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La démarche clinique
Roger Perron et coll. : La Pratique de la Psychologie clinique, Dunod, 2006

TECHNIQUES ET INSTRUMENTS DE LA CLINIQUE

Pour remplir son contrat épistémologique, la psychologie clinique aura à se donner un


certain nombre de techniques ad hoc, ainsi qu'un certain nombre d'instruments. Peut-être
est-il utile de distinguer les techniques des instruments. Les premières sont des
procédures définissant la modalité et les conditions dans lesquelles seront obtenues les
données cliniques (par exemple en soumettant le sujet à un questionnement, ou en
sollicitant de lui un discours associatif libre, ou encore en lui demandant de se livrer à
une activité de projection sous contrôle, comme le test de Rorschach). Les seconds sont
les moyens (matériels ou situationnels) sur lesquels se concrétise toute la démarche de
pensée issue de la méthode et du choix technique. Il semble utile d'établir un lien, ainsi
que des différenciations, entre les notions de méthode clinique, de techniques d'approche
et d'instruments de recueil de données. Cela, pour souligner que les instruments (tests,
épreuves, questionnaires, entretiens, etc.) n'ont de sens que s'ils sont considérés comme
concrétisant des élaborations et des options de la pensée clinique, c'est-à-dire la pensée
qui se conforme à la démarche méthodologique de la clinique. L'instrument utilisé pour
lui-même ne permet même pas une accumulation de données qui seraient utilisées
ultérieurement dans une optique clinique: cela n'a pas de sens, l'investigation clinique
étant toujours celle d'un actuel.

La vision purement « instrumentale » des instruments psychologiques est étroite. Il serait


erroné de considérer un test ou une épreuve comme un « instrument-prolongation-de-
soi », à la manière du marteau qui continue la puissance de la main ou de la pince qui
multiplie la préhension des doigts. Trois métaphores peuvent aider à cerner la
signification des instruments en clinique: celle de la loupe, qui agrandit les yeux de
l'esprit; celle de la sonde, qui renseigne sur ce qui se passe « en dessous »en s'internant
dans les esprits et en extrayant les données; et enfin celle des balises, qui signent
l'apparition d'un champ (la situation clinique) permettant l'expression de l'activité
psychique et de la pensée du sujet. Les instruments seraient, dans cette troisième
métaphore, aussi bien les moyens (les médiateurs) que les délimitateurs des conditions de
l'échange intersubjectif. Tout clinicien sait que ses instruments ne sont pas en soi le but
de son analyse, mais qu'ils valent dans la mesure où ils permettent de voir, inférer,
avancer des hypothèses, etc. Or ces activités de pensée du psychologue ne peuvent avoir
lieu que si les dangers de la confusion et de l'excès (toujours possibles lorsqu'il s'agit
d'ouvrir cette boîte de Pandore qu'est le psychisme humain) sont raisonnablement écartés.
Les instruments et les techniques modulent la relation, la rythment, et fractionnent
l'impact de la rencontre psychologue/sujet grâce à la centration qu'ils permettent sur une
facette donnée. Ils se doivent de devenir des cibles, autant que des garants de la situation
clinique, dans le sens de parer l'excitation que comporte potentiellement toute rencontre.
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Nous voilà de nouveau confrontés à la question de la nécessité de théories, mais cette


fois-ci en relation avec la construction et l'utilisation de techniques et d'instruments de
recueil. Ces théories devraient présider non seulement à l'application des instruments,
mais à toutes ces étapes que sont leur construction, leur application, leur interprétation,
leur abandon ou modification, c'est-à-dire leur critique.

Mais comment la théorie doit-elle être pour que l'instrument puisse saisir un certain réel
qu'il va rencontrer/susciter et auquel il servira d'interface? La condition principale est
qu'il s'agisse d'une théorisation du sujet individuel en tant que totalité complexe. Une telle
théorie est encore à construire. La psychologie génétique, malgré son indéniable
puissance, n'a pas été en mesure d'assumer la question de la pulsionnalité et de l'affect; et
la psychanalyse, qui est l'autre théorie puissante de l'individuel, a encore de grandes
insuffisances quant à la théorisation de la pensée et des processus de connaissance.

Le découpage selon les types d'instruments montre bien les différentes façons de
concevoir l'objet de la clinique: Bourgès (1991) divise les épreuves de l'examen
psychologique de l'enfant selon les facteurs présents dans chaque épreuve; Ainsi, elle
distingue des épreuves à facteurs intellectuels dominants, des épreuves à facteurs
instrumentaux dominants et des épreuves à facteurs affectifs dominants. Les épreuves
graphiques présentent une multiplicité de facteurs et constituent un groupe à part.

Pour Reuchlin (1969), il y a d'un côté l'approche de la psychologie génétique de Piaget, et


de l'autre l'approche psychanalytique (entretiens, observations, épreuves projectives).
Nous ne proposerons pas ici une typologie spécifique; nous préférons une approche
intégrative de la démarche globale d'investigation, dans laquelle les différents instruments
trouveraient une place davantage en tant que questions que se pose le clinicien qu'en tant
qu'épreuves ou tests définis par une appartenance préétablie. Cela ne signifie nullement
que la spécificité de chaque instrument est méconnue, mais plutôt, à la façon d'un
orchestre, que chacun acquiert des résonances selon là place qui lui est attribuée dans la
démarche d'ensemble. Ainsi, une épreuve piagétienne censée informer sur la logique des
classes peut-elle parfaitement informer sur des aspects projectifs ou fantasmatiques chez
le sujet, même si à la base elle n'est pas conçue p6ur cela. La direction de la démarche
d'investigation et les hypothèses que fait le psychologue permettent de tirer, en général,
de chaque instrument davantage que ce qu'il est censé « mesurer ». Cette liberté relative
dans le choix et l'utilisation des instruments ne relève pas de l'arbitraire, pour autant que
le clinicien puisse la justifier sur la base de, la cohérence interne de sa démarche. Cette
cohérence n'est jamais préétablie : elle se construit au fur et à mesure, dans un travail de
pensée du clinicien, issu aussi bien de ses connaissances antérieures que de celles que lui
fournit le sujet lors du déroulement même de l'investigation.

