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Chapitre 2 : La démarche expérimentale

L’efficacité de la méthode expérimentale repose sur le fait qu’elle aborde son objet
d’étude étape par étape. Ses principales phases sont : l’observation, la formulation des
hypothèses, l’expérimentation, l’élaboration et l’interprétation des résultats.

1. L’observation
L’observation peut être naturelle ou scientifique. La première consiste à constater les
faits tels qu’ils se présentent spontanément. Il s’agit ici d’une observation banale pouvant se
pratiquer en l’absence de toute hypothèse. Cependant, bien que la psychologie soit définie
dans son sens le plus large comme une science d’observation, elle ne saurait faire usage d’un
tel mode d’observation. Le seul usage d’un langage impose un système conceptuel dont la
structure oblige l’observateur à s’y référer comme cadre antérieur à l’observation. Ce cadre
constitue toujours une hypothèse implicite ou mal formulée. En réalité, l’observation
psychologique qui respecte les consignes du second mode d’observation (scientifique) fait
usage des hypothèses.
Une observation scientifique se veut originale, systématique et armée. Originale, parce
qu’elle s’intéresse aux faits qui tranchent avec le sens commun. Systématique puisqu’elle
accorde plus d’importance à la cohérence des procédures qu’elle utilise et des résultats qu’elle
obtient, ce qui l’entraîne à mettre en œuvre ses techniques dans des conditions bien définies
pour être répétables. Armée enfin, car elle se sert des instruments d’observation, l’instrument
d’observation étant selon Reuchlin (1973, p.17) « Un moyen de coder l’information recueillie
afin de la mettre sous une forme qui facilite son emploi, qui leur confère une valeur
heuristique plus grande ». Les instruments d’observation les plus utilisés sont :
- les instruments d’enregistrement ;
- les instruments de partition des observations ;
- les tests ;
- les enquêtes.
On constate ici que l’observation est la première phase de la méthode expérimentale et
qu’elle peut aboutir à des hypothèses vérifiables.

2- La formulation des hypothèses


L’hypothèse est une tentative de réponse à la question posée. Elle cherche à établir une
relation entre variables. Il s’agit en d’autres termes, d’un raisonnement établi à posteriori.
C’est pourquoi selon Fraisse (1974), l’hypothèse elle-même est la phase créatrice du
raisonnement expérimental, celle dans laquelle le chercheur imagine la relation qui pourrait
exister entre faits ou variables. Mais il est important de signaler qu’il y a plusieurs types
d’hypothèses.
Robert (1988, pp.70-71) distingue dans une recherche en psychologie l’hypothèse
générale de l’hypothèse de recherche (secondaire, annexe, opérationnelle). L’hypothèse
générale est celle qui sert à guider une réflexion plus approfondie, à orienter d’autres lectures
et à procéder à certains choix concernant les objectifs précis que poursuit la recherche et la
méthode d’acquisition des connaissances qui assurera la réalisation de ces objectifs.
L’hypothèse de recherche par contre, est l’opérationnalisation de l’hypothèse générale. Elle
doit pour cela tenir compte des manipulations et des observations empiriques qu’on peut
effectivement réaliser. Elle se caractérise par la concrétude. Pour Robert(1988, pp.70-71) ses
qualités sont : la fécondité, la rigueur et surtout la soumission à la sanction des faits.
Par rapport à la psychologie expérimentale nous devons mentionner que les
hypothèses expérimentales se caractérisent surtout par leur pertinence.
Elles sont généralement de deux ordres :
- les hypothèses induites (qui partent de l’observation)
- les hypothèses déduites (qui partent des théories).
Après la formulation des hypothèses, la phase suivante consistera à les vérifier et c’est
là aussi qu’entrera en jeu l’hypothèse nulle ou statistique.

