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Irresponsabilité pénale pour défaut de
TRIBUNE discernement : évidence des hommes
et justice du droit
par Jean-Louis Gillet
Vincent Mahé, MD, MSc, Psychiatre des Hôpitaux, Expert auprès de la cour d’appel de Paris - Affiliation Grand
Hôpital de l’Est Francilien ; Pôle de Psychiatrie et Addictologie ; Site de Meaux 6-8 rue Saint-Fiacre - 77100 Meaux.
Pouvant paraître flou pour le non spécialiste de la pathologie mentale, le raisonnement médico-légal
de l’expert-psychiatre devrait systématiquement reposer sur des éléments permettant d’évaluer la nature
précise de l’interaction entre le niveau d’aliénation éventuelle d’un auteur d’infraction, et le rôle que la
pathologie constatée a pu jouer dans la commission de cette infraction. C’est l’analyse de cette interaction
spécifique qui permet de conclure à l’existence d’une abolition ou d’une altération du discernement. La
question de la responsabilité pénale des auteurs d’infraction usagers de substances psycho-actives s’est
invitée de façon de plus en plus insistante dans les débats expertaux. Cette question peut être découpée
en quatre questions distinctes, dont trois médicales et l’une ouvrant sur débats juridiques et sociétaux,
qu’il n’appartient pas à l’expert psychiatre de trancher. L’adjonction d’une question supplémentaire posée
à l’expert psychiatre et interrogeant directement sur le rôle que l’auteur a joué dans l’émergence des
symptômes psychiatriques modifiant le discernement et ayant conduit aux faits, pourrait permettre de
progresser dans l’adaptation de la réponse pénale apportée à ces sujets.
The criminal liability of persons with mental disorders. Methodology of expert evaluations
While potentially unclear to persons non-specialized in mental pathology, the forensic reasoning of a
psychiatric expert witness should be consistently rooted in elements allowing an assessment of the specific
nature of the interaction between the possible degree of mental illness of a perpetrator and the role
that the observed pathology may have played in the commission of this offense. It is the analysis of this
specific interaction that makes it possible to determine whether there is an absence or a deterioration
of discernment. The question of the criminal liability of perpetrators using psychoactive substances has
become increasingly pressing in expert debates. This question can be divided into four distinct issues,
three of which are medical, and one of which involves legal and societal debates, which fall outside
the purview of the psychiatric expert witness. The addition of a question posed to the psychiatric expert
witness, directly inquiring into the author’s role in the emergence of the psychiatric symptoms causing
the alteration of discernment and leading to the events, could make it possible to make progress toward
determining an appropriate adjustment of the penal response to these subjects.
]
d’un trouble psychique ou neuropsychique « L’analyse des capacités de discernement
ayant altéré son discernement ou entravé le de l’auteur de l’infraction est donc le point
central de la discussion médico-légale. »
contrôle de ses actes demeure punissable ;
toutefois, la juridiction tient compte de cette
circonstance lorsqu’elle détermine la peine est malheureusement moins rare qu’on ne le
et fixe le régime ». souhaiterait. L’atteinte du discernement au
Le travail de l’expert psychiatre consistera sens de l’article 122-1 du code pénal doit
donc à évaluer les capacités de discernement s’entendre au sens de l’incapacité, du han-
de l’auteur des faits, au moment de ceux-ci, dicap, en lien avec une pathologie mentale
travail qui ne pourra être abouti qu’au terme identifiée, et empêchant le sujet qui en est
d’un raisonnement médico-légal spécifique à atteint de disposer de sa pleine lucidité, de
chaque situation [13,15,17-19]. Il n’est en sa pleine liberté décisionnelle et/ou de la
effet pas possible de lister de façon exhaustive pleine conscience du caractère délictueux
l’ensemble des pathologies pouvant mener à (ou criminel) de l’acte qu’il commet ainsi que
que les pathologies mentales dites aliénantes et n’est qu’un épiphénomène l’ayant seule-
(recouvrant globalement toutes les patholo- ment perturbé dans son mode opératoire.
