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Neurologie
Partie I – Module 6 – Q 65

Bases neuro-physiologiques
et évaluation d’une douleur
aiguë et chronique
Dr Joseph MAARRAWI, VOIES ET CENTRES NERVEUX
Dr Patrick MERTENS, Pr Marc SINDOU DE LA NOCICEPTION
Service de neurochirurgie A Les systèmes sensitifs et sensoriels ont pour rôle d’in-
Hôpital Pierre-Wertheimer former les centres nerveux de l’état de l’environnement
69394 Lyon Cedex 03
extérieur et du milieu intérieur. Ainsi, la sensibilité
josephmaarrawi@aol.com
douloureuse ou nociception met en jeu des structures
anatomiques permettant de détecter, percevoir et réagir à
des stimulations potentiellement nocives. Ces dernières
Points Forts à comprendre créent un « message nociceptif » qui est transmis des
récepteurs périphériques aux centres nerveux supérieurs
sous la forme d’un influx nerveux franchissant plusieurs
• Les fibres nerveuses Aδδ transmettent
relais. Des systèmes de régulation inhibiteurs et facilita-
une douleur rapide, précise, à valeur localisatrice
teurs modulent ce message nociceptif en permanence.
tandis que les fibres nerveuses C transmettent
La notion de douleur comporte 3 composantes – sensori-
une douleur retardée, sourde et moins localisée.
discriminative, affective et cognitive – liées à l’arrivée
• Le message douloureux est soumis constamment
du message nociceptif dans le cortex somesthesique,
à des modulations, principalement au niveau
préfrontal et limbique.
de la corne dorsale de la moelle.
• Les voies cordonales dorsales et lemniscales
Voies anatomiques
exercent un contrôle inhibiteur sur les voies
extralemniscales spino-réticulothalamiques. Elles sont décrites successivement de la périphérie
• Les voies descendantes bulbo-spinales jusqu’aux centres supérieurs.
inhibitrices de la transmission nociceptive
sont à neurotransmission noradrénergique 1. Nocicepteurs
et sérotoninergique. Ils sont retrouvés aux niveaux cutané, musculaire,
• L’anatomophysiologie classe les douleurs articulaire et viscéral.
en douleurs par excès de nociception Ce sont des terminaisons libres de fibres nerveuses
et douleurs neuropathiques, ces dernières sensibles à une stimulation nociceptive, c’est-à-dire de
étant secondaires à des lésions forte intensité. Les nocicepteurs sont de 2 types :
des voies nerveuses. – les mécano-nocicepteurs sont des terminaisons qui
• Une douleur entretenue entraîne un cercle répondent à des stimulations mécaniques intenses;
vicieux physiologique et neurochimique – les nocicepteurs polymodaux sont des terminaisons
pouvant la rendre chronique d’où la nécessité qui répondent à des stimulus mécaniques intenses,
d’un traitement précoce de la douleur. thermiques (< 18 °C, > 45 °C) et (ou) chimiques (de
substances « algogènes »).
Ils assurent la transduction qui est la transformation du
message nociceptif en influx nerveux.
l existe 2 types de douleur : la douleur aiguë ou 2. Fibres périphériques

I douleur-symptôme, qui est une alerte devant une


agression et qui constitue un guide pour le diagnostic
étiologique ; la douleur chronique ou douleur-maladie
L’influx nerveux nociceptif emprunte dans les nerfs
sensitifs 2 types de fibres.
• Les fibres myélinisées Aδ, de faible calibre, assurent
qui, en épuisant le patient, devient une véritable maladie une conduction nerveuse de 4 à 30 m/s responsable
en elle-même. d’une douleur rapide, précise à valeur localisatrice.