3. L’expérimentation
L’expérimentation est une phase capitale de la méthode expérimentale. Son but est de
vérifier l’existence d’une relation entre deux ordres de faits. Autrement dit, c’est l’étape de la
méthode expérimentale pendant laquelle les variables sont manipulées. Selon Robert (1988),
constitue une variable, toute caractéristique de l’environnement physique et social, ou tout
comportement, dont les manifestations peuvent être comprises dans une classification
comportant au moins deux catégories.
De manière générale, il existe deux types de variables : la variable indépendante et la
variable dépendante. La variable indépendante est celle qui par suite d’une manipulation
pratiquée par le chercheur prend certaines valeurs. L’adjectif « indépendante » montre que ses
variations ne dépendent pas d’un autre élément (variable). On peut retenir que la variable
indépendante est une quantité effective dont les changements sont considérés comme ne
dépendant pas d’une autre variable spécifiée. Autrement dit, une variable indépendante
désigne les conditions expérimentales imposées à l’objet d'étude et qui permettent de tester
leur effet sur la variable dépendante. La variable dépendante désigne le comportement que le
chercheur veut étudier ou mesurer, c’est donc le comportement qui reflète l’action de la
variable indépendante. L’adjectif « dépendante » montre que les variations de ce
comportement sont en principe dépendantes des différents niveaux de la variable
indépendante.
L’expérimentation consiste donc à manipuler la variable indépendante afin d’observer
ses variations sur la variable dépendante. Cependant, le chercheur doit faire un effort autant
que faire se peut pour neutraliser les variables parasites qui risquent de perturber l’expérience
et par ricochet de biaiser les résultats.
En psychologie on distingue en principe les trois types de variables suivantes :
- des variables de types R ou P (actes, conduites, réponses) ;
- des variables de types O (propriétés modifiables de l’organisme telles que l’âge, le
sexe... de la personne comme l’intelligence, tempérament...) ;
- des variables de types S (propriétés de l’environnement physique ou social comme le
soleil, la chaleur...).
En mettant en relation deux variables, la psychologie expérimentale respecte le
principe de la causalité linéaire qui défend l’idée selon laquelle les mêmes causes doivent
produire les mêmes effets dans les mêmes conditions. La formule de cette causalité est la
suivante : Y = f(x) ou R = f(x).
En psychologie, on aura fondamentalement trois fonctions à partir de la nature des
variables : R = f (o), R = f(s), R = f(R) ou R= f(P). Une fois les variables définies et
manipulées, reste maintenant l’élaboration et l'interprétation des résultats.

4. L’élaboration et l’interprétation des résultats


C’est la dernière étape de la démarche expérimentale qui consiste à donner une
réponse à la question qu’on s’est posée. Il s’agit en fait de vérifier l’hypothèse. Cette
vérification peut soit la confirmer, soit l’infirmer. On parle de confirmation lorsque les
résultats recueillis cadrent avec la prédiction de départ et d’infirmation lorsque c’est le
contraire qu’on observe. Cependant, il est important de souligner que l’infirmation d’une
hypothèse ne signifie pas que le chercheur ait perdu son temps car le désaccord entre les faits
et l’hypothèse peut entraîner la formulation d’une nouvelle hypothèse. De même, la
vérification d’une hypothèse ne signifie aucunement que d’autres hypothèses ne soient pas
aussi valables pour résoudre le problème posé.
Pour l’analyse des résultats, l’expérimentateur se sert de la statistique. Nous avons la
statistique descriptive et la statistique inférentielle. La première sert à décrire visiblement les
tendances. Elle amène à présenter les résultats sous forme de tableaux, d’histogrammes et de
courbes. Elle donne la physionomie d’un ensemble de données à telle ou telle période de
temps (moyenne, écart type, le mode...). Elle est ainsi constituée des mesures de tendance
centrale et des mesures de dispersion. La seconde permet de faire des estimations sur les
résultats qu’on obtiendrait dans une population théorique à partir de ceux obtenus sur un
groupe ou un échantillon. Les instruments de statistique inférentielle utilisés habituellement
sont le Khi carré (χ²), le t de student, le Z, l'ANOVA, l'analyse de corrélation, l’analyse de
régression, l'analyse factorielle, etc. (nous y reviendrons). Chacun de ces instruments de
traitement statistique de données doit être choisi de manière appropriée : en fonction de la
thématiques et en conformité avec les usages tels que révélé par la littérature en vigueur dans
le domaine de recherche concerné.
Il transparaît de cette section sur la démarche expérimentale son caractère rigoureux.
Rien ne doit-être avancé sans être prouvé. Chaque étape de cette démarche prépare
soigneusement celle qui va suivre. Cette démarche expérimentale amène aussi à envisager de
manière particulière la formulation d’un sujet susceptible d’être étudié expérimentalement.