gies psychotiques aiguës ou chroniques carac- Ce petit exemple illustre parfaitement la
térisées par l’existence de troubles majeurs deuxième question que tout expert doit se
de la pensée, de perceptions aberrantes, et poser : quel est le lien, s’il existe, entre les
de désordres émotionnels majeurs) consti- faits reprochés et l’atteinte du discernement
tuent le groupe principal des troubles pou- liée à la pathologie mentale ; il illustre éga-
vant donner lieu à irresponsabilité pénale lement parfaitement le fait que la pathologie
pour motif psychiatrique. D’autres patholo- mentale n’est absolument pas exclusive de
gies sont cependant susceptibles d’induire conduites délictueuses ordinaires en lien
des atteintes du discernement, comme par avec la personnalité et les choix de vie du
exemple les troubles de l’humeur, les patho- sujet. La question n’est donc pas de savoir
logies cérébrales organiques, les déficiences si l’auteur d’une infraction est un malade
intellectuelles [5]. D’une façon générale, ces mental ou un délinquant, mais de savoir si
pathologies sont sous-tendues par des dys- l’infraction est en lien avec les symptômes
fonctionnements cérébraux indépendants de de la maladie constatée ou avec les choix
la volonté de l’individu qui en est atteint. de vie du sujet. On peut être et malade et
La première mission de l’expert est avoir un mode de vie délinquantiel sans que
donc de déceler l’existence, ou non, d’une l’un et l’autre ne soient liés. Rien n’empêche
pathologie mentale à potentiel aliénant au en effet qu’une pathologie mentale ne se
moment des faits, de la qualifier, puis de développe chez un délinquant banal, les
décrire l’impact de celle-ci sur le discerne- choix de vie en marge de la société n’étant
ment en précisant autant que faire se peut le pas une barrière contre la maladie mentale.
niveau d’atteinte du discernement, majeur, Une fois apportées les réponses à ces deux
ou non. Cependant, le constat de l’existence questions on peut suivre le principe général
d’une pathologie mentale au moment des qui veut que l’abolition du discernement
faits, et retentissant sur le discernement, ne soit retenue lorsque l’infraction commise
suffit pas à aboutir à une conclusion d’aboli- est en relation directe et certaine avec une
tion, ni même à une conclusion d’altération. pathologie mentale entraînant une atteinte
Considérerait-on qu’un vendeur de stupé- majeure du discernement au sens médico-lé-
fiants d’habitude (non consommateur) pré- gal [19,20]. La pathologie mentale doit donc
sentant un épisode psychotique impromptu avoir joué un rôle absolument déterminant
l’amenant à être repéré et interpellé, serait dans la commission de l’infraction, ou, en
irresponsable du fait de ses troubles men- d’autres termes, c’est la pathologie mentale
taux ? Certainement non, la pathologie n’est qui est directement, et de façon certaine, à
pour rien dans ses habitudes délinquantielles l’origine de l’acte.
Il découle de ce principe que si l’at- ailleurs le fait que c’est bien le résultat de
teinte du discernement n’est pas majeure l’interaction entre infraction et état mental
et/ou que la relation de causalité entre de l’auteur qui permet d’évaluer la respon-
pathologie et faits n’est pas directe, on sabilité pénale de celui-ci.