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• Les fibres C, non myélinisées, assurent une conduction – le contingent paléo-spino-réticulo-thalamique se pro-
nerveuse inférieure à 2 m/s responsable d’une douleur jette au niveau de la réticulée de façon diffuse géné-
retardée, sourde et moins localisée. rant une réaction d’éveil. À ce niveau, se font des
synapses avec les noyaux des nerfs crâniens et les
3. Corne dorsale spinale
centres végétatifs du tronc. Par la suite, les projections
L’influx nerveux nociceptif transite par les cellules se font vers les noyaux médians du thalamus pour
bipolaires du ganglion rachidien (protoneurone), situé gagner ensuite : l’hypothalamus – une voie directe
au niveau de la racine dorsale du nerf spinal qui se spino-hypothalamique est envisagée (réaction végéta-
connecte dans la corne dorsale de la moelle avec le deu- tive de la douleur) – ; le striatum (réactions motrices
toneurone (neurone situé dans les couches I à V de automatiques et semi-automatiques à la douleur) ; le
Rexed). Au niveau de la zone d’entrée de la racine cortex préfrontal (sensation de souffrance soutenant la
dorsale dans la moelle (DREZ pour dorsal root entry zone), composante affective) ; le cortex limbique (mémorisation
il existe une organisation spatiale des fibres sensitives : et genèse de comportements de protection assurant la
les fibres fines nociceptives se placent dans la région composante cognitivo-comportementale).
ventro-latérale de cette zone pour se rendre à travers le À l’étage encéphalique, il y a une interaction entre les
tractus de Lissauer aux couches superficielles de la projections nociceptives et les autres fonctions corticales
corne dorsale. Les fibres à destinée cordonale dorsale se et sous-corticales : l’anticipation (attention dirigée vers
disposent dans la région dorso-médiane. la douleur) de la douleur ou l’anxiété majorent le vécu
Il existe des collatérales des protoneurones qui entrent douloureux alors que la distraction (attention dirigée
en contact avec la colonne végétative de la moelle et la ailleurs) a un effet inverse. Le stress induit une analgésie
corne antérieure, responsables des réactions végétatives probablement par médiation endorphinique. Des observations
et motrices à la douleur. cliniques en pathologie humaine ont permis d’observer
4. Voies ascendantes la recrudescence de douleurs anciennes (réactivation
cognitive) dans certaines atteintes neurologiques centrales.
Les axones des neurones nociceptifs de la corne dorsale
croisent la ligne médiane (décussation) et se dirigent Mécanismes de contrôle
vers le cordon ventrolatéral controlatéral de la moelle
pour former le faisceau spino-réticulo-thalamique. Ce Le message nociceptif est constamment modulé, de telle
dernier se divise en 2 contingents. façon qu’un même stimulus nociceptif est perçu diffé-
• Dans le contingent superficiel et latéral, le faisceau remment chez le même sujet en fonction de l’état de
néospinothalamique à conduction rapide, paucisynaptique modulation à un moment donné. Ces systèmes de
(peu de synapses) et à organisation somatotopique se projette contrôle et de régulation sont, dans l’état actuel des
sur le noyau somesthésique ventro-latéral du thalamus. connaissances, les suivants.
• Dans le contingent profond et médial, le faisceau • Dans le système de porte (gate control) spinal, les
paléospino-réticulothalamique, à conduction lente, avec fibres myélinisées de gros calibre Aβ exercent une
de nombreux relais synaptiques et sans organisation action inhibitrice sur les informations nociceptives par
somatotopique se projette largement et bilatéralement l’intermédiaire de collatérales nées aussitôt après leur
au niveau de la réticulée du tronc cérébral. entrée dans la moelle et destinées à la corne dorsale.
D’autres voies transmettant le message nociceptif en • Le système endorphinique spinal est constitué par de
dehors du faisceau spino-réticulo-thalamique ont été petits interneurones endorphiniques dont la mise en jeu
mises en évidence mais seulement chez l’animal : faisceau provoque une inhibition puissante de la nociception
spino-cervico-thalamique, conduction post-synaptique dans la corne dorsale.
du cordon dorsal, faisceau spino-hypothalamique… • Des voies descendantes inhibitrices prennent naissance
essentiellement dans la partie rostroventrale du bulbe et
5. Centres supérieurs descendent en direction de la corne dorsale où elles
• Au niveau du thalamus, le faisceau néospinothalamique exercent leurs actions inhibitrices par l’intermédiaire
se projette dans le noyau ventro-postéro-latéral, rejoignant d’une libération de sérotonine ou de noradrénaline dans
la voie lemniscale. Le faisceau paléospino-réticulo- la corne dorsale.
thalamique se projette dans les noyaux médians intra- • Dans le système inhibiteur thalamique, le noyau reti-
laminaires qui constituent un prolongement de la substance cularis thalamique semble inhiber les voies nociceptives.
réticulée. • Le système de contrôles inhibiteurs diffus a pour but
• Les projections cérébrales sont les suivantes : de mettre en relief un message nociceptif en augmentant
– les projections de la voie néo-spinothalamique se font le rapport stimulus sur bruit de fond par inhibition de
dans le cortex sensitif du gyrus pariétal post-central tous les autres messages.
assurant la composante sensori-discriminative de la Face à cette conception de 2 grands systèmes anatomiques,
douleur. Il a été suggéré récemment, d’après des l’un véhiculant les influx douloureux, l’autre chargé de leur
études d’imagerie fonctionnelle et d’enregistrements contrôle, il est facile de comprendre qu’il existe 2 princi-
intracérébraux, qu’un cortex somesthésique recevant paux types de douleur : douleurs par excès de nociception
des informations nociceptives se situe au niveau de la par hyperstimulation du système nociceptif et douleurs
partie postéro-supérieure de l’insula ; neuropathiques par atteinte des voies nerveuses.

