Vous êtes sur la page 1sur 21

LES CAHIERS DE LA JUSTICE #2021 / 3

Revue trimestrielle de l’École nationale de la magistrature

DOSSIER [] Juger les fous ?


Dominique Coujard | Charlotte Dubois | Jean-Louis Gillet | Vincent Mahé |
Jean-Philippe Pierron | Caroline Protais | Dominique Raimbourg |
Sandrine Zientara-Logeay |


Irresponsabilité pénale pour défaut de
TRIBUNE discernement : évidence des hommes
et justice du droit
par Jean-Louis Gillet

CHRONIQUES { Le non-respect des délais de jugement au


tribunal criminel spécial du Cameroun
par Prosper Nkou Mvondo

Biais cognitifs et comportement judiciaire


par Mathias Adjaout-Ponsard

Quelle équipe autour du magistrat ?


par Clément Clochet

Que pensent les magistrats de la table de


fixation de la contribution à l’entretien et
l’éducation de l’enfant ?
par Bruno Jeandidier et Isabelle Sayn
[] DOSSIER

La responsabilité pénale des personnes


atteintes de troubles mentaux.
Méthodologie de l’expertise psychiatrique
par Vincent Mahé

Vincent Mahé, MD, MSc, Psychiatre des Hôpitaux, Expert auprès de la cour d’appel de Paris - Affiliation Grand
Hôpital de l’Est Francilien ; Pôle de Psychiatrie et Addictologie ; Site de Meaux 6-8 rue Saint-Fiacre - 77100 Meaux.

Pouvant paraître flou pour le non spécialiste de la pathologie mentale, le raisonnement médico-légal
de l’expert-psychiatre devrait systématiquement reposer sur des éléments permettant d’évaluer la nature
précise de l’interaction entre le niveau d’aliénation éventuelle d’un auteur d’infraction, et le rôle que la
pathologie constatée a pu jouer dans la commission de cette infraction. C’est l’analyse de cette interaction
spécifique qui permet de conclure à l’existence d’une abolition ou d’une altération du discernement. La
question de la responsabilité pénale des auteurs d’infraction usagers de substances psycho-actives s’est
invitée de façon de plus en plus insistante dans les débats expertaux. Cette question peut être découpée
en quatre questions distinctes, dont trois médicales et l’une ouvrant sur débats juridiques et sociétaux,
qu’il n’appartient pas à l’expert psychiatre de trancher. L’adjonction d’une question supplémentaire posée
à l’expert psychiatre et interrogeant directement sur le rôle que l’auteur a joué dans l’émergence des
symptômes psychiatriques modifiant le discernement et ayant conduit aux faits, pourrait permettre de
progresser dans l’adaptation de la réponse pénale apportée à ces sujets.

The criminal liability of persons with mental disorders. Methodology of expert evaluations

While potentially unclear to persons non-specialized in mental pathology, the forensic reasoning of a
psychiatric expert witness should be consistently rooted in elements allowing an assessment of the specific
nature of the interaction between the possible degree of mental illness of a perpetrator and the role
that the observed pathology may have played in the commission of this offense. It is the analysis of this
specific interaction that makes it possible to determine whether there is an absence or a deterioration
of discernment. The question of the criminal liability of perpetrators using psychoactive substances has
become increasingly pressing in expert debates. This question can be divided into four distinct issues,
three of which are medical, and one of which involves legal and societal debates, which fall outside
the purview of the psychiatric expert witness. The addition of a question posed to the psychiatric expert
witness, directly inquiring into the author’s role in the emergence of the psychiatric symptoms causing
the alteration of discernment and leading to the events, could make it possible to make progress toward
determining an appropriate adjustment of the penal response to these subjects.

Les cahiers de la justice - # 2021/3 399 []


Dossier La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique

Introduction pourrait alimenter un préjudice délirant, sans


compter que les troubles sont susceptibles de
La France, comme la plupart des pays s’aggraver en milieu carcéral, lieu où les soins
européens, admet que certains troubles psychiatriques ne peuvent être contraints de
mentaux puissent constituer une cause façon continue et prolongée contre l’avis de
d’irresponsabilité pénale [2-4, 6, 12]. Avant la personne concernée. L’issue prévisible est
d’aborder la logique du raisonnement médico- alors une répétition d’hospitalisations au titre
légal permettant d’évaluer la responsabilité de l’article D-398 du code de procédure pénale
pénale d’un auteur d’infraction souffrant en cours d’exécution de peine, parachevée
de troubles mentaux, il est probablement par une hospitalisation sous contrainte le jour
utile de rappeler les raisons médicales sous- de la sortie de détention, et ce donc, après
tendant ce principe, régulièrement remis plusieurs années d’incarcération inutiles, et
en question lors d’affaires médiatisées, alors un retard thérapeutique subséquent limitant
que de la place du médecin-psychiatre, il d’autant l’efficacité des soins. La société n’a
apparaît pleinement justifié. Ainsi, vouloir rien à y gagner, le risque sociétal ayant été
administrer une sanction à un sujet ayant alors augmenté avec l’aggravation de la
perdu les capacités d’en comprendre le pathologie à l’origine directe des faits, et le
sens n’a aucun impact, ni éducatif, ni malade non plus. Quant à l’intentionnalité
thérapeutique. Aucune maladie, maladies du geste incriminé, quelle est-elle lorsque
mentales incluses, n’est sensible à la punition, la motivation des faits est directement liée
et vouloir faire assimiler la Loi à un aliéné aux conséquences de la pathologie sur la
est aussi illusoire que de vouloir décrire les personne et non à la personne elle-même ?
couleurs à un sujet n’ayant jamais été doué Ce principe d’irresponsabilité pénale
n’est bien évidemment pas généralisable à

[ « Aucune maladie, maladies mentales


incluses, n’est sensible à la punition. »
tous les sujets souffrant de troubles men-
taux et il est indispensable que les troubles
constatés remplissent un certain nombre de
de vision, ou d’expliquer la musique à un critères [2-4, 6, 8, 9, 13-15, 19, 20]. La
sujet privé depuis toujours de l’ouïe. On peut logique du raisonnement médico-légal de
également souligner les risques auxquels on l’expert-psychiatre peut paraître floue pour le
expose la société, et le malade, en cas de non spécialiste de la pathologie mentale et
pénalisation en dépit d’une incapacité à en les divergences entre experts, parfois reten-
tirer le moindre enseignement : la sanction tissantes, viennent renforcer ces impressions
peut être recyclée dans le délire, achevant de flou, nuisant tout aussi bien au proces-
d’annuler toute valeur à celle-ci, voire sus judiciaire qu’à la réputation des experts.

