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INTRODUCTION
MAÎTRISER L’INCERTITUDE
BIBLIOGRAPHIE
Notes
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Résumé du livre
INTRODUCTION
Chaque fois que vous demandez votre chemin à Google Maps, vous
recourez aux mathématiques. Vous renseignez votre destination et, quelques
secondes plus tard, une série d’itinéraires apparaît sur l’écran de votre
téléphone. Google n’y parvient que grâce au précieux concours des sciences
mathématiques.
Imaginons que les ingénieurs de Google soient assez fous pour faire
calculer les itinéraires par des humains, par exemple les meilleurs
déchiffreurs de cartes routières au monde. Chaque requête lancée sur le
moteur de recherche serait ainsi attribuée à une personne en chair et en os.
Non seulement une telle démarche prendrait un temps infini, mais elle serait
en outre inefficace au possible. L’équipe devrait en effet refaire
régulièrement les mêmes calculs, en particulier pour ceux qui, comme moi,
sont incapables de se souvenir de l’endroit précis où habitent leurs amis.
Idéalement, il faudrait que les employés analysent et enregistrent à l’avance
les itinéraires les plus susceptibles d’être demandés, dans l’éventualité où
quelqu’un en aurait besoin un jour.
Une telle stratégie aurait-elle du sens ? La probabilité qu’un autre
utilisateur souhaite connaître exactement le même trajet que vous est infime
– à moins, par exemple, que vous ne partagiez un dortoir universitaire et
que vos destinations se limitent à quelques bâtiments situés sur le campus.
Mes voisins n’ont pas à se rendre chez mes amis de Perpète-les-Oies dont
j’oublie toujours l’adresse et n’ont – à ma connaissance – aucune intention
d’aller renégocier mes contrats avec mon éditeur. Par conséquent, à moins
que Google ne soit capable de prédire mes trajets au kilomètre près, les
employés devraient presque toujours refaire leurs calculs à chaque nouvel
itinéraire. Et même avec les collaborateurs les plus brillants du monde,
l’opération prendrait un certain temps, pour ne pas dire un temps certain.
Voilà pourquoi nous la confions aux mathématiques. Un ordinateur
calcule le meilleur itinéraire possible, mais utilise pour ce faire des
stratégies complètement différentes des nôtres : il n’est pas capable de
reconnaître les rues sur une photo satellite ni d’évaluer les distances sur une
carte grâce à son échelle. Les systèmes de navigation appréhendent le
monde comme un ensemble de points reliés entre eux par des lignes droites.
D’ailleurs, aussi étrange que cela puisse paraître, l’être humain a lui aussi
recours à cette forme d’abstraction : c’est ainsi que nous représentons les
plans de métro. À titre d’illustration, voici celui de Stockholm.
Plan du métro de Stockholm
Dans cet exemple, Socrate ne dispense son aide qu’en posant des
questions. L’esclave découvre donc par lui-même la clé du problème.
Platon, qui entend par là illustrer une méthode d’apprentissage, affirme que
l’esclave avait déjà la réponse en lui : Socrate n’a fait que le mettre sur la
voie afin qu’il puisse « se souvenir » de la réponse. Platon soutient en effet
que nous avons tous appris les mathématiques dans une autre vie, antérieure
à la nôtre. Cette connaissance réside toujours dans un coin de notre tête, au
fond de notre subconscient. Selon lui, pour appréhender les mathématiques,
il nous suffit de nous rappeler ce que nous savons déjà.
Le raisonnement de Platon semble abracadabrant… et il l’est ! Pour
commencer, il triche dans son approche : en réalité, il dessine d’abord la
réponse, et pose seulement ensuite des questions fermées, de façon à
amener l’esclave là où il veut. L’esclave trouve certes la solution « par lui-
même », mais uniquement parce que toutes les étapes lui sont servies sur un
plateau, dans ce cas précis sous forme de questions. Et que dire de
l’argument selon lequel nous aurions appris les mathématiques dans une
autre vie ?
Cependant, si ce raisonnement est absurde, comment parvenons-nous à
entrer dans le monde des mathématiques ? Les platoniciens d’aujourd’hui
demeurent convaincus que les nombres existent réellement en eux-mêmes,
mais, pour le reste, ils ne parviennent pas à se mettre d’accord. Reste à
savoir s’il y en a au moins un qui détient la vérité. Par ailleurs, tous sont
persuadés que nous sommes capables d’apprendre les mathématiques :
après tout, nous venons d’apprendre, assez facilement et sans aucun
instrument de mesure, comment multiplier par deux la surface d’un carré.
Même le pire des cancres retiendra de son passage à l’école quelque chose
sur les chiffres. Les platoniciens ne sont simplement pas encore parvenus à
expliquer exactement comment cet apprentissage fonctionne, comment
nous nous y prenons pour comprendre ce monde en apparence si
inaccessible et si abstrait.
Mais d’ailleurs, qu’est-ce qui nous fait affirmer que ce monde est à ce
point difficile d’accès ? Platon le pensait, comme quantité de
mathématiciens de son époque. Et beaucoup le disent encore aujourd’hui.
Sommes-nous pour autant censés les croire ? Un grand nombre de
philosophes modernes ont un avis diamétralement opposé. Oublions les
prisonniers dans leur caverne et intéressons-nous un instant… à Sherlock
Holmes.
e
Commençons par l’histoire de Newton. À la fin du XVII siècle,
l’Angleterre était en proie à une terrible épidémie de peste. Assis sous son
pommier, le jeune Isaac parcourait du regard les prés de la campagne
anglaise. Soudain, une pomme lui tomba sur la tête. Newton s’écria :
« Mais bien sûr ! La gravité ! » C’est en tout cas ce que raconte la légende.
Pomme ou pas, la théorie de Newton sur la gravité fut une authentique
révolution. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un lien était
établi entre la chute des objets sur Terre et le mouvement des étoiles et
planètes autour de celle-ci. La suite, nous la connaissons tous : l’idée de
Newton était brillante et n’avait rien d’une théorie farfelue associant deux
concepts sans lien apparent.
Pourtant, tel était bel et bien l’avis de ses contemporains. Newton
parlait de la gravité comme d’une force qui agirait à distance, poussant les
objets les uns vers les autres comme par magie. On accordait alors aux
collisions une place prédominante : l’origine de tout mouvement, pensait-
on, venait des contacts qui s’opéraient entre les objets. Du reste, ce
raisonnement était plutôt logique : comment imaginer que des corps très
éloignés pussent exercer une influence les uns sur les autres ? Comment la
Terre pouvait-elle subir une force d’attraction du Soleil sans entrer en
contact avec lui de quelque façon que ce soit ? Grâce à Einstein, nous avons
désormais la réponse à cette question, mais lorsque Newton a élaboré sa
théorie de la gravité, ce n’était pas encore le cas. Nous n’avions qu’une jolie
formule mathématique, sans aucune preuve de sa véracité.
Nous savons aujourd’hui que Newton avait raison, dans les grandes
lignes en tout cas, grâce aux prédictions qu’il avait faites. En effet, celles-ci
correspondent très bien à ce que nous observons au moyen des instruments
et techniques beaucoup plus précis dont nous disposons aujourd’hui. Mais à
l’époque, rien n’indiquait que cette théorie, qui s’appliquait à la fois à la
Terre et aux autres planètes, prévalait sur les autres. Les valeurs mesurées
par les scientifiques s’en écartaient pour certaines assez conséquemment
(jusqu’à 4 %), mais Newton continuait de la croire meilleure que les autres.
Il faut admettre qu’elle était la plus « esthétique », car la plus simple, tant
du point de vue de la physique que des mathématiques.
L’avenir réserve parfois des surprises. Les physiciens ont continué de
tester la théorie de Newton. Grâce aux instruments actuels, qui sont bien sûr
beaucoup plus performants que tout ce que Newton pouvait utiliser, nous
savons que la marge d’erreur de sa théorie ne dépasse jamais 0,0001 %.
Sans que le principal intéressé n’ait jamais pu en avoir la preuve, il fut donc
bien inspiré d’accorder sa prédilection à une « belle » théorie. Les
prévisions mathématiques de cet homme, sous son pommier anglais, furent
d’une précision d’horloger suisse.
