Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
La démarche clinique
Roger Perron et coll. : La Pratique de la Psychologie clinique, Dunod, 2006
Mais comment la théorie doit-elle être pour que l'instrument puisse saisir un certain réel
qu'il va rencontrer/susciter et auquel il servira d'interface? La condition principale est
qu'il s'agisse d'une théorisation du sujet individuel en tant que totalité complexe. Une telle
théorie est encore à construire. La psychologie génétique, malgré son indéniable
puissance, n'a pas été en mesure d'assumer la question de la pulsionnalité et de l'affect; et
la psychanalyse, qui est l'autre théorie puissante de l'individuel, a encore de grandes
insuffisances quant à la théorisation de la pensée et des processus de connaissance.
Le découpage selon les types d'instruments montre bien les différentes façons de
concevoir l'objet de la clinique: Bourgès (1991) divise les épreuves de l'examen
psychologique de l'enfant selon les facteurs présents dans chaque épreuve; Ainsi, elle
distingue des épreuves à facteurs intellectuels dominants, des épreuves à facteurs
instrumentaux dominants et des épreuves à facteurs affectifs dominants. Les épreuves
graphiques présentent une multiplicité de facteurs et constituent un groupe à part.
L'observation
« L'observation est la procédure empirique de base », selon Mario Bunge (1967). « C'est
une perception préméditée et éclairée; préméditée ou délibérée car elle est faite dans un
3
but bien défini; éclairée car elle est guidée, d'une façon ou d'une autre, par un corps de
connaissances. » Et d'ajouter: « L'observation en elle-même n'existe pas. En effet, on ne
peut observer sans objet tout comme on ne peut pas le faire sans observateur, humain ou
non. » Ces quelques idées nous placent d'emblée au nœud de la question: empirisme, but,
vection, relation. L'observation a toujours occupé une place centrale en psychologie
clinique: elle traverse toutes les situations (entretiens, testing) et sert tous les objectifs
(description, approche, vérification, validation, caractérisation, etc.). Sa puissance est
basée sur un préconçu lié à sa valeur de vérité et de « communicabilité » : si l'on « voit »
c'est qu'il y a quelque chose de présent, d'existant, qui émet des signaux, et que l'on peut
affirmer cela comme vrai ou du moins comme potentiellement vérifiable par un autre
observateur-homologue dans des conditions similaires. Les difficultés de l’observation en
clinique portent sur trois points; l'objectivité, le hiatus entre manifeste et latent, et la
relation entre partie et tout. D'autre part, il y a aussi la question des deux moments,
classiquement séparés, de la saisie des « faits » et de leur interprétation. À cela s'ajoutent
encore d'autres problèmes: la notation, la « communicabilité », le débat
neutralité/intervention, etc. Comme on le voit, il s'agit d'une manière d'approcher le réel
qui soulève de sérieux problèmes, le plus souvent masqués par la banalité apparente de
l'observation en tant qu'instrument de connaissance.
Une abondante littérature signale les biais introduits dans l'observation et la notation par
les attentes implicites de l'observateur, par sa personnalité, par ses connaissances
antérieures, ainsi que par les présupposés mêmes impliqués dans la mise en place de la
situation d'observation (Droz, 1983, parle de véritables filtres épistémiques). Il s'agit
surtout pour le clinicien de ne pas les dénier, et d'en établir les conditions d'influence.
4
Un dernier point: celui des relations partie/tout. Toute observation est fragmentaire et
comporte des zones de « densité » inégale, l'attention de l'observateur étant parfois guidée
par ses propres associations et par les conduites du sujet vers des points préférentiels au
détriment d'une observation idéale qui serait - théoriquement - homogène. Cela est
inévitable: cette rugosité est la structure même du réel. Or la tendance du clinicien-
observateur sera de donner sens aux fragments de réalité, au fur et à mesure qu'il les capte
ou élabore. Cette attribution de sens se fait par la mise en configuration des éléments qui
sont observés. Ce procédé amène à des prises de choix d'allure parfois assez arbitraire, et
on peut se demander parfois, effectivement, sur quoi se base la légitimité de ces liens
reconstructifs.
