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JACQUES DE GAVRE

AVOCAT PRÈS LA COUR D'APPEL

CHEF DE TRAVAUX ASSOCIÉ


A L'UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES

Le contrat de transaction
EN DROIT CIVIL
ET EN DROIT JUDICIAIRE PRIVÉ

PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS DU

FONDS RENÉ MARCQ



Préface de Madeleine Gevers
Professeur à l' U niversité libre de Bruxelles

TOME PREMIER
La transaction non judiciaire
dé:finition, domaine, conditions de formation
et de validité, forme et preuve

0. B. C. E. - B. D. 8. H.
BRUXELLES
ÉTABLISSEMENTS ÉMILE BRUYL4NT .
._Servtce / unt.iffue
.,
SOCIÉTÉ ANONYME D'ÉDITIONS JURIDIQUES ET SCIENrrtQUES
'
67, RUE DE LA RÉGENCE 1
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I 9 6 7
PRÉFACE

L'auteur de l'important ouvrage consacré à la transac-


tion - dont le présent volume ne constitue que le premier
tome - m'a fait le plaisir de me demander d'en écrire
la préface.
Je l' ai accepté d' autant plus volontiers que j' ai pu
suivre pas à pas le travail considérable dont eet ouvrage
est l' aboutissement; cela me permet de rendre hommage,
en pleine connaissance de cause, à la conscience et la
patience avec lesquelles M. De Gavre a réuni et étudié
les matériaux de son édifice, à l'intelligence, la clarté,
la précision avec lesquelles il l' a ensuite construit. Esprit
d'analyse et esprit de synthèse, M. De Gavre les unit
d' une manière assez rare. Le lecteur en jugera spéciale-
ment dans les matières importantes et controversées que
comporte le contrat de transaction - et elles sont nom-
breuses - , lorsqu'il pourra constater d'une part l'ampleur
de la documentation, et, d' autre part, le choix judicieux
et solidement justi fié des solutions auxquelles l' auteur
s'arrête.
La transaction est considérée par le Code civil comme
un contrat certes important, mais non pa8 comme un
« grand contrat ». On pourrait dire qu'il en a fait le plus
petit de ce qu 'on a nommé longtemp8 les « petits contrats ».
On pourrait même ajouter que le législateur du Code civil
6 PRÉFACE

s'y est montré quelque peu négligent... Et cependant


c' est un contrat qui, dans la pratique, présente une impor-
tance considérable et sans cesse grandissante en de nom-
breuses matières : qu'il me suffise de citer celle des assu-
rances.
Cette extension de l'importance de la transaction n'a
pas été d' ailleurs sans créer des confusions avec d' autres
institutions, qualifiées parfois de transactions alors qu'elles
n'en sant pas, ou encore dont le caractère transactionnel,
bien que souvent affirmé, est très discutable. Une des
parties les plus intéressantes de l'ouvrage de M. De Gavre
est celle dans laquelle il s' est attaché à préciser les fron-
tières entre la transaction et des actes juridiques voisins,
tels que le compromis, le retrait litigieux, le serment déci-
soire, la renonciation, le concordat, la quittance dite
« pour solde », etc., et enfin - question particulièrement
délicate - la transaction-partage. Dans le même ordre
d'idées, M. De Gavre examine et qualifie très exactement
à mon sens la nature de ce qu' on appelle la transaction
pénale et la transaction fiscale.
Un autre aspect très important du contrat de transac-
tion, et qui lui con/ère une originalité toute particulière,
est sa situation à la limite du droit civil et du droit pro-
cessuel. Cet aspect aussi a été étudié longuement par
l'auteur, et dans tous ses prolongements. Ses appels à
la doctrine italienne récente, particulièrement pénétrante,
ne manqueront pas d'intéresser vivement Ze lecteur.
Il n'est guère possible, dans une préface dont Ze prin-
cipal mérite doit être la brièveté, d' exposer toutes les
/aces de l'institution telles que les examine M. De Gavre,
et les conclusions auxquelles il s' est arrêté sur les ques-
tions controversées. J'ajouterai seulement encore qu'il
PRÉFACE 7

considère essentiellement la transaction comme un acte


de disposition, avec les conséquences qui en résultent en
matière de « capacité » et de « pouvoirs >>; qu'il précise
très exactement les éléments constitutifs du contrat, notam-
ment eet élément essentie[ et souvent perdu de vue (le Code
ei vil donnant lui-même sur ce point Ze mauvais exemple ),
qui consiste dans les concessions réciproques que doivent
se faire les parties. L'absence de eet élément constitue
généralement, en effet, Ze critère essentie[ permettant
d' écarter du champ de la transaction certains actes juri-
diques qui y sont parfois faussement assimilés, et auxquels
j' ai fait allusion plus haut.
Si la table des matières du présent volume permet de
se rendre compte du nombre et de l'importance des pro-
blèmes qui y sont examinés, Ze second tome ne Ze cédera
en rien au tome premier. Il traitera, entre autres, des
effets et de la nature de la transaction (notamment de
l'effet déclaratif, ses conséquences et ses limites, ainsi
que de la question délicate et controversée de l'applica-
bilité à la transaction de l'article 1184 du Code civil), de
ses causes de nullité (notamment de la question très impor-
tante de l' erreur dans la transaction conclue à la suite
d'un accident), et enfin de la transaction judiciaire.
Dans cette étude véritablement exhaustive du contrat
de transaction, J.711. De Gavre a tenu à indiquer un très
grand nombre de réf érences, particulièrement à la juris-
prudence et à la doctrine les plus récentes, en sorte que
son ouvrage présente, à cóté d'un caractère rigoureuse-
ment scientifique, un aspect pratique donnant au lecteur
une source complète d'information.
Il me paraît superfiu d'insister sur l'importance d'un
8 PRÉFACE

pareil ouvrage, la transaction n'ayant fait en Belgique,


du moins en langue française, l' objet d' aucune étude
approfondie. Je crois donc n'avoir même pas besoin de
souhaiter un grand succè.s au traité de M. De Gavre :
ce succè.s me paraît assuré, autant que mérité.

MADELEINE GEVERS,
PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ LIBRE
DE BRUXELLES.
AVANT-PROPOS

Il m'est particulièrement agréable de dire, au seuil


de eet ouvrage, tout ce que je dois à l'Université libre
de Bruxelles, aux principes de son enseignement, aux
maîtres éminents qui y furent mes professeurs, à l'appui
généreux du Fonds René Marcq.
Mais, sans doute, ce livre n'aurait-il pas été publié
si, depuis près de trois ans, je n'avais pu compter sur
les encouragements de Mme Madeleine Gevers, professeur
à l'Université.
Ayant accepté de relire mon manuscrit, Mme Gevers
s'est attachée à ce travail ingrat avec une inlassable
attention. Elle y a consacré une part précieuse de son
temps, prenant en partage mes préoccupations, m'éclai-
rant de ses avis autorisés et me donnant tout Ie profit
de ses connaissances et de sou expérience.
Elle voudra bien trouver ici !'hommage déférent de
ma gratitude.
Cet ouvrage tient compte
de la législation et de la jurisprudence
jusqu'au 30 juin 1966.
LISTE DES ABREVIATIONS

Ann. parlem., Sénat ou Chambre, session 1964-1965, séance du


20 novembre 1964.
Doe. parlem., Sénat ou Chambre, session 1964-1965, n° 100.

Compte rendu analytique.

Const. = Constitution.
C. civ. = Code civil.
C. proc. civ. = Code de procédure civile.
C. comm. = Code de commerce.
C. pén. = Code pénal.
C. instr. crim. = Ccde d'instruction criminelle.

Ann. dr. Liège = Annales de la Faculté de droit de Liège.


Ann. dr. sc. polit. = Annales de droit et de sciences politiques.
Ann. not. Annales du notariat et de l'enregistrement.
A.P. R. Algemeen practisch Rechtsverzameling.
Belg. jud. Belgique judiciaire, l 94 7, l 0.
Bull. ass. Bulletin des assurances.
Bull. contr. = Bulletin des contributions.
Dalloz : Encycl. dr. civil = Encyclopédie juridique. - Répertoire du droit
civil Dalloz.
Dalloz-Sirey = Recueil hebdomadaire Dalloz-Sirey.
D. H. Recueil hebdomadaire de Dalloz.
D.P. Recueil périodique de Dalloz, I, II, III, IV, V.
Dr. fisc. = Journal pratique de droit fiscal et financier.
Fl. jud. = Flandre judiciaire.
Gaz. du pal. = Gazette du palais.
Gaz. des trib. = Gazette des tribunaux, l, 40.
12 LISTE DES ABRÉVIATIONS

Ing.-cons. = Revue de droit intellectuel L'Ingénieur-conseil.


J.C. P. Juris classeur périodique (voy. aussi Sem. jurid.).
J. J. P. J ournal des ju ges de paix.
Journ. trib. = Journal des tribunaux, 1947, 10.
Journ. trib. d'outre-mer = Journal des tribunaux d'outre-mer.
Jur. com. Brux. = Jurisprudence commerciale de Bruxelles.
Jur. com. Fl. = Jurisprudence commerciale des Flandres.
Jur. Liège = Jurisprudence de la cour d'appel de Liège, 40.
Jur. port Anv. = Jurisprudence du port d'Anvers.
La Loi (revue française), année, page.
Le Droit (revue française), année, page.
LES NOVELLES, Droit civil, t. IV, n° 100.
Louage d'ouvr. = Jurisprudence du louage d'ouvrage.
Pand. belges, v 0 Huissier, n° 40 = Pandectes belges, 123 vol.
Pand. fr. = Pandectes françaises. Répertoire.
Pand. pér. = Pandectes périodiques.
Pas. Pasicrisie belge.
Pas. fr. = Pasicrisie française, I, II, III.
Pasin. = Pasinomie.
R. T. = Rechtskundig Tijdschrift.
R. W. = Rechtskundig Weekblad.
Rec. bát. = Recueil de la jurisprudence de la propriété et du bátiment.
Rec. gén. enreg. = Recueil général de l'enregistrement, etc.
Rec. jur. dr. adm. = Recueil de jurisprudence du droit administratif et du
Conseil d'Etat.
Rép. fisc. = Répertoire fiscal.

Rép. prat. dr. belge, v 0 = Répertoire pratique du droit belge.

Res jura imm. = Res et jura immobilia.


Rev. acc. tr. = Revue des accidents du travail.

Rev. adm. = Revue de l'administration.

Rev. banque = La revue de la banque.


LJSTE DES ABRÉVIATIONS 13

Rev. com. = Revue communale.


Rev. crit. jur. belge = Revue critique de jurisprudence belge.
Rev. dr. belge = Revue de droit belge.
Rev. dr. comp. = Revue de l'Institut belge de droit comparé.
Rev. dr. fam. = Revue de droit familial.
Rev. dr. pén. = Revue de droit pénal et de criminologie.
Rev. dr. social = Revue de droit social (anciennement Jurisprudence du
louage d'ouvrage).
Rev. faill. = Revue des faillites, concordats et liquidations.
Rev. fisc. = La revue fiscale.
Rev. gén. ass. et resp. = Revue générale des assurances et des responsabilités.
Rev. gén. ass. terr. = Revue générale des assurances terrestres.
Rev. J. de P. = Revue des justices de paix.
Rev. prat. not. = Revue pratique du notariat belge.
Rev. séc. soc. = Revue belge de sécurité sociale.
Rev. soc. Revue pratique des sociétés civiles et commerciales.
Rev. soc. fr. = Revue des sociétés (France).
Rev. trav. Revue du travail.
Rev. trim. dr. civ. = Revue trimestrielle de droit civil.
Rev. trim. dr. comm. = Revue trimestrielle de droit commercial.
Sem. jurid. = Semaine juridique (voy. aussi J. 0. P.).
Sirey = Recueil général des lois et arrêts de Sirey.
T.B. Tijdschrift voor bestuurswetenschappen en publiek recht.
T. N. Tijdschrift voor notarissen.

DAL., Rép., v 0 = DALLOZ, Répertoire de législation, de doctrine et de juris-


prudence, 50 vol.
DAL., Rép., Suppl., v 0 = DALLOZ, Idem, Supplément, 19 vol.
DAL., Rép. prat., v 0 = Répertoire pratique de droit, 12 vol.
DAL., Rép. prat., Suppl., v 0 = Répertoire pratique de droit, Supplément.

Cass. Cour de cassation de Belgique.


14 LISTE DES ABRÉVIATIONS

Cass. fr. = Cour de cassation de France.


Bruxelles-Gand-Liège = Arrêt de la Cour de Bruxelles, de Gand ou
de Liège.
Cornm. = Jugement du tribunal de commerce.
Corr. J ugement du tribunal correctionnel.
J. de P. = Jugement de Justice de paix.
Trib. = Jugement du tribunal de première instance de Bruxelles, de
Gand ou de Liège. Cette mention ne figure pas pour les jugements
rendus par les tribunaux des villes qui ne sont pas le siège d'une cour
d'appel.
Cour milit. = Cour militaire.
Cons. d'Etat = Arrêt ou avis du Conseil d'Etat.
Déc. adm. Décision de l'administration de l'enregistrement.
Sent. arb. Sentence arbitrale.
Trib. (réf.) Ordonnance du président en référé.
INTRODUCTION

Comme en droit romain déjà, Ie mot « transaction » a, en


droit beige et français, une double signification : l'une générale,
l'autre spéciale ou technique.
Dans son acception générale - qui est aussi celle que lui
donne Ie langage courant - il est synonyme d' accord ou de
convention lato sensu. C'est surtout dans Ie domaine des rela-
tions commerciales que Ie mot << transaction » est employé dans
ce sens : ainsi, par exemple, dans l'article 1107, alinéa 2, du
Code civil qui parle des règles particulières applicables aux
« transactions commerciales », dans l'article 78, alinéa 3, du
livre Ier, titre V, du Code de commerce qui vise les« transactions
au comptant sur monnaies et billets de banque ... » et, plus près
de nous, dans les lois françaises des 21 juin 1960 et 25 mars 1965
relatives à certaines pratiques interdites en matière de trans-
action portant sur des immeubles et fonds de commerce.
Dans son acception technique, au contraire, la transaction est,
spécifiquement, un pacte extinctif d' action, défini - imparfaite-
ment d'ailleurs - par l'article 2044, alinéa 1er, du Code civil.
Il s'agit, en effet, d'un contrat synallagmatique par lequel
des colitigants mettent fin, au moyen de concessions récipro-
ques, à un litige qui les divise, que ce litige ait déjà ou non
reçu sa projection procédurale.
Les parties vont donc au delà du procès et poussent leur accord
jusqu'au bout (1) : trans - agunt.
C'est à l'étude de ce contrat ainsi défini qu'est consacré Ie
présent ouvrage.
***
L'origine de la transaction, pacte extinctif d'action, est
évidemment romaine.
Initialement toutefois, le droit romain ne connaît que Ie
pactum de non petendo dont l'objet est d'éteindre un rapport

(1) GurLLOUARD, Du cautionnement et des transactions, p. 299, n° 5.


16 INTRODUCTION

de droit existant, mais qui apparaît indifféremment comme


contrat à titre onéreux ou à titre gratuit (2). Ce ne sera qu'à
!'époque du code de Justinien et du Digeste que Ie visage défi-
1nitif de la transaction se modèlera, lorsque !'accent sera défi-
nitivement mis sur Ie fait que la transaction est un contrat
à titre onéreux dans lequel n'entre aucun élément de gratuité.
D'ou la célèbre formule de la loi 38 du Codex : transactio
nullo dato, vel retento, seu promisso minime procedit (3). Cette
définition, qui se réfère expressément à I'exigence des sacrifices
réciproques, inspirera largement les auteurs de !'ancien droit :
ils verront dans le contrat de transaction une « mutuelle paction »
dont la nature et Ie mécanisme offrent !'occasion de célèbres
discussions d'école; de transactione mirifice pugnatur in scholis
disait déjà d'Argentré (4).
Les auteurs du Code civil n'ont assurément pas perpétué
ce souci d'étude et d'analyse, eet intérêt que !'ancien droit
portait à la transaction.
Il est, en effet, devenu traditionnel de souligner, en doctrine
et parfois même en jurisprudence (5), les imperfections et les
lacunes des quinze articles que Ie législateur de 1804 a con-
sacrés à la transaction (art. 2044 à 2058) et de considérer que
ces textes comptent parmi les moins heureux du Code civil.
Certaines de ces dispositions sont jugées obscures ou sur-
abondantes, d'autres incomplètes - ce qui est flagrant dans
Ie cas de l'article 2044, alinéa 1er, du Code civil qui omet de
parler des concessions réciproques, élément pourtant essentie!
de la transaction - tandis qu'enfin, d'une manière générale,
la place assignée dans Ie Code civil aux textes relatifs à la
transaction - entre Ie cautionnement et Ie gage - est jugée
déraisonnable.
On explique généralement ces lacunes en rappelant que
Pothier, qui avait eu l'intention d'étudier la transaction (6)
était décédé avant d'avoir pu mener cette tàche à bonne fin,
de sorte que Ie législateur de 1804 fut réduit à des solutions
empiriques, Ie plus souvent inspirées de Domat.

(2) L. BOYER, La notion de transaction, Paris, 1947, p. 12.


(3) L. 38 C., de trans., 2, 4.
(4) Coutume de Bretagne, art. 266, chap. 3 A.
(5) Liège, 20 mars 1964, Jur. Liège, 1964-1965, p. 73.
(6) Traité du contrat de vente, n° 648, in fine.
INTRODUCTION 17

Cela est exact, comme est exact aussi le fait que le titre de
la transaction fut en quelque sorte improvisé, qu'il fut discuté
et voté à la hate, après que plusieurs tribunaux d'appel et Ie
tribunal de cassation lui-même eurent insisté pour que l'on
consacrat des dispositions spéciales à la transaction, contraire-
ment à ce que prévoyait Ie projet du Gouvernement consu-
laire (7).
Cependant, sans aller, comme Ie professeur René Rodière (8),
jusqu'à défendre inconditionnellement l'oouvre réalisée en
l'an XII, nous pensons comme lui que la méthode qui a consisté
à <loter d'un certain nombre de dispositions une convention
aussi délicate et importante en pratique que la transaction,
ne constitue pas en soi une erreur. Le système du droit allemand
qui a consacré à la transaction un seul article ne relève pas
nécessairement d'une méthode préférable.
Peut-être Ie juste équilibre a-t-il été trouvé par le Code civil
italien qui a étudié la transaction d'une manière affinée (art. 1965
à 1976) tout en évitant l'écueil de dispositions surabondantes,
qui ne font que répéter des règles de droit commun.

***
On groupe généralement les transactions en deux grandes
catégories : celles que l'on nomme judiciaires parce qu'elles
interviennent sur des contestations judiciairement nées, et celles
que l'on nomme extra-judiciaires, qui tendent à prévenir un
procès non encore engagé.
Cette distinction ne sera maintenue dans Ie présent ouvrage
qu'en donnant de la transaction judiciaire une définition beau-
coup plus restrictive : pour nous, est judiciaire la seule trans-
action qui se réalise grace à l'intervention active du juge dans le
processus contractuel, toutes les autres transactions étant extra-
judiciaires, qu'il y ait ou non procès engagé.
Nous pensons, en effet, qu'il vaut mieux conserver à la notion
de « contrat judiciaire » sa signification précise, laquelle suppose
une intervention du juge pour la réalisation de l'accord.
Autrement dit, dans notre conception, le domaine de la

(7) FE:N'ET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. II, p. 743
ets.; t. 111, p. 174, 205, 561 ets.; t. IV, p. 26, et t. V, p. 548.
(8) Cours de droit civil français, de BEUDANT, t. XII, par Il. Ronn'i:RE et
A. PERCEROU (Paris 1947), n° 340.
DE G.,rnE, Contrat de transacti-011. - 2
18 INTRODUCTION

transaction judiciaire devient, notamment, celui des jugements


d'expédient ou convenus, des jugements qui homologuent une
transaction, des procès-verbaux de conciliation, etc ... , toutes
notions qui relèvent directement du droit procédural et de
ses règles propres et qui peuvent, par cela même, modifier
sensiblement certains aspects du régime de droit commun de
la transaction.
D'ou l'étude particulière qui sera faite de ce type de contrat;
d'ou aussi Ie titre donné à eet ouvrage et la référence qui y est
faite au droit judiciaire privé.

* * *
Notre étude comportera donc deux parties : les transactions
extra-judiciaires et les transactions judiciaires.
Dans ce premier volume, seront étudiées d'abord les matières
qui touchent à la définition et au domaine de la transaction
extra-judiciaire, c'est-à-dire aux délimitations internes et
externes du contrat, ce qui conduit logiquement à comparer
celui-ci à d'autres institutions juridiques voisines.
Viendra ensuite !'examen des conditions de validité de la
transaction extra-judiciaire : consentement, capacité, objet et
cause dans ce que ces conditions ont de propre et de spécifique
à la transaction ou, au contraire, de commun avec tous les
autres contrats.
Un dernier chapitre sera consacré aux conditions de forme
et à la preuve de la transaction extra-judiciaire.
Poursuivant l'étude de celle-ci dans un second volume, nous
examinerons principalement les effets du contrat sous leurs
différents aspects (exception de transaction et effet déclaratif
ou translatif de la transaction) ainsi que les circonstances qui
conduisent à la mise à néant de la convention : cas de nullités
et singulièrement celui de l'erreur, résolution pour inexécu-
tion, etc ...
Enfin viendra l'examen des traits caractéristiques de Ja
transaction jwiciaire telle que nous la concevons.
Le second volume comportera une table bibliographique et
analytique couvrant les deux tomes.
LA TRANSACTION EXTRA- JUDICIAIRE
TITRE PREMIER.
DOMAINE DE LA TRANSACTION.

CHAPITRE PREMIER.

Définition et éléments constitutifs


de la transaction.

SEC'l'ION PREMIÈRE.

DÉFINITION.

§ Jer, - Définition du Code civil : article 2044.


Lacunes. Critiques.

1. La transaction, au sens spécifique qui nous intéresse dans


eet ouvrage (1), est définie par l'article 2044, alinéa 1er, du
Code civil : « La transaction est un contrat par lequel les parties
terminent une contestation née, ou préviennent une contesta-
tion à naître ».
Ce texte est, aujourd'hui, unanimement critiqué par la doc-
trine (2).
Il est, en effet, reproché aux auteurs de cette définition d'avoir
omis d'y introduire l'élément caractéristique essentie! du con-
trat : les concessions réciproques, gráce auxquelles se réalise
l'extinction de la contestation, du litige.
Lacune d'autant plus grave que c'est précisément par l'exis-
tence des concessions réciproques que la transaction se singu-

(1) Voy. l'introduction ci-devant.


(2) Voy. notamment : DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil beige, t. V,
n° 481; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, Traité pratique de droit civil français,
t. XI, 2• éd., n° 1563; Dall-Oz: Encycl. dr. ei vil, v 0 Transaction, par L. BoYER, n° 2;
M. GEVERS, « Examen de jurisprudence. Les contrats spéciaux », in Rev. crit.
jur. belge, 1961, p. 291, n° 80; A. P. R., v 0 Dading, par G. GHEYSEN, n°• 9 ets.
22 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

larise, existe comme telle, et se distingue d'autres institutions


juridiques telles que la renonciation pure et simple, l'acquiesce-
ment, le désistement ... (3).
Autrement dit, le législateur de 1804 s'est borné à indiquer
le résultat technique du contrat, sans faire mention du moyen
particulier grace auquel il peut être obtenu.

§ 2. - Définition classique de la transaction.


Ses éléments constitutifs.

2. Aussi la doctrine et la jurisprudence modernes les plus


autorisées définissent-elles généralement la transaction comme
étant « Ie contrat par lequel les parties entendent vider une
contestation née ou à naître, par le moyen de concessions réci-
proques (4).
Comme telle, cette définition ne suscite pas de grandes dis-
cussions, les auteurs étant d'accord pour considérer que la
transaction :
est un contrat,
qui suppose une contestation née ou à naître,
à laquelle les parties entendent mettre fin,
par Ie moyen de concessions réciproques.
Mais, précisément, la controverse naît dès !'instant ou l'on
s'efforce de définir d'une manière précise la nature et les limites
de chacun de ces facteurs constitutifs du contrat.
Nous nous proposons de les examiner successivement dans
les numéros qui suivent, afin de retracer le plus exactement
possible l'évolution des idées sur la transaction, et de vérifier
la définition classique qui vient d'être rappelée.
Nos développements seront principalement centrés sur les
notions de « contestation 1> et de « concessions réciproques 11.

(3) DE PAGE, op. cit., n° 482; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, op.cit., ibid.;
BAUDRY-LACANTINERIE et A. WAHL, Traité théorique et pratique de droit civil,
t. XXI, n° 1205; voy. pour plus de détails, infra, n°• 23 et s.
(4) DE PAGE, t. v, n° 482; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, op. cit., n° 1563;
DEKKERS, Précis de droit civil belge, t. II, n° 1317; RIPERT et BOULANGER, t. II,
n° 3220; Dalloz: Encycl. dr. civil, op. cit., par L. BOYER, n° 5; Bruxelles, 24 mai
1960, Ann. not., 1960, p. 209, et Liège, 29 mars 1962, Pas., 1962, II, 262.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 23

SECTION II.

ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS.

§ ter. - La transaction est un contrat.


Caractères de ce contrat.

3. Que la transaction soit un contrat, soumis comme tel,


sauf dérogation expresse, aux règles générales applicables à
toutes les conventions, cela est certain; Ie texte même de l'ar-
ticle 2044, alinéa 1er, du Code civil n'autorise pas la discus-
sion (5).
On dit généralement de ce contrat qu'i] est consensuel, synal-
lagmatique, à titre onéreux et commutatif (6).
a) La transaction se forme en effet solo consensu, et 1'écrit
obligatoire dont parle rarticle 2044, alinéa 2, n'est requis qu'ad
probationem et non ad solemnitatem. La question sera étudiée,
en détail, au chapitre consacré à Ja forme et à la preuve du
contrat (7).
b) La transaction est un contrat synallagmatique (8) en ce
qu'elle exige - nous l'avons déjà vu et nous y reviendrons
longuement - des concessions réciproques. Chacune des parties
s'engage vis-à-vis de l'autre à donner, faire ou ne pas faire
quelque chose et les engagements de l'un sont la raison d'être
de ceux de l'autre, en même temps que la condition de l'aban-
don réciproque des droits, actions et prétentions contraires.
Du caractère synalJagmatique du contrat découle, en principe,
]'application des articles 1325 et 1184 du Code civil. La ques-
tion et les controverses qu'elle suscite, notamment quant à
l'application du pacte commissoire tacite à la transaction,
seront examinées ultérieurement (9).

