Vous êtes sur la page 1sur 9

Commentaires d’arrêts corrigés

CE, 3 mars 2010, Département de la Corrèze

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juin et 26 septembre 2007 au


secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le DEPARTEMENT DE LA CORREZE, représenté par
le président de son conseil général ; le département demande au Conseil d’Etat :1°) d’annuler l’arrêt du 24 avril
2007 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de
Limoges du 8 avril 2004 et la délibération du 17 novembre 2000 par laquelle la commission permanente du
conseil général de la Corrèze a rejeté l’offre de la société Infocom Service pour la passation de la délégation de
service public ayant pour objet la téléassistance organisée par le département et a attribué cette délégation au
groupement “Ansee / Présence 19” ;2°) de mettre la somme de 5 500 euros à la charge de la société Infocom
Service au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;Vu les autres pièces du
dossier ;Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 février 2010, présentée pour la société Infocom Service ; Vu le
code de commerce ;Vu le code de justice administrative ;Après avoir entendu en séance publique :- le rapport
de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, Auditeur, – les observations de la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat du
DEPARTEMENT DE LA CORREZE et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la société Infocom Service, –
les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP
Thouin-Palat, Boucard, avocat du DEPARTEMENT DE LA CORREZE et à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat
de la société Infocom Service ; Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par
délibération du 23 juin 2000, le DEPARTEMENT DE LA CORREZE a décidé de mettre en place un dispositif
départemental de téléassistance afin de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et handicapées ;
que, par un avis d’appel public à candidatures publié le 26 juin 2000, il a engagé à cette fin une procédure de
mise en concurrence en vue de la passation d’une délégation de service public ; que la société Infocom Service,
candidate dont l’offre a été écartée, a saisi le tribunal administratif de Limoges d’un recours pour excès de
pouvoir contre la délibération du 17 novembre 2000 par laquelle la commission permanente du conseil général
a rejeté son offre et attribué cette délégation au groupement “Ansee / Présence 19″ ; que, par l’arrêt attaqué
du 24 avril 2007, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement du 8 avril 2004 par lequel le
tribunal administratif de Limoges avait rejeté la demande de la société Infocom Service, ainsi que la
délibération litigieuse ; Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Infocom service :Considérant qu’il
ressort de la délibération du 5 juillet 2007 de la commission permanente du conseil général de la Corrèze que le
président du conseil général est dûment habilité à se pourvoir en cassation contre l’arrêt de la cour
administrative de Bordeaux du 24 avril 2007 ; qu’ainsi la fin de non-recevoir soulevée par la société Infocom
Service doit être écartée ; Sur la régularité de l’arrêt attaqué, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens du pourvoi :Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société
Infocom Service n’avait pas soulevé avant la clôture de l’instruction le moyen, qui n’est pas d’ordre public, tiré
de ce que les critères de choix retenus par l’autorité délégante ne correspondraient pas à la hiérarchisation des
critères publiés dans l’avis d’appel public à la concurrence ; que, dès lors, la cour a entaché son arrêt
d’irrégularité en retenant ce moyen ; que le DEPARTEMENT DE LA CORREZE est, par suite, fondé à en demander
l’annulation ; Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2
du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;Considérant qu’aux termes de l’article L. 1411-1
du code général des collectivités territoriales : ” Une délégation de service public est un contrat par lequel une
personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un
délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du
service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au
service. / Les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent code sont
soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres
concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d’Etat. Les garanties professionnelles sont
appréciées notamment dans la personne des associés et au vu des garanties professionnelles réunies en son
sein. Les sociétés en cours de constitution ou nouvellement créées peuvent être admises à présenter une offre
dans les mêmes conditions que les sociétés existantes. /La commission mentionnée à l’article L. 1411-5 dresse
la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et
financières, de leur respect de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à
L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers
devant le service public. /La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les
caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s’il y a lieu, les conditions de tarification
du service rendu à l’usager. /Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité responsable de
la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire. ” ;Considérant que les
personnes publiques sont chargées d’assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service
