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Annales Médico-Psychologiques 173 (2015) 587–590

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Communication

L’intime conviction dans le procès pénal : approche


médico-psychologique
‘‘Intimate conviction’’ in the penal trial: Medico-psychological viewpoint

Michel Bénézech
266, rue Judaı̈que, 33000 Bordeaux, France

I N F O A R T I C L E R É S U M É

Historique de l’article : L’intime conviction du juge dans le procès pénal est un mécanisme psychologique extrêmement
Disponible sur Internet le 27 juillet 2015 complexe. Il fait intervenir les processus objectifs (cognitifs) et subjectifs (affectifs) de la conscience, de
la pensée, de la vigilance, du jugement de valeur, de la responsabilité, sans oublier les phénomènes de
Mots clés : l’inconscient mnésique du passé oublié et des pulsions. De plus, le procès en cour d’assises peut entraı̂ner
Conscience des phénomènes de groupe non contrôlables à l’origine d’une « personnalité collective » chez les acteurs
Doute et professionnels de la justice. Les interactions entre l’état d’esprit du juge, la méthode du doute
Droit pénal
raisonnable, la preuve matérielle, l’attitude de l’accusé et son pouvoir de séduction peuvent conduire à
Intime conviction
Juge
une décision arbitraire, à l’erreur judiciaire. La vérité judiciaire n’est que l’approche imparfaite de la
Preuve vérité « vraie » qui reste inaccessible à la justice humaine.
Vérité ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

A B S T R A C T

Keywords: The ‘‘intimate conviction’’ of the judge in a penal trial is an extremely complex psychological mechanism.
Consciousness It involves both objective (cognitive) and subjective (affective) processes of consciousness, of thought, of
Doubt vigilance, of value judgements and of responsibility, keeping in mind other phenomena from the
Criminal law
unconscious memory as well as instinctive impulses. Furthermore, trial at the Assize Court can engender
Evidence
Intimate conviction
uncontrollable group phenomena that can lead to the development of a ‘‘collective personality’’ among
Judge those playing roles in the trial. Interactions between the judge’s state of mind, the method of reasonable
Truth doubt, material evidence, the attitude of the accused and his power of seduction may lead to an arbitrary
decision being made or to an error of justice. The legal truth is but an imperfect approximation of the
‘‘real truth’’, which remains inaccessible to human justice.
ß 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

« L’homme porte en lui-même 1. Considérations générales


un juge dont il ne connaı̂t pas le visage ;
un juge qu’il identifie à lui-même mais dont il est certain, Si l’on conçoit bien ce qui est « intime », c’est-à-dire inapparent,
en même temps, qu’il correspond à un ordre en soi, caché, privé, secret, intérieur, personnel, aussi bien sur les plans
un ordre absolu, une vérité et une justice absolue. » physique, psychologique et comportemental, le concept de
Étienne de Greeff, L’Homme et son juge. « conviction » semble plus complexe et même ambivalent. Certes,
c’est ce que l’on croit, dont on est persuadé et qui doit être vrai
selon notre entendement individuel, une certitude morale absolue
résultant d’une intuition, d’une croyance, d’une démonstration
convaincante (conviction raisonnée) ou d’un état mental intérieur
Adresse e-mail : michel.benezech@gmail.com particulier (conviction délirante). Mais ce peut être encore, selon