(5) Voy. aussi Ie rapport d'Albisson au Tribunat (LOCRÉ, éd. belge, t. VII,
p. 464).
(6) DE PAGE, t. V, n° 484; DEKKERS, t. II, n° 1318; BAUDRY-LACANTINERIE
et W AHL, op. cit., n° 1206; Audenarde, 20 mars 1903, Pas., 1904, III, 125; Pau,
11 juin 1959, Gaz. du pal., 1959, II, 232.
(7) Voy. infra, n°• 290 et s.
(8) Solution constante; voy. outre les références reprises BUb note n° 3 : cass.,
16 janvier 1957, Pas., 1957, I, 563; Bruxelles, 12 juin 1953, Bull. ass., 1953, 479;
Bruxelles, 15 avril 1959, Pas., 1960, Il, 65; Liège, 29 mars 1962, Pas., 1962, 11,
262; trib. Bruxelles, 28 mars 1963, Journ. trib., 1963, p. 491.
(9) Voy. infra, n° 307 ets. et t. II.
24 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAffiE

c) La transaction est un contrat à titre onéreux, puisqu'elle


implique des concessions réciproques qui traduisent le « don-
nant-donnant » propre aux contrats à titre onéraux, et puisque
chacune des parties recherche un avantage (10). Mais la trans-
action, .contrat à titre onéreux, est-elle commutative ou aléatoire ?
Elle n'est pas, par essence, un contrat aléatoire, mais elle peut
l'être suivant la nature du sacrifice consenti : si je renonce à
ma prétention moyennant paiement d'une rente viagère, le
contrat est aléatoire; si, au contraire, j'obtiens paiement d'un
capita!, Ie contrat est commutatif, car aucun événement ne
modifiera l'appréciation que font les parties des sacrifices
consentis par elles ( 11 ). Est aujourd'hui abandonnée une ancienne
doctrine qui, dans tous les cas, faisait de la transaction un
contrat à la fois commutatif et aléatoire, en ce que chaque
partie considère le sacrifice qu'elle fait comme l'équivalent
de la concession qu'elle obtient, et que eet équivalent est la
chance de gagner ou de perdre un procès (12). Cette concep-
tion est inexacte, parce que le prix de la transaction n'est pas
dans les chances du procès qu'elle éteint, mais dans la conces-
sion faite par chacune des parties à l'autre, dans l'abandon
d'une quotité des droits litigieux (13).
Quant au caractère déclaratif et indivisible de la transaction,
généralement affirmé en même temps que sa parenté avec le
jugement, nous prions le lecteur de se reporter aux développe-
ments consacrés à ces questions aux chapitres des effets de la
transaction (14) et des transactions judiciaires (15).

(10) MAZEAUD, Leçons de droit civil, t. III, n° 1634.


(11) DE PAGE, op. cit., n° 484, 3°; MAZEAUD, op. cit., n° 1637; DEKKERS, op.
cit., n° 1318; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1206, p. 584; GUIL-
LOUARD, Du cautionnement et des transactions, n° 9; PONT, Des petits contrats,
t. II, n° 462; AccARIAS, De la transaction en droit romain et en droit français (thèse,
Paris, 1863), n° 82 ; voy. aussi les intéressants développements de R. RODIÈRE
sur BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. XII, n° 348, p. 390, et sous Lyon,
28 novembre 1930, Sirey, 1932, II, 201.
(12) MARBEAU, Des transactions, n° 9.
(13) GUILLOUARD, op. cit., ibid.; R. Piret a écrit à ce sujet : « Dans Ie contrat
aléatoire, la prestation des deux parties (jeu et pari) ou de l'une d'elles (assurancc)
est affectée d'un risque. Dans la transaction, la contre-partie obtenue ou promise
par chacun est ferme; sans doute, les concessions faites par l'un et l'autre seront-
elles inégales, mais chacun connaît ce à quoi il renonce et les effets de la renon-
ciation ne sont pas influencés par un aléa » (note sous cass., 21 novembre 1946,
Rev. crit. jur. beige, 1947, p. 107; voy. aussi, p. lo.i).
(14) Voy. t. II.
(15) Voy. t. II.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 25

§ 2. - La transaction exige une contestation née


ou à naître. - La notion de litige.

4. Ce deuxième élément ne manque pas de susciter déjà des


difficultés d'interprétation assez sérieuses.
Plusieurs questions viennent à l'esprit, qui seront examinées
aux numéros suivants : l'existence de la contestation est-elle
une condition essentielle du contrat? Qu'est-ce qu'une contesta-
tion au sens de l'article 2044 du Code civil? Qu'est-ce qu'une
contestation à naître ? Quels sont les caractères requis pour
que la contestation puisse être la matière d'une transaction ?

À. - NÉCESSITÉ D'UNE CONTESTA'l'ION. - LA« R'ES LI'l'IGIOSA »,


ÉLÉMENT OBJ'ECTIF DU CONTRAT.

5. L'article 2044, alinéa 1er, du Code civil exprime, en des


termes qui excluent toute autre interprétation, qu'il ne peut
y avoir de transaction sans qu'existe une contestation, née ou
à naître.
Le législateur de 1804 aurait assurément pu adopter une
conception plus large et, à l'instar du droit allemand (16) et
du droit romain du Bas-Empire ( 17), admettre qu'une transac-
tion pût naître dès l'instant ou, dans les relations entre cotran-
sigeants, existe un doute quelconque, né d'un litige ou autre-
ment. Dans cette conception extensive, l'incertitude (res dubia)
qui permet la transaction peut porter indifféremment sur l'exis-

(16) Voy. l'article 779 du B.G.B. ainsi que les références aux pandectistes
allemands données par L. Boyer dans son ouvrage La notion de transaction (Paris,
1947), p. 18, note 5; voy. contra: SAVIGNY, System des heutigen römischen Rechts,
t. VIII, § 302.
(17) « Qui transigit quasi de re dubia et lite incerta neque finita transigit: qui
vero paciscitur donationis causa rem certam et indubitatam liberalitate remittit »
(D. Loi 1 De transactionibus 2.15).
La doctrine romaniste déduit traditionnellement de ce texte que la transac-
Uon a, en droit romain, pour fonction d'éliminer un état d'incertitude (l'elimina-
zione di uno stato di incertezza : E. GROPALLO, « La natura giuridica della transa-
zione », in Rivista di diritto civ-ile, l!l31, p. 322 et s., avec les références; adde :
AccARIAS, op. cit., p. 7 à 12 ; BERTOLINI, Della transazione secondo il diritto romano,
p. 33; ÜU)IE-KENDJIRO, De la tran.~action, thèse, Paris, 1889, p. 4 et s., spéciale-
ment n°s 3, 9 et 21).
l\I. Boyer a, dans une certaine mesurc, contesté l'exactitude de cette inter-
prétation (op.cit., p. 17), tout en concluant (op.cit., p. 18) que Je« droit romain
du bas-empire ne s'étant pas nettement posé Ie problème de Ja nature de J'incer-
titude requise, a admis qu'une res dubia quelconque pouvait constituer J'objet
d'une transaction ... et suffisait à Rome pour qu'une transaction au sens étroit
du mot soit possible ... •·
26 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

tence présente ou future d'un droit, sur sa nature, son étendue,


ses modalités, ou même sur ses possibilités de réalisation maté-
rielle.
Ainsi, la transaction n'apparaît pas, essentiellement, comme
un moyen d'apaiser les litiges, mais comme un contrat forfai-
taire dont la particularité est d'avoir pour objet des rapports
ou des situations juridiques préexistants entre parties au moment
de sa conclusion, rapports teinté3 d'un doute qui peut être aussi
bien juridique que naturel ou économique, objectif que sub-
jectif (18).
Cette conception extensive a été formellement consacrée
par l'article 779 du B.G.B. qui énonce que l'objet de la trans-
action est constitué par Ie litige ou l'incertitude (der Streit
oder die Ungewissheit).

6. Le Code civil adopte une conception infiniment plus restric-


tive, puisqu'il exige que non seulement il y ait doute dans les
rapports entre parties, mais que ce doute résulte d'un litige :
c'est la théorie de la res litigiosa et dubia.
Cette théorie avait, aux yeux du législateur de 1804, la force
de la tradition : !'ancien droit français avait, en effet, dès la
fin du XVI 0 siècle, sous l'impulsion de Cujas et de Demoulin (19)
notamment, affirmé la nécessité de la res litigiosa comme condi-
tion essentielle d'existence de la transaction. Il en était de même
de l'ancien droit belgique : des décisions du Parlement des
Flandres en font foi (20).
Sans doute peut-on expliquer Ie développement de la théorie
restrictive par la circonstance que la transaction fut, de plus
en plus, considérée par l'ancien droit comme un contrat privi-
légié et exceptionnel, à !'abri de la rescision pour lésion, et doté
d'un caractère déclaratif.
Mais, mieux que par ces arguments historiques, on peut aussi,
comme l'a fait Ie professeur Boyer (21), expliquer les diver-

(18) L. BOYER, op. cit., p. 19; voy. aussi G. GHEYBEN, in A. P. R., v 0 Dading,
n 08 8, 15 à 18, avec les références aux auteurs qui, en droit suisse et italien, défen-
dent la conception large exposée au texte.
(19) Voy. l'historique tracé par BoYER, op. cit., p. 22 avec les références en
note 1 et 2.
(20) Voy. notamment: Arrêt du Parlement des Flandres du 81 décembre 1697,
cité par DE GHEWIET, lnatitution du droit belgique, t. II, p. 61.
(21) Op. cit., p. 24.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 27

genees entre les systèmes romano-germanique et français par


une différence fondamentale de conception quant au but du
contrat de transaction. En réalité, les tenants des théories soit
extensive soit restrictive ne parlent pas de la même chose :
d'une part, il s'agit d'un contrat forfaitaire qui a pour hut de
préciser, compléter et raffermir Ie plus largement possible une
situation juridique douteuse et préexistante, tandis que, d'autre
part, il s'agit d'un contrat qui est « l'équivalent contractuel
d'un jugement » (22), ce qu'exprime implicitement l'article 2052,
alinéa 1 er, du Code civil. Dès lors, dans cette conception, Ie
recours à la notion de contestation ou de litige était indispen-
sable, cette notion devenant ainsi Ie dénominateur commun
du jugement contentieux, de la transaction et du compromis (23).

7. La doctrine a donc fait, tant en Belgique (24) qu'en


France (25), de l'existence d'une contestation née ou à naître
une des conditions sine qua non de la transaction. Le texte de
l'article 2044 du Code civil n'autorisait pas d'autre enseignement,
et les travaux préparatoires de la loi pas davantage
« Tout traité qui ne porte pas sur un droit litigieux ou susceptible
de Ie devenir, ne saurait avoir Ie caractère ni les effets d'une transae-
tion ... » (LocRÉ, Commentaire de l'article 2044, t. VII, éd. belge, p. 447).
« ••• de tous les moyens de mettre fin aux différends que font naître
entre les hommes leurs rapports variés et multiples à l'infini, Ie plus
heureux dans tous ses effets est la transaction, ce contrat par lequel
sont terminées les contestations existantes ou par lequel on prévient les
contestations à naître » (Exposé des motifs, par M. Bigot-Préameneu,
LOCRÉ, éd. belge, t. VII, p. 458, n° 1).

(22) CARNELUTrI, Lezioni di diretto processuale civile, t. I•r, p. 135.


(23) Voy. en ce qui concerne Ie recours à la notion de litige comme critérium
de la possibilité de compromettre : trib. Bruxelles, 11 janvier 1963, Journ. trib.,
1963, p. 321 avec la note de références et surtout cass., 6 février 1964, rejetant
Ie pourvoi contre Ie jugement précité, Pas., 1964. I, 596, et Journ. trib., 1964,
p. 292.
(24) LAURENT, t. XXVIII, n° 324; DE PAGE, t. V, n° 483, 1°; DEKKERS, t. II,
n°• 1317 et 1322; M. GEVERS, Chron. précitée in Rev. crit. jur. beige, 1961, p. 291,
n° 80; M. GEVERS et J. DE GAVRE, « Examen de jurisprudence », Rev. crit. jur.
beige, 1965, p. 244, n° 90; V. THIRY, Cours de droit civil, t. IV, n°• 268 et 269;
ARNTZ, Cours de droit civilfrançais (2• éd.), t. IV, n° 1537; Pand. belges, v 0 Tran-
saction, n° 13; G. GHEYSEN, in .A. P. R., v 0 Dading, n°• 14 et s.
(25) PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1564; BOYER, op.cit., p. 25 ets.,
35 ets.; BEUDANT et LEREBOURS-PIOEONNIÈRE, t. XII, n° 340; AUBRY et RAU,
Cours de droit civil français, t. VI, 6• éd., § 418, p. 242; MAZEAUD, Leçons, t. III,
n° 1635; Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, par L. BoYER, n°• 6 ets.; Gu1L-
LOUARD, op. cit., n°• 6 et s.; ÜUME-KENDJIRO, op. c-it., n° 275.
28 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Seuls Baudry-Lacantinerie et Wahl paraissent opter en


faveur de la conception extensive de la res dubia qui
est celle du droit romano-germanique, lorsqu'ils écrivent que
la transaction est possible dès qu'il y a doute ou litige (26) et que
la solution du Code civil est celle admise par Ie B.G.B. ! (27).

8. Quant à la jurisprudence, elle s'est ralliée à l'enseignement


traditionnel des auteurs. De nombreux arrêts de la Cour de
cassation et des juridictions de fond en attestent, tant en Bel-
gique (28) qu'en France (29). Mais il faut noter ici la tendance
très marquée de la doctrine et de Ia jurisprudence modernes
à parler, indifféremment, de litige ou de contestation nés ou à
naître (30).
Dès lors, se pose la question si les deux concepts sont parfaite-
ment synonymes, ainsi que celle de leur signification, commune
ou respective.

B. - LES NOTIONS DE CONTESTATION ET DE LITIGE.


DÉ:l!'INITIONS. - ÉVOLUTION.

1° Terminologie du Code civil.

9. Le Code civil use, au titre des transactions, d'une termino-


logie dont la variété ne contribue certes pas à en préciser Ie
sens exact : tantöt il parle de contestation (C. civ., art. 2044,

(26) T. XXI, n° 1202, p. 581.


(27) Op. cit., n° 1201, p. 580; voy. cependant n° 1205, ,in fine, qui parle d'une
question qui paraît litigieuse aux parties.
(28) Voy. à titre d'exemples : cass., 10 juillet 1802, Pas., 1862, I, 289; cass.,
13 février 1868, Pas., 1868, I, 331; cass., Hl janvier 1957, Pas., 1957, I, 563 ets.
(spécialement p. 568); Bruxelles, 11 avril 1864, Pas., 1865, II, 215; Bruxelles,
15 avril 1959, Pas., 1960, II, 65; Liège, 29 mars lü62, Pas., 1962, II, 262, et 24 dé-
cembre 1964, Jur. Liège, 1964-1965, p. 154; trib. Bruxelles, 22 février 1915, Pas.,
1918, III, 187; Marche-en-Famenne, 21 juin 1947, Jur. Liège, 1948-1949, p. 12;
trib. Bruxelles, 5 juillet 1945, Rev. gén. ass. et resp., 19-16, 3956, 22 avril 1958,
Journ. trib., 1958, p. 692, et 28 mars 1963, Journ. trib., 1!)63, p. 491; comm.
Bruxelles, 29 janvier 1936, Jur. com. Brux., 1037, p. 133, et 3 mars Hl55, Rev.
gén. ass. et resp., lü55, 5635.
(29) Voy. notamment cass. fr., civ., 13 mars 1922, D. P., 1925, I, 139; 22 octo-
bre 1951, Bull., cass., I, n° 265, p. 205; 28 mars 1955, J. C. P., 1955, IV, 78; cass.
fr., soc., 17 mars 1959, Bull., cass., 1959, IV, 354; 23 janvier 1963, Sirey, 1963,
Jur., 286; Toulouse, 17 décembre 1954, D., 1955, 122; Dijon, 19 mai 1954, Gaz.
du pal., 1954, II, 120; 1\fontpellier, 21 févier 1955, Gaz. du pal., 1955, I, 417.
(30) Voy., à titre d'exemples : De Page (t. V, n° 483, 1 °) qui parle de « litige »,
l'arrêt de Ja Cour de cassation du 16 janvier 1957 qui parle de « contestation »,
et l'arrêt de la Cour de Liège du 24 décembre 1964, décisions précitées.
DÉFINITION ET ÉLÉl\IENTS CONSTITUTIFS 29

al. 1er, et 2053), tantöt de di!férend (C. civ., art. 2048 et 2049),
tantöt d'affa-ires (C. civ., art. 2057) (31).
Mais il n'est pas douteux que, dans l'esprit du législateur
de 1804, ces expressions sont synonymes, et qu'elles se ramènent
toutes à une notion commune : Ie procès, c'est-à-dire la contesta-
tion considérée sous son aspect formel, technique et procédural (32).
La transaction n'est donc possible que si un procès est noué
ou en puissance de l'être.
Par contre l'objet de ce procès et son fondement importent
peu : discussion de droit ou de fait, contestation sur Ie principe,
la qualité ou les modalités d'un droit, contestation sur une
situation d'ensemble ou sur un point déterminé de semblable
situation, procès bien ou mal fondé, ou simplement « plai-
dable » .•• (33).
Les travaux préparatoires du Code civil ne laissent aucun
doute sur l'interprétation procédurale que Ie législateur a voulu
donner aux termes de l'article 20,!4, alinéa 1er.
« les transactions sur procès ... <lont le caractère particulier est de
mettre fin aux procès ou de les prévenir méritent particulièrement à
ce titre les faveurs de la loi ... » (Albisson, Rapport au Tribunat, LoORÉ,
t. VII, éd. belge, p. 463, n° 1);
••• « il n'en est pas ainsi des transactions : par elles les procès sont
terminés ou avortés ... » (id., op. cit., p. 464, col. 1);
••• « toute convention a une cause : celle de la transaction est la crainte
des procès : propter timorem lit.is ... » (Discours de Gillet au Corps légis-
latif, op. cit., p. 471, n° 8);
••• « Elle (chaque partic) balance de bonne foi et avec le désir de la
conciliation, l'avantage qui résulterait d'un jugement favorable et la
perte qu'entraînerait une condamnation » (Exposé dos motifs, op. cit.,
p. 458, n° l).

Les auteurs du Code civil restaient ainsi fidèles à !'opinion

(31) l\Iais il ne parle jamais de « controverse » ainsi que L. Boyer l'écrit par
inadvertance sans doute (op. cit., p. 40).
(32) Voy., notamment, DE PAGE, op.cit., n° 483, 1°, p. 472. On rapprochera
cette conception de la notion de droits litigieux dont parle l'article 1700 du Code
civil; voy. sur cette notion, la jurisprudence belge récente : l\I. GEVERS et J. DE
GAVRE, « Examen de jurisprudence. Contrats spéciaux », 1960-1965, in Rev. crit.
jur. belge, 1965, p. 186, n° 18.
(33) DE PAGE, op. cit., ibid.; comp. PLANIOL, RrPERT et SAVATIER, op. cit.,
n° 1564, qui distinguent les litiges en droit des litiges en fait; voy. aussi R. DEK-
KERS, Précis, t. II, n° 1317, note 1, et C. ASSER, Handleiding tot de beoefening
ven het Nederlandsch burgerlijk ·recht, 3• partie, Bijzondere overeenkomsten, par
KAMPHUISEN et VAN A!\"DET,, p. 80•1.
30 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

de Domat, qui assignait également pour hut à la transaction


de cc prévenir ou terminer un procès >> (34).
L'article 2056, alinéa 1er, du Code civil, qui parle d'une trans-
action cc sur un procès terminé passé en force de chose jugée
dont les parties ou l'une d'elles n'avaient point connaissance ... >>
illustre la conception procédurale qui est celle du Code civil
lorsqu'il parle d'une contMtation.
La jurisprudence du XIXe siècle devait confirmer cette
interprétation en recourant largement à la notion de procès,
né ou à naître, et en en faisant la matière objective du contrat
de transaction (35).

2° Évolution.

10. C'est au début du XXe siècle que la notion de litige fut


de plus en plus fréquemment attachée à la transaction (36)
alors que, dans les travaux préparatoires, elle n'apparaissait
qu'incidemment (37). Que l'on ne s'y trompe point : l'associa-
tion des deux concepts n'eut pas pour effet de remplacer simple-
ment un mot par son synonyme, mais bien de substituer à un
élément formel, technique et purement procédural, une notion
plus large, plus souple et surtout plus substantielle (38).
On sait la part importante que les publicistes (39) et les
processualistes ont prise au cours des dernières décennies, dans
l'élaboration de la théorie générale du litige, à l'occasion de
leurs recherches sur la nature de l'acte juridictionnel et de

(34) Lois civiles, liv. Jcr, tit. XIII, sect. Jre, n° 1.


(35) Voy. notamment: Liège, 10 mars 1817, Pas., 1817, 346; Bruxelles, 1 er aofit
1837, Pas., 1837, II, 194; Charleroi, 19 mars 1875, Pas., 1875, 111, 112.
(36) Il faut souligner ici que Ie texte néerlandais du Code civil belge a substi-
tué à la terminologie variée et incertaine du texte français (voy. n° 9, 1°, ci-dessus)
l'emploi généralisé du mot « geschil • (litige) par opposition a « geding » (procès);
cf. art. 2044, al. 1 er, 2048, 2049, 2053 du texte néerlandais et comp. art. 2056,
al. 1 er, et 2057. Par contre, l'article 1888 du Code civil hollandais parle de • aan•
hanging of te voeren geding •·
(37) Voy. Ie Rapport d'Albisson au Tribunat: LocRÉ (éd. beige), t. VII, p. 465,
n° 6, ainsi que Ie sommaire analytique mais non Ie texte de !'Exposé des motifs
de BrooT-PRÉAMENEU, op.cit., p. 457, n°• 8, 11 et 14; comp. mêmes n°•, p. 460,
461 et 462.
(38) MARTY et RAYNAUD, Droit civil, t. Jer, éd. 1956, p. 312: ..• « Ainsi la notion
de contestation ou celle plus large de litige apparaissent comme la caractéristique
essentielle de l'activité juridictionnelle au point de vue matériel. .• •·
(39) Voy. la bibliographie citée par M. l'avocat général Ganshofvan der Meersch
dans ses conclusions avant cassation, 21 décembre 1956, Journ. trib., 1957, p. 51,
spécialement note 31; adde: SoLUS et PERROT, Droitjudiciaire privé, t. Jer, n°• 468
et s.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 31

celles consacrées à la distinction entre la juridiction conten-


tieuse et la juridiction gracieuse.
Notre propos se limite, très modestement, à faire le point
de l'évolution des idées sur la notion de litige et, surtout, à en
mesurer l'incidence éventuelle sur la théorie générale et la défi-
nition de la transaction.

3° La conception moderne du litige.

11. Le litige suppose nécessairement une opposition d'intérêts.


Mais toute opposition d'intérêts n'est pas nécessairement
génératrice de litige, car elle peut être d'ordre purement écono-
mique : lorsque deux commerçants se font loyalement concur-
rence, il existe entre eux une évidente opposition d'intérêts
économiques, qui ne trouvera cependant pas sa solution dans
Ie droit positif; par contre, lorsque la concurrence devient
déloyale, celui qui en est victime ou qui prétend l'être invoque
la violation d'une norme juridique objective et réclame la pro-
tection du droit et l'intervention des autorités chargées d'en
faire assurer le respect. La contestation devient juridique et Ie
litige existe.
La distinction entre les conflits économiques et juridiques
a une portée tout à fait générale : elle sous-tend la théorie de
l'action en droit judiciaire (40), et elle s'impose en matière de
transaction comme en matière d'arbitrage (41).
Mais ce qui « dynamise >> l'opposition d'intérêts, c'est l'action
entendue comme la prétention des parties à obtenir du juge
une décision favorable, c'est-à-dire gain de cause sur le fond (42).
L'action et la prétention révèlent donc Ie litige : elles sont la
forme élémentaire du contact entre les parties en conflit, Ie germe
indéfectible du procès (43) dont le juge ne sera cependant saisi
que par la voie de la demande, moyen technique destiné à établir
le contact entre la part ie demanderesse et le juge (44 ).

(40) SOLUS et PERROT, op. cit., n° 228, p. 202.


(41) L. BoYER, op. cit., p. 40, note 1 avec les références aux principaux pro-
cessualistes italiens et notamment à CARNELUTTI, « Lite et funzione processuale »,
Riv. dir. pr. civ., 1928, p. 28 et s.
(42) Sur cette conception large de l' « action », voy. SoLus et PERROT, op.
cit., n° 95, p. 97, et n° 97, p. 99.
(43) CARNELUTTI, Lezioni di diretto processuale civile, t. II, n° 121, p. 326.
(44) Sur la distinction à faire, en droit judiciaire, entre l'action définie comme
ci-dessus et la demande en justice qui l'exprime techniquement, voy : SoLus
32 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

12. A J'origine de la théorie du litige, on trouve donc Ie schéma


simple et classique de deux parties en cause - Ie demandeur
et Ie défendeur - , chacune formulant des prétentions opposées
à celles de l'autre, et aspirant à les faire triompher (45).
Cette conception, qui devait nécessairement venir d'abord
à !'esprit parce qu'elle correspond au plerumque fit, révéla
rapidement ses insuffisances lorsqu'on entreprit de définir
l'acte juridictionnel et la juridiction contentieuse en se référant
d'une façon générale au critère substantie! du litige.
Le jugement par défaut, Ie jugement pénal sont en effet des
actes juridictionnels de juridiction contentieuse, malgré !'absence
d'adversaire. Inversement, Ie défendeur peut fort bien n'opposer
à la prétention de son adversaire que son inertie, soit qu'il s'en
réfère à la sagesse du juge, soit qu'il refuse simplement d'exé-
cuter ce que vent Ie demandeur.
Aussi, en raison de ces imperfections, qu'elle a vigoureusement
soulignées, la doctrine moderne s'est-elle attachée à élargir la
notion de contestation en lui substituant celle, plus compré-
hensive, de litige (46).
Elle est ainsi arrivée à considérer qu'il suffit, pour qu'il y
ait litige, que les intérêts d'une personne aient été lésés par
!'attitude d'une autre qui, de façon positi-ve ou négative, voire
même par simple inertie, résiste à la prétention qui ]ui est oppo-
sée (47).
Cette négation peut porter sur l'existence même du droit,
sur certains de ses éléments, ou sur ses modalités.
La résistance du prétendu sujet passif a pour résultat de
rendre Ie droit incertain et d'en paralyser l'efficacité.
Il n'y ama qu'un remède à cette situation : Je recours au pou-
voir judiciaire, qui se substituera aux parties pour reconnaître ou
dénier d'une manière définitive l'existence du droit paralysé (48).

et PERROT, op. cil., n°• 109 ets.; Cn. VAN REEPINGHEN, Rapport sur la réforme
judiciairc, t. Jer, p. 36; BoYER, op. cit., p. 45, texte et note 1; A. FETTWEIS, Elé-
ment de la compétence et de la procédure civile, t. II (Liège, 1962), p. 355.
(45) Cette conception du litige est celle du doyen Hauriou (« Les éléments du
contentieux », Recueil de l'Académie de législation de Toulouse, 1905, p. 15 et s.,
et 1907, p. 149 et s.).
(46) SoLUS et PERROT, op.cit., n° 480, p. 439.
(47) Voy. les références sub n° 13, ei-après.
(48) ROGER MERLE, Essai de contribution à. la lhéorie générale de l'acte déclaratif
(Paris, 1949), n° 63, p. 100.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 33

13. Suite. Cette conception du litige est relativement récente:


en 1944 encore, Ie doyen H. Vizioz regrettait que la notion de
litige, trop souvent confondue avec celle de procès, ait été
méconnue du moins par la doctrine française, quine s'était pas
préoccupée d' en mettre les traits distinctifs en lumière (49).
Il faut cependant remarquer que R. Japiot avait dégagé dès
1936 (50), mais avec timidité il est vrai, une notion plus large
du litige, en étudiant, dans Ie cadre de la théorie générale de
la juridiction, les cas particuliers des procédures par défaut
et de celles dans lesquelles Ie défendeur s'en remet à la sagesse
du juge, « contestant ainsi implicitement les prétentions de son
adversaire n.
Le grief que H. Vizioz faisait à la doctrine française ne pou-
vait certes pas s'adresser aux processualistes italiens. Leurs
études approfondies sur les théories de l'action ont conduit en
effet à la mise en valeur du litige (la lite), qui devint, chez Car-
nelutti, « Ie pivot de tout Ie système procédural » (51) : deux
personnes sont en litige quand l'une prétend que Ie droit pro-
tège directement son intérêt en conflit avec l'intérêt de l'autre,
et que celle-ci résiste à cette prétention soit en la contestant,
soit en n'y donnant pas satisfaction, c'est-à-dire en lésant l'in-
térêt qui se dit protégé (52).
Répandues en France par H. Vizioz qui les accueillera dans
une large mesure (53), ces idées influenceront considérablement
les reuvres de deux civilistes, MM. Louis Boyer (54) et Roger
Merle (55), qui, préoccupés d'étudier Ie mécanisme de la trans-
action et de l'acte déclaratif d'une manière approfondie, donne-
ront à la notion de litige une définition large et substantielle,

(49) Préface au • Précis de procédure civile » de M. BRULLIARD, reproduite


in Etudes de procédure, p. 166.
(50) Traité élémentaire de procédure civile et commerciale, 3• éd., n° 147, p. 132.
(51) H. V1z10z, Etudes de procédure, p. 140 en note.
(52) Voy. la traduction de la pensée de l'éminent processualiste italien, par
V1z10z, in Etudes de procédure, ibid.; voy. aussi l'article 87 du projet de Code de
procédure civile italien, dû à Carnelutti, cité par L. Boyer, op. cit., p. 43 ; adde :
P. n'ON0FRIO, « Della transazione », in Commentario del codice civile, Lib. IV
(Rome et Bologne, 1959), p. 191 s.
(53) Voy. notamment ses observations à la Rev. trim. dr. civ., 1945, p. 291
et 292, et 1948, p. 95 (« la fonction juridictionnelle suppose une situation conten-
tieuse, un litige, c'est-à-dire un conflit qui s'élève sur l'application de la loi dans
un cas concret et qui résulte de ce que cette application est contestée ou incer-
taine »).
(54) Op. cit., p. 40 et s.
(55) Op. cit., n°• 62 et s. et 132 et s.
DE GAvRE, Oontrat de transaction.. - 3
34 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

à laque1le se rallie d'ailleurs Ie traité récent de droit judiciaire


privé de MM. H. Solus et R. Perrot (56).
Ce brillant courant de pensée paraît bien avoir pénétré la
doctrine belge de droit public, à la recherche d'une théorie
de I'acte juridictionnel, assez confuse encore jusqu'à il y a quel-
ques années (57).
Ainsi, dans ses magistrales conclusions précédant l'arrêt
de Ja Cour de cassation du 21 décembre 1956, M. l'avocat général
Ganshof van der Meersch, professeur à l'Université libre de
Bruxelles, a-t-il clairement fait apparaître que Ie litige peut
exister indépendamment de son expression par les parties, et que
c'est à cette condition seulement qu'on peut en faire Ie critère
matériel adéquat de l'acte juridictionnel (58).
C'est aussi !'opinion de M. Cyr Cambier, professeur à l'Uni-
versité de Louvain (59).

