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Université de Toulouse 1 Capitole

Licence en droit – 3ème année

TRAVAUX DIRIGES DE
Droit des biens

Fiche n° 2-3
La notion de bien

2023-2024
Cours du Pr. Julien Laurent
I – CONTENU DE LA FICHE

A°) Réflexions sur le domaine du droit des biens : l’exemple de l’animal

1°) La distinction chose/personne : l’exemple de l’animal

Document n° 1 : S. Antoine, Rapport sur le régime juridique de l’animal, 10 mai 2005, (extraits). Le rapport est
disponible dans son intégralité sur le site internet de « La documentation française »

Document n° 1 bis : Proposition de loi de Mme Geneviève GAILLARD et plusieurs de ses collègues visant à
établir la cohérence des textes en accordant un statut juridique particulier à l'animal, n° 1903, déposée le 29 avril
2014

Document n° 2 : Article L. 214-1, du Code rural et de la pêche maritime, créé par Ordonnance n°2000-914 du 18
septembre 2000

Document n° 3 : Article 515-14 du Code civil, introduit par la loi n°°2015-177 du 16 février 2015

Document n° 4 : J.-P. Marguénaud, « Une révolution théorique : l'extraction masquée des animaux de la catégorie
des biens », JCP G. n° 10-11, 9 Mars 2015, doctr. 305

Document n° 5 : CE, 1er décembre 2020, 446808 (animal, « droit à la vie » *)

Document n° 6 : Cass. 1ère civ., 24 mars 2021, n° 19-20962 (animal, fruit*)

2°) Le domaine de l’appropriable


Document n° 7 : Cass. crim., 14 novembre 2000, n° 99-84522 (bien incorporel, carte de crédit **)

Document n° 8 : CEDH, 29 mars 2010, aff. Brosset-Triboulet c/ France, n° 34078/02 (notion de bien, Conv. EDH
***)

Document n° 9 : Cass. crim., 8 nov. 2017, n° 17-82.632 (notion de bien, créance, saisie pénale, expropriation,)

Document n° 10 : Cass. soc., 15 juin 2022, n° 21-11.461 (fichier, appropriation [non]*)

B°) Les classifications des biens

Document n° 11 : Cass. 3ème civ., 26 juin 1991, n° 89-18638, Bull. civ., III, n° 197, JCP, éd. G, 1992, II, 21825,
note J.-F. Barbieri ; D. 1993, Som., p. 291, obs. F. Pérochon ; RTDCiv. 1992, p. 144, obs. F. Zenati (distinction
meubles-immeubles ; rôle de la volonté [non]***)

Document n° 12 : Cass. com. 2 déc. 2020, n° 18-25.559, D. 2021. 947, note N. Jullian (immobilisation par
destination ; prépondérance immobilière en matière fiscale [non]*)

Document n° 13 : Cass. com., 29 nov. 2016, n° 15-12.350 : D. 2016. 2462, obs. A. Lienhard ; AJ Contrat 2017. 90,
obs. N. Kilgus ; Rev. sociétés 2017. 180, obs. P. Roussel Galle ; Act. proc. coll. 2017. 19, obs. F. Pérochon (biens
fongibles ; procédure collective ; réserve de propriété concurrente ; répartition *)

2
C°) La notion de patrimoine : l’exemple du patrimoine professionnel de l’entrepreneur

Document n° 14 : Articles L. 526-22 et suivants du Code de commerce

Document n° 15 : Th. Revet, « La désubjectivation du patrimoine », D. 2022, p. 469

***

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II – EXERCICES

1°) A l’aide des documents 1 à 6, faire le commentaire simplifié (introduction rédigée et plan détaillé) de l’article
515-14 du Code civil.

2°) Après avoir pris connaissance des documents 7, 8 et 9 faire le commentaire d’arrêt intégralement rédigé de
l’arrêt reproduit au document n° 10.

3°) En justifiant (rapidement) vos réponses qualifiez les biens suivants en utilisant le maximum de catégories de
biens que vous connaissez : l’ordinateur d’un étudiant ; l’arbre d’un jardin public ; les radiateurs électriques d’un
appartement ; la bibliothèque construite aux dimensions exactes de la pièce pour laquelle elle est prévue ; une
action de société anonyme ; Manuscrit du « Procès », de Kafka ; une bouteille de Château-Latour ; un manuel de
droit des biens écrit par J. Carbonnier ; 1 kg de farine de blé ; une bougie parfumée à la vanille ; une canette de
coca ; la première pièce frappée en euro ; 4 heures de streaming offertes par Free.

4°) Analyse de textes législatifs :


Après avoir pris connaissance des documents n° 14 et n° 15, rédigez un texte de 5000 signes maximum (espaces
compris), présentant de manière synthétique le statut de l’entrepreneur individuel. Le texte devra détailler en quoi
la loi du 14 février 2022 contredit la théorie classique du patrimoine.

* * *

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III – ANNEXES
Document n°1 : S. Antoine, Rapport sur le régime juridique de l’animal, 10 mai 2005 (extraits)

L’INSERTION DANS LE CODE CIVIL DU NOUVEAU CONCEPT DE L’ANIMAL- ETRE SENSIBLE

Lors de la réforme des articles 524 et 528 du code civil, décidée par la loi du 6 janvier 1999, aucun débat
parlementaire n’a eu lieu. Les députés et les sénateurs ont longuement discuté des dispositions à prendre à l’égard
des animaux dangereux; en revanche, l’article de la loi concernant la distinction plus précise à opérer entre choses
et animaux, n’a soulevé aucun commentaire.

Les parlementaires, informés par le rapport Sarre du peu de portée de ce semblant de réforme, d’ordre purement
rédactionnel et n’affectant pas l’ordonnancement juridique, n’avaient pas de raison de soulever des objections.
L’animal restait un bien meuble et le rapport ne faisait allusion à la nécessité de donner une définition juridique de
l’animal, voire même un nouveau statut, que dans une perspective d’avenir plus ou moins éloigné.
Or, il est certain que si un projet de loi portait sur la modification du régime de l’animal, et consistait à supprimer
l’animal- meuble au profit de l’animal- être sensible, la discussion parlementaire ne manquerait pas de porter sur
les difficultés d’insertion de ce concept nouveau dans l’ossature du Code civil.
Dans sa structure actuelle, ce code, qui ne prévoit que des dispositions bipartites personnes-biens, présente une
summa divisio que d’aucuns considèrent comme intangible. Faut-il sacraliser le code civil au point de ne pouvoir y
insérer un concept nouveau, qui résulte tant de la nature de l’objet sur lequel porte ce concept, que de textes
législatifs nationaux et internationaux qui le consacrent?
Le bicentenaire du code civil a donné lieu, au cours de l’année 2004, à des réflexions portant, certes, sur
l’admiration que suscite toujours Ace péristyle de la législation française, mais en même temps sur sa nécessaire
adaptation au monde moderne.
M. Dominique Perben, Garde des Sceaux, a rappelé que fêter le bicentenaire du code civil est aussi s’engager dans
sa modernisation pour qu’il soit toujours la référence vers laquelle se tourner. Le droit des personnes et de la
famille comme le droit des biens et des obligations doivent aujourd’hui être revus à cette aune.
Des réformes ont eu lieu depuis sa rédaction, et une recodification globale a affecté le droit de la famille, celui des
personnes, en droit de la consommation; les exemples sont abondants.
Dans un article paru à la RTDC 2002, Philippe Rémy écrivait « le code n’est pas l’arche sacrée de lois intangibles,
ni le droit naturel en acte, ni même une œuvre savante dont il faudrait sauvegarder le système ». De même J-F
Krieg, Président du TGI de Nîmes, fait observer que le code apparaît de moins en moins comme une œuvre
systématique et de plus en plus comme un outil au service des praticiens, et qu’il importe peu que le code se
défasse à coup de législations particulières. Ce juriste estime que toute tentative de sacralisation ruinerait
l’actualisation du code civil qui doit être appréhendée (...) à l’aune de l’internalisation des rapports de droit.

1- Dans l’optique d’une extraction de l’animal de la catégorie des biens, il devra être inséré dans un chapitre
particulier du code civil. Ce qui amène à s’interroger sur les possibilités de modifier les structures mêmes du code,
qui ne font place qu’aux personnes et aux biens.
Les structures du droit français ont été façonnées par les divisons et les catégories du droit romain, ainsi que par le
droit canonique. La révolution française a apporté l’idée de la prééminence de la loi, qui est l’une des
caractéristiques du droit français. Ces divisions correspondent à des concepts juridiques qui facilitent la
codification par un regroupement des matières qui en font l’objet. Ces concepts sont des notions évolutives qui
reflètent la hiérarchie des valeurs d’une société à un moment donné.

Le concept de l’animal- chose, vu sous le seul aspect de sa valeur marchande et patrimoniale, s’est normalement
intégré, en 1804, aux dispositions relatives au droit de propriété.
Or, ce concept est désormais périmé. Il est remplacé par celui de l’animal-être sensible. Celui-ci répond à une
qualification complexe, sa double nature d’être juridique appropriable d’une part, d’être vivant et sensible d’autre
part, ne permet de l’inclure ni dans les personnes ni dans les biens. La question est de savoir quelle est la
caractéristique qui doit l’emporter. Sur le plan qui nous paraît s’imposer, qui est celui d’une hiérarchie des valeurs
morales, c’est incontestablement la valeur intrinsèque de l’animal qui doit prédominer sur la valeur purement
patrimoniale.

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La rigueur des divisions du code civil ne doit pas faire obstacle aux besoins d’évolution d’une branche du droit, née
non seulement des aspirations sociales, mais également des termes précis de la loi et des Traités internationaux.
Le code civil doit pouvoir absorber le nouveau concept qui transforme radicalement notre approche de la nature
animale, en lui réservant la place particulière qui doit être la sienne dans les structures du droit.
En modifiant les classifications traditionnelles du code civil, on ne fera qu’y intégrer les dispositions d’une loi
écrite, conformément à l’esprit des rédacteurs originaux pour lesquels la prédominance de la loi écrite constituait
un principe fondamental. Cette loi écrite, c’est l’article 9 de la loi du 10 juillet 1976 (codifié article L.214-1 du
code rural), dont les termes pourraient être repris dans un article du code civil spécialement consacré aux animaux.
Ce sont aussi les dispositions du Traité d’Amsterdam relatif aux créatures douées de sensibilité, incluant
l’engagement de tenir pleinement compte de leur bien-être.

2- Dans l’hypothèse où l’on persisterait à inclure l’animal dans la catégorie des biens, il n’y aurait pas d’obstacle de
principe à créer une nouvelle catégorie de bien protégé qui lui serait spécialement consacrée. Le droit des biens, tel
qu’il est actuellement organisé par le code civil est une matière soumise à critique. Dans un article paru au Dalloz
2004, B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin estiment qu’il est temps de s’attaquer à sa refondation dans un code
civil rénové, tel qu’il peut être espéré dans les prochaines années. La division des biens ne correspond plus aux
réalités de la société actuelle et aux besoins des générations futures. Un droit des biens régénéré, simplifié et
actualisé est le vœu de l’ensemble de la doctrine et des praticiens. Le professeur Libchaber, dans un article intitulé
« La re-codification du droit des biens », constate que le droit des biens oppose un violent contraste aux autres
matières du code civil : il est demeuré à l’écart de toutes les entreprises de régénération qui les ont saisies les unes
après les autres. Il n’hésite à parler de la sclérose du droit des biens : tel qu’il a été réglementé par le code civil, le
droit des biens ne mérite pas la généralité de son appellation. Par construction, c’est en réalité d’un droit de
l’immeuble qu’il s’agit, dont l’essentiel des dispositions est articulé autour de sa préservation.

Il aborde ensuite le problème éthique : l’animal face au droit des biens. Rappelant les incohérences de la réforme de
l’article 528, il estime que les catégories juridiques actuelles ne facilitent pas une modification en profondeur du
droit des biens: Pris dans l’alternative stricte entre personne et bien, l’animal occupe une position incertaine.
Si l’on admet qu’il y a des biens marqués d’une forte composante affective, que l’on ne peut traiter en choses
ordinaires, soumises à la toute-puissance d’un maître, le débat s’apaise par l’élargissement des catégories.
Le droit communautaire et le Droit européen prennent une place de plus en plus importante en droit français. Ils
constituent de nouveaux apports pouvant avoir des effets sur la structure du droit français. La Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, la jurisprudence de la Cour de Justice, changent indéniablement
le contenu d’un bon nombre des règles de droit.

Face à de tels bouleversements, qui affectent le droit des personnes et en particulier celui de la famille, une
modification du régime juridique de l’animal, même si elle amène à une nouvelle rédaction de l’intitulé du Livre
deuxième du code civil, apparaît comme une bien modeste restructuration.

PROPOSITIONS

Le régime juridique de l’animal tel qu’il résulte des dispositions actuelles du code civil doit être revu à la lumière
des conceptions modernes qui tiennent au fait que l’animal est de plus en plus lié à l’homme, que ce soit sur un
plan affectif en ce qui concerne les animaux de compagnie, sur le plan philosophique du respect dû à tous les êtres
vivants qui peuplent la planète, et sur le plan scientifique des parentés biologiques parfois très proches entre les
espèces.

Elaborer ce nouveau droit de l’animal ne va pas sans quelques difficultés et c’est sans doute la raison pour laquelle
le problème est depuis si longtemps resté sans solution. La très timide réforme de la loi du 6 janvier 1999 n’a rien
résolu, parce qu’elle est restée au stade de modification d’une simple phrase, qui n’en n’est pas devenue plus claire
pour autant,

Face à un mouvement européen d’une grande ampleur et qui s’est intensifié depuis deux ou trois ans, la France ne
peut plus se contenter de conserver un animal-meuble dans des articles du code civil devenus parfaitement
obsolètes, au dire d’un grand nombre de juristes.
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Si l’on veut, comme indiqué dans la mission qui m’a été impartie, parvenir à un régime juridique cohérent, il faut
créer pour l’animal une catégorie sui generis correspondant au bon sens et à la réalité de sa nature. L’animal n’est
pas une personne et sa sensibilité l’écarte du champ des biens ordinaires. En faire un meuble-sensible serait une
absurdité. C’est tout simplement un animal, appropriable sous réserve de conditions particulières liées à la
protection légale dont il jouit.

Deux solutions peuvent être envisagées.

PREMIERE PROPOSITION
Cette première proposition doit être retenue en priorité. Elle a l’avantage d’aboutir à une extraction complète de
l’animal du droit des biens, conformément à sa véritable nature d’être sensible qui doit prévaloir sur son aspect de
valeur marchande, permettant de tenir compte de sa valeur intrinsèque. De plus elle répond aux désirs exprimés par
l’opinion publique, au travers des Fondations et Associations consultées.

Elle est fondée sur des sources légales, puisque le nouvel article 515-9 reprendrait les termes de la loi du 10 juillet
1976 et ceux du Traité d’Amsterdam.

Elle n’entraînerait ainsi aucun bouleversement du régime d’appropriation.

Cette réforme se rapprocherait de celles qui ont été opérées dans les codes suisse, autrichien, allemand, polonais,
russe et moldave, mais elle aurait le mérite de mieux définir l’animal et de rappeler l’obligation légale de respecter
son bien-être.

Elle pourrait être accomplie sans bouleversement des structures existantes, mais par une rédaction nouvelle des
intitulés du Livre deuxième du Code civil de manière à pouvoir y inclure des articles spécifiques aux animaux.

Il importe de préciser que cette présentation rénovée n’aurait pas pour effet de donner aux animaux un statut de
sujet de droit, mais seulement de faire reconnaître leurs particularités par rapport aux biens.

(…)
SECONDE PROPOSITION

Elle consisterait à créer une troisième catégorie de biens, celle des animaux, en les considérant comme des biens
protégés.

Les biens comporteraient ainsi trois catégories : les animaux, les immeubles et les meubles.

Le régime d’appropriation des animaux resterait toutefois soumis aux dispositions du code civil sur la vente ainsi
qu’à celles du code rural qui leur sont spécifiques.

Le Livre deuxième du Code civil serait modifié et son Titre I comporterait quatre chapitres au lieu de trois.

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Document n° 1 bis : Proposition de loi de Mme Geneviève GAILLARD et plusieurs de ses collègues visant à
établir la cohérence des textes en accordant un statut juridique particulier à l'animal, n° 1903, déposée le 29
avril 2014

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Ce texte a pour objectif de mettre en cohérence le code civil avec les autres pans du droit, notamment le code rural.
Il répond à une demande croissante de nos concitoyens et prend en compte la modification du regard que porte
notre société sur le vivant « non humain ». Cette proposition acte, par ailleurs, l’évolution des connaissances
scientifiques et l’état de la réflexion philosophique. Elle prend en compte la différence biologique entre un être
vivant et un objet inanimé.

La présente proposition de loi reprend l’attente constante de l’opinion publique pour l’ouverture d’un débat public
sur le statut juridique accordé à l’animal dans notre pays.

Gommer un flagrant déni de notre droit

Depuis les premières domestications de l’animal, l’homme alors chasseur-cueilleur, a partagé son existence en prise
à l’hostilité d’une nature alors triomphante, indomptée et capricieuse, avec l’animal. Ce passé ancien, puisque le
loup a été domestiqué il y a environ 18 000 ans, le chat et les autres animaux il y a environ 8 à 9 000 ans, à
l’évidence a tissé des liens complexes et forts entre homme et animal. D’aucuns préciseront d’ailleurs, en toute
rigueur scientifique, que malgré tous nos efforts pour nous extraire de cette condition, nous-mêmes sommes des
animaux, certes particuliers de par le pouvoir et la domination que nous avons acquis et exercés sur le reste du
règne vivant à la faveur du phénomène d’évolution dont nous avons tiré parti, mais bel et bien incus à l’ordre des
mammifères, et donc soumis à la dure réalité et pesanteur des contingences afférant à cet état.

En effet, à travers les siècles bien des pistes de distinction ont été avancées pour nous enorgueillir d’un présupposé
« propre de l’homme », intelligence, rire, conscience, faculté d’anticipation, mais au final aucune n’a abouti à une
démonstration totalement convaincante et infaillible au regard de l’actualisation des connaissances.

Nous accompagnant dans notre aventure de civilisation, il était normal que l’animal et notre rapport à l’animal soit
régi par les règles de vie en société dont on s’est progressivement dotées. Or la primauté a dans ce cadre été donné
au rapport de possession, de garde et de maîtrise de l’homme sur l’animal, c’est ainsi qu’historiquement les régimes
juridiques ayant le plus d’effet se sont avérés être ceux liés au droit de propriété et consacrés par le droit romain
puis par le droit civil jusqu’à s’incarner durablement en France dans le code Napoléon de 1804.

Du seul point de vue du droit il est également insupportable que le droit qui se veut une science sociale en prise
avec la société en soit resté à une traduction aveugle et sourde qui s’inscrit en marge et dans la négation de
l’accumulation de connaissances. La prise en compte juridique nous apparaît comme fossilisée et archaïque, si les
praticiens du droit la trouvent mal appropriée, au quotidien dans leur recours aux seules procédures mises à leur
disposition, les théoriciens et la doctrine la pensent erronée et « figiste », en fait l’ère de l’animal ramené à une
chose raisonne comme une imposture tolérée pour des raisons pratiques et une certaine facilité mais qu’il convient
d’enfin de désavouer, en vertu du principe de réalité.

Une rapide prise en compte de l’examen du droit comparé au niveau international et notamment européen (Suisse,
Italie, Autriche…), nous amène au constat que certains États ont déjà entrepris cette actualisation cohérente de leur
réglementation, de façon plus ou moins précoce et progressiste, mais reléguant notre droit qui se veut pourtant
historiquement comme un modèle rayonnant, au rang des plus rétrogrades et inadaptés du point de vue de la prise
en compte de l’animal. Il s’agit ici, après l’abusus, dont le droit pénal a encadré l’exercice avec la législation
relative à la sanction des sévices graves et actes de cruauté envers les animaux, d’aménager les deux autres attributs
du droit de propriété à savoir, l’usus et le fructus, afin que les droits attachés à la propriété s’exercent d’une façon
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non-sourde et non-aveugle face à l’évidence du caractère sensible de l’animal qui doit le distinguer, à jamais, des
choses inanimées.