[] 400 Les cahiers de la justice - # 2021/3


La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique Dossier

Si certaines divergences sont compréhen- une conclusion d’abolition (ou d’altération)


sibles, eu égard à la difficulté de l’exercice, du discernement et du contrôle des actes. Les
d’autres le sont moins [19] et l’objectif de troubles psychiatriques sont d’une très grande
cet article est de tenter de faire partager au diversité clinique et peuvent entraîner sur
lecteur les repères médico-légaux fondamen- le discernement des conséquences d’intensité
taux qui organisent ou devraient organiser le variable et fluctuantes au cours du temps. Il
raisonnement de l’expert psychiatre. convient donc de mener un raisonnement
Faisant suite au fameux article 64 du médico-légal au cas par cas, permettant de
code pénal de 1810 (« il n’y a ni crime ni parvenir à une conclusion argumentée qui
délit lorsque le prévenu était en état de pourra alors être partagée ou discutée. De
démence au moment de l’action »), l’article la rigueur de ce raisonnement on attend
122-1 du code pénal (1994), premier alinéa, une limitation de la dispersion conclusive.
consacre l’irresponsabilité pénale du fait de L’analyse des capacités de discernement
troubles psychiatriques de la façon suivante : de l’auteur de l’infraction est donc le point
« N’est pas pénalement responsable la per- central de la discussion médico-légale [9,10].
sonne qui était atteinte, au moment des faits En premier lieu, il nous apparaît nécessaire
qui lui sont reprochés, d’un trouble psychique de rappeler que le discernement, au sens de
ou neuropsychique ayant aboli son discerne- l’article 122-1 du code pénal se distingue
ment ou le contrôle de ses actes ». Le second radicalement du discernement au sens com-
alinéa du même article précise : « La per- mun. La confusion entre ces deux notions
sonne qui était atteinte, au moment des faits,

]
d’un trouble psychique ou neuropsychique « L’analyse des capacités de discernement
ayant altéré son discernement ou entravé le de l’auteur de l’infraction est donc le point
central de la discussion médico-légale. »
contrôle de ses actes demeure punissable ;
toutefois, la juridiction tient compte de cette
circonstance lorsqu’elle détermine la peine est malheureusement moins rare qu’on ne le
et fixe le régime ». souhaiterait. L’atteinte du discernement au
Le travail de l’expert psychiatre consistera sens de l’article 122-1 du code pénal doit
donc à évaluer les capacités de discernement s’entendre au sens de l’incapacité, du han-
de l’auteur des faits, au moment de ceux-ci, dicap, en lien avec une pathologie mentale
travail qui ne pourra être abouti qu’au terme identifiée, et empêchant le sujet qui en est
d’un raisonnement médico-légal spécifique à atteint de disposer de sa pleine lucidité, de
chaque situation [13,15,17-19]. Il n’est en sa pleine liberté décisionnelle et/ou de la
effet pas possible de lister de façon exhaustive pleine conscience du caractère délictueux
l’ensemble des pathologies pouvant mener à (ou criminel) de l’acte qu’il commet ainsi que

Les cahiers de la justice - # 2021/3 401 []


Dossier La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique

des conséquences de celui-ci. De multiples Méthodologie de l’expertise,


fonctions sont impliquées dans le discer- repères médico-légaux :
nement dont en particulier, les capacités
intellectuelles (capacités de raisonnement, Le sujet du rôle des substances psy-
d’analyse, de synthèse, de jugement, et d’es- cho-actives dans la commission d’une infrac-
prit critique), les capacités de contrôle émo- tion étant traité en un second temps, nous
tionnel (et de recul), la capacité à vouloir, et nous concentrerons ici en premier lieu sur les
les capacités à percevoir normalement la réa- auteurs d’infractions indemnes de toute prise
lité. Toutes ou chacune de ces fonctions peut de substance psycho-active. Nous employons
être partiellement ou totalement perturbée à dessein le terme de repère, et non de règle,
au cours de certains processus psychiatriques, afin de ne pas s’enfermer dans un carcan qui
de façon permanente ou transitoire. Cette laisserait à penser qu’il n’existerait aucune
atteinte pathologique du discernement se zone de doute, pourtant de fait inhérente à
distingue ainsi clairement de l’atteinte du dis- la pratique de cet art clinique difficile.
cernement au sens commun, sans lien aucun Comme nous l’avons précédemment
avec une quelconque pathologie mentale, et souligné, il n’est pas possible de lister l’en-
se situant dans le registre de l’erreur ou de semble des pathologies conduisant à une
la faute. Il ne s’agit donc pas de conclure conclusion d’abolition ou d’altération du
qu’un sujet a manqué de discernement au discernement. En effet, en aucun cas le fait
sens commun en commettant une infraction, d’être porteur d’une pathologie mentale ne
conclusion quelque peu tautologique, mais peut constituer, en lui-même, un motif d’ir-
de démontrer que du fait d’un processus responsabilité pénale générale. C’est le résul-
psychiatrique pathologique, les capacités de tat de l’interaction éventuelle entre troubles
discernement du sujet ont été véritablement mentaux et la logique de l’infraction qui
handicapées, ce handicap ayant joué un rôle doit être évaluée (Cf. infra) et permettre de
dans la commission de l’infraction. parvenir à une conclusion [14,15,17].
Il était par ailleurs généralement admis D’une façon générale le potentiel alié-
que l’atteinte pathologique du discernement nant d’une pathologie mentale repose sur
procédait de causes extérieures à la volonté un ensemble de constats cliniques partagés
de l’individu atteint. On ne fait pas exprès et faisant l’objet d’un consensus entre prati-
d’être atteint d’une schizophrénie pour devoir ciens. Sont habituellement considérés comme
supporter toute sa vie les conséquences de ce symptômes à fort potentiel aliénant tous ceux
handicap. Ce point particulier faisait l’objet qui modifient les perceptions, les capacités de
d’une forme de consensus expertal, dont la contrôle émotionnel et comportemental et la
polémique actuelle nous indique qu’il n’était capacité à exercer un raisonnement logique
pas pleinement partagé. [3,8,13]. Il est ainsi consensuel de convenir