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Neurologie

MÉCANISMES NEUROPHYSIOLOGIQUES
ET NEUROCHIMIQUES DE LA NOCICEPTION

Voie spino-réticulothalamique
Contrôles centraux

Naissance du message douloureux


La transduction est la transformation d’un stimulus à Fibres Aβ
caractère nociceptif en influx nerveux par les noci-
cepteurs périphériques dont l’activation se fait de 2 façons : +
directe par le stimulus et indirecte par des facteurs chimiques + –
appelés aussi substances algogènes. Ces dernières consti-
Neurone
tuent la « soupe périphérique ». Elles sont de 3 types :
convergent
excitatrices (sérotonine, histamine, interleukines, K+…) ;
sensibilisatrices rendant les nocicepteurs plus excitables + +
(substance P, prostaglandine, leucotriènes…) ; mixtes Fibres Aδ et C +
(bradykinine…). Leur origine est multiple : tissus péri-
phériques, plasma et fibres nerveuses. Ces substances
constituent la cible pharmacologique de certains antalgiques 1 Théorie de la porte.
d’utilisation courante comme les anti-inflammatoires
non stéroïdiens dont l’action serait d’inhiber la synthèse
des prostaglandines. Leur multiplicité rend compte de la
difficulté à trouver un seul médicament qui soit capable diffusant l’information douloureuse aux métamères voisins.
de bloquer complètement la transduction. La corne dorsale est le siège d’une modulation importante
Ces nocicepteurs possèdent plusieurs propriétés : seuil du message nociceptif illustrée par la théorie du portillon
d’activation élevé, décharge (production d’influx nerveux) qui a été initialement décrite par Melzack et Wall (fig. 1).
proportionnelle à l’intensité du stimulus et phénomène Les voies lemniscales (cordonales dorsales) exercent un
de sensibilisation. Ce dernier phénomène, résultant de contrôle inhibiteur sur les voies extralemniscales spino-
l’action de la « soupe périphérique » sur les nocicepteurs, thalamiques. Ainsi, les fibres Aβ envoient des collatérales
aboutit à une diminution de leur seuil, une augmentation inhibitrices vers les neurones convergents de la voie spino-
de la fréquence de leur décharge et une apparition de thalamique. Cette inhibition est, semble-t-il, médiée par
décharges spontanées (sans stimulus). Des nocicepteurs des interneurones GABA-ergiques et glycinergiques.
silencieux peuvent être activés par une stimulation noci- Selon la prédominance des influx excitateurs ou inhibiteurs,
ceptive prolongée. Donc, une douleur entretenue aboutit la porte est ouverte ou fermée et le message nociceptif
à une modification dès la périphérie de la transmission franchit ou non ce portillon. La neurostimulation trans-
nociceptive dans le sens d’une facilitation et d’une exa- cutanée ou médullaire à haute fréquence et faible intensité
gération, d’où l’intérêt pratique d’un traitement précoce dans le traitement de certains types de douleur a ainsi
de la douleur pour éviter ces phénomènes. pour but de fermer la porte de la corne dorsale.
La stimulation répétée des fibres nerveuses provoque au Au niveau de la corne dorsale, existe une convergence de
niveau de leurs collatérales une libération rétrograde (en projection des fibres afférentes primaires en provenance
périphérie) de neurotransmetteurs comme la substance P de la peau, des muscles, des articulations et des viscères
et des substances algogènes. Ce réflexe classiquement sur le même neurone (fig. 2). Comme le cerveau possède
dit « d’axone » (en fait de dendrite), traduit par une vaso- une meilleure représentation somatotopique pour la
dilatation locale, induit une inflammation neurogène peau que pour les tissus et organes situés en profondeur,
participant ainsi au cercle vicieux d’amplification du ce phénomène de convergence aboutit à une sensation de
message douloureux en « tache d’huile ».

