective en termes de légitimité. Ils distinguent deux logiques,
l’une qualifiée de légitimité de conformité (passive), et l’autre de légitimité stratégique
(proactive). Cette distinction s’appuie sur les quatre axes du modèle du processus entrepre-
neurial de Gartner (1985) : l’individu, l’organisation, l’environnement et le processus. Les
trois premières caractéristiques s’inscrivent dans la logique de légitimité de conformité tandis
que le processus correspondrait à la stratégie de légitimité.
La logique de conformité est en phase avec les premiers enseignements de l’approche socio-
logique néo-institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983). La légitimité apparaît comme un
processus de construction sociale qui fait éclore certaines caractéristiques jugées progressi-
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Dans le modèle de Gartner (1985), le processus constitue la composante qui permet de tenir
compte du caractère dynamique et proactif du développement entrepreneurial. Ces deux di-
mensions s’expriment également en matière de légitimation comme le suggèrent Tornikoski
et Newbert (2007). La stratégie de légitimation peut prendre trois formes : l’improvisation,
l’engagement de ressources et le réseautage. Le comportement d’improvisation consiste à
« agir comme si » (acting as if). Tornikoski et Newbert (2007) le qualifient également de
« management des impressions ». Cette terminologie nous semble davantage appropriée1 dans
la mesure où ce comportement peut être assimilé à « une mise en scène de la vie quoti-
dienne » (Goffman, 1959). Gartner, Bird et Starr (1992) évoquent ce processus de légitima-
tion propre aux organisations émergentes. Ils s’appuient sur la contribution de Weick (1979)
pour montrer que le processus entrepreneurial consiste à rendre des réalités équivoques en
réalités non-équivoques : « in emerging organizations, entrepreneurs offer plausible explana-
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Cette influence possible des organisations sur leur propre légitimité incite à considérer le pro-
cessus de légitimation non comme une causalité simple, sous la forme d’une entreprise sou-
mise à son environnement, mais comme une interaction, une co-construction de sens duquel
la légitimité sera issue (Gabriel, 2006).
Aux perspectives institutionnelles prônant une immersion de l’organisation émergente dans
les us et coutumes environnants, dans les réseaux existants, ou la combinaison ad-hoc de res-
sources pour mieux se fondre, donc être accepté par autrui, nous considérons qu’il est aussi
opportun de s’intéresser à la personnalité et au profil du créateur, ce qui n’est que plus rare-
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ment pris en considération par la littérature depuis l’appel de Gartner (1990). Nous invoquons
en cela le paradigme interactionniste permettant la co-construction de la légitimité au travers
du triptyque environnement – organisation – créateur. Dans les phases de création et de dé-
marrage, la légitimité de l’entreprise créée et de son concepteur sont intimement liées, voire
fusionnelles ; l’action sur l’une se répercute sur l’autre et inversement. Dès lors, recentrer
l’analyse de la légitimité sur le créateur nous a semblé indispensable si l’on souhaite appré-
hender la légitimité dans une perspective globale.
Cette dimension individuelle prend d’autant plus de poids lorsque le créateur ne trouve pas,
dans la structure d’accompagnement qui l’héberge, un surplus de légitimité qu’il était venu
chercher. Dans ce cas précis, la structure faillit dans sa mission d’accompagnement ; cette
situation de passivité peut conduire l’entrepreneur à l’isolement.
Il importe donc de s’interroger sur les stratégies à développer par les créateurs lorsque la pé-
pinière faillit dans sa mission d’accompagnement. L’étude de cas que nous présentons dans la
deuxième partie met en lumière des éléments de réponses.
Nous avons été sollicités par la structure pour mener une étude sur la satisfaction des pen-
sionnaires et sur les mesures à mettre en œuvre pour améliorer l’accompagnement des créa-
teurs. Cet audit a été réalisé en deux temps : en conduisant tout d’abord des entretiens auprès
de créateurs et en administrant ensuite un questionnaire fermé à l’ensemble des membres de la
structure. La présente contribution exposera les résultats de l’étude qualitative. Nous avons
retenu comme méthode l’étude de cas puisque permettant une compréhension de phénomènes
sociaux comme l’entrepreneuriat (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 2003 ; Huberman et Miles, 1994).