Une des réactions à cet excès de sens prématuré, lié aux difficultés de donner une unité
sémantique aux fragments perçus, consiste à rendre la situation d'observation la plus
« pure » possible. Ceci amène à la tentation d'une observation atomistique et naturaliste,
5
dont le paradigme est l'observation éthologique. Au fond, ce qui est en question, c'est la
validité d'une observation fonctionnelle, considérée comme trop « projective ». Jacques
Vauclair (1983) explique que « les descriptions par la fonction ou par la conséquence
supposent un degré d'abstraction plus élevé que les descriptions empiriques ». Ainsi,
décrire un comportement d'envol d'un oiseau à l'approche d'un humain comme: « il fuit
en s'envolant », lui semble critiquable. Une description empirique en termes de
« contraction rapide et alternée, puis relaxation des muscles pectoraux; battement d'ailes;
envol » lui semble rendre compte de façon moins équivoque du phénomène. Pour éviter
la perte de tout sens, il prône, lorsque cela est nécessaire, l'introduction de données
contextuelles. Les éthologistes insistent aussi sur la validité de l'observation en milieu
naturel: elle implique la non-intervention de l'observateur.
Ce qui se joue, au fond, dans l'observation éthologique, ce sont des divergences face aux
courants psychodynamiques et même à certains courants socio-anthropologiques,
concernant la légitimité de la présence d'un sujet-observateur, qui est nécessairement
partie prenante de la relation avec son « objet » qui n'est autre, au demeurant, que l'autre
sujet de la relation intersubjective.
Cela dit, malgré les problèmes importants qu'elle présente, l'observation reste une belle et
riche approche en psychologie clinique, pour autant que la question des conditions de
l'observation soit précisée, et que l'analyse des mouvements contre-transférentiels du
clinicien puisse jouer sa double fonction, à la fois de facteur de correction et de
possibilité d'enrichissement. Cette analyse peut aussi donner une place au non-observé.
L'entretien clinique
Lorsqu'on parle d'entretien clinique, cela recouvre surtout des entretiens semi-structurés
où il s'agit pour le clinicien d'explorer des zones du fonctionnement du sujet. Les
entretiens sur le mode du questionnaire ne possèdent pas la même dynamique. Les buts
des entretiens cliniques recouvrent un assez large spectre: récolte anamnestique,
diagnostic psychodynamique, préliminaires pour une intervention thérapeutique ou
psychopédagogique, etc.
6
Le problème central de l'entretien clinique, quel que soit son but, est de moduler la
relation intersubjective de telle façon que la disponibilité du clinicien ne provoque pas un
effet paradoxal, comme pourrait l'être une induction inconsciente à s'étendre sur un point
plutôt que sur un autre - le sujet cherchant ainsi à remplir ce qu'il pourrait percevoir
comme une attente du clinicien. Ce genre de situation renvoie à la question du
maniement/utilisation du transfert et du contre-transfert dans les entretiens. Sujet délicat,
puisqu'un excès de disponibilité peut dénaturer le but même de l'entretien, le plus grand
risque étant celui d'établir un lien quasi thérapeutique « sauvage », avec les dangers que
cela comporte. Ces entretiens sont d'autant plus délicats que parfois il est utile et
nécessaire de donner certains commentaires interprétatifs qui puissent aider le sujet à
associer. Dans ce sens, le canevas - très large - que le clinicien a en tête peut agir comme
un élément du cadre clinique, qui doit, par ailleurs être clairement explicité dès le début.
Une notion qui a beaucoup de succès parmi les cliniciens est celle de «contenance »,
faisant référence aux concepts bionniens liés à la relation mère-bébé. Le risque peut
apparaître que cela soit confondu avec une certaine forme de passivité du clinicien « tout
écoute ». Or la contenance implique un contenu, renvoyant à la bisexualité psychique et
aux prémisses identificatoires. Une attitude d'écoute ne peut faire l'impasse du travail
actif de pensée, et parfois d'intervention, du clinicien. La trop grande disponibilité peut
parfois devenir source d'angoisse, ou manifestation d'une ambiguïté à tonalité agressive
ou séductrice de la part du psychologue.
La conduite de l'entretien clinique est difficile, entre autres choses, parce que le clinicien
conduit partiellement, et doit aussi se laisser conduire par le jeu associatif et les
significations latentes qu'il peut percevoir chez le sujet et chez lui-même. Cette exigence
de mobilité psychique ne coïncide pas avec l'attention flottante de l'analyste, qui est
moins tributaire des aspects perceptifs et actifs qui ont une place lorsqu'il s'agit
d'entretiens cliniques.