Modulation au niveau de la corne


dorsale de la moelle
Le 1er relais des voies nociceptives s’effectue au niveau
de la corne dorsale, là où le message douloureux subit
une modulation importante. Ainsi, les axones des fibres Peau
afférentes primaires (FAP) nociceptives font relais soit
avec des neurones nociceptifs spécifiques (principalement
couche I) qui ne déchargent qu’à partir d’un certain Muscle
seuil, soit avec des neurones nociceptifs non spécifiques
(principalement couches V ou VI) qui accroissent leurs Vaisseau
décharges en fonction de l’intensité du stimulus.
Les fibres afférentes primaires nociceptives envoient des
collatérales aux étages sus- et sous-jacents (1 à 2 niveaux 2 Convergence des fibres afférentes primaires au niveau de
de chaque côté) formant ainsi le tractus de Lissauer et la corne dorsale.

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Stimulation des nocicepteurs


(terminaisons libres)
STIMULUS NOCICEPTIFS
(mécaniques, thermiques,
chimiques…)

LÉSIONS TISSULAIRES « SENSITIZATION »

Libération du K+ intracellulaire

Libération de prostaglandines E

Formation de bradykinines (sous l’action


de protéases et d’α2 globulines plasmatiques)

Libération d’amines (histamine, sérotonine)


} INFLAMMATION
Abaissement du seuil
des terminaisons libres et adjacentes

3 Mécanismes neurochimiques de la douleur.

douleur dans le territoire cutané du neurone convergent, avec une baisse du seuil de décharge des neurones noci-
innervant un viscère malade et expliquant les douleurs ceptifs et une augmentation de leurs champs récepteurs
référées: douleur ressentie au territoire C8 de l’infarctus périphériques, d’où l’intérêt d’un traitement précoce
du myocarde, douleur à l’épaule droite de la cholécystite, pour éviter l’hyperalgésie (excès de perception doulou-
douleur au point de McBurney de l’appendicite, dorsalgies reuse) secondaire.
de la pancréatite… Dans la corne dorsale, les interneurones endorphiniques
Quant aux mécanismes neurochimiques (fig. 3), la agissent sur les récepteurs morphiniques µ, δ et κ qui
substance P a été longtemps considérée comme étant sont retrouvés aux niveaux pré- et post-synaptique des
le neurotransmetteur de la douleur. En réalité, la neuro- fibres afférentes primaires nociceptives. Leur effet est
transmission nociceptive de la corne dorsale fait intervenir une inhibition puissante de la transmission du message
bien d’autres médiateurs, en particulier les acides aminés nociceptif par diminution du calcium (Ca++) intra-
excitateurs : le glutamate et l’aspartate qui agissent sur cellulaire présynaptique bloquant ainsi la libération de
les récepteurs post-synaptiques AMPA (α-amino- neuromédiateurs et par inhibition des canaux sodiques et
3-hydroxy-5-methyl-4-isoxazole propionate acid) et stimulation des canaux potassiques en post-synaptique
N-méthyl-D-aspartate. La substance P agit sur son induisant ainsi une hyperpolarisation inhibant la trans-
récepteur NK1. La neurotransmission à ce niveau est mission nociceptive. L’administration intrathécale de
soumise à un phénomène de sensibilisation qui facilite morphine à travers un cathéter relié à une pompe constitue
et amplifie le message nociceptif aboutissant à une une modalité thérapeutique dans certains types de douleurs
hyperalgésie secondaire. Il existe une coopération entre chroniques surtout cancéreuses.
les divers neurotransmetteurs, par interaction entre leurs
récepteurs en particulier entre le récepteur NK1 et le Contrôle thalamique
récepteur AMPA d’une part et le récepteur N-méthyl-D-
aspartate d’autre part. Des stimulations répétées induisent Au niveau du relais thalamique, une modulation du message
un cercle vicieux faisant intervenir les prostaglandines douloureux se fait par le biais du noyau reticularis situé
et le monoxyde d’azote qui renforcent la libération en périphérie latérale du thalamus. Ainsi, il a été décrit
d’acides aminés excitateurs. Un intérêt pratique de cette une boucle comportant une voie thalamo-corticale, puis
neurochimie de la corne dorsale est la découverte d’un une voie de rétrocontrôle cortico-thalamique vers le
antagoniste du récepteur N-méthyl-D-aspartate, la noyau reticularis qui exerce un effet inhibiteur sur la
kétamine, qui est un produit antalgique puissant utilisé voie nociceptive ascendante par le biais d’interneurones
en anesthésie. GABA-ergiques. L’effet antalgique de la neurostimulation
Au niveau de la corne dorsale comme en périphérie, une corticale, utilisée dans le traitement de certaines douleurs,
stimulation nociceptive continue induit un cercle vicieux peut être dû en partie à cette voie inhibitrice.