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2015.07.006
0003-4487/ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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les dictionnaires classiques (Littré, Larousse, Robert), le sérieux, la ne le sont pas [4]. Sans entrer dans d’interminables discussions
confiance, l’opinion, l’enthousiasme, l’entrain et tout d’abord, philosophiques et scientifiques, on peut admettre avec Henri Ey
chronologiquement, la preuve irréfragable, complète, disaient les que la conscience individuelle est constituée de différentes
anciens jurisconsultes, établissant la culpabilité d’une personne, la fonctions ou opérations qui sont en tout ou partie des modalités
pièce à conviction du procès pénal. Ainsi donc, historiquement, on conscientes de la vie psychique, de la pensée : perception,
est convaincu par divers arguments que le suspect est coupable et attention, sensation, mémoire, réflexion, langage, connaissance,
non pas son contraire, à savoir qu’il est innocent ! Déjà, intelligence, sensibilité, Moi (personnalité), conscience morale,
l’Ordonnance criminelle d’août 1670 dispose que les juges dressent conscience de soi [5].
procès-verbal de tout ce qui peut servir pour la décharge ou la L’intime conviction implique en effet plus ou moins ces diverses
conviction de l’accusé (titre 4, article 1), conviction qui doit être modalités de l’activité psychique, qui inclut les processus cognitifs,
pleine et entière pour le condamner. prises isolément et dans leur ensemble, puisque toute décision
Pourquoi associer au nom féminin « conviction », un adjectif difficile, tout jugement de valeur complexe nécessitent l’intégra-
comme « intime » ? Toute conviction n’est-elle pas intime par tion d’un grand nombre de données extérieures passées au crible
définition ou ne le devient-elle pas sous des influences diverses, des filtres et valeurs culturelles, morales et sociales de notre
individuelles ou collectives : réflexion, imitation, identification, « conscience ». Il ne faut pas oublier non plus les informations
contagion, persuasion, éducation, manipulation, opposition, préconscientes, que l’on perçoit pourtant sans orienter notre
révolte. . . ? À l’inverse de cette redondance, de ce pléonasme attention sur elles (entendre sans écouter par exemple), et qui sont
apparent, n’y a-t-il pas incompatibilité, conflit, antinomie entre ces traitées par le cerveau de façon non consciente, ou plus exactement
deux termes ? L’intime conviction est-elle un oxymoron ? Freud peut-être en dehors de la pleine conscience, comme les comporte-
aurait vraisemblablement répondu oui, si l’on en croit son ments automatiques, réflexes (marche, conduite automobile), les
expertise au procès Halsmann en 1931. Selon lui, la démonstration perceptions obscures, les franges subliminales, tous ces détails
de la preuve matérielle de la culpabilité devrait primer sur toute captés par le subconscient sans qu’on s’en rende compte.
conviction, fut-elle intime ou supposée exacte. La preuve seule Et que dire des phénomènes inconscients qui, par définition,
peut étayer la conviction là où l’intime ne permet que le doute, échappent à la conscience individuelle, que ce soit l’inconscient
l’ordre pénal n’ayant rien à gagner à jouer le jeu crédule d’une mnésique du vécu d’autrefois, du passé oublié, ou celui des
confiance idéologique en associant l’intime et la conviction, c’est- pulsions. . . Toutes ces manifestations de l’inconscient dans notre
à-dire le plus subjectif et le plus objectif, unis pour le meilleur et le vie de tous les jours, tout cet inconscient affectif « brouille les cartes
pire [10]. de la perception et plus généralement de l’organisation du champ
Dans ce bref propos introductif à notre journée, nous de la conscience. . . La conscience ne s’établit pas seulement sur un
n’évoquerons pas les savants travaux portant sur les fondements socle inconscient, elle cohabite avec son inconscient, elle ne cesse
historiques et les théories juridiques de l’intime conviction du juge. de s’accomplir avec lui. » [5]. Toutefois, si la puissance de la