ne peut retenir une abolition du discer- Si une conclusion d’abolition du dis-
nement. Une altération du discernement cernement revient à attribuer l’exclusivité
peut être cependant retenue, à la condition du rôle criminogène à la pathologie men-
que le discernement soit pathologiquement tale, une conclusion d’altération du dis-
modifié et en lien avec les faits. Afin de cernement suggère que d’autres facteurs,
tenter de couvrir la plupart des situations en lien avec la personnalité de l’auteur,
possibles, nous proposons un tableau syn- son histoire ou le contexte, ont pu éga-
thétique (Tableau 1) à deux entrées. Une lement jouer un rôle contributif dans la
entrée quantifie le niveau d’aliénation, commission de l’infraction. En effet, si
c’est-à-dire d’atteinte éventuelle du discer- l’existence d’une pathologie mentale peut
nement (atteinte majeure, atteinte modérée exercer un pouvoir attractif sur l’attention
à légère, absence d’atteinte) en lien avec un des observateurs, il ne faut pas oublier que
trouble de quelque nature qu’il soit (tous la genèse du passage à l’acte est plus sou-
les troubles psychiatriques et psychologiques vent plurifactorielle que monofactorielle
sont ainsi couverts, qu’ils soient à potentiel et que d’autres facteurs contributifs à la
aliénant, comme pour les psychoses ou non, commission de l’infraction, et étrangers à la
comme pour la plupart des troubles de la pathologie, ont pu être également contribu-
personnalité [11]) ; l’autre entrée évalue tifs. Il apparaît ainsi important de préciser,
la nature de la relation éventuelle entre si possible, quels autres facteurs, sans lien
le trouble et les faits (rôle déterminant de avec la pathologie, ont pu contribuer à la
commission de l’infraction. L’analyse de
[
« Il ne faut pas oublier que la genèse l’histoire du sujet, de sa relation éventuelle
du passage à l’acte est plus souvent avec la victime, du mode opératoire, et du
plurifactorielle que monofactorielle. » contexte global ayant entouré l’infraction
peut s’avérer très utile. Il est par ailleurs
la pathologie, rôle contributif, absence de possible de moduler le niveau d’altération
rôle). En croisant ces données on parvient (légère, modérée, sévère) en fonction de
à des propositions de conclusions (abolition l’importance de l’atteinte du discernement,
du discernement, altération du discerne- de l’importance du rôle de la pathologie
ment et absence d’abolition ou d’altération dans la commission de l’infraction et de
du discernement) qui, sans être irrécusables, l’importance éventuelle des autres facteurs
devrait être une puissante source d’inspira- contributifs à la commission de l’infraction,
tion pour l’expert. Ce tableau consacre par si ceux-ci ont été identifiés.
L’intérêt de cette modélisation est de peut également s’appuyer sur des examens
pouvoir expliquer en outre pourquoi le psychiatriques réalisés lors de la garde à vue,
discernement d’un même auteur peut être à la condition que ceux-ci soient de qualité,
considéré comme aboli pour certains faits à c’est-à-dire suffisamment descriptifs et détail-
certains moments de sa vie ou simplement lés, et sans conclusion définitive, et parfois
altéré dans d’autres circonstances. Chaque expéditive, sur la responsabilité pénale [7,21].
individu opère selon sa logique propre,
indépendamment d’une éventuelle patho-
logie mentale dont la symptomatologie peut Cas particulier de l’évaluation de
en outre fluctuer en intensité au cours du la responsabilité pénale en cas
temps. Tout dépendra donc du niveau de de prise de substances psycho-
gravité des troubles au moment des faits et actives
du rôle éventuel que ceux-ci ont joué dans
la commission de l’infraction, conditions Comme nous l’avons précédemment
qui peuvent différer d’un temps à l’autre, et précisé, les principes de l’irresponsabilité
d’une infraction à l’autre, chaque infraction pénale pour motif psychiatrique reposent,
pouvant avoir, en outre, sa logique propre. entre autres, sur le caractère involontaire
On constatera par ailleurs qu’il existe des troubles mentaux, bien que cette règle
des zones d’intersection entre les différentes n’ait jamais été écrite. Il s’agissait d’une
propositions de conclusions. Ces zones d’in- convention entre experts-psychiatres, régu-
tersection correspondent aux zones de doute lièrement retenue dans les situations d’ivresse
et d’incertitude inévitables [19,20]. Un alcoolique.