public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique ; qu’en outre, si
elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne
peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l’industrie que du droit de
la concurrence ; qu’à cet égard, pour intervenir sur un marché, elles doivent, non seulement agir dans la limite
de leurs compétences, mais également justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la
carence de l’initiative privée ; qu’une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se
réaliser suivant des modalités telles qu’en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette
personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu
de la concurrence sur celui-ci ;Sur la création du service public local de téléassistance aux personnes âgées et
handicapées :Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le service de téléassistance aux personnes
âgées et handicapées créé par le DEPARTEMENT DE LA CORREZE, dans le cadre de son action en matière d’aide
sociale, a pour objet de permettre à toutes les personnes âgées ou dépendantes du département,
indépendamment de leurs ressources, de pouvoir bénéficier d’une téléassistance pour faciliter leur maintien à
domicile ; que ce service consiste, d’une part, à mettre à disposition de l’usager un matériel de transmission
relié à une centrale de réception des appels, fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur
sept, chargée d’identifier le problème rencontré par l’usager et d’apporter une réponse par la mise en oeuvre
immédiate d’une intervention adaptée à son besoin, grâce à un réseau de solidarité composé de personnes
choisies par l’usager, à un service médical, social ou spécialisé et aux dispositifs locaux existants, tels que les
instances de coordination gérontologique, les plates-formes de service, le service de soins infirmiers à domicile
pour personnes âgées, d’autre part, à intervenir au besoin au domicile de l’usager dans les vingt-quatre heures
suivant l’appel de l’usager ou moins, selon l’urgence ; que le délégataire, tenu d’organiser localement le
service, doit envisager, en fonction de la montée en charge du dispositif, l’installation d’une agence locale dans
le département ; que, pour le financement de ce service, le DEPARTEMENT DE LA CORREZE intervient en
réduction du coût réel de la prestation pour les usagers ; qu’ainsi, même si des sociétés privées offrent des
prestations de téléassistance, la création de ce service, ouvert à toutes les personnes âgées ou dépendantes du
département, indépendamment de leurs ressources, satisfait aux besoins de la population et répond à un
intérêt public local ; que, par suite, cette création n’a pas porté une atteinte illégale au principe de liberté du
commerce et de l’industrie ; qu’il suit de là que le moyen tiré de l’illégalité de la délibération du 23 juin 2000
qui a crée ce service, et sur le fondement de laquelle la procédure de délégation litigieuse a été engagée, doit
être écarté ;Sur le choix du délégataire :Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la
délibération attaquée ait pour effet de permettre au délégataire retenu, le groupement “Ansee / Présence 19”,
d’abuser d’une position dominante, en méconnaissance du droit de la concurrence ; qu’il n’en ressort pas
davantage que le choix de lui confier ce service reposerait sur une erreur manifeste d’appréciation ;Sur les
autres moyens dirigés contre la délibération litigieuse : Considérant qu’il n’est pas établi que les candidats
n’auraient pas été admis à présenter une offre au regard de leur aptitude à assurer la continuité du service
public et l’égalité des usagers devant le service public ; qu’il ressort des pièces du dossier que le département a
rendu publics les critères de sélection des offres et n’a pas rejeté l’offre de la société Infocom Service en se
fondant sur d’autres critères ; Considérant que l’avis d’appel public à concurrence a dressé la liste des critères
de sélection des offres sans les hiérarchiser ; que dès lors, le moyen tiré de ce que le département n’aurait pas
respecté la hiérarchisation des critères rendus publics ne peut qu’être écarté ;Considérant qu’il résulte de tout
ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de sa demande de première
instance, la société Infocom Service n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de
Limoges a rejeté sa demande ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être rejetées ; Considérant qu’il n’y pas a lieu, dans les
circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le DEPARTEMENT DE LA CORREZE au
titre des mêmes dispositions ;D E C I D E :————–Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de
Bordeaux du 24 avril 2007 est annulé.Article 2 : La requête présentée par la société Infocom Service devant la
cour administrative d’appel de Bordeaux et ses conclusions présentées devant le Conseil d’Etat au titre des
dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.Article 3 : Le surplus des
conclusions du DEPARTEMENT DE LA CORREZE est rejeté. Article 4 : La présente décision sera notifiée au
DEPARTEMENT DE LA CORREZE et à la société Infocom Service.
Commentaire :

Dès le 30 mai 1930, le juge administratif a limité l’initiative publique dans le secteur concurrentiel que « si en
raison de circonstances particulières de temps ou de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en cette
matière », conformément à un arrêt chambre syndicale de commerce en détail de Nevers.