14. On retiendra donc de eet historique que la théorie moderne


du litige repose sur une conception substantielle, faite des élé-
ments de fond du conflit, et non uniquement sur sa projection
procédurale : le procès.

4° Transaction et litige.

15. Il était logique, sinon indispensable, d'appliquer à la


transaction les idées consacrées dans Ie domaine de l'action
judiciaire, puisque ce contrat est un procédé de règlement des
conflits qui remplit une fonction analogue à celle de la sentence
du juge (60).
C-ette transposition fut réalisée par MM. L. Boyer et R. Merle
dans leurs ouvrages déjà cités.
Le premier de ces auteurs, se fondant expressément sur la
conception du litige dans l'reuvre de Carnelutti, en tire les plus
larges conséquences, et lui reconnaît Ie mérite de faire appa-
raître la possibilité d'une survivance du litige à la décision de

(56) T. Jer, n° 480 avec de nombreuses références.


(57) Voy. note 58, ei-après.
(58) Journ. trib., 1957, p. 49, etc., plus spécialement p. 51.
(59) Principes du contentieux administratif (Bruxelles, 1961), t. I•r, p. 133.
(60) H. V1zroz, préface précitée in Etudes de procédure, p. 167; voy. aussi la
note de M. P. AZARD sur Ie caractère para-judiciaire de la transaction in Dallo•·
Sirey, 1965, p. 367 (sous cass. fr., civ., 6 octobre 1964).
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS .35

justice, et, partant, la possibilité d'une transaction après chose


jugée.
« Le jugement, a-t-on coutume de dire, tranche les litiges et il se:ril-
blerait donc que, dès ce moment, ceux-ci ne puissent plus exister. Il
n'en est rien : Ie débiteur condamné peut parfaitement continuer à refu-
ser d'exécuter son obligation et Ie créancier sera à nouveau obligé de
s'adresser au juge pour obtenir satisfaction. La violation de la loi, Ie
trouble créé par rapport à l'ordonnancement juridique existent aussi
bien avant qu'après la sentence: l'opposition d'intérêts comme la demande
d'aide aux organes judiciaires persistent » (61).

M. L. Boyer justifie ainsi la possibilité - admise par certaines


décisions (62) - de conclure une véritable transaction après
chose jugée, en parfaite connaissance de cause de celle-ci (63),
non seulement si l'exécution de la sentence judiciaire donne lieu
à des controverses juridiques, mais aussi s'il survient de simples
difficultés de fait liées à l'exécution du titre (64).
<< Ainsi, le domaine du litige épouse celui de la prétention

juridique et celui de la fonction processuelle », celle-ci étant


définie par M. Boyer comme la réunion de la fonction juridic-
tionnelle et de la fonction d'exécution (65).
Mais M. Boyer lie indissolublement Ie litige et le droit d'action,
notion sur laquelle nous reviendrons lors de l'examen des « con-
cessions réciproques » inhérentes à la transaction.
M. R. Merle, de son cöté, estime, dans une conclusion qui a
le mérite de la sobriété, que « la conception substantielle du
litige permet de définir complètement et sans équivoque l'objet
de la transaction : la transaction a essentiellement pour objet
une situation contentieuse déjà née » (66).

(61) Op. cit., p. 43.


(62) Cass. fr., req., 12 novembre 1902, D., 1902, I, 566.
(63) Il s'agit donc d'une autre hypothèse que celle de l'article 2056 du Code
civil.
(64) Dans ce cas, il y aura plutöt nouveau litige et nouvelle transaction.
(65) Op. cit., p. 44.
(66) Op. cit., n° 132, p. 183. L'expression « situation contentieuse » employée
comme synonyme de litige lato sensu se retrouve déjà chez Vizioz en 1948 (obs.
Rev. trim. dr. civ., 1948, p. 95). Voy. aussi la note d'observations anonyme sous
cass. fr., 23 janvier 1963, Sirey, 1963, .Jur., p. 286.
On relèvera encore l'opinion de MM. Mazeaud qui enseignent (Leçons ... , t. III,
n° 1635) que Ie terme litigieux doit être pris dans un sens très large : • il suffit
que les deux parties émettent des prétentions sur Ie même droit ». Cf. aussi Bru-
xelles, 24 mai 1960 (Ann. not., 1960, p. 209) qui parle d'un « état de litige ».
36 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Cette conclusion nous paraît particulièrement heureuse :


elle exprime en effet la rnatière et en même temps Ie but du
contrat, qui est de mettre fin, par le processus contractuel,
à un fait anormal qui menace Ie droit dans son existence, trouble
la paix sociale, et qu'il faut donc tendre à faire disparaître (67).
Elle se concilie parfaitement d'autre part avec les termes de
l'article 2044, lorsqu'il parle de contestation à naître.

5° La notion de contestation ou de litige à naître.


Transaction sur les droits éventuels.

16. a) L'article 2044, alinéa 1er, du Code civil vise deux sortes
de cc contestations » : celles qui sont déjà nées, auxquelles la
transaction met fin, et celles à naître, que la transaction a pour
hut de prévenir.
Dans Ie premier cas, on dit généralement que la transaction
est judiciaire parce qu'un procès est déjà noué; dans Ie second,
on la qualifie d'extra-judiciaire (68). Nous préférons cependant
réserver cette distinction à un domaine plus strict, et consi-
dérer que toutes les transactions sont extra-judiciaires, sauf
celles qui se réalisent par l'intervention active du juge saisi
dans Ie processus contractuel. C'est dans cette acception que la
transaction judiciaire sera étudiée, dans Ja seconde partie de
eet ouvrage (69).
Nous avons établi déjà que lorsqu'il parle de contestation,
l'article 2044, alinéa 1er, du Code civil entend cette notion
dans son sens formel et procédural (70).
Contestation à naître est donc synonyme de procès à naître.
Mais cela n'empêche nullement de constater, quant au fond,
qu'il existe antérieurement à ce procès à naître une situation

(67) Voy. la déflnition de la « situation contentieuse •• par R, B0NNARD (Précis


de droit administratif, 4° éd., p. 65) reprise par M. CYR CAMBIER, op. cit., p. 130,
note 1.
(68) PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1564; Dalloz : Encycl. dr. civil,
v 0 Transaction, par L. B0YER, n° 4; L. BOYER, op. cit., p. 45.
(69) Voy. aussi notre « Introduction ».
(70) Voy. supra, n° 9, 1°. Il était donc normal que la jurisprudence du XIX• siè-
cle ait posé en principe que, pour transiger sur une contestation à naître, il faut
qu'un procès soit possible, c'est-à-dire que la partie ait déjà la qualité et l'intérêt
né et actuel qui permettent d'intenter ce procès (Bruxelles, 1 er août 1837, Pas.,
1837, II, 194; Charleroi, 19 mars 1875, Pas., 1875, III, 112). Voy. dans Ie même
sens G. GHEYSEN, in A. P. R., v 0 Dading, n° 34,
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 37

contentieuse déjà née, qui n'a pas encore reçu la projection pro-
cédurale qui la révèle.
Il faut donc fondre les deux données et considérer que la
transaction implique, du point de vue matériel, une situation
contentieuse essentielle à son existence même, mais qu'il importe
peu, par contre, que, du point de vue formel, elle se soit déjà
traduite ou non dans une procédure judiciaire.
Cette compénétration des aspects matériels et formels d'une
même notion est indispensable si l'on veut éviter que la formule
de l'article 2044, alinéa 1er, devienne équivoque et contra-
dictoire.
En effet, puisqu'il est acquis, sans doute possible, que la
transaction, quelle qu'elle soit, ne peut réaliser l'élimination
du litige que par Ie moyen des concessions réciproques, il faut
nécessairement admettre qu'avant la transaction sur procès
à naître existe déjà un conflit matériel, un débat préalable et
des prétentions contradictoires qui sont mutuellement apaisées
par les concessions réciproques (71).
Pour pouvoir se faire de telles concessions, il faut - c'est
l'évidence même -- un conflit existant qui appelle la solution
du droit, c'est-à-dire une cc situation contentieuse » définie
comme nous l'avons fait ci-dessus (72).

17. Sans doute, la situation contentieuse, Ie litige, entendus


dans leur acception substantielle la plus large, peuvent-ils se
présenter avec des degrés << d'actualité » différents : tantöt Ie
droit invoqué est, dès ores, vinculé par Ie prétenda sujet passif,
avec la paralysie et l'incertitude qui en résultent aussitöt;
tantöt, au contraire, Ie refus du débiteur de reconnaître son
obligation existe déjà, mais la paralysie du droit n'est que pré-
visible, comme, par exemple, lorsque Ie débiteur d'une obliga-
tion à terme prétend avant !'échéance qu'elle est nulle (73).
Dans ce dernier cas, l'on pourrait parler - d'un point de vue
matériel et substantie[ cette fois - d'une véritable contestation

(71) M. R. Merle a mis clairement en relief cette nécessité logique que Carresi
a également soulignée (Trattato di diritto civile italiano di Vassali, vol. IX, tomo 3°,
fase. 2, < La transazione », Turin, 1956, p. 58, in fine; voy. aussi, mais implicite-
ment cass., 10 juillet 1862, Pas., 1862, I, 289.
(72) Voy. supra, n° 15, in fine.
(73) Exemple emprunté à M. R. MERLE, op. cit., p. 183.
38 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

à naître, puisque tous les éléments du litige, s'ils existent vir-


tuellement d'une façon indiscutable, ne sont point encore tous
actualisés (7 4).
Mais la transaction nous paraît néanmoins possible, d'autant
plus qu'étant l'équivalent ou le substitut contractuel du juge-
ment, elle doit pouvoir remplir un röle d'apaisement et de
sécurité au moins aussi complet que celui-ci.
Or, on sait que Ie droit judiciaire moderne admet que le juge
soit saisi d'une action judiciaire préventive ou même déclara-
toire lorsqu'il s'agit de prévenir cc la violation d'un droit grave-
ment menacé » (75), et qu'il est acquis qu'une prétention immé-
diate et actuelle annonce ou fait présager d'une manière suffi-
samment probable et sérieuse la mise en péril d'un droit ou la
réalisation d'un dommage (76).
Les processualistes voient dans cette procédure la forme la
plus élevée et délicate du pouvoir judiciaire, parce qu'elle pré-
vient les actes illégitimes et, au lieu de frapper les parties de
lourdes responsabilités, leur donne une norme pour leur con-
duite à venir (77). Ils admettent que l'on y recoure dès qu'existe
la nécessité de mettre à l'abri un droit ou un intérêt juridique qui
fait l'objet d'une menace ohjective, sérieuse et actuelle (78), de
nature à en paralyser l'exercice à plus ou moins brève échéance.
L'intérêt requis pour intenter une telle action est générale-
ment qualifié de réel et sérieux (79) ou de cc suffisamment précis
pour être qualifié d'actuel >> (80).

(74) R. MERLE, op. cit., p. 183; voy. aussi P. n'ONOFRIO, Della Transazione,
p. 192 avec les références.
(75) Voy. art. 18, al. 2, du Code judiciaire en projet et les commentaires de
M. le commissaire royal OH. VAN REEPINGHEN, in Rapport sur la réforme judi-
ciaire, t. rer, p. 40.
(76) Cass., 12 juin 1919, Pas., I, 156 et les conclusions conformes de M. P. LE-
CLERCQ.
(77) Rapport de M. Chiovenda au congrès international de droit comparé
de La Haye en 1932, cité par M. Cn. VAN REEPINGHEN, Rapport précité, ibidem.
Voy. aussi, ibid., la résolution du ve congès de droit comparé (Bruxelles 1958).
(78) Cn. VAN REEPINGHEN, Rapport précité, p. 41.
(79) Rapport précité de M. Chiovenda, ibid.; adde, les observations de P. HE-
BRAUD, in Rev. trim. dr. civ., 1965, p. 398, in fine: « Il est légitime de subordonner
le droit d'agir en justice à l'existence d'un intérêt sérieux afin que le contentieux
judiciaire ne se nourisse pas de vaines spéculations abstraites mais de réalités
concrètes et effectives. Mais il faut l'entendre assez largement et ouvrir librement
l'accès à la justice toutes les fois qu'il est utile pour trancher une contestation :
dût-elle être qualifiée de déclaratoire, préventive ou interrogatoire, une action
devait être ici recevable parce qu'elle répondait à un int.érêt réel concrètement
existant et sérieux ».
(80) A. FETTWEIS, op. cit., p. 363.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 39

Il se conçoit que la fonction d'un tel processus d'apaisement


des conflits humains doit être transposée dans le domaine de la
transaction d'autant plus largement qu'un certain risque de
« renversement du contentieux » que l'action préventive ou
déclaratoire fait courir à la procédure civfü, (81), n'existe pas
dans le domaine contractuel. Il est vrai que le juge ne peut
donner des consultations juridiques a priori, mais il est tout
aussi vrai que des cotransigeants, maîtres de leurs droits, peu-
vent, au contraire, agir librement et, sous réserve du respect
de l'ordre public et des bonnes mceurs, faire ce qu'ils veulent,
y compris fixer pour l'avenir, et en principe, les normes contrac-
tuelles de leur comportement. lis les arrêteront après avoir
balancé des prétentions, des intérêts et des arguments dont
l'opposition est déjà suffisamment caractérisée.

18. Il suffit donc, pour que la transaction soit possible, qu'il


existe une situation contentieuse, révélatrice de l'opposition
à un droit et de la menace sérieuse qui pèse sur son existence
ou sou efficacité (82), même si cette menace n'emporte pas
encore sa paralysie effective.
Une telle conception n'est pas incompatible, de lege lata,
avec Ie texte de l'article 2044 qui vise les procès à naître, puis-
que, dans ce cas, l'action préventive ou déclaratoire peut se
concevoir, sous les conditions indiquées ei-avant.
Elle est, en tout cas, souhaitable à nos yeux, de lege ferenda.

19. b) Nous croyons qu'une formule fondée sur !'analyse


substantielle d'un conflit non encore parfait est plus adéquate
que cette théorie qui définit la possibilité de transiger sur des
litiges à venir en se référant au seul critère du droit d'action
des parties.
Nous aurons l'occasion de revenir plus longuement sur la
théorie que Ie professeur Boyer a construite autour de cette
notion, qu'il considère comme distincte des droits substantiels,
et dont il fait le critère de la possibilité de transiger. En effet,
si dans cette conception les parties disposent du pouvoir de

(81) HEBRAUD, obs. in Rev. trim. dr. civ., 1950, p. 221, et 1953, p. 370; SOLUS
et PERROT, op. cU., n° 233, p. 210; OH. VAN REEPINGHEN, Rapport précité, p. 41.
(82) Voy. une illustration de cette conception large de « l'état de litige » dans
Bruxelles, 24 mai 1960, Ann. not., 1960, p. 209.
40 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

saisir Ie juge, ils peuvent transiger, c'est-à-dire renoncer au


droit d'action ; si, au contraire, celui-ci manque aux parties,
une transaction ne saurait avoir lieu. Il n'y a donc litige, et
partant transaction, que s'il y a droit d'action.
Cette théorie - M. L. Boyer l'admet expressément (83) -
est intimement liée à l'existence de l'intérêt né et actuel à agir,
puisqu'à défaut d'un tel intérêt Ie droit d'action ne se conçoit
pas.
Et !'auteur d'en déduire qu'une transaction ne pourra avoir
pour objet des droits litigieux futurs que si l'intérêt à agir existe
dès ores, ce qui peut se concevoir pour des droits futurs mais
certains, mais beaucoup plus difficilement pour des droits
éventuels ou conditionnels (84).
Autrement dit, M. Boyer fonde la définition de la transaction
sur l'effet principal du conflit, en droit judiciaire privé, - Ie
droit d'action - , alors que nous retenons comme critère de la
possibilité de transiger le conftit ou la situation contentieuse
eux-mêmes, considérés dans leurs aspects substantiels.
Nous croyons que c'est cette conception matérielle ou cc pri-
vatiste » que l' on retrouve dans un arrêt de la Cour de cassa-
tion du 10 juillet 1862 (85) qui, après avoir constaté en fait
que les parties avaient à régler leurs droits respectifs par rap-
port à trois successions et à deux communautés, déclare cc que
les prétentions diverses soulevées à cette occasion étaient de
nature à donner lieu à des di/ficultés sérieuses », et que la conven-
tion litigieuse par laquelle les parties se sont mises d'accord
pour prévenir toutes contestations à naître constitue, en droit,
une transaction.
On remarquera que l'arrêt parle de prétentions engendrant
des difficultés sérieuses - critère matériel - et non d'un procès,
comme tel - critère formel et procédural.
Nous pensons, par ailleurs, que c'est notamment la notion de
l'intérêt né et actuel, sous-tendant Ie droit d'action, qui peut
rendre parfois équivoque ou fragile la théorie fondée sur celui-ci.
En effet, dans la conception classique, l'intérêt à agir esi
né et actuel lorsque la violation du droit est consommée, et
que Ie préjudice du sujet actif est effectif et réalisé.

(83) Op. cit., p. 46.


(84) Op. cit., ibid.
(85) Pas., 1862, I, 289,
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 41

Or, dans toutes les hypothèses ou Ie jugement sur l'action


préventive ou déclaratoire est concevable et, partant, la transac-
tion qui remplit Ie même office, l'intérêt allégué paraît bien
pouvoir être purement éventuel (86). Sans doute considère-t-on
que, lorsque la menace est devenue sérieuse au point de compro-
mettre dès à présent la sécurité des rapports juridiques, il
existe, d'ores et déjà, un intérêt de sécurité qui, lui, est né et
actuel (87).
Mais, comme on Ie voit, on ne revient ainsi à la notion clas-
sique de l'intérêt à agir que par un biais.
Rappelons, d'autre part, que certains enseignent qu'il su:ffit
d'un intérêt réel et sérieux pour agir à titre préventif ou décla-
ratoire (88), et que Ie Code judiciaire en projet précise que,
si l'intérêt à agir doit être « né et actuel » (art. 18, al. 1er), cela
n'exclut pas qu~ l'action peut être admise lorsqu'elle a été intentée,
même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d'un
droit gravement menacé (art. 18, al. 2) (89).
Le critère choisi par M. L. Boyer, dans Ja mesure ou il est
lié à cc l'intérêt né et actuel )), ne nous paraît dorre pas satisfai-
sant.

20. c) Il le conduit, en tout cas, à conclure à la quasi-impossi-


bilité de tmnsiger sur des droits éventuels d'une manière que noue
croyons équivoque, voire erronée.
Pourquoi, en effet, des droits, même conditionnels ou éven-
tuels, ne pourraient-ils engendrer une situation contentieuse
su:ffisamment sérieuse pour justifier une transaction 1 (90).
Pour s'en convaincre, il suffit. de transvoser l'exemple donné
ci-devant de la nullité alléguée à l'égard d'une obligation à
terme et de supposer qu'il s'agit d'une obligation sous condition
suspensive, contestée avant la réalisation ou la défaillance de
celle-ci, ou, encore, de concevoir un conflit entre bailleur et

(86) SOLUS et PERROT, op. cit., n° 230, p. 207.


(87) SOLUS et PERROT, op. cit., ibid.
(88) Rapport de M. Chiovenda, précité.
(89) Voy. aussi Ie rapport du commissaire royal, t. I•r, p. 38.
(90) On rappellera ici, à l'appui de l'argumentation développée au texte, la
jurisprudence de la Cour de cassation, qui a admis que les parties soumettent
à des arbitres un litige futur ou éventuel, à condition que son objet soit déjà suffl•
samment déterminé (arg. art. 1006 C. proc. civ., voy. cass., 17 décembre 1936,
Pas., 1936, I, 457, et R. DEKKERS, étude in Rev. crit. jur. belge, 1951, p. 265,
n°• 14 et 15.
42 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

fermier sur Ie principe, l'étendue ou les conditions du droit de


préemption de ce dernier, alors que la vente n'est encore qu'une
éventualité.
Nous croyous donc que les droits conditionnels ou éventuels
peuvent constituer la matière d'une transact.ion dès l'instant
ou ils s0nt déjà suffisamment précisés pour donner naissance à
une situation contentieuse.
Il est certain, par contre, qu'il en ira autrement si les droits
allégnés sont de pures éventualités, dont rien ne permet dès
ores de dire qu'ils pourraient exister un jour. On ne peut en effet
concevoir une contestation réelle et des concessions réciproques
sur ce qui n'a aucune consistance, même en germe (91).
La doctrine admet d'ailleurs la possibilité de transiger sur
des droits conditionnels ou éventuels (92).
Elle se borne en général à invoquer un ancien arrêt de la Cour de
cassation de France du 31 décembre 1835 (93) qui, dans un « attendu »,
surabondant il est vrai (94), décide qu'on ne "saurait induire de l'arti-
cle 2045 du Code civil que des parties majeures, ayant toute la capacité
nécessaire pour contracter et même pour aliéner ne puissent pas transi-
ger sur des prétentions éventuelles et sur des droits qui ne seraient ouverts
que postérieurement à la transaction "·

Il suffit donc, comme Ie souligne Laurent (95), que Ie droit


soit douteux, ce qui implique, dans Ie système du Code civil,
que Ie doute procède d'une contestation, peu importe si ce droit
est éventuel ou conditionnel.
Il faut cependant noter ici une très ancienne décision qui, en
apparence du moins, va dans Ie sens de la théorie de M. Boyer.
Un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 1er août 1837 (96)
décide que, pour pouvoir transiger, il faut, au moment même de
l'acte, avoir un intérêt né et actuel, c'est-à-dire qu'il faut avoir
qualité pour faire un bon O'U un mauvais procès; il ne suffit donc
pas que l'on puisse dans un avenir plus ou moins éloigné ou

(91) C'est peut-être de ces droits-là que M. Boyer veut parler. Dans ce cas,
~ous réserve de la justification de sa conclusion, nous sommes d'accord avec lui.
(92) LAURENT, t. XXVIII, n° 353; GUILLOUARD, op.cit., n° 62; AUBRY et RAU,
t. VI, § 420, p. 198 (5• éd., par BARTIN) et p. 249 (6• éd. par P. ESMEIN); BEU-
DANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. XII, n° 352.
(93) Sfrey, 1836, I, 180, et D., 1836, I, 321. Adde: Bruges, l•r février 1937,
R. W., 1937-1938, col. 453.
(94) BoYER Ie souligne, op. cit., p. 46, note 4.
(05) Op. cit., ibid.
(96) Pas., 1837, Il, 191.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 43

incertain avoir des droits plus ou moins éventuels à la chose


sur laquelle on transige (97).
Mais on constate qu'en l'espèce, si la cour a statué de la sorte,
c'est en relevant, en même temps, que la partie qui soutenait
avoir transigé non seulement n'avait aucun droit mais n'avait
même pas élevé une prétention quelconque à un droit. Il n'y avait
donc pas de contestation ou de situation contentieuse, même en
germe, et dès lors, la transaction était évidemment inconce-
vable. Aussi la cour disqualifie-t-elle la convention et lui donne-
t-elle le caractère de donation déguisée sous la forme d'une
transaction, en quoi l'arrêt sera approuvé par la Cour de cassa-
tion (98).
On retiendra donc de cette jurisprudence que si elle se réfère
aux notions de droit d'action et d'intérêt né et actuel, elle ne
les sépare pas pour autant de la matière même de la contesta-
tion, ce que M. Boyer admet et critique, avec beaucoup de
prudence toutefois (99).

§ 3. - La transaction suppose un doute né du litige.


Théorie de la « res litigiosa et dubia ».

À. - NÉCESSI'l'É D'UN DOUTE LITIGIEUX.

21. La théorie classique qui fait de l'existence d'une contesta-


tion, ou mieux, d'un litige une des conditions nécessaires et
essentielles de la transaction, ne la considère cependant pas
comme suffisante.
Il faut, de surcroît, que du litige naisse un doute générateur
d'une incertitude psychologique qui détermine les parties liti-
gantes à y mettre fin, c'est-à-dire à supprimer ce que la situa-
tion peut avoir, en fait, d'aléatoire et d'incertain.