5. La formulation d’un sujet d’orientation expérimentale

La formulation d’un sujet est toujours précédée par une observation. Elle est d’abord
naturelle et entraîne des questions de sens commun. L’homme de science systématise son
observation et se pose des questions objectives. C’est également cette observation qui permet
au chercheur d’identifier les catégories de faits relatives à la question ou aux questions qui
suscitent notre recherche et les relations connexes possibles.
A la suite d’une bonne observation, le chercheur peut déjà formuler un sujet qui lui-
même tient compte des hypothèses. Il s’agit en fait de mettre en relation au moins deux
variables (la variable indépendante et la variable dépendante).Un sujet bien formulé suppose
en filigrane une influence de la variable indépendante sur la variable dépendante. Exemple :
perception psychologique et échec scolaire à l’Université de Yaoundé I. Un tel sujet suppose
que l’échec scolaire à l’université de Yaoundé I peut être expliqué par la perception
psychologique.
Le choix d’un sujet est aussi conditionné par l’intérêt que le chercheur y porte. Les
difficultés que recèle un sujet de recherche, exigent de la part du chercheur une motivation
profonde lui permettant de pouvoir se surpasser, car, comme le dit bien Beaud (1988, p.20) «
Encore faut-il que vous choisissiez soigneusement votre sujet…un sujet susceptible de vous
motiver, de vous intéresser pendant quelques années…et qui vous collera à la peau, fera
partie de votre image pendant quelques lustres ». Cette idée met en évidence l’importance
d’un sujet de recherche dans le processus de la recherche. Ainsi, ce Choix devrait se faire en
tenant compte d’un certain nombre de critères : un sujet motivant, intéressant dans la durée
qui fera partie de l’image du chercheur pendant un certain temps. Le choix d’un sujet de
recherche doit aussi tenir compte des exigences du directeur. Il est important, précise encore,
Beaud (1988, p.20) de choisir un directeur de recherche capable de vous orienter, de vous
encourager, de vous critiquer…pour ce faire, vous allez choisir un sujet de recherche qui entre
dans son domaine de compétence. Angers (1992) indique cinq principales voies à explorer
pour choisir un sujet de recherche :
- Les travaux de recherche antérieurs qui sont une source d’inspiration incontournable
pour le chercheur. A travers une recension des écrits menée avec rigueur, le chercheur doit
analyser de manière critique, les travaux effectués sur la thématique qui le préoccupe, les
problèmes posés par ces travaux, les méthodes utilisées pour les résoudre et les résultats
obtenus. Au cours de ce travail, il va mettre en évidence, les limites de ces travaux qui
vont légitimer une nouvelle manière de reconsidérer les choses dans une nouvelle
thématique, à travers des procédures repensées ;
- L’observation dont on a déjà parlé. Elle est indispensable pour détecter des
régularités, des tensions, des incongruités qui pourraient susciter le désir d’aller au fond des
choses, de vouloir les expliquer, les décrire, d’établir des relations entre des faits. Pour
formuler un sujet d’étude ou de nouveaux sujets d’étude, il est indispensable pour le
chercheur de porter un regard particulier sur l’environnement, de rompre avec la manière
ordinaire de voir les choses et de se poser des nouvelles questions… ;
- L’expérience. Elle est une bonne source d’inspiration et prolonge l’observation ou
tout au moins oriente cette dernière. Les vécu des individus les confronte à des situations qui
déclenchent parfois chez eux le désir de vouloir comprendre, expliquer ou alors contribuer
au changement à partir de la maîtrise des facteurs responsables de la situation présente.
- L’usage des théories scientifiques. Les théories ont la particularité d’expliquer de
manière large des comportements ou des phénomènes. Elles sont essentielles à plusieurs
niveaux de la recherche, surtout au niveau du choix d’un sujet, où il est indispensable de les
examiner minutieusement afin de déceler des failles qu’elles comportent sur certains
aspects qu’elles décrivent et de penser à les falsifier à travers la mise en route de
nouveaux sujets de recherche.
- Les échanges d’idées. Elles sont essentielles dans le choix du sujet ou tout au moins
dans sa reformulation. Pour choisir ou cadrer un sujet de recherche, il est important de
discuter avec ses camarades et enseignants si on est étudiants ; les experts et les public cible
qu’on voudrait étudier. C’est ce qui est généralement fait lors des séminaires de recherche, les
colloques, les conférences qui sont essentiels pour ceux qui voudraient formuler ou tout au
moins affiner leur sujet de recherche.
Les renseignements que nous venons de donner jusqu’à ce niveau concernent
n’importe quel sujet de recherche. Cependant, il est important de signaler que tout sujet de
psychologie ne peut être étudié en laboratoire ou tout au moins n’est pas un sujet d’orientation
expérimentale. Ainsi, le psychologue de l’orientation expérimentale doit bien choisir ses
variables et se rassurer qu’elles soient mesurables à partir des techniques psychométriques
élaborées à cet effet. Il doit, pour s’inscrire dans la logique expérimentale, choisir au moins
une variable qui sera manipulée, et ne pas se contenter uniquement de variables observées
comme c’est le plus souvent le cas dans les enquêtes générales. Entre autres thèmes de
psychologie expérimentale, on peut citer :
- L’influence de la connaissance des résultats sur une performance ;
-La mesure des temps de réaction simple et complexe ;
-La psychomotricité ;
-L’effort et la fatigue ;
-Les niveaux d’efficience ;
-La sensibilité tactile ;- La sensibilité kinesthésique ;
-Les oscillations de la perception et l’influence des attitudes ;
-L’apprentissage par essais et erreurs ;
-La motricité et le travail ;
-La punition et la performance ;
-La motivation et le rendement ;
-La perception de la causalité ;
-L’apprentissage perceptif ;
-L’inhibition proactive ;
-L’inhibition rétroactive ;
-L’association libre ;
-L’association et la mémoire, etc.
On peut retenir à la fin cette section sur la formulation d’un sujet susceptible d’être
étudié en laboratoire ou en quasi expérimentation, qu’il s’agit d’un exercice exigeant
obligeant le respect d’un certain nombre de critères non négociables. Cependant, la
formulation d’un sujet doit aussi tenir compte de la planification. Ainsi, les plans d’expérience
sont indispensables en psychologie expérimentale.
CHAPITRE 3 : Les plans d’expérience