L'observation

« L'observation est la procédure empirique de base », selon Mario Bunge (1967). « C'est
une perception préméditée et éclairée; préméditée ou délibérée car elle est faite dans un
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but bien défini; éclairée car elle est guidée, d'une façon ou d'une autre, par un corps de
connaissances. » Et d'ajouter: « L'observation en elle-même n'existe pas. En effet, on ne
peut observer sans objet tout comme on ne peut pas le faire sans observateur, humain ou
non. » Ces quelques idées nous placent d'emblée au nœud de la question: empirisme, but,
vection, relation. L'observation a toujours occupé une place centrale en psychologie
clinique: elle traverse toutes les situations (entretiens, testing) et sert tous les objectifs
(description, approche, vérification, validation, caractérisation, etc.). Sa puissance est
basée sur un préconçu lié à sa valeur de vérité et de « communicabilité » : si l'on « voit »
c'est qu'il y a quelque chose de présent, d'existant, qui émet des signaux, et que l'on peut
affirmer cela comme vrai ou du moins comme potentiellement vérifiable par un autre
observateur-homologue dans des conditions similaires. Les difficultés de l’observation en
clinique portent sur trois points; l'objectivité, le hiatus entre manifeste et latent, et la
relation entre partie et tout. D'autre part, il y a aussi la question des deux moments,
classiquement séparés, de la saisie des « faits » et de leur interprétation. À cela s'ajoutent
encore d'autres problèmes: la notation, la « communicabilité », le débat
neutralité/intervention, etc. Comme on le voit, il s'agit d'une manière d'approcher le réel
qui soulève de sérieux problèmes, le plus souvent masqués par la banalité apparente de
l'observation en tant qu'instrument de connaissance.

Premier point, l'objectivité: il s'agit pour le clinicien de parvenir à établir qu'il y a eu un «


perçu » qui n'est pas sa propre activité hallucinatoire. L'établissement de procédures et de
protocoles d'observation ont pour but de configurer l'objet « objectif » : traits, actions,
conduites, interactions, etc. Dans ce sens, on peut considérer la mesure en clinique
comme une forme sophistiquée d'observation privilégiant l'objectivité, c'est une tentative
de baliser des phénomènes, par un filet de quantification, de construire un véritable
système de coordonnées constituant des conditions permettant de fixer et de retrouver un
élément du réel. Ainsi, telle capacité du sujet, mesurée dans un test, réapparaîtra au même
« endroit » ou dans un « endroit » voisin (ou éloigné) lorsque les mêmes conditions
standardisées de stimulation et de notation seront reproduites.

La question de l'objectivité semble mal placée en psychologie clinique dans la mesure où


la situation d'observation est per se une relation intersubjective, une relation entre sujets
interagissant. Les illusions de la non-intervention du psychologue comme garantie
d'objectivité doivent actuellement être rejetées. D'autres disciplines humaines, telles que
la sociologie ou l'ethnologie, ont fait la critique de l'observateur « invisible », pour
développer des réflexions autour de l'observation participante, le point de vue émique
(interne) ou étique (externe), etc. En clinique, ce qui importe c'est de se baser sur cette
idée que la subjectivité sera plus qu'une simple variable parasite: une composante intime
de l'observation. Avant d'être un instrument ou une technique, l'observation est une
expérience de saisie d'autrui où l'observateur s'expose tout autant que sa cible.

Une abondante littérature signale les biais introduits dans l'observation et la notation par
les attentes implicites de l'observateur, par sa personnalité, par ses connaissances
antérieures, ainsi que par les présupposés mêmes impliqués dans la mise en place de la
situation d'observation (Droz, 1983, parle de véritables filtres épistémiques). Il s'agit
surtout pour le clinicien de ne pas les dénier, et d'en établir les conditions d'influence.
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Deuxième point: le hiatus entre manifeste et latent. Toute la clinique psychologique


cherche, à partir d'une saisie de signes manifestes, à les interpréter et à faire des
inférences sur ce qui est « caché », sur ce dont la conduite, la parole, la performance sont
les témoins. Qu'observe-t-on, à quel niveau se place-t-on ? Le clinicien est souvent
confronté, chez son sujet, à des états émotionnels et affectifs qui le touchent aussi, à
l'expression de représentations, à la parole elle-même. Mais, tout aussi souvent, il
sélectionne ce matériel manifeste en fonction d'une saisie non formalisée de vécus et de
transactions inconscientes ou préconscientes qui organisent cette saisie du manifeste.
Contrairement à la métaphore malheureuse qui veut que le manifeste soit plus
« superficiel » et le latent plus « profond », il faudrait plutôt penser en termes inverses: le
manifeste est ce qui survit à l'effet des censures, du refoulement et des défenses. Le
manifeste est secondaire au latent. Or celui-ci, par définition échappant à l'observation,
doit trouver une place, non pas en tant qu'élément positif, mais en tant que condition de la
saisie du manifeste. Un exemple paradigmatique de ces liens conflictuels entre ces deux
niveaux est celui de l'observation des bébés selon la méthode d'Esther Bick. Sans entrer
dans la technique, on peut dire que, outre qu'elle pose la question épineuse de
l'observateur « invisible » et de l'observation « en milieu naturel », il s'agit ici d'une
situation fortement marquée par des vécus fantasmatiques et affectifs intenses, renvoyant
aux propres expériences infantiles et de relation mère-enfant de l'observateur. Ces
configurations latentes vont orienter la saisie d'un manifeste qui sera, à son tour, voie
d'accès aux reconstructions du latent chez la mère et son bébé, en lien avec ce tiers muet.
L'exercice est périlleux, mais permet de souligner et de travailler sur la distinction/liaison
entre les deux niveaux de réalité.

Si, dans le cas de la méthode de Bick, la problématique latent/manifeste est un objet


central d'élaboration, elle n'est pas absente de toute autre modalité d'observation en
clinique, y compris dans le testing et - cela va sans dire - dans les épreuves projectives.
Toute cette question conduit en droite ligne à celle de la nécessité pour le clinicien de
prendre en compte les modalités de son contre-transfert et de l'influence que celui-ci peut
avoir sur le sujet en situation.

Un dernier point: celui des relations partie/tout. Toute observation est fragmentaire et
comporte des zones de « densité » inégale, l'attention de l'observateur étant parfois guidée
par ses propres associations et par les conduites du sujet vers des points préférentiels au
détriment d'une observation idéale qui serait - théoriquement - homogène. Cela est
inévitable: cette rugosité est la structure même du réel. Or la tendance du clinicien-
observateur sera de donner sens aux fragments de réalité, au fur et à mesure qu'il les capte
ou élabore. Cette attribution de sens se fait par la mise en configuration des éléments qui
sont observés. Ce procédé amène à des prises de choix d'allure parfois assez arbitraire, et
on peut se demander parfois, effectivement, sur quoi se base la légitimité de ces liens
reconstructifs.