expert peut considérer que la pathologie a L’irruption de la consommation généra-
joué un rôle déterminant dans la commission lisée de substances psycho-actives diverses et
de l’infraction, l’autre que le rôle ne fut variées, et la progression de la connaissance
que contributif. L’un peut considérer que le que l’on a de leurs effets, ont sensiblement
niveau d’atteinte du discernement est majeur,
l’autre qu’il n’est qu’intermédiaire. Ces zones
]
« L’irruption de la consommation généralisée de
d’intersection, légitimes, sont propices aux substances psycho-actives diverses et variées, et
débats entre experts et soulignent surtout la progression de la connaissance que l’on a de
leurs effets, ont sensiblement modifié la donne. »
la difficulté de reconstituer avec exactitude
l’état psychique d’un sujet au moment des
faits. L’analyse du contexte global du passage modifié la donne. De marginale il y a une
à l’acte, qui ne relève pas de la compétence vingtaine d’années, la conjonction infrac-
du seul expert psychiatre, peut se révéler tion/consommation de substances psycho-ac-
d’une aide précieuse et ainsi aider à trancher tives est devenue un sujet aussi fréquent que
entre deux conclusions divergentes. L’expert porteur de débats infinis, récemment illustrés
cette émergence de symptômes psychiatriques avoir joué un rôle déterminant dans l’émer-
sous toxiques pose inévitablement la question gence des symptômes psychiatriques (inges-
de la vulnérabilité sous-jacente du consom- tion par exemple d’un cocktail « explosif »
mateur. Tous les consommateurs de subs- de substances diverses et variées en quantité
tances psycho-actives ne présentent pas de massive), ou un rôle simplement contribu-
complication psychiatrique loin de là, et la tif (en cas de consommation « ordinaire »
consommation de substance psycho-active d’une substance psycho-active révélant alors
à elle seule ne saurait donc expliquer le une vulnérabilité sous-jacente), voire aucun
tableau psychiatrique présenté. L’existence rôle significatif (sujet débutant à bas bruit
de cette vulnérabilité (dont le sujet n’avait un processus psychiatrique et consommant
pas forcément connaissance, sauf à consi- secondairement une substance psycho-ac-
dérer qu’il avait déjà éprouvé le même type tive ; la consommation de toxique n’est
d’expérience dans le passé), amène à poser alors qu’une conséquence de la pathologie
la deuxième question. débutante et jusque-là méconnue). Une fois
2) Indépendamment de la question du ce lien déterminé, si possible, on peut en
rôle éventuel du toxique (Cf. infra, ques- venir à la quatrième question, selon nous
tion 3), quel est l’état psychique du sujet au plus juridique que médicale.
moment des faits et quel rôle les symptômes
« On peut envisager trois types de relation :
]
psychiatriques ont-ils joué dans la commis-
la substance psycho-active peut avoir joué
sion de l’infraction ? On en revient au un rôle déterminant dans l’émergence des
tableau précédemment présenté (tableau 1) symptômes psychiatriques ou un rôle simplement
aux fins de conclusion d’altération ou d’abo- contributif, voire aucun rôle significatif. »
Pour ce qui est des conséquences pénales, débats sur l’irresponsabilité pénale est venue
une évolution du dispositif législatif est manifes- complexifier plus encore l’évaluation expertale.
tement attendue. Celle-ci ne devrait pouvoir se Le découpage de la question de la responsabilité
faire qu’aux termes de débats sociétaux et juri- pénale des usagers de substance psycho-active
diques approfondis et aboutis au cours desquels en quatre questions distinctes, devrait per-
les questions suivantes devraient être posées : mettre de clarifier les débats. L’adjonction d’une
de quelle façon le fait que la substance soit question supplémentaire dans la mission type
(éventuellement) interdite à la consommation d’expertise interrogeant directement sur le rôle
doit-il être pris en compte ? La connaissance
des risques auxquels s’expose le consommateur « La persistance de zones de doute et
doit-elle inclure les risques connus de lui ou tous
les risques possibles ? Et enfin, en cas de doute,
à qui celle-ci doit-elle profiter ? Il n’appartiendra
d’incertitude restera cependant inévitable
en dépit de l’amélioration attendue de la
précision de l’avis technique grâce à l’utilisation
de repères médico-légaux clairs. »
]
pas à l’expert Psychiatre d’en décider.