Le regard de la société

Au cours de la deuxième partie du siècle dernier les modifications des modes et des habitudes de vie ont entraîné
un glissement progressif de la relation que l’homme tisse avec l’animal. Pour ce qui est de celui qui partage sa vie
quotidienne, le déplacement des centres démographiques de la campagne à la ville a induit un rapport affectif sous
tendu par l’attachement. Qu’il soit chien ou chat, l’animal de compagnie en perdant une partie de ses fonctions
utilitaires a pénétré totalement la sphère familiale et il en devenu un partenaire à part entière. L’attente d’une
meilleure compréhension du comportement de leur compagnon familier par nos concitoyens pour mieux
communiquer avec lui, est un indicateur important de leur investissement émotionnel. Les animaux de compagnie
sont, aujourd’hui, intégrés à la vie de leur propriétaire au point d’en suivre toutes les variations familiales,
professionnelles et personnelles. L’animal fait partie intégrante de l’intimité des individus.

L’élevage doit aussi tenir compte de l’augmentation de l’attente qualitative des consommateurs en matière de
pratiques respectueuses du bien-être et de la bien-traitance des animaux destinés à la consommation. Cette demande
en constante progression est aussi justifiée par le besoin exprimé en matière de sécurité alimentaire et de santé
humaine. Nos concitoyens, en général, les consommateurs et les éleveurs eux-mêmes, expriment une forte
sensibilité sur les techniques de production qui conduisent l’animal dans leurs assiettes.

Par ailleurs les activités sportives ou de loisirs mettant en lice des animaux, celles les associant à des fins
thérapeutiques, sociales ou éducatives, de même que la recherche scientifique sont observées, avec attention, par
nos concitoyens. Les abus à l’encontre des animaux et plus simplement l’absence de ce que beaucoup considèrent
comme la base du respect pour un être vivant, sont largement pris en compte.

La société n’est plus dans son organisation à l’image de celle qui a adopté le statut d’objet pour l’animal lors de
l’élaboration du code civil sous l’ère napoléonienne. Elle attend, aujourd’hui, une considération pour l’animal
conforme aux modes de vie actuels.

Évolution des connaissances scientifiques

De nombreux champs de la science sont concernés par une approche du vivant sous l’angle de ses capacités
cognitives, proprioceptives, neurologiques et éthologiques. Les résultats s’accumulent pour confirmer d’une part la
sensibilité nerveuse de l’animal et d’autre part, pour faire état des facultés d’adaptation comportementale à des
variations du contexte et des situations. Il en est de même de l’attachement intra et interspécifique. Les animaux,
essentiellement pour ce qui a trait aux vertébrés, démontrent des possibilités d’analyse, d’anticipation, d’ajustement
comportemental et de mémoire qui sont confirmées par des études internationales multi centrées.

Par ailleurs, pour l’animal de proximité, voici un peu plus de trente ans que les disciplines de la psychologie
humaine, de l’éthologie, de la sociologie, de la médecine et des sciences de l’éducation montrent un bénéfice
évident pour l’adulte au plan de la santé mentale, physique, du bien–être et de la qualité de vie mais aussi pour
l’enfant dans son développement affectif, sensoriel et d’acquisition des compétences socles.

En ce qui concerne les animaux destinés à la consommation et les loisirs, l’éthologie moderne indique la perception
du stress, de la souffrance et l’anticipation de la mort dans de nombreuses espèces élevées, chassées ou objets de
spectacles.

Depuis René Descartes et son concept de « l’animal machine », la science pointe clairement la particularité de
l’animal, marque ses différences avec l’espèce humaine, et la dissocie pleinement d’une vision mécaniste.

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La pensée philosophique

Un groupe d’intellectuels de tous les horizons ont récemment manifesté leur volonté de voir prendre en compte la
différence entre l’objet et l’animal au travers d’une modification du code civil.

De l’approche biologique à l’identification de la psychologique particulière des animaux, la philosophie a renforcé


sa réflexion sur le caractère particulier de l’être animal comme personnalité vivante sensible, sujette aux émotions
et dotée d’une sensorialité riche.

Les philosophes fondent aussi leur approche sur les spécificités propres d’un animal par rapport aux autres espèces
mais aussi par rapport à l’être humain. Ils considèrent que l’animal n’est pas en déficit de compétences mais plutôt
dans un contexte de différences constitutives. Ils reconnaissent même à l’animal des dispositions supérieures à
l’homme dans certaines capacités sensorielles et cognitives qui les conduisent à poser le principe de l’altérité
animale ; d’où la nécessité de respecter l’Autre dans son intégrité.

De nombreux philosophes avancent sur le terrain de la reconnaissance des particularités de l’animal au motif de
notre appartenance au monde du vivant.

Une éthique économique

De multiples activités économiques se sont développées autour de l’animal. L’enjeu du respect de son bien-être et
de sa bien-traitance, de son bien-être devient désormais un levier majeur dans l’élevage, le transport, les produits
élaborés, les activités sportives et de loisirs ou la commercialisation.

Par ailleurs, de nombreux marchés sont induits ou soutenus par la présence des animaux. Que ce soit l’élevage
laitier, l’alimentation préparée pour les animaux de compagnie ou le maintien des espèces chassables ; l’animal en
est au cœur.

L’évolution de son statut signifierait une reconnaissance de la nécessité de pratiques respectueuses de son caractère
sensible. Elle serait alors un marqueur important pour des démarches économiques éthiques. La problématique
soulevée, il est important d’en délimiter l’impact. Loin de l’idée de faire des animaux des sujets de droits, le
législateur engagé dans ce projet d’évolution, d’actualisation du droit n’entend pas du tout faire obstacle aux
activités économiques ou de loisirs, comme la production animale, la commercialisation, la chasse ou les pratiques
sportives. L’enjeu est de doter nos activités d’une éthique adéquate à la réalité scientifique de ce qu’est l’animal et
à sa place actuelle aux vues de l’évolution du rapport homme-animal au fil du temps. De même que l’abattage s’est
vu progressivement réglementé aux fins non pas d’interdire la mise à mort des animaux mais de garantir le respect
du vivant dans les méthodes et les conditions d’abattage, de même il convient de généraliser cette éthique à
l’occasion de chaque activité économique s’exerçant sur ou avec l’animal. Ainsi l’extension du caractère sensible à
tout animal qui constitue l’objet principal et généra de cette proposition de loi n’est pas antinomique avec la chasse
par exemple, ou la pratique d’activités sportives utilisant l’animal, ou le travail des animaux, pour ne citer que
celles-ci, mais chaque activité socio-économique devra l’intégrer dans son affirmation, dans ses évolutions tant du
point de vue des pratiques et usages que des technologiques mises en œuvre pour leur exercice. Il est aujourd’hui
devenu insupportable que des impératifs de rentabilité, de compétitivité puissent s’opposer à la prise en compte du
caractère sensible de l’animal, à l’image des impératifs écologiques et prescriptions environnementales qui jadis
perçus tels quels, sont aujourd’hui intégrés aux process, aux coûts de productions.

État de l’opinion

La société française, dans une très large majorité, ne comprend pas l’absence de différence entre un objet inanimé
et un animal dans le code civil actuel. Les sondages les plus récents expriment une attente forte de voir le droit
prend en compte la modification de notre rapport à l’animal mais aussi l’état des connaissances scientifiques. Ce
progrès sociétal prend aussi appui sur la réflexion philosophique et la prise de parole publique de nombreux
intellectuels.

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L’introduction dans le droit pilier que certains qualifient de « Constitution des citoyens » d’un statut spécifique de
l’animal, mettrait fin à des dispositions incohérentes et rendrait lisible la qualité propre des autres êtres vivants.

La mise en cohérence du code civil avec les autres droits est l’objectif de cette proposition de loi. Elle inscrirait, par
un geste fort, la différence entre un objet et un être vivant non humain dans le droit français.

Notre pays qui a élaboré la Charte de la Nature en 1976 où la sensibilité de l’animal est reconnue, compléterait
ainsi son dispositif en adoptant un statut particulier à l’animal qui le classe de façon particulière à côté de l’homme
et des choses.

Toutefois, il n’est pas dans l’esprit de ce texte de faire de l’animal un sujet de droit.

L’engagement d’un débat public est un enjeu de société majeur qui s’inscrit dans la réflexion sur notre relation au
monde vivant et notre considération à l’égard de l’universalité du vivant.

PROPOSITION DE LOI (extraits)

Article 1er

Le livre II du code civil est ainsi modifié :

1° Au début de son intitulé sont insérés les mots : « Des animaux, » ;

2° Avant le titre Ier est inséré un titre préliminaire ainsi rédigé :

« TITRE PRÉLIMINAIRE

« DES ANIMAUX

« Art. 515-14. – Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Ils doivent bénéficier de conditions
conformes aux impératifs biologiques de leur espèce et assurant leur bien-être/bien-traitance.

« Art. 515-15. – L’appropriation, la mise à disposition, la transmission ou le louage des animaux s’effectuent
conformément aux dispositions législatives applicables aux textes spécifiques du code rural et de la pêche
maritime, et dans le respect des impératifs biologiques de leur espèce.

« Art. 515-16. – Sont non détachables d’une exploitation agricole :

« – les animaux attachés à la culture, que le propriétaire du fonds y a placés pour le service et l’exploitation du
fonds ;

« – les animaux que le propriétaire livre au fermier ou au métayer pour la culture, estimés ou non, tant qu’ils y
demeurent par l’effet de la convention ;

« – les pigeons des colombiers, les lapins des garennes, les abeilles des ruches à miel, les poissons des eaux non
visées à l’article L. 431-3 du code de l’environnement, et des plans d’eau mentionnés à l’article L. 431-4 du même
code. »

11
Article 2

Le titre Ier du livre II du code civil est ainsi modifié :

1° L’article 522 est abrogé ;

2° L’article 524 est ainsi modifié :

a) Les alinéas 1, 3, 5, 6 et 7 sont supprimés ;

b) À l’alinéa 2, le mot : « ainsi » est supprimé et les mots : « ont été » sont remplacés par le mot : « sont » ;

3° Après le mot : « nature », la fin de l’article 528 est ainsi rédigée : « , les corps qui peuvent être transportés d’un
lieu à un autre. » ;

4° À l’article 533, les mots : « chevaux, équipages, » sont supprimés.

Article 3

L’article 544 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La propriété des animaux est limitée par les dispositions légales qui leur sont propres, et notamment par celles des
articles L. 214-1 à L. 214-23 du code rural et de la pêche maritime. »

Article 4

L’article 713 du code civil est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les animaux domestiques, ou d’espèces sauvages apprivoisés ou tenus en captivité, trouvés errants, sont exclus
du champ d’application de cet article et relèvent des dispositions spécifiques du code rural.

« La faune sauvage relève du code de l’environnement. »

Article 5

Le titre II du livre V est ainsi modifié :

1° L’article 2500 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les articles 515-14 à 515-16 du code rural sont applicables sur le département de Mayotte. » ;

2° L’article 2501 est ainsi rédigé :

« Art. 2501. – Pour l’application de l’article 515-1, sont non détachables du fonds, quand ils ont été placés par le
propriétaire pour le service et l’exploitation de fonds, les poissons des plans d’eau n’ayant aucune communication
avec les cours d’eau, canaux et ruisseaux, et les poissons des piscicultures et enclos piscicoles. » (…)

Article 10

La présente loi fera l’objet, après évaluation de son application par les commissions compétentes des assemblées,
d’un nouvel examen par le Parlement dans un délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur.

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Document n° 2 : Article L. 214-1, Code rural et de la pêche maritime

« Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les
impératifs biologiques de son espèce. ».

Document n° 3 : Article 515-14 du Code civil

« Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont
soumis au régime des biens. ».

Document n° 4 : « Une révolution théorique : l'extraction masquée des animaux de la catégorie des biens »,
Etude par Jean-Pierre Marguénaud

Résolument placée sous le signe de l'ambiguïté par calcul stratégique et politique, cette réforme du Code civil réa-
lise néanmoins, sur le plan juridique, une véritable révolution théorique, l'extraction des animaux de la catégorie
des biens, qui a de bonnes chances de ne pas rester sans lendemains. Le déverrouillage des débats sur les questions
animalières ou même une certaine forme de personnification juridique des animaux pourraient, à échéance brève,
moyenne ou lointaine, en découler.

1. - Depuis la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des
procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, le Code civil est riche d'un nouvel article 515-
14 ainsi rédigé : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent,
les animaux sont soumis au régime des biens ». Complétée par une réécriture des articles, qui, dans un Titre relatif
à la distinction des biens, attachaient encore solidement les bêtes aux sous-catégories des meubles et des
immeubles, cette innovation marque enfin la rupture du Code civil avec la conception cartésienne de l'animal-
machine. En effet, se distinguant encore du Code pénal qui, depuis une loi n° 63-1143 du 19 novembre 1963, punit
d'emprisonnement les actes de cruauté envers les animaux domestiques et assimilés et du Code rural et de la pêche
maritime, lequel, reprenant une disposition de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976, énonce en son article L. 214-1
que « tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les
impératifs biologiques de son espèce », le code élevé, de Demolombe à Carbonnier, au rang de « Constitution civile
des français », ignorait résolument la sensibilité des animaux et s'en tenait, depuis une loi n° 99-5 du 6 janvier 1999
à les différencier des objets ou des corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre pour mieux souligner,
néanmoins, leur commune qualification d'immeubles par destination ou de meubles par nature. Cette discordance
plaçait l'ensemble du droit animalier français sous le signe de l'incohérence et reflétait un profond archaïsme
perpétuant, en définitive, l'assertion tragi-comique des philosophes cartésiens suivant laquelle les cris de l'animal ne
marquent pas plus de souffrance et de sentiment que ne le fait le bruit d'un tambour ou d'une charrette mal graissée.
Une loi visant à la modernisation du droit était donc tout à fait indiquée pour mettre fin à cet anachronisme.

Elle l'a fait au terme d'un long travail de mûrissement achevé par un acrobatique examen parlementaire.

2. - À l'origine du volet animalier de la loi du 16 février 2015, il faut impérativement placer le Rapport sur le
régime juridique de l'animal remis au garde des Sceaux Dominique Perben le 10 mai 2005 et rédigé par Suzanne
Antoine, présidente de chambre honoraire à la cour d'appel de Paris et trésorière de la Ligue française des droits de
l'animal qui préconisait « l'insertion dans le Code civil du nouveau concept de l'animal-être sensible »,
recommandait de retenir en priorité une proposition tendant « à une extraction complète de l'animal du droit des
biens, conformément à sa véritable nature d'être sensible qui doit prévaloir sur son aspect de valeur marchande » et
se prononçait pour l'introduction dans le Code civil d'un nouvel article dont la première phrase est devenue la
première de l'article 515-14 : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ». Aux sources de la réforme
de ce que l'on appelle parfois le statut civil de l'animal, on trouve aussi les propositions de l'Association Henri
Capitant pour une réforme du droit des biens rédigées en 2008/2009 sous la direction du professeur Hugues
Périnet-Marquet qui en appelait à l'élaboration d'un ar-ticle inédit affirmant que « sous réserve des lois qui les
protègent, les animaux sont soumis au régime des choses corporelles » devenu, aux deux derniers mots près, la
13
seconde phrase du nouvel article 515-14.

3. - Ces importants travaux précurseurs et quelques autres de moindre portée n'auraient pas réussi à se traduire
dans les articles d'un Code civil modernisé si un fort mouvement n'avait pas persuadé le législateur de la nécessité
de les prendre en compte. Cette impulsion déterminante a été déclenchée par le Manifeste du 24 octobre 2013 «
Pour une évolution du régime juridique de l'animal reconnaissant sa nature d'être sensible » signé, à l'initiative de la
Fondation 30 Millions d'amis, par 24 intellectuels bientôt rejoints par 775 000 pétitionnaires. Face à un tel
déferlement, traduisant d'autant plus sûrement une profonde évolution sociétale que la question était plus abstraite,
les pouvoirs publics, et plus particulièrement la garde des Sceaux Christiane Taubira, se sont laissés convaincre de
la pertinence d'une réponse législative. Elle aurait pu être apportée à partir d'une proposition ou d'un projet de loi
autonome s'appuyant sur les riches travaux parlementaires qu'une députée de la majorité, Mme Geneviève Gaillard,
avait consacrés depuis des années à l'amélioration de la protection des animaux. Sans doute, cette méthode, qui
aurait eu le mérite de permettre d'aborder et d'approfondir des questions plus nombreuses et plus concrètes que
celle du régime juridique des animaux, a-t-elle été jugée trop aléatoire compte tenu de sa remarquable aptitude à
coaliser contre elle les forces de réfractaires à forte puissance de frappe électorale. Toujours est-il qu'une méthode
plus feutrée lui a été préférée : celle consistant à modifier le seul régime juridique de l'animal dans le Code civil par
le biais d'un amendement à une loi relative à la modernisation et à la simplification du droit dont la discussion était
déjà engagée.

4. - Or, à cette fin, deux amendements portés par les mêmes parlementaires de la majorité socialiste avaient été
déposés le 11 avril 2014 : l'amendement n° 24 dont la première signataire était Mme Cécile Untermaier députée de
Saône-et-Loire et l'amendement n° 59 auquel M. Jean Glavany ancien ministre de l'Agriculture, avait donné son
nom. Il s'agissait d'amendements dont les contenus était, sur le plan civil, rigoureusement les mêmes et les exposés
sommaires interchangeables à une partie de phrase près. La différence venait de ce que, l'amendement Untermaier,
s'inscrivant plus résolument dans le sillage du rapport Antoine, proposait de changer l'intitulé du Livre deuxième du
Code civil qui serait devenu « Des animaux, des biens et des différentes modifications de la propriété » et de faire
figurer le futur article 515-14 dans un Titre préliminaire précédent le Titre I consacré à la distinction des biens.
Ainsi, tout le monde aurait eu la certitude que les animaux n'étaient plus des biens et que, conformément à la demi
phrase spécifique à l'exposé sommaire de l'amendement n° 24, la réforme aurait créé dans le Code civil une
catégorie sui generis, intermédiaire entre les personnes et les biens. L'amendement Glavany retenait une
présentation plus équivoque consistant à inscrire la même réforme dans un Livre deuxième dont l'intitulé
continuerait toujours à nier l'opposition entre les animaux et les biens et à placer l'article 515-14 inédit avant le
Titre I relatif à la distinction des biens mais sans lui faire l'honneur d'un Titre préliminaire. Cette ambiguïté
savamment entretenue sur le point de savoir si les animaux seraient toujours des biens ou s'ils entreraient de plain-
pied dans une nouvelle catégorie se situant entre les biens et les personnes a semblé de nature à provoquer moins de
remous dans le monde rural. C'est donc l'amendement Glavany qui a été soutenu par le Gouvernement, et qui a été
adopté par l'Assemblée nationale le 15 avril 2014 en première lecture, le 30 octobre 2014 en deuxième lecture après
l'échec d'une commission mixte paritaire et en dernière lecture le 28 janvier 2015 par un vote surmontant l'hostilité
exprimée quelques jours plus tôt par le Sénat. C'est donc l'amendement Glavany qui modifie désormais le Code
civil depuis la promulgation de la loi du 16 février 2015 dont la conformité à la Constitution avait été
préalablement reconnue par le Conseil constitutionnel suivant une décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015.
Qu'on le regrette ou que l'on s'en réjouisse, il faut constater que la stratégie déployée pour l'obtenir a été payante.
L'ambiguïté calculée qui a présidé à cette évolution du régime juridique de l'animal reconnaissant sa nature d'être
sensible plonge néanmoins le lecteur dans la perplexité. Pour en sortir, il faut redire que, dans le même souci de
cohérence et d'harmonisation de nos différents codes, l'amendement Untermaier et l'amendement Glavany qui lui a
été préféré, poursuivaient le même objectif de consécration de l'animal en tant que tel dans le Code civil afin de
mieux concilier sa qualification juridique et sa valeur affective au moyen des mêmes articles, ajoutés ou modifiés,
occupant dans le Code civil les mêmes places. Si l'amendement Untermaier avait été retenu, chacun aurait dû
convenir qu'il avait réalisé une révolution théorique consistant en l'extraction des animaux de la catégorie des biens.
Puisque l'amendement Glavany procède aux mêmes innovations et aux mêmes modifications sous la seule réserve
du maintien de l'intitulé « des biens et des différentes modifications de la propriété » du Livre deuxième du Code
civil, il est difficile de ne pas admettre qu'il a opéré la même révolution théorique. Il sera donc proposé de
démontrer que, sous le masque de l'intitulé préservé du Livre deuxième du Code civil, il y a la réalité d'une
révolution théorique (1) qui ouvre des perspectives intéressantes (2).