[] 402 Les cahiers de la justice - # 2021/3


La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique Dossier

que les pathologies mentales dites aliénantes et n’est qu’un épiphénomène l’ayant seule-
(recouvrant globalement toutes les patholo- ment perturbé dans son mode opératoire.
gies psychotiques aiguës ou chroniques carac- Ce petit exemple illustre parfaitement la
térisées par l’existence de troubles majeurs deuxième question que tout expert doit se
de la pensée, de perceptions aberrantes, et poser : quel est le lien, s’il existe, entre les
de désordres émotionnels majeurs) consti- faits reprochés et l’atteinte du discernement
tuent le groupe principal des troubles pou- liée à la pathologie mentale ; il illustre éga-
vant donner lieu à irresponsabilité pénale lement parfaitement le fait que la pathologie
pour motif psychiatrique. D’autres patholo- mentale n’est absolument pas exclusive de
gies sont cependant susceptibles d’induire conduites délictueuses ordinaires en lien
des atteintes du discernement, comme par avec la personnalité et les choix de vie du
exemple les troubles de l’humeur, les patho- sujet. La question n’est donc pas de savoir
logies cérébrales organiques, les déficiences si l’auteur d’une infraction est un malade
intellectuelles [5]. D’une façon générale, ces mental ou un délinquant, mais de savoir si
pathologies sont sous-tendues par des dys- l’infraction est en lien avec les symptômes
fonctionnements cérébraux indépendants de de la maladie constatée ou avec les choix
la volonté de l’individu qui en est atteint. de vie du sujet. On peut être et malade et
La première mission de l’expert est avoir un mode de vie délinquantiel sans que
donc de déceler l’existence, ou non, d’une l’un et l’autre ne soient liés. Rien n’empêche
pathologie mentale à potentiel aliénant au en effet qu’une pathologie mentale ne se
moment des faits, de la qualifier, puis de développe chez un délinquant banal, les
décrire l’impact de celle-ci sur le discerne- choix de vie en marge de la société n’étant
ment en précisant autant que faire se peut le pas une barrière contre la maladie mentale.
niveau d’atteinte du discernement, majeur, Une fois apportées les réponses à ces deux
ou non. Cependant, le constat de l’existence questions on peut suivre le principe général
d’une pathologie mentale au moment des qui veut que l’abolition du discernement
faits, et retentissant sur le discernement, ne soit retenue lorsque l’infraction commise
suffit pas à aboutir à une conclusion d’aboli- est en relation directe et certaine avec une
tion, ni même à une conclusion d’altération. pathologie mentale entraînant une atteinte
Considérerait-on qu’un vendeur de stupé- majeure du discernement au sens médico-lé-
fiants d’habitude (non consommateur) pré- gal [19,20]. La pathologie mentale doit donc
sentant un épisode psychotique impromptu avoir joué un rôle absolument déterminant
l’amenant à être repéré et interpellé, serait dans la commission de l’infraction, ou, en
irresponsable du fait de ses troubles men- d’autres termes, c’est la pathologie mentale
taux ? Certainement non, la pathologie n’est qui est directement, et de façon certaine, à
pour rien dans ses habitudes délinquantielles l’origine de l’acte.

Les cahiers de la justice - # 2021/3 403 []


Dossier La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique

Il découle de ce principe que si l’at- ailleurs le fait que c’est bien le résultat de
teinte du discernement n’est pas majeure l’interaction entre infraction et état mental
et/ou que la relation de causalité entre de l’auteur qui permet d’évaluer la respon-
pathologie et faits n’est pas directe, on sabilité pénale de celui-ci.
ne peut retenir une abolition du discer- Si une conclusion d’abolition du dis-
nement. Une altération du discernement cernement revient à attribuer l’exclusivité
peut être cependant retenue, à la condition du rôle criminogène à la pathologie men-
que le discernement soit pathologiquement tale, une conclusion d’altération du dis-
modifié et en lien avec les faits. Afin de cernement suggère que d’autres facteurs,
tenter de couvrir la plupart des situations en lien avec la personnalité de l’auteur,
possibles, nous proposons un tableau syn- son histoire ou le contexte, ont pu éga-
thétique (Tableau 1) à deux entrées. Une lement jouer un rôle contributif dans la
entrée quantifie le niveau d’aliénation, commission de l’infraction. En effet, si
c’est-à-dire d’atteinte éventuelle du discer- l’existence d’une pathologie mentale peut
nement (atteinte majeure, atteinte modérée exercer un pouvoir attractif sur l’attention
à légère, absence d’atteinte) en lien avec un des observateurs, il ne faut pas oublier que
trouble de quelque nature qu’il soit (tous la genèse du passage à l’acte est plus sou-
les troubles psychiatriques et psychologiques vent plurifactorielle que monofactorielle
sont ainsi couverts, qu’ils soient à potentiel et que d’autres facteurs contributifs à la
aliénant, comme pour les psychoses ou non, commission de l’infraction, et étrangers à la
comme pour la plupart des troubles de la pathologie, ont pu être également contribu-
personnalité [11]) ; l’autre entrée évalue tifs. Il apparaît ainsi important de préciser,
la nature de la relation éventuelle entre si possible, quels autres facteurs, sans lien
le trouble et les faits (rôle déterminant de avec la pathologie, ont pu contribuer à la
commission de l’infraction. L’analyse de

[
« Il ne faut pas oublier que la genèse l’histoire du sujet, de sa relation éventuelle
du passage à l’acte est plus souvent avec la victime, du mode opératoire, et du
plurifactorielle que monofactorielle. » contexte global ayant entouré l’infraction
peut s’avérer très utile. Il est par ailleurs
la pathologie, rôle contributif, absence de possible de moduler le niveau d’altération
rôle). En croisant ces données on parvient (légère, modérée, sévère) en fonction de
à des propositions de conclusions (abolition l’importance de l’atteinte du discernement,
du discernement, altération du discerne- de l’importance du rôle de la pathologie
ment et absence d’abolition ou d’altération dans la commission de l’infraction et de
du discernement) qui, sans être irrécusables, l’importance éventuelle des autres facteurs
devrait être une puissante source d’inspira- contributifs à la commission de l’infraction,
tion pour l’expert. Ce tableau consacre par si ceux-ci ont été identifiés.