Une des réactions à cet excès de sens prématuré, lié aux difficultés de donner une unité
sémantique aux fragments perçus, consiste à rendre la situation d'observation la plus
« pure » possible. Ceci amène à la tentation d'une observation atomistique et naturaliste,
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dont le paradigme est l'observation éthologique. Au fond, ce qui est en question, c'est la
validité d'une observation fonctionnelle, considérée comme trop « projective ». Jacques
Vauclair (1983) explique que « les descriptions par la fonction ou par la conséquence
supposent un degré d'abstraction plus élevé que les descriptions empiriques ». Ainsi,
décrire un comportement d'envol d'un oiseau à l'approche d'un humain comme: « il fuit
en s'envolant », lui semble critiquable. Une description empirique en termes de
« contraction rapide et alternée, puis relaxation des muscles pectoraux; battement d'ailes;
envol » lui semble rendre compte de façon moins équivoque du phénomène. Pour éviter
la perte de tout sens, il prône, lorsque cela est nécessaire, l'introduction de données
contextuelles. Les éthologistes insistent aussi sur la validité de l'observation en milieu
naturel: elle implique la non-intervention de l'observateur.

L'observation éthologique a connu une certaine fortune en psychologie : étude de


groupes, études développementales sur des bébés et de jeunes enfants, comme celles de
Montagner sur les hiérarchies entre enfants dans une crèche. C’est un point de vue qui
n'est pas dépourvu d'intérêt, mais qui comporte, à son tour, de nouvelles faiblesses. Dans
l'observation éthologique des humains, il existe une forte validité interne, mais aussi une
faible généralisation, justement par le choix atomistique et par la réticence à passer à des
niveaux interprétatifs. Là où l'approche d'une observation fonctionnelle a choisi de mettre
l'accent sur l'ensemble, l'observation éthologique privilégie, sinon le partiel, du moins une
très faible convergence des éléments observés. En dépit de cela, les modèles éthologistes
n'hésitent pas à franchir des pas épistémologiques audacieux, comme Huxley (1971), qui
explique en termes d'effondrement de la « ritualisation intérieure » certaines pathologies
humaines, en prenant appuis sur les modèles de rituels animaux.

Ce qui se joue, au fond, dans l'observation éthologique, ce sont des divergences face aux
courants psychodynamiques et même à certains courants socio-anthropologiques,
concernant la légitimité de la présence d'un sujet-observateur, qui est nécessairement
partie prenante de la relation avec son « objet » qui n'est autre, au demeurant, que l'autre
sujet de la relation intersubjective.

Cela dit, malgré les problèmes importants qu'elle présente, l'observation reste une belle et
riche approche en psychologie clinique, pour autant que la question des conditions de
l'observation soit précisée, et que l'analyse des mouvements contre-transférentiels du
clinicien puisse jouer sa double fonction, à la fois de facteur de correction et de
possibilité d'enrichissement. Cette analyse peut aussi donner une place au non-observé.

L'entretien clinique

Lorsqu'on parle d'entretien clinique, cela recouvre surtout des entretiens semi-structurés
où il s'agit pour le clinicien d'explorer des zones du fonctionnement du sujet. Les
entretiens sur le mode du questionnaire ne possèdent pas la même dynamique. Les buts
des entretiens cliniques recouvrent un assez large spectre: récolte anamnestique,
diagnostic psychodynamique, préliminaires pour une intervention thérapeutique ou
psychopédagogique, etc.
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Le problème central de l'entretien clinique, quel que soit son but, est de moduler la
relation intersubjective de telle façon que la disponibilité du clinicien ne provoque pas un
effet paradoxal, comme pourrait l'être une induction inconsciente à s'étendre sur un point
plutôt que sur un autre - le sujet cherchant ainsi à remplir ce qu'il pourrait percevoir
comme une attente du clinicien. Ce genre de situation renvoie à la question du
maniement/utilisation du transfert et du contre-transfert dans les entretiens. Sujet délicat,
puisqu'un excès de disponibilité peut dénaturer le but même de l'entretien, le plus grand
risque étant celui d'établir un lien quasi thérapeutique « sauvage », avec les dangers que
cela comporte. Ces entretiens sont d'autant plus délicats que parfois il est utile et
nécessaire de donner certains commentaires interprétatifs qui puissent aider le sujet à
associer. Dans ce sens, le canevas - très large - que le clinicien a en tête peut agir comme
un élément du cadre clinique, qui doit, par ailleurs être clairement explicité dès le début.

Une notion qui a beaucoup de succès parmi les cliniciens est celle de «contenance »,
faisant référence aux concepts bionniens liés à la relation mère-bébé. Le risque peut
apparaître que cela soit confondu avec une certaine forme de passivité du clinicien « tout
écoute ». Or la contenance implique un contenu, renvoyant à la bisexualité psychique et
aux prémisses identificatoires. Une attitude d'écoute ne peut faire l'impasse du travail
actif de pensée, et parfois d'intervention, du clinicien. La trop grande disponibilité peut
parfois devenir source d'angoisse, ou manifestation d'une ambiguïté à tonalité agressive
ou séductrice de la part du psychologue.

La conduite de l'entretien clinique est difficile, entre autres choses, parce que le clinicien
conduit partiellement, et doit aussi se laisser conduire par le jeu associatif et les
significations latentes qu'il peut percevoir chez le sujet et chez lui-même. Cette exigence
de mobilité psychique ne coïncide pas avec l'attention flottante de l'analyste, qui est
moins tributaire des aspects perceptifs et actifs qui ont une place lorsqu'il s'agit
d'entretiens cliniques.

Instruments de « niveau » et tests psychométriques

Ils partent du principe que l'on peut situer un sujet sur des échelles de mesure vis-à-vis
d'une population de référence. Il s'agit de tests très normalisés quant aux conditions
d'application, de notation et d'analyse. Le principe du calcul mathématisé des
performances y est régulièrement présent, posant parfois le problème de la réalité
psychologique de ce qu'ils sont censés mesurer. Un exemple typique est celui des tests de
facteur G. « Pour Spearman, si deux tests mentaux ont entre eux une corrélation élevée,
c'est qu'ils apprécient quelque chose en commun: la corrélation exprime la mesure du
facteur commun ou G » (Bourgès, 1991). Les calculs généraux (facteur G, QI) sont en
général peu informatifs en situation clinique, même s'ils peuvent permettre des
hypothèses à étudier par la suite, notamment lorsqu'une analyse plus fine des subtests est
effectuée. Déjà le Wechsler-Bellevue introduit des comparaisons entre aptitudes verbales
et non verbales, mais malgré cela, il reste assez proche de la tendance mathématisante. Il
est important que la critique se fasse par rapport aux postulats sous-jacents de ces
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échelles: pour Wechsler, l'intelligence reste constante chez un individu tout au long de sa
vie. Il établit donc une « tolérance » normative de 5 points entre deux mesures de QI,
interprétant les écarts majeurs comme des signes d'effondrement intellectuel ou de
progression, en rapport avec des facteurs d'histoire individuelle, qu'il ne précise pas, mais
qui laissent, en fin de compte, la possibilité de réintroduire l'analyse qualitative au niveau
des subtests.