Nous explicitons donc ici les démarches déployées dans notre cadre précis d’enquête.
Nous avons, dans un premier temps, effectué un entretien semi-directif avec le dirigeant de la
structure afin d’en connaître les spécificités et la stratégie de développement menée. Une vi-
site du site a été faite, ainsi qu’une analyse des données secondaires concernant les entreprises
hébergées comme la structure (articles de presse, données financières, sites Internet…).
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Dans le cas général d’une analyse qualitative, la construction et le traitement des données mé-
ritent une attention particulière quant à leur exposition de façon à fonder la validité scienti-
fique des résultats d’analyse. Les entretiens d’une durée moyenne d’une heure trente ont porté
sur les thèmes suivants : la nature du projet, le rôle de la pépinière, la nature des réseaux, la
légitimité. Leur enregistrement et leur retranscription nous ont permis de mener une analyse
de contenu (Bardin, 1998). Ces thèmes représentent l’unité de codage adoptée. Selon Allard-
Poesi (2003, p. 252), l’unité de codage « est l’élément en fonction duquel le chercheur va pro-
céder au découpage de ses données et à l’extraction d’unité qui seront classées dans les caté-
gories retenues ». Nous avons travaillé sur des groupes de phrases afin de mieux saisir la
complexité du discours ainsi que le contexte dans lequel il a été prononcé (Allard-Poesi,
Drucker-Godard et Ehlinger, 1999). Ce travail a été fait manuellement par les deux cher-
cheurs. Même si l’utilisation de l’outil informatique aurait pu avoir son utilité, nous considé-
rons que notre présence à chacun des entretiens, et la possibilité de contact renouvelé de nos
interlocuteurs a été une source pertinente de légitimation de notre travail d’analyse des don-
nées. Cela nous a permis de conserver une certaine flexibilité de travail, ce que ne permettent
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pas les CAQDAS (Computer Assisted Qualitative Data Analysis Software) tels que Tropes,
Spad T, Sphinx Lexica, et bien d’autres, et nous a octroyé la possibilité d’opérer des modifi-
cations pertinentes en fonction des analyses préliminaires et des opportunités présentées lors
des entretiens. Nous nous conformons en cela aux principes énoncés par Miles et Huberman
(1994). En outre, ces logiciels d’analyse de contenu ne reconnaissent pas les idées exprimées
dans les phrases prononcées par nos interlocuteurs. Cet argument supplémentaire nous a con-
firmés dans notre choix manuel d’analyse. Le travail de codage étant effectué, nous avons
établi une grille de lecture pour analyser les entretiens. À partir des thèmes énoncés ci-avant,
nous avons établi quatre grandes catégories : l’individu, l’organisation, l’environnement et le
processus. Elles constituent notre dictionnaire des thèmes. Cette catégorisation est conforme
au modèle du processus entrepreneurial proposé par Gartner (1985). L’intérêt de ce modèle
est de tenir compte de la dialogique individu/projet à partir d’une lecture processuelle. Notre
dictionnaire des thèmes répond à notre questionnement de recherche (M’Bengue et Vandan-
geon-Dérumez, 1999) ; il est non seulement composé des codes issus de la littérature mais
aussi de la confirmation du terrain.
Les entretiens ainsi que l’étude quantitative montrent que les créateurs ne sont pas satisfaits
de l’accompagnement proposé par la pépinière. 60 % des créateurs interrogés trouvent que
l’accompagnement n’est pas satisfaisant. Ces derniers expriment, en revanche, un sentiment
d’isolement. Dès lors, quelle stratégie de légitimation mettent-ils en œuvre pour rompre ce
sentiment ? Le paragraphe suivant va nous permettre de présenter chacun des cas et de préci-
ser les logiques d’action retenues pour rompre l’isolement.