[] 404 Les cahiers de la justice - # 2021/3


La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique Dossier

L’intérêt de cette modélisation est de peut également s’appuyer sur des examens
pouvoir expliquer en outre pourquoi le psychiatriques réalisés lors de la garde à vue,
discernement d’un même auteur peut être à la condition que ceux-ci soient de qualité,
considéré comme aboli pour certains faits à c’est-à-dire suffisamment descriptifs et détail-
certains moments de sa vie ou simplement lés, et sans conclusion définitive, et parfois
altéré dans d’autres circonstances. Chaque expéditive, sur la responsabilité pénale [7,21].
individu opère selon sa logique propre,
indépendamment d’une éventuelle patho-
logie mentale dont la symptomatologie peut Cas particulier de l’évaluation de
en outre fluctuer en intensité au cours du la responsabilité pénale en cas
temps. Tout dépendra donc du niveau de de prise de substances psycho-
gravité des troubles au moment des faits et actives
du rôle éventuel que ceux-ci ont joué dans
la commission de l’infraction, conditions Comme nous l’avons précédemment
qui peuvent différer d’un temps à l’autre, et précisé, les principes de l’irresponsabilité
d’une infraction à l’autre, chaque infraction pénale pour motif psychiatrique reposent,
pouvant avoir, en outre, sa logique propre. entre autres, sur le caractère involontaire
On constatera par ailleurs qu’il existe des troubles mentaux, bien que cette règle
des zones d’intersection entre les différentes n’ait jamais été écrite. Il s’agissait d’une
propositions de conclusions. Ces zones d’in- convention entre experts-psychiatres, régu-
tersection correspondent aux zones de doute lièrement retenue dans les situations d’ivresse
et d’incertitude inévitables [19,20]. Un alcoolique.
expert peut considérer que la pathologie a L’irruption de la consommation généra-
joué un rôle déterminant dans la commission lisée de substances psycho-actives diverses et
de l’infraction, l’autre que le rôle ne fut variées, et la progression de la connaissance
que contributif. L’un peut considérer que le que l’on a de leurs effets, ont sensiblement
niveau d’atteinte du discernement est majeur,
l’autre qu’il n’est qu’intermédiaire. Ces zones

]
« L’irruption de la consommation généralisée de
d’intersection, légitimes, sont propices aux substances psycho-actives diverses et variées, et
débats entre experts et soulignent surtout la progression de la connaissance que l’on a de
leurs effets, ont sensiblement modifié la donne. »
la difficulté de reconstituer avec exactitude
l’état psychique d’un sujet au moment des
faits. L’analyse du contexte global du passage modifié la donne. De marginale il y a une
à l’acte, qui ne relève pas de la compétence vingtaine d’années, la conjonction infrac-
du seul expert psychiatre, peut se révéler tion/consommation de substances psycho-ac-
d’une aide précieuse et ainsi aider à trancher tives est devenue un sujet aussi fréquent que
entre deux conclusions divergentes. L’expert porteur de débats infinis, récemment illustrés

Les cahiers de la justice - # 2021/3 405 []


Dossier La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique

par des affaires défrayant la chronique. Si 1) La première question concerne la


l’inutilité nuisible de la condamnation d’un symptomatologie présentée par un auteur
aliéné irresponsable de sa maladie est admise, ayant consommé une substance psycho-ac-
il n’en va pas tout-à-fait de même lorsque le tive dans un temps laissant penser qu’il
trouble psychiatrique est susceptible d’avoir est susceptible d’en présenter des effets au
été induit par le sujet. C’est la délicate ques- moment des faits. S’agit-il d’effets ordinaires
tion de la responsabilité pénale des sujets ou d’effets inhabituels ? Lorsque le consom-
ayant commis une infraction sous l’effet, réel mateur ne présente que les effets attendus, du
ou supposé, d’une substance psycho-active. registre de l’ivresse simple, ordinaire, ou qu’il
Comme leur nom l’indique parfaite- ne présente aucun symptôme significatif, car
ment, les substances psycho-actives sont étant par exemple habitué de longue date à
de nature à modifier le psychisme et le cette consommation, le consensus expertal
comportement de ceux qui les consomment, prévaut et la question est vite tranchée ;
ceci justifiant largement leur interdiction à ces effets, s’ils existent, ne pouvaient être
la consommation. La consommation étant ignorés du sujet qui a volontairement engagé
volontaire, en dépit de la connaissance des sa responsabilité dans cette consommation
risques qui s’y attachent et des interdictions à risques ; nulle altération ni abolition du
sociétales, la question de la responsabilité discernement ne pourra être retenue. On
pénale des consommateurs de substances se gardera par ailleurs de toute conclusion
psycho-actives se pose donc différemment hâtive en ce qui concerne la relation entre
de celle des malades mentaux irresponsables l’ivresse et les faits ; comme dans l’exemple
de leur état. Les débats actuels, passionnés précédent, l’ivresse ne doit pas occulter les
voire passionnels, ont donné lieu à de mul- éventuels autres soubassements ayant conduit
tiples réponses, malheureusement contra- à la commission de l’infraction. S’il existe en
dictoires, aux questions pourtant légitimes effet une association statistique entre usage
posées par les observateurs. Selon nous, de substances psycho-actives et infraction,
ces contradictions sont liées au fait que le lien de causalité entre les deux n’est pas
la question de la responsabilité pénale des si évident [1]. En revanche si les symptômes
consommateurs de substances psycho-ac- présentés par le sujet au moment des faits
tives contient en fait quatre questions dis- sont inhabituels, distincts du registre de
tinctes, trois de ressort psychiatrique, et l’ivresse simple ou attendue (par exemple
l’une de registre juridique, et qu’il n’est pas hallucination, délire), et/ou d’une durée
possible de répondre à la dernière question inhabituelle excédant largement la durée
sans avoir répondu à la précédente, et ainsi d’une ivresse ordinaire, on rentre dans le
de suite juqu’à la première. Nous tenterons cadre des ivresses inhabituelles, dites patho-
d’éclairer le lecteur par ce découpage en logiques. Une fois écartée la question de la
quatre questions en escalier. pathologie mentale connue et « arrosée »,