On les trouvera exposés dans l’excellente thèse de droit soutenue conscience n’est pas capable d’arracher totalement l’être humain à
par Clara Tournier le 19 décembre 2001 devant la Faculté de droit ses « instincts », d’obtenir la maı̂trise absolue des forces de son
de Toulon et publiée en 2003 [15]. Cet auteur, pour sa part, fait inconscient, l’homme, sauf s’il est aliéné, garde la possibilité de
clairement la distinction entre la conviction et l’intime conviction. dépasser son inconscient, de développer sa conscience morale, de
En effet, selon l’auteur, la conviction a pour objet l’appréciation des choisir librement entre le bien et le mal [14].
preuves et contribue à une base objective de jugement. Cependant, Mais le climat et la durée d’un procès en cour d’assises posent
il s’agit d’une éthique de conviction car, en vertu du principe de la encore la question d’un inconscient collectif des acteurs et des
liberté des preuves, tous les éléments de preuve sont placés sur un professionnels de la justice, ainsi que des salles d’audience. Serge
pied d’égalité et ont valeur d’indice dans l’esprit du juge qui les Raymond remarque que des phénomènes de groupe non contrôla-
apprécie en raison et en conscience. Contraint de prendre une bles apparaissent au cours de la tenue des audiences, l’effet de
décision, le juge ne peut trancher sur le seul fondement de cette masse pouvant rendre compte d’une personnalité collective avec
éthique de conviction qui n’est que le reflet d’une forte probabilité l’intervention du principe d’autorité (le Président), de transgres-
à charge ou à décharge. Il ne peut le faire qu’en prenant sa sion (l’accusé), de conformité et d’identification au chef (les jurés).
conscience à témoin, sur le fondement de sa responsabilité morale. Le contexte influe sur les personnalités individuelles à leur insu,
À la logique de conviction succède donc une logique de levant ou renforçant les inhibitions vers une norme collective,
responsabilité. L’intime conviction peut alors se définir « comme modifiant involontairement la vigilance, le comportement et la
le passage d’une éthique de conviction à une éthique de prise de décision. L’appareil psychique individuel peut devenir
responsabilité propre au jugement par le biais de l’intelligence groupal, moins autonome, mettant en cause le principe de la liberté
intuitive développée par H. Bergson ». Cette différence de nature d’appréciation des preuves de chaque juge. Raymond pose enfin la
entre la conviction et l’intime conviction n’implique pas une question de la capacité pénale de l’inconscient qui « définit à elle
absence de lien. La première, mettant en œuvre l’intelligence seule une intime conviction dont on voit mal que les jurés puissent
discursive, permet dans une certaine mesure de découvrir la la motiver » [13].
seconde par l’intelligence intuitive, l’analyse cognitive aidant à la
révélation de l’intuition créatrice par la liberté dans le jugement 3. Preuve et intime conviction
[15].
L’intime conviction supposée libre du juge, ce pouvoir
2. Conscience et intime conviction discrétionnaire de décider, de trancher, d’arbitrer, de condamner
ou d’absoudre, cette estimation humaine de la vérité, puisque la
Comme le remarque Stanislas Dehaene, le mot « conscience » chose jugée doit être tenue pour vraie (res judicata pro veritate
recouvre de nombreuses significations, depuis la vigilance habetur), ne se heurte-t-elle pas quelques fois à la preuve
neurologique jusqu’à la conscience de soi, en passant par la scientifique ou du moins aux présomptions graves, précises et
conscience d’accès à l’information (attention). Cet « espace mental concordantes ? La conviction qui résulte de l’évidence a-t-elle
de délibération interne potentiellement détaché du monde besoin d’être intime, ou plus exactement la preuve matérielle, la
extérieur » est maintenant exploré par l’imagerie cérébrale qui très forte présomption s’imposent-elles à une intime conviction, à