« Coïncidence ! » rétorqueront les sceptiques. Newton aurait-il
simplement eu de la chance, contrairement à tous ces autres mathématiciens
dont on a oublié les noms ? Peut-être, mais force est de reconnaître que
nous n’avons pas affaire à un cas isolé : l’histoire fourmille de ce genre de
« hasards ». Copernic a imaginé le modèle du système solaire que nous
utilisons aujourd’hui : le Soleil au milieu et la Terre en orbite autour de lui.
Son modèle était lui aussi plus « esthétique » – car fondé sur des formules
mathématiques plus simples et plus élégantes – que les autres, tous plus
complexes les uns que les autres, qui faisaient tourner le Soleil autour d’une
Terre centrale. Pourtant, il donnait des résultats plus médiocres. Copernic
avait raison dans les grandes lignes : l’orbite de la Terre a bel et bien la
forme d’une ellipse et non d’un cercle, mais ses prédictions donnaient des
résultats moins bons que les théories plus compliquées qui plaçaient la
Terre au centre du système solaire. Finalement, la théorie la plus simple, la
plus esthétique du point de vue mathématique, était pourtant meilleure.
e
La découverte de Paul Dirac au début du XX siècle fut encore plus
surprenante. Dirac s’intéressait à la mécanique quantique. Tout comme
Newton l’avait fait pour la gravité, cet autre physicien britannique s’était
fixé comme objectif d’expliquer divers phénomènes physiques par une
même théorie. Comme il était d’usage, il se servit d’un modèle
mathématique : une jolie formule aux yeux des scientifiques, qui donnait en
outre des résultats concordant avec les connaissances de l’époque.
Dirac avait toutefois un problème. Son modèle mathématique conduisait
parfois à des prédictions étranges. Le savant s’intéressait notamment à
l’électron, cette petite particule qui tourne autour du noyau de l’atome. Les
physiciens en savaient déjà beaucoup à ce sujet à l’époque et le phénomène
était très bien décrit par la formule de Dirac. Mais selon celle-ci, il devait
exister une autre particule, au comportement exactement contraire à celui de
l’électron. Personne n’en avait encore jamais observé et rien n’avait jusque-
là permis d’en soupçonner l’existence. La formule mathématique de Paul
Dirac apporta un nouvel éclairage.
C’est en tout cas de cette façon que nous voyons les choses aujourd’hui.
e
À l’époque, au début du XX siècle, Dirac et d’autres physiciens ont mis du
temps à comprendre. Dirac a d’abord suggéré que cette mystérieuse
particule inversée était un proton. Les protons étaient en effet déjà connus,
de même que leur charge électrique positive – contraire à la charge négative
des électrons. Mais cette théorie ne collait pas. Beaucoup plus lourds que
les électrons, les protons ne sauraient être leurs exacts contraires. Dirac ne
voyait pas d’autre solution que d’admettre l’existence d’une particule
supplémentaire : un positron ou un antiélectron.
Les mathématiques peuvent donc non seulement simplifier les
problèmes et conduire à de meilleures prédictions, mais aussi aboutir à des
prédictions portant sur des phénomènes encore complètement étrangers à la
connaissance humaine. Séduits par la beauté de la théorie de Paul Dirac, les
scientifiques se sont mis à rechercher cette nouvelle particule. Avec succès :
peu de temps après, Carl David Anderson prouva l’existence des positrons.
Le physicien américain reçut d’ailleurs le prix Nobel de physique en 1936
pour cette découverte. Le positron n’est pas que le contraire d’un électron,
il est la première particule d’antimatière jamais observée.
La physique a connu d’autres découvertes de ce type, d’autres cas où
des prédictions mathématiques d’abord considérées comme loufoques se
sont révélées justes. Vers 1823, le physicien Augustin Fresnel s’intéresse au
comportement de la lumière. Lui aussi découvre une belle formule
mathématique permettant d’expliquer le monde qui nous entoure. Sa théorie
s’applique à la réflexion de la lumière, par exemple dans un miroir.
Comment calculer la direction du faisceau réfléchi ?
Si vous prenez un miroir, la réponse vous semblera évidente : l’angle de
réflexion de la lumière sera égal à l’angle d’incidence. Un miroir reflète la
lumière avec une grande précision. Si vous vous placez juste en face de lui,
il vous renverra votre reflet en ligne droite. En revanche, si vous vous tenez
à gauche du miroir, vous ne verrez pas votre reflet, mais ce qui se situe du
côté droit du miroir, exactement à la même distance. La prédiction est alors
un véritable jeu d’enfant : un miroir réfléchit la lumière de façon
parfaitement prévisible.
Fresnel avait toutefois plus d’ambition : il entendait étudier la réaction
de la lumière lorsqu’elle traverse l’eau ou du verre translucide. Les choses
se compliquent, me direz-vous. Pourtant, la formule proposée par le
physicien n’est guère plus compliquée que celle appliquée aux miroirs. Il
lui a suffi d’y ajouter un symbole. Belle illustration d’une autre formule
mathématique à succès, mais qui s’accompagnait toutefois d’un problème à
l’époque de Fresnel : elle pouvait conduire à des bizarreries, prédisant
parfois un angle de diffraction impossible.
Les mathématiques utilisent des nombres complexes. Des nombres
supplémentaires, en quelque sorte, qui n’ont rien à voir avec la réalité. Des
nombres – du moins c’est ce qu’on pensait à l’époque – qui étaient bien
utiles pour faciliter les calculs, mais qu’on ne prenait pas toujours au
sérieux. Lorsque Fresnel obtint un nombre de ce type à la suite de ses
calculs, il paniqua. Son beau modèle avait produit une ineptie !
Mais il n’abandonna pas pour autant. Au contraire, il se mit en tête de
démontrer que cette ineptie était en réalité… correcte. Et il fut bien inspiré :
ces résultats étranges n’étaient en fait que la « traduction » d’un
comportement lui aussi curieux, mais bien réel, de la lumière. Même si
celle-ci passe de l’eau à l’air, elle reste parfaitement réfléchie, comme si la
surface de l’eau était un miroir. Les formules mathématiques de Fresnel ont
mis au jour un phénomène auquel les physiciens n’avaient pas pensé
jusqu’alors, mais que nous connaissons tous. Observez la réflexion de la
tortue à la surface de l’eau sur l’image qui suit. Ce résultat absurde dont je
vous parlais, ce nombre complexe dont personne ne voulait, est lié à cette
réflexion. Une fois encore, la belle formule mathématique est correcte ; une
fois encore, son étrange résultat met en évidence un élément qui avait
jusque-là été omis.
Les mathématiques démontrent donc leur utilité de diverses façons.
Elles simplifient les problèmes, mais permettent aussi aux physiciens de
faire de nouvelles découvertes. Uniquement parce que ces derniers sont
séduits par la beauté et l’ingéniosité des formules, qui les incitent à en
accepter plus facilement les prédictions. Même quand rien n’en prouve
l’exactitude, les scientifiques s’en tiennent à leurs formules. Souvent à
raison, comme nous l’avons vu à travers ces quelques exemples.
© Brocken Inaglory, 2008.
Reflet d’une tortue à la surface de l’eau
Sous un ciel bleu azur, un homme navigue sur le rio Maici, au cœur de
la forêt amazonienne. Une petite tribu vit sur ses rives. Elle n’entretient que
peu de contacts avec le monde extérieur. Chaque année, l’homme leur rend
visite dans l’espoir de ramener chez lui un maximum de noix du Brésil, de
caoutchouc et de produits naturels divers. Son embarcation est remplie de
ses habituelles « monnaies d’échange » : du whisky et du tabac. Lorsque
l’ivresse des membres de la tribu est à son comble, il arrive qu’ils offrent en
plus, contre une bouteille de whisky supplémentaire, une nuit d’intimité
avec l’une de leurs femmes ou de leurs filles.