Sans méconnaître la valeur des échelles globales pour situer très approximativement les
sujets, il convient d'apprécier des épreuves plus locales qui ont des rapports proches avec
des aptitudes. C'est le cas, par exemple, de l'épreuve des cubes de Kohs et ses
adaptations: bien qu'elle ne permette pas de se prononcer très nettement sur un niveau
intellectuel global, la multiplicité de facteurs spécifiques auxquels elle est sensible
(structuration spatiale, orientation, motricité, etc.) la rend intéressante pour une approche
qualitative.

Dans une optique d'examen psychologique plus centré sur le fonctionnement, certains
subtests du WISC, WAIS, etc., peuvent être utiles, même en dehors du contexte de
l'échelle globale, à condition que le clinicien soit très au clair sur ce qu'ils sont censés
«mesurer ». Par exemple, des tests de complètement d'images du WISC peuvent être
utilisés comme complément à des investigations sur des axes tels que la causalité, la
temporalité, etc., pourvu que le travail d'analyse et d'émission d'hypothèses de la part du
clinicien se fasse tout au long de l'examen psychologique. Signalons enfin les « échelles
différentielles d'efficiences intellectuelles » (Perron-Borelli, 1996) construites
précisément pour comparer les démarches et les performances de l'enfant dans différents
secteurs d'activités intellectuelles (activités catégorielles, langage, intelligence sociale,
etc.).

Les approches projectives

Leur caractéristique commune est de permettre au sujet d'associer librement sur un


matériel qui peut être figuratif (TAT, CAT, DPI, Patte Noire, etc.) ou non (Rorschach)
mais qui est, dans tous les cas, volontairement ambigu. L'idée centrale est que le sujet
tendra à « combler une situation relativement vide en faisant appel non pas tant à ses
aptitudes et à son intelligence qu'aux ressources profondes de sa personnalité » (Anzieu et
Chabert, 1983). La situation ravive chez le sujet les conflits psychiques, dans le contexte
d'une régression des processus secondaires aux processus primaires.

Anzieu et Chabert proposent de distinguer divers types de projection : qui sont à l'œuvre
dans différentes épreuves, et de distinguer les tests projectifs thématiques (comme le
TAT) des tests projectifs structuraux (comme le Rorschach). Les premiers révèlent les
contenus significatifs d'une personnalité: nature des conflits, désirs, réactions à
l'entourage, moments clés de l'histoire vécue. Dans cette catégorie, ces auteurs incluent:
jeux dramatiques, dessins ou récits libres et à compléter, interprétations de tableaux, de
photos ou d'autres ouvrages. Les tests structuraux aboutissent à une appréhension de
l'ensemble du système de la personnalité, de son équilibre, de sa façon d'appréhender le
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monde, des interrelations entre instances (selon le modèle de la topique freudienne). Ils
insistent sur le fait qu'aucun test projectif ne saisit l'ensemble de la personnalité, et que le
psychologue qui établit un bilan de personnalité doit appliquer au moins un test structural
et un test thématique.

L'utilisation de ces tests en clinique psychologique est amplement répandue, leurs


modalités d'application à un sujet sont très contrôlées. Il ya néanmoins des différences
quant à l'analyse et à l'interprétation: dans le cas du Rorschach l'analyse se fait sur deux
niveaux: quantitatif (le « psychogramme ») et qualitatif. L'interprétation atteint une
grande sophistication, avec une analyse temporelle (dynamique des conflits dans leur
enchaînement), ainsi qu'une interprétation sur le modèle psychanalytique (même si celui-
ci n'est pas à la base théorique du test). Dans le cas du TAT, la cotation et l'analyse ne
sont pas aussi codifiées que celles du Rorschach, et un certain nombre d'options
théoriques qui coexistent pour ce test compliquent la tâche interprétative.

Deux aspects sont à relever quant aux tests projectifs dans la pratique clinique: celui
concernant leur portée et celui concernant leur interprétation. L'association Rorschach-
TAT permet de cerner la structure et les contenus de la personnalité du sujet. Or cette
couverture ne semble pas être régulière, et permet de se poser la question de la pertinence
de certaines pratiques qui tendent à réduire aux tests projectifs une investigation du
fonctionnement du sujet, sur la base de la richesse du matériel que ceux-ci amènent. Un
exemple en est la question de la saisie de l'intelligence, que Rorschach lui-même
attribuait à son test, par une formule quantitative. Cela ne semble pas satisfaisant, et peut-
être que cette mesure d'intelligence recouvre plutôt les sujets qui arrivent à préserver les
processus secondaires, malgré la régression qu'implique le test, mais cela ne renseigne
nullement sur les processus complexes impliqués dans le travail représentatif de la
pensée.

Par ailleurs, une deuxième question est celle de la rigueur interprétative des tests
projectifs. Ce sont des dispositifs complexes, et le risque - mais il existe aussi pour
d'autres types d'instruments - est d'aboutir à un réductionnisme quantitatif, mais surtout à
une interprétation « intuitive ». Ce risque ne peut être levé que par une double expertise
des cliniciens: et dans les modalités d'application et d'analyse du test et dans une théorie
référentielle. Dans le cas de ces deux tests projectifs fondamentaux, la théorie
psychanalytique est en mesure de fournir des éléments cohérents d'interprétation.

Épreuves opératoires de Piaget

Quoique les épreuves de la psychologie génétique de Piaget n'aient pas été conçues dans
le but spécifique d'une pratique clinique, la méthode utilisée dans leur conception a
permis une large utilisation en clinique de l'enfant, mais aussi de l'adulte et de la personne
âgée (Ajuriaguerra, Richard et Schmid-Kitsikis, à Genève). Le but initial est de
déterminer le fonctionnement opératoire, en termes de structures (opérations concrètes,
formelles, etc.), mais aussi de saisir les aspects dynamiques des processus de
l'intelligence.
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C'est dans ce sens que les épreuves piagétiennes gardent tout leur intérêt, notamment en
clinique de l'enfant. Contrairement à des épreuves comme le Rorschach, qui ne dispose
pas à la base d'un support théorique significatif, les instruments piagétiens sont issus d'un
processus de théorisation très consistant. Deux tendances se sont fait jour quant à ces
instruments : l'une tendant vers la standardisation (des consignes, des modalités
d'application, du type d'analyse) et l'autre visant à faire une place importante à la
dynamique mentale dans son ensemble, y compris dans ses versants affectifs -point faible
de la psychologie génétique classique. (Dans le paragraphe suivant nous présentons cette
deuxième option, par le biais de la conception de la clinique de Elsa Schmid-Kitsikis.).