peut différencier les opérations mentales conscientes de celles qui une preuve morale qui lui serait contraire, opposée, le juge
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déclarant par exemple l’accusé, qui nie les faits ou qui fabule, l’accusé, de son degré d’attrayance sur les décisions judiciaires,
innocent alors qu’on a, ou qu’on semble avoir, la preuve objective plus l’attrayance étant élevé et moins la sanction étant sévère.
de sa culpabilité ? Quand le sentiment intérieur, l’intuition Parmi les facteurs de cette attirance, de cette sympathie d’emblée,
profonde de celui qui juge se heurte à la preuve matérielle on compte l’apparence physique agréable, mais aussi l’attribution
(l’ADN !) apparente de l’innocence ou de la culpabilité, qui de traits positifs de personnalité, la désirabilité sociale des
l’emporte, où est la certitude ? Vous me répondrez vraisemblable- comportements (réussite professionnelle), la similarité des atti-
ment que la vérité judiciaire demeure dans certains cas fonda- tudes de l’individu jugé avec celles des juges, favorisant un
mentalement incertaine, que c’est souvent une probabilité dans la processus d’identification. Il a de même été démontré que les
mesure où la vérité vraie est inaccessible à la justice humaine. caractéristiques faciales d’un individu pouvaient affecter les
Pourtant, la loi du 10 août 2011 a introduit la motivation des jugements, certaines croyances, certains stéréotypes restant
jugements des cours d’assises : « Sous réserve de l’exigence de vivaces (tête d’assassin, sale gueule, air vicieux ou malsain) [12].
motivation de la décision. . . » L’intime conviction paraı̂t ainsi
remise en cause. Cependant, le reste de l’article 353 du Code de 5. Méthode et intime conviction
procédure pénale reste inchangé sur le fond : « [. . .] La loi ne
demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour Pour échapper à cet aléatoire de la preuve morale, subjective, de
d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne l’impression personnelle, de l’intuition, du préjugé, du parti pris, de
leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulière- la partialité, de cette perception de la vérité sans l’aide du
ment dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur raisonnement, François Gorphe (1947) propose une technique
prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueille- judiciaire, une méthode « solide et utile » à la fois scientifique et
ment et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle pratique qui tentera de trouver « la preuve légale absolue ». Il
impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre rappelle que d’autres juristes avant lui ont essayé de réduire le plus
l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette possible la part de l’empirisme incertain et du subjectivisme
seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : arbitraire dans les jugements en donnant à la technique des
‘‘Avez-vous une intime conviction ?’’ » directives rationnelles inspirées des méthodes scientifiques
L’intime conviction, basée sur la conscience de « chacun » des modernes. Selon lui, « la décision doit être l’aboutissement logique
magistrats professionnels et des jurés, sur leur impression, leur d’un examen analytique des faits et d’une appréciation critique des
raison, leur prudence, les preuves à charge et à décharge, doit donc éléments de preuve. Elle passe ainsi de l’état de simple croyance
légalement être motivée. Nous avons déjà mis en position difficile subjective à celui d’une véritable connaissance objective,
la conscience, le raisonnement et la preuve, mais que penser de communicable et contrôlable ». Pour ce faire, Gorphe étudie les
l’impact psychologique de la défense, en particulier de la plaidoirie divers procédés logiques des modes de preuves qui doivent rentrer
avant jugement ? Car les arguments de la défense ne se résument dans une méthode critique d’ensemble, à la fois générale et propre
pas à exposer « le doute raisonnable » qui s’oppose à la présomption à chaque mode de preuve [7].