(97) Voy. aussi, inspiré par l'arrêt précité, un jugement du tribunal de Charle-
roi du 19 mars 1875 (Pas., 1875, III, 112) qui exclut la possibilité de transiger
sur un droit non encore acquis dans Ie temps du contrat, sur une contestation
dont Ie principe et la cause n'existaient pas encore à ce moment et ne permet-
taient donc pas, faute d'intérêt né et actuel, l'intentement d'un procès. La lec-
ture du jugement révèle qu'il s'agit d'une décision essentiellement dictée par les
circonstances propres au procès et par l'interprétation restrictive qu'il convenait
de donner à une transaction antérieure.
(98) Cass., 19 novembre 1838, Pas., 1838, I, 390.
(99) Op. cit., p. 46, note 2.
44 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

C'est la théorie traditionnelle, en droit français et belge, de


la res litigiosa et dubia.
Il s'en déduit aussitöt qu'une contestation manifestement
non fondée ou téméraire ne peut constituer la matière de la
transaction, parce qu'aucune incertitude n'existe sur Ie droit
qui fait l'objet du litige.
« Si l'on abandonne un droit indiscutable, ce n'est plus une
transaction mais une donation » écrit Guillouard (100), tandis
que la plupart des auteurs affirment que la transaction qui a
pour objet des droits non douteux ou des prétentions sans aucun
fondement est nulle pour défaut de cause ou d'objet si les par-
ties connaissaient la situation réelle (101) ou, à tout Ie moins,
est non avenue comme transaction, si elle est valable à un autre
titre, comme renonciation par exemple (102).
On relèvera l'étroite liaison qui existe, dans la pensée des
auteurs, entre Ie litige et le doute, au point que parfois les deux
idées sont confondues (103), ou que l'on présume l'existence
du doute du seul fait de celle du Iitige (104).
La jurisprudence (105) affirme également la nécessité du doute.
Un arrêt de la Cour de cassation de France du 28 mars 1955 (106),
répondant à un pourvoi (107) qui mettait en cause la notion
de droit douteux, relève, pour le rejeter, qu'il y avait en l'espèce

(100) Op.cit., n° 11, p. 305; voy. aussi Bruges, 1er février 1937, R. W., 1937-
1938, 453.
(101) LAURENT, op. cit., n° 413, p. 402; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL,
op. cit., n° 1259; AUBRY et RAu, t. VI (6• éd.), § 418, p. 242, texte et note 2.
(102) DE PAGE, t. V, n° 483, 1°; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op.cit.,
n° 1200, comp. n° 1259; PONT, Petits contrats, 2• vol., n° 569; GUILLOUARD, op.
cit., n° 11; Huc, t. XII, n° 276.
(103) Cf. DE PAGE, t. V, n° 483, 1°; Planiol et Ripert (t. XI, n° 1564) mettent
en avant la notion de litige, celle du doute étant tout au plus implicite dans leur
raisonnement; cf. aussi appel Elisabethville, 30 juillet 1949, cité par cass., 16 avril
1953 (Pas., 1953, I, 614 avec la note W. G.), encore que l'emploi de la conjonc-
tion ou puisse prêter à équivoque (p. 620, col. 2, 3• attendu).
(104) ACCARIAS, op. cit., n° 74, p. 169 et s.; voy. aussi GUILLOUARD, op. cit.,
ibid., et G. GHEYSEN, in A. P. R., v 0 Dading, n° 19.
(105) Cass., 16 avril 1953, précité (sol. impl.); Bruxelles, 22 février 1866, Pas.,
1867, II, 148, et 17 novembre 1891, Pas., 1892, II, 172; Audenarde, 25 juillet
1855, Belg. jud., 1856, 924; Bruges, l•r février 1937, R. W., 1937-1938, 453;
voy. aussi les conclusions du procureur général Mesdach de ter Kiele précédant
cass., 23 mars 1895, Pas., 1895, I, 140, l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du
20 mars 1964, Jur. Liège, 1964-1965, p. 73, et trib. Bruxelles, 8 octobre 1957, Ann.
not., 1959, 277.
(106) Bull., civ., 1955, I, p. 122; voy. aussi cass. fr., 13 mars 1922, D.P., 1925,
I, 139 obs.
(107) Pourvoi dirigé contre un arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 26 février
1953.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 45

« une contestation sérieuse sur la portée de laquelle les juges


sa1s1s auraient été appelés à se prononcer ». Si la contestation
est sérieuse, elle engendre Ie doute, et la transaction est pos-
sible ; dans Ie cas contraire, Ie litige est téméraire et ne peut
être l'objet d'une transaction.
On a pu dire ainsi que la théorie de la res dubia et litigiosa
est ordonnée, du point de vue technique, en fonction du litige
téméraire (108) : on veut éviter que soit favorisée la partie de
mauvaise foi qui, connaissant Ie désir de tranquillité de son
adversaire, spéculera sur ce désir pour obtenir, par une sorte
de chantage constitutif d'une cause illicite, une transaction
qui n'en est pas une, puisque du cóté du plaideur ou du préten-
dant téméraire une véritable concession est inconcevable.
Une fois de plus, par conséquent, c'est la notion essentielle
des « concessions réciproques » qui affieure : la transaction n'est
pas concevable sur des droits non douteux parce que les con-
cessions réciproques ne Ie sont pas davantage (109).
La théorie classique de la res litigiosa et dubia est indiscuta-
blement conforme à la volonté du législateur de 1804, qui a
mis en avant la notion de droits douteux bien plus encore que
celle de droits contestés ou litigieux :
« Un droit douteux et la certitude que les parties ont entendu balancer
et régler leurs intérêts : tels sont les caractères qui distinguent et qui
constituent la nature de ce contrat. Il n'y aurait pas de transaction, si
elle n'avait pas pour objet un droit douteux ... » (BrnoT-PRÉAMENEU, Exposé
des motifs, n° 2) (110).
• La transaction qui aurait été faite sur un procès terminé par un
jugement passé en force de chose jugée, dont les parties, ou l'une d'elles,
n'avaient point connaissance doit être nulle, puisque le droit n'était
plus douteux lorsque les parties ont transigé. Si le jugement était ignoré
des parties, le fait qu'il n'existait plus ni procès ni doute n'en serait pas
moins certain ... » (BrnoT-PRÉAllfENEU, Exposé des motifs, n° 14) (111).

Dans Ie système du Code civil, la nécessité d'une res dubia


et litigiosa n'est donc pas discutable, et la seule question que
l'on peut se poser est celle de la nature du doute requis : un

(108) BOYER, op. cit., p. 26.


(109) La liaison entre les deux notions apparaît clairement dans !'arrêt de la
Cour de Liège du 20 mars 1964 (Jur. Liège, 1964-1965, p. 73, et Bull. ass., 1966,
p. 320, spécialement p. 326).
(110) LOCRÉ, op. cit., p. 458.
(111) LOCRÉ, op. cit., p. 461.
46 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

doute litigieux subjectif qui existe dans !'esprit des parties,


suffit-il ? Ou bien faut-il, au contraire, un doute objectif reconnu
par Ie juge?

B. - DOUTE SUBJECTIF OU OBJECTIF Î

22. On considère qu'un doute subjectif est nécessaire mais


qu'il suffit à la perfection du contrat.
Autrement dit, Ie juge devant lequel une transaction est
invoquée ne devra pas se demander si Ie droit est douteux pour
lui, pour un homme versé dans la science du droit ou même
pour quiconque, mais s'il l'était pour les parties, au moment
de la transaction (112).
Il suffit donc que la contestation soit douteuse dans l'esprit
des parties, mais Ie moindre doute ainsi qualifié suffit, qu'il soit
de droit ou de fait, qu'il concerne l'existence, l'étendue, les
modalités ou l'efficacité du droit (113).
On a dit qu'en consacrant la théorie du doute subjectif, on
renforce l'efficacité de la transaction comme instrument de paix
sociale ( 114).
C'est parfaitement exact. En outre, sur Ie plan de la techni-
que juridique, il est incontestable que la théorie du doute sub-
jectif est justifiée par la règle de l'article 2052, alinéa 2, suivant
laquelle les transactions ne peuvent être attaquées pour cause
d'erreur de droit. Car si le doute pouvait être seulement objec-
tif (115) l'erreur de droit serait une cause de nullité de la trans-
action puisqu'il suffirait à la partie qui a contracté dans l'igno-
rance de la règle de droit d'invoquer qu'objectivement il n'y
avait pas de contestation concevable (116). C'est précisément

(112) DE PAGE, op. cit., ibid.; MAZEAUD, Leçons, t. III, n° 1635; BAUDRY-
LACANTINERIE et WAHL, op.cit., n° 1202; LAURENT, op.cit., n° 325; GUILLOUARD,
op. cit., n° 12; AccARIAS, op. cit., n° 74; Huc, t. XII, n° 276; Grnoun, Etude
sur la transaction, thèse, Lyon, 1901, p. 11; ARNTZ, t. IV, n° 1537.
(113) GUILLOUARD, op. cit., ibid.; DE PAGE, op. cit., ibid.; BAUDRY-LACAN-
TINERIE et WAHL, op. cit., n° 1201 : ainsi, est-il admis qu'une transaction peut
intervenir pour régler seulement Ie quantum d'une dette d'aliments ou d'une
créance de dommages et intérêts dont Ie principe n'est pas discuté (PLANIOL,
RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1564, p. 1014 avec les références).
(114) DE PAGE, op. cit., ibid.
(115) Il faut et il suffit que Ie doute soit subjectif, mais cela n'empêche nulle-
ment qu'il puisse être en même temps objectif.
(116) DE PAGE, op.cit., ibid. ;BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op.cit., n° 1202;
R. MERLE, op. cit., n° 134, p. 187.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 47

ce que le législateur a voulu éviter, par souci de donner à la


transaction la plus grande stabilité possible.
Malgré eet argument, qui paraît bien irréfutable, certains
anciens auteurs ont défendu la théorie du doute objectif.
Ainsi Pont (117), pour lequel cc la seule question que les juges
aient ici à résoudre est celle de savoir si la crainte est raison-
nable et sincère », et aussi Troplong (118), pour qui Ie critère
de la validité de la transaction est cc la crainte prudente de
l'homme qui juge de sang-froid et qui sait apprécier ce qu'il
y a de fort et de faible dans une prétention ».
Sans doute, cette théorie peut-elle, en apparence du moins,
se réclamer des travaux préparatoires au cours desquels Bigot-
Préameneu a déclaré expressément « qu'il sera toujours facile
aux juges de vérifier si l'objet de l'acte était susceptible de
doute ; il n'y avait point, ajouta-t-il, pour une pareille vérifi-
cation, de règle générale à établir » (119).
Les tenants de la théorie objective y ont vu la confirmation
de leur thèse, suivant laquelle Ie doute doit s'apprécier du point
de vue du juge.
Cet extrait n'a rien de déterminant, car il n'exclut nullement
que l'appréciation par Ie juge, à laquelle se réfère l'orateur du
gouvernement, puisse se faire du point de vne des parties. Il
faut tenir compte, en outre, des inadvertances et des impréci-
sions qui caractérisent les travaux préparatoires relatifs à la
transaction (120).
Enfin, on rappellera, quelle que soit l'interprétation à donner
aux paroles de Bigot-Préameneu, que la théorie objective est
inconciliable avec l'article 2052, alinéa 2, du Code civil. Et on
soulignera encore et surtout qu'elle est de nature à créer, sur
Ie plan pratique, une très préjudiciable insécurité, puisque la
validité ou la nullité de Ja transaction dépendra dans une large
mesure de la personnalité du juge (121), même s'il est invité

(117) Op. cit., n° 570, p. 283.


(118) Droit civil expliqué, t. XVII (Du cautionnement et des transactions),
p. 555, n° 6; comp. AUBRY et RAu, t. VI (5• éd.), § 418, p. 191, texte et note 3,
et 6• éd., p. 242, note 3.
(119) Exposé des motifs, n° 2, LocRÉ, t. VII, p. 458.
(120) L'exposé des motifs en donne un autre exemple : on y lit que Ie doute
est de la nature de la transaction alors que Bigot-Préameneu veut évidemment
dire de l'essence de ce contrat; la suite de son exposé Ie prouve (voy. l'Exposé
des motifs, n° 2, LocRÉ, op. cit., ibid.).
(121) BOYER, op. cit., p. 29.
48 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

à n'admettre qu'avec prudence l'inexistence d'une contesta-


tion douteuse (122).
La jurisprudence, soucieuse de maintenir aux transactions
cette stabilité essentielle que Ie législateur a eue en vue, ne s'y
est pas trompée : elle a admis de longue date qu'il suffisait d'un
doute dans !'esprit des parties, d'un doute subjectif (123).
Ainsi cette notion, note M. R. Merle (124), devient-elle Ie
critère substantie! de la distinction psychologique entre la
transaction et Ie jugement : tandis que celui-ci implique à bien
des égards chez les parties qui Ie provoquent un certain com-
plexe de supériorité ou une certaine confiance dans l'issue du
procès, la transaction implique nécessairement chez la partie
qui s'incline devant les prétentions de sou adversaire un com-
plexe d'infériorité.
Il faut noter ici, avant d'examiner les critiques qui out été
adressées à la théorie du doute en général, qu'il est essentie!
de distinguer, comme Ie fait M. De Page, l'appréciation sub-
jective du caractère litigieux et douteux du droit, de l' existence
de la contestation elle-même. Si c'est cette dernière qui est pure-
ment subjective, c'est-à-dire imaginaire, il n'y aura pas de
litige du tout et, dès lors, la transaction manquera d'objet ou
pourra être annulée pour cause d'erreur (125).

C. - ÜRITIQUE DE LA THÉORIE DU DOUTE.


THÈSE DE M. BoYER. - LE DOUTE EST-IL ABSENT
DE CERTAINES TRANSACTIONS ?

23. Dans son ouvrage sur « La Notion de Transaction » Ie


professeur Louis Boyer a vigoureusement combattu la théorie
de la « res litigiosa et dubia » présentée comme une condition
indispensable à l'existence d'une transaction.
Pour eet auteur, la res dubia doit être radicalement écartée,

(122) AUBRY et RAu, op. cit., 5• éd., p. 191, note 3, et 6• éd., p. 242, note 3.
(123) Bruxelles, 22 février 1866, Pas., 1867, II, 148; Liège, 16 janvier 1892,
Pand. pér., n° 479; Tongres, 29 juillet 1890, Pand. pér., n° 1848. La jurisprudence
récente, axée sur la notion de litige plutöt que sur celle de doute, qualifle rarement
Ie doute inhérent à la transaction; voy. cependant Dijon, 19 mai 1954, Gaz. du
pal., 1954, II, 120, et Mons, 31 décembre 1941, Rev. prat. not., 1942, p. 245.
(124) Op. cit., n° 134, in fine, p. 188.
(125) DE PAGE, op.cit., n° 483, 1°, in fine; I'LANIOL et RIPERT, t. XI, n° 1564;
voy. cependant Bruxelles, 15 avril 1959, Pas., 1960, II, 65, qui admet qu'il peuil
y avoir transaction en cas de litige imaginaire.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 49

et seule la res litigiosa, une situation purement litigieuse, est


nécessaire pour constituer la « matière >> de Ja transaction (126).
L'élément << catégorique » de celle-ci apparaît dans la volonté
d'éliminer Je litige, tandis que la volonté de supprimer un doute,
comme aussi celle d'épargner les frais et lenteurs d'un procès
ne sont que les <c éléments casuels » du contrat (127).
M. Boyer reprend les critiques classiques formulées à l'égard
de la théorie du doute objectif, mais il y ajoute une critique de
la notion du doute subjectif et de la res dubia en général.
Il voit dans Ie recours à l'idée d'un doute subjectif une source
d'incertitudes pratiques, car, dit-il, il sera bien difficile au juge
de rechercher, et cela de façon rétrospective, l'existence d'un phé-
nomène psychologique subjectif (128).
Disons immédiatement que cette critique perd de sa force
dès !'instant ou, comme c'est Ie cas dans la jurisprudence fran-
çaise actuelle, l'on se réfère à une contestation dont Ie juge du
fond doit relever qu'elle est sérieuse (129) - constatation aisée
à faire - ce qui permet d'en déduire qu'elle est génératrice
de doute.
Ce qui, par contre, est assurément plus important, c'est la
constatation faite par M. Boyer de la difficulté de concilier la
théorie du doute avec l'existence de certaines conventions
auxquelles Ja jurisprudence reconnaît le caractère de transac-
tions : celles que l'on souscrit essentiellement pour éviter les
frais, lenteurs et inconvénients d'un procès d'une part ; celles
qui interviennent, en connaissance de cause, après chose jugée,
d'autre part (130).

(126) Voy. aussi, du même auteur, Ie v 0 Transaction, n°• 12 et 13, in Dalloz:


Encycl. dr. civil. On peut se demander si Planiol et Ripert n'évoluent pas dans Ie
même sens : voy. t. XI (2• éd., 1954, par R. SAVATIER), n° 1564; voy. également
G. GHEYSEN, in A. P. R., v 0 Dading, n° 19.
(127) Op. cit., p. 40.
(128) Op. cit., p. 31.
(129) Voy., cass. fr., 13 mars 1922, D. P., 1925, I, 139 obs., et 28 mars 1955,
Bull., civ., 1955, I, 122, précités. Comp. C. civ., art. 888, al. 2.
(130) Par contre, c'est à tort, sclon nous, que M. Boyer, reprenant l'argumen-
tation de M. Rodière (note sous Lyon, 28 novembre 1930, Sirey, 1932, II, 201)
croit pouvoir rejeter la notion de res dubia en se référant à des décisions rendues
en matière de transactions fiscales dont Ie doute est, en effet, absent. Mais nous
démontrerons que les transactions fiscales ne sont pas des transactions au sens
de l'article 2044 du Code civil (voy. infra, n°s 268 ets. - la portée de la jurispru-
dence beige citée p~r M. Boyer, p. 33, note 1, est examinée [n° 276] ainsi que
l'évolution des idées en matière de transactions fiscales).
DE GAVRE, Oontrat de transacti-0n. - 4
50 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

24. Suite. Reproduisant !'opinion de Colmet de Santerre,


M. Boyer défend l'idée que l'on peut très bien concevoir que
« !'affaire la plus claire, la plus certaine aux yeux des juges
éclairés n'en inspire pas moins quelques craintes à la partie
que les juges feraient triompher. Elle redoutera, par exemple,
Ie temps qui pourra se perdre en procès, elle songera aux frais
qu'elle aura à payer ... aux soucis d'un procès, au temps perdu,
quelquefois elle craindra que la publicité de certains faits ne
nuise à son crédit, à sa réputation même. Voilà ce qui fera
qu'en présence du droit Ie plus certain une partie aura intérêt
à s'entendre avec l'adversaire ... » (131).
Il n'est pas contestable qu'un tel enseignement est conforme
à la volonté exprimée par Ie législateur au cours des travaux
préparatoires : Bigot-Préameneu parle de l'intérêt des parties
à rétablir l'union et à se garantir des longueurs, des frais et des
inquiétudes d'un procès (132), tandis que Ie tribun Albisson
montre que les cotransigeants peuvent être déterminés par
« lassitude ou par générosité ,, (133).
Il n'est donc pas étonnant que certaines décisions, notamment
de la Cour de cassation de France, aient admis l'existence d'une
véritable transaction là ou les parties ont eu en vue, essentielle-
ment, d'éviter les diffi.cultés, frais et lenteurs d'une contestation
judiciaire ou les causes de désunion qu'elle engendre (134).
MM. De Page (135) et Dekkers (136) considèrent également
que Ie simple désir d'éviter un procès, même si son issue est
subjectivement et objectivement certaine, suffi.t à justifier une
transaction et M. De Page, après avoir affirmé la nécessité
d'un doute litigieux subjectif, n'est pas loin de rejoindre M. Boyer
lorsqu'il affi.rme que « l'existence de prétentions adverses est
le seul critère à prendre en considération pour apprécier s'il y

(131) Op. cit., p. 37.


(132) Exposé des motifs, n° 1, LOCRÉ, t. VII, p. 458.
(133) Rapport au Tribunat, n° 1, LOCRÉ, t. VII, p. 464.
(134) Voy. notamment : cass. fr., req., 24 décembre 1900, D., 1901, I, 135,
et Sirey, 1904, I, 127; cass. fr., soc., 19 juin 1958, Bull. civ., 1958, IV, p. 565,
n° 761 (comp. cass. fr., soc., 15 mars 1962, Bull., civ., 1962, IV, 224); Bruxelles,
15 avril 1959, Pas., 1960, II, 65; trib. Bruxelles, 24 juillet 1895, Pand. pér., 1896,
n° 31, Journ. trib., 1895, 1131; comm. Anvers, 24 septembre 1948, Jur. port
À.nv., 1949, 240; comm. Bruxelles, 8 février 1963, Jur. com. Brux., 1963, p. 164;
contra: Arlon, 17 avril 1907, Pand. pér., 1909, 440.
(135) T. V, n° 483, 1°, p. 473.
(136) Précis, t. II, n° 1317, note 1.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 51

a matière à transaction, quels que soient la nature ou le fondement


de ces prétentions » ( 13 7).
Il va même jusqu'à admettre la transaction lorsque l'une des
parties spécule sur la possibilité d'obtenir, par une résistance
mal fondée aux prétentions de son adversaire, une offre transac-
tionnelle avantageuse (138), alors que la théorie cJassique décou-
vre Jà une cause immoraJe à la convention, viciant son existence
même (139).

25. Que faut-il penser de cette conception, très large, de la


possibilité de transiger 1
M. R. Merle fait à Ja théorie de M. Boyer, fondée sur !'opinion
de Colmet de Santerre et sur certains extraits des travaux
préparatoires, Ie grief d'analyser seulement Je réflexe psycholo-
gique du bénéficiaire de la transaction. Il est, dit-il, extrêmement
probable que celui dont Ie droit est reconnu sous réserve de
certains sacrifices accepte d'en finir transactionnellement plu-
tot que de perdre du temps et de l'argent dans une procédure
difficile. « Mais un tel comportement psychologique est incon-
cevable chez celui qui renonce au contraire à ses prétentions.
Il est bien évident, en effet, que si ce dernier n'a aucun doute
sur l'issue favorable de sa prétention <levant Ie juge, il ne tran-
sigera pas. A moins, comme Ie dit Albisson, qu'il ne se déter-
mine à transiger par générosité. Mais dans ce cas, il n'y aura
pas transaction, mais donation véritable ... » (140).
Cette critique ne manque pas de pertinence, mais elle n'est
pas définitive. Car elle ne peut être généralisée, en ce qu'elle
suppose un bénéficiaire de la transaction et une partie renon-
çante, alors que, dans la plupart des cas, par Ie jeu des conces-
sions réciproques les cotransigeants seront, à la fois, bénéfi-
ciaires et renonçants.

26. Nous pensons que Ja possibilité de transiger timore litis


ne peut être contestée, mais qu'elle peut se concilier avec la
nécessité, aussi incontestabJe de lege lata, d'un doute litigieux.

(137) T. V, ibid.
(138) T. V, n° 483, 1°, p. 473, note 3; voy. aussi G. GHEYSEN, in A. P. R.,
v Dading, n°• 30 à 32.
0

(139) Voy. notamment !'exposé de L. BOYER, op. cit., p. 26, et les références
p. 27, notes 1 et 2; MERLE, op. cit., n° 133, in fine, p. 186; BAUDRY-LACANTI-
NERIE et W AHL, n os 1202 et 1259.
(140) Op. cit., n° 133, p. 186.
52 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Il suffit, pour cela, de concevoir que Ie doute étant une donnée


psychologique subjective du comportement des contractants,
il est à ce point diversifié qu'on puisse le définir comme un
doute sur l'opportunité de la mise en reuvre judiciaire d'un droit
objectivement, et même subjectivement, incontestable (141).
On dépasse ainsi la notion de droit douteux pour dégager
celle de doute présumé inhérent à tout litige sérieux, c'est-à-dire
à une situation contentieuse caractérisée par la paralysie réalisée
ou virtuelle des droits faisant l'objet de la prétention.
C'est ce visage-là que la doctrine et la jurisprudence modernes
donnent au doute caractéristique de la transaction.
Elles insistent sur Ie caractère sérieux que doit revêtir Ie
litige, qu'elJes opposent ainsi implicitement au litige purement
téméraire (142). Il est et il reste immoral d'obtenir, sous la
menace d'une sorte de chantage, une transaction favorable (143).
Mais les juges n'accueilleront qu'avec prudence cette cause de
nullité de !'engagement, et relèveront d'une part, l'existence de
manreuvres, d'autre part l'absence d'animus donandi et de doute,
notamment sur l'opportunité de l'action.

27. Nous croyons que c'est également par référence à l'idée de


doute sur l'opportunité de mettre en reuvre certains droits en
justice, que l'on peut expliquer !'opinion qui voit une transac-
tion dans la convention qui intervient, en parfaite connaissance
de cause, après chose jugée (144). En e:ffet, lorsqu'une décision
est définitive, les droits des parties sont certains et tout doute
sur leur existence, leurs modalités et leur étendue disparaît.
Il n'empêche que certains admettent qu'il y a transaction
même s'il s'agit seulement d'éviter les difficultés de pur fait
que pourrait comporter l' exécution du titre définitif (145).

(141) Voy., spécialement à eet égard, la motivation du jugement précité du


t,ribunal de commerce de Bruxelles du 8 février 1963 (Jur. com. Brux., p. 164,
spécialement p. 167) qui paraît bien sous-tendue par une idée de doute conforme
à celle exposée au texte; adde : G. GHEYSEN, op. cit., n° 30.
(142) Cass. fr., 13 mars 1922, D. P., 1925, I, 139 obs., et 28 mars 1955, Bull.,
civ., 1955, I, 122, J. C. P., 1955, IV, 78; voy. aussi cass., 10 juillet 1862, Pas.,
1862, I, 289.
(143) R. M:ERLE, op. cit., n° 133, in fine, p. 186.
(144) Il s'agit donc de l'hypothèse inverse de cclle considérée dans l'article 2056
du Code eivil.
(145) BoYER, op. cit., p. 30 et 33, qui cite ca-ss., req., 12 novembre 1902 (D.,
1902, I, 566).
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 53

Laissons pour !'instant de cóté Ie problème de la qualification


de ce type de contrat, et soulignons simplement que s'il s'agit
effectivement d'une transaction - ce qui est discutable et
discuté (146) - elle n'est pas exempte d'un certain « doute ».
II ne s'agit évidemment pas d'un doute juridique objectif ou
même subjectif, mais seulement d'un doute psychologique et
purement subjectif, quant à l'opportunité d'exercer pleinement
et sans concessions les droits consacrés par justice.

§ 4. - La transaction suppose l'intention commune


des parties de mettre fin au litige.

28. Cette condition ne demande pas de grands développements,


car elle va évidemment de soi.
De même qu'il ne peut y avoir de société sans animus socie-
tatis, il ne peut y avoir de transaction sans animus transactionis.
Autrement dit, il faut que les cocontractants soient animés,
au moment de la formation du contrat, de l'intention de faire
produire à celui-ci les effets qui lui sont spécifiques, c'est-à-dire,
en l'occurrence, l'extinction ou la prévention d'un litige judi-
ciaire, présupposant entre parties une situation contentieuse
déjà née avec tous les effets paralysants qu'elle comporte.
On a très justement fait observer que l'intention de mettre
fin au litige se confond avec Ie but du contrat et n'est donc
pas une condition caractéristique et distincte de sa forma-
tion (147).
C'est exact, mais il n'empêche que doctrine et jurispru-
dence (148) la présentent comme telle, sans doute pour insister
sur Ie but et la fonction propres du contrat de transaction et,
partant, pour Ie différencier d'institutions juridiques voisines

(146) On peut en effet se demander s'il y a encore litige en l'occurrcnce : la


question - qui est controversée - sera examinée au chapitre relatif aux nullités
de la transaction.
(147) L. BoYER, op. cit., p. 16, note 1.
(148) Voy. DE PAGE, t. V, n° 483, 2°, p. 473; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER,
t. XI, n° 1565; Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, par L. B0YER, n° 23;
G. GHEYBEN, in A. P. R., v 0 Dading, n° 42.
En jurisprudence beige, voy. notamment : Bruxelles, 15 avril 1959, Pas., 1960,
Il, 65; trib. Bruxelles, 5 juillet 1945, Rev. gén. ass. et resp., 1946, 3956, et 22 avril
1958, Journ. trib., 1958, p. 692; Marche-en-Famenne, 21 juin 1947, Jur. Liège,
1948-1949, 12; comm. Bruxelles, 29 janvier 1936, Jur. com. Brux., 1937, 133;
J". de P. Bruges, 21 mars 1947, J. J. P., 1947, 227.
54 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

qui, comme Ie compromis, n'emportent pas élimination de la


situation contentieuse par les parties elles-mêmes.
Soulignons cependant ici, après M. De Page (149), qu'une
transaction peut intervenir sur un point déterminé et isolé,
faisant partie d'une situation litigieuse d'ensemble beaucoup
plus vaste, dès !'instant ou il est acquis que, quant à cette
question précise et limitée, toute contestation cesse.