Le problème de la standardisation des épreuves piagétiennes révèle une situation propre à


la clinique: les exigences de scientificité et les exigences de spécificité individuelle
entrent en conflit. Des tentatives de bon aloi comme celle de Longeot (échelle
individuelle de développement de la pensée logique, comportant cinq épreuves
piagétiennes), ne constituent pas un mauvais instrument pour la recherche en clinique,
mais s'avèrent trop « psychométrique » pour une pratique clinique diagnostique.

L'exploitation maximale des situations piagétiennes ne peut se faire qu'avec un important


degré de liberté de la part du clinicien, pour mener le questionnement et l'interaction
motivée de son sujet.

Il est clair que l'utilisation des instruments piagétiens exige de la part des cliniciens une
connaissance approfondie de la dynamique des processus de la pensée. En outre, sur le
plan pratique, ces épreuves sont appliquées sur plusieurs domaines des acquisitions, ce
qui alourdit le temps de passation et le temps d'analyse, et constitue un désavantage
certain. En revanche, le potentiel de renseignements sur le fonctionnement mental est très
appréciable.

LES GRANDS PRINCIPES DE L'INVESTIGATION CLINIQUE

Il s'agit dans un premier temps de se situer face à la demande (exprimée par le sujet lui-
même, par un groupe ou par quelqu'un à la place d'un enfant, d'un handicapé, d'un
malade, d'un vieillard, etc.) et à son insertion dans le système de représentation du
clinicien qui la reçoit. Cette demande peut être d'entrée de jeu explicite, implicite,
confuse, déguisée, etc. Quel que soit son état, elle exige d'être explicitée (retenue ou
refusée), analysée, structurée.

Le recueil de données, qui suit sous la forme généralement d'une anamnèse, permet la
saisie des représentations parentales et celles de l'environnement direct du sujet. Elle
assure, avec l'analyse de la demande, l'établissement du contexte spatial et temporel qui
sera choisi pour y insérer les séances de consultation (et/ou d'intervention) - contexte
pouvant favoriser ou inhiber la relation du clinicien avec les personnes intéressées par la
consultation.
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Cette partie de la démarche peut être traitée de manière factuelle, événementielle, comme
un simple relevé d'informations, mais elle peut également être traitée comme une
occasion de saisir les représentations et les significations que suscitent, chez le clinicien,
les contacts qu'il peut avoir avec la réalité (réalité événementielle, socioculturelle, etc.,
qui ne peut généralement être appréhendée et contrôlée directement) à partir de la
manière dont elle est transmise.

Cet ensemble de données concernant le motif de la consultation, l'anamnèse et le contexte


particulier dans lequel s'inscrit la consultation, sera repris après coup lors de l'élaboration
« du cas » et de l'établissement du diagnostic.

Mais la partie la plus délicate de la démarche est celle qui concerne l'attitude que doit
adopter le clinicien: la double attitude d'implication et d'observation.

En effet, c'est à travers ce qu'il perçoit dans le lien qu'il établit avec le sujet qu'il sera
susceptible d'analyser le mode de relation que le sujet établit lui-même avec l'objet-autre
et l'objet-cognitif (l'objet humain et l'objet de connaissance qui peut être animé ou
inanimé). En revanche, c'est avec des critères prétendant à une certaine objectivité que le
clinicien va observer et rendre compte des conduites du sujet, de ses procédures, de ses
comportements, de ses émotions. Cette double attitude, si difficile à acquérir (qui exige
une très longue formation) mais si nécessaire à l'exercice de la clinique, permet d'explorer
un certain nombre d'aspects essentiels du fonctionnement psychique. Ces différents
aspects se situent dans les trois registres suivants.

 Le registre du comportement: modes de contacts que le sujet entretient avec les


objets (évitements systématiques, préhension fébrile, préhension à distance,
isolement...), modes expressifs qu'il révèle lors t de son activité (exclamations,
plaintes, recherche d'encouragements, activité motrice...), postures corporelles et
gestuelles, et comportements d'approche des situations à réaliser ou à explorer, en
termes d'attitudes, de rythmes, de recours à des situations extérieures
(précipitation, lenteur, recherche de suggestions, déviations, etc.).

 Le registre des affects: affects que peut éprouver le Moi et plus particulièrement,
mais non exclusivement, ceux qui sont spécifiques à son organisation narcissique.
Par rapport à la réalité extérieure, le sujet projette des affects, mais dans sa
recherche pour rendre le réel « familier », il va également traiter ce dernier
affectivement. Il s'agira d'analyser ce « traitement affectif » de la réalité extérieure
(traitement qui se fera en fonction de la sensibilité du sujet aux réalités et de sa
capacité à les rendre familières) ainsi que les affects éprouvés relatifs à l'unité du
Moi, à l'ambivalence de ses choix d'objets et à la maîtrise de soi, garants du
développement de son identité de sujet.
Cette analyse porte par conséquent sur les affects en relation avec les états
internes (perceptions des mouvements corporels, sensations de plaisir-déplaisir...)
et les situations proposées (conditions relationnelles, cognitives, exigences
techniques).
11

 Le registre de la pensée et de ses processus: il s'agit d'explorer chez le sujet la


présence et la manière de fonctionner de ce que l'on pourrait appeler la pensée
imaginative dans ses liens avec sa capacité à symboliser, ainsi que la pensée
rationnelle dans ses liens avec sa capacité à résoudre des problèmes. En
particulier, il est important de cerner les divers mouvements de ces activités de
pensée et le mode de conflit qui caractérise éventuellement leurs rapports.