L’affaire qui nous concerne fait état de cette question de l’interdiction d’une intervention publique
économique.

En l’espèce, le département de la Corrèze a décidé de mettre en place un dispositif départemental de


téléassistance afin de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et handicapées. A cette fin, la
passation d’une délégation de service public (ci-après « DSP ») a été mise en œuvre.

A cet égard, une société dont l’offre a été écartée, a saisi le tribunal administratif de Limoges aux fins de
demander l’annulation de la délibération du département qui a rejeté son offre et qui a attribué la DSP à une
autre société. Le tribunal a rejeté la demande d’annulation, la société requérante interjette donc appel. La cour
administrative d’appel de Bordeaux annule le jugement, amenant le département de la Corrèze à se pourvoir
en cassation.

Devant le Conseil d’Etat, la société requérante estime, que le département de la Corrèze en créant un service
public de téléassistance a porté atteinte au principe de liberté de commerce et d’industrie. Par ailleurs, selon la
société écartée, la délibération en choisissant le délégataire a eu pour effet à cette société d’abuser d’une
position dominante et par conséquence a méconnu le droit de la concurrence. Enfin, le département n’aurait
pas rendu les critères de sélection de la DSP publics.

Répondant à ces moyens, le Conseil d’Etat considère que la délibération n’a pas eu pour effet de mettre le
délégataire dans une situation d’abus de position dominante et que le département a bien publié les critères
de sélection. Toutefois, ce qui nous intéresse dans cette décision, est la question de l’intervention du
département dans le secteur économique privé. Notons cependant dès à présent que le présent commentaire
ne traitera pas de l’ensemble des questions pouvant porter atteinte au droit de la concurrence (comme par
exemple le fait pour une personne publique de candidater à un contrat public comme des DSP.

Nous nous limiterons à l’intervention publique économique par la création de services publics). A cet effet, le
Conseil d’Etat rappelle les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives aux délégations
de service public, notamment leur définition. Puis le Conseil d’Etat indique que les personnes publiques sont
chargées d’assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont
investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique. Si elles entendent prendre en charge
une activité économique, elles ne peuvent le faire que dans le respect de la liberté de commerce et d’industrie
et du droit de la concurrence. Pour intervenir sur un marché, elles doivent agir dans la limite de leurs
compétences et justifier d’un intérêt public qui peut résulter de la carence de l’initiative privée. Si dans son
principe, une telle intervention est possible, elle doit s’effectuer selon des modalités telles qu’en raison de la
situation particulière dans laquelle se trouve la personne publique, elle ne fausse pas le jeu de la concurrence.
Le juge applique son raisonnement en l’espèce et considère que la création d’un service public de
téléassistance ne porte pas atteinte à la liberté de commerce et d’industrie.

A la lecture de cette décision, on comprend que le juge administratif a une vision souple de l’intervention
publique dans le domaine économique. Par conséquent, on peut se demander si l’interdiction pour une
personne publique d’intervenir en lieu et place d’une entreprise est réellement effective. Pour répondre à cette
question, nous verrons dans un premier temps que l’interdiction si elle est formelle (I) n’en a pas moins été
assouplie par le juge administratif (II).