Ils partent du principe que l'on peut situer un sujet sur des échelles de mesure vis-à-vis
d'une population de référence. Il s'agit de tests très normalisés quant aux conditions
d'application, de notation et d'analyse. Le principe du calcul mathématisé des
performances y est régulièrement présent, posant parfois le problème de la réalité
psychologique de ce qu'ils sont censés mesurer. Un exemple typique est celui des tests de
facteur G. « Pour Spearman, si deux tests mentaux ont entre eux une corrélation élevée,
c'est qu'ils apprécient quelque chose en commun: la corrélation exprime la mesure du
facteur commun ou G » (Bourgès, 1991). Les calculs généraux (facteur G, QI) sont en
général peu informatifs en situation clinique, même s'ils peuvent permettre des
hypothèses à étudier par la suite, notamment lorsqu'une analyse plus fine des subtests est
effectuée. Déjà le Wechsler-Bellevue introduit des comparaisons entre aptitudes verbales
et non verbales, mais malgré cela, il reste assez proche de la tendance mathématisante. Il
est important que la critique se fasse par rapport aux postulats sous-jacents de ces
7
échelles: pour Wechsler, l'intelligence reste constante chez un individu tout au long de sa
vie. Il établit donc une « tolérance » normative de 5 points entre deux mesures de QI,
interprétant les écarts majeurs comme des signes d'effondrement intellectuel ou de
progression, en rapport avec des facteurs d'histoire individuelle, qu'il ne précise pas, mais
qui laissent, en fin de compte, la possibilité de réintroduire l'analyse qualitative au niveau
des subtests.
Sans méconnaître la valeur des échelles globales pour situer très approximativement les
sujets, il convient d'apprécier des épreuves plus locales qui ont des rapports proches avec
des aptitudes. C'est le cas, par exemple, de l'épreuve des cubes de Kohs et ses
adaptations: bien qu'elle ne permette pas de se prononcer très nettement sur un niveau
intellectuel global, la multiplicité de facteurs spécifiques auxquels elle est sensible
(structuration spatiale, orientation, motricité, etc.) la rend intéressante pour une approche
qualitative.
Dans une optique d'examen psychologique plus centré sur le fonctionnement, certains
subtests du WISC, WAIS, etc., peuvent être utiles, même en dehors du contexte de
l'échelle globale, à condition que le clinicien soit très au clair sur ce qu'ils sont censés
«mesurer ». Par exemple, des tests de complètement d'images du WISC peuvent être
utilisés comme complément à des investigations sur des axes tels que la causalité, la
temporalité, etc., pourvu que le travail d'analyse et d'émission d'hypothèses de la part du
clinicien se fasse tout au long de l'examen psychologique. Signalons enfin les « échelles
différentielles d'efficiences intellectuelles » (Perron-Borelli, 1996) construites
précisément pour comparer les démarches et les performances de l'enfant dans différents
secteurs d'activités intellectuelles (activités catégorielles, langage, intelligence sociale,
etc.).
Anzieu et Chabert proposent de distinguer divers types de projection : qui sont à l'œuvre
dans différentes épreuves, et de distinguer les tests projectifs thématiques (comme le
TAT) des tests projectifs structuraux (comme le Rorschach). Les premiers révèlent les
contenus significatifs d'une personnalité: nature des conflits, désirs, réactions à
l'entourage, moments clés de l'histoire vécue. Dans cette catégorie, ces auteurs incluent:
jeux dramatiques, dessins ou récits libres et à compléter, interprétations de tableaux, de
photos ou d'autres ouvrages. Les tests structuraux aboutissent à une appréhension de
l'ensemble du système de la personnalité, de son équilibre, de sa façon d'appréhender le
8
monde, des interrelations entre instances (selon le modèle de la topique freudienne). Ils
insistent sur le fait qu'aucun test projectif ne saisit l'ensemble de la personnalité, et que le
psychologue qui établit un bilan de personnalité doit appliquer au moins un test structural
et un test thématique.