Pour présenter nos études de cas, nous allons utiliser le cadre conceptuel de Gartner (1985)
décrivant le phénomène de la création d’entreprises.
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- Individu
K.F. a créé la société MOD à l’âge de 36 ans. Après une expérience dans le domaine com-
mercial chez un distributeur d’accessoires pour cheveux, elle a décidé de lancer sa propre af-
faire. Elle a soumis à son ancien dirigeant le projet de développer une nouvelle ligne
d’accessoires de mode. Le manque d’empressement de ce dernier l’a conduite à se lancer
seule dans cette aventure entrepreneuriale. Elle a repéré l’émergence de ce nouveau marché
qui intéresse les enseignes de prêt-à-porter de moyenne gamme qui trouve un moyen pour être
ancrés dans la mode tout en favorisant les achats supplémentaires.
Prudente et mesurée, elle est très ouverte, sans cesse à la recherche de nouvelles informations.
Elle n’a pas hésité à se lancer dans des formations pour parfaire sa connaissance dans le do-
maine du management. Elle regrette le manque d’accompagnement proposé par la pépinière.
K.F. souffre d’isolement au sein de la structure ; l’argument est répété à maintes reprises,
l’absence d’échanges semble extrêmement frustrante.
- Organisation
Pour éviter des dépenses inutiles, le démarrage de l’activité se fait au domicile de la créatrice
pendant les six premiers mois. Elle fait le choix de la pépinière qui lui met à disposition des
locaux pour assurer son activité. Ce choix est fondé, outre la proximité du domicile de K.F.,
sur le bouche-à-oreille et la disponibilité de locaux. Elle s’entoure rapidement d’un commer-
cial pour l’aider dans son travail de prospection. K.F. se pose la question de l’embauche d’un
créatif pour permettre de gagner en pertinence dans l’offre client.
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K.F. a lancé son affaire dans le domaine de la mode. La société MOD est spécialisée dans la
vente à façon d’accessoires de mode (bijoux fantaisie, bonneterie). Cette activité connaît un
fort dynamisme. Elle propose ses produits à de grandes enseignes de vêtements (Jennifer,
Morgan…). Les accessoires conçus en France sont fabriqués par des sous-traitants en Chine.
Son expérience passée lui a permis de maîtriser le sourcing, savoir-faire reconnu par ses
clients. Pour assurer son développement, MOD privilégie un financement bancaire. Elle
cherche à se conformer le plus possible aux attentes de son partenaire financier en soignant
ses états financiers. Les résultats des deux premiers exercices sont positifs, ce qui conforte sa
légitimé concurrentielle.
- Processus
L’envie de créer était sous-jacente mais souvent refoulée. Le projet de création a été présenté
à l’ancien dirigeant de K.F. Le fait même de présenter le projet à un autre que soi a constitué
le déclic que connaît tout créateur qui « décide de passer à l’acte ».
Pour lancer son affaire, elle a mobilisé ses réseaux amicaux et professionnels qui lui ont four-
ni des informations et conseils indispensables pour déjouer les pièges de la création.
L’intégration dans la pépinière est faible, peu de contacts sont établis ; le processus de déve-
loppement de l’entreprise se poursuit au fil des contacts nouveaux tissés ici où là. Il n’y a pas
de trajectoire préétablie. Suite au développement de l’activité, la recherche d’un partenaire
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financier ne s’est pas faite sans mal. Mais le fait de s’aventurer hors frontières de la pépinière
permet à la créatrice d’ouvrir l’éventail de ses possibles avec notamment un accès à
l’international et la prise en compte de certaines lacunes en termes de management de
l’activité. K.F. cherche alors réconfort auprès d’un organisme de formation : l’IRCE3.
La créatrice est réactive : si elle n’anticipe pas toujours l’événement extérieur ou l’action à
naître, elle est très active dans sa réaction. Son aptitude à trouver rapidement de nouvelles
solutions à l’extérieur de la pépinière démontre une forte capacité d’improvisation.