I. L’interdiction formelle de l’intervention publique dans le secteur économique

La jurisprudence a posé une interdiction de principe (A) d’intervention publique dans l’économie qui s’apprécie
de diverses manières (B).
A. Une interdiction de principe

 Rappel de l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 mai 1930, chambre syndicale de commerce en détail de
Nevers : les entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à
l’initiative privée et les conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises de cette nature en
services publics que si, en raison de circonstances particulières de temps ou de lieu un intérêt public
justifie leur intervention en cette matière.
 L’intervention publique est donc une exception : voir CAA Paris, 18 mai 2006, Territoire de la Polynésie
française : « cette intervention [publique] ne peut au surplus que revêtir un caractère exceptionnel ».
 L’intervention publique, si elle n’est pas justifiée par des circonstances particulières est illégale. Dans
l’arrêt chambre syndicale de commerce en détail de Nevers, aucune circonstance particulière ne
justifiait la création à Nevers en 1923 et le maintien au cours des années suivantes d’un service
municipal de ravitaillement. Les délibérations ayant organisé un tel service public sont nulles.
 Reprise de cette interdiction dans CE, 31 mai 2006, ordre des avocats au barreau de Paris :
« Considérant que les personnes publiques sont chargées d’assurer les activités nécessaires à la
réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de
prérogatives de puissance publique ; qu’en outre, si elles entendent, indépendamment de ces
missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le
respect tant de la liberté du commerce et de l’industrie que du droit de la concurrence ; qu’à cet
égard, pour intervenir sur un marché, elles doivent, non seulement agir dans la limite de leurs
compétences, mais également justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la
carence de l’initiative privée ; qu’une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas
se réaliser suivant des modalités telles qu’en raison de la situation particulière dans laquelle se
trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché,
elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci ».
 L’interdiction est formelle puisque l’intervention ne doit pas fausser la libre concurrence.

B. Une interdiction diversifiée

 Le cas de l’intervention dans le service public commercial : CE, 30 mai 1930, chambre syndicale de
commerce en détail de Nevers
 L’intervention institutionnelle et les contrats publics concurrençant les avocats : CE, 31 mai 2006,
ordre des avocats au barreau de Paris
 Création de sociétés d’économie mixte : CAA Paris, 18 mai 2006, Territoire de la Polynésie française et
CAA Paris, 15 décembre 2008, Société Transiles.

On le voit, l’intervention pour une personne publique sur un marché économique est en principe interdite.
Pourtant, cette interdiction connaît de nombreux assouplissements.

II. L’assouplissement jurisprudentiel de l’interdiction

Alors qu’il semble exister une interdiction de principe, en réalité celle-ci a été assouplie tant dans les critères
justifiant l’intervention publique (A) que dans les finalités justifiant l’intervention publique (B).

A. L’assouplissement des critères

 CE, 30 mai 1930, chambre syndicale de commerce en détail de Nevers : les conseils municipaux ne
peuvent ériger des entreprises de cette nature en services publics que si, en raison de circonstances
particulières de temps ou de lieu un intérêt public justifie leur intervention en cette matière.
 CE, 31 mai 2006, ordre des avocats au barreau de Paris : « qu’en outre, si elles entendent,
indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent
légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l’industrie que du droit de
la concurrence ; qu’à cet égard, pour intervenir sur un marché, elles doivent, non seulement agir dans
la limite de leurs compétences, mais également justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter
notamment de la carence de l’initiative privée » donc auparavant : il fallait des circonstances
particulières de temps ou de lieu. Désormais, il peut s’agir de la carence de l’initiative privée.
 Souligner le mot « notamment » qui implique que d’autres justifications peuvent permettre aux
personnes publiques d’intervenir dans l’économie.