L’une des raisons faisant de la méthode expérimentale, la méthode par excellence


de l’administration de la preuve est l’effort de planification constaté chez l’expérimentateur.
Pour maîtriser les différentes fluctuations de la situation expérimentale, l’expérimentateur
organise son travail dans des plans d’expérience. Le plan d’expérience est un schéma logique
qui précise la nature et l’ordre des différentes phases de l’expérience. Il existe de nos jours
plusieurs types de plans d’expérience dont la différenciation est fonction du nombre de
variables utilisées. Dans la suite de notre propos, nous allons parler des plans d’expérience à
une seule variable, à deux variables et à plus de deux variables (plans à plusieurs variables).

1- Les plans d’expérience à une variable


On appelle plan d’expérience à une seule variable, celui au sein duquel le chercheur ne
manipule qu’une seule variable. Pour ce faire, il s’efforce de neutraliser toutes les autres
variables pour ne rester qu’avec une seule dont il mesurera les variations. Cette tâche qui n’est
pas facile, lui exige les deux conditions ci-dessous :
-Choix de groupes équivalents pour chaque valeur de la variable indépendante ;
-Choix d’un seul groupe de sujets pour toutes les valeurs de la variable
indépendante.
Le plan d’expérience à une seule variable est encore appelé plan simple ou plan à un
seul facteur. Une étude menée par Guegen (2007) et concernant l’influence des couleurs sur
l’évaluation de la température d’une boisson s’est appuyée sur ce type de plan. Dans cette
étude « Quarante personnes devaient gouter une même boisson, conditionnée à la même
température et placée dans quatre verres identiques mais de couleur différentes (rouge, vert,
jaune, bleu). En face de chaque verre, un numéro d’ordres (1, 2, 3, ou 4) était inscrit sur une
étiquette collée sur la table. La couleur du verre correspondant à chaque numéro d’ordre
était repartie pour chaque personne selon une distribution aléatoire. La personne avait pour
consigne de gouter chaque boisson contenue dans les verres et, ensuite, après avoir gouté ces
quatre boissons, elle devait désigner le verre qui contenait, selon elle, la boisson la plus
rafraichissante ». Les résultats de cette étude sont contenus dans le Tableau 1.
Tableau 1. Répartition des sujets suivant la désignation du verre contenant la boisson
la plus rafraîchissante

Bleu Vert Jaune Rouge

Comme on le voit ici, on a un plan simple, c’est-à-dire, un plan à une seule variable
indépendante à quatre modalités. Cependant, faire varier une variable n’est pas chose facile.
De même, ce type d’expérience ne semble pas idéal, car plusieurs variables agissent souvent
simultanément pour déterminer les conduites des individus dans une situation donnée. C’est
pour cette raison qu’ont été mis en place les plans d’expérience à plusieurs variables qui
présentent un avantage théorique puisqu’ils permettent d’étudier les effets combinés des
différents facteurs sur l’individu. Le cas le plus simple est le plan d’expérience à deux
variables.