Deux aspects sont à relever quant aux tests projectifs dans la pratique clinique: celui
concernant leur portée et celui concernant leur interprétation. L'association Rorschach-
TAT permet de cerner la structure et les contenus de la personnalité du sujet. Or cette
couverture ne semble pas être régulière, et permet de se poser la question de la pertinence
de certaines pratiques qui tendent à réduire aux tests projectifs une investigation du
fonctionnement du sujet, sur la base de la richesse du matériel que ceux-ci amènent. Un
exemple en est la question de la saisie de l'intelligence, que Rorschach lui-même
attribuait à son test, par une formule quantitative. Cela ne semble pas satisfaisant, et peut-
être que cette mesure d'intelligence recouvre plutôt les sujets qui arrivent à préserver les
processus secondaires, malgré la régression qu'implique le test, mais cela ne renseigne
nullement sur les processus complexes impliqués dans le travail représentatif de la
pensée.
Par ailleurs, une deuxième question est celle de la rigueur interprétative des tests
projectifs. Ce sont des dispositifs complexes, et le risque - mais il existe aussi pour
d'autres types d'instruments - est d'aboutir à un réductionnisme quantitatif, mais surtout à
une interprétation « intuitive ». Ce risque ne peut être levé que par une double expertise
des cliniciens: et dans les modalités d'application et d'analyse du test et dans une théorie
référentielle. Dans le cas de ces deux tests projectifs fondamentaux, la théorie
psychanalytique est en mesure de fournir des éléments cohérents d'interprétation.
Quoique les épreuves de la psychologie génétique de Piaget n'aient pas été conçues dans
le but spécifique d'une pratique clinique, la méthode utilisée dans leur conception a
permis une large utilisation en clinique de l'enfant, mais aussi de l'adulte et de la personne
âgée (Ajuriaguerra, Richard et Schmid-Kitsikis, à Genève). Le but initial est de
déterminer le fonctionnement opératoire, en termes de structures (opérations concrètes,
formelles, etc.), mais aussi de saisir les aspects dynamiques des processus de
l'intelligence.
9
C'est dans ce sens que les épreuves piagétiennes gardent tout leur intérêt, notamment en
clinique de l'enfant. Contrairement à des épreuves comme le Rorschach, qui ne dispose
pas à la base d'un support théorique significatif, les instruments piagétiens sont issus d'un
processus de théorisation très consistant. Deux tendances se sont fait jour quant à ces
instruments : l'une tendant vers la standardisation (des consignes, des modalités
d'application, du type d'analyse) et l'autre visant à faire une place importante à la
dynamique mentale dans son ensemble, y compris dans ses versants affectifs -point faible
de la psychologie génétique classique. (Dans le paragraphe suivant nous présentons cette
deuxième option, par le biais de la conception de la clinique de Elsa Schmid-Kitsikis.).
Il est clair que l'utilisation des instruments piagétiens exige de la part des cliniciens une
connaissance approfondie de la dynamique des processus de la pensée. En outre, sur le
plan pratique, ces épreuves sont appliquées sur plusieurs domaines des acquisitions, ce
qui alourdit le temps de passation et le temps d'analyse, et constitue un désavantage
certain. En revanche, le potentiel de renseignements sur le fonctionnement mental est très
appréciable.
Il s'agit dans un premier temps de se situer face à la demande (exprimée par le sujet lui-
même, par un groupe ou par quelqu'un à la place d'un enfant, d'un handicapé, d'un
malade, d'un vieillard, etc.) et à son insertion dans le système de représentation du
clinicien qui la reçoit. Cette demande peut être d'entrée de jeu explicite, implicite,
confuse, déguisée, etc. Quel que soit son état, elle exige d'être explicitée (retenue ou
refusée), analysée, structurée.
Le recueil de données, qui suit sous la forme généralement d'une anamnèse, permet la
saisie des représentations parentales et celles de l'environnement direct du sujet. Elle
assure, avec l'analyse de la demande, l'établissement du contexte spatial et temporel qui
sera choisi pour y insérer les séances de consultation (et/ou d'intervention) - contexte
pouvant favoriser ou inhiber la relation du clinicien avec les personnes intéressées par la
consultation.
10
Cette partie de la démarche peut être traitée de manière factuelle, événementielle, comme
un simple relevé d'informations, mais elle peut également être traitée comme une
occasion de saisir les représentations et les significations que suscitent, chez le clinicien,
les contacts qu'il peut avoir avec la réalité (réalité événementielle, socioculturelle, etc.,
qui ne peut généralement être appréhendée et contrôlée directement) à partir de la
manière dont elle est transmise.
Mais la partie la plus délicate de la démarche est celle qui concerne l'attitude que doit
adopter le clinicien: la double attitude d'implication et d'observation.