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1. Réalité de l'extraction des animaux de la catégorie des biens

5. - Si, depuis le 16 février 2015, les animaux ne sont plus, en réalité, des biens au regard du Code civil, c'est en
raison de l'adjonction d'un nouvel article reconnaissant la nature d'êtres sensibles des animaux et de la rectification
des articles qui les qualifiaient de meubles ou d'immeubles.

A. - L'adjonction de l'article 515-14

6. - L'article 515-14 tire sa force extractrice aussi bien de sa place que de son contenu. Le nouvel article reconnais-
sant les animaux en tant qu'êtres sensibles aurait très bien pu être inscrit dans le Titre I relatif à la distinction des
biens où il serait devenu l'article 516-1 ou 516, alinéa 1 faisant écho à l'article 516 affirmant que tous les biens sont
meubles ou immeubles. Les animaux auraient alors eu vocation à devenir une nouvelle sous-catégorie de biens que
l'on aurait pu dénommer les biens sensibles. Tel était le sens du sous-amendement proposé le 12 septembre 2014
par le député Philippe Gosselin, soucieux de ne pas remettre en cause la distinction traditionnelle du Code civil
concernant les biens, qui proposait de reconnaître aux animaux leur qualité d'êtres sensibles dans un complément à
l'article 516 qui les aurait clairement et explicitement rattachés à la catégorie des biens corporels meubles ou
immeubles. Or, le législateur, ayant peut-être encore en tête l'avertissement du rapport Antoine selon lequel faire de
l'animal un « meuble-sensible serait une absurdité », a repoussé ce sous-amendement. Aussi l'article phare de la
réforme est-il situé avant le Titre I relatif à la distinction des biens. Même s'il ne constitue pas, à lui seul, un titre
préliminaire, sa position qui est, en quelque sorte, hors-sol, suffit à faire échapper les animaux à la distinction des
biens et renforce considérablement les craintes du député Gosselin. C'est ici que la malicieuse observation du
professeur Philippe Malinvaud suivant laquelle l'article 515-14 fait directement suite aux articles relatifs aux
mesures de protection des victimes de la violence, prend tout son relief : le nouvel article est tout autant le dernier
article du Livre premier traitant des personnes que le premier du Livre deuxième consacré aux biens et aux
différentes modifications de la propriété... En tout cas, la question de la place qu'occupe désormais l'article 515-14
était la question cruciale puisque l'absence de justification à inscrire cet article particulier relatif aux animaux en
chapeau d'un livre général consacré à l'ensemble des biens, dénoncé au nom de la Commission des lois par le
sénateur Thani Mohamed Soilihi, socialiste comme le député Jean Glavany, a largement contribué à expliquer le
vote du Sénat, hostile à l'évolution du régime juridique de l'animal. Que cette place, originale et perturbatrice, de
l'article 514-14 ait été maintenue envers et contre tout permet de mesurer l'ampleur de la victoire politique
remportée par les organisations de protection des animaux qui se sont battues pour l'adoption définitive de
l'amendement Glavany.

7. - Quant à son contenu, l'article 515-14 se compose de deux phrases reprises, l'une du rapport Antoine, l'autre
des propositions Périnet-Marquet, avec un respect si scrupuleux de leur origine que le législateur n'a même pas cru
devoir éviter la répétition de la locution « les animaux » que chacune employait séparément. L'organisation de
protection des animaux dont Mme Suzanne Antoine était trésorière au moment de la rédaction de son rapport, et
l'Association Henri Capitant, au nom de laquelle le professeur Périnet-Marquet s'est prononcé, ont donc lieu, l'une
et l'autre, de se féliciter d'avoir apporté une contribution directe à la rédaction d'un des articles les plus novateurs du
Code civil français. L'une et l'autre auront pris une part déterminante au travail d'extraction des animaux de la
catégorie des biens.

8. - Dans son volet Suzanne Antoine, l'article 515-14 présente la remarquable originalité de définir positivement
les animaux : ce sont des êtres vivants doués de sensibilité. Grâce à cette phrase, le Code civil français va plus loin
dans la démarche de rupture avec la logique réificatrice que ne l'avait fait le droit civil des États les plus avancés en
matière de protection des animaux se satisfaisant, comme l'article 641 a du Code civil suisse, l'article 90 du B.G.B.,
d'affirmer que les animaux ne sont pas des choses. Par une définition des animaux en deux temps, le nouvel article
du Code civil français se distingue, en outre, du Code rural et de la pêche maritime qui, lui, ne les regarde que
comme des êtres sensibles. À lire le rapport Antoine, dire que l'animal « est un être vivant et sensible » semble se
15
justifier par le souci de mieux marquer que, sur le plan de la hiérarchie des valeurs morales « qui paraît devoir
s'imposer », c'est « incontestablement [sa] valeur intrinsèque qui doit l'emporter sur [sa] valeur purement
patrimoniale ». La référence, dans un des seuls passages du rapport Antoine à avoir été souligné, à la notion de
valeur intrinsèque, peut donc aider fortement à orienter l'interprétation de la première phrase de l'article 515-14.

9. - Sous son volet Périnet-Marquet, ce nouvel article affirme que : « sous réserve des lois qui les protègent, les
animaux sont soumis au régime des biens ». En bon français, cette phrase signifie d'abord et incontestablement que
les animaux ne sont pas des biens. Les règles qui constituent le régime des biens leur sont, certes, applicables mais
ils ne sont plus eux-mêmes des biens. C'est d'ailleurs ce qu'avait fort bien anticipé le député Philippe Gosselin qui,
pour justifier son sous-amendement tendant à neutraliser l'article 515-14, faisait observer qu'il laisse entendre que «
les animaux ne sont plus par nature des biens ». Il convient d'observer ici qu'il n'y a aucune contradiction entre
l'extraction des animaux de la catégorie des biens reconnue par cet opposant déterminé à l'amendement Glavany, et
leur soumission au régime des biens. En effet, même le défenseur le plus forcené de la cause animale ne peut pas
s'imaginer un seul instant que l'on pourrait, du jour au lendemain, suspendre l'application à tous les animaux de
toutes les règles du régime des biens. Aussi, le régime de protection des animaux le plus ambitieux ne pourrait-il
faire autrement que d'en passer par une phase où ils seront encore soumis au régime des biens. Cela ne revient pas à
dire qu'ils seront toujours et à jamais soumis à ce régime. Le volet Périnet-Marquet de l'article 515-14 précise, en
effet, on ne peut plus clairement à cet égard que les animaux ne sont même plus soumis au régime des biens
lorsqu'il existe des lois qui les protègent. On peut dès lors imaginer que le développement des lois protégeant les
animaux qui ne sont déjà plus des biens réduisent à peau de chagrin les conséquences de leur soumission au régime
des biens. Comme l'avait anticipé un autre opposant tenace à l'amendement Glavany, le sénateur Thani Mohamed
Soilhili, on peut donc affirmer désormais que c'est seulement par défaut que le régime des biens va s'appliquer aux
animaux. L'analyse de l'article 515-14 serait déjà suffisante pour attester de la réalité de l'extraction des animaux de
la catégorie des biens. Cette révolution théorique se prolonge également sur un autre plan.

B. - La rectification des articles qualifiant les animaux de meubles ou d'immeubles

10. - La campagne médiatique finalement victorieuse engagée par la Fondation 30 Millions d'amis se fondait sur
le reproche spectaculairement adressé au Code civil de ne pas faire de différence entre un chien et une chaise. Cet
argument a pu être contesté ici où là parce qu'il aurait sous-estimé l'importance de la réforme introduite par la loi du
6 janvier 1999 distinguant au sein de l'article 524 les animaux et les objets et au coeur de l'article 528 les animaux
et les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre. Il s'agissait là d'un faux procès car les animaux n'avaient
pas cessé, en 1999, d'être, comme les tables ou les chaises, des meubles ou des immeubles par destination, c'est-à-
dire des biens. D'ailleurs, le rapport Antoine avait lucidement constaté que « la très timide réforme de la loi du 6
janvier 1999 n'a rien résolu parce qu'elle est restée au stade de modification d'une simple phrase, qui n'en est pas
devenue plus claire pour autant ». Désormais tout est éclairci, en revanche, car la loi du 16 février 2015 a changé,
ajouté ou supprimé des mots non plus pour modifier les phrases, mais pour faire sortir les animaux des sous-
catégories des meubles et des immeubles dans l'objectif presque obsessionnel de conjurer la moindre suspicion
d'assimilation d'un chien à une chaise. Les articles 524 et 528 sont ceux qui ont fait l'objet des rectifications les plus
profondes mais d'autres articles plus discrets ont également été touchés.

11. - Le changement qui se remarque le mieux est celui qui concerne l'article 524. En son alinéa premier, il
affirmait que les animaux et les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce
fonds sont immeubles par destination. Son second alinéa donnait alors une liste des biens qui « sont immeubles par
destination, quand ils ont été placés par le propriétaire pour le service et l'exploitation du fonds » ; liste sur laquelle
tous les étudiants en droit avait plaisir à retrouver les animaux attachés à la culture, les poissons de certaines eaux
et surtout les pigeons des colombiers et les lapins des garennes. Désormais, le premier alinéa s'est dédoublé pour
dire d'abord que « les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds
sont immeubles par destination » et pour préciser ensuite que « les animaux que le propriétaire d'un fonds y a
placés aux mêmes fins sont soumis au régime des immeubles par destination ». Cette opposition entre les objets qui

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sont des immeubles par destination et les animaux qui sont soumis au régime des immeubles par destination est
particulièrement éclairante : elle place pratiquement sous les yeux du lecteur l'extraction des animaux de la sous-
catégorie des immeubles par destination au régime desquels ils sont seulement soumis. Quant aux poissons, aux
lapins, aux pigeons et aux animaux attachés à la culture, ils ont été chassés de l'article 524 car si on les avait
maintenus dans l'énumération champêtre on aurait commis la bévue de continuer à dire qu'ils sont immeubles par
destination... Ainsi, comme tous les autres animaux, y compris à Mayotte grâce à une modification de l'article
2501, ils n'auront plus que vocation à être soumis au régime des immeubles par destination. Conformément, là
encore, aux proposions Périnet-Marquet, l'article 524 a donc été délesté de sa « ménagerie », pour reprendre
l'expression du professeur André Castaldo dont la très riche étude intitulée « Regard sur la ménagerie de l'article
524 du Code civil » aide d'ailleurs à mieux saisir l'esprit de la réforme de 2015. En conclusion de son
impressionnant travail d'historien du droit il remarque qu'« on verse simplement dans la catégorie des immeubles
des biens qui, par leur nature, n'en sont pas, mais auxquels on veut appliquer un régime dont on se contente ».
Désormais, la formule a encore gagné en pertinence à condition de la lire de la manière suivante : on verse sim-
plement dans le régime des biens des êtres vivants doués de sensibilité, qui, par leur nature, n'en sont pas, mais
auxquels on veut appliquer un régime dont on se contente. L'extraction des animaux de la catégorie des biens
conduit donc à empiler les fictions juridiques les unes sur les autres pour pouvoir encore les soumettre au régime
des immeubles par destination.

12. - S'agissant de l'article 528 relatif aux meubles par nature, la volonté d'en extraire les animaux est encore plus
spectaculaire quoique moins visible puisque, désormais il n'y a plus la moindre trace de leur présence. Depuis la loi
du 16 février 2015 cet article fait, en effet, l'objet de la formulation lapidaire suivante : « sont meubles par leur
nature les biens qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre ». On remarque d'abord, c'est l'essentiel, que les
animaux n'y figurent plus. On constate aussi que les corps qui peuvent se transporter, auxquels on les opposait
depuis la loi du 6 janvier 1999, ont été remplacés par les biens. Il est donc clairement établi que l'article 528 vise les
biens qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre dont les animaux ne font pas partie. Pour être mieux assuré
qu'ils ne continueraient pas quand même à se faufiler dans la sous-catégorie des meubles par nature, on a d'ailleurs
pris la sage précaution de ne plus préciser que les biens peuvent se transporter d'un lieu à un autre « soit qu'ils se
meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère ». En
mentionnant encore ceux qui se meuvent par eux-mêmes, il y avait, en effet, malgré les progrès de la robotique, un
grand risque de viser, en réalité, les animaux puisque, avant la réforme de 1999, l'article 528, dans sa rédaction de
1804, précisait : « soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, comme les animaux (...) »...

13. Ce souci de colmater toutes les brèches par lesquelles les bêtes pourraient encore entrer dans les sous-catégories
des immeubles ou des meubles a entraîné la rectification d'autres articles plus confidentiels. Tel a été le cas de
l'article 522 visant les animaux que le propriétaire d'un fonds livre à un fermier ou à un métayer ou qu'il donne à
cheptel à quelqu'un d'autre. Ce texte, se référant à des modes d'exploitation qui, comme le métayage, semblent
particulièrement surannées, aurait peut-être mérité d'être entièrement revu au titre d'une loi de modernisation du
droit. Cependant, il a seulement été modifié pour préciser que dans le cas de livraison au fermier ou au métayer, les
animaux, censés immeubles depuis 1804, ne sont plus que soumis au régime des immeubles tant qu'ils demeurent
attachés au fonds et pour affirmer que, dans le cas où ils sont donnés à cheptel à quelqu'un d'autre qu'à un fermier
ou à un métayer, il ne faut plus dire qu'ils sont meubles, mais, conformément à la nouvelle logique extractrice,
qu'ils sont soumis au régime des meubles. Dans le même ordre d'idées, a été réalisée une curieuse rectification de
l'article 564 où, au titre du droit d'accession relativement aux choses immobilières, on retrouvait toujours les
pigeons, les lapins et les poissons de l'ancienne ménagerie de l'article 524 pour préciser que lorsqu'ils passent dans
un autre colombier, une autre garenne ou un autre plan d'eau, ils appartiennent au propriétaire de ces objets pourvu
qu'ils n'y aient pas été attirés par fraude et artifice. En bonne logique juridique, « ces objets » ne pouvaient être que
les colombiers, les garennes et les plans d'eau grâce auxquels se réalise le droit d'accession immobilière. Or, la
hantise que l'on puisse encore croire que le terme objet se rapporte aux animaux figurant au début du texte a poussé
le législateur à dissiper tous risques d'équivoque en remplaçant « ces objets » par « ces derniers »... Le législateur
s'est également prémuni des dangers d'un maintien des animaux dans la sous-catégorie des meubles par le détour
d'une interprétation a contrario. Ici, c'est l'article 533 qui était concerné. Il dresse lui aussi une liste hétéroclite de
biens qui ne doivent pas être considérés comme « meuble » lorsque le mot est employé seul dans les dispositions de
la loi ou de l'homme sans autre addition ni désignation. On y trouvait les chevaux au milieu des pierreries, du linge
de corps, des livres ou des médailles. Si ces nobles animaux avaient été maintenus sur la liste, on aurait pu être
tenté de croire que tous les autres, malgré la modification de l'article 528 et l'objectif de la loi du 16 février 2015,
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étaient encore des meubles au sens de la loi ou d'un acte juridique lorsqu'ils emploient le mot « meuble » sans autre
précision. Les chevaux n'ayant, désormais, pas plus besoin que les autres animaux d'une exemption spéciale pour
ne pas être considérés comme meubles, ils ont donc été retirés de la liste de l'article 533. On pourrait néanmoins se
demander si, pour les mêmes raisons, il n'aurait pas été convenable d'en retirer aussi les équipages puisque, selon
l'article 1er de l'arrêté du 18 mars 1982 relatif à l'exercice de la vénerie, un équipage comprend... une meute de
chiens servis par des veneurs se déplaçant à pied ou à cheval. Il serait quand même un peu trop paradoxal que
l'équilibre d'une loi qui s'est implacablement attachée à empêcher toute assimilation des chiens à des chaises soit
remis en cause par l'oubli de la présence des chiens de chasse au sein des équipages...

14. - Sous cette réserve anecdotique, tout a donc été fait, jusque dans les détails les plus subtils, pour que l'on ne
puisse plus dire, à partir du 16 février 2015, que les animaux sont des meubles ou des immeubles par destination.
Comme, d'après l'article 516, tous les biens sont meubles ou immeubles, les animaux, n'appartenant plus ni à l'une
ni à l'autre de ces deux sous-catégories ne sont plus des biens comme en attestaient déjà la place et le contenu du
nouvel article 515-14. L'extraction des animaux de la catégorie des biens est donc une incontestable réalité en sorte
que désormais, ils se situent quelque part entre les biens et les personnes. Cependant, contrairement à ce qu'avait
demandé le Manifeste des 24 et à ce que préconisait l'amendement Untermaier, la loi nouvelle s'est bien gardée de
préciser où, c'est-à-dire dans quelle catégorie, ils se situent entre les biens et les personnes entendues, cela irait sans
dire, comme des personnes humaines. Ce silence volontaire ne devrait pas empêcher, cependant, la révolution
théorique qui vient de se dérouler de dégager des perspectives de changement plus concrets en faveur des êtres
vivant doués de sensibilité que sont les animaux.

2. Perspectives dégagées par l'extraction des animaux de la catégorie des biens

15. - Nul ne pouvait croire ou craindre qu'une évolution du régime juridique de l'animal reconnaissant sa nature
d'être sensible pourrait, du jour au lendemain, changer quoi que ce soit au sort de quelque animal que ce soit. Tels
n'étaient ni l'enjeu ni l'objectif. Il ne s'agissait pas non plus de mobiliser le temps et l'attention du législateur pour
réaliser un simple replâtrage cosmétique de dispositions ne reflétant plus les aspirations de la société civile. L'enjeu
et l'objectif étaient de provoquer le changement théorique nécessaire pour que des questions regardant la société
tout entière ne soient plus résolues, essentiellement à partir du Code rural et de la pêche maritime et du Code de
l'environnement, dans l'intérêt prioritaire de professionnels qui vivent de l'exploitation des animaux sous la
contrainte de plus en plus rude des exigences de la compétitivité mondialisée ou d'adeptes de traditions qui les
poussent à se divertir aux dépens des bêtes. Puisque révolution théorique il y a eu, elle devrait, à tout le moins,
déboucher sur un déverrouillage du débat juridique et rendre de plus en plus vraisemblable l'hypothèse d'une
certaine forme de personnification juridique des animaux.

A. - Perspectives de déverrouillage du débat juridique

16. - Selon la célèbre formule de J.S. Mill placée en exergue de l'ouvrage de Tom Regan « Les droits des animaux
» traduit de l'américain par E. Utria « Tout grand mouvement doit faire l'expérience de trois étapes : le ridicule, la
discussion, l'adoption ». En France, la cause animale a longtemps expérimenté l'étape du ridicule. Les quelques
juristes qui s'y sont intéressés peuvent en témoigner savamment surtout lorsqu'ils ont côtoyé des civilistes qui, dans
leur immense majorité, n'ont jamais oublié que le plus illustre d'entre eux, le doyen Carbonnier, avait écrit que le
célèbre arrêt Lunus, par lequel la Cour de cassation avait admis, le 16 janvier 1962, la réparation du préjudice
d'ordre subjectif et affectif consécutif à la mort d'un cheval, avait été rendu « dans un instant d'aberration ». Il n'y
avait d'ailleurs pas à s'en étonner tant que la sensibilité des animaux n'était que reconnue directement par le Code
rural et indirectement par le Code pénal. À partir du moment où le Code civil proclame que les animaux sont des
êtres vivants doués de sensibilité et où il ne les range plus dans la catégorie des biens, il va devenir difficile de
continuer à ensevelir les questions juridiques animalières sous les railleries, le mépris, les sourires amusés et la
franche rigolade. Il va bien falloir que chacun, dans le plus strict respect de la position de l'autre, entre dans la
phase de discussion pour étudier matière par matière, question par question, ce que, en toute cohérence, doit faire
changer la révolution théorique opérée par la loi du 16 février 2015.

17. - Un bon moyen de vérifier si ces discussions auront été fructueuses ou stériles, et si, en définitive, les
18
promoteurs de l'amendement Glavany auront réussi ou échoué, serait de se reporter aux éditions 2018 du Code civil
pour voir s'il a eu lieu, ou non, d'ajouter sous l'article 515-14 des références jurisprudentielles. C'est en effet du juge
que dépendra la vitalité de la loi faisant évoluer le régime juridique des animaux puisque c'est à lui qu'il revient de
l'interpréter, cela irait aussi sans dire. S'agissant d'une loi modifiant le Code civil, son interprète plus ou moins
enclin à faire sortir les questions animalières de l'étape du ridicule, sera le juge civil. Il sera particulièrement
intéressant d'observer comment il prendra en compte la reconnaissance de la sensibilité des animaux et leur
extraction de la catégorie des biens en matière de responsabilité civile ou d'attribution de l'animal à la suite d'une
séparation de ses maîtres. Le juge pourrait également être le juge pénal que le nouveau régime civil de l'animal
pourrait inciter à appliquer plus sévèrement les peines prévues en cas d'atteinte à la sensibilité des animaux.