Chacun y trouve ainsi son compte, car il faut reconnaître qu’il n’est pas
aisé de faire du commerce avec les Pirahãs. De fait, après deux cents ans de
troc, ils ne connaissent toujours pas plus de quelques mots portugais, qui
suffisent heureusement au marchand pour obtenir ce dont il a besoin, à un
prix défiant toute concurrence. Bien que les échanges ne soient pas régis par
une implacable logique : un jour, les habitants lui proposent un seau entier
de noix contre une cigarette ; la fois suivante, ils ne voudront pas en donner
plus d’une poignée contre une cartouche complète. Pour le reste, toute
l’opération se déroule de manière très simple. Les Pirahãs montrent les
marchandises du doigt, jusqu’au moment où l’étranger leur fait comprendre
qu’ils sont trop gourmands.
Il faut dire que cette tribu a une manière particulière de voir les choses.
Les Brésiliens acceptent difficilement l’idée de ne pas connaître à l’avance
le prix auquel ils vendront leur marchandise ; cette préoccupation s’avère
bien moins embarrassante pour les Pirahãs, qui ne connaissent pas les
nombres. Ils n’utilisent pas de prix fixe : ils en seraient bien incapables et
ne voient d’ailleurs aucune bonne raison de le faire, ce qui ne les empêche
pas de savoir à qui faire confiance – ou non – dans leurs échanges
commerciaux avec l’extérieur. Chacun sait quel commerçant est honnête et
quel autre tente constamment de leur acheter les marchandises en dessous
de leur valeur. C’est ce qu’explique Daniel Everett, linguiste et
anthropologue, qui a vécu pendant des années avec les Pirahãs. Il est même
l’une des seules personnes sur terre à parler à la fois le Pirahã et une autre
langue.
Dan Everett a découvert que les Pirahãs n’avaient pas de mots pour
désigner les nombres. Ils parlent de « petites quantités » ou de « grandes
quantités », mais n’ont même pas de mot pour désigner le chiffre « 1 », tout
comme ils n’ont pas d’équivalent du mot « rouge » ou de forme
grammaticale pour exprimer le passé. Les Pirahãs sont ainsi l’une des très
rares communautés d’êtres humains à ne pas du tout utiliser les
mathématiques. De plus, à l’instar de quelques autres langues, la leur, le
pirahã, n’a aucun mot pour décrire les lignes droites, les angles et la plupart
des autres figures géométriques. En résumé, les maths sont complètement
absentes de leur langage. Dans la mesure où cette discipline n’existe que
depuis cinq mille ans, on peut partir du principe que cette communauté hors
du commun nous offre un regard unique sur notre passé.
Les différences culturelles entre les Pirahãs et notre société occidentale
sont énormes. Ils ne se soucient ni de l’heure qu’il est ni de la valeur des
choses, et encore moins de l’argent qu’il leur reste pour finir le mois.
D’ailleurs, ils ne connaissent pas l’argent : leurs échanges se limitent
exclusivement au troc. Ce mode de vie n’est possible qu’en petits groupes,
au sein desquels chaque membre de la communauté connaît les autres. Ils
ne se soucient que des vivants et ne tiennent pas d’arbres généalogiques.
Les ancêtres sont « oubliés » dès le moment où tous ceux qui les ont connus
sont morts. La vie des Pirahãs se concentre ainsi sur l’instant présent – loin
de toute préoccupation mathématique.
À leur demande, Dan Everett a essayé quelque temps de donner des
leçons de mathématiques aux Pirahãs, en portugais. Ce fut un échec total.
Tous les jours, pendant huit mois, il a tenté de leur apprendre l’arithmétique
et la géométrie, en leur demandant par exemple de nommer dans l’ordre les
cinq premiers nombres du système numéraire ou de tracer une ligne droite
sur le sol. Durant tout ce temps, ils ne sont pas parvenus à acquérir la
moindre connaissance.
En sont-ils incapables ? Peut-être bien, mais au-delà de leurs aptitudes,
acquérir des savoirs « extérieurs » ne semble pas les intéresser. Ils ne
croient pas à l’existence de « réponses justes ». Quand Everett suggère qu’il
est possible de donner une mauvaise réponse à une question mathématique,
ils se contentent d’écrire quelques symboles et d’énumérer des chiffres dans
un ordre aléatoire. Parfois, ils se désintéressent complètement de la leçon en
cours pour raconter une anecdote récente. Même tracer une droite deux fois
de suite s’avère trop leur demander.
À vrai dire, les leçons de Dan Everett ressemblaient un peu aux cours de
maths que nous connaissons, à cette différence près qu’à l’origine les
Pirahãs étaient volontaires pour y assister. Toutefois, ils semblaient
beaucoup plus attirés par le pop-corn que leur professeur leur apportait et
par l’occasion de bavarder avec lui que par les mathématiques elles-
mêmes !
De petites quantités
Une multitude de cultures sont dans le même cas. Il suffit aux membres
de ces communautés de procéder par estimation : l’opération est rapide et
les résultats satisfaisants. Et peu importe qu’ils disposent d’un système de
numération et qu’ils soient capables de calculs, ils n’en voient pas la
nécessité. Comment l’expliquer ? Quelles sont les aptitudes nécessaires au
commerce, à la production de nourriture en suffisance, à la construction de
ponts ? La science a apporté des réponses à ces questions au cours des
dernières décennies. Certaines zones de notre cerveau nous permettent de
manipuler des quantités. Nous pouvons ainsi, par exemple, nous faire une
idée relativement précise des longueurs et reconnaître un carré sans le
moindre problème. Même si nous n’avons jamais suivi de cours de maths
de toute notre vie !
Les zones de notre cerveau qui sont responsables de ces compétences
peuvent être divisées en trois parties. La première concerne les quantités
inférieures à quatre. Elle nous permet de détecter immédiatement la
différence entre une pomme et deux pommes. La deuxième zone concerne
les quantités supérieures ou égales à quatre. La dernière région nous permet
de reconnaître les formes géométriques. Cela explique notamment pourquoi
quelqu’un qui n’a jamais vu de carte routière parviendra tout de même à en
utiliser une pour trouver son chemin. Nous sommes en outre bien « armés »
pour manipuler mentalement les petites quantités, et ce, dès notre plus jeune
âge.
Quelques semaines à peine après la naissance, nous savons faire la
distinction entre « un » et « deux ». Il s’agit là de l’une de nos compétences
innées. Bien entendu, je ne parle pas ici de la différence entre les chiffres
« 1 » et « 2 » en tant que symboles, mais bien entre les quantités qu’ils
représentent. On a par exemple observé une réaction de surprise chez des
nourrissons qui voient soudain apparaître deux points sur une feuille de
papier, après avoir regardé un moment une feuille où figurait un seul point.
Cet étonnement démontre qu’ils perçoivent une différence. Les
scientifiques analysent ce phénomène en mesurant combien de temps le
nourrisson regarde la feuille de papier. On sait en effet qu’un bébé s’ennuie
très rapidement et qu’il aura donc tendance à observer moins longtemps ce
qu’il connaît. On peut déduire de sa plus grande attention qu’il remarque la
« nouveauté » sur la deuxième feuille.
Les scientifiques peuvent ainsi étudier en détail ce que les bébés
comprennent du monde qui les entoure. Ces recherches mènent à des
découvertes surprenantes. Les bébés semblent ainsi être capables
d’additionner et de soustraire. Si vous présentez deux poupées à un bébé,
puis que vous en retirez une, le bébé s’attendra à ce qu’il ne reste qu’une
seule poupée. À l’inverse, si vous lui montrez d’abord les deux poupées,
puis que vous en retirez une, mais qu’il en reste encore deux lorsque vous
levez le rideau, le bébé sera très surpris. On pourrait en déduire qu’avant
même de disposer de la moindre connaissance en arithmétique, un bébé a
l’intuition que « 2 - 1 = 1 » est correct et que « 2 - 1 = 2 » ne l’est pas !
La réalité est un peu différente. Nous connaissons aujourd’hui l’origine
de la surprise des tout-petits : l’apparition d’une poupée dont ils ignoraient
jusque-là l’existence. L’inverse se vérifie si vous leur montrez « 1 + 1
= 1 » : ils sont étonnés qu’une poupée ait disparu sans qu’ils s’en rendent
compte. Ces réactions sont dues aux réflexes de notre cerveau, qui suit de
près tout ce qui se passe autour de nous. Constamment en alerte, il
enregistre la couleur des objets de notre entourage direct, leur taille
approximative, l’endroit où ils se situent, etc. Nous stockons ces
informations de façon automatique lorsque nous portons notre attention sur
notre environnement. Nous possédons cette capacité dès notre naissance, ce
qui explique la réaction des nourrissons.