- Individu
N.A. n’en est pas à sa première expérience de création. C’est un baroudeur solitaire qui, une
fois son diplôme en poche – BTS dans le béton armé –, a parcouru le monde. « J’ai une for-
mation atypique, autodidacte. J’ai fait du business sur trois continents ». N.A. est caractérisé
par une forte efficacité personnelle perçue (perceived self-efficacy).
Le créateur a lancé un bureau d’étude après avoir perçu une opportunité entrepreneuriale dans
le secteur du bâtiment. La société BAT propose des solutions de développement durable dans
le domaine thermique. Si N.A. maîtrise parfaitement le processus entrepreneurial, il n’a ja-
mais dirigé de bureau d’étude. Il mise sur l’expertise de ses partenaires pour s’imposer dans
ce milieu et sur sa capacité à négocier avec des clients ou des financeurs.
- Organisation
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- Environnement
- Processus
La création est poussive. N.A. a dû quitter rapidement la pépinière, ne disposant pas de res-
sources suffisantes alors même que, semble-t-il, il était venu dans ce type de structure pour
bénéficier d’avantages financiers par rapport à une installation hors pépinière. Il n’avait pas
pour autant cherché de soutien au sein de Venture, estimant maîtriser suffisamment le proces-
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sus de création grâce à ses expériences antérieures et considérant que son domaine d’activité
était trop spécialisé. N.A. travaille désormais à son domicile. Le dirigeant essaie de rompre
son isolement en construisant son propre réseau de professionnels qu’il sélectionne notam-
ment en fonction du savoir-faire et des compétences maîtrisées.
Au terme de deux ans de création, N.A. commence à « voir le bout du tunnel », dit-il. Petit à
petit, se crée une légitimité professionnelle dans un milieu maitrisé par des cabinets beaucoup
plus importants. La situation de l’entreprise est déficitaire et elle est suspendue à la capacité
de remporter rapidement de nouveaux marchés. La légitimité de l’entreprise repose sur une
nécessaire mise en réseau de l’entreprise pour contrer les gros concurrents très présents sur le
marché.
- Individus
COM est une société créée par trois amis, spécialisée dans les domaines de l’illustration, de la
création de sites Internet et de l’animation. Deux d’entre eux ont acquis une compétence dans
le domaine de l’illustration au sein de l’école Émile COHL à Lyon. Ils ont travaillé pendant
près de quatre ans pour des sociétés d’animation comme UBI SOFT ANIMATION (TONIC
TROUBLE), PRAXINOS (LES ZOORIGINAUX), CHLOE PRODUCTIONS (TITEUF) et
parallèlement pour l’édition et les agences de publicité. Au cours de cette période, ils se sont
également consacrés à la réalisation d’un court métrage. Les créateurs ont eu besoin de créer
une société pour vendre ce film d’animation. L’opportunité entrepreneuriale poursuivie par
ces trois créateurs est de nature artistique.
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L’organisation de COM est très simple avec un début de spécialisation des rôles. Deux des
créateurs se consacrent à l’activité d’illustration tandis que le troisième prend en charge les
questions administratives, financières et commerciales. L’activité a été lancée en avril 2005
au sein de Venture. Pour les créateurs, il était important d’être dans un contexte professionnel
pour acquérir des réflexes ou un comportement plus professionnel.
- Environnement
COM s’est positionnée dans deux secteurs très dynamiques celui de la réalisation de films
d’animation et celui de la conception de sites Internet. Le premier bénéficie d’une bonne
image. Le succès d’une entreprise comme Pixar aux États-Unis a montré que ce marché était
riche en opportunités entrepreneuriales. D’ailleurs, leur film d’animation a été rapidement
remarqué par des diffuseurs comme TPS. En revanche, la partie Internet de l’activité, depuis
l’éclatement de la bulle du même nom à partir d’avril 2000, bénéficie d’une plus faible légi-
timité. Les entreprises de ce secteur ont dû faire face à une crise de confiance voire de dé-
fiance de la part des investisseurs.