Le législateur pourrait être aussi invité à mettre un certain nombre de règles en cohérence avec l'affirmation par « le
code par excellence » que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. À cet égard, il convient de faire
observer que, à la différence de l'article L. 214-1 du Code rural et forestier, l'article 515-14 du Code civil ne fait
aucune allusion au propriétaire si bien que la diffusion de son esprit vers les animaux sauvages n'est pas totalement
à exclure.

Il ne s'agit là, bien entendu, que d'un inventaire sommaire de quelques perspectives qui pourront, chacune et
quelques autres, donner lieu dans un proche avenir à des développements substantiels notamment dans une revue
de droit animalier à publication semestrielle.

B. - Perspectives de personnification des animaux

18. - Il avait déjà été avancé il y a longtemps et confirmé plus récemment que, dans la mesure où depuis le décret
dit Michelet du 7 septembre 1959 et la loi du 19 novembre 1963 ils sont protégés dans leur propre intérêt contre les
mauvais traitements et les actes de cruauté même infligés par leur « propriétaire », les animaux n'étaient déjà plus
des biens. Depuis la loi du 16 février 2015, il s'agit d'une réalité que seuls de très forts esprits pourront dénier.
Comme la loi qui les a fait sortir de cette catégorie n'a pas voulu dire ce qu'ils étaient devenus, ils se trouvent, plus
que jamais en état de lévitation juridique. Or, la moindre des exigences de cohérence juridique commande de faire
cesser cette situation pittoresque. Aussi, certains doivent-ils déjà travailler d'arrache-pied à faire entrer les animaux
dans la catégorie intermédiaire des centres d'intérêts que Gérard Farjat avait proposée dans un retentissant article
publié à la Revue trimestrielle de droit civil en 2002. Il s'agirait là d'une solution séduisante et pertinente dès lors
que les modalités de fonctionnement de la nouvelle entité seraient établies. D'autres pourront tout aussi bien
soutenir que les animaux constituent à eux seuls une catégorie intermédiaire. La summa divisio personnes/choses
imprègne cependant si fortement notre système juridique que le plus simple serait encore de faire entrer les
animaux dans la catégorie des personnes après avoir pris la peine de lire sérieusement, à la lumière de la loi
nouvelle, les brèves réflexions du doyen Jacques Leroy sur l'usage de l'expression « être sensible » appliquée à
l'animal établissant que, étymologiquement, affirmer qu'un être est sensible revient à lui reconnaître la personnalité
juridique. Appliquée aux animaux, cette personnalité juridique serait une personnalité technique sur laquelle
l'auteur de ce commentaire s'est déjà si souvent exprimé qu'il ne voudrait pas donner l'impression d'abuser d'une
situation miraculeusement favorable.

19. - Aussi, pour conclure, suffira-t-il, avec à peine une petite touche de provocation, d'inviter toutes celles et tous
ceux qui sont sincèrement attachés au rayonnement universel du Code civil français à constater que, sur une
question inattendue, il est en passe de devenir, depuis le 16 février 2015, un exemple pour les législateurs du monde
entier...

19
Document n° 5 : CE, 1er décembre 2020, 446808 (extraits)

Vu la procédure suivante :

M. C... E... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, en premier lieu, d'ordonner la
suspension immédiate de l'arrêté n° DTPP-2020-995 du 28 octobre 2020 par lequel le préfet de police de Paris a
décidé, d'une part, le placement en fourrière de son chien, d'autre part, le cas échéant, l'euthanasie de l'animal après
avis d'un vétérinaire et, enfin, sa stérilisation, en deuxième lieu, d'enjoindre au préfet de police de lui permettre de
procéder à la régularisation de la situation du chien, en troisième lieu, de lui restituer l'animal ou de le confier à une
association de protection animale et, en dernier lieu, de désigner M. A... D..., expert judiciaire et vice-président du
conseil régional de l'ordre des vétérinaires d'Ile-de-France, afin de procéder à l'expertise du chien pour déterminer
la catégorie dont il relève. Par une ordonnance n° 2017962 du 5 novembre 2020 le juge des référés du tribunal
administratif de Paris a ordonné la suspension de l'article 3 de l'arrêté du 28 octobre 2020 par lequel le préfet de
police a décidé la possible euthanasie du chien et a rejeté le surplus de la demande de M. E... B....

Par une requête, enregistrée le 23 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... B...
demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 5 novembre 2020 ;


2°) d'ordonner la remise sans délai du chien " Blue " au Dr. Thierry Bedossa, dans sa clinique vétérinaire de
Neuilly-sur-Seine, afin qu'une nouvelle diagnose ethnique soit réalisée ;
3°) de tirer les conséquences des conclusions à venir du Dr. Bedossa ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi que la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'ordonnance contestée est entachée de défaut de réponse à moyen dès lors que le juge des référés de première
instance ne s'est pas prononcé sur les moyens tirés de l'illégalité de l'arrêté du préfet de police du fait, d'une part, de
son incohérence, puisqu'il ordonne successivement l'euthanasie puis la stérilisation du chien, d'autre part, de
l'absence d'indication du danger grave et immédiat qui justifierait le placement de l'animal à la fourrière ;
- elle méconnaît le principe du caractère contradictoire de la procédure dès lors que, d'une part, elle porte atteinte au
droit à une expertise contradictoire, d'autre part, le juge des référés de première instance ne répond pas au moyen
tiré de la méconnaissance du IV de l'article L. 211-14 du code rural et de la pêche maritime dont il ressort qu'une
mise en demeure préalable aux fins de régularisation aurait dû lui être adressée ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 515-14 du code civil, l'article 3 de la convention européenne pour la
protection des animaux domestiques du 13 novembre 1987 et l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne dès lors que le juge des référés de première instance a décidé du maintien en fourrière de son chien sans
motiver en quoi ce placement est compatible avec la qualité d'être sensible de l'animal ;
- elle porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété, d'une part, eu égard à son
incohérence dans la motivation du refus de restitution de son chien, et, d'autre part, eu égard à la confusion opérée
par le juge des référés de première instance entre les notions de propriété et de détention ;
- le juge des référés de première instance a dénaturé ses conclusions ;
- la condition d'urgence est satisfaite ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale au principe du caractère contradictoire de la
procédure ;
- il porte également une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie de son chien et à sa qualité d'être
vivant doué de sensibilité dès lors qu'il méconnaît l'interdiction de le placer dans des conditions de vie angoissantes
et la nécessité de tenir pleinement compte de son bien-être ;
- les dispositions de l'arrêté du 27 avril 1999, qui posent une présomption simple de dangerosité des chiens de
catégories 1 et 2, ne reposent sur aucun fondement scientifique ;
- la diagnose effectuée en fourrière sur son chien ne respecte pas les conditions posées par l'arrêté du 27 avril 1999,
de sorte qu'il n'est pas possible d'affirmer que celui-ci relève de la catégorie 1 ;

20
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention européenne pour la protection des animaux domestiques du 13 novembre 1987 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 27 avril 1999 pris pour l'application de l'article 211-1 du code rural et établissant la liste des types de
chiens susceptibles d'être dangereux, faisant l'objet des mesures prévues aux articles 211-1 à 211-5 du même code ;
- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit : (…)

Sur le cadre juridique du litige

(…)

4. Il résulte de tout ce qui précède que les chiens de race Staffordshire terrier ou American Staffordshire terrier et
ceux qui, par leurs caractéristiques morphologiques, sont assimilables à ces races sans être inscrits à un livre
généalogique reconnu par le ministre chargé de l'agriculture, relèvent respectivement des deuxième et première
catégories établies par l'article L. 211-12 du code rural et de la pêche maritime, et que la propriété ou la détention
de tels chiens nécessitent l'accomplissement d'un certain nombre de démarches administratives ainsi que le suivi
d'une formation spéciale et la détention d'une attestation d'aptitude. En outre, la présence de ces chiens sur la voie
publique est soumise à l'obligation de leur muselage et de leur tenue en laisse par une personne majeure. Enfin, ces
chiens ne peuvent être détenus par une personne condamnée pour crime ou à une peine d'emprisonnement pour
délit ayant fait l'objet d'une inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

Sur la requête de M. E... B... :

5. M. E... B... relève appel de l'ordonnance du 5 novembre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de
Paris en tant que celui-ci, après avoir ordonné la suspension de l'article 3 de l'arrêté en litige qui prévoit, le cas
échéant, l'euthanasie de son chien, a rejeté le surplus de sa demande. Il conclut, d'une part, à l'annulation, dans cette
mesure, de cette ordonnance, d'autre part, à ce qu'il soit ordonné que l'animal soit extrait de la fourrière et remis à
un vétérinaire pour que ce dernier procède à une nouvelle expertise.

6. Il résulte de l'instruction à laquelle a procédé le juge des référés du tribunal administratif de Paris que, le 17
octobre 2020 à 22h55, en période de couvre-feu, M. E... B... a été contrôlé par les forces de l'ordre alors qu'il
promenait son chien sur la voie publique en laisse mais sans muselière et n'a pas été en mesure de fournir
l'attestation d'aptitude prévue par les dispositions citées au point 1. Il résulte également de cette instruction que M.
E... B... fait l'objet de six inscriptions au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Le préfet de police de Paris a, par l'arrêté
en litige, décidé le placement en fourrière du chien de M. E... B....
En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée :

7. En premier lieu, M. B... soutient que l'ordonnance du 5 novembre 2020 est entachée d'irrégularité dès lors que le
juge des référés du tribunal administratif de Paris n'a pas répondu à son moyen tiré de la méconnaissance, par
l'arrêté du préfet de police de Paris, des dispositions du IV de l'article L. 211-14 du code rural et de la pêche
maritime aux termes duquel : " En cas de constatations du défaut de permis de détention, le maire ou, à défaut, le
préfet met en demeure le propriétaire ou le détenteur du chien de procéder à la régularisation dans le délai d'un
mois au plus. En l'absence de régularisation dans le délai prescrit, le maire ou, à défaut, le préfet peut ordonner que
l'animal soit placé dans un lieu de dépôt adapté à l'accueil ou à la garde de celui-ci et peut faire procéder sans délai
et sans nouvelle mise en demeure à son euthanasie (...) ". Toutefois, ce moyen était inopérant, dès lors qu'aux
termes du I du même article L. 211-14, les dispositions de celui-ci ne s'appliquent pas aux personnes visées à
l'article L. 211-13 du même code dont, comme il a été dit au point 5 ci-dessus, M. E... B... relève. Dès lors, le juge
des référés du tribunal administratif de Paris n'était pas tenu d'y répondre.

21
8. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que l'arrêté du préfet de police en litige ne mentionnerait pas quel danger
grave et immédiat justifie le placement du chien de M. E... B... en fourrière et serait, ainsi, irrégulier, était
également inopérant, dès lors que les chiens de catégorie 1 ou 2 circulant sans être muselés ou qui sont détenus par
une personne ayant fait l'objet d'une inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire sont réputés présenter un tel
danger et le juge des référés du tribunal administratif n'était donc pas tenu d'y répondre.

9. Enfin, le juge des référés du tribunal administratif de Paris n'a, contrairement à ce que soutient M. E... B... ni
dénaturé ses conclusions, auxquelles il a d'ailleurs partiellement fait droit, ni méconnu le caractère contradictoire de
la procédure en rejetant sa demande d'expertise complémentaire ni, enfin, omis de répondre au moyen tiré de ce
qu'il aurait des droits découlant de la propriété de son chien, ainsi qu'il ressort du point 11 de l'ordonnance attaquée.

En ce qui concerne le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

10. En premier lieu, si M. E... B... soutient que son chien ne relève pas des types de chiens susceptibles d'être
dangereux en application de l'article L. 211-2 du code rural et de la pêche maritime, d'une part, il ressort du
document intitulé " passeport " du chien, qu'il produit lui-même, que ce document mentionne, sous la rubrique "
race " du chien : " american staff ", soit un type de chien relevant de la catégorie 1 de l'arrêté du 27 avril 1999
susvisé dès lors qu'aucun document généalogique n'est fourni, d'autre part, que le rapport de catégorisation en date
du 23 octobre 2020, établi à l'occasion du placement en fourrière, conclut à un tel classement. M. E... B... ne
conteste pas sérieusement ce rapport en se bornant à fournir un mail d'un vétérinaire consulté par ses soins
indiquant que les éléments qu'il contient lui " paraissent incomplets ".

11. En deuxième lieu, en tout état de cause, le droit à la vie du chien n'est pas menacé, dès lors que, par
l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'arrêté du préfet de police
en litige en tant qu'il prescrivait, le cas échéant, son euthanasie et il ne résulte pas de l'instruction que ce juge a
conduit que son bien-être serait altéré du fait de son placement en fourrière lequel est, de surcroît, susceptible de
déboucher sur le placement de l'animal auprès d'une association, comme le souhaite le requérant lui-même.

12. Enfin, il ne ressort pas des pièces que produit M. E... B... que le ministre chargé de l'agriculture aurait entaché
l'arrêté du 27 avril 1999 susvisé d'erreur manifeste d'appréciation en retenant une classification des chiens
susceptibles d'être dangereux fondée sur le type de ces chiens et non sur leur comportement.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence, il y a lieu de
rejeter la requête de M. E... B..., y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1
du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

ORDONNE:
------------------
Article 1er : La requête de M. E... B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C... E... B... ainsi qu'au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.

22
Document n° 6 : Cass. 1re civ., 24 mars 2021, n° 19-20962 (extraits)

(…) la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en
avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 7 mai 2019), Mme B... a vécu maritalement de 1991 au 11 novembre 2012 avec M.
C..., éleveur de chevaux.

2. Le 18 septembre 2014, elle l'a assigné en restitution des juments Eva de Bel Oeuvre et La Perla d'Echal ainsi que
de leurs foals, Chantilly du Yam et Améthiste du Yam, nés de la première, Darley du Yam et Calypso du Yam, nés
de la seconde, et en paiement de dommages-intérêts. M. C... a demandé le paiement des frais de conservation des
juments et de Darley du Yam et invoqué un droit de rétention sur eux jusqu'au paiement de ces frais.

Examen des moyens (…)

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Mme B... fait grief à l'arrêt de dire que M. C... ne sera tenu de lui restituer Darley du Yam qu'à compter du jour
où elle lui aura réglé la totalité des frais de conservation concernant cet animal, alors « que si la chose déposée a
produit des fruits qui ont été perçus par le dépositaire, ce dernier est obligé de les restituer au déposant en même
temps que la chose déposée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, d'une part, que Mme B... était propriétaire de
la jument La Perla d'Echal, laquelle avait donné naissance le 5 mai 2013, alors qu'elle était en dépôt forcé auprès de
M. C..., au poulain Darley du Yam, et, d'autre part, que M. C... avait restitué à Mme B... la jument La Perla d'Echal
dès le 9 octobre 2013 ; qu'en disant que M. C... ne sera tenu de restituer le poulain Darley du Yam à Mme B... qu'à
compter du jour où cette dernière lui aura réglé la totalité des frais de conservation concernant cet animal, quand il
ressortait de ses propres constatations que la jument, dont ledit poulain était le fruit, avait d'ores et déjà été restituée
à sa propriétaire, la cour d'appel a violé les articles 1936 et 1944 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1936, 1944 et 1948 du code civil :

11. Si, en vertu du dernier de ces textes, le dépositaire peut retenir le dépôt jusqu'à l'entier paiement de ce qui lui est
dû à raison de celui-ci, il résulte des deux premiers que, s'il restitue le dépôt, il doit remettre aussi les fruits produits
par celui-ci.

12. L'arrêt retient que M. C... ne sera tenu de restituer à Mme B... le poulain Darley du Yam, né de la jument La
Perla d'Echal, qu'à compter du jour où elle lui aura réglé la totalité des frais de conservation s'y rapportant.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la jument La Perla d'Echal avait été restituée par M. C... à
Mme B... le 9 octobre 2013, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par Mme B... visant à se voir
reconnaître propriétaire des poulains Chantilly du Yam, Améthyste du Yam, Calypso du Yam et Blade du Yam, et
en ce qu'il dit que M. C... ne sera tenu de restituer Darley du Yam à Mme B... qu'à compter du jour où cette
dernière lui aura réglé la totalité des frais de conservation concernant cet animal, l'arrêt rendu le 7 mai 2019, entre
les parties, par la cour d'appel de Caen ;

23
Document n° 7 : Cass. crim., 14 novembre 2000, n° 99-84522 (bien incorporel, carte de crédit **)

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure
pénale, défaut de motifs, manque de base légale : ” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Bernard Graeff coupable
d’abus de confiance, et l’a condamné de ce chef ;

” aux motifs qu’il est reproché à Bernard Graeff d’avoir utilisé le numéro de carte de crédit qu’une cliente, Josette
Stépanian, lui avait confié à l’occasion d’une précédente commande, pour débiter le compte de celle-ci, à son insu,
d’une somme de 199 francs, représentant la contrepartie financière d’un envoi qu’elle n’avait pas accepté ; qu’il est
constant que le numéro de carte bancaire et l’autorisation de prélèvement avaient été donnés à Bernard Graeff,
PDG de la société FDS, en 1994, pour en faire un usage déterminant, savoir le paiement d’une commande ; qu’en
conservant le numéro de carte et l’autorisation, et en les remettant en 1995 à l’entreprise sous-traitante, alors qu’il
ne pouvait ignorer que cette autorisation était périmée, Bernard Graeff a détourné cette autorisation, constituant une
valeur patrimoniale, se rendant ainsi coupable d’abus de confiance ;

” alors, d’une part, que le détournement n’est punissable en vertu de l’article 314-1 du Code pénal que s’il porte sur
une chose corporelle ; qu’en déclarant le prévenu coupable d’abus de confiance, au motif qu’il avait “détourné une
autorisation” de prélèvement, donnée par une cliente à l’occasion d’une commande précédente, la cour d’appel a
violé les textes susvisés ; alors, d’autre part, que, faute d’avoir précisé en quoi consistait la mauvaise foi du
prévenu, la cour d’appel n’a pas, en toute hypothèse, caractérisé l’élément intentionnel du délit d’abus de
confiance ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que Bernard Graeff, président du conseil d’administration de la société
France Direct Service, entreprise de vente par correspondance, est poursuivi pour avoir conservé le numéro de la
carte de crédit qu’une cliente avait fourni en vue du règlement d’une précédente commande et qui a été utilisé pour
obtenir un paiement indu ;

Attendu que pour le déclarer coupable d’abus de confiance, les juges d’appel retiennent qu’en conservant le
numéro de la carte et l’autorisation de prélèvement, et en les remettant à une entreprise sous-traitante, alors qu’il ne
pouvait ignorer que cette autorisation était périmée, Bernard Graeff a détourné cette autorisation, laquelle constitue
une valeur patrimoniale ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, d’où il résulte que le prévenu a, en connaissance de cause, détourné le numéro
de la carte bancaire communiqué par la cliente pour le seul paiement de sa commande et, par là-même, n’en a pas
fait l’usage convenu entre les parties, la cour d’appel a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels,
qu’intentionnel, le délit d’abus de confiance dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

Qu’en effet, les dispositions de l’article 314-1 du Code pénal s’appliquent à un bien quelconque et non pas
seulement à un bien corporel ;

Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;


REJETTE le pourvoi.

24
Document n° 8 : CEDH, 29 mars 2010, aff. Brosset-Triboulet c/ France, n° 34078/02 (notion de bien, Conv.
EDH ***)

65. La Cour rappelle que la notion de « bien » évoquée à la première partie de l'article 1 du Protocole no 1 a une
portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante des qualifications
formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des «
droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe d'examiner
si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d'un intérêt substantiel protégé
par l'article 1 du Protocole no 1 (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999-II ; Öneryıldız, précité, §
124 ; Hamer, précité, § 75).

66. Par ailleurs, la notion de « biens » ne se limite pas aux « biens actuels » et peut également recouvrir des valeurs
patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une
espérance légitime et raisonnable d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété (Hamer, précité, § 75).
L'espérance légitime de pouvoir continuer à jouir du bien doit reposer sur une « base suffisante en droit interne »
(Kopecky c. Slovaquie, no 44912/98, § 52, CEDH 2004-IX).