que l’auteur a joué dans l’émergence des symp-
Conclusion tômes psychiatriques modifiant le discernement
et ayant conduit aux faits pourrait permettre
La pratique de l’expertise psychiatrique de progresser dans l’adaptation de la réponse
est un exercice difficile qui se doit d’être mené pénale apportée à ces sujets. Il est à prévoir
selon une méthodologie rigoureuse afin de limi- cependant que là encore des zones d’ombre
ter autant que faire se peut les divergences persistent, car se heurtant aux limites de nos
conclusives. La persistance de zones de doute connaissances scientifiques. La question de la
et d’incertitude restera cependant inévitable responsabilité pénale des consommateurs de
en dépit de l’amélioration attendue de la pré- substances psycho-actives ouvre par ailleurs
cision de l’avis technique grâce à l’utilisation sur d’autres débats, juridiques et sociétaux,
de repères médico-légaux clairs. L’irruption de qu’il n’appartiendra pas à l’expert psychiatre
l’usage des substances psycho-actives dans les de trancher seul.
Bibliographie
[1] Bègue C, Bouthier M, Mahé V., Rôle de l’usage de substances psycho-actives dans la
commission d’infractions pénales commises par des sujets atteints de schizophrénie. Évol
psychiatr 2020 ; 85 (2) : 217-228.
[2] Couvrat P., L’expertise Psychiatrique et la réponse pénale. In Criminologie et Psychiatrie,
Albernhe T, 1997. Ellipses Paris : 567-9.
[3] Jonas C, Senon JL., Voyer M., Delbreil A., Analyse de l’article 122-1. In Méthodologie
de l’expertise psychiatrique, 2013 : 75-81.
CAS no 1 :
Mr A, âgé de 30 ans est mis en examen pour des faits de viol. Une jeune femme de
20 ans, déclarait en effet que le petit-fils de la dame âgée qu’elle gardait s’était invité
à leur domicile et lui avait fait des avances sexuelles tout en tenant des propos obs-
cènes. Devenant de plus en plus insistant, Mr A s’était déshabillé puis avait déshabillé
la jeune femme de force avant de la pénétrer vaginalement en usant de violences
physiques. Son forfait accompli, l’auteur repartait. L’examen de la victime mettait en
évidence des traces de coups et de prises manuelles au niveau des bras, et permettait
d’identifier un ADN dans le sperme retrouvé sur la victime.
Interpellé et placé en garde à vue, Mr A reconnaissait avoir eu des relations sexuelles
avec la plaignante, avoir tenu des propos obscènes, et reconnaissait avoir été très « in-
sistant », verbalement et physiquement. L’enquête permettait d’apprendre que Mr A
avait déjà été hospitalisé en psychiatrie, et qu’il avait déjà été condamné à plusieurs
reprises pour des faits de violences.
L’expertise psychiatrique mettait en évidence une pathologie psychotique chronique,
évoluant depuis l’âge de 24 ans. Au moment de l’expertise, 2 mois après les faits, la
symptomatologie clinique était présente : Mr A était quelque peu désorganisé sur le
plan intellectuel, tenait un discours globalement et légèrement décousu, présentait
des difficultés de communication et exprimait de vagues sentiments de persécution
(persécuteurs inconnus) étayés par des hallucinations sporadiques.
L’erreur serait de s’arrêter à cette présentation succincte et de conclure que le mis en
examen, atteint d’une psychose chronique, ne peut être qu’irresponsable pénalement
du fait de cet état.
Une exploration plus poussée de l’examen et de l’histoire de l’individu permettait
d’apprendre qu’il fut condamné à plusieurs reprises pour des faits de violence, d’ou-
trage et rébellion, alors qu’il était mineur, c’est-à-dire bien avant l’éclosion de la pa-
thologie mentale, puis majeur. Le parcours scolaire fut également chaotique et marqué
d’exclusions. Le parcours professionnel était limité à quelques emplois sur de courtes
durées. Il était par ailleurs séparé depuis peu de son ex-amie.