[] 406 Les cahiers de la justice - # 2021/3


La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique Dossier

cette émergence de symptômes psychiatriques avoir joué un rôle déterminant dans l’émer-
sous toxiques pose inévitablement la question gence des symptômes psychiatriques (inges-
de la vulnérabilité sous-jacente du consom- tion par exemple d’un cocktail « explosif »
mateur. Tous les consommateurs de subs- de substances diverses et variées en quantité
tances psycho-actives ne présentent pas de massive), ou un rôle simplement contribu-
complication psychiatrique loin de là, et la tif (en cas de consommation « ordinaire »
consommation de substance psycho-active d’une substance psycho-active révélant alors
à elle seule ne saurait donc expliquer le une vulnérabilité sous-jacente), voire aucun
tableau psychiatrique présenté. L’existence rôle significatif (sujet débutant à bas bruit
de cette vulnérabilité (dont le sujet n’avait un processus psychiatrique et consommant
pas forcément connaissance, sauf à consi- secondairement une substance psycho-ac-
dérer qu’il avait déjà éprouvé le même type tive ; la consommation de toxique n’est
d’expérience dans le passé), amène à poser alors qu’une conséquence de la pathologie
la deuxième question. débutante et jusque-là méconnue). Une fois
2) Indépendamment de la question du ce lien déterminé, si possible, on peut en
rôle éventuel du toxique (Cf. infra, ques- venir à la quatrième question, selon nous
tion 3), quel est l’état psychique du sujet au plus juridique que médicale.
moment des faits et quel rôle les symptômes
« On peut envisager trois types de relation :

]
psychiatriques ont-ils joué dans la commis-
la substance psycho-active peut avoir joué
sion de l’infraction ? On en revient au un rôle déterminant dans l’émergence des
tableau précédemment présenté (tableau 1) symptômes psychiatriques ou un rôle simplement
aux fins de conclusion d’altération ou d’abo- contributif, voire aucun rôle significatif. »

lition du discernement. Il conviendra donc


d’évaluer le niveau d’atteinte éventuelle du 4) En cas de lien avéré entre une prise
discernement ainsi que le rôle, déterminant, de substance psycho-active et l’émergence de
contributif ou non, de ces symptômes dans symptômes psychiatriques ayant entraîné une
la commission de l’infraction. On peut alors altération ou une abolition du discernement,
en venir à la troisième question. le fait que cette substance soit interdite à la
3) Quelle est la nature du lien entre consommation et/ou connue comme pouvant
les symptômes psychiatriques présentés et entraîner ce type d’effet, serait-il de nature
la prise de substance psycho-active ? Cette à devoir faire écarter, partiellement ou tota-
question est beaucoup plus complexe qu’il n’y lement (en fonction de l’importance du rôle
paraît et dépend de la nature de la ou des de la prise de toxique) les conséquences
substances ingérées et des connaissances que juridiques liées à l’altération ou de l’abolition
l’on a de leurs conséquences cliniques. D’une du discernement ? Il n’est pas certain que ce
façon générale on peut envisager trois types soit au seul expert-Psychiatre de répondre à
de relation : la substance psycho-active peut cette question. A tout le moins, son rôle est

Les cahiers de la justice - # 2021/3 407 []


Dossier La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique

de fournir un avis technique éclairant le juge de substance(s) psycho-active(s) et de pro-


et lui permettant de se prononcer, en fonc- gresser ainsi dans l’adaptation de la réponse
tion du dispositif législatif existant. Quant judiciaire. Elle permettrait également de cou-
à la nature de celui-ci, il sort du champ vrir la question de la responsabilité pénale
de compétence de l’expert et pourrait faire des sujets atteints de pathologie mentale
l’objet d’un débat sociétal et/ou juridique. chronique et ayant arrêté leur traitement.
Ainsi, sans pour autant répondre de Cette question est, selon nous, tranchée de
façon systématiquement tranchée à la ques- façon parfois trop expéditive, sans prendre
tion de la responsabilité pénale des auteurs en compte les multiples facteurs ayant pu
d’infraction usagers de substances psycho-ac- contribuer à l’arrêt de traitement. On ne
tives, ce découpage permet selon nous de peut pas mettre sur le même pied un grand
mieux appréhender cette problématique. Les malade seulement partiellement conscient
débats actuels montrent bien l’importance de ses troubles n’ayant jusque-là jamais
de la quatrième question qui jusque-là était commis d’infraction et un sujet conscient
laissée aux seuls experts-psychiatres, abandon- de sa pathologie et ayant déjà commis une
nés à leur sort, n’ayant plus les moyens de infraction grave en l’absence de traitement
se rencontrer et de parvenir à une doctrine dans le passé. La question des motifs, patho-
commune, ni de structurer un enseignement logiques ou non, ayant conduit à l’arrêt de
[16]. Afin de pouvoir à présent mieux prendre traitement serait ainsi posée plus clairement
en compte la problématique de la relation et pourrait permettre, là encore, de limiter
entre symptôme psychiatrique potentiellement les dispersions conclusives.
aliénant et consommation de substance(s) Cependant, il faut bien avoir conscience
psycho-active(s), on pourrait proposer l’ad- qu’il persistera des zones d’ombre et des sujets
jonction d’une nouvelle question à la mis- de débats, en particulier autour du rôle de
sion d’expertise psychiatrique classique, et qui la prise de substance(s) psycho-active(s)
pourrait être rédigée de la façon suivante : dans l’émergence de la symptomatologie
« En cas d’altération ou d’abolition du psychiatrique. Si dans certaines situations
discernement, préciser quel rôle le sujet a la nature du lien sera identifiable, dans
éventuellement joué dans l’émergence des d’autres des doutes, en lien avec les limites
troubles mentaux rendant compte de cette de nos connaissances scientifiques actuelles,
atteinte du discernement et préciser s’il s’agit persisteront autour de la frontière rôle déter-
d’un rôle actif et s’il s’agit d’un rôle déter- minant/contributif, et de la frontière rôle
minant ou contributif ». contributif/absent. On peut espérer que les
L’adjonction de cette nouvelle question progrès dans le domaine de la science per-
permettrait ainsi d’améliorer la précision de mettent d’apporter une réponse plus précise à
l’avis technique rendu au magistrat lorsque la question de la relation toxique/pathologie
l’auteur de l’infraction est consommateur mentale.