§ 5. - La transaction réalise sa fin


par des concessions réciproques.

À. - LES « CONCESSIONS RÉCIPROQUES »,


ÉLÉMENT ESSENTIEL DE LA TRANSACTION.

29. Nous avons déjà eu !'occasion de souligner l'extrême


importance de ce dernier facteur dont nous abordons mainte-
nant l'étude systématique.
C'est en lui, en effet, que les auteurs et la jurisprudence décou-
vrent l'élément primordial de la transaction, permettant de
distinguer celle-ci d'autres institutions juridiques extinctives
d'action.
Que l'on songe, par exemple, à la renonciation pure et simple,
à l'acquiescement, au désistement d'action : dans tous ces cas
Ie litige s'éteint, mais Ie propre de Ia transaction est de réaliser
Ie même effet extinctif par un processus purement contractuel
fondé, essentiellement, sur des concessions, abandons ou sacri-
fices réciproques.
Il ne saurait y avoir par conséquent de transaction sans de
telles concessions (150). Mais, par contre, si elles existent réci-

(149) Op.cit., n° 483, 1° et 2°, p. 472 et 474; voy. aussi trib. Bruxelles, 5 juillet
1945, précité.
(150) Etant donné l'unanimité qui existe, à eet égard, en doctrine comme en
jurisprudence, nous nous bornons à citer ici quelques références significatives.
En doctrine: DE PAGE, t. V, n° 5 482 et 483, 3°; DEKKERS, t. II, n° 1317; PLA-
NIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n°• 1563 et 1566; RIPERT et BOULANGER, t. II,
n° 3220; Huc, t. XII, n°• 456 ets.; L. BoYER, op.cit., p. 12 ets.; KLUYSKENS,
t. IV, n° 569; A.P. R., v 0 Dading, par G. GHEYSEN, n°• 35 ets.; note W.G. sous
cass., 16 avril 1953, Pas., 1953, I, 614.
En jurisprudence, on verra notamment : cass., 16 janvier 1957, Pas., 1957,
I, 563; Bruxelles, 12 juin 1953, Bull. ass., 1953, 479 ; 24 mai 1960, Ann. not.,
1960, p. 209, et 17 février 1964 (inédit: Vanderstocken c. Nationale de Bruxelles);
Liège, 29 mars 1962, Pas., 1962, II, 262, et 20 mars 1964, Jur. Liège, 1964-1965,
p. 73, et Bull. ass., 1966, p. 320; trib. Bruxelles, 5 juillet 1945, Rev. gén. ass. et
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 55

proquement (151), il n'est pas requis qu'elles soient d'égale


importance : la valeur respective des concessions faites de part
et d'autre importe peu (152) puisque la lésion n'est pas une
cause de rescision de notre contrat (C. civ., art. 2052, al. 2).

B. - LACUNES DU CODE CIVIL.

30. L'affirmation non démentie du caractère essentie! des


sacrifices réciproques rend d'autant plus étrange la circonstance
que l'article 2044, alinéa 1er, du Code civil n'en fait aucunement
mention.
On a invoqué, pour expliquer les lacunes de ce texte, que
Ie législateur de 1804 n'a pu, au moment ou il élaborait Ie titre
des transactions, compter sur l'enseignement de Pothier, son
meilleur guide, et qu'il aurait dû ainsi chercher dans l'amvre
de Domat la source de son inspiration (153).
Il est exact que l'auteur des « lois civiles », rompant avec la
tradition romaine et celle de l'ancien droit, définissait la transac-
tion comme « la convention entre deux ou plusieurs personnes
qui pour prévenir ou terminer un procès règlent leur différend
de gré à gré ... » (154).

resp., 1946, 3956; 22 avril 1958, Journ. trib., 1958, p. 692; 28 mars 1963, Journ.
trib., 1963, 491; Anvers, 18 février 1944, Rép. fisc., 1947, p. 21, et 24 février 1948,
Jur. port. Anv., 1949, 240; trib. Gand, 31 octobre 1957, Rev. gén. ass. et resp.,
1958, 6059; Huy, 30 avril 1937, Bull. ass., 1938, 287; comm. Verviers, 9 mars
1934, Pas., 1934, III, 141 ; prudh. app. Mons, 3 août 1963, Pas., 1963, III, 116;
.J. de P. Ath, 31 mai 1960, Journ. trib., 1960, p. 470; voy. aussi les examens de
jurisprudence sur les « Contrats spéciaux » par M. GEVERS (Rev. crit. jur. belge,
1961, p. 291, n° 80) et par M. GEVERS et .J. DE GAVRE (Rev. crit. jur. belge, 1965,
p. 243, n° 90).
Adde, en jurisprudence française : cass., 13 mars 1922, D. P., 1925, I, 139,
obs.; 22 octobre 1951, Bull., civ., I, n° 265, p. 205; 28 mars 1955, Bull., civ., 1955,
I, 122; 13 novembre 1959, J. C. P., 1960, II, 450 note CAMERLYNCK; 14 novem-
bre 1963, Sirey, 1964, .Jur., 133. En jurisprudence hollandaise : voy. les références
citées par G. GHEYSEN, in A. P. R., v 0 Dading, n° 36.
(151) Voy. Bruxelles, 17 novembre 1891, Pas., 1892, II, 172, et Luxembourg,
28 novembre 1902, Pas., 1904, IV, 41.
(152) DE PAGE, op. cit., n° 483, 3°, p. 474; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER,
op, cit., n° 1566; MAZEAUD, Leçons, t. III, n° 1634; LAURENT, t. XXVIII, n° 327;
ARNTZ, t. IV, n° 1538; Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 15 avec les
références de jurisprudence; comm. Anvers, 14 septembre 1948, Jur, port Anv.,
1949, 240; cass. fr., 28 mars 1955, précité; Dijon, 19 mai 1954, Gaz. du pal.,
1954, II, 120.
(153) DE PAGE, t. V, n° 481; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op.cit., n° 1199;
ÛUME-KANDJIRO, op.cit., n° 279, in fine; L. BOYER, op.cit., p. 13.
(154) Lois civiles, liv. I, tit. XIII, sect. I, n° 1.
56 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIBE

Le rapprochement entre cette définition, qui passe volon-


tairement sous silence Ie moyen employé pour régler Ie diffé-
rend, et celle de l'article 2044, alinéa 1er, est d'autant plus signi-
ficatif du modèle choisi que la définition de Domat était reprise,
presque mot à mot, dans Ie projet du tribunal de cassation (155).
Or, l'idée de ne pas faire des « concessions réciproques » un
fecteur spécifique de la transaction est propre à Domat, systéma-
tiquement opposée à eet égard à la tradition antérieure (156).
On doit encore, semble-t-il, tenir compte de la hate avec
laquelle Ie projet fut voté ; elle empêcha, sans doute, Ie légisJa-
teur de l'an XII de s'apercevoir des imperfections d'une reuvre
réalisée en quatorze jours (157).

31. Mais, quelles que soient Jes raisons de ces lacunes, il ne


faut pas, pour autant, imputer aux auteurs du Code civil, l'idée
absurde d'avoir voulu confondre des actes juridiques aussi
dissemblables que la transaction, Ie compromis, Ie désistement,
la renonciation, etc. (158).
II faut en vérité présumer Ie contraire, alors que I'on constate
que Ie Code civil dote la transaction d'une réglementation
spéciale et précise, faite de quinze dispositions légales, et que,
dans Ie domaine de Ja capacité, et des pouvoirs, par exemple,
il a formellement entendu tracer une démarcation nette entre
la transaction et d'autres actes : les pouvoirs, si différents, du
tuteur en matière de transaction d'une part, de compromis et
d'acquiescement d'autre part attestent cette intention (159).
On assiste donc, dans le domaine de la définition de la transac-

(155) « La transaction est une convention par laquelle deux ou plusieurs per-
sonnes, pour prévenir ou pour terminer une contestation judiciaire, règlent de
gré à gré leur différend • (FENET, t. Il, p. 743).
(156) Les anciens auteurs exigeaient, en effet, l'existence des concessions réci-
proques : FAVRE, Code, 4, note 8 sur la loi 1, D, de trans.; VINNIUS, De trans.,
cap. I, n° 2; DONNEAU, Code, de trans., cap. 1, n° 8; voy. aussi la loi 38, C, de
trans.
(157) Le titre de la transaction a été présenté au Conseil d'Etat Ie 15 ventöse
an XII (6 mars 1804) par Berlier, en }'absence de Bigot-Préameneu. Dès Ie 25 ven-
töse, il était communiqué au Tribunat et Ie 28 ventöse Albisson y fit rapport,
à l'assemblée générale. Celle-ci a voté l'adoption Ie même jour tandis que Ie pro-
jet était décrété par Ie Corps législatif Ie 29 ventöse. Il fut promulgué Ie 9 germinal
an XII (30 mars 1804).
(158) Voy. notamment Ia note sous cass. fr., 13 mars 1922, au D. P., 1925,
1, 139.
(159) Comp. avec l'article 467 du Code civil, les articles 83 et 1004 du Code
de procédure civile et l'article 464 du Code civil.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 57

tion, à un véritable travail supplétif de la doctrine dont l'ensei-


gnement, consacré par les cours et tribunaux, restitue à la
définition du contrat tous ses éléments constitutifs (lûO) et
corrige les imperfections du texte. Elle se fonde tout à la fois
sur la tradition et sur J'intention présumée du législateur, même
si elle heurte parfois ccrtaines de ses déclarations expresses.
Il faut, en effet, rapporter ici l'opinion de Bigot-Préameneu
qui, dans l'exposé des motifs, admet qu'une transaction existe
« lors même que l'une (des parties) se désiste entièrement de sa
prétentfon ... » (161), opinion que Ie tribun Albisson aurait faite
sienne suivant certains (162), alors que Ie passage cité de son
rapport, s'il fait allusion au fait que les parties se départissent
de leurs prétentions « en tout ou en partie », exprime cependant,
selon nous, d'une manière implicite l'idée de concessions réci-
proques, lorsqu'il y est question « des sacrifices ofjerts et acceptés
librement » (163).

32. Nous avons déjà dit que l'exigence des « concessions réci-
proques » s'impose non seulement parce qu'il faut présumer
qu'on a voulu distinguer la transaction d'autres actes extinctifs,
mais aussi parce qu'elle est conforme à Ja tradition du droit
romain et de !'ancien droit.
En effet, la loi 38, C, De transactionibus, 2, 4 énonçait: « Tran-
sactio nullo dato vel retento, seu promisso, minime procedit ... »
posant ainsi l'exigence des sacrifices réciproques d'une façon
très explicite.
La formule romaine inspira l'ancien droit, qui considérait
que la fin des contestations pouvait se réaliser cc en donnant,
retenant ou promettant quelque chose» (164).
Si cette conception ne fut pas consacrée par l'article 2044
du Code Civil, c'est parce que Domat, fidèle à sa définition,

(160) On lit même, dans certains arrêts, "qu'en vertu de l'article 2044 du Code
civil la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contesta-
tion en se consentant des concessions réciproques » (cass. fr., soc., 13 novembre
1959, J. C. P., 1960, II, 11450 avec la note G. CAMERLYNCK).
(161) Exposé des motifs, n° l, LocRÉ, t. VII, p. 458.
(162) Voy. notamment ÜUME•MENDJIR0, op. cit., n° 278; GIROUD, Etudes sur
la transaction, thèse, Lyon, 1901, p. 12; L. BoYER, op. cit., p. 13.
(163) Rapport au Tribunat, n° 1, LocRÉ, op. cit., p. 464.
(164) B. DE FROMENTAL, Décisions de droit canonique et français, Lyon, 1760,
p. 745, cité par L. BoYER, p. 12; PoTHIER, Du contrat de vente, 7• partie, art. VIII;
ARoou, II, liv. IV, ch. X, p. 457.
58 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

donnait de la loi rom.aine une interprétation peu ortho-


doxe :
« Ce qui est dit dans cette loi 38 Cod. de trans. qu'il n'y a point de
transaction si l'on ne donne et ne promet rien ne doit pas être pris à la
lettre ; car on peut transiger sans rien donner et sans rien promettre
ni rien retenir. Ainsi, celui qu'on prétendait être caution d'un autre,
pourrait être déchargé de cette demande par une transaction sans que
de part ni d'autre, il fut rien donné, rien promis, ni rien retenu (165). »

Dom.at confond, ainsi, m.anifestem.ent, la transaction avec


la remise de dette ou la renonciation pure et sim.ple ...
Les législations étrangères postérieures au Code civil ne
reprendront pas l'erreur de celui-ci et feront presque toutes
entrer les concessions réciproques dans la définition légale,
conscientes de ce qu'à défaut de ce faire elles privent la transac-
tion de l'élém.ent Ie plus révélateur de sa spécificité. Ainsi l'arti-
cle 779 du B.G.B., l'article 1965 du Code civil italien de 1942,
l'article 1888 du Code civil néerlandais, l'article 1809 du Code
civil espagnol, etc. (166).

C. - DÉFINITION DES CONCESSIONS RÉCIPROQUES.


LEUR OBJET. - DISTINCTION.

33. 1. Il faut donc tenir pour acquis qu'une transaction est


inconcevable en droit prétorien beige et français sans conces-
sions réciproques. Si, m.algré cela, les parties ont qualifié de

(165) Lois civiles ... , liv. I, tit. XIII, sect. 1, n° 2.


(166) La notion de « concessions réciproques • a été particulièrement étudiée
en droit italien: on consultera notamment l'ouvrage récent d'ÜNOFRIO (Commen-
tario del Codice civile, Libro quarto, Delle Obligazioni, Rome et Bologne, 1959)
qui étaye le commentaire de l'article 1965 de nombreuses références de doctrine
et de jurisprudence (p. 193, notes 1 et 2).
Adde, T. AsCARELLI, Studi in tema di contratti (Milan, 1952), p. 223, p. 12 (com-
paraison, fondée sur l'idée des concessions réciproques, entre la transaction et la
convention d' « accertamento »).
On rappellera qu'en droit suisse ni le Code civil ni le Code fédéral des obliga-
tions ne réglemente la transaction comme telle (cf. Code fédéral des obligations,
éd. 1957, Payot, Lausanne, p. 73, note 1). La doctrine suisse enseigne cependant
que la transaction implique des concessions réciproques (MONFRINI, La transac-
tion extrajudiciaire ... , thèse, Lausanne, 1937, p. 79 et s.).
Sur la notion de « concessions réciproques • en droit néerlandais, on consultera :
P. W. KAMPHUISEN et VANANDEL sur C. ASSER, Handleiding tot de beoefening
van het Nederlandsch burgerlijk recht, derde deel, derde stuk (éd. 1960), p. 805
et s. Ces auteurs soulignent la parenté entre le texte de l'article 1888 et la formule
romaine : transactio nullo dato vel retendo ...
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 59

transaction une convention qui n'en comportait aucune ou ne


comportait que des sacrifices unilatéraux, il appartiendra au
juge de lui restituer sa qualification véritable et de déclarer
le contrat valable à un autre titre (renonciation, remise de dette,
donation ... ), mais certainement pas comme transaction (167).
Relever l'existence de concessions réciproques est donc une
question essentielle sur laquelle Ie juge se penchera.

34. II. Nature et objet des concessions faites par les colitigants.
Deux hypothèses peuvent se concevoir qui conduisent à deux
types différents de transaction : ou l'on renonce aux droits
et biens litigieux en obtenant de l'autre partie une renoncia-
tion corrélative aux mêmes droit et biens; ou l'on renonce
à ses prétentions moyennant remise par l'autre partie d'un
bien autre que la chose en litige (somme d'argent, bien meuble
ou immeuble, etc ... ) (168).
Dans le premier cas on dit généralement qu'il s'agit d'une
transaction « pure » du type classique, de nature déclarative,
tandis que dans Ie second, ou la prestation « vient du
dehors » (169), on parle de transaction du type translatif (170).
La jurisprudence consacre cette distinction en disant que ]e
sacrifice des parties peut consister aussi bien dans la renoncia-
tion à un droit allégué que dans une prestation quelconque (171).
Et c'est toujours à la même distinction que se réfère impli-
citement le Code civil italien lorsqu'il déclare (art. 1965, al. 2)
que, « par les concessions réciproques, il peut être également
créé, modifié ou éteint des rapports différents de ceux qui ont
formé l'objet de la prétention et de la contestation des parties ».

35. Transaction translative. Sans doute n'est-il pas difficile


de déterminer en quoi consistent les concessions faites dans Ie
cas d'une transaction comportant une prestation extérieure au
litige. J'abandonne mes prétentions à l'usufruit de eet immeuble

(167) DE PAGE, t. V, n° 483, 3°, in fine, avec les références en note 2, p. 474
et 475.
(168) DE PAGE, t, V, n° 483, 3°, p. 474.
(169) L'expression est de L, BoYER,
(170) Le droit italien parle de transaction « simple ou complexe»: VALSECCHI,
Transazione, p. 193, et PA0L0 D'ON0FRIO, Della transazione, p. 194.
(171) Voy. notamment, parce qu'elles sont très explicites, les décisions de
Huy, 30 avril 1937, Bull. ass., 1938, 287, et de Montpellier, 21 février 1955, Gaz.
du pal., 1955, I, 417; voy. aussi DE PAGE, t. V, n° 483, 3°, p. 474.
60 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

moyennant la constitution par toi du même droit sur tel immeu-


ble, non litigieux, et payement par moi d'une somme de
100.000 francs - la concession a pour objet d'une part, Ie
payement de la somme, d'autre part, !'abandon en usufruit
d'un immeuble non litigieux.
On peut concevoir également Ie cas d 'une transaction mixte
dans laquelle la prestation d'une des parties seulement est étran-
gère aux droits et biens litigieux et, dès lors, translative.

36. Transaction pure ou déclaratii·e. Mais !'analyse s'avère plus


délicate lorsqu'on se trouve en présence d'une transaction
pure (172), que le droit allemand qualifie parfois de « reiner
Vergleich » : X et Y prétendent avoir un droit de propriété
sur l'intégralité d'un fonds séparant leur domaine respectif
- ils mettent fin au procès qui les opposent en se partageant
Ie bien litigieux 1/3 à X, 2/3 à Y.
Quel est, en pareil cas, l'objet des concessions réciproques;
en quoi consistent-elles? S'agit-il de l'abandon du droit liti-
gieux considéré sous son aspect substantie!; ou de ]'abandon
total ou partiel de la prétention litigieuse, ou encore de la renon-
ciation à un droit purement processuel, Ie droit d'action dégagé
du droit substantie! ?
Ces questions sont importantes, car les réponses qu'on y
donne conditionnent la solution de plusieurs problèmes propres
à la transaction, autres que celui de sa définition. Par contre,
il faut constater que, sur ce terrain particulier, la nature des con-
cessions et leur objet ne présentent guère d'importance pratique.
Cela explique d'ailleurs que la jurisprudence ne soit pas d'un
très grand secours en l'occurrence.
Le problème est donc théorique, et doctrinales sou étude et
sa solution.

37. Suite. Théorie de la doctrine classique. Il faut constater


que Jes ouvrages classiques et les grands traités de droit civi]
ne se sont pas spécialement attachés à définir d'une manière
approfondie la nature du sacrifice fait par chacun des contrac-
tants, c'est-à-dire l'objet des obligations dans la transaction,

(172) L'expression se retrouve chez L. BOYER, op. cit., p. 15, et chez R. Ro-
DIÈRE sur BEUDAKT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. XII, n° 346.
DÉFINITION ET ÉLÉl\IENTS CONSTITUTIFS 61

par opposition à l'objet du contrat, qui est une situation dou-


teuse et litigieuse ( 17 3).
Certains auteurs, comme Planiol et Ripert (174), n'abordent
pas la question et se bornent à signaler que les concessions
réciproques sont un élément essentie! de l'existence de la transac-
tion, tandis qu'ils soulignent qu'il n'est pas nécessaire qu'elles
soient de valeur égale.
Pratiquement, Ie contenu des sacrifices réciproques est facile
à déterminer : chacun renonce à soutenir intégralement la pré-
tention qu'il avait originairement formulée, et l'étendue des
renonciations réciproques est déterminée de telle sorte qu'elles
se complètent mutuellement et font disparaître tout élément
litigieux (175).
Mais qu'est-ce que « l'abandon d'une part de la prétention »?
La plupart des auteurs donnent à la prétention une significa-
tion substantielle et en arrivent à considérer que la renonciation
transaetionnelle de chacune des parties a pour objet un droit
dont elles aflirment être titulaires ( 17 6).
cc La transaction apparaît, écrit Chevalier, comme la cession que l'un
des plaideurs ferait à l'autre de ses droit litigieux" (177).
cc ... les sacrifices réciproques peuvent être, suivant M. De Page, réa-
lisés par !'abandon, de part et d'autre, de certaines prétentions sur le
bien ou le droit litigieux ... " (178).

A l'appui de cette conception, l'on peut invoquer Je texte des


artieles 2045, alinéa 1er, et 2048 du Code eivil.
Il paraît en effet évident que lorsque l'artiele 2045, alinéa 1er,
énonce que « pour transiger, il faut avoir la eapaeité de dispo-
ser », J'objet de l'acte d'aliénation envisagé ne peut être en
principe qu'un droit prétendu. Quant à l'article 2048, il déclare
expressément que l'objet de la renonciation faite par chacune
des parties porte sur des droits, actions et prétentions.

(173) Sur ces deux aspects de I'objet dans la transaction, voy. infra, n° l!JO.
(174) Op. cit., n° 1566; voy. cependant, n° 1575.
(175) L. BoYER, op. cit., p. 48 et 4!.l.
(176) DE PAGE, op, cit., n° 483, 3°, p. 474; PLANIOL, IlIPERT et SAVATIER,
t. XI, n° 1566; CoLIN et CAPITANT, Cours élémentaire de droit C'Ïvilfrançais (10• éd.,
n° 1379); AccARIAS, op.cit., n°s 80 ets. (sol. implicite); adde: l\Iontpellier, 23 no-
vembre 1020, D.P., 1922, II, !J5; trib. Bruxelles, 8 octobre 1!)57 (Ann. not., 1059,
377), et, sur appel, Bruxelles, 2·1 mai 1960 (Ann. nfJt., l!J00, 20!.l), qui parlcnt
« d'abandons de droits »,
( 177) L'ejfet déclaratif de la transaction et du par/age, p. 188.
( 178) Op. cit., ibid.
62 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

La jurisprudence n'apporte guère de contribution à la solu-


tion du problème posé. D'un point de vue pratique, en effet,
les décisions de justice se bornent à constater l'existence ou
l'inexistence des concessions réciproques, mais elles ne vont
pas jusqu'à rechercher la nature et l'objet de celles-ci.

38. Suite. Théorie de M.L. Boyer. M. Boyer considère que la


théorie classique suivant laquelle la renonciation a pour objet
un droit, se heurte à deux graves objections (179).
a) Ie droit, objet de la renonciation, ne saurait être un droit
certain, mais seulement un droit hypothétique dont l'existence
dépend en fait de l'issue d'un procès actuel ou à venir.
b) en outre et surtout, !'analyse classique ne cadre pas avec
les solutions qu'admet Ie droit positif quant au caractère stricte-
ment relatif de la transaction.
« Il est formellement admis que la partie qui a renoncé à sa prétention
vis-à-vis de son cocontractant pourra éventuellement la reprendre vis-
à-vis de toute personne ayant par rapport à la convention la qualité
de tiers. Or le principe de l'opposabilité erga omnes des conventions,
en tant que fait juridique, exigerait qu'une quelconque personne puisse
opposer au renonçant le « fait-renonciation » lui-même. »

La non-application de ce principe montre donc bien que


celui qui contracte n'a pas entendu renoncer aux droits auxquels
il prétendait avec la portée absolue que comporterait une telle
renonciation, mais seulement à sa prétention vis-à-vis de l'autre
partie.
Partant de ces prémisses, M. Boyer en arrive à considérer
que, dans la transaction, les parties renoncent en réalité à la
connaissance juridictionnelle de leurs droits, à la vérification
des droits contestés (180).
Plus simplement, elles renoncent au pouvoir qui appartient
normalement à chaque individu de demander au juge son inter-
vention pour redresser une situation contraire au droit.
Elles renoncent au droit d'action (181).
Ce concept du « droit d'action » est, nous l'avons déjà vu,

(179) Voy. op. cit., p. 49 et 50.


(180) Op. cit., p. 50 et s.
(181) Dans Ie même sens, voy. A. ÜHAVANNE, « Les quittances pour solde de
tous comptes », J. C. P., 1949, I, 776, n° 8.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 63

le pivot autour duquel Ie professeur Boyer a ordonné toute


sa théorie de la transaction.

39. Suite. Théorie de M. Boyer. - Autonomie et nature du


droit d'action, objet des concessions réciproques. On sait que
dans une conception traditionnelle difficilement défendable,
Ie droit d'action est intimement mêlé et inhérent au droit sub-
stantie!. Il ne fait qu'un avec ce dernier, qu'il a pour mission
de défendre et de protéger; il n'y a donc pas d'action sans droit
mais il n'y a pas de droit sans action.
C'est la conception résumée d'une manière percutante par
Demolombe : l'action est Ie droit sur Ie pied de guerre, « Ie droit
à l'état dynamique » (182).
Certains processualistes français, tels Glasson et Tissier (183)
ou Japiot (184), ont admis cependant, dans une certaine mesure,
que le droit substantiel peut exister sans action tandis qu'au
contraire l'action n'est pas concevable indépendamment du
droit substantie!.
C'est la théorie dite « privatiste » à la critique de laquelle le
doyen Vizioz s'est brillamment attaché (185).
Son argumentation est reprise par le professeur Boyer, qui
démontre l'auto.nomie du droit d'action par rapport au droit
substantie! en se référant, notamment, aux circonstances sui-
vantes (186) :
a) la pratique quotidienne révèle que dans de nombreuses hypothèses
il y a pluralité d'actions au service d'un même droit : comment expli-
quer autrement, par exemple, qu'un créancier puisse en même temps
assigner son débiteur en payement, faire exécuter une saisie-arrêt contre
le tiers saisi et agir enfin contre un tiers détenteur d'immeubles hypo-
théqués?
b) si l'on exige que le droit substantie! préexiste au droit d'action,
il est impossible de rendre compte de l'existence des jugements consti-
tutifs, notamment en matière d'état des personnes. Il est donc certain
que le droit, effet du jugement, n'existait pas antérieurement. Or le
droit d'action qui a servi à obtenir un tel jugement existait bien.