Il est particulièrement pertinent de noter au cours des investigations les mouvements


régressifs et les issues auxquelles ils aboutissent. De même, les manifestations
émotionnelles (affects de déplaisir, de soulagement, d'autogratification, de réduction de
l'angoisse...), intellectuelles (argumentations, jugements, rationalisations accompagnant
les conduites régressives), relationnelles (recherche de soutien, évitement, agressivité)
seront prises en compte afin de permettre une discussion approfondie de la signification
du processus régressif. Il est en effet nécessaire de pouvoir différencier les processus
régressifs qui ne compromettent pas le fonctionnement psychique de ceux qui
annonceraient une issue désorganisante pouvant aller jusqu'à l'effondrement. Cette
distinction nécessite naturellement la prise en considération des mouvements évolutifs ou
constructifs qui peuvent suivre ou précéder les mouvements régressifs.

On voit que l'analyse des types de fluctuations qui caractérisent le déroulement de


l'activité de pensée doit retenir l'attention du clinicien. Si l'on considère les tâtonnements
constructifs comme un type de fluctuation qui signale une recherche de solution
systématiquement orientée vers un but, cela n'est pas toujours le cas avec les conduites
dont il est question maintenant.

 Les oscillations, qui sont une sorte de démarche de balancement comme s'il y
avait difficulté dans la prise de décision; les modifications de l'action ou du
raisonnement se faisant autour de la réponse attendue, en raison soit d'une
recherche de compréhension qui ne semble pas encore accessible, soit d'une
procédure d'évitement pour des raisons pouvant demeurer inconscientes au sujet
et que le clinicien doit pouvoir identifier en partant d'une exploration
systématique des conditions de leur manifestation.

 Les contradictions, qui ont les apparences d'un certain déni des relations pouvant
exister entre les termes d'une proposition, d'un problème, d'une activité; ces
relations étant définies généralement par nécessité interne et/ou externe et selon
certains liens de convenance (au sens large).
Ces types de transformations démontrent la propension du sujet à affirmer, sans
aucune correction ou prise de conscience, ce que pourtant il vient de réfuter; et à
attribuer au même objet ou événement des valeurs totalement opposées, en
admettant qu'elles sont toutes deux possibles. Cela peut indiquer une difficulté du
sujet à maintenir stable un certain système de références internes; mais cela peut
aussi exprimer sa tentative, en utilisant la contradiction comme hypothèse de
travail, de mieux cerner le problème qu'il s'est donné pour tâche de résoudre ou
d'explorer: le sujet pourrait ainsi se dire qu'il affirme le contraire « pour voir si ça
peut être vrai ».
12

 Les ruptures ou les vides de pensées: il s'agit de certains types de discordances


pouvant indiquer soit l'incapacité de liaison par clivage accompagnant le déni du
rapport entre deux idées, deux termes, deux caractères voués à ne pas se
rencontrer, soit l'incapacité une fois de plus à maintenir stable un système de
références, d'où l'absence de procédure d'anticipation et de rétroaction qui rend le
fonctionnement de la pensée morcelé, discordant.

 Les modalités de l'interaction: situation d'interaction qui s'adresse plus


spécifiquement au système de communication, d'échange établi entre le sujet et le
clinicien. C'est un aspect important et délicat, car il doit rendre compte de ce qui
est explicitement formulé et qui permet de réaliser si le sujet tient compte et
intègre les interventions du clinicien, les éléments du problème à explorer ou à
résoudre; de ce qui est perçu au niveau latent et qui signale dans un double
mouvement sa capacité de prise en considération de l'interlocuteur, d'être avec lui-
même et avec autrui. Dans ce dernier cas, les indices sont difficiles à expliciter car
ils font partie du caractère d'intersubjectivité de la relation spécifique à
l'interaction psychologique, dans le cadre d'une démarche clinique.

 Les modalités de la relation: situation de relation qui implique chez le clinicien,


d'une part, l'observation des comportements relationnels développés par le sujet à
son égard (agressivité, séduction, isolation, projection...) et de ceux qu'en retour il
peut révéler en rapport avec ceux du sujet (séduction, fermeté, impatience
pouvant aller jusqu'au rejet, curiosité...) d'autre part, une analyse de ce qu'il
ressent, se représente en fonction de l'expérience relationnelle qu'il vit sur le
moment.
Cette analyse renvoie à deux autres composantes: le type de relation d'objet
impliqué et les mécanismes sollicités.

Le problème de la relation d'objet est central. Il engage la disponibilité du clinicien qui


doit se laisser capter en tant qu'objet de relation afin de pouvoir en retour saisir au niveau
fantasmatique la façon du sujet de traiter l'objet (être vécu comme sécurisant, persécuteur,
être absorbé, fusionné, sadisé, idéalisé...). En outre, il fera appel (et c'est la spécificité de
l'approche psychologique) aux observations des comportements relationnels que le sujet
développe directement à son contact ou par l'intermédiaire des objets quelconques de
l'univers créé pour la cause. Tous ces éléments permettront l'identification du type de
relation d'objet.

Dans un ouvrage sur la clinique du fonctionnement mental (Schmid-Kitsikis, 1985), nous


avions montré la complexité des mécanismes en jeu dans le cas de tels fonctionnements.
En effet, ces derniers s'inscrivent à l'intérieur de mouvements relationnels qui engagent,
selon les cas, plus particulièrement certains mécanismes devenant dès lors responsables
de la capacité du sujet d'entrer et d'évoluer dans une relation. Les plus fondamentaux sont
sans conteste ceux de projection et d'introjection (qui correspondent à ceux plus primitifs
d'excorporation et d'incorporation), accompagnés par ceux qui précisent en outre le mode,
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le temps de transformation qui a lieu lors de la rencontre avec les contenus du monde
interne et/ou externe du sujet, à savoir ceux d'assimilation et d'accommodation.

Il s'agit plus précisément dans l'établissement d'une relation ou dans l'accès à une
connaissance, d'un système qui engage, d'une part, la vection ou le trajet de la pulsion et
de sa finalité (les mécanismes princeps en sont la projection et l'introjection), et d'autre
part, le travail de transformation qui modifie ou non le lien établi ou qui donne ou non
accès à une nouvelle connaissance.

Cette activité de transformation peut être une simple répétition du déjà existant sous la
forme par exemple, d'une réaction circulaire (Piaget) ou bien le produit d'un changement
au niveau des schèmes, des objets internes, etc. Les mécanismes responsables en sont
l'assimilation et l'accommodation. On peut dire ainsi que toute transformation fait suite
aux aléas de la projection et de l'introjection et dépend du fonctionnement d'assimilation
et d'accommodation. Les transformations sont alors de deux ordres:

 l'identification par accommodation à travers des mouvements psychiques qui


oscillent entre deux pôles: celui de la soumission du monde interne au monde
externe (événementiel), avec escamotage de tout désir, le registre de l'événement
étant privilégié et se substituant à celui de l'expérience psychique; et celui de la
soumission du monde externe au monde interne, le fonctionnement fantasmatique
étant alors privilégié et pouvant entraîner, par ses excès, un certain déni du monde
externe. La réalisation psychique de telles tendances compromet le processus de
symbolisation;

 la signification par assimilation: lorsque les fonctionnements de l'assimilation


permettent l'articulation entre les deux finalités de l'accommodation (à l'interne et
à l'externe), il peut y avoir transformation.