En effet, c'est à travers ce qu'il perçoit dans le lien qu'il établit avec le sujet qu'il sera
susceptible d'analyser le mode de relation que le sujet établit lui-même avec l'objet-autre
et l'objet-cognitif (l'objet humain et l'objet de connaissance qui peut être animé ou
inanimé). En revanche, c'est avec des critères prétendant à une certaine objectivité que le
clinicien va observer et rendre compte des conduites du sujet, de ses procédures, de ses
comportements, de ses émotions. Cette double attitude, si difficile à acquérir (qui exige
une très longue formation) mais si nécessaire à l'exercice de la clinique, permet d'explorer
un certain nombre d'aspects essentiels du fonctionnement psychique. Ces différents
aspects se situent dans les trois registres suivants.
Le registre des affects: affects que peut éprouver le Moi et plus particulièrement,
mais non exclusivement, ceux qui sont spécifiques à son organisation narcissique.
Par rapport à la réalité extérieure, le sujet projette des affects, mais dans sa
recherche pour rendre le réel « familier », il va également traiter ce dernier
affectivement. Il s'agira d'analyser ce « traitement affectif » de la réalité extérieure
(traitement qui se fera en fonction de la sensibilité du sujet aux réalités et de sa
capacité à les rendre familières) ainsi que les affects éprouvés relatifs à l'unité du
Moi, à l'ambivalence de ses choix d'objets et à la maîtrise de soi, garants du
développement de son identité de sujet.
Cette analyse porte par conséquent sur les affects en relation avec les états
internes (perceptions des mouvements corporels, sensations de plaisir-déplaisir...)
et les situations proposées (conditions relationnelles, cognitives, exigences
techniques).
11
Les oscillations, qui sont une sorte de démarche de balancement comme s'il y
avait difficulté dans la prise de décision; les modifications de l'action ou du
raisonnement se faisant autour de la réponse attendue, en raison soit d'une
recherche de compréhension qui ne semble pas encore accessible, soit d'une
procédure d'évitement pour des raisons pouvant demeurer inconscientes au sujet
et que le clinicien doit pouvoir identifier en partant d'une exploration
systématique des conditions de leur manifestation.
Les contradictions, qui ont les apparences d'un certain déni des relations pouvant
exister entre les termes d'une proposition, d'un problème, d'une activité; ces
relations étant définies généralement par nécessité interne et/ou externe et selon
certains liens de convenance (au sens large).
Ces types de transformations démontrent la propension du sujet à affirmer, sans
aucune correction ou prise de conscience, ce que pourtant il vient de réfuter; et à
attribuer au même objet ou événement des valeurs totalement opposées, en
admettant qu'elles sont toutes deux possibles. Cela peut indiquer une difficulté du
sujet à maintenir stable un certain système de références internes; mais cela peut
aussi exprimer sa tentative, en utilisant la contradiction comme hypothèse de
travail, de mieux cerner le problème qu'il s'est donné pour tâche de résoudre ou
d'explorer: le sujet pourrait ainsi se dire qu'il affirme le contraire « pour voir si ça
peut être vrai ».
12
le temps de transformation qui a lieu lors de la rencontre avec les contenus du monde
interne et/ou externe du sujet, à savoir ceux d'assimilation et d'accommodation.
Il s'agit plus précisément dans l'établissement d'une relation ou dans l'accès à une
connaissance, d'un système qui engage, d'une part, la vection ou le trajet de la pulsion et
de sa finalité (les mécanismes princeps en sont la projection et l'introjection), et d'autre
part, le travail de transformation qui modifie ou non le lien établi ou qui donne ou non
accès à une nouvelle connaissance.
Cette activité de transformation peut être une simple répétition du déjà existant sous la
forme par exemple, d'une réaction circulaire (Piaget) ou bien le produit d'un changement
au niveau des schèmes, des objets internes, etc. Les mécanismes responsables en sont
l'assimilation et l'accommodation. On peut dire ainsi que toute transformation fait suite
aux aléas de la projection et de l'introjection et dépend du fonctionnement d'assimilation
et d'accommodation. Les transformations sont alors de deux ordres:
C'est ainsi que les concepts d'assimilation et d'accommodation, dans leurs liens avec ceux
d'introjection et de projection, introduisent une dimension temporelle au travail
d'élaboration psychique. Ils rendent compte du destin des transformations de la relation
objectale et de l'activité de pensée.