Il apparaît donc que Mr A présente certes, une psychose chronique, mais qu’il pré-
sentait également antérieurement des troubles du caractère, voire un trouble de la
personnalité de type psychopathique, rendant compte de l’intégralité des passages à
l’acte anti-sociaux survenus avant l’apparition de la maladie mentale.
La question était donc de savoir si les faits étaient en lien avec la pathologie mentale
ou avec les troubles du caractère, ou encore avec les deux, l’un n’étant pas exclusif de
l’autre.
En suivant les préceptes énoncés plus haut, il convient en premier lieu d’évaluer le
niveau d’aliénation (d’atteinte du discernement) de l’auteur, puis en second lieu de
définir le lien éventuel entre les faits et les troubles.
Pour ce qui est du niveau d’aliénation, on apprend qu’il était en rupture de traite-
ment, et donc forcément symptomatique. Cependant l’examen réalisé ne mettait pas
en évidence d’envahissement délirant au moment des faits, ni de thématique délirante
sexuelle, ni de trouble du comportement évocateur d’une désorganisation complète
des processus de pensée. Il ne revendiquait pas les faits ni ne les justifiait de façon
délirante. On note également qu’il n’avait fait aucune publicité aux faits et avait
eu tendance à dissimuler ceux-ci par la suite. En conséquence, il paraît difficile de
considérer que le niveau d’aliénation était majeur, au moment des faits. En revanche,
compte-tenu de l’existence certaine de symptômes psychotiques au moment des faits,
eu égard à la nature de sa pathologie, on ne peut considérer qu’il disposait pleinement
de toutes les fonctions impliquées dans le discernement. Le niveau d’atteinte apparaît
donc comme ayant été modéré (aliénation partielle).
Pour ce qui est du lien éventuel entre la pathologie et les faits, il n’est pas possible
d’établir de lien direct et certain. Aucune thématique délirante sexuelle n’est relevée,
ni aucun envahissement hallucinatoire. Il n’était pas contraint par la pathologie à
commettre les faits. Cependant, les troubles de la communication, les difficultés de
perception et de compréhension, les troubles de la pensée ne peuvent être considérés
comme étant totalement étrangers aux faits. Ils peuvent donc être considérés comme
ayant été contributifs à la commission de l’infraction, en limitant les capacités de
recul, d’analyse et de contrôle du sujet.
Au terme de ce raisonnement, et en suivant le résultat de l’interaction présentée dans
le tableau 1, on parvint à une conclusion d’altération du discernement et d’entrave
au contrôle des actes, au sens de l’article 122-1, alinéa 2, du code pénal. Le fait que
la pathologie n’ait joué qu’un rôle contributif à la commission de l’infraction amène
à souligner le rôle contributif significatif du caractère psychopathique du sujet, qui
s’est déjà exprimé à de multiples reprises dans le passé. Intolérance à la frustration,
opportunisme, recherche de satisfactions immédiates, y compris sexuelles, peuvent
tout à fait donner du sens à l’acte, la pathologie psychotique ayant altéré de façon
pathologique les maigres capacités de contrôle culturellement acquises.
Cet exemple illustre selon nous assez bien le fait qu’une infraction peut être de dé-
terminisme plurifactoriel et que le poids de chacun des facteurs contributifs doit être
évalué de la façon la plus précise possible.
CAS no 2 :
Il ne s’agit donc pas d’une ivresse simple, mais d’une complication pathologique sug-
gérant l’existence d’une prédisposition autre, de nature inconnue, mais indispensable
pour expliquer l’épisode. Tous les cocaïnomanes ne présentent pas de tels effets.
S’agissant d’une complication pathologique, il convenait de s’interroger sur le ni-
veau d’aliénation du sujet au moment des faits. Force est de constater que l’activité
délirante était suffisamment envahissante pour que l’adhésion soit totale et qu’il en
vienne, convaincu d’être en danger de mort, à réaliser une séquestration allant exacte-
ment à l’opposé de ses intérêts. C’est son initiative qui a attiré l’attention des services
de Police, permettant alors la découverte du trafic, et il est tout de même assez excep-
tionnel qu’un délinquant soit à ce point ennemi de ses propres intérêts. On peut donc
convenir que le niveau d’aliénation était majeur et que la pathologie a joué un rôle
absolument déterminant dans la commission de l’infraction.