C'est ainsi que les concepts d'assimilation et d'accommodation, dans leurs liens avec ceux
d'introjection et de projection, introduisent une dimension temporelle au travail
d'élaboration psychique. Ils rendent compte du destin des transformations de la relation
objectale et de l'activité de pensée.

Si l'ensemble de ces mécanismes constituent essentiellement la matrice de base de


l'économie relationnelle, d'autres peuvent être à l'œuvre comme ceux de clivage,
d'idéalisation, de déni, etc. ; mécanismes spécifiant la qualité et le mode relationnels.

En résumé, l'analyse psychologique est plus particulièrement centrée sur les mouvements
dialectiques des différents éléments impliqués dans l'activité psychique du sujet dans sa
confrontation avec les réalités (événements) du monde extérieur. Les conditions
relationnelles et cognitives particulières à la situation d'investigation psychologique
faisant appel à t la fois au monde des représentations et à celui de la réalité
événementielle, aux élaborations non conscientes et aux réalisations conscientes et
volontaires, à la démarche propre à la relation intersubjective, placent le sujet dans des
situations dont il peut difficilement retirer des satisfactions durables et permanentes. Il y a
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ainsi inévitablement mise en œuvre d'un ensemble de mécanismes de défenses dont


l'importance n'est pas à démontrer. Ces mécanismes nous indiquent la façon privilégiée
(mais non forcément bénéfique) choisie par tel ou tel sujet pour se défendre face aux
conflits provoqués par des exigences internes et/ou externes, relationnelles, cognitives. Ils
nous renseignent également sur le degré d'engagement du sujet dans une organisation
psychique et ses chances vers une évolution positive.

ELEMENTS DE PROCEDURE ET DEMARCHES D'INVESTIGATION

La procédure d'échanges entre le clinicien et le sujet

Un des éléments de la procédure d'investigation concerne la procédure d'échange établie


entre le sujet et le clinicien, ce dernier faisant généralement appel à des médiateurs afin
d'observer et recueillir de l'information (entretien directif, semi-directif, questionnaires,
tests, jeux, dessins...).

La procédure d'échange renvoie à deux problèmes importants: le rôle et la disposition


psychique et mentale du clinicien (implication relationnelle, attitude par rapport à lui-
même, attitude d'écoute, d'observation par rapport à l'autre) ; la technique et la procédure
proprement dite qui doivent répondre à certains critères.

Le clinicien, comme nous l'avons déjà souligné, occupe à l'intérieur d'une telle démarche
une position complexe et délicate (exigeant une formation extrêmement solide) dans la
mesure où il doit être capable d'adopter et d'allier deux attitudes apparemment
contradictoires, celle d'une écoute orientée à la fois vers son propre monde interne et vers
celui du sujet, et celle d'une analyse orientée à la fois vers l'observation et vers
l'interprétation.

La première de ces attitudes exige une sorte d'« attention flottante» faite de disponibilité
psychique. Elle permet une mise en état par rapport à la relation, laissant les affects, les
représentations, l'idéation suscités par le sujet envahir le champ de la conscience du
clinicien; la deuxième exige, par contre, attention en éveil, réflexion critique, évaluation,
activité hypothético-déductive.

Cette alternance des types d'activités et d'attitudes semble indispensable pour pouvoir
saisir les dimensions affectivo-cognitives de l'organisation et du fonctionnement
psychique du sujet et pour pouvoir se situer, en tant que clinicien, à l'intérieur d'une
démarche permettant de créer des situations d'investigation qui sollicitent des
mouvements dialectiques à caractère évolutif.

C'est ainsi qu'à travers les situations qui s'y prêtent (et qu'il aura choisies dans ce sens), le
clinicien est à tour de rôle dans une sorte d'apparent retrait, puisque sa relation avec le
sujet s'élabore avec ce qui est réactivé de son propre monde interne ou dans le contexte
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d'une démarche l'amenant à participer psychiquement aux élaborations du sujet. Cette


attitude double se révèle indispensable pour le clinicien et ne peut être adoptée qu'à la
condition de créer et d'introduire les situations qui peuvent la susciter et permettre ainsi
son fonctionnement.

Plus qu'une simple énumération des différentes situations (entretiens, tests,


questionnaires, etc.), il sera surtout question dans ce qui va suivre des intentions, des
attentes, de la technique du clinicien (éléments introduits à partir de ce qu'il sait à propos
du sujet et de ce qu'il découvre chez lui au fur et à mesure de l'investigation).

Au moment où le clinicien rencontre le sujet, il s'est généralement déjà forgé une


représentation élaborée à partir de sa connaissance de la demande (demande introduite
par une institution, par les personnes responsables du sujet ou encore par le sujet lui-
même) et des éléments d'information qu'il a pu recueillir. La question sera dès lors de
savoir s'il doit se contenter de ces données pour organiser dès le départ l'ensemble de la
démarche d'investigation ou s'il doit chercher à se donner d'emblée les moyens
susceptibles de l'aider à forger sa propre attente, ses propres hypothèses concernant la
problématique psychique du sujet.

La pratique montre que la seconde position est la plus adéquate pour l'élaboration d'un
diagnostic. Sans prétendre que les données de l'histoire du sujet et le motif de la
consultation ne jouent pas un rôle essentiel dans la disposition psychique du clinicien -
puisqu'il ne peut ignorer ce qu'il sait déjà - il paraît important qu'il puisse
momentanément les mettre « entre parenthèses » pour les utiliser ultérieurement en les
intégrant dans le champ de ses propres découvertes. Comment lui serait-il possible de t
clarifier le sens de la demande ou d'une information sans chercher à évaluer le degré et la
nature de son déguisement? Et comment pourrait-il le faire sans chercher à connaître par
lui-même le sujet, en évitant qu'il soit d'emblée inscrit dans le cadre d'une représentation
fournie comme une entité toute faite ou bien par un tiers?