B. L’assouplissement des finalités

 Le juge cherche toujours à savoir s’il y a bien une vraie carence de l’initiative privée pour justifier de
l’intervention économique.
 Ainsi, sont annulées les décisions de créer un service public du commerce (cf. Chambre de Nevers), la
création de SEM (cf. CAA Paris, 18 mai 2006 : « qu’en l’absence de précisions permettant d’apprécier
la nécessité de la poursuite de l’exploitation de ladite société et les diverses solutions lui permettant
de retrouver une structure financière plus appropriée, le Territoire ne justifie pas des
circonstances exceptionnelles pouvant faire regarder le soutien apporté à ladite société commerciale
comme répondant à un intérêt public suffisant »).
 Or, en l’espèce, il existe déjà des services de téléassistance et pourtant le juge administratif ne
considère pas que l’intervention publique soit illégale.
Commentaire d’arrêt – CE, 1er avril 1988, Bereciartua-Echarri, n° 85234

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 19 février 1987 et 3 mars 1987 au
secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés par M. José-Maria X…, demeurant à la maison d’arrêt
de Poitiers (86000), et tendant à ce que le Conseil d’Etat :

1) annule pour excès de pouvoir le décret du 30 janvier 1987 accordant son extradition au gouvernement
espagnol,

2) ordonne qu’il sera sursis à l’exécution de ce décret ;

Vu les autres pièces du dossier ;Vu la Constitution ;Vu la loi du 10 mars 1927 ;Vu la convention de Genève du 28
juillet 1951, relative au statut des réfugiés, et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;Vu la
convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ;Vu la loi du 11 juillet 1979 ;Vu l’ordonnance du 31
juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;Vu la loi du 30 décembre 1977 ;

Après avoir entendu :

– le rapport de M. Mallet, Auditeur,- les observations de la S.C.P. Lesourd, Baudin, avocat de M. X…,- les
conclusions de M. Vigouroux, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :Considérant qu’aux termes de l’article 1er A
°2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugié, la qualité de réfugié est reconnue à :
“toute personne … qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du
pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de
son pays” ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date à laquelle a été pris le décret accordant aux
autorités espagnoles l’extradition de M. X…, ressortissant espagnol d’origine basque, pour des faits intervenus
entre février 1979 et juin 1981, le requérant bénéficiait de la qualité de réfugié en vertu d’une décision du 21
juin 1973, maintenue par une décision du 30 juillet 1984 de la commission des recours des réfugiés, non
contestée par le directeur de l’office français de protection des réfugiés et apatrides et devenue définitive ;

Considérant que les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment de la définition
précitée de la Convention de Genève, font obstacle à ce qu’un réfugié soit remis, de quelque manière que ce
soit, par un Etat qui lui reconnaît cette qualité, aux autorités de son pays d’origine, sous la seule réserve des
exceptions prévues pour des motifs de sécurité nationale par ladite convention ; qu’en l’espèce, le Garde des
sceaux, ministre de la justice n’invoque aucun de ces motifs ; qu’ainsi, et alors qu’il appartenait au
gouvernement, s’il s’y croyait fondé, de demander à l’office français de protection des réfugiés et apatrides, de
cesser de reconnaître la qualité de réfugié à M. X…, le statut de ce dernier faisait obstacle à ce que le
gouvernement pût légalement décider de le livrer, sur leur demande, aux autorités espagnoles ; que le décret
attaqué est dès lors entaché d’excès de pouvoir ;

Article 1er : Le décret du 30 janvier 1987 est annulé.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X…, au Garde des sceaux, ministre de la justice, et au Premier
ministre.
[Accroche de présentation] Cet arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 1er avril 1988 traite des questions de
hiérarchie des normes et notamment des PGD qui priment sur les actes administratifs.

[Faits] En l’espèce, M. X. est un ressortissant espagnol. Il demeure dans une maison d’arrêt suite à des faits de
terrorisme. L’Espagne souhaite l’extradition de M. X. pour le juger. La France a pris un décret en date du 30
janvier 1987 afin d’autoriser cette extradition vers l’Espagne. M. X. s’y oppose.

[Procédure] Saisissant le Conseil d’Etat (ici compétent en 1er et dernier ressort) du décret du 30 janvier 1987,
M. X. exerce un recours pour excès de pouvoir afin de demander l’annulation de ce décret.