2- Les plans d’expérience à deux variables


Contrairement au plan d’expérience à une variable qui exige de ne faire varier qu’une
et une seule variable tout en maintenant constantes les autres, les plans à deux variables
envisagent l’analyse des résultats dépendant de deux variables. De tels plans sont devenus
possibles grâce aux travaux des biologistes et agronomes, et plus particulièrement, ceux de
Fischer (1925) sur l’agriculture et l’évolution des statistiques qui permettent désormais de
calculer la variance. C’est ce qui a amené Fraise (1974, p.118) à dire que : « l’analyse de la
variance a renouvelé les perspectives de l’expérimentation dans les sciences conjecturales.
Jusqu’alors, il était difficile de faire des plans traitant plus d’une variable. Comme nous
l’avons vu, le problème était de neutraliser l’effet d’une seconde variable, en général, celle de
l’ordre, pour éviter les effets séquentiels des situations s’exerçant dans le sens d’une facilité
ou d’une difficulté plus grande, bref d’une distorsion des résultats ».
Il transparaît à ce niveau de notre réflexion que les plans d’expérience à deux
variables sont plus efficaces que ceux à une seule variable. Cependant, ces deux formes de
plans d’expérience sont de plus en plus dépassées aujourd’hui. Car les situations concrètes
montrent que dans une expérience, il y a souvent interaction entre plusieurs variables. C’est
pourquoi on parle de plus en plus de plan d’expérience à plusieurs variables.
3 Les plans d’expérience à plus de deux variables
Ils se subdivisent en trois sous-groupes qui sont :
-Les plans factoriels ;
-Les plans en carrés-latins ;
-Les plans en carrés gréco-latins.

3.1 Les plans factoriels


Ils désignent les types de plans les plus complets et permettent toutes les
combinaisons des valeurs de la variable indépendante ayant plusieurs valeurs. Si par exemple,
on décide d’étudier des valeurs de deux variables indépendantes : A (A1 et A2) et B (B1 et
B2), on constate qu’il est possible d’effectuer 4 combinaisons telles que schématisées dans le
tableau 2.
Tableau 2. Plan factoriel A2xB2
A1 A2
B1 A1 B1 (I) A2 B1 (II)
B2 A1 B2 (III) A2 B2 (IV)