67. De manière générale, l'imprescriptibilité et l'inaliénabilité du domaine public n'ont pas empêché la Cour de
conclure à la présence de « biens » au sens de cette disposition (Öneryıldız, précité ; N.A. et autres c. Turquie, no
37451/97, CEDH-2005-X ; Tuncay c. Turquie, no 1250/02, 12 décembre 2006 ; Köktepe c. Turquie, no 35785/03,
2 juillet 2008 ; Turgut et autres c. Turquie, no 1411/03, 8 juillet 2008 ; Satir c.Turquie, no 36129/92, 10 mars
2009). Dans ces affaires, cependant, à l'exception de la première, les titres de propriété des intéressés ne prêtaient
pas à controverse au regard du droit interne, ces derniers pouvant légitimement se croire en situation de « sécurité
juridique » quant à leur validité, avant qu'ils soient annulés au profit de la domanialité publique (Turgut et autres,
précité, § 89 ; Satir, précité, § 32).

68. En l'espèce, nul ne conteste devant la Cour l'appartenance au domaine public maritime de la parcelle sur
laquelle est érigée la maison litigieuse. Le différend porte sur les conséquences juridiques de l'acte de donation en
1945 et des autorisations successives d'occuper la maison.

69. La Cour observe que le tribunal administratif a considéré que « la maison d'habitation occupée par les
requérantes leur appartient en pleine propriété » (paragraphe 25 ci-dessus). En revanche, par une application stricte
des principes régissant la domanialité publique – lesquels n'autorisent que des occupations privatives précaires, –
les autres juridictions nationales ont exclu la reconnaissance aux requérantes d'un droit réel sur la maison. La
circonstance de la très longue durée de l'occupation n'a ainsi eu, à leurs yeux, aucune incidence sur l'appartenance
des lieux au domaine public maritime, inaliénable et imprescriptible (paragraphe 27 ci-dessus).

70. Dans ces conditions, et nonobstant l'acquisition de bonne foi de la maison, dès lors que les autorisations
d'occupation n'étaient pas constitutives de droits réels sur le domaine public – ce que les requérantes ne pouvaient
pas ignorer, y compris quant aux conséquences sur leurs droits à l'égard de la maison – (voir, a contrario,
Z.A.N.T.E. - Marathonisi A.E. c. Grèce, no 14216/03, § 53, 6 décembre 2007), la Cour doute qu'elles aient pu
raisonnablement espérer continuer à en jouir du seul fait des titres d'occupation (mutatis mutandis, Özden c.
Turquie (no 1), no 11841/02, 3 mai 2007, §§ 28 à 30 ; Gündüz c. Turquie, no 50253/07, 18 octobre 2007). Elle
observe en effet que tous les arrêtés préfectoraux mentionnaient l'obligation, en cas de révocation de l'autorisation
d'occupation, de remise des lieux en leur état primitif si cela était requis par l'administration (paragraphe 15 ci-
dessus).

71. En revanche, la Cour rappelle que le fait pour les lois internes d'un Etat de ne pas reconnaître un intérêt
particulier comme « droit », voire comme « droit de propriété », ne s'oppose pas à ce que l'intérêt en question
puisse néanmoins, dans certaines circonstances, passer pour un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1. En
l'espèce, le temps écoulé a fait naître l'existence d'un intérêt patrimonial des requérantes à jouir de la maison, lequel
était suffisamment reconnu et important pour constituer un « bien » au sens de la norme exprimée dans la première
phrase de l'article 1 du Protocole no 1, laquelle est donc applicable quant au grief examiné (mutatis mutandis,
Hamer, précité, § 76, et Öneryildiz, précité, § 129).

25
Document n° 9 : Cass. crim., 8 nov. 2017, n° 17-82.632 (notion de bien, créance, saisie pénale, expropriation,)

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, dans le cadre d'une information judiciaire,
M. Refaat X..., oncle de M. Bachar X... et ancien vice-président de Syrie, a été mis en examen des chefs notamment
de blanchiment de détournement de fonds public et de fraude fiscale aggravée en bande organisée, faits reprochés
sur une période de 1984 à 2016 ; que la société immobilière du 25 rue Jasmin, dont le capital est réparti entre les
enfants de M. Refaat X..., dirigée par ce dernier jusqu'en décembre 2014 puis par son fils, M. Siwar X..., également
administrateur de la société avec deux autres proches de M. Refaat X..., est propriétaire d'une créance de plus de 9
millions d'euros à l'encontre de la Ville de Paris à la suite de l'expropriation d'un terrain lui appartenant ; que, par
ordonnance du 8 juillet 2016, le juge d'instruction a ordonné la saisie pénale de cette créance en application des
articles 131-21, alinéa 6, et 324-7, 12°, du code pénal considérant que le mis en examen, qui encourt la confiscation
de patrimoine, en a la libre disposition ; que M. Refaat X... et la société immobilière ont interjeté appel et fait valoir
que le premier, qui n'était ni administrateur ni dirigeant ni actionnaire de cette société, ne disposait d'aucun pouvoir
sur le bien saisi de sorte qu'il ne pouvait en avoir la libre disposition ;

Attendu que, pour confirmer la saisie pénale, l'arrêt énonce qu'il ressort des éléments du dossier que M. X... est
l'ayant droit économique de la totalité du patrimoine immobilier détenu en France sous couvert de sociétés et de
prête-noms et qu'il décide seul de leur gestion et donne des consignes auxquelles notamment ses fils doivent se
soumettre ; que les juges relèvent qu'il en résulte également que l'intéressé est à l'origine de l'acquisition du terrain
situé 25 rue Jasmin et de la construction édifiée, a dissimulé son patrimoine derrière une société détenue et dirigée,
aux termes d'un arrangement familial, par des membres de sa famille proche, a dirigé le cours de la procédure
d'expropriation et d'indemnisation de sorte que M. X... est le véritable bénéficiaire économique de la créance
saisie ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que le recours à l'interposition d'une société immobilière entre la
personne mise en examen et son patrimoine immobilier ainsi qu'à des prête-noms de l'entourage familial pour
exercer les fonctions ou les rôles de dirigeant de droit, d'administrateurs et d'associés, joint à une gestion de fait de
la société par l'intéressé, tous éléments qui relèvent de l'appréciation souveraine des juges du fond, suffisent à
caractériser la libre disposition du bien immobilier, ou de la créance résultant de son expropriation, propriété de
ladite société, de nature à en permettre la saisie, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître
aucun des textes visés au moyen ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent qu'être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;


REJETTE le pourvoi ;

Document n° 10 : Cass. soc., 15 juin 2022, n° 21-11.461 (fichier, appropriation (non]*)

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré
conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 26 octobre 2020), statuant en référé, M. [H] a été engagé le 11 avril 2018 en
qualité de directeur commercial par la société Tiaré Beach (la société), puis a été licencié le 7 février 2019.

2. Le 12 juin 2019, la société a saisi la juridiction prud'homale statuant en référé pour qu'elle enjoigne à l'intéressé
de débloquer l'accès à des documents lui appartenant, détournés et stockés sur un compte informatique personnel de
son ancien salarié et pour obtenir une provision à valoir sur des dommages-intérêts.

Examen des moyens


26
Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision
spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

4. M. [H] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société une provision à valoir sur la réparation de son
préjudice consécutif au détournement des fichiers à compter du 7 février 2019, de le débouter de sa demande de
dommages-intérêts et de le condamner à lui payer une somme sur le fondement de l'article 700 du code de
procédure civile, alors :

« 2°/ que si, au jour où le juge des référés statue, le trouble allégué a pris fin, aucune mesure ne peut être prononcée
sur le fondement de l'article 885-2 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ; que la cour d'appel, qui a
constaté que le trouble illicite allégué avait cessé le 9 août 2019, jour où la société a eu accès à tous ses dossiers,
cependant que l'ordonnance de référé était en date du 4 octobre 2019, n'a pas tiré les conséquences légales de ses
constatations et a violé l'article 885-2 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

3°/ qu'en cas de cessation du trouble au jour de l'ordonnance, l'éventuelle réparation du dommage relève du juge du
fond ; que la cour d'appel qui, tout en constatant que le trouble illicite allégué avait cessé le 9 août 2019, a
cependant condamné le salarié à payer à la société une « provision » à valoir sur la réparation de son préjudice a
violé l'article 885-2 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de l'article 885-2 du code de procédure de Nouvelle-Calédonie que si le juge des référés ne peut
condamner une partie à payer une indemnité, ce qui suppose l'examen au fond, il peut, dans le cas où l'existence de
l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

6. Ayant relevé que la disparition du trouble à compter du 9 août 2019, dans le cadre d'un processus amiable, avait
néanmoins laissé perdurer le préjudice subi par la société en raison du comportement fautif de son ancien salarié
entre le 7 février 2019 et la date à laquelle elle avait pu procéder au téléchargement des documents litigieux, de
sorte que l'obligation à réparation de M. [H] n'était pas sérieusement contestable, c'est à juste titre que la cour
d'appel a alloué à la société une provision à valoir sur la réparation de ce préjudice.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. M. [H] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de condamnation de la société à lui verser des
dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la tentative de violation par elle du secret de ses
correspondances et de l'intimité de sa vie privée ainsi qu'en raison du préjudice subi du fait de la tentative de
violation, par ladite société, de son droit de propriété, alors :

« 1°/ que la cassation à intervenir du chef du premier moyen de cassation entraînera celle du présent moyen par
application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que, subsidiairement, si même au temps et au lieu du travail, le salarié a droit au respect de l'intimité de sa vie
privée et au secret de ses correspondances, ce droit est d'autant plus renforcé en l'absence de lien de subordination
et de contrat de travail car l'employeur, n'étant plus lié par un contrat de travail, ne pourra pas se prévaloir d'une
27
quelconque prétendue présomption de caractère professionnel des éléments concernés ; que, dans ses écritures
d'appel, le salarié faisait valoir qu'il n'était plus lié par un contrat de travail à la société lors des tentatives
d'intrusion de cette dernière dans son compte Google drive, de sorte que l'employeur ne pouvait se retrancher
derrière la présomption de caractère professionnel des documents en cause ; que la cour d'appel, qui a laissé sans
réponse ce moyen déterminant, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le droit de propriété est un droit fondamental auquel il ne peut être porté atteinte que de façon justifiée et
proportionnée ; qu'en se contentant de relever que le salarié ne pouvait se plaindre d'une atteinte à son droit de
propriété au motif qu'il était à l'origine du différend sur l'accès aux fichiers litigieux, sans rechercher si les
nombreuses tentatives de la société de pénétrer, sans son accord, dans son compte Google drive personnel, ne
constituaient pas une atteinte injustifiée et disproportionnée à son droit fondamental, la cour d'appel a privé sa
décision de base légale au regard des articles 544 du code civil, ensemble l'article premier du Premier Protocole
additionnel à la CEDH. »

Réponse de la Cour

9. D'abord, le rejet du premier moyen prive de portée le deuxième moyen, pris en sa première branche, qui invoque
une cassation par voie de conséquence.

10. Ensuite, ayant constaté, d'une part, que, dans le cadre de son activité professionnelle, l'intéressé avait déposé sur
son compte Google drive personnel des documents qui appartenaient à son employeur et qu'il avait conservés après
son départ de l'entreprise, alors qu'il était tenu de les restituer et en avait interdit l'accès à la société, et d'autre part,
qu'il avait partagé avec d'autres salariés et des membres de la société l'accès à ces documents appartenant à son
employeur et déposés sur son compte personnel, la cour d'appel en a exactement déduit, sans avoir à répondre à un
moyen inopérant, ni être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que
l'intéressé qui était à l'origine du différend pour avoir utilisé un compte personnel à des fins professionnelles et
avait porté atteinte au droit de propriété de la société, ne pouvait se plaindre d'une tentative de violation de ses
correspondances ou d'une atteinte à son droit de propriété.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. M. [H] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral que lui
cause la procédure abusive de ladite société, alors :

« 1°/ que la cassation à intervenir du chef du premier moyen de cassation entraînera celle du présent moyen par
application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que les jugements doivent être motivés et permettre à la Cour de cassation d'exercer son contrôle ; que le salarié
avait formé une demande tendant à voir condamner la société pour procédure abusive ; qu'en se bornant à énoncer
que le salarié sera débouté de l'ensemble de ses demandes, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de
motifs flagrant sur ce moyen déterminant et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. D'abord, le rejet du premier moyen prive de portée le troisième moyen, pris en sa première branche, qui
invoque une cassation par voie de conséquence.

14. Ensuite, celui qui triomphe, même partiellement, dans son action, ne peut être condamné à des dommages-
intérêts pour abus de son droit d'agir en justice sauf circonstances particulières qu'il appartient au juge de spécifier.

15. Ayant fait droit à la demande de la société tendant au versement d'une provision à valoir sur la réparation de son
28
préjudice consécutif au détournement de documents, c'est à juste titre que la cour d'appel a rejeté la demande de
l'intéressé qui n'invoquait pas de circonstances particulières permettant la condamnation de la société pour
procédure abusive.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Document n° 11 : Cass. 3ème civ., 26 juin 1991, n° 89-18638 (distinction meubles-immeubles ; rôle de la
volonté [non]***)

Sur le moyen unique :

Vu l'article 517 du Code civil ;

Attendu que les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l'objet auquel ils
s'appliquent ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 8 juin 1989), que les époux X... ont conclu avec la société Union pour le
financement des équipements techniques et thermiques (UFITH) un contrat de location-vente leur accordant un prêt
pour le financement de la construction de trois vérandas sur leur immeuble, moyennant une redevance mensuelle ;

Attendu que pour débouter les époux X... de leur demande d'annulation du contrat et de remboursement des
mensualités versées, l'arrêt retient que la clause de réserve de propriété, jusqu'au paiement intégral du prix entre les
mains du prêteur, conduit à considérer que les vérandas conservent, jusqu'au règlement de la dernière mensualité du
prêt, un caractère mobilier et n'appartiennent pas aux époux X..., propriétaires du fonds dont elles deviendront
ensuite l'accessoire, permettant de les considérer alors comme immeubles par destination ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la nature, immobilière ou mobilière, d'un bien est définie par la loi, et que la
convention des parties ne peut avoir d'incidence à cet égard, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE,

Document n° 12 : Com. 2 déc. 2020, n° 18-25.559 (immobilisation par destination ; prépondérance


immobilière en matière fiscale [non]*)

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (…) a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 23 avril 2018), par acte sous seing privé en date du 29 novembre 2010, la société
Etablissement Bernard Escande et cie (la société Bernard Escande) a acquis les actions composant le capital de la
SAS Société hydroélectrique de la Houille blanche, qui exploite une centrale hydroélectrique.

2. Cette mutation a été taxée au taux de 1,10 % prévu au 1° de l'article 726, I, du code général des impôts, plafonné

29
à un certain montant.

3. Par une proposition de rectification du 1er août 2011, l'administration fiscale a considéré que, eu égard à la
valeur des installations dédiées à l'exploitation, qui ont la nature d'immeubles par destination, cette cession devait
être soumise au droit d'enregistrement au taux de 5 % applicable aux cessions de participations dans des personnes
morales à prépondérance immobilière, conformément aux dispositions de l'article 726, I, 2°, du code général des
impôts.

4. Après examen du litige par la commission départementale de conciliation, qui a donné un avis favorable sur la
prépondérance immobilière de la société cédée, l'administration fiscale a émis un avis de recouvrement des droits
supplémentaires réclamés.

5. La société Bernard Escande a contesté ces impositions par une réclamation qui a été rejetée le 27 avril 2015.

6. La société Bernard Escande a assigné l'administration fiscale en annulation de cette décision et en dégrèvement
des droits et pénalités perçus.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le directeur départemental des finances publiques du Pas-de-Calais fait grief à l'arrêt de déclarer non fondée et
d'annuler la décision de rejet du 27 avril 2015, alors « que l'article 726.-I. du C.G.I. prévoit en son 2 ° que les
cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d'enregistrement dont le taux est fixé à 5 % pour les cessions de
participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière ; que s'agissant de la notion de
"prépondérance immobilière", le même article précise qu'"est à prépondérance immobilière la personne morale (...)
dont l'actif est, ou a été au cours de l'année précédant la cession des participations en cause, principalement
constitué d'immeubles ou de droits immobiliers situés en France ou de participations dans des personnes morales
(...) elles-mêmes à prépondérance immobilière" ; que l'article 726 du C.G.I. se réfère ainsi à la notion d'"immeubles
ou de droits immobiliers", sans autre précision, pour apprécier la prépondérance immobilière ; qu'en pareil cas, à
défaut de dispositions spécifiques relatives à la notion d'"immeubles ou de droits immobiliers", le caractère des
biens doit nécessairement être déterminé selon les règles du droit civil ; qu'il résulte à cet égard des dispositions de
l'article 517 du code civil que "les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l'objet
auxquels ils s'appliquent" ; que l'article 524 du même code précise par ailleurs que "les animaux et les objets que le
propriétaire d'un fonds y a placé pour le service et l'exploitation de ce fonds sont immeubles par destination" et que
sont notamment immeubles par destination "tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à
perpétuelle demeure" ; que la notion d'immeuble, telle qu'elle résulte des dispositions du code civil, englobe ainsi
les immeubles par nature comme les immeubles par destination, de sorte que le tarif immobilier a vocation à
s'appliquer aux ventes d'immeubles par nature, aux ventes d'immeubles par destination et aux ventes d'immeubles
par l'objet auxquels ils s'appliquent ; que pour l'appréciation de la prépondérance immobilière au sens des
dispositions de l'article 726 du C.G.I., la notion d'immeubles et de droits immobiliers s'entend donc nécessairement
de l'ensemble des immeubles, qu'il s'agisse d'immeubles par nature ou d'immeubles par destination ; qu'en jugeant
le contraire, en retenant en particulier, par motifs propres et adoptés, que "le texte [de l'article] 726 du C.G.I. ne
mentionne que les immeubles et droits réels immobiliers et non les immeubles par destination", de sorte que "ceux-
ci ne peuvent y être inclus par référence aux dispositions du code civil", la cour d'appel de Toulouse a
nécessairement violé les dispositions de l'article 726.-I. 2° du C.G.I. ainsi que celles des articles 517 et 524 du code
civil. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article 726, I, 2°, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2009, est à
prépondérance immobilière la personne morale, quelle que soit sa nationalité, dont les droits sociaux ne sont pas
négociés sur un marché réglementé d'instruments financiers et dont l'actif est principalement constitué d'immeubles
ou de droits immobiliers situés en France.

30
9. Ce texte ne mentionnant que les immeubles et droits réels immobiliers, sans viser les immeubles par destination,
c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que ces derniers ne peuvent être pris en compte pour déterminer si, au
sens de l'article 726, I, 2°, susvisé, une personne morale est à prépondérance immobilière.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :


REJETTE le pourvoi ;

Condamne le directeur départemental des finances publiques du Pas-de-Calais aux dépens ;

Document n° 13 : Com. 29 nov. 2016, n° 15-12.350 (biens fongibles ; procédure collective ; réserve de
propriété concurrente ; répartition *)

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu les articles L. 624-9, L. 624-16 et L. 624-17 du code de commerce ;

Attendu qu'il résulte du deuxième de ces textes que l'existence en nature des biens fongibles pouvant être
revendiqués dans la procédure collective de l'acquéreur s'apprécie au jour de l'ouverture de celle-ci ; que lorsque
plusieurs vendeurs avec réserve de propriété revendiquent, dans le délai de trois mois prévu par le premier texte, les
mêmes biens, ceux-ci doivent leur être restitués à proportion de la quantité livrée par chacun d'eux et restant
impayée à la date de l'ouverture ; qu'il en résulte que, si l'administrateur judiciaire peut, conformément au troisième
texte, acquiescer à de telles demandes de revendication, il ne peut procéder à la restitution des biens avant
l'expiration du délai de revendication ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Transport Citra (la société débitrice) a fait l'objet, le 8 mars 2012, d'une
procédure de sauvegarde avec désignation d'un administrateur ; que, le 4 avril 2012, la société Worex a revendiqué
32 001 litres de carburant qu'elle avait livrés à la société débitrice avec réserve de propriété sans être payée, ou leur
contre-valeur ;

Attendu que pour accueillir cette demande dans la limite de 3 740 litres, l'arrêt, après avoir énoncé que
l'administrateur peut acquiescer à une demande de revendication sans attendre l'expiration du délai de
revendication, puis relevé qu'à la date de l'ouverture de la procédure collective, il restait dans les cuves de la société
débitrice 80 000 litres de carburant, retient qu'après acquiescement, le 19 mars 2012, par l'administrateur, à une
demande de revendication formée le 9 mars précédent par un autre fournisseur, la société DB Energies, et portant
sur 65 000 litres, la revendication de la société Worex ne pouvait plus s'exercer que sur la différence, soit 15 000
litres, et que cette quantité devait être partagée proportionnellement aux montants de leurs créances respectives
entre la société Worex et la société Stella, qui avaient présenté concomitamment une demande de revendication ;

Qu'en statuant ainsi, en privilégiant le revendiquant le plus diligent au détriment des autres fournisseurs ayant
également présenté leurs demandes dans le délai légal, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 septembre 2014, entre les parties, par la cour
d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et,
pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

31
Document n° 14 : Articles L. 526-22 et suivants du Code de commerce

Section 3 : Du statut de l'entrepreneur individuel (Articles L526-22 à L526-26)

Article L526-22, Création LOI n°2022-172 du 14 février 2022 - art. 1

« L'entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités
professionnelles indépendantes.

Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités
professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. Sous réserve du
livre VI du présent code, ce patrimoine ne peut être scindé. Les éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel
non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel.

La distinction des patrimoines personnel et professionnel de l'entrepreneur individuel ne l'autorise pas à se porter
caution en garantie d'une dette dont il est débiteur principal.

Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à
l'insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l'article L. 526-7 du présent code,
l'entrepreneur individuel n'est tenu de remplir son engagement à l'égard de ses créanciers dont les droits sont nés à
l'occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou
renonciation dans les conditions prévues à l'article L. 526-25.

Les dettes dont l'entrepreneur individuel est redevable envers les organismes de recouvrement des cotisations et
contributions sociales sont nées à l'occasion de son exercice professionnel.

Seul le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne
sont pas nés à l'occasion de son exercice professionnel. Toutefois, si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit
de gage général des créanciers peut s'exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice
réalisé lors du dernier exercice clos. En outre, les sûretés réelles consenties par l'entrepreneur individuel avant le
commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que
soit leur assiette.

La charge de la preuve incombe à l'entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d'exécution forcée
ou de mesures conservatoires qu'il élève concernant l'inclusion ou non de certains éléments d'actif dans le périmètre
du droit de gage général du créancier. Sans préjudice de l'article L. 121-2 du code des procédures civiles
d'exécution, la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu'il a procédé à
une mesure d'exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d'actif ne faisant manifestement pas
partie de son gage général.

Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine
professionnel et le patrimoine personnel sont réunis. Il en est de même en cas de décès de l'entrepreneur individuel,
sous réserve des articles L. 631-3 et L. 640-3 du présent code.
Les conditions d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. »

Article L526-25, Création LOI n°2022-172 du 14 février 2022 - art. 1

« L'entrepreneur individuel peut, sur demande écrite d'un créancier, renoncer à la dérogation prévue au quatrième
alinéa de l'article L. 526-22, pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit
être déterminé ou déterminable. Cette renonciation doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par
décret.
Cette renonciation ne peut intervenir avant l'échéance d'un délai de réflexion de sept jours francs à compter de la
réception de la demande de renonciation. Si l'entrepreneur individuel fait précéder sa signature de la mention
manuscrite énoncée par décret et uniquement de celle-ci, le délai de réflexion est réduit à trois jours francs » (…)
32
Section 4 : Du transfert du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel (Articles L526-27 à L526-31)

Article L526-27, Création LOI n°2022-172 du 14 février 2022 - art. 1

« L'entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société
l'intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. Le transfert non intégral
d'éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas
échéant, à celle du ou des éléments transférés.

Le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont
celui-ci est constitué. Il peut être consenti à titre onéreux ou gratuit. Lorsque le bénéficiaire est une société, le
transfert des droits, biens et obligations peut revêtir la forme d'un apport.

Sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l'apport en société
de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la
cession de créances, de dettes et de contrats.

Dans le cas où le cédant s'est obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel
ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel, l'inexécution de cette obligation engage sa responsabilité sur
l'ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.

Le transfert de propriété ainsi opéré n'est opposable aux tiers qu'à compter de sa publicité, dans des conditions
prévues par décret. »

Article L526-30, Création LOI n°2022-172 du 14 février 2022 - art. 1

« A peine de nullité du transfert prévu à l'article L. 526-27 :

1° Le transfert doit porter sur l'intégralité du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel, qui ne peut être
scindé ;

2° En cas d'apport à une société nouvellement créée, l'actif disponible du patrimoine professionnel doit permettre
de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ;

3° Ni l'auteur, ni le bénéficiaire du transfert ne doivent avoir été frappés de faillite personnelle ou d'une peine
d'interdiction prévue à l'article L. 653-8 du présent code ou à l'article 131-27 du code pénal, par une décision
devenue définitive. »

33
Document n° 15 : Th. Revet, « La désubjectivation du patrimoine », D. 2022, p. 469

1. Principe d'unité du patrimoine. « Attendu que le principe d'unité du patrimoine des personnes juridiques interdit
l'ouverture de deux procédures collectives contre un seul débiteur, même si celui-ci exerce des activités distinctes
ou exploite plusieurs fonds » (1). Nul ne l'ignore, ce « principe » est la reprise de l'un des piliers d'une théorie
fameuse - sinon « la plus fameuse qui ait jamais été soutenue en droit français » - (2), due à Karl Salomo Zachariä,
professeur de philosophie du droit à l'Université de Heidelberg, qui, à partir de 1808, publia un « Manuel de droit
civil français » en trois tomes (Handbuch des französischen Zivilrechts) (3), ainsi, sinon surtout, qu'à Charles
Aubry et Charles Rau, traducteurs en français, à compter de 1839, alors qu'ils étaient professeurs à la Faculté de
droit de Strasbourg, de l'ouvrage de Zachariä, qu'ils ont ultérieurement développé et complété - Cours de droit civil
français traduit de l'allemand par M.C.S. Zachariae, Professeur à l'université de Heidelberg, revu et augmenté avec
l'agrément de l'auteur. Au fil des enrichissements apportés à une oeuvre qui en portait déjà bien des éléments
essentiels, Aubry et Rau ont exposé une théorie du patrimoine qui, partant d'une problématique successorale, celle
de la singularité de la transmission successorale à l'aune du principe de continuation de la personne (4), et
soucieuse de contribuer à l'édification de la théorie de la personnalité juridique, qu'il restait encore largement à
élaborer, en est venue à concevoir le patrimoine, ce vieux concept romain désignant les biens du père de famille
lors de son décès, en des termes substantiellement renouvelés. La circulation des dettes à cause de mort selon le
mécanisme de la continuation de la personne a suggéré à nos auteurs que le patrimoine est une universalité -
instrument primitif de la personnalité juridique - (5)qui comprend les biens et les dettes de la même personne (6),
en quoi il est une « universalité juridique » (7), et qu'il en est ainsi parce qu'il est une émanation de la personne (8),
mieux même, « il se confond pour ainsi dire avec la personnalité » (9). De là résulte le célèbre triptyque selon
lequel seules les personnes ont un patrimoine, toute personne a un patrimoine et la personne n'a qu'un patrimoine,
indivisible (10). De là résulte également que le droit de gage général des articles 2284 et 2285 du code civil
(anciennement 2092 et 2093) a pour assiette le patrimoine au sens qui vient d'être indiqué, ce qui permet
d'expliquer pourquoi les engagements de la personne sont garantis par ses biens : le patrimoine étant la personne
considérée dans ses relations avec les choses, l'engagement de la personne est un engagement de son patrimoine
(11) ; le patrimoine est « sujet d'obligations » (12). C'est ainsi qu'il faut recevoir la règle « Qui s'oblige oblige le
sien », dans un système qui a étendu le droit de gage des créanciers à tous les biens du débiteur, sans distinction, et
qui a organisé le commerce juridique à partir de la figure du sujet de droit.

D'instance objective à Rome, le patrimoine est donc devenu, sous la plume d'Aubry et Rau, une instance, sinon
subjective, du moins grandement subjectivée. Sans doute, la théorie de ses promoteurs manifeste-t-elle quelques
hésitations à cet égard puisque le patrimoine y est à la fois présenté comme « s'identifiant en quelque sorte avec la
personnalité » (13) et comme un objet de propriété pour cette même personne (14). Mais cette propriété est
marquée d'une singularité qui signe l'intrication entre la personne et le patrimoine (15) : non seulement il s'acquiert
avec elle (16), et avec elle seulement, mais encore, et par voie de conséquence, il est inaliénable (17), la seule
circulation du patrimoine qui ait lieu étant celle qui accompagne la circulation de la personnalité juridique lors du
décès (18).

Telle est la théorie qui, malgré des critiques intervenues assez rapidement, et qui n'ont jamais cessé (19), pointant
d'indéniables faiblesses de la proposition (20), n'a pas moins été adoptée par l'immense majorité des auteurs et, à
leur suite, par juges et législateurs.

2. Force du principe. La force de la théorie considérée peut se mesurer par cela que l'admission de certains de ses
inconvénients, qui, chemin faisant, semblait faire toujours plus d'adeptes, a très longtemps conduit à tenter de les
atténuer par la méthode du contournement plutôt que celle d'une remise en cause directe (21). Parmi ces
inconvénients, le plus manifeste est probablement celui qu'implique le principe d'unité du patrimoine, tout
particulièrement pour l'entrepreneur personne physique. Cette unité, en effet, conduit à ce que l'activité
professionnelle indépendante expose au gage des créanciers dont la créance est née de cette même activité
l'ensemble des biens saisissables de l'entrepreneur, donc, indifféremment, les biens qui permettent le déploiement
de l'activité professionnelle et ceux qui ne jouent aucun rôle à cet égard : hormis les biens insaisissables, tous les
biens d'un entrepreneur indépendant pouvaient être appelés à compenser son incapacité à s'acquitter de son passif
professionnel, conséquence mécanique imparable de la généralité du droit de gage éponyme. La diversification des
formes de sociétés, l'assouplissement continu des conditions de leur constitution, puis la création de la société « à
34
associé unique » (22), marquent, spécialement le dernier mouvement, le souci de permettre aux entrepreneurs
indépendants de soustraire, ou plutôt de tenter de soustraire quelque peu à leurs créanciers professionnels une partie
de leurs biens, essentiellement ceux ne constituant pas des facteurs de production.

Ainsi, très longtemps, a-t-on préféré l'instrumentalisation extrême de la notion de personne morale, dont le
paroxysme est évidemment la société qui ne « réunit » qu'un « associé », à la remise en cause directe du principe
d'unité du patrimoine. Il aura été probablement considéré qu'il y avait moins d'inconvénients à admettre des
personnes morales purement fictives qu'à abandonner la consubstantialité du patrimoine à la personne : attenter à
l'un des principes du triptyque qu'implique la théorie du patrimoine, ne serait-ce pas, inexorablement, attenter à
cette théorie même ? Or elle a beau avoir ses faiblesses, n'est-elle pas en harmonie avec une certaine conception de
la responsabilité, selon laquelle chacun doit assumer pleinement les conséquences de ses actes, ce que permet la
garantie de toute dette par l'un quelconque des biens saisissables du débiteur (23) ? Au demeurant, et précisément,
par quoi remplacer la théorie du patrimoine si d'aventure on venait à la renier ?

3. Remise en cause du principe. Le caractère sur certains aspects artificiel de la théorie considérée ne pouvait,
cependant, que finir par favoriser sa remise en cause. Le processus de sa décomposition semble avoir été engagé à
partir de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée. Le fait d'avoir choisi de dénaturer la notion même de
société, en créant la chimère qu'est la société à associé unique, afin de mettre en place un patrimoine professionnel
qui ne pouvait être assumé comme tel en raison du principe d'unité du patrimoine (24), a néanmoins conduit, peut-
être paradoxalement, à dédramatiser le sacrilège qui aurait consisté - donc qui consisterait - à diviser directement le
patrimoine des entrepreneurs individuels en un patrimoine personnel et un patrimoine professionnel : l'entreprise
unipersonnelle à responsabilité limitée constituant si ostensiblement une dualisation, à peine indirecte, de
patrimoines, puisqu'elle n'a strictement rien d'une société, elle a révélé que la terre ne s'arrête pas de tourner quand
le droit de gage a pour seule assiette les biens à l'occasion de l'exploitation desquels sont nées les créances qu'il est
destiné à garantir. Croyant - peut-être - épargner le principe d'unité du patrimoine, le législateur de 1985 l'a, en fait,
condamné. D'autant que la séparation entre le patrimoine de la société unipersonnelle et le patrimoine de son
associé unique s'est avérée rien moins qu'imperméable, du moins face aux créanciers majeurs, une forme de
reconstitution d'unité étant, en effet, fréquemment réalisée par le cautionnement de la société unipersonnelle par
son associé unique, indispensable à l'obtention des concours bancaires, tout particulièrement (25). Ainsi, non
seulement la même personne - l'entrepreneur individuel - était, dans les faits, à la tête de deux patrimoines, mais
encore, cette division par le truchement d'une vraie fausse personne morale ne remédiait guère aux inconvénients
d'une unité du patrimoine qu'on avait pourtant choisi de maintenir facialement, en inventant une société «
n'associant » personne... Il n'y avait plus qu'à s'efforcer de rendre plus effectif l'amoindrissement de la généralité du
droit de gage « général » de certains créanciers.

4. Insaisissabilités limitées aux créanciers professionnels (26). La loi n° 2003-721 du 1er août 2003 a permis à une
personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité
professionnelle agricole ou indépendante de déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa
résidence principale (C. com., art. L. 526-1 ). Avec la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, le domaine de la déclaration
d'insaisissabilité a été élargi à tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à l'usage professionnel. Puis la loi n°
2015-990 du 6 août 2015 a supprimé la nécessité d'une déclaration notariée publiée pour rendre insaisissables, par
les créanciers professionnels, les droits sur l'immeuble où est fixée la résidence principale de l'entrepreneur
personne physique (C. com., art. L. 526-1 , al. 2) ; la déclaration n'a été maintenue que pour rendre insaisissables,
par les mêmes créanciers, les droits des mêmes entrepreneurs individuels sur tout bien foncier non affecté à un
usage professionnel (C. com., art. L. 526-1 , al. 1er). S'il ne s'est pas alors agi d'admettre plusieurs patrimoines,
puisqu'il est seulement question de soustraire certains biens au droit de gage général de certains créanciers, la
consubstantialité du patrimoine à la personne n'a pas moins été sensiblement altérée : le droit de saisir l'immeuble
où est fixée la résidence principale de l'entrepreneur personne physique et, en cas de déclaration de celui-ci, la
possibilité de saisir les droits de cet entrepreneur sur tout bien foncier non affecté à un usage professionnel, ne sont
plus ouverts aux créanciers dont la créance est considérée comme ayant une relation trop lointaine avec ces biens, à
savoir les créanciers professionnels ; le fait que ces biens appartiennent au débiteur et qu'ils ne soient pas en soi
insaisissables ne suffit plus.

35
5. Pluralité de patrimoines. Un pas vers la pluralité de patrimoines fut nettement et ostensiblement franchi avec la
loi n° 2007-211 du 19 février 2007, ayant inscrit dans le code civil les bases d'un cadre général de l'opération de
fiducie, érigeant le ou les biens transférés par le fiduciaire au constituant en un « patrimoine fiduciaire », séparé du
patrimoine propre du fiduciaire (C. civ., art. 2011 ) et formant l'assiette du droit de gage général des « titulaires de
créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine » (C. civ., art. 2025 , al. 1er).

Dans le même mouvement, la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité
limitée (EIRL), a permis aux entrepreneurs individuels de faire de leur entreprise un patrimoine séparé de leur
patrimoine personnel (C. com., art. L. 526-6 ). Les créanciers auxquels la déclaration de constitution du patrimoine
affecté est opposable, et dont les droits sont nés à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle, ont pour seul
gage général le patrimoine affecté, tandis que les autres créanciers ne peuvent poursuivre que le patrimoine non
affecté (C. com., art. 526-12 , I). La même loi admet la cessibilité du patrimoine professionnel (C. com., art. L.
526-17 , III, al. 3).

L'atteinte est frontale au principe d'unité du patrimoine et, à travers lui, à la consubstantialité du patrimoine à la
personne, autrement dit, à la théorie du patrimoine d'Aubry et Rau (27). Le droit de gage général n'est plus
vraiment général puisqu'il ne suffit plus au créancier, pour pouvoir l'exercer, d'identifier les biens saisissables de
l'EIRL : il lui faut également identifier les biens de cet entrepreneur qui lui permettent de déployer son activité
professionnelle, eux seuls constituant l'assiette du droit de gage « général » du créancier dont les droits sont nés à
l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle ; tandis qu'inversement, seuls les biens qui ne permettent pas
l'exercice de l'activité professionnelle peuvent être saisis par les créanciers non professionnels. Un tel critère,
quoiqu'il soit loin d'être inconnu en droit français (28), n'est pas moins inédit en tant qu'il fonde officiellement la
scission du patrimoine en deux patrimoines (la distinction entre patrimoine fiduciaire et patrimoine personnel du
fiduciaire étant comprise dans cette observation).

La prise de distance avec la théorie du patrimoine, du moins avec certains de ses aspects majeurs, est confirmée par
la possibilité d'aliéner le patrimoine professionnel : cette faculté est ouverte en négation de l'inaliénabilité entre vifs
du patrimoine des personnes physiques, qui, dans la théorie du patrimoine, constitue l'une des conséquences de sa
consubstantialité à la personne.

6. Loi du 14 février 2022. L'acuité de ces questions est renforcée par la promulgation de la loi n° 2022-172 du 14
février 2022 (29). Ayant l'ambition d'offrir aux « 2,8 millions de travailleurs indépendants » « un cadre plus simple
et protecteur au moment de la création d'entreprise et pour les accompagner tout au long de l'exercice de leur
activité » (30), cette loi, parmi bien des dispositions, prévoit la division automatique du patrimoine d'un
entrepreneur individuel (31) en un patrimoine professionnel et un patrimoine personnel, la renonciation aux effets
de cette dualisation, au bénéfice de certains créanciers, étant soumise à conditions spéciales, abstraction faite des
hypothèses dans lesquelles des créanciers sont légalement en droit de poursuivre les deux patrimoines de
l'entrepreneur individuel. Le nouveau texte permet et organise la circulation du patrimoine professionnel. Cette
systématisation de la dualisation patrimoniale de l'entrepreneur indépendant est justifiée par le constat que « le
régime de l'EIRL n'a pas rencontré le succès escompté : alors que 100 000 EIRL étaient attendus fin 2012, on en
dénombrait seulement 97 174 à la fin du mois de juin 2021 » (32) ; selon le gouvernement, cet état de fait serait dû
notamment à la complexité de ce régime (33). La loi commentée met d'ailleurs fin à la possibilité de se placer sous
le régime de l'EIRL (34), lequel devient largement inutile même si son contenu n'est pas en tous points identiques
au nouveau régime patrimonial de droit commun de l'entrepreneur individuel.

Comme l'a souligné le Conseil d'État (35), « par son ampleur, l'innovation juridique contenue dans [le projet de loi]
va bien au-delà de la protection du débiteur organisée par les sections existantes du code de commerce, qui sont
issues, d'une part, de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique ayant rendu la résidence
principale du débiteur insaisissable par les créanciers intervenant dans la sphère professionnelle, et d'autre part, de
la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l'EIRL ». Le haut conseil du gouvernement identifie l'effet
d'innovation, selon lui remarquable, dans le fait que, contrairement à la dualisation du patrimoine instaurée par un
EIRL, celle organisée par la loi du 14 février 2022 « s'effectue de plein droit, sans démarche administrative ou
information des créanciers ».

36
L'innovation semble, en effet, majeure, s'agissant de la conception même du patrimoine et ce qu'elle implique dans
l'ordre de son régime. En rupture avec le principe d'unité du patrimoine, donc avec le subjectivisme qui le fonde, la
loi dote tout entrepreneur individuel de deux patrimoines, dont l'un n'est autre que l'entreprise individuelle. Ce
résultat est la conséquence d'une prise en compte inédite, au regard de la théorie du patrimoine, du rôle causal des
biens dans l'existence (I) et le fonctionnement (II) du patrimoine (36).