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Neurologie

MÉCANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES
Sites opiacés DES DOULEURS CHRONIQUES
endomorphines

Si l’on écarte les douleurs psychogènes qui sont le plus


NDR
Pédoncule souvent une sommation entre une « épine irritative »

+
organique (souvent peu grave) et des phénomènes d’am-
plification psychologique, les douleurs chroniques
Pont ? comportent les douleurs par excès de nociception et les
douleurs neuropathiques.
LC
Bulbe + NGC
NRM + Douleurs par excès de nociception

PS RT • L’hyperalgésie primaire correspond à une ampli-


fication périphérique du message nociceptif qui est due
à une augmentation de décharges des nocicepteurs
Aβ – – (amplification de leurs réponses aux stimulus doulou-
Aδ-C reux), à un abaissement de leurs seuils de déclenche-
+

TDL
ment et à un cercle vicieux de la neurochimie périphé-
rique qui provoque une libération accrue de médiateurs
avec leurs effets excitateurs et sensibilisateurs (sur les
nocicepteurs).
• Le réflexe de dendrite (dit « d’axone »), déclenché
4 Contrôle descendant inhibiteur de la nociception. par la stimulation répétée des fibres afférentes primaires
nociceptives, induit une inflammation neurogène
périphérique due aux substances sécrétées en périphérie
par les fibres nerveuses nociceptives de façon rétro-
Contrôle descendant inhibiteur (fig. 4) grade : substance P (SP), CGRP (calcitonine gene related
peptide)… Ces substances renforcent le cercle vicieux
Ce sont les voies bulbospinales prenant naissance au
périphérique.
niveau de la partie rostro-ventrale du bulbe et sous le
• Le système nerveux sympathique peut participer à
contrôle de la substance grise péri-aqueducale. Ainsi
l’entretien de certains types de douleurs par le biais de la
cette dernière, à neurotransmission opioïdergique, stimule
sécrétion de noradrénaline. En effet, il a été démontré
les noyaux de la partie rostro-ventrale du bulbe qui à
leur tour inhibent la transmission nociceptive de la corne que la stimulation répétée des fibres afférentes primaires
dorsale par des projections bulbo-spinales dont la neuro- nociceptives provoque à leur niveau une augmentation
transmission est essentiellement noradrénergique et des récepteurs à la noradrénaline, ce qui les rend plus
sérotoninergique. Les noyaux de la partie rostro-ventrale sensibles à cette dernière. Deux entités ont été décrites
du bulbe qui sont impliqués sont : le noyau raphé magnus, pour lesquelles le système nerveux sympathique joue un
les noyaux gigantocellulaire et para-gigantocellulaire, le rôle physiopathologique : les complex regional pain
locus cœruleus et le locus sub-cœruleus. Cette voie des- syndrome de types I et II. Le type I correspond à l’algo-
cendante inhibitrice représente une cible thérapeutique dystrophie et le type II à la causalgie. Ce sont des
dans certains types de douleurs neuropathiques : ainsi, syndromes où la douleur, de type brûlure, s’accompagne
les antidépresseurs (tricycliques) inhibiteurs de la recapture de troubles vasomoteurs ainsi que de troubles de la
de la sérotonine et de la noradrénaline exercent leurs effets sudation et de troubles trophiques.
antalgiques par le biais du renforcement de cette voie. • La contraction motrice réflexe à la douleur aggrave
les phénomènes douloureux. L’arc réflexe se fait entre les
collatérales des fibres afférentes primaires nociceptives
Contrôles inhibiteurs diffus
et la corne ventrale de la moelle.
C’est un système dont la finalité est d’extraire le message • L’hyperalgésie centrale est liée à la douleur chronique
nociceptif des autres stimulus permettant de le mettre en qui entraîne une augmentation de la décharge des neurones
relief. Le principe est celui d’une augmentation du rapport convergents spinaux, un abaissement de leurs seuils de
stimulus sur bruit de fond en inhibant les autres messages. réponse et une augmentation de leurs champs récepteurs.
Ainsi, une douleur en éteint une autre et la plus intense Ces phénomènes sont surtout dus au cercle vicieux de la
est la mieux perçue. Celle de moindre intensité est perçue neurochimie de la corne dorsale faisant intervenir les
lorsque la 1re est contrôlée. Ce système est sous la dépen- récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA). De même,
dance du noyau subreticularis dorsalis du bulbe. La morphine l’augmentation post-synaptique d’ions calcium aboutit à
inhibe ce système, par conséquent son effet antalgique des changements géniques créant ainsi une modification
supprime le phénomène de « mise en relief » de la douleur. durable des neurones convergents.