Pour l’instant, COM a un gros client pour lequel elle réalise des animations. Cette situation de
dépendance ne constitue pas un sujet d’inquiétude pour les créateurs. Ils ont démarché des
entreprises chez Venture. La précarité de ces entreprises et/ou leur manque de temps a (ont)
rarement permis de déboucher sur de nouveaux contrats. Les nouveaux clients sont souvent
des entreprises qui ont fréquenté les sites Internet développés par COM et qui sont extérieurs
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à Venture. Leur réseau est peu développé ; il se limite à des relations avec des personnes évo-
luant dans le monde de l’illustration. Ils privilégient ces liens forts dans leur recherche
d’information.
- Processus
Le processus d’émergence organisationnelle s’est réalisé chez l’un des créateurs. Le lance-
ment officiel de l’entreprise a eu lieu chez Venture. Cet engagement au sein d’un technopôle
permettait de renforcer l’image de l’entreprise. Les difficultés financières ont conduit COM à
renoncer aux locaux de la pépinière. Actuellement, l’entreprise est hébergée par l’un des créa-
teurs. Les créateurs ont conservé leur domiciliation au sein de la pépinière dans un souci de
crédibilité. Les relations avec les clients étant le plus souvent de nature électronique, il n’était
pas nécessaire de continuer à supporter la charge financière d’une location.
Les créateurs privilégient une logique de labellisation pour renforcer leur légitimité. Sur le
site Internet, ils mettent en avant leur cursus au sein de l’école Émile COHL qui constitue une
référence dans le monde de l’illustration. Ils se sont engagés dans la promotion de leur court-
métrage dans des festivals à travers leur monde. Ils ont remporté des prix qui contribuent à
renforcer leur légitimité professionnelle.
- Individus
M.S., ancien cadre d’un groupe international de ciment, a repris la société VIP spécialisée
dans les services informatiques et les télécoms à valeur ajoutée. M.S. a acquis une expérience
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- Organisation
VIP comptait une dizaine de salariés avant son dépôt de bilan. Dirigée par de jeunes créateurs
avec des carences dans le domaine du management, la société, déjà présente chez Venture, a
fait face à un marché de l’informatique difficile de 2002 à 2004. Cette société n’est pas parve-
nue à s’extraire de sa situation d’isolement au sein de Venture. La combinaison de ces fac-
teurs a conduit à un dépôt de bilan. M.S. a créé une nouvelle structure en ne conservant que
deux salariés. Depuis, le repreneur a recruté cinq autres personnes, avec une priorité donnée à
l’activité commerciale. VIP comprend deux ingénieurs commerciaux et une assistante com-
merciale. M.S. se charge de la partie administrative et participe également à la prospection de
nouveaux clients. Les techniciens bénéficient notamment des certifications Microsoft et HP.
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- Environnement
VIP évolue dans le secteur de l’informatique qui a connu une crise de confiance, au début des
années 2000, comme nous l’avons déjà souligné pour COM. M.S. a choisi un secteur dans
lequel les investisseurs financiers sont réservés.
- Processus
Si VIP n’est pas une création ex nihilo, on peut toutefois concevoir la reprise comme un pro-
cessus entrepreneurial. L’accent a été mis dans la construction de nouvelles relations. M.S. a
établi des relations privilégiées avec le responsable de la structure. Cela lui a permis de com-
mercialiser sa solution mais aussi de la présenter auprès des autres créateurs. M.S. a dévelop-
pé des relations à l’extérieur de Venture en s’inscrivant dans le réseau Alizé qui est un réseau
associant l’État et de grandes entreprises qui visent au niveau local à rapprocher les entre-
prises en phase de création d’organisations existantes. M.S. a ainsi été parrainé par une entre-
prise appartenant à ce réseau et a bénéficié de conseils dans le domaine commercial. Ce ré-
seau constitue également une source de financement. Le renforcement de la compétence
commerciale ainsi que les compétences managériales de M.S. ont permis à la nouvelle struc-
ture d’atteindre rapidement le seuil de rentabilité.