I - Le rôle causal des biens dans l'existence du patrimoine

7. Aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 526-22 du code de commerce : « Les biens, droits, obligations et sûretés
dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le
patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. (...) Les éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel
non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel ». Le patrimoine professionnel
est une universalité de biens constitutifs d'une entreprise (A). Le patrimoine personnel est une universalité de biens
non constitutifs d'une entreprise (B) (37).

A - Le patrimoine professionnel, universalité de biens constitutifs d'une entreprise

8. La création d'une entreprise individuelle répondant aux critères posés par la loi emporte pour conséquence
automatique la constitution d'un patrimoine, le patrimoine professionnel, épousant les contours mêmes de
l'entreprise individuelle (1). La conception de patrimoine ne peut que s'en trouver reconsidérée par rapport à celle
qui fonde la théorie éponyme (2).

1 - Toute entreprise individuelle au sens de la loi du 14 février 2022 constitue un patrimoine professionnel

a - L'entreprise au sens de la loi du 14 février 2022

9. Selon la loi commentée, une entreprise individuelle existe lorsque sont réunis des facteurs de production (1) et
l'engagement de leur exploitation (2).

1 - Réunion de facteurs de production

10. « Biens, droits, obligations et sûretés ». Selon l'alinéa 2 de l'article L. 526-22 du code de commerce, le
patrimoine professionnel est composé des « biens, droits, obligations et sûretés dont [l'entrepreneur individuel] est
titulaire ». Cette énumération est reprise de l'article L. 526-6, alinéa 2, relatif à la composition du patrimoine affecté
de l'EIRL. On en connaît les faiblesses. Les sûretés susceptibles de figurer dans un patrimoine sont des droits, réels
ou personnels, et les droits sont des biens. La mention des obligations vise les hypothèses dans lesquelles les
obligations sont indéfectiblement liées aux droits, ainsi qu'il en va s'agissant de la position contractuelle. Elle ne
saurait, en revanche, selon nous, signifier que le législateur s'en tient à la conception du patrimoine selon laquelle il
est un ensemble de biens et de dettes car, d'une part, les dettes, hormis quand elles ressortissent à une position
contractuelle, ne sont pas « utiles à l'activité professionnelle » mais constituent l'une des conséquences possible de
cette activité, d'autre part, selon la conception du patrimoine qui, peut-on estimer, se dégage de la loi, il est un
ensemble des biens auxquels sont corrélées les dettes nées de l'exploitation de cet ensemble (38).

11. Immeuble. La loi vise les « biens », sans distinction ni restriction. Peu importe leur nature, corporelle ou
incorporelle, mobilière ou immobilière. La discrimination des biens de l'entrepreneur individuel se fait à partir de
leur « utilité à l'activité professionnelle » (39). L'entreprise individuelle selon la loi du 14 février 2022 comprend
donc, et notamment, les immeubles dont l'entrepreneur est propriétaire et qui sont utiles à son activité.

Tel était déjà le cas de l'exploitation agricole (40). L'exploitant agricole personne physique, propriétaire de
l'immeuble rural, soumet au régime de cet immeuble les meubles d'exploitation qu'il affecte au service du fonds (C.
civ., art. 524 ). Le rapport d'accessoire à principal qui s'ensuit (immobilisation par destination) fait émerger un
ensemble de moyens de production susceptibles d'être appréhendés unitairement par le biais de l'immeuble par
nature.

37
La définition des fonds d'exploitation (fonds de commerce, fonds artisanal, fonds libéral, fonds agricole) exclut
l'immeuble de ces entités (41). Les fonds d'exploitation ont une nature mobilière puisqu'en tant qu'universalités
(jusqu'ici universalités « de fait »), ils sont incorporels, sans pouvoir être considérés comme des immeubles
incorporels au sens de l'article 526 du code civil car ils ne répondent pas aux critères de cette catégorie, laquelle est
limitative : les fonds incorporels ne peuvent constituer que des meubles par détermination de la loi (C. civ., art. 529
), et ils le doivent dès lors que tous les biens sont (nécessairement) meubles ou immeubles (C. civ., art. 516 ). Au
moment de l'élaboration de la figure légale du fonds d'exploitation, soit aux débuts du XXe siècle, la tradition de
primauté de l'immeuble sur le meuble, dont le code civil s'est fait l'héritier et continuateur, a interdit à l'immeuble
d'être le composant d'un meuble et, en conséquence, d'être soumis au régime d'un meuble. Ce choix est devenu un
non-sens avec la recomposition de l'architecture générale des biens consécutive au développement considérable des
biens incorporels ; il privait le fonds d'exploitation de l'un de ses composants éminents. La loi commentée met fin à
ce bannissement d'un autre âge.

12. Biens communs. Biens indivis. Aux termes de l'article L. 526-26 du code de commerce, l'organisation du statut
de l'entrepreneur individuel « s'entend sans préjudice des pouvoirs reconnus aux époux pour administrer leurs biens
communs et en disposer ». Selon le Conseil d'État, le décret d'application devra « traiter du sort des biens communs
entre l'entrepreneur et son conjoint » (42).

La loi commentée ne dit mot - ou presque - (43) de l'hypothèse dans laquelle un ou plusieurs biens indivis seraient
utiles à l'activité professionnelle d'un entrepreneur individuel coïndivisiaire. Le décret d'application pourrait s'en
saisir, en supposant qu'il ait capacité de le faire, bien que la loi soit muette à cet égard et que cette question relève «
du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales », à propos duquel, selon la
Constitution (art. 34), la loi est compétente pour « déterminer » « les principes fondamentaux ».

13. « Utiles à la ou aux activités professionnelles ». L'entreprise individuelle est composée des biens, droits,
obligations et sûretés de l'entrepreneur individuel « qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles
indépendantes » (44). Le critère de l'« utilité » (45) n'est pas défini par la loi mais devrait l'être par le décret appelé
par le dernier alinéa de l'article L. 526-22. Il se distingue du critère retenu pour la constitution du patrimoine affecté
de l'EIRL, qui consiste dans « la nécessité », s'agissant des biens figurant impérativement dans le patrimoine affecté
(C. com., art. L. 526-6 , al. 2). Le choix du critère de l'utilité semble s'expliquer par le souci des auteurs de la loi
d'inclure dans l'entreprise individuelle, donc dans le patrimoine professionnel, tous les biens qui permettent la
réalisation de l'activité de l'entrepreneur individuel, sans s'en tenir aux seuls biens strictement indispensables. Dès
lors que la constitution du patrimoine professionnel est une conséquence que la loi tire de la création d'une
entreprise, il fallait faire en sorte que ce patrimoine contienne les biens qui, selon la conception du droit de gage
général applicable à l'entrepreneur individuel, ont vocation à garantir les dettes à la naissance desquelles ils ont
contribué (46) : ces biens sont tous ceux qui servent à la réalisation de l'activité professionnelle indépendante, ceux
qui sont employés lorsqu'elle est déployée et pour qu'elle le soit (47). L'utilité se rapproche, ainsi, peut-on estimer,
de « l'utilisation » effective, au sens de l'article L. 526-6, alinéa 2, du code de commerce (48). L'entrepreneur reste
donc le maître de la composition de ses patrimoines via la maîtrise de la composition de son entreprise puisqu'il
choisit les biens qu'il utilise pour son activité professionnelle. Mais tout moyen de production concrètement utilisé
par l'entrepreneur pour l'exercice de son activité intègre son entreprise, cette dimension objective étant
indispensable à la connaissance, par les créanciers, de l'assiette de leur droit de gage.

Les biens, droits, obligations et sûretés utiles à l'activité professionnelle indépendante dont l'entrepreneur individuel
devient titulaire durant le cours de cette activité intègrent automatiquement le patrimoine professionnel, sur la seule
base de leur utilité. Pour certains, l'intégration peut également s'autoriser de la subrogation réelle, ce qui est le cas
chaque fois que des biens ou droits nouveaux sont acquis en remplacement de biens et droits qui ressortissaient au
patrimoine professionnel ; cette technique, inhérente au mécanisme de l'universalité, double, quant à la justification,
le critère, premier, de l'utilité.

14. Universalisation. Structure de production de biens ou de services, l'entreprise est le rassemblement organisé de
facteurs de production. Dans la théorie du fonds d'exploitation, cette réunion s'opère par l'universalisation de ces
facteurs : assemblés en une organisation matérielle et fonctionnelle par leur affectation à l'obtention d'un chiffre
d'affaires et si possible, sur cette base, d'un bénéfice - ce que la loi exprime par le concept de « clientèle » -, les
facteurs de production deviennent interdépendants les uns des autres puisqu'ils concourent à la réalisation du même
38
objectif économique, et cette interdépendance se traduit par l'apparition d'un bien nouveau, l'universalité, signe et
incarnation de la réunion coordonnée des facteurs considérés. Les biens, droits, obligations et sûretés dont
l'entrepreneur individuel est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles
indépendantes forment une universalité : ils ne peuvent être utiles à une ou plusieurs activités professionnelles
indépendantes qu'en étant universalisés. Cette universalité, qui était le fonds d'exploitation jusqu'à la loi
commentée, devient, avec elle, l'entreprise individuelle.

Sous le régime de la loi commentée, l'exploitation agricole constituée selon la technique de l'immobilisation par
destination (49) devient une universalité. La relation de principal à accessoire ne peut qu'être reléguée par celle de
l'universalité : la seule utilité à l'activité agricole des biens employés par l'entrepreneur agricole individuel suffit à
faire exister l'entreprise individuelle agricole. Elle a une nature mobilière, comme toute universalité, et non
immobilière, comme feu l'exploitation agricole.

2 - Exploitation des facteurs de production

15. Aux termes de l'article L. 526-23 du code de commerce, la limitation au patrimoine professionnel du droit de
gage des créanciers professionnels (50) concerne les « créances nées à compter de l'immatriculation au registre dont
relève l'entrepreneur individuel pour son activité, lorsque celle-ci est prévue. Lorsqu'il relève de plusieurs registres,
la dérogation prend effet à compter de la date d'immatriculation la plus ancienne » (al. 1er). Le texte ajoute que «
lorsque la date d'immatriculation est postérieure à la date déclarée du début d'activité, la dérogation prend effet à
compter de la date déclarée du début d'activité, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État » (al. 2). Et,
« à défaut d'obligation d'immatriculation, la dérogation court (sic) à compter du premier acte qu'il exerce (sic) en
qualité d'entrepreneur individuel, cette qualité devant apparaître sur les documents et les correspondances à usage
professionnel ». La réunion coordonnée de facteurs de production ne constitue une entreprise individuelle qu'avec
le commencement de l'activité, et du fait de ce commencement, selon les critères d'identification de ce
commencement indiqués à l'article qui vient d'être rapporté. Ce n'est qu'avec cet événement qu'une entreprise
existe, c'est-à-dire avec le premier acte d'exploitation qui, seul, permet de considérer que les biens, droits,
obligations et sûretés rassemblés sont « utiles » à une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes.

b - Le patrimoine professionnel

16. « Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités
professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel » (C. com., art.
L. 526-22 , al. 2 - nous soulignons). La création d'une entreprise individuelle emporte constitution d'un patrimoine
professionnel. Cette équation (51) signifie que l'entreprise n'est plus, comme elle l'est dans la théorie du fonds de
commerce, une universalité de fait : elle est une universalité de droit, mais en tant qu'une telle universalité s'entend
d'un ensemble de biens affectés à la garantie des dettes qui leur sont corrélées, et non d'un ensemble de biens et de
dettes (n° suiv.). L'affectation de biens à la production de biens ou de services, qui permet à l'entreprise d'exister
comme unité de production, se double donc d'une affectation à la garantie des dettes corrélées aux facteurs de
production : l'affectation qui fait exister l'entreprise est l'oeuvre de l'entrepreneur individuel, l'affectation qui fait
exister le patrimoine professionnel est l'oeuvre de la loi. La qualification d'universalité de droit de l'entreprise-
patrimoine professionnel l'emporte sur celle d'universalité de fait qui était celle de l'entreprise individuelle avant la
loi.

« Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine
professionnel et le patrimoine personnel sont réunis. Il en est de même en cas de décès de l'entrepreneur individuel,
sous réserve des articles L. 631-3 et L. 640-3 » (C. com., art. L. 526-22 , al. 8). Né du commencement d'une activité
professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel ne survit pas à la cessation de cette activité, qu'elle soit
volontaire ou consécutive au décès de l'entrepreneur (52). Les créanciers de l'entrepreneur décédé ou qui cesse son
activité professionnelle accèdent au droit de poursuivre son patrimoine redevenu unique (53). Quant au successeur
de l'entrepreneur individuel qui souhaite reprendre et poursuivre l'entreprise individuelle de son auteur, il n'a pas
besoin, contrairement à l'EIRL (54), de manifester son intention de maintenir la dualité de patrimoines puisque
cette dualité est de droit pour tous les entrepreneurs individuels relevant de la loi commentée.

39
2 - Conception de patrimoine

17. Ensemble de biens universalisés par leur affectation légale à la garantie des dettes nées de leur exploitation.
L'entreprise individuelle est un ensemble de facteurs de productions utiles à une ou plusieurs activités
professionnelles indépendantes. Cette universalité productive est érigée, du seul fait qu'elle existe, en une
universalité patrimoniale : par décision de la loi, la création de l'universalité productive cause la constitution d'un
patrimoine qui en épouse exactement les contours. Créé directement par la loi, du seul fait de la création d'une
entreprise individuelle, afin de garantir les dettes nées de l'exploitation de l'entreprise, le patrimoine professionnel
est une universalité de droit puisque son existence s'impose de jure à son titulaire et qu'il est destiné à jouer un rôle
de garantie légale des engagements de son titulaire. En revanche, en rupture avec la conception d'Aubry et Rau, il
ne peut pas être considéré comme contenant les dettes professionnelles car les dettes ne sont pas des facteurs de
production (elles ne sont pas « utiles » à l'activité, au sens où l'entend la loi). La loi le qualifie d'ailleurs de «
propriété » (C. com., art. L. 526-27 , al. 5 ; art. L. 526-28 , al. 1er). Or, on aura beau tourner la chose dans tous les
sens, et sauf à remettre en cause les notions les plus élémentaires, une dette n'est pas un bien. Le patrimoine
professionnel peut donc être considéré comme un ensemble de biens universalisés par leur affectation légale à la
garantie des dettes nées de leur exploitation (55). Il est un bien incorporel.

B - Le patrimoine personnel, universalité des biens non constitutifs d'une entreprise

18. Biens, droits, obligations et sûretés non utiles à l'activité professionnelle. « Les éléments du patrimoine de
l'entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel » (C.
com., art. L. 526-22 , al. 2). Le patrimoine personnel partage avec le patrimoine professionnel la même cause
d'existence. Comme le patrimoine professionnel, il naît avec la création de l'entreprise et le commencement de son
exploitation, selon les critères d'identification de ce commencement énoncés à l'article L. 526-23 du code de
commerce. Mais, quant à son contenu, le patrimoine personnel est défini en négatif du patrimoine professionnel :
tout ce qui ne ressortit pas au patrimoine professionnel ressortit au patrimoine personnel ; autrement dit, tous les
biens, droits, obligations et sûretés qui ne sont pas utiles à l'activité professionnelle indépendante composent le
patrimoine personnel. Il accueille donc aussi tous les biens non utiles à l'activité professionnelle que l'entrepreneur
individuel acquiert durant son existence, avec ou sans subrogation réelle d'un bien qui en était le ressortissant.
Comme le patrimoine professionnel, le patrimoine personnel peut être considéré comme un ensemble de biens
universalisés par leur affectation légale à la garantie des dettes nées de leur exploitation ; il constitue donc, tout
autant, une universalité de droit, au sens indiqué ; de même qu'un bien incorporel.

Comme le patrimoine professionnel, le patrimoine personnel cesse d'exister d'être quand l'entrepreneur individuel
met fin à son activité, ou décède (C. com., art. L. 526-22 , al. 8) (56) ; il se fond alors dans le patrimoine unique
reconstitué.

40
II - Le rôle causal des biens dans le fonctionnement du patrimoine

19. C'est en considération de l'exploitation du patrimoine qu'est déterminée l'assiette du droit de gage de chaque
créancier (A). C'est en conséquence de l'aliénabilité de l'entreprise individuelle, dont il ne constitue qu'une
dimension, que le patrimoine professionnel est aliénable (B).

A - L'exploitation du patrimoine, critère de détermination de l'assiette du droit de gage général

20. L'entrepreneur individuel étant légalement doté de deux patrimoines exclusifs l'un de l'autre, ses créanciers sont
aiguillés vers l'un ou l'autre en considération du rôle causal des biens dans l'existence de leur(s) créance(s).
Plusieurs exceptions (2) sont apportées à ce principe (1).

1 - Principe : rôle causal des biens dans l'existence des dettes qu'ils garantissent

21. Aux termes de l'article L. 526-22, alinéa 4, du code de commerce : « Par dérogation aux articles 2284 et 2285
du code civil, (...) l'entrepreneur individuel n'est tenu de remplir son engagement à l'égard de ses créanciers dont les
droits sont nés à l'occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés
conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l'article L. 526-25 » (57) (58). Aux termes de la
première phrase de l'article L. 526-22, alinéa 6 : « Seul le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel
constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l'occasion de son exercice professionnel »
(59). Le lien et l'absence de lien entre la créance et l'activité professionnelle sont érigés en critère additionnel
d'identification de l'assiette du droit de gage général. Aux critères, suffisants en cas de patrimoine unique, tenant à
l'identification du débiteur et de l'ensemble de ses biens saisissables, est ajouté un critère, propre à l'entrepreneur
individuel, consistant dans l'identification d'une relation ou d'une absence de relation entre la créance et les biens
saisissables : les créances nées à l'occasion de l'activité professionnelle indépendante ont pour seul gage général le
patrimoine formé des biens utiles à cette activité, autrement dit, le patrimoine professionnel (i.e. l'entreprise
individuelle) ; les créances qui ne sont pas nées à l'occasion de l'activité professionnelle indépendante ont pour seul
gage général le patrimoine formé des biens qui ne sont pas utiles à cette activité, autrement dit, le patrimoine
personnel (60).

Le patrimoine ne se ramène plus au remplacement de la personne du débiteur par ses biens (saisissables), en vertu
d'une équation - « Qui s'oblige, oblige le sien » tenant les biens pour le succédané de la personne physique, dans le
prolongement d'un système primitif qui voyait dans la personne du débiteur défaillant une chose potentielle. Dans
ce système, les biens garantissent les dettes parce que la personne n'a pu devenir débitrice qu'en obligeant
l'ensemble de ses biens saisissables puisque la seule circonstance qu'ils sont sa propriété suffit à ce qu'ils
remplissent cette fonction de garantie. Dans le système de la loi commentée, et quelques autres avant elle (61), les
biens garantissent les seules dettes qui résultent de leur exploitation : l'appartenance d'un bien au débiteur ne suffit
pas à l'« en-gager », le bien doit encore, via l'universalité qu'est l'entreprise individuelle - s'agissant du patrimoine
professionnel - ou, en négatif, l'universalité formée des biens autres que ceux utiles à son activité professionnelle -
le patrimoine personnel -, avoir joué un rôle causal dans l'existence de la dette (62). C'est cette contribution spéciale
à l'existence des dettes qui, avec leur appartenance à la personne du débiteur et leur saisissabilité, fonde leur
vocation à les garantir en cas d'inexécution par le débiteur. Par ellipse - et seulement par ellipse - on dira : « les
biens répondent de "leurs" dettes » (63). On n'en est d'ailleurs pas très loin lorsque la loi commentée envisage
l'hypothèse dans laquelle « le patrimoine engagé par l'activité ou les activités professionnelles [est] en situation de
cessation des paiements »... (C. com., art. L. 631-3 , al. 2 ; art. L. 640-3 , al. 2, V. supra, n° 16) ; ou lorsqu'elle
énonce que « le patrimoine » est « visé » par la procédure collective (C. com., art. L. 653-3 , II, 2° et 3°) (64).