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Douleurs neuropathiques posante affective et psychologique caractérisée par une


perception désagréable engendrant des modifications
Ces douleurs sont consécutives à une lésion du système psychologiques transitoires en douleur aiguë, beaucoup
nerveux soit périphérique, soit central. Plusieurs méca- plus durables en douleur chronique ; une composante
nismes physiopathologiques ont été incriminés. cognitivo-comportementale caractérisée par une mémo-
• Les décharges ectopiques sont des influx nerveux qui risation au niveau central et qui induit des comportements
prennent naissance au niveau des fibres nerveuses d’évitement et de fuites physiologiques en douleur
lésées, par prolifération anormale des canaux ioniques aiguë, mais des comportements pathologiques en douleur
rendant ainsi la dépolarisation de ces neurones plus chronique – toxicomanie, repli sur soi, modification de
facile et même spontanée sans stimulus périphérique. la vie socio-familiale…
• La prolifération anormale des récepteurs adréner- L’évaluation du malade douloureux comprend un
giques (type α1) au niveau des fibres afférentes primaires interrogatoire et un examen clinique.
nociceptives les rend plus sensibles à la noradrénaline
expliquant les douleurs médiées par le système sympa- Interrogatoire
thique.
• L’atteinte des grosses fibres Aβ qui normalement Il précise les antécédents médicaux, chirurgicaux et
ferment la « porte » au niveau de la corne dorsale (gate psychiatriques du patient. Il faut noter la présence
control) aboutit à une « porte » ouverte qui par consé- d’expériences douloureuses antérieures et les comporte-
quent facilite la transmission nociceptive, expliquant ments vis-à-vis de ces dernières.
ainsi certains types de douleurs neuropathiques.
• Les éphapses sont des néosynapses, c’est-à-dire des 1. Histoire de la douleur
connexions aberrantes entre fibres au niveau des zones Il faut préciser la date et le mode de début, avec les
lésées du système nerveux. Cela explique certains types circonstances et les événements de vie concomitants. De
d’allodynie qui correspondent à la perception comme même, il faut noter les modalités de prise en charge
douloureuse d’une stimulation périphérique normale- initiale avec le diagnostic initial et son impact sur le
ment non douloureuse. malade. Le malade est amené à préciser les différents
• La neurochimie de la corne dorsale joue un rôle. La examens effectués et les médecins consultés. L’évolution
stimulation des récepteurs N-méthyl-D-aspartate, ainsi de la douleur ainsi que les différents traitements entrepris
que la sécrétion anormale de prostaglandines et de et leur efficacité constituent des éléments essentiels, la
monoxyde d’azote entretiennent un cercle vicieux de réponse aux grandes classes pharmacologiques des
transmission nociceptive exagérée. antalgiques doit être bien précisée : anti-inflammatoires
• Au niveau cérébral, les mécanismes d’amplification non stéroïdiens, paracétamol, opiacés mineurs (dextro-
nociceptive, devant être également présents, sont propoxyphène, codéine et tramadol), opiacés majeurs
actuellement moins bien connus. (morphine et dérivés) et co-analgésiques (antidépresseurs,
antiépileptiques).