Prenons un exemple qui peut paraître trivial même s'il se présente fréquemment dans le
cadre du centre de consultation pour jeunes adultes de l'université de Genève. Un étudiant
se présente à la consultation. Le motif évoqué est celui de difficultés dans la poursuite de
ses études (on trouve la même situation chez l'enfant amené à la consultation pour des
problèmes, par exemple, d'apprentissage de la lecture). Même s'il s'agit d'une difficulté
spécifique, la pratique montre que rarement un tel problème n'engage pas l'ensemble du
fonctionnement psychique du sujet (enfant ou adulte), en ce qui concerne en particulier le
sens qu'aurait pour lui l’acte de connaissance. Même si la difficulté semble se limiter à la
poursuite des études (ou à l'apprentissage de la lecture), il est important de découvrir
pourquoi et comment elle occupe cette position isolée. Une telle découverte ne peut
intervenir qu'après avoir eu accès à une certaine vue d'ensemble du fonctionnement et de
l'organisation psychiques du sujet. L'analyse d'échecs de thérapies dites brèves,
cognitives ou de rééducations peut confirmer ces hypothèses. Ces situations
d'interventions semblent avoir été parfois entreprises sans une connaissance suffisante de
la signification qu’avaient pour le sujet l'acte de connaissance ainsi que ses échecs.
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La première condition importante pour le clinicien est dès lors de « faire connaissance »
avec le sujet afin de pouvoir déboucher sur la signification de ses caractéristiques
psychiques, découverte qui seule permet à notre avis, de pronostiquer son évolution
psychique et d'élaborer un projet d'intervention, si celui-ci s'avère nécessaire.

La première séance

C'est une séance particulièrement importante. Elle doit permettre l'établissement d'un
espace relationnel et fournir les éléments nécessaires à l'élaboration des hypothèses qui
vont guider la suite de la démarche d'investigation. C'est une séance où on ne devrait pas
prétendre approfondir l'analyse de l'activité psychique du sujet, mais où on devrait plutôt
chercher à en dégager une représentation globale. Cela suppose que les conditions d'une
relation intersubjective aient pu être instaurées et que les différents aspects de la vie
psychique qui ont quelque chose à faire avec le(s) symptôme(s) aient pu donner lieu à
une première investigation et à des premières tentatives d'interprétation.

Cette première séance peut être organisée lors d'un entretien avec un adolescent ou un
adulte, autour de périodes d'entretien entrecoupées par des situations de jeu, de tests, de
dessins pour un enfant d'âge scolaire, autour du jeu pour un enfant plus jeune.

Il ne s'agit pas d'indiquer un ordre défini d'avance. Si un premier entretien d'abord général
est souvent conseillé avant d'aborder des problèmes plus spécifiques, il ne faudrait pas en
faire une règle absolue pour éviter un aspect artificiel et rigide. En revanche, il semble
important que le clinicien soit sensible à la première réaction du sujet lorsqu'il entre dans
la pièce de la rencontre. L'adulte qui se précipite d'emblée dans un discours ininterrompu,
qui pose des questions sans attendre de réponse ou l'enfant qui se précipite dans l'action,
qui veut tout savoir tout de suite, touche les objets et veut immédiatement faire quelque
chose, n'est pas disponible pour un entretien ou même pour la passation d'un test. Il est
préférable de répondre dans un premier temps à sa demande.

À l'opposé, si un sujet ne semble prendre aucune initiative, semble attendre ou paraît


particulièrement inhibé, il peut être préférable de le solliciter au niveau de ses intérêts et
de ce qu'il ressent sur le moment. De même, lorsqu'il s'agit d'enfants et selon l'âge du
sujet ou le degré apparent de sa déficience, un entretien verbal (même médiatisé par des
jouets, des bandes dessinés, etc.) peut être totalement déconseillé, du moins dans un
premier temps. Ainsi, les entretiens devraient être introduits avec un certain à propos,
avec évidence ou adéquation. Il est nécessaire que le clinicien réalise le moment où il
peut communiquer avec le sujet à propos de questions, de problèmes qui touchent à sa vie
psychique, sociale et culturelle. Un interrogatoire de type mécanique (questionnaire déjà
constitué) pourrait être tout à fait désastreux. On voit que la mise en état de la
disponibilité de la part du clinicien est essentielle, car c'est son implication psychique qui
sera particulièrement sollicitée dans une telle situation.
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Les entretiens suivants

Qu'en est-il des entretiens qui font suite à la première séance? Il s'agit d'analyser les
intérêts et les réalités se situant à l'extérieur de la situation d'où émerge la demande de
consultation. En effet, il est important de découvrir si ce que le sujet considérait d'abord
comme une raison j suffisante pour faire appel à l'intervention d'un clinicien présente en
fait un caractère de plus grande généralité.

De même, le degré de conscience que le sujet possède de ses problèmes, non pas
forcément au niveau du discours ou de l'activité explicite mais au niveau de ce qui se
médiatise au moyen des mises en forme de son activité de pensée (relations avec le passé,
projets d'avenir, associations libres sur ce qu'il ressent et pense sur le moment, etc.)
présente un grand intérêt pour le déroulement de la démarche d'investigation.

La pratique montre souvent combien les personnages socialement valorisés (dans le sens
non seulement de groupes sociaux reconnus par la majorité, mais également de groupes
perçus comme marginaux et qui acquièrent à travers leur marginalité un certain pouvoir)
selon des critères souvent très différents (économiques, de mode, éthiques, politiques...)
peuvent aider à saisir la problématique psychique centrale du sujet, combien l'évocation
et l'utilisation d'intermédiaires (quel que soit l'âge du sujet), tels que les héros de
l'actualité politique, sportive, du monde du spectacle, du monde de l'aventure, ou
l'évocation et l'utilisation de nouveaux modes de lecture, d'écriture et de jeux, tels que les
systèmes de bandes dessinées, de romans-photos, peuvent servir à cerner le malaise, la
souffrance, le plaisir, la joie du sujet, mais surtout les moyens psychiques qu'il emploie,
face à ses difficultés, pour en sortir ou pour y succomber.

Par conséquent, l'échange, s'il demeure essentiellement verbal, peut également prendre
appui sur des intermédiaires (incontournables pour les enfants, utiles pour les
adolescents, selon les circonstances pour les adultes) sollicitant le caractère de «
phénomènes transitionnels ».

L'apport d'une telle analyse est triple. En effet, par ce biais, on peut accéder au monde à
la fois réel (dans le sens du réel transmis par le sujet) et désiré et/ou rejeté, parfois même
haï, à son identité et aux identifications élaborées par lui, aux conflits qu'elles véhiculent
et aux moyens que le sujet se donne pour y faire face; enfin on accède aussi aux
procédures rationnelles utilisées pour rendre compte à autrui de l'ordonnance des
contenus représentés et projetés par et dans les situations.

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