(182) Cours de Code Napoléon, t. IX, n° 338.


(183) Précis de procédure civile, t. I•r, n°• 226 et 228, p. 223 ets.
(184) Traité élémentaire de procédure civile et commerciale (3• éd.), n° 62.
(185) Voy. les références à l'reuvre de Vizioz données par L. BOYER, op. cit.,
spécialement p. 52, note 1, et les études rassemblées de Vizioz sur la théorie de
l'action in « Etudes de procédure •• p. 127 et s., spécialement p. 145.
(186) Op. cit., p. 54 et s.
64 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

c) en liant l'idée du droit d'action à celui du droit substantie!, néces-


sairement droit subjectif, on rend incompréhensible la structure de
l'action dans la procédure pénale et dans la procédure administrative :
l'idée de droit subjectif appartenant au ministère public ou à celui qui
intente un recours pour excès de pouvoir se heurte en effet à de graves
objections. Cela explique d'ailleurs que ce soit la doctrine publiciste
qui ait Ie plus insisté sur !'autonomie du droit d'action (187).
d) si l'on envisage la situation des parties dans la phase juridiction-
nelle de la procédurc, c'est-à-dire avant le prononcé du jugement, com-
ment expliquer autrement que par un concept autonome I'existence
d'un droit d'action, alors que celle du droit subatantiel est justement
incertaine? Comment expliquer Ie droit d'action qu'a exercé le deman-
deur débouté? On ne saurait cependant nier qu'il possédait le droit
d'agir puisque aucune fin de non-recevoir ne lui a été opposée.
D'autre part, on ne saurait nier davantagc qu'il n'était pas titulaire
du droit substantie! auquel il prétendait, puisqu'il a été débouté.

40. L'autonomie du droit d'action ayant ainsi été démontrée,


il restait au professeur Boyer à déterm.iner la nature de ce « droit
d'action » qu'il définit comme le « pouvoir pour chaque individu
d'obtenir du juge qu'il mette fin à une situation litigieuse par
l'application des normes légales » (188).
M. Boyer rappelle que, pour résoudre le problème de la détermination
de la nature du jus agendi, la plupart des auteurs font appel à la
notion de droit public subjectif (189).
Mais, l'idée de droit subjectif évoque immédiatcment celle d'obliga-
tion juridique à laquellc est assujetti un sujet de droit : c'est précisément
la recherche de cette obligation et de ce sujet qui se róvèle ici particu-
lièrement malaisée. Cc ne peut être l'adversaire qui est, sans doutc, le
sujet passif du droit subjectif hypothétique ou ccrtain en raison duquel
on intente l'action, mais qui n'est pas Ie sujet de cclle-ci.
Pour certains, par conséqucnt, le sujet passif du droit d'action est
l'Etat, tandis que pour d'autres, comme Carnelutti, ce serait le juge (190).
M. Boyer critique ces différentes conccptions et en arrive ainsi à con-
sidérer que le droit d'action se rattachc à une catégorie juridique très
peu connue dans le droit français, mais très répandue en Allemagne et
en !talie : celle des " droits potestatifs ».
" Le droit privé moderne voit dans les droits potcstatifs des pouvoirs
par lesquels lours titulaires peuvent influer sur les situations juridiques

(187) On trouvera l'exposé et la critique des théories de Hauriou, Jèze et Du-


guit par H. V1z1oz, • Etudes de procédure », p. 127 et s.
(188) Op. cit., p. 56 et s.
(180) Cf. les références à la doctrine italienne données par 1\1. BoYER, op. cit.,
p. 50, note l.
(100) Lezioni, t. IV, p. 417 et 418.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 65

préexistantes on les modifiant, les éteignant ou en en créant de nouvelles


au moyen d'une activité propre unilatérale ... » (191).
La caractéristique de ces droits est de ne pas s'opposer à une obliga-
tion à la charge d'un individu : Ie sujet passif du droit potestatif est
soumis non pas à une obligation mais à une « sujétion », en ce sens qu'il
ne peut, en aucune façon, s'opposer à l'efficacité juridique de la déclara-
tion de volonté unilatérale du titulaire du droit.
Comme exemple de cette catégorie juridique, M. Boyer cito Ie droit
d'option appartenant à l'héritier, Ie droit de demander une nullité, Ie
droit de demander Ie divorce ou la séparation de corps ...
M. Boyer reprend ainsi !'analyse faite, avant lui, par l'éminent proces-
sualiste Chiovenda.
Le droit d'action est donc un droit potestatif qui emporte Ie pouvoir
d'accomplir, dans certaines conditions, tous les actes nécessairos pour
obtenir, de l'Etat, l'élimination du litige.

M. Boyer concède cependant que la controverse sur la nature


du droit d'action importe peu dès !'instant ou l'on admet comme
une vérité absolue que ce droit est un pouvoir autonome, dis-
tinct du droit substantie}, et qu'il peut, à ce titre, constituer
valablement l'objet d'une obligation (192).
Mais la conclusion de !'auteur reste cependant nuancée :
M. Boyer admet qu'il serait faux de conclure que les concepts
de droit substantie! et de droit d'action mènent deux existences
juridiques absolument indépendantes et qu'ils n'ont aucun point
de contact.
Il concède, au contraire, que !'examen de la réalité juridique
démontre que, quoique parfaitement distincts, le droit sub-
stantie! et le droit d'action sont unis par d'étroits rapports,
et que bien souvent les événements affectant la vie de ]'un ne
sont pas sans influence sur la vie de l'autre.
Il en est spécialement ainsi en droit privé, ou le droit d'action
apparaît comme un moyen de défense des droits substantiels
pouvant appartenir à chacun.
« A la base de la demande en justice - par laquelle se manifeste l'ac-
tion - on trouve l'affirmation d'un droit ; il est dès lors certain que
lorsqu'une personne a rcnoncé à un droit substantie! (et une telle renon-
ciation peut en particulier résulter de l'aveu qu'on n'est plus titulaire
de ce droit) elle renonce en même temps au droit d'affirmer son existence
et par conséquent au droit d'action.

(191) G. MESSINA, Nuovo digesto italiano, v 0 Diritti potestativi, t. III, p. 872.


(192) Op. cit., p. 66.
DE GAVRE, Contrat de transactwn. - 5
66 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAffiE

» Mais cette constatation ne doit pas faire perdre de vue !'autonomie


du droit d'action : il se peut qu'un créancier renonce au droit d'action
<lont est assorti sa créance sans renoncer pour cela au droit substantie!
lui-même : une obligation naturelle subsistera dans ce cas à la charge
du débiteur et cette simple donnée suffit en elle-même à établir la néces-
sité, pour l'interprète, de reconnaître au droit d'action une autonomie
véritable" (193).

41. Théorie de M. R. Rodière. Comme M. Boyer, c'est en 1947,


que Ie professeur René Rodière a exposé, dans la seconde édi-
tion du tome XII du Cours de droit civil français de Beudant,
une conception qui se rattache de près à la théorie du droit
d'action qui vient d'être résumée.
Pour M. Rodière, en effet, ce que les cotransigeants veulent,
c'est proscrire toute recherche sur leurs droits antérieurs : La
transaction doit être un « creuset d'oubli » (194).
On ne peut dire que chacun abandonne des droits, puisqu'on
ne peut, scientifiquement, en postuler l'existence a priori.
On ne peut davantage postuler, également a priori, que
chaque litigant avait un droit sur ce qu'il a abandonné.
Dès lors, il faut considérer que chaque cotransigeant, dans la
mesure ou la transaction donne avantage à son cocontractant,
abandonne non pas ses droits mais ses prétentions.
La transaction apparaît ainsi non pas comme déclarative
ou transmissive de droits mais, essentiellement, comme abdi-
cative de prétentions (195).
Mais - et c'est cela qui est important - Ie professeur Rodière
explicite cette conception en renvoyant, quant à la définition
de la prétention, à la distinction procédurale du droit et de
l'action (196). La conclusion, tout en étant moins profondément
justifiée que celle de M. Boyer, coïncide fondamentalement,
on Ie voit, avec celle de ce dernier.
42. Examen critique de la théorie de M. Boyer. Il est indé-
niable que la très pénétrante étude du professeur Boyer a puis-
samment contribué à mettre en exergue certains aspects essen-
tiels de la transaction, jusque-là méconnus, et partant, à mieux
faire apparaître l'originalité de son mécanisme propre.

(193) P. 66 et 67.
(194) Op. cit., n° 345, p. 386.
(195) Op. cit., n° 345, in fine, p. 387.
(196) Op. cit., n° 345, note 4, p. 386.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 67

Ne serait-ce que parce que la théorie de M. Boyer a donné


!'occasion à son auteur de faire une brillante synthèse des vues
modernes sur la théorie de l'action en général et parce que,
partant de là, M. Boyer, pour Ie première fois, a mis spéciale-
ment en lumière !'aspect para-judiciaire de la transaction (197),
cette théorie mérite la plus vive attention.
Mais cela dit, il reste difficile d'y souscrire intégralement.
Il est manifeste que M. Boyer, voulant notamment justifier
l'existence de transactions véritables en dehors de tout doute
et par la seule force de la res litigiosa, a été inévitablement
conduit à concevoir l'aliquid datum aliquid retentum en dehors
du droit substantiel en litige.
D'ou Ie recours au droit d'action, notion processuelle et
autonome, à Iaquelle il est possible de renoncer d'une façon
abstraite, qui laisse intact Ie droit substantie!, douteux ou non.
« Une situation litigieuse, telle est la condition nécessaire et suffisante
pour que Ie contrat soit juridiquement possible ; telle est la matière de
la transaction ; cela fait nous établirons que contrairement à ce que
croyaient les partisans de la théorie classique, cette analyse est parfaite-
ment compatible avec l'exigence d'un aliquid datum aliquid retentum,
la prestation de chaque partie devant être analysée en une renonciation
au droit d'action » (198).

C'est, suivant M. Boyer, parce que les concessions des parties


ne portent que sur Ie droit d'action qu'il est possible de transiger
en dehors de tout doute: lorsque la situation n'a rien de douteux,
comment concevoir, en effet, des concessions réciproques à
caractère substantie! 1 En pareil cas, la concession substantielle
est nécessairement à sens unique.
Emporté par ces prémisses, M. Boyer a cependant, croyons~
nous, poussé son raisonnement trop à l'absolu en cantonnant
exclusivement Ie mécanisme de Ia transaction sur Ie terrain
formaliste de la renonciation à un droit processuel, à laquelle
il donne Ie caractère d'une abdication purement abstraite ( 199).
Nous croyons qu'une conception aussi extrême, même si
elle est parfois nuancée dans sa conclusion (200), et même si

(197) Voy. quant à eet aspect, la note de P. AZARD sous caBB. fr., 6 octobre
1964, Dalloz-Sirey, 1965, p. 367.
(198) Op. cit., p. 34.
(199) Voy. R. MERLE, op. cit., p. 179.
(200) Voy. spécialement, op. cit., p. 66.
68 TRANSACTION EXTRA ·JUDICIAIRE

elle repose sur l'idée exacte de l'existence autonome du droit


d'action comme tel, ne peut recueillir une adhésion totale :
parce qu'elle emprunte au concept même du« droit d'action »
ses incertitudes et ses amphibologies ;
parce qu'elle ne paraît plus en concordance avec la con-
ception actuelle du droit d'action - ou mieux de l'action -
et de son autonomie par rapport au droit substantie! ;
parce qu'elle conduit, dans certains cas, à des solutions
contraires au droit positif et aussi à la volonté réelle des parties.
Pourquoi celles-ci renoncent-elles au droit d'action 1 La question
posée par M. R. Merle (201) reste pertinente.
Explicitons ces critiques.

43. Du simple point de vue de la méthode il paraît dangereux,


sinon audacieux, de fonder toute une théorie de la transaction
sur une notion qui, comme Ie droit d'action, reste incertaine
et floue dans Ie domaine même du droit processuel dont elle
est· extraite.
Quant à sa qualification, Ie « droit d'action » appelle déjà
des critiques : Ie professeur Fettweis (202), citant MM. Solus
et Perrot, parle d'une « expression incorrecte, équivoque et
inexacte, susceptible d'engendrer une regrettable confusion
entre les notions d'action en justice et de droit subjectif ».
Quant à ces derniers auteurs (203), ils relèvent Ie double sens
du mot action et y voient la source de tant d'erreurs et de malen-
tendus. D'une part, stricto sensu, l'action est le pouvoir de
saisir un juge pour l'obliger à statuer sur Ie bien-fondé de la
demande - justifiée ou non en droit - qui lui est soumise;
d'autre part, lato sensu, elle est la possibilité d'obtenir du juge
qu'il consacre et protège Ie droit déduit en justice en donnant
gain de cause sur Ie fond, ce qui implique que Ie droit substan-
tie] existe (204).

(201) Op. cit., p. 180.


(202) Eléments de la compétence et de la procédure civile (cours professé à l'Uni-
versité de Liège), t. II (éd. 1962), p. 356.
(203) SoLUS et PERROT, Droit judiciaire privé, t. Jer {éd. 1961), n° 95.
(204) « Celui qui n'a pas Ie droit qu'il allègue a la faculté de porter sa demande,
même insoutenablc, devant la justicc. Mais Ie juge, après examen, repoussera sa
demande en disant qu'il n'y a pas de droit, et par suite pas d'action » (GLASSON,
TISSIER et MOREL, t. Jer, p. 42,1).
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 69

Lorsque M. Boyer déclare (205) que, par la transaction, « on


renonce au pouvoir qui appartient normalement à chaq.ue
individu de demander au juge son intervention pour redresser
une situation contraire au droit », il semble bien qu'il retienne
Ie premier sens du mot action (206).
Quant au fond du concept, on retiendra que lei:i processua-
listes eux-mêmes sont souvent hésitants : le rapport du com-
missaire royal à la réforme judiciaire cite le professeur J. Car-
bonnier qui, parlant de l'action en tant que voie de droit, évoque
« les formules classiques, controversées mais suggestives, qu'elle
a suscitées » (207).
La controverse ne porte assurément plus sur Ie principe de
!'autonomie de l'action ou du droit d'action par rapport au droit
substantie!.
Mais elle se cristallise autour de la conception que l'on se
fait de l'action et de la nature du « droit d'action ».
Pour certains, comme Jèze (208), Vizioz (209) ou Fettweis (210),
il s'agirait d'un pouvoir objectif impersonnel qui, même lors-
qu'il s'exerce pour faire reconnaître ou protéger une situation
juridique subjective, ne se confond pas avec le droit substan-
tie! déduit en justice.
Pour d'autres (211), l'action a un fondement subjectif, ce
qui signifie que son objet se limite à la protection de situations
juridiques concrètes, c'est-à-dire des droits subjectifs dont une
personne se prétend titulaire. C'est la théorie généralement
reçue en droit judiciaire privé.
On rappellera aussi, pour rendre compte de Ja diversité de la
discussion et, par conséquent, de Ja fragilité du concept, que
CarneJutti, parlant de la nature du droit d'action, en fait un

(205) Op. cit., p. 50 et 51.


(206) Plus loin (p. 57 et 58), après avoir constaté que Ie terxne « droit <l'action •
peut avoir une double qualification, M. Boyer précise que l'objet du droit d'action·
ne peut être Ie droit à obtenir une sentence favorable ... • En réalité, ajoute-t-il,
Ie droit d'action apparaît comme Ie pouvoir pour chaque individu qu'il mett,e
fin à une situation litigieuse par l'application des normes légales. •
(207) Rapport précité, t. Jer, p. 36, et surtout J. CARBONNIER, Droit civil, t. I••,
p. 148.
(208) Principes généraux du droit administratif, 3• éd., t. 111,. p. 3, ll.
(209) Etudes de procédure, p. 149.
(210) Op. cit., p. 355.
(211) Voy. SOLUS et PERROT, op. cit., n° 105, p, 105, 2°.
70 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

droit public subjectif, et M. Boyer un droit potestatif, comme


Chiovenda (212).
Les contours et Ie contenu même de la notion mise en avant
par M. Boyer restent donc vagues et incertains.
Les développements qui précèdent n'ont eu d'autre hut que
de montrer combien, dans ces conditions, il peut être périlleux
de construire toute une théorie autour d'un critère encore bien
variable et mouvant.
Sans doute, dira-t-on, importe-t-il peu de savoir quelle est
la nature du cc droit d'action » dès !'instant ou l'on tient pour
certain que c'est à ce droit-là que les litigants renoncent lors-
qu'ils transigent.
Peut-être. Mais il demeure évident - et c'est cela qui est
important - que chacune des conceptions détermine finale-
ment une vision différente des rapports entre l'action et Ie droit
substantie!, c'est-à-dire, dans la transaction telle que la conçoit
M. Boyer, entre l'objet des concessions réciproques et les droits
en litige.

44. Nous avons déjà dit à eet égard que les conclusions assez
absolues de M. Boyer, quant à l'autonomie du droit d'action,
paraissent démenties par les opinions les plus récentes de pro-
cessualistes écoutés.
On sait que pour M. Boyer le droit d'action est parfaitement
distinct du droit substantie!, totalement autonome, même s'il
peut arriver, surtout en droit privé, qu'il y ait entre les deux
une certaine connexité, voire d'étroits rapports (213). Mais
!'autonomie véritable reste la règle, au point qu'elle permet de
concevoir qu'un créancier renonce au droit d'action dont est
assorti sa créance, sans renoncer pour autant au droit substan-
tie! lui-même (214).
Pour les professeurs Solus et Perrot (215), par contre, il
serait erroné, sous prétexte de souligner les différences cer-
taines qui existent entre Ie droit et l'action, de verser dans
l'excès contraire et d'affirmer, comme Jèze (216), que l'action

(212) Voy. supra, n° 33.


(213) Op. cit., p. 66.
(214) Op. cit., p. 67.
(215) Op. cit., n° 103.
(216) Principes généraux du droit administratif, 3• éd., t. J•r, p. 10 et s., et
t. 111, p. 3 et e.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 71

en justice est un pouvoir objectif, abstrait, général et imper-


sonnel, entièrement indépendant du droit allégué.
Certes, ajoutent ces auteurs (217), « Ie droit administratif a
pu se satisfaire d'une telle analyse qui convenait parfaitement
au recours pour excès de pouvoir. Mais Ie contentieux privé
répond à d'autres préoccupations. Sa fonction n'est plus de
contraindre une administration au respect de la légalité, mais
de dénouer un litige entre deux particuliers qui s'appliquent
à défendre leur propre situation juridique. Plusieurs indices
témoignent d'ailleurs des liens profonds qui unissent Ie droit
et l'action, tant en ce qui concerne Ie fondement que la qualifi-
cation de l'action en justice ».
En effet, s'il est exact qu'en prenant l'initiative d'exercer
une action Ie plaideur défend indirectement la légalité en géné-
ral, ce qu'il protège d'abord et surtout, ce sont les prérogatives
personnelles qui dérivent pour lui de la situation de droit dont
il s'affirme le bénéficiaire. C'est dans cette mesure et dans cette
mesure seulement que l'action en justice lui appartient (218).
D'autre part, les affinités qui existent entre Ie droit et l'ac-
tion se manifestent également par Ie fait que l'action participe
de la nature et des caractères du droit déduit en justice. « En
un mot, Ie droit allégué colore l'action et lui imprime sa propre
qualification » (219).
Et MM. Solus et Perrot de conclure (220) qu'il est vain de
nier les rapports qui existent entre l'action en justice et Ie droit
litigieux et que c'est Ie tort des doctrines modernes qui se veu-
lent objectives de méconnaître systématiquement cc les affi-
nités certaines qui unissent les deux éléments de ce diptyque ».
En définitive, ajoutent-ils, cc on est conduit à se demander
si l'erreur fondamentale n'est pas de vouloir, à tout prix, donner
de l'action en justice une définition unitaire sans tenir compte
de la diversité des contentieux. Certes, il est légitime d'admettre
que les actions en justice présentent toujours un certain nombre
d'éléments communs, telle notamment l'exigence d'un intérêt
pour agir. Mais sous cette réserve, il est indéniable que l'action,

(217) Op. cit., n° 103, in fine, p. 104.


(218) Op. cit., n° 106, p. 108.
(219) Op. cit., n° 107.
(220) Op. cit., n° 108,
72 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

suivant la nature des différents contentieux qu'elle est appelée


à servir, peut s'enrichir de certains traits particuliers ».
Et Ie professeur P. Hebraud, plus récemment encore, défend
vigoureusement la même conception générale lorsqu'il écrit (221):
« L'action en justice n'opère pas novation par une sorte de litis con-
testatio. Le droit substantie! n'est pas voilé par les rapports juridiques
nouveaux que fait naître la relation contentieuse. Cela est conforme à
l'un des aspects les plus profonds des conceptions procédurales fran-
çaises ; si l'on ne réduit plus l'action à une forme dynamique du droit,
si on lui reconnaît une spécificité propre, elle ne va pas jusqu'à l'indépen-
dance et le droit substantiel garde un róle f ondamental, pour lui conférer
notamment ses caractères et sa qualification. »

Ces opinions sont très pertinentes, et il nous semble dès lors


difficile de défendre, du moins dans le contentieux privé qui
fournit la matière de la transaction, une conception fondamenta-
lement basée sur ]'autonomie absolue du droit d'action et,
corrélativement, sur la renonciation << abstraite » à ce droit,
même si on laisse de cöté les difficultés qui tiennent à sa quali-
fication et à la définition de sa nature.

45. De plus, la conception de M. Boyer nous paraît en elle-


même et par certaines de ses conséquences peu compatible
avec l'état actuel de notre droit positif ou prétorien.
a) On soulignera d'abord l'extrême prudence de la Cour de
cassation à l'égard de !'autonomie du droit substantie! et de
l'action.
Le professeur A. Bernard (222) en voit une preuve dans
l'arrêt du 21 avril 1921 (223) dont il ressort qu'il n'existe pas
de droit sans une action en justice pour en obtenir la reconnais-
sance et en faire réprimer la violation, et dans celui du 8 jan-
vier 1925 (224) qui précise qu'il n'existe aucun droit civil
sans qu'une action en justice en puisse faire réprimer la viola-
tion.
On rapprochera cette jurisprudence d'inspiration classique

(221) Obs. sur cass. fr., 24 mars 1965 (D., 1965, 430), in Rev. trim. dr. civ., 1965,
p. 700, n° 3.
(222) Cours de procédure civile (Presses univ. Brux., éd. 1964), vol. II, p. 6,
(223) Pas., 1921, I, 338.
(224) Pas., 1925, I, 101; adde : Courtrai, 8 mars 1956, R. W., 1955-1956,
col. 1829, et Mons, 6 juin 1956, Journ. trib., 1957, p. 117.
DÉFlNITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 73

de ce qui a été exposé ci-devant, à l'appui de la théorie


de M. Boyer (225).
b) Nous avons déjà vu !'argument de texte que l'on est en
droit de déduire des articles 2045, alinéa 1er, et 2048 du Code
civil (226).
La première de ces dispositions, lorsqu'elle parle de la capa-
cité de disposer nécessaire pour transiger valablement, vise
d'une manière implicite mais certaine, la disposition du droit
substantie! en litige, seul considéré dans Ie système du Code
civil (227).
Quant à l'article 2048, il est plus explicite lorsque, traitant
de l'interprétation à donner à l'objet de la transaction, il vise
expressément la renonciation à tous droits, actions et préten-
tions.
Nous reviendrons à cette dernière formule, mais nous rele-
vons déjà ici qu'elle n'est pas Ie fait d'un hasard de rédaction :
on la retrouve, en effet, au cours des travaux préparatoires de
l'article 2048, employée à deux reprises, d'abord par Bigot-
Préameneu (228) et ensuite par Albisson (229).
c) M. Boyer, à I'appui de sa théorie de !'autonomie du droit
d'action, s'est référé, par comparaison, aux notions différentes
que sont Ie désistement d'action et Ie désistement d'instance (230).
« Tandis que celui-ci s'analyse en une renonciation ayant seulement
pour objet les droits processuels issus des actes de procédure, la renon-
ciation que constitue celui-là s'étend au droit d'action lui-même. C'est
pourquoi... le désistement d'action a, au contraire, un effet définitif,
!'auteur d'un pareil désistement ne pouvant plus désormais ni user des
droits processuels qu'il avait pu acquérir antérieurement, ni s'adresser
de nouveau à la justice. »

La comparaison est très heureuse en soi, car les affinités entre


Ie désistement et la transaction sont certaines (231).
Mais, encore une fois, M. Boyer limite à tort l'objet du désis-
tement d'action au seul droit d'action. Suivant Ie rapport
du commissaire royal à Ja réforme judiciaire, Ie désistement

(225) V. supra, n°• 30 et s.


(226) Supra, n° 37.
(227) Voy. ei-après n° 09.
(228) Exposé des motüs, n° 6, LOCRÉ, t. VII, p. 460.
(220} Rapport au Tribunat,- n° 6,.,op. cit., n° 465.
(230) Op. cit., p. 57, note 5.
(231) V. infra, n° 72.
74 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

d'action constitue une renonciation au fond du droit. « C'est


un acte unilatéral dont la portée à l' égard des parties doit être
déterminée tant en fonction des principes généraux que des
règles particulières qui gouvernent le droit, objet de la renon-
ciation. La partie qui se désiste de l'action ne peut plus renou-
veler sa demande (art. 821 du Code en projet). Elle doit donc,
lors de sa renonciation, avoir la disposition des droits dont il
est question (art. 823) » (232).
Mutatis mutandis, comme Ie propose M. Boyer, nous trouvons
au contraire dans la conception actuelle du désistement d'ac-
tion un argument opposé à la théorie de !'autonomie et de la
renonciation abstraite au droit d'action, prönée par M. Boyer.
d) La théorie de la renonciation au droit d'action est diffi-
cilement conciliable avec la jurisprudence, largement approu-
vée par la doctrine, qui admet la possibilité de transiger sur
des droits éventuels ou conditionnels (233).

46. M. Merle a justement fait observer (234) que, du point


de vue psychologique, la théorie de M. Boyer est trop étriquée.
Elle ne rend pas compte de tous les désirs et aspirations des
parties lorsqu'elles transigent.
Dire que les litigants transigent uniquement par crainte des
procès, faire de la timor litis Ie seul moteur de la transaction
est, sans doute, excessif. Que les parties veuillent éviter Ie
litige - formel ou substantie! - c'est certain; mais qu'elles
puissent vouloir, en outre, mettre un terme à une situation
qui leur paraît incertaine, douteuse ou aléatoire quant à l'exis-
tence, l'efficacité ou la mise en reuvre de leurs droits substan-
tiels, l'est tout autant.
Précisément parce qu'elle ne tient pas assez compte de l'in-
tention des parties de fortifier, par la transaction, leurs droits
substantiels, la théorie de M. Boyer pourrait conduire à certaines
conséquences qui apparaîtraient, sans doute, comme dontraires
au but recherché par les contractants.