Notre cerveau ne peut toutefois pas enregistrer tout dans les moindres
détails ; la quantité d’informations ainsi captées varie d’une personne à
l’autre et d’une situation à l’autre. Pour les bébés, ce nombre d’informations
semble être limité à trois. Une autre expérience invite des nourrissons à
faire un choix entre deux options. Sur leur gauche se trouve une boîte
contenant un biscuit, qui y a été placé devant les bébés. Ils savent donc ce
que la boîte contient. Sur leur droite se trouve un autre récipient contenant
quatre biscuits, que les bébés ont également vus. La question posée par les
scientifiques est la suivante : quelle boîte choisiront-ils ?
Curieusement, il ne s’agira pas toujours de la boîte de droite. On
pourrait croire que les bébés capables de faire la différence entre un et trois
biscuits pourraient aussi distinguer celle entre un et quatre biscuits. À y
réfléchir, l’écart étant plus flagrant, l’exercice devrait même être encore
plus facile. Faux ! Si vous placez un biscuit dans une boîte et quatre dans
une autre, ils n’auront aucune idée de celle qui en contient le plus. Leur
choix deviendra alors totalement aléatoire. La zone concernée du cerveau
est en quelque sorte surchargée, provoquant l’abandon de la tâche. Au cours
des vingt-deux premiers mois de leur vie, les enfants en bas âge ne peuvent
faire la différence entre un et quatre.
Le changement qui s’opère à l’âge de vingt-deux mois n’est pas dû à
une évolution soudaine du cerveau. Les scientifiques ne savent pas
expliquer ce phénomène avec précision. Il est lié à l’acquisition du langage,
les enfants étant plus enclins à faire la différence lorsque leur langue fait la
distinction entre singulier et pluriel. En japonais, par exemple, celle-ci n’est
pas claire, de sorte que les petits Japonais ont besoin de plus de temps pour
apprendre à faire cette différence. Ils ne commencent d’ailleurs
l’apprentissage des chiffres que plus tard. Un retard bien vite rattrapé, en
raison des particularités de chaque langue. Les enfants qui parlent
néerlandais mettent plus de temps à apprendre les nombres supérieurs à
vingt, car dans cette langue, les chiffres sont inversés. Ils disent ainsi
littéralement « un et vingt » au lieu de « vingt et un », ce qui a tendance à
ralentir leur apprentissage. Et c’est encore pire en danois, où « 90 » se dit
halvfemsindstyve, soit littéralement « cinquième moitié (4,5) fois vingt »,
sans parler de la langue française et de son « quatre-vingt-dix », qui n’est
pas beaucoup plus simple !
La langue a donc une influence sur l’apprentissage des chiffres, même
si, en définitive, il s’agit surtout de la capacité à faire la différence entre
« une seule chose » et « plus d’une seule chose ». C’est sans doute sur cette
base que les enfants apprennent la signification du mot « un ». Quoi qu’il en
soit, avant cette étape, tous ignorent comment fonctionnent les nombres. Ils
peuvent les énumérer à la façon d’une liste, mais si vous leur demandez un
seul câlin, ils vous en feront un nombre aléatoire, indépendamment du
nombre de fois où vous leur aurez fait répéter la liste pour apprendre à
« compter ».
Telle est donc la façon dont nos compétences progressent à partir de nos
acquis à la naissance. En apprenant le sens de « un », nous pouvons
apprendre le sens de « deux » : « un et encore un ». L’accès à cette logique
n’est possible que par l’entremise des zones de notre cerveau qui
manipulent les quantités. Très pratique, il faut bien l’admettre, surtout pour
apprendre les chiffres. Car pour les peuplades mentionnées au début de ce
chapitre, la zone du cerveau qui « gère » les grandes quantités est encore
plus importante.
L’art de l’approximation :
notre cerveau et les grandes quantités
Dès qu’il y a plus de trois éléments, une autre zone du cerveau prend le
relais, dès la naissance. Les bébés peuvent immédiatement faire la
différence entre quatre et huit points. Le seul souci – et c’est une différence
notable avec la zone dédiée aux petites quantités – est qu’elle ne fonctionne
pas dans tous les cas. Ils feront la distinction entre huit et quatre points,
mais pas entre quatre et six.
Pourquoi ? Parce que nous sommes incapables de déduire avec
précision, simplement par l’observation, un nombre de points au-delà de
trois ou quatre. Les nouveau-nés pourront faire la distinction entre deux
feuilles de papier dont l’une contient deux fois plus de points que l’autre.
Tout dépendra donc du rapport entre les deux nombres. En effet, il est
beaucoup plus difficile de distinguer en un coup d’œil la différence entre
cent et cent cinq qu’entre cinq et dix.
Naturellement, la capacité de discrimination visuelle se perfectionne
avec le temps. Quelques mois après leur venue au monde, les bébés peuvent
déjà voir la différence entre quatre et six points, c’est-à-dire une quantité de
points seulement une fois et demie plus grande que la première. Chez les
adultes, certains parviennent même à faire la différence entre douze et treize
points. Ce n’est pas toujours le cas, mais plus de la moitié des gens
réussissent généralement l’exercice. En revanche, faire la distinction entre
vingt et vingt et un sans compter est impossible ou presque.
En définitive, on obtient donc de meilleurs résultats en comptant. Les
chiffres nous apportent de la précision, contrairement à l’intuition fondée
sur notre vision. C’est pourquoi les Lobodas ne savent pas combien
d’ignames ils ont données exactement, mais seulement à peu près. Si
quelqu’un revient avec une quantité bien supérieure ou inférieure, on le
remarquera immédiatement. Mais s’il y en a une de plus ou de moins,
personne ne s’en rendra compte.
Le traitement de cette information diffère donc de celui des petites
quantités, bien que les bébés semblent parfois déjà capables de manipuler
de grandes quantités. En se fondant sur l’expérience « 2 - 1 = 2 », des
scientifiques ont tenté de savoir si les bébés réagiraient à un énoncé de type
« 5 + 5 = 5 », représenté cette fois par des poupées. L’expérience fut
concluante : alors que « 5 + 5 = 10 » les avait laissés complètement de
marbre, une réaction de surprise a bel et bien été observée avec « 5 + 5
= 5 ». Devons-nous en déduire qu’ils sont déjà capables de calculer ?
Ce fut en tout cas la conclusion des chercheurs qui ont dirigé cette
expérience en 2004. Mais, une fois n’est pas coutume, nous en savons plus
aujourd’hui… Si les bébés sont en effet surpris à la vue de « 5 + 5 = 5 », en
revanche, ils ne le sont pas à la vue de « 5 + 5 = 9 », qu’ils trouveront tout
aussi normal que « 5 + 5 = 10 ». Ils sont en effet incapables de faire la
distinction entre neuf et dix. Les bébés sont donc surpris de ne voir plus que
cinq poupées, parce qu’ils escomptaient en trouver d’autres. Ils n’en
attendaient pas forcément dix, juste un peu plus que cinq.
Malheureusement, ils n’auront d’autre choix que d’apprendre à additionner
et à soustraire.
Une erreur classique, qui nous renseigne sur la façon dont notre cerveau
opère. Les exemples où celui-ci se laisse influencer sont nombreux.
Lorsqu’on compare des nombres, leur position respective (à gauche ou à
droite) a une grande influence sur notre raisonnement. Ainsi, quand nous
devons déterminer si un nombre est plus grand ou plus petit qu’un autre, il
est utile qu’il se trouve déjà du « bon » côté. Pour un nombre plus petit, il
s’agira du côté gauche. Les nombres les plus grands seront nécessairement
à droite. C’est en tout cas la logique à laquelle notre cerveau se conforme.
Nous répondons plus rapidement lorsque les nombres sont présentés du
« bon côté ». Lequel de ces deux nombres est le plus grand ? 5 ou 9 ?