En résumé, l'analyse psychologique est plus particulièrement centrée sur les mouvements
dialectiques des différents éléments impliqués dans l'activité psychique du sujet dans sa
confrontation avec les réalités (événements) du monde extérieur. Les conditions
relationnelles et cognitives particulières à la situation d'investigation psychologique
faisant appel à t la fois au monde des représentations et à celui de la réalité
événementielle, aux élaborations non conscientes et aux réalisations conscientes et
volontaires, à la démarche propre à la relation intersubjective, placent le sujet dans des
situations dont il peut difficilement retirer des satisfactions durables et permanentes. Il y a
14
Le clinicien, comme nous l'avons déjà souligné, occupe à l'intérieur d'une telle démarche
une position complexe et délicate (exigeant une formation extrêmement solide) dans la
mesure où il doit être capable d'adopter et d'allier deux attitudes apparemment
contradictoires, celle d'une écoute orientée à la fois vers son propre monde interne et vers
celui du sujet, et celle d'une analyse orientée à la fois vers l'observation et vers
l'interprétation.
La première de ces attitudes exige une sorte d'« attention flottante» faite de disponibilité
psychique. Elle permet une mise en état par rapport à la relation, laissant les affects, les
représentations, l'idéation suscités par le sujet envahir le champ de la conscience du
clinicien; la deuxième exige, par contre, attention en éveil, réflexion critique, évaluation,
activité hypothético-déductive.
Cette alternance des types d'activités et d'attitudes semble indispensable pour pouvoir
saisir les dimensions affectivo-cognitives de l'organisation et du fonctionnement
psychique du sujet et pour pouvoir se situer, en tant que clinicien, à l'intérieur d'une
démarche permettant de créer des situations d'investigation qui sollicitent des
mouvements dialectiques à caractère évolutif.
C'est ainsi qu'à travers les situations qui s'y prêtent (et qu'il aura choisies dans ce sens), le
clinicien est à tour de rôle dans une sorte d'apparent retrait, puisque sa relation avec le
sujet s'élabore avec ce qui est réactivé de son propre monde interne ou dans le contexte
15
La pratique montre que la seconde position est la plus adéquate pour l'élaboration d'un
diagnostic. Sans prétendre que les données de l'histoire du sujet et le motif de la
consultation ne jouent pas un rôle essentiel dans la disposition psychique du clinicien -
puisqu'il ne peut ignorer ce qu'il sait déjà - il paraît important qu'il puisse
momentanément les mettre « entre parenthèses » pour les utiliser ultérieurement en les
intégrant dans le champ de ses propres découvertes. Comment lui serait-il possible de t
clarifier le sens de la demande ou d'une information sans chercher à évaluer le degré et la
nature de son déguisement? Et comment pourrait-il le faire sans chercher à connaître par
lui-même le sujet, en évitant qu'il soit d'emblée inscrit dans le cadre d'une représentation
fournie comme une entité toute faite ou bien par un tiers?
Prenons un exemple qui peut paraître trivial même s'il se présente fréquemment dans le
cadre du centre de consultation pour jeunes adultes de l'université de Genève. Un étudiant
se présente à la consultation. Le motif évoqué est celui de difficultés dans la poursuite de
ses études (on trouve la même situation chez l'enfant amené à la consultation pour des
problèmes, par exemple, d'apprentissage de la lecture). Même s'il s'agit d'une difficulté
spécifique, la pratique montre que rarement un tel problème n'engage pas l'ensemble du
fonctionnement psychique du sujet (enfant ou adulte), en ce qui concerne en particulier le
sens qu'aurait pour lui l’acte de connaissance. Même si la difficulté semble se limiter à la
poursuite des études (ou à l'apprentissage de la lecture), il est important de découvrir
pourquoi et comment elle occupe cette position isolée. Une telle découverte ne peut
intervenir qu'après avoir eu accès à une certaine vue d'ensemble du fonctionnement et de
l'organisation psychiques du sujet. L'analyse d'échecs de thérapies dites brèves,
cognitives ou de rééducations peut confirmer ces hypothèses. Ces situations
d'interventions semblent avoir été parfois entreprises sans une connaissance suffisante de
la signification qu’avaient pour le sujet l'acte de connaissance ainsi que ses échecs.
16
La première condition importante pour le clinicien est dès lors de « faire connaissance »
avec le sujet afin de pouvoir déboucher sur la signification de ses caractéristiques
psychiques, découverte qui seule permet à notre avis, de pronostiquer son évolution
psychique et d'élaborer un projet d'intervention, si celui-ci s'avère nécessaire.