de culpabilité d’un accusé qui revendique son innocence devant la Le même auteur, dans un ouvrage postérieur (1952), revient sur
cour d’assises. La défense apporte des éléments émotionnels tant la question de l’élément affectif intervenant dans la conscience du
sur le plan de la tonalité du discours de l’avocat, qui peut juge et dans son jugement final. Il passe entre autres en revue les
s’identifier à son client, qu’en faveur de ce dernier : contexte éléments psychologiques intervenant dans l’acte de juger ainsi que
affectif et relationnel des faits incriminés, état mental, personnalité les opérations de la pensée aboutissant à la décision judiciaire. En
de la victime. . . L’avocat doit être convaincant par la logique du matière de conviction des juges, il insiste sur les divers degrés
raisonnement et émouvant par le pathétique de la situation d’adhésion entre la croyance et la certitude, l’opinion personnelle
[6]. Nous retrouvons ici l’impression qui agit sur cette fameuse des magistrats professionnels, la conviction souvent sans motif
raison : impressions que font l’accusé, la victime et les témoins, et trop subjective des jurés, la libre appréciation des preuves
impressions de l’ambiance de l’audience, impressions ultimes que in concreto, l’exclusion du doute raisonnable, la notion judiciaire
fait le défenseur qui parle le dernier. Rappelons que dans le de certitude qui est différente de la simple vraisemblance, de la
processus de décision notre cerveau est plus sensible à la sensation, probabilité. Gorphe conclut : « L’aptitude à bien juger demande,
à l’émotion, qu’au calcul logique et qu’au raisonnement mathé- pour s’exercer convenablement, non seulement une formation,
matique. des connaissances et de l’expérience, comme il a été dit, mais
aussi des conditions morales et favorables, qui donnent le
4. Attrayance et intime conviction désintéressement et la sérénité. Tout se tient dans l’esprit. . .
L’agitation du cœur trouble l’application du jugement et
Pierre Corneille a écrit : « On n’est pas criminel, toujours pour le rompt momentanément l’équilibre mental. La conscience du
paraı̂tre. » Les anciens auteurs avaient déjà observé l’importance de juge, qui pèse les actions d’autrui, a besoin de paix, de santé
la présentation et de la gestuelle du suspect devant ses juges, et d’équilibre, et en elle doit régner la justice qu’il s’agit
précieux indices à une époque où les preuves scientifiques étaient d’appliquer » [8].
rares et de valeur très incertaine. La prospection du visage
(mimiques révélatrices) et des attitudes (mouvements, postures) 6. Doute et intime conviction
constituait la partie essentielle de l’observation judiciaire du
supposé criminel et des témoins, à la recherche de signes de Là encore, nous renvoyons les juristes aux études spécialisées
mensonge, fabulation, simulation, dissimulation, manipulation. portant sur le doute et le droit, et tout spécialement au colloque du
Certains auteurs allaient même au-delà, comme le président 12 avril 1991 organisé par l’Institut de formation continue du
Richard dans son discours prononcé à l’audience de rentrée de la Barreau de Paris [9], ainsi qu’à la magistrale thèse de doctorat
cour d’appel de Paris le 2 octobre 1932 : « Les juges doivent en droit soutenue par Madame Marie-Cécile Nagouas-Guérin le
discerner les degrés de leur responsabilité, les prodromes de la 14 décembre 2000 devant l’université Montesquieu (Bordeaux IV)
paralysie générale et chez les témoins les symptômes de la et publiée en 2002 [11]. Dans ce dernier travail, deux passages de
mythomanie » [3]. l’auteur nous semblent devoir être cités ici : « Cependant, le
Sans aller aussi loin, de nombreux travaux modernes confir- développement de la science présente certains avantages pour
ment les effets des caractéristiques personnelles du prévenu ou de la justice pénale. D’ailleurs, la psychologie judiciaire et la
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criminalistique, tout en démontrant le caractère faillible des 7. Conclusion