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2.3. Discussion
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La société MOD est caractérisée à la fois par une forte légitimité concurrentielle et profes-
sionnelle. La créatrice fait preuve d’un fort degré d’ouverture sur l’environnement. Nous qua-
lifierons ce type d’entrepreneur de réceptif. Pour MOD, l’improvisation, la réactivité et
l’adaptabilité sont les maîtres mots du développement. K.F. développe des stratégies incré-
mentales en fonction de l’évolution de son marché et de sa propre créativité dans la produc-
tion d’accessoires de mode. Il s’agit, en fonction des caractéristiques organisationnelles et
environnementales de trouver les configurations les plus performantes pour permettre à
l’entreprise de trouver un rythme de croisière. La souffrance due à l’isolement est tellement
patente que K.F. comprend qu’il lui appartient de sortir de sa solitude en sollicitant des parte-
naires extérieurs tant au plan de l’accès à la formation qu’à celui de l’activité économique. La
sortie de l’isolement se fait prioritairement par l’adoption d’une logique d’improvisation (Ba-
ker, Miner et Eesley, 2003 ; Garud et Karnoe, 2003 ; Hmieleski et Corbett, 2006). Ce proces-
sus, décrit par Cunha, Kamoche et Cunha (2003), est orienté vers la recherche d’opportunités
inattendues et la neutralisation de menaces imprévues.
Les mauvais résultats financiers de la société BAT confèrent une faible légitimité concurren-
tielle à N.A. Le fait d’être présent sur un marché prometteur ne compense pas pour autant son
absence d’expérience. L’isolement du créateur tient moins à la carence de la pépinière qu’à sa
faible intégration professionnelle. N.A. souffre d’une faible légitimité professionnelle. Nous
pouvons qualifier ce profil de créateur de marginal. Pour BAT, rentrer dans la pépinière
n’était qu’un moyen de permettre un démarrage d’activité à un coût abordable. Le nœud stra-
tégique de la création ne se trouve pas tant, selon N.A., dans l’accompagnement que dans la
création d’une équipe dans et hors de l’organisation (réseau) qu’il faut constituer. Il s’agit de
trouver les personnes idoines ayant la formation et les compétences suffisantes pour permettre
à l’entreprise de compenser sa faible expérience. Pour rompre son isolement, N.A. s’engage
dans une stratégie de légitimité fondée sur une activité de réseautage, activité essentielle en
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Si la société COM est reconnue dans son secteur d’activité, elle a toutefois du mal à devenir
rentable. Les trois créateurs que nous qualifierons d’artistes, concilient une forte légitimité
professionnelle avec une faible légitimité concurrentielle. COM a choisi de développer son
activité au sein de la structure d’accompagnement pour renforcer la crédibilité de son projet
auprès de ses parties prenantes. Elle s’inscrit dans une logique de labellisation qui peut être
rapprochée de la logique de certification décrite par Rao (1994). Cette légitimité de conformi-
té vis-à-vis de l’environnement se traduit par exemple par une recherche de prix auprès des
milieux professionnels. Elle ne semble toutefois pas suffisante pour rompre l’isolement de
COM.
VIP constitue un nouvel entrant dans le secteur de la voix sur IP. Il a connu en quelques an-
nées trois secteurs d’activités au gré de ses expériences professionnelles. Nous qualifierons ce
créateur de surfeur. Parmi les trois activités de légitimation évoquées par Tornikoski et New-
bert (2007), on peut noter que le réseautage a joué un rôle déterminant. Pour construire sa
légitimité professionnelle, il a décidé de s’appuyer sur des partenaires reconnus. M.S. met en
avant le partenariat noué avec B3G, leader européen de la téléphonie sur IP. Zimmerman et
Zeitz (2002) évoquent cette logique d’adossement, sur un réseau ou une entreprise établie, en
utilisant le terme de « piggyback ». Pour ces auteurs, le portage améliore la légitimité norma-
tive sociopolitique. Nous pouvons qualifier cette stratégie de légitimité de stratégie de por-
tage. Il la combine avec une légitimité de conformité en insistant sur la certification de ses
collaborateurs et sur l’expérience du créateur en tant que cadre dirigeant d’un groupe interna-
tional.