La première séance
C'est une séance particulièrement importante. Elle doit permettre l'établissement d'un
espace relationnel et fournir les éléments nécessaires à l'élaboration des hypothèses qui
vont guider la suite de la démarche d'investigation. C'est une séance où on ne devrait pas
prétendre approfondir l'analyse de l'activité psychique du sujet, mais où on devrait plutôt
chercher à en dégager une représentation globale. Cela suppose que les conditions d'une
relation intersubjective aient pu être instaurées et que les différents aspects de la vie
psychique qui ont quelque chose à faire avec le(s) symptôme(s) aient pu donner lieu à
une première investigation et à des premières tentatives d'interprétation.
Cette première séance peut être organisée lors d'un entretien avec un adolescent ou un
adulte, autour de périodes d'entretien entrecoupées par des situations de jeu, de tests, de
dessins pour un enfant d'âge scolaire, autour du jeu pour un enfant plus jeune.
Il ne s'agit pas d'indiquer un ordre défini d'avance. Si un premier entretien d'abord général
est souvent conseillé avant d'aborder des problèmes plus spécifiques, il ne faudrait pas en
faire une règle absolue pour éviter un aspect artificiel et rigide. En revanche, il semble
important que le clinicien soit sensible à la première réaction du sujet lorsqu'il entre dans
la pièce de la rencontre. L'adulte qui se précipite d'emblée dans un discours ininterrompu,
qui pose des questions sans attendre de réponse ou l'enfant qui se précipite dans l'action,
qui veut tout savoir tout de suite, touche les objets et veut immédiatement faire quelque
chose, n'est pas disponible pour un entretien ou même pour la passation d'un test. Il est
préférable de répondre dans un premier temps à sa demande.
Qu'en est-il des entretiens qui font suite à la première séance? Il s'agit d'analyser les
intérêts et les réalités se situant à l'extérieur de la situation d'où émerge la demande de
consultation. En effet, il est important de découvrir si ce que le sujet considérait d'abord
comme une raison j suffisante pour faire appel à l'intervention d'un clinicien présente en
fait un caractère de plus grande généralité.
De même, le degré de conscience que le sujet possède de ses problèmes, non pas
forcément au niveau du discours ou de l'activité explicite mais au niveau de ce qui se
médiatise au moyen des mises en forme de son activité de pensée (relations avec le passé,
projets d'avenir, associations libres sur ce qu'il ressent et pense sur le moment, etc.)
présente un grand intérêt pour le déroulement de la démarche d'investigation.
La pratique montre souvent combien les personnages socialement valorisés (dans le sens
non seulement de groupes sociaux reconnus par la majorité, mais également de groupes
perçus comme marginaux et qui acquièrent à travers leur marginalité un certain pouvoir)
selon des critères souvent très différents (économiques, de mode, éthiques, politiques...)
peuvent aider à saisir la problématique psychique centrale du sujet, combien l'évocation
et l'utilisation d'intermédiaires (quel que soit l'âge du sujet), tels que les héros de
l'actualité politique, sportive, du monde du spectacle, du monde de l'aventure, ou
l'évocation et l'utilisation de nouveaux modes de lecture, d'écriture et de jeux, tels que les
systèmes de bandes dessinées, de romans-photos, peuvent servir à cerner le malaise, la
souffrance, le plaisir, la joie du sujet, mais surtout les moyens psychiques qu'il emploie,
face à ses difficultés, pour en sortir ou pour y succomber.
Par conséquent, l'échange, s'il demeure essentiellement verbal, peut également prendre
appui sur des intermédiaires (incontournables pour les enfants, utiles pour les
adolescents, selon les circonstances pour les adultes) sollicitant le caractère de «
phénomènes transitionnels ».
L'apport d'une telle analyse est triple. En effet, par ce biais, on peut accéder au monde à
la fois réel (dans le sens du réel transmis par le sujet) et désiré et/ou rejeté, parfois même
haï, à son identité et aux identifications élaborées par lui, aux conflits qu'elles véhiculent
et aux moyens que le sujet se donne pour y faire face; enfin on accède aussi aux
procédures rationnelles utilisées pour rendre compte à autrui de l'ordonnance des
contenus représentés et projetés par et dans les situations.