Se pose alors la question du rôle de la prise de cocaïne dans l’émergence du délire pa-
ranoïaque. Si l’on peut convenir que l’intoxication cocaïnique massive a joué un rôle,
il est difficile de trancher entre rôle contributif et rôle déterminant. L’épisode s’ex-
pliquant difficilement sans l’existence d’une prédisposition autre, le rôle contributif
pourrait être raisonnablement retenu au même titre que sa vulnérabilité personnelle
antérieure, méconnue et le prédisposant à délirer.
Si l’on se borne à constater l’existence d’un délire interprétatif puissamment aliénant
et ayant joué un rôle déterminant dans la commission de l’infraction, on ne peut que
conclure à une abolition du discernement et du contrôle des actes. C’est l’état de la
jurisprudence actuelle.
Mais si l’on prend en compte le fait que le sujet a joué un rôle actif dans l’émergence
de ses troubles, en consommant une substance connue comme psycho-active (même
s’il n’en connaissait pas tous les effets), et, de plus, interdite à la consommation, il est
possible d’envisager d’autres conclusions.
Si l’on admet le fait que le sujet est responsable, mais seulement en partie de son état
(compte-tenu de sa prédisposition méconnue à délirer), l’abolition pourrait être écar-
tée au profit d’une altération. Mais si l’on en venait à conclure que le sujet est entiè-
rement responsable de son état, compte-tenu de l’interdiction à la consommation de
la substance génératrice des troubles, les conclusions d’irresponsabilité pénale pour-
raient être éventuellement totalement écartées. Selon nous, ces questions ne peuvent
être tranchées par l’expert psychiatre seul, son rôle étant de rendre un avis technique
permettant de réduire les zones de doute et d’incertitude en segmentant la question de
la responsabilité pénale des auteurs sous l’emprise d’une substance psycho-active en
quatre questions différentes.
A
u milieu du siècle dernier, notre regard mouvement de « responsabilisation » croissante
sur la folie criminelle était largement des malades mentaux traduits en justice que se
conditionné par les experts psychiatres. situe l’affaire Sarah Halimi à laquelle est consacré
Parés du sceau de la science, leurs diagnostics ce dossier des Cahiers de la Justice.
tombaient de très haut. Ni les avocats, ni les La question débattue est de savoir si la prise de
magistrats n’osaient contester leur domaine toxiques a un effet déterminant ou contributif
réservé. Pour ceux que la psychiatrie avait choisis, sur le passage à l’acte. Dans le premier cas, la
la prison était nocive, le soin seul (résultant du responsabilité est pleine et entière même si la
non-lieu) ouvrait le chemin de la guérison. La peine peut être atténuée en cas d’altération du
réforme du Code pénal de 1994 a nuancé cette discernement. Dans le second cas, le crime peut
alternative sommaire entre la prison et le soin déboucher sur un non-lieu ce qui a été décidé
selon qu’il y a abolition du discernement (folie dans cette affaire par les juridictions et confirmé
complète) ou simple altération (folie partielle). par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Au tournant des années 2000, ce modèle va être Face à l’incompréhension de cette décision de la
nuancé. Peu à peu, la figure du fou criminel est part des porte-paroles des victimes relayée par le
vue sous l’angle de la dangerosité et des risques discours politique, le débat reste ouvert. La crainte
encourus pour la société. Nous demandons à exprimée par certains auteurs de ce dossier est
la justice et ses experts moins de le traiter que que la tendance à la responsabilisation pénale
de nous protéger de ceux qui font un usage de des malades mentaux soit accrue dans un tel
leur liberté certes pathologique mais surtout contexte en oubliant les carences de l’expertise
dangereux pour notre société. C’est dans ce psychiatrique et la primauté du débat judiciaire.
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