Cette évolution est peut-être le résultat de l'admission de ce que « la personne ne se [présente] pas d'une façon
unitaire sur la scène juridique ; elle [développe] plusieurs types d'activités (personnelles, professionnelles,
individuelles, familiales, etc.). En conséquence, le patrimoine ne la [reflète] pas fidèlement en se résumant à cette
entité unique et indivisible ». Cette critique de Gény (65) « sort amplifiée de l'évolution de la notion de personne :
en progressant d'une conception abstraite vers une conception concrète - du sujet de droit doté d'une personnalité
juridique désincarnée vers une personne humaine aux différentes facettes -, la notion de personne est à même,
aujourd'hui, d'entraîner celle de patrimoine vers une diversification » (66).
41
2 - Exceptions

22. L'article L. 526-22, alinéa 4, du code de commerce présente comme une « dérogation aux articles 2284 et 2285
du code civil » la règle en vertu de laquelle les créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de l'exercice de
l'activité professionnelle indépendante ont pour seul gage général le patrimoine professionnel et les créanciers dont
les droits ne sont pas nés à l'occasion de l'activité professionnelle indépendante ont pour seul gage général le
patrimoine professionnel. Par-là, peut-on estimer, le législateur entend signifier que la dualité de patrimoines est
une exception au principe d'unicité du patrimoine, qui demeure, seul son domaine d'efficacité étant réduit. Mais,
dans le domaine de la dualité de patrimoines, la règle propre au droit de gage général des créanciers d'un
entrepreneur individuel constitue le principe, comme en attestent les différentes dérogations qui lui sont apportées.
En leur sein (67), on s'arrêtera à l'insuffisance du patrimoine personnel (a), aux sûretés (b) et, parmi elles, à la
renonciation au cantonnement du droit de gage général au patrimoine professionnel (c).

a - Insuffisance du patrimoine personnel

23. L'alinéa 6 de l'article L. 526-22 du code de commerce décide que « si le patrimoine personnel est insuffisant, le
droit de gage général des créanciers peut s'exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du
bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos ». La règle est reprise du régime de l'EIRL (art. L. 526-12, dernier al.).
Résultat net de l'exploitation de l'entreprise qui compose le patrimoine professionnel, le bénéfice intègre
initialement ce patrimoine en vertu du droit d'accession (C. civ., art. 547 ). L'entrepreneur peut en transférer une
partie dans son patrimoine personnel, sinon la totalité selon le besoin qu'il en a pour la satisfaction de ses dépenses
personnelles et familiales essentielles. La loi commentée ne reprend pas la disposition de l'article L. 526-18 du code
de commerce, aux termes de laquelle : « L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée détermine les revenus
qu'il verse dans son patrimoine non affecté ». La liberté de l'entrepreneur de procéder à cette « mutation non
translative » (68) n'existe pas moins dès lors que, dans l'immense majorité des situations, les revenus professionnels
sont indispensables à la satisfaction des besoins personnels et familiaux élémentaires de l'entrepreneur personne
physique. Cette modification du patrimoine professionnel est opposable aux créanciers professionnels de
l'entrepreneur dès qu'elle est réalisée, et il faudrait, peut-on estimer, des circonstances bien particulières pour qu'ils
puissent la faire déclarer inopposable à leur égard sur le fondement de l'action paulienne (C. civ., art. 1341-2 ) (69).

La possibilité, pour les créanciers personnels de l'entrepreneur individuel, de mobiliser, en cas d'insuffisance du
patrimoine personnel, le patrimoine professionnel à hauteur du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice
clos s'explique, peut-on estimer, par le fait que c'est dans le patrimoine professionnel que se trouve le capital
frugifère qu'est l'entreprise, lequel constitue la grande source d'alimentation des patrimoines de l'entrepreneur
individuel : le patrimoine personnel consiste, dans bien des cas, à peu près exclusivement dans les revenus générés
par l'entreprise individuelle. Ces données impliquent une certaine porosité du patrimoine professionnel et du
patrimoine personnel en cas d'insuffisance du patrimoine personnel : il est alors permis aux créanciers personnels
d'appréhender soit le bénéfice qui n'a pas encore été transféré dans le patrimoine personnel, soit, quand ce transfert
a eu lieu, le prochain bénéfice, par anticipation, puisque sa vocation est de rejoindre, en partie au moins, le
patrimoine personnel, et que celui-ci est insuffisant.

b - Sûretés

24. Efficacité des sûretés réelles constituées antérieurement à la dualisation du patrimoine. Les sûretés réelles
consenties par l'entrepreneur individuel avant qu'il n'accède à cette qualité « conservent leur effet, quelle que soit
leur assiette » (C. com., art. L. 526-22 , al. 5). La précision est conforme au fait que les créanciers antérieurs ont
définitivement pour droit de gage l'ensemble des biens saisissables de l'entrepreneur individuel, comme si la
scission n'avait pas eu lieu (70).

25. Liberté de constituer des sûretés sur des biens ressortissant au patrimoine personnel afin de garantir des dettes
professionnelles. L'entrepreneur individuel peut constituer des sûretés sur des biens ressortissant à son patrimoine
personnel afin de garantir des créances professionnelles (C. com., art. L. 526-22 , al. 4). Cette constitution ouvre au
créancier professionnel qui en bénéficie le droit de saisir le ou les biens du patrimoine personnel de l'entrepreneur
qui en forment l'assiette. Aucun encadrement particulier ni aucune restriction ne sont prévus par la loi commentée
42
quant à l'assiette ou au nombre des sûretés que l'entrepreneur individuel peut consentir à un créancier professionnel.
La liberté joue donc entièrement à cet égard (71).

26. Impossibilité de constituer des sûretés sur des biens ressortissant au patrimoine professionnel afin de garantir
des dettes personnelles. La loi n'évoque pas la possibilité, pour l'entrepreneur individuel, de constituer, sur un bien
ressortissant à son patrimoine professionnel, une sûreté destinée à garantir une créance qui n'est pas née à l'occasion
de l'exercice professionnel. Elle n'envisage que l'hypothèse inverse (C. com., art. L. 526-22 , al. 4, n° préc.), outre
l'efficacité des sûretés réelles constituées avant la scission de patrimoine (n° 24). Hors prévision légale spéciale, il
paraît difficile d'admettre une sûreté constituée sur un bien professionnel afin de garantir une dette personnelle,
alors que, s'agissant de l'entrepreneur individuel, le principe est celui de la répartition des créanciers entre l'un ou
l'autre de ses patrimoines en fonction de la corrélation entre leur créance et ce patrimoine : si « seul le patrimoine
personnel de l'entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à
l'occasion de son exercice professionnel » (C. com., art. L. 526-22 , al. 6), et que rien ne réserve la possibilité, par
le truchement d'une sûreté, d'élargir le droit de poursuite d'un créancier personnel à un bien ressortissant au
patrimoine professionnel, comment ne pas voir dans ce silence la volonté du législateur d'exclure un tel montage
(72) ? Si tel est le cas, il s'agit d'une évolution remarquable par rapport à la situation qui prévalait sous l'empire du
patrimoine unique.

c - Renonciation au cantonnement du droit de gage général au patrimoine professionnel

27. Conditions de la renonciation. Soucieux de ne pas compromettre l'obtention de crédits par l'entrepreneur
individuel, pour les besoins de son activité professionnelle, le législateur admet et organise (C. com., art. L. 526-25
) l'ouverture, à un créancier professionnel, de son patrimoine personnel, par une manifestation spéciale de volonté
qui doit satisfaire certaines conditions de fond et de forme ; énoncées par le décret d'application, elles sont requises
ad validitatem. Un créancier professionnel peut demander par écrit à l'entrepreneur individuel de renoncer à la règle
selon laquelle les créanciers professionnels ont en principe pour seul gage général le patrimoine professionnel. La
demande de renonciation doit mentionner l'« engagement spécifique » que cette renonciation est destinée à garantir,
en en indiquant le terme et le montant, lequel doit être déterminé ou déterminable. Un délai impératif de réflexion
de sept jours francs à compter de la réception de la demande de renonciation doit être respecté avant que
l'entrepreneur individuel ne puisse renoncer, à moins qu'il n'ait fait précéder sa signature de la mention manuscrite
énoncée par décret, auquel cas le délai est réduit à trois jours francs (C. com., art. L. 526-25 , al. 2).

Ainsi, malgré quelques conditions destinées à compliquer un peu l'accès d'un créancier professionnel au patrimoine
personnel de l'entrepreneur individuel, cette possibilité n'est pas empêchée par la loi. Comme il en va depuis des
décennies, le législateur ne parvient (toujours) pas à concilier l'objectif de soustraction des biens non-professionnels
d'un entrepreneur individuel à ses créanciers professionnels avec le fait que l'obtention d'un crédit, notamment
professionnel, suppose la fourniture de garanties suffisantes. Quand l'actif professionnel est jugé insuffisant par un
créancier et qu'il existe un actif personnel qui pourrait permettre de satisfaire les exigences de ce dernier, en refuser
l'engagement à l'entrepreneur individuel reviendrait, souvent, à condamner son entreprise, dans un système où nul
n'est tenu de consentir un prêt. La généralité du droit de gage (véritablement) général reste, ainsi, suffisamment
forte d'avantages économiques pour résister à bien des tentatives de déboulonnage (73)... Pour les créanciers
éminents d'un entrepreneur individuel, la réforme ne devrait donc pas changer grand-chose.

La possibilité, pour l'entrepreneur individuel, de renoncer à la dualité des patrimoines n'est ouverte qu'au bénéfice
d'un créancier professionnel. Sans autorisation légale, un créancier personnel ne saurait exercer son droit de gage
sur le patrimoine professionnel, lequel n'est ouvert qu'aux créanciers dont la créance est née à l'occasion de
l'exercice professionnel. Sous cet aspect, l'évolution est remarquable par rapport à la situation qui prévalait sous
l'empire du patrimoine unique des entrepreneurs individuels.

28. Nature juridique. La renonciation, au bénéfice d'un créancier professionnel, à raison d'une dette particulière, au
cantonnement au patrimoine professionnel du droit de gage des créanciers professionnels, recrée-t-elle, à l'égard du
créancier concerné, un patrimoine unique ? La réécriture, par la loi commentée, de l'alinéa 1er de l'article L. 161-1
du code des procédures civiles d'exécution (74), de telle sorte qu'il énonce que : « L'entrepreneur individuel qui a
renoncé au bénéfice des dispositions du quatrième alinéa du même article L. 526-22 dans les conditions prévues à
l'article L. 526-25 du même code peut, s'il établit que la valeur des biens qui constituent son patrimoine
43
professionnel est suffisante pour garantir le paiement de la créance, demander au créancier que l'exécution soit en
priorité poursuivie sur ces biens », suggère que la dualité des patrimoines ne disparaît pas à l'égard du créancier
professionnel bénéficiaire : par la renonciation, l'entrepreneur individuel ouvre son patrimoine personnel à un
créancier professionnel, à un titre qui peut se révéler subsidiaire.

Ce schéma évoque celui du cautionnement, mais l'article L. 526-22, alinéa 3, du code de commerce écarte
expressément cette qualification. Cette prise de position s'autorise de la jurisprudence qui considère que les qualités
de caution et de débiteur cautionné ne sauraient être cumulées (75). Encore que cette jurisprudence ait été rendue
dans un contexte où prévalait l'unité du patrimoine : le cautionnement est l'adjonction d'un patrimoine au
patrimoine du débiteur principal, c'est pourquoi, dans le système de l'unité du patrimoine, la caution ne saurait être
le débiteur principal - ce qui ne présente, en outre sinon surtout, aucun intérêt concret pour le créancier. À partir de
la loi du 15 juin 2010 sur l'EIRL, la question s'est posée de savoir si, en ouvrant son patrimoine « non affecté » à
ses créanciers professionnels, ou inversement, l'entrepreneur à responsabilité limitée devient caution de ses propres
dettes. La réponse négative (76) explique l'article L. 526-22, al. 3 (77).

Il reste que, substantiellement, la renonciation de l'entrepreneur individuel, au profit d'un créancier professionnel,
pour un engagement déterminé, au cantonnement au patrimoine professionnel du droit de gage général de ce
créancier, dès lors qu'elle ne recrée pas un seul et unique patrimoine à l'égard du créancier bénéficiaire - même si,
en pratique, le résultat est approchant -, est un cautionnement en ce qu'elle a pour effet d'offrir au créancier
professionnel l'accès à un patrimoine auquel il n'aurait pas accès sans cette renonciation. Dans un système de
dualité de patrimoines, la figure de l'auto-cautionnement est-elle si incongrue, alors que la dualité recherchée, par le
créancier, dans tout cautionnement, est assurée par la dualité des patrimoines de l'entrepreneur individuel ? Au
demeurant, le droit, pour l'entrepreneur individuel, de demander au créancier bénéficiaire de la « renonciation »
qu'il porte prioritairement son exécution sur les biens professionnels dont la valeur est suffisante ne lui confère-t-
elle pas un bénéfice de discussion (rappr. C. civ., art. 2305 ) ?

B - Le transfert de l'entreprise est un transfert du patrimoine professionnel

29. Conséquence de la nature réelle du patrimoine professionnel. Le patrimoine professionnel n'étant qu'une
dimension de l'entreprise individuelle, il est, comme celle-ci, la « propriété » de l'entrepreneur (C. com., art. L. 526-
27 , al. 5 ; art. L. 526-28 , al. 1er). Son aliénabilité de principe n'est que la conséquence de cette nature (C. civ., art.
544 ), concernant un bien dont la cessibilité constitue l'un des intérêts attachés à son existence : permettant à son
propriétaire de réaliser ce capital frugifère, elle est l'occasion d'une valorisation supérieure à celle de l'addition des
éléments fédérés en une exploitation. La patrimonialisation de l'entreprise individuelle ne pouvait, rationnellement,
avoir pour conséquence d'empêcher son aliénabilité, ou de la subordonner à la liquidation du patrimoine qu'elle
constitue désormais : « L'entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou
apporter en société (78) l'intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à sa liquidation » (C. com., art.
L. 526-27 , al. 1er) (79).

30. Cession d'une universalité de droit. La cession d'une entreprise individuelle est la cession d'une universalité de
droit. L'article L. 526-27, alinéa 1er, du code de commerce permet à l'« entrepreneur individuel [de] céder à titre
onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l'intégralité de son patrimoine professionnel »
(80) ; le législateur évoque également le « transfert universel du patrimoine professionnel » (art. L. 526-27, al. 2 ;
L. 526-26, al. 1er) (81). Lui seul relève des dispositions spécifiques de la section 4 du chapitre VI du titre II du livre
V du code de commerce : « Le transfert non intégral d'éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions
légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés » (art. L. 526-
27, al. 1er, in fine). De même, la cession qui prétendrait avoir pour objet une scission du patrimoine, c'est-à-dire
une sous-universalité de droit, serait nulle (C. com., art. L. 526-30 , 1°) (82).

31. Substitution de l'acquéreur à l'aliénateur. Aux termes de l'article L. 526-27, alinéa 2, du code de commerce : «
Le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont
celui-ci est constitué » (83). La circulation du patrimoine réalise celle de ses composants actifs et des dettes qui leur
sont corrélées. Les créanciers de l'entrepreneur individuel n'ont pas à consentir à la substitution de l'acquéreur à
l'aliénateur, dans sa qualité de débiteur (au titre d'une dette isolée ou inscrite dans une position contractuelle) (84).
Ils bénéficient seulement du droit de former opposition à ce transfert (C. com., art. L. 526-28 ), ce qui marque que
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l'existence du transfert n'est pas tributaire de leur accord, l'opposition étant fondée sur leur qualité de tiers à ce
transfert, seraient-ils des tiers particulièrement concernés (85). Cette dispense de consentement des créanciers et
contractants cédés est une innovation au regard du régime de la cession de fonds de commerce.

La substitution automatique, à l'aliénateur, dans sa qualité de débiteur, de la personne physique ou morale qui
acquiert le patrimoine professionnel constitue une manifestation particulièrement forte de la désubjectivation du
patrimoine à laquelle elle apporte une contribution remarquable. La circulation du patrimoine emporte celle des
dettes qui lui sont corrélées parce que les dettes sont liées au patrimoine par leur cause : nées de l'exploitation du
patrimoine, elles lui sont définitivement attachées dans leur vocation à être garanties par ce patrimoine. Le lien
causal entre les dettes et les biens dont l'exploitation a conduit à leur naissance est, s'agissant du droit de gage
général, prééminent par rapport au lien entre le créancier et le débiteur. L'acquéreur du patrimoine professionnel
devient débiteur au lieu et place de l'aliénateur afin que demeure le lien causal entre les dettes et les biens dont
l'exploitation a conduit à leur naissance. Au regard de ce lien causal, la personne du débiteur est secondaire (86)...

La cession automatique des dettes corrélées au patrimoine professionnel et la substitution qu'elle implique, de
l'acquéreur à l'aliénateur, dans sa qualité de débiteur, fonctionnent comme un droit de suite et comme une
obligation propter rem (87). Certes, l'idée selon laquelle le droit de gage général est un droit réel (88) ne
s'harmonise pas avec le fait qu'il est une composante du droit de créance : son volet « responsabilité », qui s'ajoute
au volet « devoir », pour former l'obligation selon la compréhension moderne de cette instance (89). Mais cette
conception est étroitement liée à la subjectivation du patrimoine (90), en ce que l'abandon de toute différenciation
entre les biens sur lesquels le créancier peut jeter son dévolu, qui constitue l'un des moteurs de cette conception, a
pu être compris comme la conséquence de ce que s'obliger, c'est disposer de ses biens : tous les biens répondent de
toute obligation parce c'est l'obligation même qui fédère les biens en un ensemble unique, à partir du pouvoir,
inhérent à la personnalité juridique, de s'obliger, autrement dit, d'obliger ses biens (91). Or, si la loi commentée
s'inscrit dans un processus de désubjectivation du patrimoine, puisque tous les biens ne garantissent plus toute
obligation, ne faut-il pas repenser la nature même du droit de gage ?

32. Opposition (92). L'opposant doit démontrer que la substitution de débiteur ou de cocontractant menace le bon
recouvrement de ses droits, quoique l'actif du patrimoine qui les garantit soit transféré à l'acquéreur. Il peut en aller
ainsi, par exemple, lorsque cet actif est inférieur au passif (le prix d'acquisition pouvant avoir tenu compte de cette
circonstance), ou lorsque l'acquéreur est un exploitant manifestement incompétent (93) ou encore, et notamment,
lorsque le patrimoine professionnel est apporté à une société dont l'actif, avant le transfert, ne permet pas de faire
face au passif (94). Le juge peut ordonner « le remboursement des créances ou la constitution de garanties, si le
cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes » (C. com., art. L. 526-28 , al.
3) (95).

Le remboursement de créances est à la charge du cédant car, en l'ordonnant, le juge rend inopposable au créancier
cédé la cession de la ou des dettes concernées (96). L'aliénateur est « tenu de remplir son engagement dans les
conditions de l'article 2284 du code civil » (id.). La dette de remboursement de l'aliénateur est garantie par son
patrimoine unique puisqu'il a transféré son patrimoine professionnel, ce dont il suit que son ancien patrimoine
personnel est redevenu son seul patrimoine, dans lequel figure la contrepartie de l'aliénation du patrimoine
professionnel, s'il en a été payé une. Certes, l'aliénateur peut créer une nouvelle entreprise et, ce faisant, être à
nouveau à la tête d'un patrimoine professionnel et d'un patrimoine personnel, mais les créanciers auxquels la
cession est déclarée inopposable à la suite de leur opposition sont des créanciers antérieurs à la constitution du
nouveau patrimoine professionnel : ils ont donc, et conserveront, pour gage général l'ensemble des biens de
l'aliénateur (C. com., art. L. 526-23 ). Ainsi, l'inopposabilité du transfert du patrimoine professionnel au(x)
créancier(s) opposant(s) dont la demande conduit au remboursement des créances concernées se traduit-elle par un
changement de l'assiette de leur droit de gage général : plutôt que de suivre le patrimoine professionnel dans les
mains de l'acquéreur, le créancier dont l'opposition est acceptée a pour assiette de son droit de gage général le
patrimoine unique reconstitué de l'aliénateur.

La constitution des garanties offertes par l'acquéreur et jugées suffisantes par le juge permet de rendre la cession de
dette ou de position contractuelle opposable aux créanciers concernés.

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33. Inaliénabilité du patrimoine personnel. Seul est cessible le patrimoine professionnel. Le patrimoine personnel
demeure inaliénable, d'une part, parce qu'il n'est pas une entreprise, d'autre part, parce que la libre cessibilité de
tous les patrimoines d'un entrepreneur individuel ouvrirait la possibilité qu'une personne se trouve dépourvue de
tout patrimoine. Ce qui reviendrait à l'exclure du commerce juridique. Le patrimoine personnel est indéfectiblement
lié à la personne de l'entrepreneur individuel. Toute personne a, au moins, un patrimoine.

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