(232) Rapport précité, t. I•r, p. 313; voy. aussi ca.ss., 27 février 1958, Joum.
trib., 1958, p. 400, Bruxelles, 18 juin 1952, Pas., 1953, II, 44, et cass. fr., 10 juin
1943, D. H., 1943, 83.
(233) Voy., à ce propos, les considérations a.ssez hésitantes de M. 1BoYER, op.
cit., p. 46, texte et note 2, et supra, n° 20.
(234) Voy. op. cit., notamment p. 180-182.
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 75

M. Boyer écrit « qu'il se peut fort bien qu'un créancier renonce


au droit d'action dont est assorti sa créance sans renoncer au
droit substantie! lui-même : une obligation naturelle subsistera
dans ce cas à la charge du débiteur ... » (235).
C'est, on Ie voit, quelle que soit la qualification donnée au
droit d'action, l'affirmation de son caractère objectif et imper-
sonnel. De ce caractère on déduit notamment la possibilité
pour Ie législateur de modifier d'une manière générale et imper-
sonnelle Ie régime de l'action - par exemple en modifiant ses
délais - sans toucher pour autant à la situation juridique indi-
viduelle (236).
Supposons donc que, dans Je doute ou je suis quant à la
prescription de mes droits, je renonce à agir par une transaction
qui me procure, en contre-partie, Ie payement de telle somme.
Dans la théorie de M. Boyer j'ai renoncé uniquement à l'action
telle qu'elle était réglementée au jour de la transaction.
Pourrais-je, dès lors, opposer mon droit substantiel comme
exception, par application analogique de la règle : « quae tempo-
ralia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum »1 (237).
Cela paraît possible dans la théorie de M. Boyer, et pourtant
c'est une solution inconcevable si l'on veut bien prendre en
considération ce que les deux parties ont voulu en transigeant.

47. Récemment, M.G. Gheysen a fait à la théorie de M. Boyer


le grief de confondre l'origine (oorzaak) et la conséquence (gevolg)
du contrat: la perte du droit d'agir est une conséquence immédiate
de la transaction et si les parties ne peuvent plus saisir le juge
de leur différend, c'est parce qu'elles ont elles-mêmes voulu y
mettre fin par un règlement non judiciaire, d'ou l'exception
litis per transactionem finitae (C. civ., art. 2052, al. 1er) (238).
Nous ne pensons pas que cette critique soit décisive : il est
bien exact que le hut du contrat est de mettre fin au litige ;
et partant, que l'impossibilité contractuelle de Ie faire revivre en
est la conséquence, dès !'instant ou le hut a été voulu et atteint.
Mais cela exclut-il que l'on puisse considérer que, pour arriver
à ce résultat extinctif, il faille d'abord renoncer à agir judiciaire-

(235) Op. cit., p. 67.


(236) H. V1z10z, op. cit., p. 149, note 1 ; voy. par exemple la loi du 30 mai
1961 sur la prescription de l'action civile.
(237) Voy. SOLUS et PERROT, op. cit., n° 100, p. 101.
(238) V 0 Dading, in A. P. R., n• 41.
76 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

ment et consentir à des abandons quant aux droits litigieux


eux-mêmes?
Autrement dit, à !'origine du mécanisme contractlllel, on
trouve la renonciation aux droits - processuels et/ou substan-
tiels, peu importe ici - et ensuite vient « l'exception de trans-
action » qui exprime la force obligatoire attachée aux rehoncia-
tions contractuelles réciproques (C. civ., art. 1134 et 2052,
al. 1er).

48. Conclusion. Il y a, on ne Ie répétera jamais assez, dans la


théorie de M. Boyer une richesse considérable. Le droit d'ac-
tion existe comme tel, mais sou indépendance par rapport au
droit substantie! n'est pas aussi tranchée que Ie voudrait
M. Boyer, singulièrement dans le contentieux du droit p'ltivé.
Or, il ne faut pas perdre de vue que ce contentieux fournit
sinon la seule, du moins la principale matière des transactions,
car nous nous refusons à considérer comme de véritables transac-
tions, soumises aux dispositions du Code civil, Jes acco~ds sui
generis que l'on qualifie de « transaction » en matière pénale
ou fiscale (239).
Nous croyons donc que, dans le contentieux de droi~ privé,
la relation entre le droit et l'action est telle qu'il faut a4mettre
que celui qui transige renonce, en même temps, au droit dont
il se réclame et à l'action (240).
Telle nous paraît être en tout cas la conception normale que
l'on doit se faire de l'objet des renonciations respectives. Est
par contre anormale - même si elle est intellectuellement
concevable - la renonciation au seul droit d'action, encore
qu'il nous semble qu'un droit substantie! qui, par l'effet d'une
renonciation au droit d'action, n'engendre plus qu'une obliga-
tion naturelle (241) est singulièrement émasculé. Cela démontre
que la renonciation au droit d'action affecte nécessairement

(239) Voy. infra, n°• 250 et s. et 268 et s.


(240) On peut se demander si ce n'est pas à cette conception qu'il faut ratta-
cher l'important arrêt de la Cour d'appel de Liège du 20 mars 1964 (Jur. Liège,
1964-1965, p. 73, et Bull. ass., 1966, p. 320) lorsqu'il énonce que, « la seule renon-
ciation à la procédure n'est pas suffisante pour caractériser une transaction ..• •?
(241) M. Boyer tire ainsi de la perte du droit d'action une conséquence conforme
à la tradition du droit français. En. droit belge, lorsqu'une obligation est atteinte
par une exception péremptoire (prescription, chose jugée... ), on préfère dire que
l'obligation reste civile mais qu'elle est démunie de sanction (DE PAGE, t. III,
no 61, B; DEKKERS, t. II, n° 495, in fine),
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTI'l'UTIFS 77

la vie du droit substantie! et que les deux concepts ne peuvent


être séparés.
En réalité, nous pensons que la solution au problème posé
n'est pas difficile à trouver et qu'elle doit l'être sans vouloir
partir, nécessairement et coûte que coûte, d'une base de rai-
sonnement valable pour tous les contentieux, alors que seul
celui qui concerne les intérêts privés disponibles forme la matière
de la transaction.
Cette solution est donnée, incidemment il est vrai, par Ie
Code civil.
Lorsque l'article 2048 du Code civil relatif à l'interprétation
de la transaction parle des renonciations aux « droits, actions
et prétentions » il formule, très heureusement, la définition de
ce qui constitue l'objet normal des concessions réciproques (242),
l'objet dont il faut présumer qu'il est la matière des obligations
des cotransigeants.
On aperçoit, en effet, combien cette formulation est complète
et dynamique : on part du droit substantie}, on débouche sur
la voie de droit qu'est l'action et on englobe en même temps la
prétention qui, révélée par la demande en justice, réalise la
mise en ceuvre judiciaire du droit allégué et de l'action. On
couvre ainsi !'ensemble du litige dans ses aspects techniques
aussi bien que dans sou acception substantielle et subjective.
La jurisprudence a d'ailleurs eu recours fréquemment aux
termes « droits et prétentions », lors même que le litige ne met-
tait nullement en cause la règle d'interprétation de l'article 2048
du Code civil (243).
En outre, lorsque les décisions se bornent à parler d'une renon-
ciation à des prétentions, elles visent toutefois une renonciation
aux droits substantiels en litige (244).

(242) Rappelons que nous raisonnons toujours dans l'hypothèse de la tran-


saction « pure •• non translative.
(243) Voy. notamment : cass., 10 juillet 1862, Pas., 1862, 1, 289; Bruxelles,
24 mai 1960, Ann. not., 1960, p. 209; Audenarde, 20 mars 1903, Pas., 1904, 111,
125; trib. Bruxelles, 22 février 1915, Pas., 1918, 111, 187; corr. Huy, 30 avril
1937, Bull. ass., 1938, 287; prudh. Charleroi, 17 avril 1962, Rev. dr. soc., 1963,
p. 41 obs. Voy. aussi Liège, 30 octobre 1959, Journ. trib., 1959, p. 704 et 705,
et 17 novembre 1960, Jur. Liège, 1960-1961, p. 122 (par analogie).
(244) Voy. par exemple : cass., 13 février 1868, Pas., 1868, I, 331 (renoncia-
tion réciproque à un partage de bénéfices tel qu'il était réclamé, à !'origine, de
part et d'autre). Trib. Bruxelles, 22 avril 1958, Journ. /rib., 1958, p. 692, et 28 mars
1963, Journ. trib., 1963, p. 491 et 492. Ce dernier jugement a été confirmé par un
78 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Autrement dit, les parties ne renoncent pas seulement à la


vérification juridictionnelle de leurs droits contestés, mais égale-
ment à ces droits eux-mêmes considérés comme acquis (245).
Sans doute, M. Boyer a.ct-il raison lorsqu'il dit que tant
que Ie litige n'est pas vidé, les droits substantiels restent hypo-
thétiques (246) ; rien ne dit, en effet, qu'ils auraient été re-
connus par Ie juge.
Mais il est possible de renoncer à des droits futurs, éventuels
ou conditionnels : la jurisprudence l'a proclamé (247) et Ie
désistement d'action confirme que Ie fond des droits peut être
affecté, avant leur acquisition définitive, quand ils sont encore
hypothétiques, puisque Ie désistement se produit alors que Ie
litige n'est pas définitivement jugé.
Nous conclurons donc que dans la transaction non translative,
les concessions réciproques portent sur l'action et la prétention
mais aussi sur Ie droit substantie! qui leur sert de support, même
s'il s'agit seulement d'un droit dont les parties affirment être les
bénéficiaires (248).

§ 6. - Essai de synthèse et de définition.

49. Nous venons de passer en revue les différents facteurs


qui contribuent à faire d'une convention une transaction.
Nous les résumerons en proposant la définition suivante
« La transaction est une convention par laquelle deux ou
plusieurs colitigants mettent fin à une situation qui leur paraît
contentieuse, soumise ou non à la justice, et ce par Ie moyen
de concessions réciproques, pouvant consister soit dans la
renonciation à tout ou partie de leurs droits litigieux, soit dans

arrêt encore inédit de la Cour d'appel de Bruxelles du 17 février 1964 et un pourvoi


contre eet arrêt a été rejeté (cass., 3 mars 1966, en cause Vanderstocken c. Natio-
nale de Bruxelles, n° 3977, Jr• chambre).
(245) Voy. à titre d'exemples : cass. fr., soc., 17 mars 1959 (Bull., cass., 1959,
IV, 354) : !'arrêt vise expressément la renonciation aux procédures engagées et
la fin des discussions sur le fond des droits, pour qualifier un acte de transaction;
adde : Montpellier, 23 novembre 1920, D. P., 1922, II, 95, ainsi que la note sous
appel Rennes, 19 juin 1958, Gaz. du pal., 1958, II, 207.
(246) Voy. l'argumentation de M. Boyer à eet égard supra, n°• 38 et s.
(247) Voy. supra, n° 20.
(248) On rappelle ici que des droits subjectivement douteux et litigieux suffi-
eent à la perfection de la transaction (voy. supra, n° 22).
DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 79

!'abandon d'un bien non litigieux. Elle entraîne, dans les deux
cas, renonciation à toute action et prétention quant aux droits
et biens dont elle comporte }'abandon. »
Nous retrouverons chacun des éléments constitutifs de cette
définition lors de !'examen des problèmes propres à la qualifica-
tion des actes qui constituent des transactions, ce qui nous
conduira ensuite à comparer ce contrat à des institutions juri-
diques voisines, souvent aussi extinctives d'action, mais non
transactionnelles.
CHAPITRE II.

Qualification des actes transactionnels.

§ 1er. - Rappel des principes. - Renvoi au droit commun.

50. Lorsqu'il s'agit de déterminer si telle convention est ou


non une transaction, c'est au juge du fond à trancher ce pro-
blème de qualification, en vérifiant si les éléments constitutifs
du contrat (cf. chap. Jer, ci-devant) sont réunis en l'espèce.
Il n'existe assurément aucune raison de déroger, en matière
de transaction, aux principes généraux applicables aux autres
contrats.
Par conséquent :
a) La qualification donnée par les parties à leur accord ne !ie
aucunement Ie juge : celui-ci doit rechercher la volonté réelle
des contractants et la nature juridique des faits soumis à son
appréciation (1).
Il lui appartient de qualifier autrement ce qui, volontaire-
ment ou par simple erreur, est présenté comme une transac-
tion, alors que Ie contrat n'en a pas tous les caractères. Inverse-
ment, il peut qualifier de transaction un accord qui répond à
toutes les caractéristiques de celle-ci, encore que les parties
aient adopté une autre qualification (2) soit involontairement,
soit dans une volonté délibérée de déguiser la transaction sous
l'apparence d'un autre contrat oude créer une véritable simula-
tion (3).
Le cas se présente fréquemment en matière de transaction-
partage (voy. in/ra, chap. III, et comp. C. civ., art. 888, al. 1er).

(1) DE PAGE, t. V, n° 487; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1569;


Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, par L. BüYER, n° 37; LAURENT, t. XXVIII,
n° 329, p. 335; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1214 avec les réfé-
rences en note 4; GUILLOUARD, n°• 31bis et 32; prudh. app. Mons, 3 août 1963,
Pas., 1963, III, 116.
(2) Voy. les exemples et les références donnés par PLANIOL, RIPERT et SAVA·
TIER, op. cit., ibid., et par l'Encycl. Dalloz, op. cit., ibid.
(3) C'est alors la contre-lettre qui fait foi de la nature de !'acte entre les par-
ties, sans être cependant opposable aux tiers : PLANIOL, RIPERT et SAVATIER,
op. cit., ibid., note 1; DE PAGE, t. V, n° 486; cf. aussi Mons, 31 décembre 1941,
Rev. prat. not., 1942, 245.
QUALIFICATION DES ACTES TRANSACTIONNELS 81

b) L'appréciation du juge du fond gît en fait et, dans cette


limite, elle est souveraine (4).
Le controle de la Cour de cassation n'est donc pas nécessaire-
ment exclu : l'appréciation des juges du fond est souveraine
quant aux faits eux-mêmes, mais non quant à leur interpréta-
tion juridique.
En d'autres termes, Ie controle de la Cour de cassation subsiste
quand il s'agit de vérifier si les faits, que Ie juge du fond ret.ient
pour en déduire que la convention constitue une transaction,
sont bien en concordance avec les termes du contrat et avec la
définition légale de celui-ci, ou s'il ne sont pas, au contraire,
insuffisants par rapport à cette définition ou incompatibles
avec elle. La question est alors de droit, et non de fait (5).

51. Il résulte de ce rappel des principes que c'est surtout


en fait que les difficultés surgiront, lorsqu'il s'agira de dire
si tel contrat obscur ou incertain constitue ou non une transac-
tion.
C'est, Je plus souvent, en ayant recours au critère des cc con-
cessions réciproques » et à celui de !'animus transactionis que
les juges du fond ont tranché les problèmes de qualification
dont ils étaient saisis.
Nous en verrons des exemples pratiques aux numéros sui-
vants mais nous nous attacherons plus spécialement au cas,
plein d'enseignement, des quittances pour solde.

52. Il faut avant cela évoquer brièvement Ie cas des contrats


complexes dans lesquels intervient une transaction.
Il se peut, en effet, que la transaction soit mêlée à diverses
conventions qui procèdent de son existence ou l'accompagnent
logiquement.

(4) DE PAGE, op. cit., n° 487; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, op. cit., ibid.;
cass., 13 février 1868, Pas., 1868, I, 331; cass. fr., civ., 7 juillet 1955, Bull., civ.,
I, n° 290, p. 242.
(5) DE PAGE, op. cit., ibid.; LAURENT, t. XXVIII, n°• 391 et 392; PLANIOL,
RIPERT et SAVATIER, op. cit., ibid.; Dalloz : Encycl. dr. civil, op. cit., n° 38 avec
les références de jurisprudence; adde: cass. fr., 10 décembre 1913, Sirey, 1914, I,
136; cass. fr., soc., 13 janvier 1955, Bull., civ., IV, n° 38, p. 26; cass. fr., 28 mars
1955, J. C. P., 1955, IV, 78 (!'arrêt donne implicitement une illustration du pou-
voir d'appréciation du juge du fond combiné avec Ie contröle en droit de la Cour de
cassation); voy. aussi cass. fr., soc., 14 novembre 1963, Sirey, 1964, .Jur., 133;
cass., 16 avril 1953, Pas., 1953, I, 614 avec la note W. G., et G. GHEYSEN, in
À. P. R., v 0 Dading, n° 65,

DE GAVRE, Oo-ntrot de transaotwn.. - 6


82 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

En principe, la physionomie de chacun des contrats ne dispa-


raît pas, et Ie juge sera tenu d'appliquer les règles distinctes
de chacun d'eux (6). Ainsi, a-t-il été récemment admis en France,
qu'un bail à ferme de neuf ans, accordé, au cours d'une transac-
tion par un propriétaire à un prétendu usufruitier, conserve
ses caractères propres et reste soumis à la législation sur les
baux à ferme (7).
Mais il est parfaitement concevable que Ie juge du fond,
recherchant la volonté réelle et profonde des parties, relève
l'existence d'un lien d'indivisibilité entre les différents accords.
Il peut alors en déduire que les opérations accessoires qui
dérivent de la transaction se fondent dans un ensemble uni-
taire, qui reçoit de la transaction sa qualification et son sta-
tut (8).
Il en sera ainsi, notamment, chaque fois que Ie juge consta-
tera que les parties ont essentiellement eu en vue de mettre
définitivement fin à un ensemble complexe de situations liti-
gieuses, par Ie moyen de concessions réciproques (9).
Dans des cas semblables, si la transaction est attaquée et
invalidée, il en résultera la mise à néant des conventions acces-
soires conjuguées avec elle (10).

§ 2. - Applications pratiques.
Cas spécial des quittances pour solde.

53. Une quittance est un écrit par lequel un créancier recon-


naît avoir reçu Ie paiement de sa créance.
Cette quittance peut constater dans un seul acte Ie payement
de plusieurs créances : elle ne change pas pour autant de nature
et reste un acte probatoire.
Mais il peut arriver aussi que des personnes, liées par un réseau

(6) DE PAGE, t. V, n° 485; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 586;


GUILLOUARD, n° 31; MAZEAUD, Leçons de droit civil, t. lil, n° 1651.
(7) Cass. fr., ch. réun., 17 mars 1954, Sem. jurid., 1954, II, 8208 avec la note
ÛURLIAC et DE JUGLART,
(8) MAZEAUD, op. cit., ibid.; DE PAGE, op. cit., ibid.; PLANIOL, RIPERT et
SAVATIER, op. cit., n° 1568; cass. fr., soc., 21 mai 1948, Bull., civ., 1948, III,
n° 528, p. 557.
(9) DE PAGE, op. cit., ibid.
(10) Voy. les auteurs cités sub 8, n° 52, ci-dessus; adde : BAUDRY-LACANTI-
NERIE et WAHL; GUILLOUARD, op. cit., ibid.
------ -~------------------------------.

QUALIFICATION DES ACTES TRANSACTIONNELS 83

complexe d'obligations, entendent mettre fin définitivement à


leurs relations juridiques.
Elles rédigent alors une quittance pour solde de tout compte.
Il s'agit d'un acte différent de la quittance ordinaire : les
parties n'ont pas seulement entendu se réserver la preuve de
payements, elles ont voulu, du même coup, éteindre tous rap-
ports d'obligations qui les liaient (11).
Cette pratique présente un intérêt particulier lorsqu'il con-
vient de liquider un ensemble de créances encore indéterminées
dans leur quantum ou même simplement éventuelles ou futures.
« La quittance pour solde réalise alors un forfait entre les parties qui
s'engagent à considérer corrune clos un rapport de droit encore suscep-
tible d'avoir des répercussions imprévues dans le futur ... » (12).

Le contentieux social et celui de l'assurance sont les domaines


d'élection de la quittance pour solde de compte.

54. Une telle quittance constitue-t-elle une transaction 1


En soi, certainement pas.
Mais il est parfaitement concevable que la quittance fasse
preuve d'une véritable transaction, et Ie juge du fond admettra
l'existence de cette convention dans la mesure ou il décèlera,
dans l'accord des parties, tous les éléments révélateurs de la
transaction : l'existence d'une créance douteuse et d'une situa-
tion litigieuse, l'intention commune d'y mettre fin, les conces-
sions réciproques.

Tel est l'enseignement traditionnel, indiscutable :


« Même situation pour les arrêtés de compte, quittance pour solde ... etc.
Le seul point essentiel est de vérifier chaque fois s'il y a bien eu volonté
de transiger. Ce point qui, en principe, gît en fait, se résoudra en recher-
chant si les éléments constitutifs de la transaction se trouvent bien
réunis en l'espèce.
)) .
» Une quittance pour solde de compte n'implique pas nécessairement
une transaction, c'est l'évidence même; mais elle peitt l'impliquer » (13).

(11) A. CHAVANNE, « Les quittances pour solde de tous comptes », in J. C. P.,


1949, I, 776, n° 1.
(12) A. CHAVANNE, op. cit., n° 2.
(13) DE PAGE, t. V, n°• 485 et 487; MAZEAUD, Leçons de droit civil, t. III, n° 1636;
PLANIOL, RrPERT et SAVATIER, op. c-it., n° 1569 (Supplément, p. 8, 1962).
84 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

1° Les quittances pour solde en matière sociale.

55. Un bref historique s'impose, qui permettra de mieux


cerner le problème tel qu'il se pose actuellement en Belgique.
Il est de pratique usuelle que les travailleurs délivrent à leur
employeur, au moment ou prend fin le contrat de louage de
services, une quittance qui constate la réception de telle somme
et précise, en outre, que Ie payement solde tout compte quel-
conque, notamment les comptes d'indemnités de licenciement,
de congés payés, etc.
Il est traditionnel de considérer qu'une telle quittance peut
avoir une triple signification (14).
Ou bien, le travailleur reçoit une somme déterminée qui correspond
exactement à ses droits : il se borne donc à donner une quittance pure
et simple.
Ou bien, le travailleur ne reçoit pas exactement ce qui lui est dû : il
renonce unilatéralement à une partie de ses droits sans que l'employeur
prenne, à son égard, le moindre engagement. La quittance fait donc la
preuve d'une remise de dette, <lont les mobiles peuvent être variables
(intention libérale, insolvabilité du débiteur, opportunités commer-
ciales, etc ... ) (15).
Ou bien, enfin, les parties, ayant confronté leurs prétentions et griefs
respectifs, décident de se mettre d'accord sans plus de discussions. Elles
se font niutuellement des concessions et leur accord engendre une con-
vention nouvelle, créatrice d'obligations réciproques. Il y a transacti'.on
et Ie reçu pour solde en fait preuve.

On aperçoit aussitöt que cette pratique souple et aisee peut


conduire à certains abus : il faut éviter que Ie salarié, mal informé
de la consistance de ses droits et pressé de recevoir la somme
qui lui est offerte, n'accepte inconsidérément et sans rémission
Ie règlement partiel de sa créance, sous la pression de circon-
stances économiques souvent encore exemptes d'équilibre.
· Ce danger s'est avéré d'autant plus réel que, souvent, les
juridictions du travail ont jugé trop facilement que Ie reçu
pour solde prive les travailleurs de la possibilité de revenir

(14) Voy. notamment LAGASSE, « Le reçu pour solde de tout compte », in


Journ. trib., 1947, p. 259 et s.; DELHUVENNE : « Kwijting voor soldo van reke-
ning• (Arb. bl., 1944, p. 276-279); W. VAN MEEL, « Kwijting voor soldo van
rekening •• in Rev. dr. social, 1960, p. 123 ; GEYBEN, « Le reçu pour solde de tout
compte •, Rev. dr. social, 1951, p. 208; A. CHAVANNE, op.cit., ibid.; G. GHEYSEN,
in A. P. R., v 0 Dading, n° 296.
(15) A. CHAVANNE, op. cit., n°• 6 et 7.
QUALIFICATION DES ACTES TRANSACTIONNELS 85

sur les comptes arrêtés (16) sauf à prouver - ce qui est tou-
jours malaisé - Ie dol, voire l'erreur, dont ils auraient été
victime&.
La quittance, dans cette conception, fait donc présumer que
le travailleur a été intégralement rempli de ses droits, ou qu'il
y a renoncé, ou encore qu'il a définitivement admis qu'il ne
pouvait y prétendre.
C'est afin d'éviter cette interprétation parfois abusive que
le législateur belge est intervenu, dans des conditions qui,
malheureusement, ont encore compliqué Ie problème, sans
atteindre pour autant à l'efficacité recherchée (17).
L'article 23 des lois coordonnées sur Ie contrat d'emploi, introduit
par la loi du 11 mars 1954 (art. 17bis), dispose que« la quittance pour
solde de tout compte délivrée par !'employé au moment ou Ie contrat
prend fin n'implique pour celui-ci aucune renonciation à ses droits ».
L'article 24bis des lois coordonnées sur Ie contrat de travail, introduit
par la loi du 10 décembre 1962 (art. 8) s'exprime en des termes presque
identiques.

Mais la protection recherchée restait incomplète ratione


personae puisque les employés gagnant plus de 180.000 francs
ne pouvaient invoquer l'article 23 précité (18).
Aussi, la loi du 12 avril 1965 « concernant la protection de la
rémunération des travailleurs n contient-elle un article 12 ainsi
conçu :
« La quittance pour solde de tout compte délivrée par Ie travailletir
au moment ou !'engagement prend fin, n'implique aucune renonciation
à ses droits.
» Elle ne vaut que pour accusé de réception. »

Ce texte renforce donc la protection légale et s'applique à


tous les travailleurs et employeurs (art. 1er de la loi), se super-
posant ainsi aux dispositions existantes.

(16) P. HoRION, Nouveau précis de droit social beige (éd. 1965), n° 441, p. 295;
quant à la jurisprudence, voy. les décisions citées par LAGASSE et VAN MEEL
dans les études citées ei-avant.
(17) Voy. la critique de l'article 23 cité au texte par A. LAGASSE, in Rev. dr.
social, 1955, p. 125, et par COLENS, Le contrat d'ernploi (3• éd.), n° 152, p. 233.;
voy. aussi G. GHEYSEN, op. cit., n° 297.
(18) L'art. 35, al. 3, des lois coord. sur le contrat d'emploi ne vise pas l'arti-
cle 23; A. LAGASSE, op. cit., p. 126; cons. prudh. Mons, 12 mai 1959, Rev. d:r.
social, 1960, p. 64, obs. A. L.
86 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

56. Ces règles protectrices n'ont rien changé aux possibilités


de transaction entre employeurs et ouvriers ou employés (19).
Mais ne s'opposent-elles pas à ce que, dorénavant, on puisse
interpréter une quittance pour solde comme révélatrice d'une
véritable transaction entre parties ?
Tl n'en est rien et les auteurs se prononcent nettement en ce
sens (20).
En réalité, la loi s'est bornée à ériger en présomption juris
tantum l'hypothèse la plus favorable aux travailleurs : sauf
preuve contraire la quittance pour solde n'est qu'un simple
reçu et elle n'implique, par elle-même, aucune renonciation
à des droits.
Mais la présomption peut être renversée, non seulement si
la quittance - même non transactionnelle est délivrée
quelque temps après la dissolution du contrat (21), mais aussi
si la preuve peut être faite que la quittance, quel que soit Ie
moment de sa délivrance, constate une transaction dont tous
les éléments sont réunis.
La loi n'a donc pour effet pratique que de rendre cette preuve
plus rigoureuse et stricte.