[Moyens] M. X. estime en effet qu’il ne peut pas être extradé car il relève du statut de réfugié. Or, à ce titre, il
invoque la Convention de Genève qui selon lui le protège d’une extradition vers l’Espagne. Par conséquent,
selon M. X. le décret du 30 janvier 1987 autorisant son extradition est contraire à la Convention de Genève. Le
décret ne peut donc pas s’appliquer. A l’inverse, on suppose à bon droit que l’Etat français, à travers son
Ministre de la justice, considère que ce décret n’est pas contraire à la Convention de Genève.

[Motifs] Le Conseil d’Etat dans son arrêt annule le décret du 30 janvier 1987, aux motifs qu’une personne ayant
le statut de réfugié ne peut pas être remis à un Etat qui demande l’extradition.

[Problème de droit si l’on avait une fiche d’arrêt « un décret autorisant l’extradition d’un ressortissant espagnol
bénéficiant du statut de réfugié est-il conforme à la Convention de Genève sur les réfugiés ? » distinct de la
problématique plus globale du commentaire qui est la suivante] On peut alors se demander, puisqu’en l’espèce
le PGD vient au soutien du statut de réfugié, jusqu’où un PGD dégagé par le juge administratif est protecteur ?

[Annonce du plan] Pour répondre à cette question, nous verrons que le PGD est certes une norme protectrice
(I) mais que cette norme comporte toutefois des limites (II).

I. Le PGD, une norme protectrice des réfugiés

Le PGD est une norme traditionnelle dégagée par le juge administratif (A) qu’il a en l’espèce traduit en droit en
droit des réfugiés (B).

A. Une norme traditionnelle dégagée par le juge administratif

Comme le rappellent les auteurs du Dictionnaire de droit administratif (voir les extraits dans la fiche de TD), un
principe général du droit est un princide de droit non écrit, et dont le juge administratif constate l’existence
puis en impose le respect aux autorités administratives. Ces principes existent même sans texte (CE, 1945,
Aramu). Ces principes très divers (les droits de la défense, Dame Veuve Trompier Gravier 1944 ; l’existence du
REP, Dame Lamotte 1950 ; l’absence de droits acquis suite à une fraude, Société France TV Diversité 2016, ou
l’égalité du service public, Société des concerts du conservatoire 1951) ont tous été consacré comme PGD par
le juge administratif.

Ces PGD ont pour fonction de protéger les libertés fondamentales.

Or, il arrive que le pouvoir réglementaire puisse porter atteinte à ces libertés, sans que la loi ne vienne dire si
ces droits sont ou non protégés. Par conséquent, il revient au juge administratif, protecteur des libertés
fondamentales, de découvrir, dégager des PGD afin de soumettre le pouvoir administratif à des principes
protecteurs. Ainsi, les PGD s’imposent au bloc d’administrativité car ils sont supra-réglementaires (CE, 1959,
Ingénieurs-Conseils).

En l’espèce, on comprend parfaitement que le PGD dégagé par le Conseil d’Etat a pour fonction de protéger les
personnes bénéficiant du statut de réfugié. Or, comme le constate le juge, en l’espèce, M. X. est bien réfugié
(décision de 1973 lui octroyant ce statut, décision maintenue par une autre décision de 1984).

B. Une norme contribuant à la protection des réfugiés


Le Conseil d’Etat doit vérifier si oui ou non le décret d’extradition est conforme à la Convention de Genève
(contrôle de conventionnalité des actes administratifs, CE, Dame Kirkwood, 1952). Rappelant les dispositions
utiles de cette convention (« le statut de réfugié est reconnu à : toute personne qui, craignant avec raison
d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe
social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait
de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de son pays »), il constate que la convention et décret
litigieux s’appliquent à M. X. qui bénéficie du statut de réfugié.

Mais rien n’indique dans la convention les règles et principes relatifs aux extraditions. Partant, le Conseil d’Etat
dégage en l’espèce un principe général du droit qui s’applique spécifiquement aux réfugiés. Selon ce nouveau
PGD, il est fait obstacle à ce qu’un réfugié soit remis, de quelque manière que ce soit, par un Etat qui lui
reconnaît cette qualité, aux autorités de son pays d’origine.