preuves, recherchent aussi certains procédés susceptibles
d’atténuer cette faillibilité ou, du moins, de multiplier les garanties Il n’y a pas de cause d’erreur plus fréquente que la recherche de
de fiabilité de ces preuves. Cette évolution ne remet donc pas en la vérité absolue, selon Samuel Butler (1835–1902). Nous sommes
cause le système de la preuve morale qui prévaut dans la bien persuadés de la pertinence de cette réflexion, une enquête
procédure pénale française. En effet, la faillibilité des preuves aussi soigneuse soit-elle, un jugement aussi réfléchi soit-il ne
soumises à l’appréciation des juridictions peut être surmontée peuvent jamais saisir, contenir la vérité vraie, mais seulement
par la nature intellectuelle de l’intime conviction qui doit tenter de s’en approcher [1]. Notre justice n’est que la justice
déterminer la décision de condamnation, de relaxe ou humaine. Le professeur W.P.J. Pompe disait : « Le juge pénal a pour
d’acquittement » [11, p. 226]. « Il s’ensuit qu’en ce qui concerne tâche de juger les hommes. . . Il juge l’homme parce que l’infraction
tant la culpabilité que les garanties de procédure, le doute est considérée à la lumière de la faute. . . Ce n’est pas la loi mais le
profite avant tout à la justice répressive, ce qui ne signifie droit qui doit dicter les jugements. . . C’est au juge qu’incombe la
nullement qu’il ait plutôt vocation à être défavorable aux tâche de déterminer ce qu’est le droit dans un cas concret » (RSC
personnes poursuivies. . . Cependant, dans la mesure où l’éta- 1960-1, p. 1). Ainsi, l’intime conviction, en permettant l’alliance de
blissement de la vérité judiciaire est ardu et les risques d’erreurs l’objectivité et de la subjectivité, permettrait-elle ou faciliterait-
fréquents, les moyens les plus efficaces tendent à être elle l’accès à la vérité judiciaire dans le jugement. Pour finir,
privilégiés, de sorte que le doute qui pourrait avoir un effet rappelons la parole désabusée d’un lord justice anglais s’adressant
paralysant semble faire l’objet d’un effort tout particulier pour aux juges du Queen’s Bench : « Considérez ce que vous considérez
faciliter cet établissement dans les meilleures conditions qu’exige la justice et décidez en ce sens. Mais ne donnez jamais vos
possibles, sachant que la subjectivité et parfois des dérives raisons, car votre jugement sera probablement bon, mais vos
arbitraires ne sauraient être définitivement évitées » [11, raisons, certainement mauvaises. »
p. 414–5].
Les affaires simples, où la culpabilité est certaine et non
Déclaration d’intérêts
contestée (faits accablants, aveux spontanés circonstanciés), n’ont
guère besoin selon nous d’une « intime » conviction. La conviction
L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation
cognitive suffit pour condamner, même si les affects intimes
avec cet article.
interviennent dans les modalités de la peine. Il en est différem-
ment en l’absence de tout élément de preuve quelconque, par
exemple dans certains crimes sexuels dénoncés très tardivement, Références
lorsque s’oppose la seule parole accusatrice de l’un contre les
dénégations formelles de l’autre. Ici, davantage que partout [1] Bénézech M. La vérité dans tous ses états. Ann Med Psychol 2012;170:81–2.
[2] Bredin JD. Doute. In: Cadiet L, editor. Dictionnaire de la justice. Paris: PUF;
ailleurs, le doute règne en maı̂tre, surtout si celui qui est dénoncé 2004. p. 352–7.
n’a aucun antécédent judiciaire, particulièrement en matière [3] Brissaud J, Bécharde-Labarthe J. Visages et attitudes en justice. Paris: Baillière;
sexuelle. 1942.
[4] Dehaene S. La conscience décryptée en laboratoire. Le Cercle Psy 2011;1:54–7.
Si ce doute « raisonnable » (logique, argumenté, cohérent), si [5] Ey H. La conscience. Une étude phénoménologique sur l’être et le devenir
la présomption d’innocence, si la simple prudence judiciaire conscient. Perpignan: Crehey; 2014.
devraient logiquement aboutir au non-lieu (instruction), à la relaxe [6] Garçon M. Essai sur l’éloquence judiciaire. Paris: Mercure de France; 1941.
[7] Gorphe F. L’appréciation des preuves en justice. Essai d’une méthode tech-
(tribunal correctionnel) ou à l’acquittement (cour d’assises), il n’en nique. Paris: Librairie du Recueil Sirey; 1947.
est pas obligatoirement ainsi, l’intime conviction des juges [8] Gorphe F. Les décisions de justice. Étude psychologique et judiciaire. Paris:
professionnels et des jurés pouvant conduire à une condamnation Recueil Sirey/Presses Universitaires de France; 1952.
[9] Institut de formation continue du Barreau de Paris. Le doute et le droit. Paris:
en dépit de la motivation obligatoire de la décision, les motifs Dalloz; 1994.
exposés devant être réels, exempts d’insuffisance ou de contra- [10] Loiseau J, Lacoste P, Bénézech M. L’intime et la conviction ? Ann Med Psychol
diction [2]. Il y aura certes dans notre hypothèse défaut de motifs, 2012;170:132–3.
[11] Nagouas-Guérin MC. Le doute en matière pénale. Paris: Dalloz; 2002.
vice de forme, mais en l’absence d’appel le jugement deviendra
[12] Przygodzki-Lionet N. Psychologie et justice. De l’enquête au jugement. Paris:
définitif. Le doute méthodique ne profite pas toujours au prévenu Dunod; 2012.
ou à l’accusé, contrairement au principe cardinal : in dubio pro reo. [13] Raymond SG. Responsabilité et inconscient. Synapse 2001;179:33–8.
L’intime conviction peut donc être arbitraire si elle n’intègre pas [14] Ricoeur P. Philosophie de la volonté. I. Le volontaire et l’involontaire. Paris:
Aubier; 1949.
un examen critique préalable de tous les éléments de preuve [15] Tournier C. L’intime conviction du juge. Aix-en-Provence: Presses Universi-
possibles. taires d’Aix-Marseille; 2003.

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