Lorsque 9 est à droite, vous répondrez plus vite. Bien entendu, la différence
de temps de réaction est trop infime pour que nous la percevions, mais un
appareil de mesure est capable de la détecter.
Cette logique du cerveau n’est cependant pas universelle. Pour les
personnes qui parlent hébreu par exemple, c’est exactement l’inverse : dans
leur cas, il est plus facile de conclure que 5 est inférieur à 9 lorsque le
nombre le plus petit est à droite. Pourquoi ? Tout simplement parce que
l’hébreu se lit de droite à gauche, et non de gauche à droite. Pour des
personnes bilingues, l’expérience peut être encore plus déroutante.
Imaginons quelqu’un qui parle à la fois l’hébreu (de droite à gauche) et le
russe (de gauche à droite) : tout dépendra de la langue dans laquelle il ou
elle aura lu en dernier lieu ! Un article de presse en hébreu ? L’exercice sera
plus facile avec les nombres supérieurs à gauche. Une brochure touristique
en russe ? Le cerveau préférera voir les nombres supérieurs à droite.
Notre cerveau associe donc les nombres à ce que nous voyons. La
position d’un nombre inscrit sur une feuille influence la façon dont le
cerveau le traite. Non seulement dans le cas d’un nombre précis, comme 5
ou 9, mais aussi lorsqu’il s’agit de points dans un cercle. Du reste, l’être
humain n’est pas le seul concerné par ce phénomène. Les poussins préfèrent
aussi voir à droite les plus grands nombres, exprimés sous forme de points.
Symbole
L’éducation en Mésopotamie
Pour assurer toutes ces missions, les scribes doivent naturellement être
formés. Grâce aux fouilles archéologiques menées sur le site d’une école
datant de 1740 av. J.-C., nous connaissons relativement bien le déroulement
de cet apprentissage et les matières enseignées. Il ne s’agit pas uniquement
d’exceller en calcul mental ou en géométrie. La capacité à mettre la théorie
en pratique pour résoudre les problèmes du quotidien revêt aussi une
importance primordiale. C’est en définitive à cette fin que les scribes sont
formés, au point que tout théoricien incapable de mettre ses connaissances
en pratique est la cible de moqueries et de quolibets, comme en témoigne
un texte satirique trouvé sur le site de cette même école.
Une jeune recrue discute avec un scribe plus expérimenté. Le vieil
homme se plaint de ce que l’éducation n’est plus ce qu’elle était. Les jeunes
d’aujourd’hui ne sont plus bons à rien ; ils ne sont même plus fichus de
diviser un terrain en deux parties égales. Le jeune scribe, piqué au vif,
ordonne qu’on l’emmène sur un lieu choisi au hasard afin de démontrer
l’étendue de ses compétences. Entre deux éclats de rire, le vieil homme
tente alors de s’expliquer : il se réjouit d’apprendre que le jeune homme est
capable de diviser une terre à l’aide de cordes, mais précise que pour un
contrat il doit pouvoir faire le calcul sans se rendre sur le terrain. Or, à
l’évidence, ce crétin en est incapable.
Bien que les mathématiques fussent à l’origine exclusivement destinées
à des fins concrètes, le lien entre la théorie et la pratique n’était pas toujours
enseigné de façon très explicite. Une grande partie du matériel pédagogique
de cette école de Nippur – autre cité antique de Mésopotamie – se
composait de lignes et de lignes d’additions : la répétition était le maître
mot de l’apprentissage. « Vous maîtriserez la matière à force de reproduire
ce que vous montre l’enseignant. » Un principe pédagogique qui
s’appliquait aux mathématiques, mais aussi à toutes les autres matières.
Bien entendu, les élèves de Nippur ont d’abord appris à lire et à écrire,
principalement à partir de listes de mots, qu’ils devaient recopier sans
discontinuer, jusqu’à les connaître par cœur. Après avoir intégré le
vocabulaire désignant les lieux, les types de viande, les poids, les
longueurs, etc., ils se penchaient sur les maths. Ils les apprenaient
également à l’aide de tables et de listes en tout genre énumérant des
principes géométriques et arithmétiques. Cerise sur le gâteau : ils devaient
aussi apprendre par cœur une série de contrats types. Comment ? En les
recopiant autant de fois que nécessaire, évidemment !
Fort heureusement, tout l’enseignement n’était pas soumis au même
régime. Parfois, les élèves étaient invités à résoudre des problèmes abordant
des situations pratiques.
Les Égyptiens utilisaient à cette fin des chiffres semblables aux nôtres,
comme on peut le voir dans l’image ci-avant. Un nouveau symbole
intervient après 9, un autre après 99, et ainsi de suite. En revanche, il
n’existe pas de signe pour le zéro : il ne fera son apparition que beaucoup
plus tard, en Inde.
Les Égyptiens ont également des signes symbolisant les fractions, pour
lesquelles ils placent un point au-dessus du chiffre. Par exemple, le chiffre
« 2 » surmonté d’un point représente 1/2. Pour faciliter la lecture, de nos
jours, nous traçons une petite ligne au-dessus du nombre, de cette façon : 2.
Était-il possible d’écrire toutes les fractions ? En fait, les Égyptiens les
considéraient comme le « contraire » d’un nombre entier : 1/2 est donc
l’inverse de 2, mais une fraction telle que 5/7 n’est pas l’inverse de 7, ni
d’un autre nombre entier. Pourtant, l’écriture de ce type de fractions pouvait
s’avérer nécessaire, notamment dans le cadre de la gestion des stocks
alimentaires. Il fallait donc une solution ingénieuse pour ces fractions plus
complexes. Les Égyptiens eurent l’idée de les écrire comme la somme de
fractions ayant toutes 1 pour numérateur (le nombre au-dessus de la
fraction). 3/4, par exemple, peut aussi s’écrire comme la somme de
1/2 + 1/4, soit 2/4. Dans le cas de 5/7, on obtient : 5/7 = 1/2 + 1/7 + 1/14,
soit 27/14. Faites vous-même l’essai avec une autre fraction : quelque peu
chronophage, n’est-ce pas ? Aussi les Égyptiens décidèrent-ils d’apprendre
par cœur les fractions les plus courantes.
Elles étaient très utilisées dans l’administration, notamment pour la
gestion des stocks de pain et de bière, qui étaient au cœur de toute
l’économie. L’argent n’existait pas au sens où nous l’entendons aujourd’hui.
Ce n’est que lorsque l’armée égyptienne commença à recruter des
mercenaires grecs, en 390 av. J.-C., que la monnaie fit son apparition, les
soldats grecs refusant de se faire payer en miches de pain et en barils de
bière. Ils exigèrent une solde en bonne et due forme, versée en drachmes,
des pièces en argent utilisées à l’époque en Grèce antique. Cette monnaie,
bien pratique, s’est ainsi mise à circuler en Égypte.
Mais avant l’arrivée des Grecs, les Égyptiens avaient assuré, pendant
des milliers d’années, la gestion de tout un pays sans recourir une seule fois
à l’argent ! Les pyramides ont été construites sans utiliser la moindre pièce
de monnaie comme moyen de paiement. En revanche, les foules d’esclaves
qui auraient bâti ces merveilles du monde sont un mythe : tous les maçons
et ouvriers ayant participé à la construction des pyramides étaient
rémunérés. Certes, uniquement en bière et en pain, souvent d’ailleurs en
quantités impliquant des fractions. On a retrouvé de longues fiches de paie
de l’époque, où l’on peut voir que même les prêtres étaient payés de cette
façon. Ils recevaient par exemple 2 310 barils de bière par jour. L’objectif
n’était évidemment pas qu’ils boivent tout, mais qu’ils en échangent une
certaine quantité contre d’autres marchandises.
Toute l’économie fonctionnait de cette façon. Vous aviez besoin d’un
lit ? Il vous suffisait d’offrir en échange d’autres marchandises que vous
possédiez. Même l’achat des maisons se produisait selon ce modèle ! Les
échanges étaient-ils aussi aléatoires et approximatifs que chez les Pirahãs ?