Il est important de signaler que les 4 groupes doivent être équivalents. De même que
tous les sujets doivent subir les 4 situations en admettant que l’ordre de passage n’a pas
d’importance. En guise d’illustration, nous allons prendre un exemple concret (Reuchlin, cité
par Fraisse, 1974). Il peut s’agir ici d’étudier l’effet de l’attente sur les temps de réactions en
s’appuyant sur deux durées différentes de l’attente 20 secondes (A1) et 60 secondes (A2) et
deux conditions différentes nommées attente indifférente (B1 : temps de réaction simple
ordinaire) et attente avec crainte (B2 : en réagissant le sujet s’administre un choc électrique).
Reuchlin (1953) a attribué les trois avantages ci-dessous aux plans factoriels :
1.- « Chaque mesure ou chaque groupe de mesures contribue à la résolution de deux
problèmes posés, influence de la durée de l’attente et de la nature de l’attente. Pour étudier
tous les problèmes en ne faisant varier qu’une seule variable à la fois, il aurait fallu non pas 4
mais 8 groupes de sujets (A1et A2) dans la condition B1 puis dans la condition B2 ; ensuite
B1et B2 dans le cas A1 puis dans le cas A2) » ;
2.- « La base de l’induction est plus large. Dans notre exemple, on étudie les effets de
deux durées de l’attente sur deux situations différentes d’attente, on peut en effet regrouper
les résultats et les tester séparément » ;
3.- « L’effet de l’attente courte A1, groupe I+ groupe III. L’effet de l’attente longue
A2, groupe II+ groupe IV puis. L’effet de l’attente neutre B1, groupe I+ groupe II
.L’effet de l’attente avec crainte B2 groupe III+ groupe IV et comparer l’effet global
de la nature des attentes ».
Il se présente une possibilité d’estimer des interactions possibles entre les variables
étudiées. On dit qu’il y a interaction entre deux variables indépendantes quand l’effet de l’une
sur la variable dépendante dépend de la valeur de l’autre. Dans notre cas cela pourrait vouloir
dire que l’effet de la nature de l’attente dépend de la durée de celle-ci, que par exemple,
l’attente craintive par rapport à l’attente indifférente agit d’une manière différente sur le temps
de réaction suivant qu’elle est courte ou longue.
Il est important de signaler que contrairement au plan à deux variables simple, le plan
factoriel peut avoir plus de deux variables ainsi que plus de deux valeurs de chaque facteur.
La conséquence pratique dans ce cas particulier, est que le nombre de cases va augmenter et
l’expérience deviendra plus lourde.
La formule pour calculer le nombre de cases est la suivante:
Soit: P = K × L ; Soit: P = K×L × M. Avec K = nombre de valeurs
L = nombre de degré/valeurs M = valeurs respectives / nombre de cases
Par exemple,
 Pour 3 variables avec 2 degrés différents, on aura: 3 × 3 = 9 cases
 Pour 3 variables avec chacune 2 degrés, on aura: 2×2 ×2 = 8 cases
 Pour 3 variables ayant 3 valeurs, on aura: 3 × 3 × 3 = 27 cases.
On peut illustrer ce qui précède par l’exemple concernant l’influence de deux durées
d’attente (courte et longue avec attente neutre) sur le temps de réaction. Il s’agit ici d’une
situation où on a deux variables indépendantes. Mais, on peut aussi envisager l’étude des
interactions entre situations et personnalités. Ainsi, on peut avoir deux catégories de sujets
(faible ou forte stabilité émotive). Ce qui donnera le plan d’expérience qui suit :
Tableau 3. Plan factoriel 2x2 (attente2xstabilité émotionnelle2)
STABILITE EMOTIVE
FAIBLE FORTE
ATTENTE COURTE I II
LONGUE III IV

L’analyse du tableau qui précède permet de constater que les groupes I et III sont
équivalents et désignent des individus à faible stabilité émotive; tandis que les groupes II et
IV représentent des personnes à faible stabilité émotive. Il est aussi possible de combiner les
deux plans proposés successivement. Ce qui donnera alors 3 variables avec deux degrés et on
aura un plan de 2 × 2 × 2 = 8 cases avec 8 groupes de sujets.
Tableau 4. Plan factoriel 2x2x2 (nature attente2xdurée de l’attente2xstabilité émotive)
NATURE DE
L’ATTENTE
ATTENTE NEUTRE ATTENTE STABILITE EMOTIVE
ATTENTE
CRAINTIVE
FAIBLE FORTE
COURTE I II
LONGUE III IV
COURTE V VI
LONGUE VII VIII

On peut dire à la fin de l’analyse sur le plan factoriel qu’il permet de tester
efficacement l’interaction entre deux ou plusieurs variables. Cependant, on constate que la
combinaison complète de plusieurs variables à plusieurs degrés entraîne des expériences très
difficiles à réaliser. Il est donc important de simplifier au maximum la procédure à travers le
plan en carré latin ou le plan en carré gréco-latin.
3.2 Les plans en carrélatin
L’objectif du plan en carré latin est de simplifier les procédures. Son principe est selon
Fraisse (1974 ; p.121) « que chaque couple de modalités doit y être réalisé une fois et une
seule ». Il consiste à étudier trois variables ayant chacune plusieurs degrés de variations. Sur
le plan essentiellement pratique, les expériences sont ordonnées de manière à ce que les lignes
et les colonnes correspondent à une variable constante et chaque ligne et chaque colonne
contiennent toutes les modalités de la 3ème variable.
Exemple : Soit une expérience à 3 variables ayant chacune plusieurs modalités. On
constate que le plan factoriel y relatif aura 27 cases, tandis que le plan en carré latin n’en aura
que 3 × 3 = 9 cases et se représente comme suit :
K1K2K3 représentant les modalités de la première variable ;
L1L2L3 désignant les modalités de la deuxième variable ;
ABC étant les modalités de la troisième variable.
On obtiendra donc le tableau 5 comme plan d’expérience.