ÉVALUATION DE LA DOULEUR 2. Douleur actuelle


• Chronologie : la durée des épisodes douloureux ainsi
Définie de façon simplifiée dans le dictionnaire Robert que le caractère permanent ou intermittent de la douleur
comme étant une « sensation pénible en un point ou une doivent être précisés. Les variations nycthémérale, men-
région du corps », la douleur , selon la définition de l’IASP suelle ou annuelle sont également notées.
(International Association for the Study of Pain) est • Topographie : le siège de la douleur ainsi que ses
« l’expression d’une expérience sensorielle et émotionnelle irradiations doivent être bien précisés. La topographie
désagréable liée à une pathologie tissulaire existante ou douloureuse doit être dessinée sur un schéma du corps et
potentielle ou décrite en termes de telles lésions ». intégrée dans le dossier médical. Il faut savoir reconnaître
La prise en charge de la douleur nécessite une évaluation les douleurs projetées qui sont ressenties à distance de la
rigoureuse. La douleur aiguë, protectrice, est le reflet zone malade, dans le territoire cutané innervé par le
d’une pathologie sous-jacente : les modalités sensorielles, même métamère que celui dont dépend l’organe malade.
la topographie et l’intensité orientent vers une lésion Il existe 2 types de douleurs projetées : douleur rapportée
tissulaire permettant ainsi un diagnostic et un traitement lorsque la douleur est ressentie dans le territoire innervé
étiologiques. La douleur chronique, quant à elle, présente par un nerf comprimé (compression du nerf sciatique par
un caractère polymorphe : elle a des mécanismes géné- une hernie discale ou au bassin s’exprimant dans le terri-
rateurs qui peuvent être différents, n’est perçue qu’à travers toire du membre inférieur, compression du nerf fémoro-
la subjectivité d’un patient qui souffre, est influencée cutané par le port d’un jeans trop serré s’exprimant au
par des facteurs environnementaux et ne peut être exprimée niveau de la face externe de la cuisse…) ; douleur référée
que par un comportement verbal ou moteur. qui est trompeuse pour un clinicien non averti.
La douleur possède 3 composantes : une composante • Intensité : pour pouvoir quantifier la douleur, plusieurs
physique sensori-discriminative caractérisée par le siège, échelles sont utilisées : échelle visuelle analogique
l’irradiation, l’intensité, la nature et la durée ; une com- (EVA) où l’on demande au patient de montrer sur une