Non, car les Égyptiens savaient compter. Les prix restaient grosso modo
toujours les mêmes. En outre, pour les plus gros achats, comme une maison
ou un bœuf, ils allaient voir un scribe, qui rédigeait un contrat décrivant
l’échange, de sorte qu’aucune des parties ne puisse se plaindre par la suite.
Les scribes passaient donc leur temps à compter des quantités de pain et de
bière : les fiches de paie et les contrats en étaient remplis.
Bien entendu, les soldats devaient manger, eux aussi. Un scribe (encore
et toujours) était chargé d’organiser les stocks de nourriture. L’un des textes
datant du Moyen Empire raconte l’histoire de l’un d’entre eux, se moquant
d’un confrère en énumérant ce qu’il aurait fait dans une série de situations.
Il aurait par exemple estimé la quantité de nourriture nécessaire à une unité
de 5 000 hommes en campagne à 300 miches de pain et 1 800 chèvres.
Au premier jour de la guerre, les soldats se présentent au cabinet du
scribe, qui leur montre fièrement toutes les provisions. Les soldats se
servent allègrement : ils vont devoir marcher toute la journée et veulent
faire le plein d’énergie. Leur repas dure une heure. À la fin, ils constatent
avec effroi qu’ils ont déjà épuisé l’intégralité des stocks ! Furieux, ils
protestent bruyamment auprès du scribe : « Espèce d’âne bâté ! Nous
n’avons déjà plus rien ! » Le scribe reste sans voix. Il n’a d’autre choix que
de présenter sa démission.
Les scribes sont donc en quelque sorte les « managers » de l’Antiquité,
dont la seule compétence est de savoir effectuer des calculs arithmétiques.
C’est pourquoi ils sont responsables des paies, des impôts et des rations. Ils
calculent également l’aire des parcelles de terre, pour avoir un point de
comparaison en cas de crue du Nil. Quand les paysans perdent un bout de
leur terrain, ils sont indemnisés. Même la productivité des cordonniers est
calculée afin de la faire coïncider le plus étroitement possible à
l’approvisionnement en cuir.
Mais ces opérations ne sont rien à côté de l’usage que les Égyptiens ont
fait des mathématiques afin de construire les pyramides. Pour bâtir ce genre
d’édifice en pointe, il est nécessaire de calculer l’angle des parois : on ne
peut pas l’estimer à vue de nez. Vous devez forcément commencer la
construction par la base ; sans calcul, impossible d’avoir la certitude que
vos parois se rejoindraient bien au sommet. C’est grâce aux calculs
arithmétiques que les Égyptiens ont réussi cette prouesse.
Pour les effectuer, vous avez besoin d’un certain nombre de données : la
longueur, la largeur et la hauteur de l’édifice, mais aussi l’angle des parois.
Si vous vous trompez à ce stade, vous risquez de ne pas atteindre la hauteur
voulue – ou de vous retrouver avec des parois qui ne se rejoignent pas au
sommet, si vous ne construisez pas les quatre murs sous le même angle ! Le
calcul des angles est donc primordial. Pourtant, les Égyptiens ne les
mesuraient pas comme nous le faisons, et ils ne les exprimaient pas non
plus en degrés.
Ils appliquaient une méthode très différente : ils mesuraient le
« déplacement » de la pyramide vers son centre à mesure qu’elle s’élevait.
Regardez le schéma qui suit. Supposons que l’angle soit de 90 degrés : la
pyramide s’élèverait à la verticale (autrement dit, ce ne serait pas une
pyramide et le mur serait vertical). Le déplacement est dans ce cas égal à
zéro. Dans le cas d’un angle plus petit, par exemple de 45 degrés, le
déplacement sera plus grand. Dans ce cas, l’augmentation de la hauteur est
égale à l’augmentation du déplacement horizontal du bord de la pyramide
vers le centre (vers la droite, ci-après).
Quelle que soit la méthode, les Égyptiens avaient donc recours aux
mathématiques pour résoudre divers problèmes. Même si nous en savons
beaucoup moins sur les Égyptiens en raison de la fragilité de leur support
d’écriture, les quelques papyrus qui ont résisté à l’épreuve du temps nous
confirment qu’ils pratiquaient les mathématiques de la même façon que les
Mésopotamiens. Les mathématiciens y avaient tout autant d’importance et y
exerçaient essentiellement un rôle administratif. L’Égypte avait mis en
place un système fiscal ingénieux, qui tenait notamment compte des crues
du Nil. Des contrats types verrouillaient les achats et ventes d’envergure.
Plus tard, vers 300 av. J.-C., les Égyptiens ont, semble-t-il, importé de
Mésopotamie une série de concepts mathématiques plus complexes, mais
ils avaient découvert par eux-mêmes les principes qu’ils utilisaient jusque-
là.
Je roule sur une autoroute suédoise. Pour ceux qui l’ignorent, ces axes
sont d’un ennui mortel : des centaines de kilomètres de ligne droite
traversant des forêts à n’en plus finir. Heureusement, les Suédois sont très
respectueux du Code de la route et le régulateur de vitesse apporte donc un
certain soulagement. Pendant que je laisse mon esprit vagabonder au gré de
la monotonie du paysage, l’ordinateur de ma voiture multiplie les
opérations mathématiques, calculant en temps réel la vitesse effective du
véhicule, l’écart entre cette vitesse et celle visée par le régulateur et la
nécessité qui en découle d’accélérer ou de décélérer. Si vous avez les
moyens de vous offrir une voiture de luxe, celle-ci pourra même veiller à
votre place à ce que vous restiez sur votre voie de circulation. L’ordinateur
analysera dans ce cas la distance qui sépare vos roues du marquage au sol
ainsi que votre direction et procèdera aux corrections éventuellement
nécessaires.
Impressionnant, me direz-vous, mais est-ce vraiment si difficile ? Après
tout, n’importe quel automobiliste arrive à conduire sans recourir à ces deux
« gadgets ». Il suffit de garder un œil sur le compteur et d’ajuster la vitesse
au besoin. Et encore, uniquement dans les rares cas où il s’avère possible de
rouler à vitesse constante, car, de façon générale, on conseille plutôt aux
usagers d’adapter leur vitesse aux conditions de circulation. Et rouler sur sa
propre voie, tout le monde peut également le faire, non ? Absolument.
Même un ordinateur, qui pourtant ne peut percevoir la sensibilité avec
laquelle réagit le volant ni voir comme nous ce qui se passe sur la route :
une véritable prouesse technologique. En effet, un ordinateur doit tout
calculer, sans exception.
Gageons qu’il n’a pas été simple de mettre au point ces méthodes de
calcul en temps réel, fondées sur des données qui changent en permanence,
comme la vitesse du véhicule et la distance qui le sépare du marquage au
sol. Mais les mathématiciens y sont tout de même parvenus. Lorsque vous
activez votre régulateur de vitesse ou le système de « conduite autonome »,
vous avez recours à des procédés mathématiques complexes. Sans eux, ces
équipements n’existeraient pas.
Elles jouent également un rôle dans le calcul des aires et des volumes.
Vous vous souvenez peut-être de vos cours de lycée : les intégrales nous
ramènent aux formules d’Archimède sur les sphères, les cônes et les
cylindres. Le principe est en effet le même, à cette différence près que le
« changement » n’est plus aussi évident. Les graphiques ci-dessous
montrent comment calculer l’aire d’une surface : en additionnant toutes les
étapes du processus. Des étapes dont vous réduisez progressivement la
taille. En conséquence, plus les rectangles deviennent étroits, plus ils
épousent la forme de la courbe – et donc, plus votre calcul de l’aire se
précise. La présence d’un « changement » est en revanche difficile à
percevoir.
Calcul approximatif de l’aire de la surface située sous la courbe
Calcul plus précis de cette même aire grâce à la réduction de la largeur des rectangles
De Moivre utilisait lui aussi des galets blancs et noirs, mais, pour
faciliter la compréhension, je prendrais ici l’exemple des deux faces d’une
pièce de monnaie. De Moivre avait émis l’hypothèse qu’à partir d’un
certain nombre de lancers, vous arriveriez automatiquement à une
« distribution binomiale », c’est-à-dire un graphique qui décrit une situation
ayant deux (« bi ») résultats possibles. Le schéma qui précède propose un
exemple correspondant à dix lancers de pièce. Tout à droite, la pièce est
tombée dix fois sur le côté « face » ; tout à gauche, dix fois sur le côté
« pile ». Juste au milieu, la pièce est tombée cinq fois sur le côté « face » et
cinq fois sur le côté « pile ». Dans la mesure où il est plus probable que
vous obteniez cinq fois « face » et cinq fois « pile », le bâton correspondant
est le plus élevé. Ce résultat est plus « normal » que la probalité de tomber
sur le côté « face » dix fois de suite.