[] 408 Les cahiers de la justice - # 2021/3


La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique Dossier

Pour ce qui est des conséquences pénales, débats sur l’irresponsabilité pénale est venue
une évolution du dispositif législatif est manifes- complexifier plus encore l’évaluation expertale.
tement attendue. Celle-ci ne devrait pouvoir se Le découpage de la question de la responsabilité
faire qu’aux termes de débats sociétaux et juri- pénale des usagers de substance psycho-active
diques approfondis et aboutis au cours desquels en quatre questions distinctes, devrait per-
les questions suivantes devraient être posées : mettre de clarifier les débats. L’adjonction d’une
de quelle façon le fait que la substance soit question supplémentaire dans la mission type
(éventuellement) interdite à la consommation d’expertise interrogeant directement sur le rôle
doit-il être pris en compte ? La connaissance
des risques auxquels s’expose le consommateur « La persistance de zones de doute et
doit-elle inclure les risques connus de lui ou tous
les risques possibles ? Et enfin, en cas de doute,
à qui celle-ci doit-elle profiter ? Il n’appartiendra
d’incertitude restera cependant inévitable
en dépit de l’amélioration attendue de la
précision de l’avis technique grâce à l’utilisation
de repères médico-légaux clairs. »
]
pas à l’expert Psychiatre d’en décider.
que l’auteur a joué dans l’émergence des symp-
Conclusion tômes psychiatriques modifiant le discernement
et ayant conduit aux faits pourrait permettre
La pratique de l’expertise psychiatrique de progresser dans l’adaptation de la réponse
est un exercice difficile qui se doit d’être mené pénale apportée à ces sujets. Il est à prévoir
selon une méthodologie rigoureuse afin de limi- cependant que là encore des zones d’ombre
ter autant que faire se peut les divergences persistent, car se heurtant aux limites de nos
conclusives. La persistance de zones de doute connaissances scientifiques. La question de la
et d’incertitude restera cependant inévitable responsabilité pénale des consommateurs de
en dépit de l’amélioration attendue de la pré- substances psycho-actives ouvre par ailleurs
cision de l’avis technique grâce à l’utilisation sur d’autres débats, juridiques et sociétaux,
de repères médico-légaux clairs. L’irruption de qu’il n’appartiendra pas à l’expert psychiatre
l’usage des substances psycho-actives dans les de trancher seul.

Bibliographie

[1] Bègue C, Bouthier M, Mahé V., Rôle de l’usage de substances psycho-actives dans la
commission d’infractions pénales commises par des sujets atteints de schizophrénie. Évol
psychiatr 2020 ; 85 (2) : 217-228.
[2] Couvrat P., L’expertise Psychiatrique et la réponse pénale. In Criminologie et Psychiatrie,
Albernhe T, 1997. Ellipses Paris : 567-9.
[3] Jonas C, Senon JL., Voyer M., Delbreil A., Analyse de l’article 122-1. In Méthodologie
de l’expertise psychiatrique, 2013 : 75-81.

Les cahiers de la justice - # 2021/3 409 []


Dossier La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique

[4] HAS, 2007, Expertise Psychiatrique Pénale.


[5] Mahé V., Auteurs d’infraction dont le discernement était altéré ou aboli : étude des-
criptive sur 180 cas : La revue de médecine légale (2015) 6 : 70-77.
[6] Manzanera C., Application en France de l’article 122-1 du code Pénal et ses conséquences.
In Psychiatrie Légale et Psychocriminologie, 2013 ; Senon J.L., Jonas C., Voyer M. Masson ed.
[7] Martorell A., L’expertise psychiatrique du sujet en garde à vue. In Conférence de
consensus : intervention du médecin auprès des personnes en garde à vue. ANAES 2004,
Paris, 2 et 3 décembre.
[8] Roure L.P., Renard J.P., Pratique de l’expertise psychiatrique. Masson 1993 : 82-4.
[9] Schweizer MG., Quelles sont les incidences médico-légales des articles 122-1 alinéa
1 et 2 et 122-2 en terme de responsabilité pénale, d’imputabilité, de discernement et de
contrôle des actes ? Audition publique HAS, sur l’expertise psychiatrique pénale 2007.
[10] Schweitzer MG., Puig-Verges N. Expertise psychiatrique, Expertise Médico-Psychologique.
Enjeux de procédure, enjeux cliniques. Annales Médico-Psychologiques 2006 ; 164, vol. 10,
p. 813-817.
[11] Senon JL, Jonas C., Aspects médico-légaux des troubles de la personnalité. In Féline
A., Guelfi J.D., Hardy P., editors. Les troubles de la personnalité. Paris : Flammarion
« Médecine-Sciences » 2004 ; p. : 430-40.
[12] Senon JL, Manzanera C., Réflexion sur les fondements du débat et des critiques actuels
sur l’expertise psychiatrique pénale. Ann. Méd. Psychol., 2006 ; vol. 164, déc., p. 818-827.
[13] Tyrode Y., Albernhe T., Psychiatrie légale, 1995. Ellipses, Paris.
[14] Zagury D., Irresponsabilité pénale du malade mental. Le rôle de l’expert. Actualité
Juridique Pénale, 9. Dalloz : 2004.
[15] Zagury D., L’expertise psychiatrique au pénal. Nervure, 8, 1998.
[16] Zagury D., L’expertise psychiatrique pénale, une honte française. Gaz Palais 2016 ;
19 :12-5.
[17] Zagury D., L’expertise médico-légale et la question de la responsabilité. Paris :
L’Harmattan : 1999. G.Ballet.
[18] Zagury D., Place et évolution de la fonction de l’expertise psychiatrique. In : psycho-
pathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle (collectif) John Libbey
Eurotext ; 2001, p. 19.
[19] Zagury D., Pour une clarification de l’interprétation médico-légale. Inf Psychiatr
2004 ; 4 : 325-8.
[20] Zagury D., Vers une clinique de l’abolition du discernement. Ann. Med Psychol
2006 ; 164 : 847-50.
[21] Zagury D, Senon JL., L’expertise Psychiatrique pénale en France, un système à la
dérive. Inf Psychiatr 2014 ; 90 : 627-629.