Tableau 5. Plan en carré latin 3x3x3


K1 K2 K3
L1 A B C
L2 B C A
L3 C A B
L’analyse du plan qui précède montre qu’il n’est en fait qu’une amélioration du type
de plan où l’on faisait varier au hasard une variable afin de la neutraliser. L’homogénéité des
lignes et des colonnes permet de regrouper trois fois les résultats en fonction des lignes, des
colonnes et des lettres et par ricochet de tester l’influence des 3 variables.
Ce qui précède peut s’illustrer dans l’exemple concernant les attentes longue et courte.
Pour ce cas particulier, on remarque que le plan carré latin y afférent n’aura que 4 cases au
lieu de 8 cases comme dans le cadre du plan factoriel (cf. Tableau 6).
Tableau 6. Plan en carré latin attente2xnature de l’attente2xstabilité émotive

Stabilité émotive
Attente faible forte
Neutre A B

Il peut arriver qu’il soit impossible de tester l’interaction, dans ce cas, il sera plus
indiqué de neutraliser son effet possible en multipliant les variétés de plans en carré latin. Par
conséquent, l’ordre AB pourra devenir BA et l’ordre BA peut devenir AB. Il est important de
mentionner que les variables peuvent soit relever uniquement de la situation, soit mettre en
interaction simultanée, les variables de types S et les variables de type P. On pourra par
conséquent utiliser dans chaque case, les mêmes sujets ou des groupes de sujets considérés
comme équivalents.
On peut retenir des plans en carrés latins qu’ils permettent de faciliter les procédures
dont la lourdeur est manifeste dans le cas des plans factoriels. Cependant, les plans carrés
latins peuvent être associés aux lettres grecques et devenir des plans en carré gréco-latin.

3.3. Les plans en carré gréco-latin


Contrairement au plan en carré-latin qui permet de manipuler simultanément trois
variables, le plan en carré gréco-latin permet d’en traiter quatre. Son principe consiste selon
Fraisse (1974 ; p.122) « à associer à chaque lettre latine un plan à trois variables une lettre
grecque correspondant aux valeurs d’une quatrième variable indépendante. La distribution
des lettres grecques obéit à la même loi que celle des colonnes et de telle sorte que chaque
traitement de la 3ème variable (lettre latine) se produise une fois et une seule en occurrence
avec le traitement de la quatrième (lettre grecque) ».
Si nous prenons par exemple 3 valeurs de chacune des 4 variables, on obtiendra le
plan qui suit (Tableau 7) :
Tableau 7. Plan en carré gréco-latin
A B C
B C A
C A B

On peut dire à la fin de cette réflexion sur les plans d’expérience, qu’il en existe
plusieurs (plans à une seule variable, plan à deux variables, plan à plusieurs variables...) dont
les plus importants sont les plans à plusieurs variables (plan factoriel, plan carré latin, plan
carré gréco-latin). Il existe des plans plus complexes, mais leur principe est identique à celui
de tous les autres plans. Il s’énonce de la manière suivante : « regrouper les résultats partiels
et les comparer avec l’ensemble des autres résultats, l’analyse de la variance n’étant pas
l’unique instrument statistique, mais seulement le mieux adapté » (Fraisse,1974, p.123).

Le plan d’expérience conditionne la logique d’une expérience. C’est un schéma


logique et cohérent qui précise toutes les étapes du déroulement d’une expérience. C’est en
quelque sorte un tableau de bord pour parler comme les pilotes. Toutes les spécialisations de
la psychologie utilisant la méthode expérimentale dans leur investigation font usage des plans
d’expérience. C’est le cas de la psychologie sociale qui a fait naître toute une spécialisation
appelée psychologie sociale expérimentale.

A la fin de cette réflexion, il apparaît que la pratique de la méthode expérimentale


n’est
pas aisée, à cause de multiples difficultés qui se présentent encore avec plus d’acuité dans les
pays africains. Toutefois, des stratégies existent pour pallier à ces difficultés, au point qu’il est
possible d’affirmer sans ambages « que la méthode expérimentale est la méthode par
excellence de l’administration de la preuve » (Fraisse, 1974). La rigueur de la méthode
expérimentale transparaît clairement dans sa démarche (observation, formulation des
hypothèses, expérimentation, analyse des résultats). Cette psychologie expérimentale occupe
une place importante dans les investigations des psychologues, ce qui a fait naître toute une
orientation appelée psychologie sociale expérimentale.
Références bibliographiques
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