Ce type de graphique se rencontre dans une multitude de situations. Par
exemple dans la distribution de la stature moyenne des gens : avec 184 cm,
les Néerlandais sont les hommes les plus grands du monde. Cette moyenne
est représentée par le bâton le plus haut du graphique. Un Néerlandais plus
petit se situera à gauche. Dans la même logique, peu d’hommes ayant une
stature inférieure à 150 cm, le bâton correspondant se situera très à gauche
du graphique et aura une hauteur très faible. Même raisonnement – mais
inversé sur le graphique – pour les hommes de plus de 2 m.
Mais revenons à notre pièce de monnaie. Il faut bien admettre qu’avec
seulement dix lancers le graphique est relativement « grossier » et imprécis.
Si vous continuez à lancer la pièce, vous affinerez votre graphique à bâtons,
qui ressemblera de plus en plus à une courbe : c’est ce que montre
l’exemple de l’image suivante, reposant sur cinquante lancers.
Probabilité d’obtenir le côté « face » sur cinquante lancers
Si vous continuez selon la même logique, vous finirez par obtenir une
belle courbe harmonieuse. Vous verrez alors aussi le lien entre cette courbe
et les calculs probabilistes. En utilisant la méthode de Newton et de Leibniz
– les intégrales – vous pouvez calculer l’aire de la surface sous la courbe.
Un tel calcul met en évidence le caractère « normal » des données
regroupées au niveau du sommet de la courbe, puisque les deux rectangles
les plus grands représentent près de 40 % de l’ensemble des résultats.
Distribution normale avec indication de la probabilité d’obtenir un résultat situé sur cette partie
de la courbe
Cette surface représente d’ailleurs une probabilité : comme près de
40 % de tous les hommes aux Pays-Bas ont une taille proche de 184 cm, ce
pourcentage représente aussi la probabilité qu’un Néerlandais – choisi au
hasard dans une foule par exemple – mesure 184 cm. Il en va de même pour
les pièces de monnaie : la probabilité de tomber sur le côté « pile » – ou
« face » – exactement une fois sur deux est beaucoup plus élevée que la
probabilité d’obtenir « pile » – ou « face » – cent fois d’affilée. Cette
dernière probabilité n’est pas nulle, mais elle est évidemment très faible.
D’où l’aplatissement de la courbe aux extrêmes.
Tentatives de tracer une droite à l’aide d’un, deux ou trois points de mesure
Il faut donc lire les statistiques avec prudence. Il est presque toujours
possible de trouver des chiffres qui viennent confirmer votre vision du
monde. Vous trouvez que « c’était mieux avant » ? Dans ce cas, vous
refuserez de croire que le revenu moyen a augmenté d’une fois et demie en
quelques décennies. Cela tombe bien, les chiffres officiels vont dans votre
sens. Peut-être pensez-vous que les immigrants sont responsables de
l’insécurité grandissante ? Dans ce cas, l’annonce d’une augmentation de
10 % du nombre de meurtres apportera sans doute de l’eau à votre moulin.
L’inverse, bien sûr, est tout à fait possible : quiconque veut nier l’existence
de l’écart salarial insistera davantage sur le niveau équivalent des salaires à
fonction égale et dans une même entreprise. Ce qui est exact bien sûr, mais
est-ce une raison pour ne pas lutter contre les inégalités qui existent bel et
bien ?
Cependant, hormis ces risques d’interprétation abusive, les moyennes
restent d’une très grande utilité. Elles permettent d’acquérir rapidement une
vue d’ensemble de situations complexes. Comment, sans elles, se faire une
idée rapide du salaire de tous les hommes et de toutes les femmes vivant
dans des pays industrialisés ? Comparer un à un tous ces salaires
représenterait évidemment une quantité de travail beaucoup trop
importante. Nous avons donc besoin de moyennes pour avoir un aperçu
général de toutes ces données, tout comme nous avons besoin d’une
méthode pour faire des estimations. Ces estimations, que vous les utilisiez
pour calculer le rendement de vos futures récoltes, pour déterminer votre
position à l’aide d’un GPS ou pour améliorer la netteté des photos sur votre
ordinateur, seront plus faciles à utiliser et plus fiables en recourant aux
mathématiques. Il en va donc de même pour les sondages que j’évoquais au
début de ce chapitre.
À sens unique
Vous ne pouviez peut-être emprunter les ponts de Königsberg qu’une
seule fois, mais, au moins, vous pouviez les traverser dans les deux sens.
Maigre consolation, me direz-vous. Toujours est-il que, dans d’autres cas,
cette donnée peut avoir son importance, par exemple pour les routes à sens
unique. Les arêtes simples ne suffisent plus : il faut ajouter des flèches pour
indiquer le sens de circulation. Prenons par exemple le plan de Manhattan.
Presque toutes les rues sont à sens unique. Toute démonstration
mathématique au sujet de la circulation à New York devra en tenir compte.
Dans ce cas, le graphe ressemblera à peu près au schéma qui suit :
Le plan des rues de Manhattan
Ici, les sommets sont des intersections entre les différentes routes à sens
unique, indiquées par des flèches. Vous pouvez par exemple rester coincé
dans le coin inférieur gauche, puisqu’il n’y a pas d’arête qui vous permette
de quitter cette intersection. Ce graphe ne peut donc servir de plan de
circulation, en tout cas pas pour ceux qui s’attendent à ce que les
automobilistes respectent un minimum le Code de la route.
Mais si vous enlevez la colonne de gauche, vous pourrez néanmoins
circuler partout. Ainsi, en revenant à un nombre d’intersections pair, tout
rentre dans l’ordre et les voitures peuvent circuler en boucle, comme dans la
moitié droite du graphe. Le plan des rues ci-dessus ne fonctionne pas, car la
moitié gauche présente une série de « problèmes » : ainsi, il n’est pas
possible de vous rendre dans le coin supérieur gauche et, si vous arrivez
dans le coin inférieur gauche, vous ne pourrez plus en sortir. Le sens
« giratoire » de circulation de la moitié droite du plan permet d’éviter cet
écueil. Vous l’aurez compris : les mathématiques pourront apporter une
grande aide à un planificateur urbain.
Google Maps a également recours aux flèches dans ses graphes. Lors du
calcul d’un itinéraire, il importe naturellement de savoir si une rue est à
sens unique ou non. Mais il est au moins aussi essentiel que le système
sache qu’un embouteillage ne concerne pas forcément les deux sens de
circulation : évidemment, le temps de trajet n’augmente que pour les
personnes bloquées dans l’embouteillage, et pas pour celles qui circulent en
sens inverse (exception faite des automobilistes qui ralentissent par
curiosité). Les flèches s’avèrent alors très utiles : l’ordinateur n’a qu’à
augmenter le temps de parcours inscrit à côté de la flèche dans le sens de
circulation affecté par l’embouteillage pour tenir compte du retard.
Google Maps utilise donc des nombres et des flèches pour représenter
les sens de circulation et les temps de parcours. Nous avons déjà abordé cet
aspect dans le premier chapitre : à eux seuls, ces deux éléments suffisent
pour calculer un itinéraire de façon entièrement automatisée. Le plan de
métro de Stockholm nous avait servi d’exemple : l’ordinateur parcourt tous
les chemins possibles, par ordre de longueur, jusqu’à obtenir l’itinéraire le
plus court pour la destination souhaitée. Avant de vous proposer ce résultat,
l’ordinateur aura également essayé toutes les routes moins longues, mais
qui n’arrivent pas à destination. Ce calcul est mieux connu sous le nom
d’algorithme de Dijkstra, du nom de son inventeur, l’informaticien
néerlandais Edsger Dijkstra.