[] 410 Les cahiers de la justice - # 2021/3


La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique Dossier

CAS no 1 :

Mr A, âgé de 30 ans est mis en examen pour des faits de viol. Une jeune femme de
20 ans, déclarait en effet que le petit-fils de la dame âgée qu’elle gardait s’était invité
à leur domicile et lui avait fait des avances sexuelles tout en tenant des propos obs-
cènes. Devenant de plus en plus insistant, Mr A s’était déshabillé puis avait déshabillé
la jeune femme de force avant de la pénétrer vaginalement en usant de violences
physiques. Son forfait accompli, l’auteur repartait. L’examen de la victime mettait en
évidence des traces de coups et de prises manuelles au niveau des bras, et permettait
d’identifier un ADN dans le sperme retrouvé sur la victime.
Interpellé et placé en garde à vue, Mr A reconnaissait avoir eu des relations sexuelles
avec la plaignante, avoir tenu des propos obscènes, et reconnaissait avoir été très « in-
sistant », verbalement et physiquement. L’enquête permettait d’apprendre que Mr A
avait déjà été hospitalisé en psychiatrie, et qu’il avait déjà été condamné à plusieurs
reprises pour des faits de violences.
L’expertise psychiatrique mettait en évidence une pathologie psychotique chronique,
évoluant depuis l’âge de 24 ans. Au moment de l’expertise, 2 mois après les faits, la
symptomatologie clinique était présente : Mr A était quelque peu désorganisé sur le
plan intellectuel, tenait un discours globalement et légèrement décousu, présentait
des difficultés de communication et exprimait de vagues sentiments de persécution
(persécuteurs inconnus) étayés par des hallucinations sporadiques.
L’erreur serait de s’arrêter à cette présentation succincte et de conclure que le mis en
examen, atteint d’une psychose chronique, ne peut être qu’irresponsable pénalement
du fait de cet état.
Une exploration plus poussée de l’examen et de l’histoire de l’individu permettait
d’apprendre qu’il fut condamné à plusieurs reprises pour des faits de violence, d’ou-
trage et rébellion, alors qu’il était mineur, c’est-à-dire bien avant l’éclosion de la pa-
thologie mentale, puis majeur. Le parcours scolaire fut également chaotique et marqué
d’exclusions. Le parcours professionnel était limité à quelques emplois sur de courtes
durées. Il était par ailleurs séparé depuis peu de son ex-amie.
Il apparaît donc que Mr A présente certes, une psychose chronique, mais qu’il pré-
sentait également antérieurement des troubles du caractère, voire un trouble de la
personnalité de type psychopathique, rendant compte de l’intégralité des passages à
l’acte anti-sociaux survenus avant l’apparition de la maladie mentale.
La question était donc de savoir si les faits étaient en lien avec la pathologie mentale
ou avec les troubles du caractère, ou encore avec les deux, l’un n’étant pas exclusif de
l’autre.

Les cahiers de la justice - # 2021/3 411 []


Dossier La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique

En suivant les préceptes énoncés plus haut, il convient en premier lieu d’évaluer le
niveau d’aliénation (d’atteinte du discernement) de l’auteur, puis en second lieu de
définir le lien éventuel entre les faits et les troubles.
Pour ce qui est du niveau d’aliénation, on apprend qu’il était en rupture de traite-
ment, et donc forcément symptomatique. Cependant l’examen réalisé ne mettait pas
en évidence d’envahissement délirant au moment des faits, ni de thématique délirante
sexuelle, ni de trouble du comportement évocateur d’une désorganisation complète
des processus de pensée. Il ne revendiquait pas les faits ni ne les justifiait de façon
délirante. On note également qu’il n’avait fait aucune publicité aux faits et avait
eu tendance à dissimuler ceux-ci par la suite. En conséquence, il paraît difficile de
considérer que le niveau d’aliénation était majeur, au moment des faits. En revanche,
compte-tenu de l’existence certaine de symptômes psychotiques au moment des faits,
eu égard à la nature de sa pathologie, on ne peut considérer qu’il disposait pleinement
de toutes les fonctions impliquées dans le discernement. Le niveau d’atteinte apparaît
donc comme ayant été modéré (aliénation partielle).
Pour ce qui est du lien éventuel entre la pathologie et les faits, il n’est pas possible
d’établir de lien direct et certain. Aucune thématique délirante sexuelle n’est relevée,
ni aucun envahissement hallucinatoire. Il n’était pas contraint par la pathologie à
commettre les faits. Cependant, les troubles de la communication, les difficultés de
perception et de compréhension, les troubles de la pensée ne peuvent être considérés
comme étant totalement étrangers aux faits. Ils peuvent donc être considérés comme
ayant été contributifs à la commission de l’infraction, en limitant les capacités de
recul, d’analyse et de contrôle du sujet.
Au terme de ce raisonnement, et en suivant le résultat de l’interaction présentée dans
le tableau 1, on parvint à une conclusion d’altération du discernement et d’entrave
au contrôle des actes, au sens de l’article 122-1, alinéa 2, du code pénal. Le fait que
la pathologie n’ait joué qu’un rôle contributif à la commission de l’infraction amène
à souligner le rôle contributif significatif du caractère psychopathique du sujet, qui
s’est déjà exprimé à de multiples reprises dans le passé. Intolérance à la frustration,
opportunisme, recherche de satisfactions immédiates, y compris sexuelles, peuvent
tout à fait donner du sens à l’acte, la pathologie psychotique ayant altéré de façon
pathologique les maigres capacités de contrôle culturellement acquises.
Cet exemple illustre selon nous assez bien le fait qu’une infraction peut être de dé-
terminisme plurifactoriel et que le poids de chacun des facteurs contributifs doit être
évalué de la façon la plus précise possible.

[] 412 Les cahiers de la justice - # 2021/3


La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique Dossier

CAS no 2 :

Mr B est mis en examen pour arrestation, séquestration, et détention arbitraire avec


libération avant le 8e jour. Il s’agit de l’histoire assez pittoresque d’un trafiquant de co-
caïne, consommateur régulier de cette même substance, qui, au cours de l’achemine-
ment d’une quantité importante de cocaïne s’est cru suivi par les « services secrets »,
ce qui n’était absolument pas le cas. Après avoir essayé de semer ses poursuivants ima-
ginaires, et faussement identifiés comme persécuteurs car « habillés en civil », il s’était
réfugié dans un hôtel, où là encore il se trouvait face à des personnes anormalement
normales qui ne pouvaient être que des « indics ». Se réfugiant dans sa chambre, il en-
tendit alors « un bruit de culasse », ceci signifiant pour lui qu’il était menacé de mort.
Il décidait alors de « tenter une sortie » et se jetait sur un malheureux client (« mon
ticket de sortie ») et le séquestra dans sa chambre, demandant alors à « négocier » en
vociférant par la fenêtre. Bien évidemment les services de Police intervenaient alors
réellement et mettaient fin à la séquestration.
Placé en garde à vue, Mr B reconnaissait pleinement les faits et se répandait en ex-
plications délirantes sur les « services secrets » qui seraient à l’origine de l’histoire.
Il avait déjà été condamné à plusieurs reprises pour infraction à la législation des
stupéfiants.
L’expertise psychiatrique réalisée mettait en évidence un délire interprétatif para-
noïaque assez typique et ayant emporté une très forte adhésion émotionnelle. Les
troubles seraient survenus quelques heures avant les faits, par des interprétations
avec perception hostile de l’univers qui l’entourait, et doutes récurrents sur autrui.
Tout s’était subitement organisé lorsqu’il conduisait. Lorsque nous le voyons, 2-3 se-
maines après les faits, il avait commencé à reprendre contact avec la réalité, pre-
nant conscience qu’il avait présenté un épisode pathologique et le critiquant avec
stupéfaction. A noter que depuis son incarcération il ne consommait plus de cocaïne,
substance dont il était consommateur régulier, par accès. Il n’avait par ailleurs aucun
antécédent psychiatrique, et ce, jusqu’aux faits et l’âge de 45 ans. La personnalité ne
paraissait pas marquée d’un trouble particulier.
Compte-tenu de l’implication possible de la prise répétée de cocaïne avant les faits,
une délicate discussion médico-légale s’imposait. Si la consommation de cocaïne en-
traîne des états d’excitation physique et psychique de façon habituelle, il peut arriver,
rarement, que cette sub-excitation s’associe à l’émergence d’un délire interprétatif de
type paranoïaque, et habituellement spontanément résolutif à l’arrêt de l’intoxication.