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Neurologie

réglette sa douleur sur une ligne droite entre l’absence reux ; une hyperpathie, retrouvée surtout dans les dou-
de douleur à gauche et la douleur maximale imaginable leurs de type neuropathique central, qui se caractérise
à droite. L’examinateur peut alors lire sur le verso de par une exagération de la perception douloureuse
cette réglette un chiffre allant de 0 à 10 (que le malade lorsque le stimulus est répétitif (sommation temporelle)
ne voit pas) ; échelle numérique simple (ENS) qui ou étendu (sommation spatiale). La réponse douloureuse
consiste à demander au malade de coter sa douleur par augmente en devenant intolérable et persiste après l’arrêt
un chiffre allant de 0 (absence de douleur) à 10 (douleur de la stimulation.
maximale imaginable). Ces échelles, certes subjectives, L’atonie psychomotrice est une expression de la douleur
permettent au clinicien d’avoir une idée de l’intensité de qui n’est pas rare. Elle est particulière à l’enfant et le
la souffrance du malade et de suivre l’évolution de cette risque est de méconnaître la souffrance à cet âge : l’enfant
dernière en fonction du temps et des thérapeutiques est passif, triste, confiné au lit avec une gesticulation
essayées. très pauvre et une hostilité sourde.
• Description qualitative : la douleur étant perçue à Les douleurs neuropathiques associent souvent 2 types
travers une subjectivité et un impact sensoriel et émo- de composantes douloureuses.
tionnel, plusieurs échelles ont été conçues pour couvrir Les douleurs spontanées sont de 2 types souvent associés
ces aspects de la douleur : échelle de description verbale douleur de fond à type de brûlure, d’arrachement ou de
de la douleur ressentie avec des items sensoriels et émo- dysesthésie et les accès paroxystiques de douleurs fulgu-
tionnels (questionnaire de St-Antoine), échelles de rantes à type d’élancements ou de décharges électriques.
qualité de vie avec impact de la douleur sur celle-ci. Les douleurs provoquées sont à type d’allodynie et
• Circonstances de déclenchement et facteurs modi- d’hyperalgésie.
fiant la douleur dans les deux sens : stress, anxiété,
dépression, détente…
• Répercussions comportementales : les prises médica- POUR EN SAVOIR PLUS
menteuses sont précisées ainsi qu’un éventuel compor- Albe-Fessard D. La douleur, ses mécanismes et les bases de ses
tement d’addictif. Les répercussions de la douleur sur traitements. Paris : Masson, 1996 : 201 pp.
les activités, le travail, les loisirs, le sommeil ainsi que le ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la
comportement du malade vis-à-vis de la douleur sont santé). Évaluation et suivi de la douleur chronique chez l’adulte en
notées. Il faut rechercher une symptomatologie anxieuse médecine ambulatoire. Service des recommandations et références
et (ou) dépressive. professionnelles, février 1999. www.anaes.fr
• Contextes familial et social : la vie conjugale, familiale, Sindou M, Mertens P, Keravel Y. Neurochirurgie de la douleur (I).
de relation ainsi que le contexte socio-professionnel et Encycl Med Chir (Elsevier, Paris), Neurologie, 17-700-B-10, 1996, 5p.
les éventuels conflits juridiques sont des éléments
importants dans l’évaluation d’un malade douloureux.
La notion de « bénéfice secondaire » à la douleur est à Points Forts à retenir
prendre en compte.
• Contexte psychologique : il est évalué si nécessaire
par un psychologue ou un psychiatre. De même, les • Cliniquement, il existe 2 grands types
interprétations personnelles du malade vis-à-vis de sa de douleur : douleur aiguë ou douleur-symptôme
douleur sont prises en compte. et douleur chronique ou douleur-maladie.
• La douleur comporte 3 composantes :
Examen clinique sensori-discriminative, affective et cognitivo-
comportementale.
Il débute par une observation du patient avec ses • Les douleurs projetées peuvent être trompeuses
mimiques, sa mobilité spontanée, sa façon de se lever, pour un clinicien non averti.
de s’asseoir, de se mouvoir, ses attitudes antalgiques, ses • Dans la prise en charge optimale de la douleur
soupirs et ses plaintes. chronique, on commence par écouter la plainte
L’examen clinique comporte l’inspection de la zone du patient pour se rendre compte de la réalité
douloureuse avec l’aspect de la peau, sa couleur et du vécu douloureux subjectif, comprendre les
l’éventuelle présence de troubles vasomoteurs. Les mécanismes physiopathologiques prédominants
attitudes antalgiques et les contractures musculaires sont chez un malade donné afin d’orienter d’éventuels
notées. Cet examen est complété par un examen neuro- examens paracliniques et de choisir la prise
logique comportant en particulier l’appréciation de la en charge adéquate qui peut nécessiter
motricité et de la sensibilité à la recherche d’une anesthésie parfois l’aide d’un psychothérapeute
ou d’une hypoesthésie soit globale soit dissociée, de ou d’un psychiatre. Il faut toujours se rappeler
type thermo-algique. On peut retrouver une hyperalgésie que la douleur est vécue à travers une subjectivité
qui est une réponse augmentée à un stimulus normalement qui, malgré le fait qu’elle soit à contre-courant
douloureux ; une allodynie qui se caractérise par une de la rationalité scientifique, doit être prise
sensation douloureuse secondaire à des stimulus qui en compte par le médecin.
normalement ne doivent pas être perçus comme doulou-

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