Le schéma qui suit en présente un exemple. Pour plus de commodité,
les croisements sont représentés par des cases et non des cercles. Vous
pouvez imaginer, entre ces cases, des flèches partant vers les quatre cases
adjacentes. Dans ce graphe, l’algorithme de Dijkstra a été utilisé pour
trouver l’itinéraire le plus court de l’étoile en bas à gauche à la croix en haut
à droite. La seule contrainte est représentée par la rangée de cases
assombries, qui symbolise ici, par exemple, un fleuve qui traverserait la
ville sans possibilité pour les véhicules de le traverser. On peut également
voir ce que l’ordinateur a calculé. Chaque case comportant un nombre
représente un endroit analysé par l’algorithme afin de vérifier s’il s’agissait
de la bonne destination finale. Le nombre représente la distance de la case
concernée par rapport au point de départ. Enfin, l’itinéraire finalement
retenu par l’algorithme, représenté en couleur plus claire, se dégage sur le
graphe au milieu de l’enchevêtrement d’itinéraires possibles.
Algorithme de Dijkstra représentant tous les itinéraires analysés (jusqu’à 23 étapes maximum)
Le fruit du hasard ?
Les correspondances entre les mathématiques et la réalité : telle est à
mon sens l’utilité des mathématiques. Reste à savoir si elles sont le fruit du
hasard ou si elles résultent d’une intention des mathématiciens, qui se
seraient échinés à découvrir des principes applicables au monde qui nous
entoure. La réponse ? Sans doute un mélange des deux. Après tout, les
mathématiciens n’accordent pas nécessairement de l’importance aux mêmes
choses. Archimède, par exemple, est l’auteur de toute une série de
découvertes pratiques, mais il accordait le plus d’importance à son
théorème sur les volumes de la sphère, du cylindre et du cône – peut-être sa
découverte qui a le moins d’utilité pratique. Qui se soucie en effet de savoir
quel volume il faut retirer d’un cylindre pour en faire un cône ?
Il est fréquent que les mathématiciens ne s’inquiètent guère des
applications de leurs travaux. C’est pourquoi l’utilité des mathématiques
prend parfois des allures de coïncidence. À l’exception peut-être de
l’arithmétique et de la géométrie. En définitive, ces deux disciplines ont été
inventées pour résoudre des problèmes très pratiques. Nous avons évoqué,
au chapitre III, les difficultés administratives résultant de l’organisation de
groupes de plus en plus grands et de plus en plus complexes. Les cités-États
devaient disposer d’un moyen plus efficace de prélever l’impôt, de
contrôler les stocks alimentaires et de planifier les cultures. À ce titre,
l’arrivée des nombres a été une véritable révolution, bien qu’ils ne soient
pas apparus du jour au lendemain.
Les Mésopotamiens avaient des calculi, un moyen pratique de connaître
les quantités en les associant à un certain nombre de jetons. Ces jetons ont
été transformés, au fil du temps, en symboles gravés sur des tablettes
d’argile, bien plus pratiques à transporter qu’une sphère d’argile remplie de
jetons. En somme, nous avons commencé à utiliser des nombres parce que
nous les avons trouvés utiles. Les premiers calculs arithmétiques avaient
ainsi une visée résolument pratique et ne relevaient donc assurément pas
d’une coïncidence. Ces premières manifestations mathématiques étaient
utiles, car elles apportaient une réponse à un problème spécifique.
La situation est devenue davantage floue quelques siècles plus tard.
Dans diverses cultures, les mathématiciens se sont aussi intéressés à des
problèmes « inutiles ». Ils étaient désireux de les résoudre, davantage pour
une question de statut que pour leur utilité pratique. C’est encore le cas
aujourd’hui. Il est d’ailleurs amusant de constater que c’est précisément
pour ces mathématiques prétendument « inutiles » que nous avons le plus
de respect actuellement. Prenons l’exemple des Grecs, dont nous glorifions
surtout les travaux particulièrement abstraits. Ce fameux tunnel qu’ils ont
creusé ? Personne ne s’en souvient. Pythagore, en revanche, a été élevé au
rang de référence ultime et a clairement marqué les esprits. Pour rappel,
c’est Eupalinos de Mégare qui a conçu le tunnel de Samos.
Que la motivation principale soit le prestige ou non, les applications
existent. Le théorème de Pythagore est un moyen utile de vérifier qu’un
triangle est rectangle. Une grande partie des travaux d’Archimède a
également des applications directes. De même que des concepts
mathématiques encore plus complexes, comme le calcul des différentielles
et des intégrales, la théorie des probabilités ou celle des graphes.
Curieusement, si vous analysez l’histoire avec attention, ces découvertes
sont rarement le fruit du hasard.
Les intégrales et les différentielles, par exemple : Newton et Leibniz ont
tout de suite saisi leur importance. Newton les a immédiatement utilisées
dans ses travaux de physique, bien que le processus se soit avéré laborieux.
Il n’en reste pas moins que les deux chercheurs ont été en mesure
d’appliquer leur théorie, parce que l’idée qui la sous-tendait était simple
comme de l’eau de roche : ils voulaient étudier le changement. Or, à
l’évidence, celui-ci est partout autour de nous. On peut même le représenter
dans les mathématiques, comme Newton l’a démontré à travers sa courbe.
Celle-ci rend l’idée de changement plus abstraite, mais tout aussi pertinente.
Il paraît logique qu’une méthode permettant de calculer le changement
ait de nombreuses applications. On ne peut donc pas vraiment parler de
coïncidence – comme dans bien d’autres cas. La théorie des probabilités a
commencé par des jeux de hasard brusquement interrompus. Difficile d’y
voir un lien avec les sondages, les maladies ou les taux de criminalité. Et,
pourtant, il y en a un, bien qu’il soit indirect. Les mathématiciens se
penchaient en effet sur la question suivante : comment calcule-t-on des
choses dont on n’est pas sûr ? En d’autres termes, comment faire preuve de
précision lorsqu’on calcule l’incertitude ?
Il faut dire que l’incertitude est omniprésente autour de nous. Ainsi, en
trouvant un moyen d’en tenir compte, vous pourrez mettre votre méthode à
profit pour étudier le monde qui vous entoure. Non pas qu’il soit si simple
d’appliquer la théorie des probabilités : il aura littéralement fallu des siècles
avant que nous soyons en mesure d’effectuer des sondages tout en calculant
mathématiquement leur précision. Le fait est que ces applications ne sont
pas accidentelles : les mathématiciens se sont sciemment intéressés à
l’incertitude et ont volontairement cherché un moyen de l’étudier.
Abstraction faite d’éléments déclencheurs parfois fortuits, le potentiel des
théories résidait donc déjà dans le choix de l’objet d’étude.
C’est d’ailleurs également le cas pour la théorie des graphes. Euler a fait
sa joyeuse entrée dans la discipline par la célèbre énigme des sept ponts de
Königsberg. Ce problème en tant que tel ne présentait que peu d’utilité :
pourquoi nous adonner à une « promenade mathématique » impossible dans
les rues d’une ville russe ? L’idée sous-jacente n’était pas non plus des plus
limpides : quel lien peut-il exister entre une balade de ce type et les
planificateurs d’itinéraires ou les moteurs de recherche ? Nous ne le
comprenons qu’avec du recul – c’est-à-dire a posteriori. Euler étudiait un
réseau, c’est-à-dire une représentation théorique de lieux reliés les uns aux
autres – un concept très courant, aujourd’hui plus que jamais. Les réseaux
sociaux en sont évidemment l’exemple le plus évocateur, mais il en existe
bien d’autres : les voies de circulation, les réseaux ferroviaires, les
plateformes de films et de séries en streaming, le patrimoine génétique. La
théorie des graphes consiste en l’étude générale des réseaux et de leurs
propriétés ; de fait, ses applications ne doivent rien au hasard non plus.
Le travail abstrait des mathématiciens s’inspire donc souvent de ce que
nous rencontrons dans notre quotidien. Il nous aide à comprendre le monde.
Peut-on trouver plus grande utilité ?
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Notes
Conception couverture : Éric Doxat - Illustration : Geviert, Grafik & Typografie, Andrea Hollerieth
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