Les cahiers de la justice - # 2021/3 413 []


Dossier La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique

Il ne s’agit donc pas d’une ivresse simple, mais d’une complication pathologique sug-
gérant l’existence d’une prédisposition autre, de nature inconnue, mais indispensable
pour expliquer l’épisode. Tous les cocaïnomanes ne présentent pas de tels effets.
S’agissant d’une complication pathologique, il convenait de s’interroger sur le ni-
veau d’aliénation du sujet au moment des faits. Force est de constater que l’activité
délirante était suffisamment envahissante pour que l’adhésion soit totale et qu’il en
vienne, convaincu d’être en danger de mort, à réaliser une séquestration allant exacte-
ment à l’opposé de ses intérêts. C’est son initiative qui a attiré l’attention des services
de Police, permettant alors la découverte du trafic, et il est tout de même assez excep-
tionnel qu’un délinquant soit à ce point ennemi de ses propres intérêts. On peut donc
convenir que le niveau d’aliénation était majeur et que la pathologie a joué un rôle
absolument déterminant dans la commission de l’infraction.
Se pose alors la question du rôle de la prise de cocaïne dans l’émergence du délire pa-
ranoïaque. Si l’on peut convenir que l’intoxication cocaïnique massive a joué un rôle,
il est difficile de trancher entre rôle contributif et rôle déterminant. L’épisode s’ex-
pliquant difficilement sans l’existence d’une prédisposition autre, le rôle contributif
pourrait être raisonnablement retenu au même titre que sa vulnérabilité personnelle
antérieure, méconnue et le prédisposant à délirer.
Si l’on se borne à constater l’existence d’un délire interprétatif puissamment aliénant
et ayant joué un rôle déterminant dans la commission de l’infraction, on ne peut que
conclure à une abolition du discernement et du contrôle des actes. C’est l’état de la
jurisprudence actuelle.
Mais si l’on prend en compte le fait que le sujet a joué un rôle actif dans l’émergence
de ses troubles, en consommant une substance connue comme psycho-active (même
s’il n’en connaissait pas tous les effets), et, de plus, interdite à la consommation, il est
possible d’envisager d’autres conclusions.
Si l’on admet le fait que le sujet est responsable, mais seulement en partie de son état
(compte-tenu de sa prédisposition méconnue à délirer), l’abolition pourrait être écar-
tée au profit d’une altération. Mais si l’on en venait à conclure que le sujet est entiè-
rement responsable de son état, compte-tenu de l’interdiction à la consommation de
la substance génératrice des troubles, les conclusions d’irresponsabilité pénale pour-
raient être éventuellement totalement écartées. Selon nous, ces questions ne peuvent
être tranchées par l’expert psychiatre seul, son rôle étant de rendre un avis technique
permettant de réduire les zones de doute et d’incertitude en segmentant la question de
la responsabilité pénale des auteurs sous l’emprise d’une substance psycho-active en
quatre questions différentes.

[] 414 Les cahiers de la justice - # 2021/3


La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique Dossier

Tableau 1 : conclusions possibles au regard de l’interaction entre les faits et l’atteinte


du discernement

Les cahiers de la justice - # 2021/3 415 []


Chambre criminelle de la Cour de cassation

A
u milieu du siècle dernier, notre regard mouvement de « responsabilisation » croissante
sur la folie criminelle était largement des malades mentaux traduits en justice que se
conditionné par les experts psychiatres. situe l’affaire Sarah Halimi à laquelle est consacré
Parés du sceau de la science, leurs diagnostics ce dossier des Cahiers de la Justice.
tombaient de très haut. Ni les avocats, ni les La question débattue est de savoir si la prise de
magistrats n’osaient contester leur domaine toxiques a un effet déterminant ou contributif
réservé. Pour ceux que la psychiatrie avait choisis, sur le passage à l’acte. Dans le premier cas, la
la prison était nocive, le soin seul (résultant du responsabilité est pleine et entière même si la
non-lieu) ouvrait le chemin de la guérison. La peine peut être atténuée en cas d’altération du
réforme du Code pénal de 1994 a nuancé cette discernement. Dans le second cas, le crime peut
alternative sommaire entre la prison et le soin déboucher sur un non-lieu ce qui a été décidé
selon qu’il y a abolition du discernement (folie dans cette affaire par les juridictions et confirmé
complète) ou simple altération (folie partielle). par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Au tournant des années 2000, ce modèle va être Face à l’incompréhension de cette décision de la
nuancé. Peu à peu, la figure du fou criminel est part des porte-paroles des victimes relayée par le
vue sous l’angle de la dangerosité et des risques discours politique, le débat reste ouvert. La crainte
encourus pour la société. Nous demandons à exprimée par certains auteurs de ce dossier est
la justice et ses experts moins de le traiter que que la tendance à la responsabilisation pénale
de nous protéger de ceux qui font un usage de des malades mentaux soit accrue dans un tel
leur liberté certes pathologique mais surtout contexte en oubliant les carences de l’expertise
dangereux pour notre société. C’est dans ce psychiatrique et la primauté du débat judiciaire.

www.dalloz.fr

Réf. : 622103 9 782996 22103 4

Vous aimerez peut-être aussi