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L’analyse des cas permet de mettre en exergue quatre idéaux types d’entrepreneurs qui se
différencient dans leur quête de légitimité. Le tableau 2 résume leurs principales caractéris-
tiques et précisent les stratégies mises en œuvre pour rompre leur isolement.
Légitimité concurrentielle
Faible Forte
Les artistes Les réceptifs
Les formes de légitimité concurrentielle et professionnelle sont apparues dans cette étude
comme des variables discriminantes. Cette typologie prolonge celle introduite par Marches-
nay (1998) et l’approfondit en lui donnant un ancrage théorique fort dans le courant sociolo-
gique néo-institutionnel. La légitimité professionnelle a pour la première fois été introduite
dans le champ de l’entrepreneuriat alors qu’elle est très présente dans la sociologie des pro-
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Conclusion
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être contingente et mise en perspective avec le profil du créateur. Cette recherche marque un
retour vers un champ délaissé depuis une vingtaine d’années, l’entrepreneur. Nous considé-
rons que la construction de typologies et de taxonomies ne s’opposent à une lecture proces-
suelle du phénomène entrepreneurial. Elles permettent au contraire de retenir une vision plu-
rielle et contingente du processus entrepreneurial.
Le second apport théorique tient à la mise en évidence d’un phénomène peu exploré jusqu’à
présent l’isolement. La sociologie et en particulier le courant interactionniste proposent une
grille de lecture qui peut se révéler féconde en entrepreneuriat. Elle permet de représenter le
phénomène entrepreneurial sous forme de dialogiques et ainsi de mieux cerner sa complexité.
L’isolement du créateur et son sentiment de solitude sont une réalité qui peut être exacerbée
dans des formes particulières d’entrepreneuriat comme dans le cas de la micro entreprise ou
de l’auto-entrepreneuriat. Le sentiment de solitude du créateur peut être un facteur source de
tension voire de troubles psychologiques et peut de ce fait avoir un impact négatif sur la per-
formance de la structure émergente. Nous avons défendu la thèse selon laquelle la recherche
de légitimité est un moyen de réduire l’isolement du créateur. Si l’étude du processus de légi-
timation fait l’objet d’un intérêt grandissant dans le champ de l’entrepreneuriat, nous appelons
à ce que de nouveaux travaux soient engagés pour améliorer la compréhension du phénomène
d’isolement en phase de création.
Cette étude qui s’est centrée sur quatre cas, mérite d’être étendue en élargissant le nombre de
créateurs interrogés et le nombre de structures. Ces premières investigations ont été prolon-
gées à partir d’une étude quantitative. Un questionnaire fermé a été administré auprès de
l’ensemble des créateurs de la pépinière. L’analyse taxonomique réalisée valide la typologie
de créateurs fondée sur la recherche de légitimité. La question de l’isolement mérite égale-
ment d’être approfondie. Dans quelle mesure les structures d’accompagnement contribuent-
elles à rompre ou à renforcer la solitude du créateur ?
Notes
1. Le concept d’improvisation utilisée dans le champ de l’entrepreneuriat comprend trois dimensions : le brico-
lage et la créativité, la capacité à faire face aux pressions de l’environnement et la spontanéité (Hmieleski et
Corbett, 2006).
2. Les entreprises d’un même âge n’évoluent pas forcément au même rythme. Certaines ont une croissance chao-
tique alors que d’autres connaissent un scénario plus harmonieux et progressif.
3. IRCE : Institut Régional pour la Création et le développement des Entreprises.
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