Dès lors, quid du décret de 1987 qui autorise l’extradition d’un réfugié ? Naturellement, au regard de ce PGD, le
décret est finalement jugé contraire et doit donc être annulé. En effet, de par sa nature supra-réglementaire, le
gouvernement ne pouvait finalement pas prendre un tel décret au regard de ce PGD. Selon le Conseil d’Etat,
pour prendre ce décret, le gouvernement aurait dû préalablement demandé à l’OFPRA de réviser ce statut de
réfugié avant de prendre le décret d’extradition.

Cette protection liée au statut de réfugié a été étendue à toute personne (quel que soit son statut) soumise à
extradition dans un but politique grâce à un PRFLR (CE, 1996, Koné, et pour une application plus récente voir
CE, 9 décembre 2016). Cette interdiction d’extrader dans un but politique avait déjà été reconnu comme un
PGD depuis un arrêt du CE de 1980, Gabor Winter.

Mais si en l’espèce, depuis son arrêt de 1988, le statut de réfugié protège de toute extradition conformément
au PGD dégagé, cela n’emporte pas une immunité totale et ce PGD comporte aussi des limites.

II. Le PGD, une norme comportant des limites

Le PGD, bien qu’il soit supra-réglementaire, comporte en droit des réfugiés des limites reconnues par le juge
administratif (A) ainsi que des limites inhérentes à sa nature de PGD (B).

A. Les limites du PGD protégeant les réfugiés

Le Conseil d’Etat, s’il dégage un PGD protégeant le statut de réfugié, y apporte aussi des limites.

En effet, des exceptions viennent tempérer le fait que le gouvernement français ne peut pas extrader une
personne ayant le statut de réfugié. L’extradition est possible pour des motifs de sécurité nationale.

Ainsi, en cas de motifs de sécurité, une personne pourra être extradée, même si elle bénéficie du statut de
réfugié. Si la personne pouvait menacer la sécurité de la France, alors elle serait extradée.

Par ailleurs, ce PGD s’applique exclusivement aux personnes ayant le statut de réfugié car le juge précise bien
qu’il s’agit du PGD du droit des réfugiés dans cet arrêt commenté de 1988. Ainsi, si on est apatride, ni la
convention de New-York relative au statut des apatrides du 28 septembre 1954, ni aucun principe général du
droit de l’extradition ne fait obstacle à l’extradition d’un apatride (CE, 11 juin 2010).

Outre les limites de ce PGD, qui ne concerne que les réfugiés, de par sa nature, de PGD comporte de
nombreuses limitantes inhérentes à ladite nature.

B. Les limites inhérente à tout PGD : la hiérarchie des normes

Le PGD s’insère très précisément dans la hiérarchie des normes entre le bloc de légalité et le bloc
d’administrativité. Ainsi, un PGD s’applique à tout acte administratif mais une loi peut très bien tempérer,
restreindre un PGD.
Mais en ce cas, il conviendra de vérifier pour le législateur s’il prend une telle loi, que la liberté ainsi restreinte
reste conforme au droit international (CEDH et charte des droits fondamentaux de l’UE et diverses conventions
relatives au droit de l’homme) et au droit constitutionnel.

Dit autrement, si une loi revient sur un PGD, cela n’implique pas que la liberté fondamentale disparaîtra. Le
catalogue des droits fondamentaux qui a été consacré par les juges européens (Cour EDH et CJUE) et le Conseil
constitutionnel est de nature à sauvegarder les libertés fondamentales.

Et de plus en plus les droits qui ont été au cours du XXème siècle dégagé par le juge administratif français ont
été réceptionnés par le droit européen au sens large (CEDH et droit de l’UE) ainsi que par le bloc de
constitutionnalité.

Dès lors, contrôle de conventionnalité, de constitutionnalité et QPC garantissent avec une même effectivité la
protection des libertés. Le PGD peut alors perdre un peu de son utilité mais reste toujours utile en droit
administratif interne.

Vous aimerez peut-être aussi