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V otre patron avait raison.

tout
se passe à un niveau « vul-
gaire et subalterne -. Je pense
cinéaste comme d'autres sont juifs ou
noirs, je commençais à en avoir
marre d'aller chaque fois vous voir
DENIS qu'il songeait aux princes qui nous et de vous demander d'intercéder
DIDEROT gouvernent en déclarant ça. Heureu- auprès de vos amis Roger Frey et
sement pour nous, puisque nous Georges Pompidou pour obtenir la
sommes des intellectuels, vous, Di- grâce d'un film condamné à mort
derot et moi, le dialogue peut s'en- par la censure, cette gestapo de l'es-

Lettre à gager à un échelon supérieur. Je ne


suis pas tellement sûr d'ailleurs, cher
André Malraux, que vous compreniez
prit. Mais Dieu du ciel, je ne pensais
vraiment pas devoir le faire -pour
votre frère, Diderot, un journaliste

André Malraux quelque chose à cette lettre. Mais


comme vous êtes le seul gaulliste
que je connaisse, il faut bien que
et un écrivain comme vous, et sa
« Religieuse ma soeur, c'est-à-dire
un citoyen français qui prie simple-
ma colère tombe sur vous. ment notre Père de protéger son in-
par Jean-Luc Godard Et après tout, ça tombe bien. Etant
dépendance.
Aveugle que j'étais I J'aurais dû

ANNA KARINA DANS LE ROLE DE SUZANNE SIMONIN

Ceux par qui le scandale de (da Religieuse), arrive

commission de pré-censure. Mais lui dit en substance irrespectueusement, « les biquettes »


D epuis des années, Jacques Ri- Père Motte
vette voulait faire un film de avant, on prend quelques précautions. « Allez et tournez en paix I » — et qui sont groupées en trois asso-
« la Religieuse » de Diderot. Georges de Beauregard rencontre le Le tournage commence et commen- ciations : les religieuses enseignantes,
En 1962, il trouve un producteur, Père Lepoutre, qui a déjà été conseil- cent, en même temps, les manoeuvres les religieuses hospitalières, les reli-
M. Schlumberger. Il soumet une pre- ler pour le film e Léon Morin, prê- souterraines, la cabale des bien-pen- gieuses éducatrices paroissiales.
mière adaptation à la commission de tre », et Jean d'Ormesson qui est sants, la cabale des dévots. Ce n'est
« pré-censure » : celle-ci donne un chargé des problèmes culturels à la pas un hàsard si M. Frédéric-Dupont,
avis défavorable ; tel qu'il est, le film commission de censure. Ils lui lais- ex-député parisien des concierges, est « Chère ancienne... »
risque d'être interdit. On laisse sent entendre qu'au prix de petites le premier à attaquer. Maurice Pa- Les « patronnes » des trois asso-
tomber. . modifications, il pourra tourner. Trois pon, le préfet de police, vole à son ciations sont réunies dans une asso-
semaines avant de s'y mettre, le secours et, après lui, M. Alain Peyre- ciation unique : l'Union des supé-
« Tournez en paix » 25 septembre 1965, Rivette va en- fitte, alors ministre de l'Information rieures majeures. Ce sont elles qui
En 1963, un autre producteur, core trouver le R.P. Motte, supé- ce film ne sortira pas, on y veille ! vont sonner le branle-bas. Pàs toutes
M. de Beauregard, reprend le projet. rieur des franciscains. Tout se passe Cela, c'est ce qu'on sait et nous en quelques-unes seulement que l'on ren-
Adaptée pour le théâtre, « la Reli- bien. Le Père Motte, pas enchanté avons déjà parlé. Ce qu'on sait moins, contre souvent dans les salons,
gieuse » a été jouée au Studio des du projet, fait des réserves sur cer- c'est que ces cris officiels sont provo- mêlées à de grandes bourgeoises dont
Champs-Elysées, sans déclencher de tains points : il souhaite avant tout qués par l'action de certains groupes
- Mme Yvon Bourges qui s'est, dit-on,
scandale. que le film soit daté et que l'on pré- catholiques. En premier lieu, par les beaucoup démenée dans cette affaire.
Pour tourner le film, il faut de cise bien à quelle époque l'histoire se religieuses — que, dans les collèges Personne n'avait vu le film pour la
nouveau soumettre le scénario à la passe. Lorsque Rivette le quitte, le libres, les élèves appellent parfois, bonne raison qu'il n'était pas terminé,

Page 38 6 avril 1966

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