57. Notons ici, brièvement, que la situation est identique,


mutatis mutandis, en droit français : l'article 24, a, livre Ier
du Code du travail (22) permet au salarié d'agir contre l'em-
ployeur pendant deux mois à compter de la délivrance du reçu.
Cela implique, assurément, que celui-ci n'est pas considéré
comme une transaction irrévocable sur le montant de la
dette (23). Mais, suivant une formule souvent répétée par la
Cour de cassation de France, cette considération « ne supprime
pas pour autant la possibilité entre employeurs et employés
d'une transaction obéissant aux règles des articles 2052 et 2053

(19) Voy. sur la possibilité de transiger sur des droits sociaux, d'une façon
générale, infra, n°• 240 et s.
(20) COLENS, op. cit., ibid.; A. LAGASSE, note sous cons. prudh. Mons, 12 mai
1959, précité; en jurisprudence, voy. : cons. prudh. Charleroi, 17 avril 1962,
Rev. dr. social, 1963, p. 41 (sol. impl.).
(21) Cons. prudh. app. Bruxelles, 7 décembre 1962, Journ. trib., 1963, p. 137,
et CoLENS, op. cit., ibid. Voy. en France, en regard des dispositions de l'art. 24,
a, du Code du travail : cass., 19 juin 1958, Bull., civ., 1958, IV, p. 565.
(22) Sur la portée de cette disposition, introduite par une loi du 8 octobre
1946, voy. A. CHAVANNE, op. cit., n° 13.
(23) MAZEAUD, Leçons, t. IJl, n° 1636.
QUALIFICATION DES ACTES TRANSACTIONNELS 87

du Code civil » (24), transaction qui est définitive par sa seule


signature.
Il s'en déduit que la transaction est dispensée des règles de
forme assez strictes de l'article 24, a, précité, mais aussi qu'il
n'est nullement exclu que la transaction puisse être incluse
dans un reçu valant quittance définitive (25).

58. Cela précisé, c'est à tort, pensons-nous, que certains ont


cru qu'il suffisait à l'employeur d'éviter les termes fatidiques de
reçu « pour solde de tout compte » et d'y substituer les mots
magiques « reçu à titre de règlement transactionnel » pour
éluder les prescriptions légales et rendre illusoire Ie dispositif
protecteur (26).
C'est tenir pour peu le pouvoir de qualification des juges et
leur devoir de vérifier l'existence des critères fondamentaux
de la transaction.
Le hut de la législation sur les reçus pour solde - éviter une
renonciation inconsidérée sous la pression de circonstances
économiques ou psychologiques - marque ici la recherche à
laquelle le juge du fond doit se consacrer (27).
a) Il relèvera d'abord l'existence d'une situation litigieuse
et du doute qui s'y attache.
On a écrit (28) qu'en droit du travail, Ie Jicenciement du tra-
vailleur ouvre, par lui-même, une situation Jitigieuse ou suscep-
tible dele devenir. Nous n'en sommes pas convaincus : Ie litige
ne peut être présumé; il convient donc de relever l'opposition,
ou même la simple passivité paralysante de l'employeur, en
face des prétentions formulées par le travailleur. A contrario
si l'employeur admet le bien-fondé des réclamations et s'engage
à y faire droit à terme convenu, eet accord n'est pas une transac-
tion, faute de conflit.

(24) Cass. fr., soc., 18 mai 1953, Gaz. du pal., 1953, Il, 63; 19 juin 1958, Bull.,
civ., 1958, IV, 565, et 13 novembre 1959, J. C. P., 1960, I, 11.450, avec la note
critique G. ÜAMERLYNCK; voy. aussi la note G. B. sous cass. fr., 20 décembre
1956, J.C. P., 1957, Jur., 10.090, et cass. fr., soc., 14 novembre 1963, Sirey, 1964,
Jur., 133.
(25) Cass. fr., 19 juin 1958, Bull., civ., 1958, IV, 565, et 13 novembre 1959,
précité.
(26) G. ÜAMERLYNCK, note précitée.
(27) Note anonyme sous cass. fr., soc., 23 janvier 1963, Sirey, 1963, Jur., 286.
(28) Idem.
88 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

La constatation de celui-ci, de la « difficulté » (29) surgie,


de la contestation, en un mot de la situation litigieuse est préa-
lable à toute autre démarche (30).
b) Contrairement à ce qui se présente dans Ie cas d'une transac-
tion révélée par un acte instrumentaire ad hoc, l'intention de
mettre fin au litige peut être difficile à découvrir dans une transac-
tion-reçu, puisque la nature et Ie contenu de l'acte sont préci-
sément soumis à discussion (31).
L'analyse de la jurisprudence révèle que I'animus transac-
tionis se découvre Ie plus souvent dans Ie fait que des discussions
prolongées ont eu lieu entre parties (32), que celles-ci ont pris
Ie temps de la réflexion (33), ont échangé de la correspondance
et tenté de s'entendre notamment devant Ie bureau de concilia-
tion (34), pour aboutir finalement à un accord, postérieur au
moment de la résiliation du contrat (35).
c) Il reste à constater l'existence des sacrifices réciproques,
faute de quoi la quittance ne fera jamais preuved'unetransaction.
Recherche difficile également : Ie juge n'admettra la quittance
comme tran&a,ction que si elle précise clairement les droits et
prétentions que les parties abdiquent - en tout ou en partie -
pour mettre fin au litige, quel que soit Ie caractère, fondé ou
non, de la contestation (36).
Il a été admis que ne peut constituer une transaction la quit-
tance pour solde :
qui fait apparaître que l'employeur (ou !'employé) n'a abandonné
aucun de ses droits (37);

(29) Cass. fr., 17 décembre 1962, Bull., civ., 1962, IV, 760, et 14 novembre
1963, Sirey, 1964, Jur., 133.
(30) Voy. sur cette question l'énoncé du pourvoi contre Paris, 29 avril 1960
(D., 1961, Somm., 56), in cass. fr., 15 décembre 1961, D., 1962, Jur., 340: !'arrêt
se borne à dire que le juge du fond n'a pas dénaturé la convention qu'il avait
qualifiée de transaction.
(31) Note précitée sous cass. fr., 23 janvier 1963.
(32) Cass. fr., 17 décembre 1962, Bull., civ., IV, 760, et 23 janvier 1963, Sirey,
1963, Jur., 286 (a contrario).
(33) Paris, 20 avril 1960 (D., 1961, Somm., 56), et cass. fr., 15 décembre 1961,
précité.
(34) Cass. fr., 19 juin 1958, Bull., civ., 1958, IV, p. 565, n° 761.
(35) Cass. fr., 10 juin 1958, précité.
(36) Prudh. Charleroi, 17 avril 1062, Rev. dr. social, 1963, p. 41 ; COLENS, op.
cit. (3• éd.), n° 152; DEKKERS, t. II, p. 769.
(37) Cass. fr., 15 mars 1962, Bull., civ., 1962, IV, 224; eet arrêt rejette un
pourvoi qui soutenait que la concession faite par l'employeur peut résider dans
le seul fait d'éviter un procès (comp. cass. fr., 19 juin 1958, précité).
QUALIFICATION DES ACTES TRANSACTIONNELS 89

qui fait référence à une somme fixée forfaitairement, parce que co


terme n'implique pas nécessairement des concessions entre parties, mais
suppose un aléa fait d'équivalence entre les chances de gain et de perte,
eet aléa sur lequel est fondé l'accord des parties ne pouvant constituer
une concession au sens de l'article 2044 du Code civil (38).

59. Par contre, l'existence des concessions réciproques carac-


téristiques du contrat sera établie par exemple :
lorsque l'employeur renonce à se prévaloir d'une faute grave de !'em-
ployé, voire d'une infraction pénale, qui lui aurait permis de mettre
fin au eontrat sur l'heure, !'employé, de son cóté, acceptant de clóturer
les comptes entre parties en remboursant certaines sonunes qui, suivant
l'employeur, furent indûment perçues (39);
lorsque l'employeur fait abandon de certaincs créances contre le pré-
posé, reconnaissant par là Ie bien-fondé partiel des prétentions de celui-ci
au payement d'un complément d'indemnité tenant lieu de préavis (40);
lorsque les deux parties renoncent au droit d'agir, abandonnant cha-
cune tout ou partie de leurs droits et prétentions (41).

2° Les quittances pour solde en matière d'assurances.

60. Délimitons bien la question envisagée 101.

Notre propos est de rechercher, par référence aux décisions


jurisprudentielles les plus explicites, quand une quittance déli-
vrée par le créancier d'indemnité à l'assureur peut être consi-
dérée comme révélatrice d'une véritable transaction entre
parties. Il ne s'agit donc pas, bien que les deux questions se
mêlent souvent, de définir l' étendue de la transaction - consta-
tée par une quittance ou autrement - lorsque Ie préjudice s'est
aggravé ou ne s'est révélé qu'après l'accord transactionnel.
C'est là un autre problème, délicat et important, que l'on
rattache traditionnellement soit aux règles d'interprétation
de la transaction, soit -.ce qui est plus exact - aux causes de
nullité de celle-ci, singulièrement à I' erreur (42).

61. La quittance pour solde est d'un usage courant lors du


payement, par un assureur, à Ja victime ou à ses ayants droit,
des dommages et intérêts qui leur sont dus.

(38) App. Rennes, 19 juin 1958, Gaz. du pal., 1958, II, 207; cette décision doit
être rapprochée de cons. prudh. app. Mons, 3 août 1963, Pas., 1963, 111, 116.
(39) Civ. Seine, 26 septembre 1958, Gaz. du pal., 1958, II, 269.
(40) Comm. Bruxelles, 12 juin 1956, Journ. trib., 1957, p. 9.
(41) A. CHAVANNE, op. cit., J. C. P., 1949, 1, 776, n° 8.
(42) Voy. t. II.
90 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Le hut de cette pratique est évident : l'assureur dans un


souci légitime de simplification de son contentieux (43) vise
à obtenir une décharge des som.mes par lui payées, tout en
coupant court, si possible, aux discussions ultérieures, toutes
les suites du sinistre étant réglées par le payement d'une indem-
nité généralement qualifiée de forfaitaire.
On a souligné, parfois en jugeant sévèrement les intentions
de l'assureur (44), que Jes dangers d'un tel règlement des sinis-
tres sont sérieux : la victime montre un optimisme qui lui fait
minimiser son mal et qui la pousse à accepter immédiatement
un capital forfaitaire, moyennant abandon de toute action de
sa part. Ce capita! est d'autant plus tentant qu'elle est de condi-
tion modeste et que des agents d'assurance peuvent faire miroi-
ter à ses yeux cc l'aubaine inespérée » d'un paiement immédiat,
en même temps qu'ils tracent la perspective - plus souvent
réelle celle-là - de procès Jongs, coûteux et incertains (45).
Mais il reste que, sous prétexte d'équité, les juges ne peuvent
dénaturer Ie contrat intervenu et voir une quittance pure et
simple de sommes Jà ou se retrouvent tous les éléments révéla-
teurs de la transaction.
Les parties, de leur cöté, auront Ie plus grand intérêt à préci-
ser très exactement le sens et la portée de l'acte qu'elles ont
voulu réaliser (46).
Ainsi le juge du fond pourra-t-il plus aisément découvrir,
derrière les formules stéréotypées qui sont employées, l'inten-
tion profonde des parties. C'est évidemment, ici comme dans
d'autres domaines, la première recherche qui s'impose à lui.
La jurisprudence Ie rappelle (47) qui précise que cette intention

(43) Voy. sentence arbitrale du 30 mai 1944, Bull. ass., 1944, p. 264.
(44) Voy. spécialement Liège, 20 mars 1964, Jur. Liège, 1964-1965, p. 73,
et trib. Bruxelles, 28 mars 1963, Journ. trib., 1963, p. 491.
(45) Voy. A. CHAVANNE, op.cit., n° 3; RAYNAUD, « La renonciation à un droit »,
Rev. trim. dr. civ., 1936, p. 763.
(46) A. CHAVANNE, op. cit., n° 8, in fine.
(47) Bruxelles, 12 juin 1953, Bull. ass., 1953, p. 479 (transaction reconnue
alors que les parties avaient parlé de« libéralité »); comm. Bruxelles, 3 mars 1955,
Rev. gén. ass. et resp., 1955, 5635, et trib. Bruxelles, 28 mars 1963, Journ. trib.,
1963, p. 491 (voy. spécialement p. 492, col. 2), conflrmé par Bruxelles, 17 février
1964 (inédit). Voy. aussi l'arrêt rendu par la Cour de cassation Ie 3 mars 1966,
sur pourvoi contre cette dernière décision (inédit, Vanderstocken c. Nationale
de Bruxelles, ir• chambre, n° 3977; cf. spécialement la réponse à la deuxième
branche du moyen unique).
QUALIFICATION DES ACTES TRANSACTIONNELS 91

peut se révéler notamment par l'exécution donnée au contrat


par les parties (48).

62. Il va de soi que les règles de quaJification déjà dégagées


lors de l'étude des quittances pour solde dans Ie contentieux
social seront applicables mutatis mutandis au domaine qui
nous occupe maintenant.
Le lecteur voudra donc bien s'y reporter (49).
On retrouvera d'ailleurs ces principes dans les applications
jurisprudentielles dont la synthèse est faite aux numéros sui-
vants.
63. La prem1ere recherche portera sur l'existence du litige :
s'il n'y a pas, au moment du contrat, un conflit, une situation
contentieuse suffisamment caractérisée (50), quelle que soit au
demeurant sa forme technique ou procédurale, Ie juge ne pourra
voir dans la quittance que la preuve d'une simple réception
d'indemnité.
Il a été jugé à maintes reprises que reconnaître et exécuter
normalement une obligation, ce n'est pas mettre fin à un
litige (51).
" Que si les sommes portées sur ces quittances devaient, aux yeux de
l'assureur ... , correspondre à la réparation exacte et intégrale du dommage
subi par les parties civiles et <lont Ie prévenu devait réparation, il n'y
avait pas matière à transaction puisqu'une telle opération présuppose
un droit doutcux ... » (52).

Droit litigieux, droit douteux, les deux notions vont de pair,


on s'en souvient.
Par conséquent, à défaut de les retrouver l'une et l'autre
Ie juge constatera l'existence d'une simple quittance non transac-
tionnelle.

(48) Comm. Bruxelles, 3 mars 1955, précité.


(49) Adde: G. GHEYSEN, in A. P. R., v 0 Dading, n°• 264 ets.
(50) Les discussions prolongées entre parties révèlent l'opposition de leurs
prétentions, leurs « divergences de vues » (Colmar, 22 mars 1929, Sirey, 1929,
II, 105).
(51) Liège, 2 novembre 1934 (Rev. gén. ass. et resp., 1936, 2035) et 20 mars
1964, précité; comm. Verviers, 9 mars 1934, Pas., 1924, III, 141; comm. Bru-
xelles, 3 mars 1955, précité; corr. Bruxelles, 5 avril 1957, Bull. ass., 1957, p. 196;
voy. aussi trib. Bruxelles, 28 mars 1963, précité, et Ie Traité des assurances ter-
restres, de MoNETTE, DE VILLÉ et ANDRÉ (t. II, n° 503); voy. en France : cass.,
req., 23 décembre 1907, D. P., 1912, I, 70, et 18 décembre 1934, Sirey, 1935, I,
95, ainsi que l'étude précitée de A. CHAVANNE (n° 8, notes 32 et 33).
(52) Liège, 20 mars 1964, précité.
92 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

64. Mais c'est, à nouveau, en se référant au critère des conces-


sions réciproques que la démarcation sera la plus aisée à faire.
L'assureur qui paye exactement ce qui revient à la victime (53)
ou qui règle Ie minimum indiscutablement dû (54), non seule-
ment ne conteste rien mais encore ne concède rien. Il ne fait
aucun sacrifice et il n'y a pas transaction.
Sans doute, les formules de quittance imprimées dont usent
les assureurs parlent-elles souvent de règlement définitif et
forfaitaire. Une telle expression peut faire illusion et donner
à penser que les parties ont opté pour une solution transaction-
nelle (55).
Car il est exact de soutenir qu'un règlement forfaitaire des
indemnités, englobant toutes conséquences du sinistre, peut
être une transaction lorsqu'il est démontré que Ie forfait arrêté
est Ie reflet d'un accommodement des prétentions contraires,
obtenu par des sacrifices de part et d'autre (56).
Mais il en va autrement lorsque, tout en parlant d'un paye-
ment forfaitaire et pour solde, l'assureur ne fait que payer ce
qu'il doit indifmutablement.
Et c'est alors, à bon droit, que l'on a opposé à des assureurs
qui, dans ce cas, invoquaient audacieusement l'exception de
transaction, que la circonstance d'un payement immédiat des
indemnités dues par eux ne constitue pas une concession, puis-
que le débiteur s'évite ainsi la charge des intérêts compensatoires
et moratoires qui seraient dus en cas de conflit judiciaire (57).
Par contre, si l'assureur accepte que l'entière responsabilité
de !'accident incombe à son assuré et indemnise la victime
afin d'éviter la constitution de partie civile et Ie recours à la
contrainte par corps, alors que la responsabilité partielle de
cette victime eût pu être invoquée, il y a concession de sa part
pour faciliter la défense de l'assuré au répressif. La transaction

(53) Voy. la jurisprudence citée au numéro précédent; adde: trib. Gand, 15 no-
vembre 1957, Journ. trib., 1958, p. 25 (le même jugement, mais daté du 31 octo-
bre 1957, est reproduit, in Rev. gén. ass. et resp., 1958, 6059).
(54) Liège, 20 mars 1964, précité.
(55) Trib. Bruxelles, 28 mars 1963, Bruxelles, 17 février 1964, et cass., 3 mars
1966, précités; corr. Marche-en-Famenne, 24 octobre 1956, Jur. Liège, 1956-
1957, p. 98, obs. M. H. ; comp. trib. Bruxelles, 22 février 1915, Pas., 1918, III, 187.
(56) DE PAGE, t. V, Compl., n° 524, A; MoNETTE, DE VILLÉ et ANDRÉ, op.
cit., n° 503; sentence arbitrale du 30 mai 1944, Bull. ass., 1944, p. 264 (spéciale-
ment p. 266); voy. aussi cass. fr., req., 18 décembre 1934, Sirey, 1035, I, 95 (sol.
impl.), et Montpellier, 21 février 1955, Gaz. du pal., 1955, I, 417.
(57) Liège, 20 mars 1964, précité.
QUALIFICATION DES ACTES TRANSACTIONNELS 93

peut donc se concevoir (58) sous réserve de vérification de la


réciprocité des sacrifices.
C'est ce dernier point que rappelle la Cour de Bruxelles dans
un arrêt du 12 juin 1953 (59) dont il ressort qu'en l'espèce Ja
concession faite par un assureur-vie réside dans !'abandon
des chances de faire déclarer nul1e la police souscrite, pour
cause de déc]arations inexactes (art. 9 et 11 de la loi du 11 juin
1874), Ie bénéficiaire de la police renonçant, quant à lui, au
versement intégral du capita! assuré.

65. Il existe un problème commun à toutes les quittances


transactionnelles : celui de leur forme, en regard du prescrit
de l'article 1325 du Code civil.
Est-il possible de dénier Ie caractère de transaction à une
convention, au motif que l'instrumentum n'est rédigé qu'en
un seul exemplaire, ce qui est fréquemment Ie cas.
Certaines décisions l'ont cru, mais à tort selon nous (60).
Car c'est perdre de vue que la transaction est un contrat
consensuel et que la réciprocité des engagements à remplir,
est la seule raison de l'article 1325.
Dès lors si, par suite du payement transactionnellement
convenu, effectué et accepté, l'assureur ou Ie patron n'a plus
aucune obligation à remplir, il suffit que la « quittance-instru-
mentum » fixant les engagements du créancier d'indemnité
soit rédigée en un seul exemplaire, ce créancier ne pouvant
par ailleurs invoquer la violation de ]'article 1325 puisqu'i1
a concouru aux actes d'exécution de l'autre partie.
C'est une application de la règle qui admet que la meilleure
preuve de l'existence d'un contrat résulte dans son exécution
même.
Nous reviendrons à ces principes lors de ]'étude plus systéma-
tique de la question, au chapitre de la forme et de la preuve de
la transaction.

(58) Trib. Bruxelles, 5 juillet 1945 (Pas., 1946, 111, 20); comm. Bruxelles,
5 février 1942, Bull. ass., 1942, p. 688; comp. corr. Mons, 5 mars 1930 (Rev. gén.
ass. et resp., 1930, 668) cité par MONETTE, DE VILLÉ et ANDRÉ (op. cit., n• 503).
(59) Bull. ass., 1953, p. 479; voy. aussi !'arrêt précité de la Cour de Liège du
20 mars 1964 (spécialement p. 76, col. 1).
(60) Voy. notamment trib. Bruxelles, 28 mars 1963, Journ. trib., 1963, p. 491,
conflrmé par Bruxelles, 17 février 1964 (inédit). Comp. cass., 3 mars 1966 (inédit,
n• 3977, 1r• chambre, Vanderstocken c. Nationale de Bruxelles) rendu sur pourvoi
contre l'arrêt précité du 17 février 1964.
94 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

§ 3. - Autres applications pratiques.

66. Par référence aux éléments de définition déjà dégagés,


il a été jugé que constitue une transaction :
l'acte par lequel les parties acceptent de résilier une vente
d'immeuble consentie par des parents à leur fille et attaquée
par leur fils sous prétexte qu'elle constituait une donation
avec charge faite en fraude de ses droits, comme excédant
la quotité disponible. Il ne s'agit donc pas d'une rétrocession
de biens (61);
l'acceptation par la victime d'un accident d'avion de l'indem-
nité forfaitaire prévue par l'article 22 de la convention de Var-
sovie (62). Le jugement prend soin de relever et définir les
concessions réciproques : renonciation par Ie transporteur à
prouver la cause exonératoire (faute d'un tiers, art. 20) et aban-
don par la victime de la possibilité d'établir Ie dol ou la faute
équipollente (art. 25) qui permettent de réclamer la réparation
totale du dommage.
la convention par laquelle, pour éviter un procès, une société
de chemin de fer paye à la victime d'un accident survenu sur
ses lignes, ou à sa veuve, une indemnité ou une pension viagère,
alors même que Ie payement est qualifié de « secours » et que
Ie sinistré reconnaît que !'accident n'est pas dû à la faute de
la société (63).

67. Suite. Par contre, il a été jugé que ne constitue pas une
transaction
la simple concession de délais de grace (64) ou I'atermoie-
\. ment (65);
Ie simple abandon par la victime, sans compensation pour
elle, des poursuites contre Ie prévenu (66);
le contrat qui substitue un accord nouveau à une convention

(61) Marche-en-Famenne, 21 juin 1947, Jur. Liège, 1948-1949, p. 12.


(62) Trib, Bruxelles, 22 avril 1958, Journ. trib,, 1958, p. 692 (voy. aussi Rev.
crit. jur. belge, 1961, p. 292, n° 80, obs. M. GEVERS),
(63) Trib. Bruxelles, 30 novembre 1875, et Bruxelles, 5 août 1876, Belg. jud.,
1876, 236; civ. Luxembourg, 26 février 1908, Pas., 1910, IV, 91.
(64) Comm. Anvers, 13 décembre 1899, Journ. trib., 1900, 90.
(65) Bruxelles, 21 décembre 1874, Belg. jud., 1876, 248,
(66) Gand, 14 novembre 1904, Pas., 1905, II, 101.
QUALIFICATION DES ACTES TRANSACTIONNELS 95

antérieure non contestée, au bénéfice de laquelle une partie


renonce (67);
Ie fait, pour Ie curateur d'une faillite de s'abstenir de soule-
ver, au cours d'une instance judiciaire, un moyen de droit
étranger à l'ordre public (68);
l'accord total ou partiel donné par Ie contribuable sur la
rectification, par l'administration, du chiffre de ses revenus
déclarés : il s'agit d'une rectification, par Ie contribuable lui-
même, de sa déclaration afin de permettre d'établir exactement
la base imposable (69);
la simple renonciation, par Ie créancier, à certains droits
contre sou débiteur, sans qu'il y ait aucune contestation de la
part de ce dernier quant au principe ou aux modalités de sa
dette (70);
l'option, en matière d'accident du travail, pour l'action mobi-
lière basée sur le droit commun plutöt que pour l'action fondée
sur la législation sur les accidents du travail, afin d'obtenir la
réparation d'un même préjudice (71);
Ie procès-verbal d'accord signé entre le directeur provincial
des dommages de guerre et Ie sinistré (72);
l'estimation, ex aequo et bono, du montant de dommages et
intérêts, proposée par Ie tribunal, approuvée par !'expert puis
par chacune des parties comme correspondant à la réalité du
dommage éprouvé. II y a là, simplement, un aveu de l'exacti-
tude de l'appréciation faite par Ie tribunal mais non transac-
tion (73).

(67) Cass., 16 avril 1953 (Pas., 1953, 1, 614 avec la note W. G.), sur pourvoi
contre un arrêt de la Cour d'appel d'Elisabethville du 30 juillet 1949 (inédit).
(68) Cass., 16 novembre 1939, Pas., 1939, 1, 474; comp. Liège, 17 novembre
1960 (Jur. Liège, 1960-1961, p. 122), critiqué par M. GEVERS et ;r. DE GAVRE
in Rev. crit. jur. belge, 1965, p. 243.
(69) Cass., 16 janvier 1957, Pas., 1957, 1, 563.
(70) Comm. Bruxelles, 29 janvier 1936, Jur. com. Brux., 1937, p. 133.
(71) J. de P. Fexhe-Slins, 10 décembre 1958, Bull. ass., 1959, p. 36, obs., et
Rev. gén. ass. et resp., 1959, 6286. Sur l'interdiction de transigeren matière d'acci-
dent du travail, voy. infra, n°• 224 et s.
(72) Cons. d'Etat, 19 octobre 1959, Rec. jur. dr. adm., 1959, p. 240.
(73) Bruxelles, 28 janvier 1960, Pas., 1960, II, 237 (cité par M. GEVERS et
J. DE GAVRE, in Rev. crit. jur, belge, 1965, p. 244).
CHAPITRE III.

Transaction et actes juridiques voisins.

68. lntroduction. La transaction n'est assurément pas le seul


acte juridique qui ait pour hut et pour effet de mettre fin à un
litige, judiciaire ou non.
Mais il importe de rechercher avec soin si les actes voisins
de la transaction ont avec elle une réelle parenté structurelle
et essentielle qui permet de les assimiler à des transactions
véritahles ou, au contraire, s'il s'agit de rapports purement
superficiels ou analogiques.
La question est importante : suivant la réponse qui y sera
donnée, tel acte sera ou ne sera pas soumis aux règles très parti-
culières qui gouvernent, notamment, les conditions de validi1,é
de la transaction, Ie régime de sa preuve, ses effets et ses causes
de nullité ou d'extinction.

§ ter. - Transaction et compromis.

69. a) La transaction et Ie compromis sont des actes essen-


tiellement différents, et la confusion entre eux n'existe que dans
le langage vulgaire.
Sans doute, dans l'un et l'autre cas, les parties en arrivent-
elles à renoncer aux garanties offertes par les juridictions ordi-
naires.
Mais là s'arrête la ressemhlance entre les deux conventions.
En effet, la transaction a pour hut de mettre fin à un litige,
tandis qu'au contraire Ie compromis laisse intact le conflit
existant entre parties, et tend seulement à en attrihuer la con-
naissance et la solution à des arhitres convenus, plutöt qu'aux
juges naturels du litige (1).
En outre, Ie mécanisme de la transaction implique des con-
cessions réciproques, alors que ceux qui compromettent se hornent

(1) Voy. cass. fr., 18 juin 1958, Rev. arb., 1958, p. 91.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 97

à créer une véritable juridiction privée, en ne renonçant à rien


quant au fond même de leurs prétentions respectives, l'arbitre
ayant Ie pouvoir de consacrer intégralement les unes et pas les
autres.
Ce dernier aspect des différences existant entre la transaction
et Ie compromis a été souligné, avec autorité, dans un arrêt de
la Cour d'appel de Liège du 29 mars 1962 (2).
b) Faut-il préciser que la détermination exacte de ce qu'est
un compromis, par opposition à une transaction et réciproque-
ment, emporte sur Ie plan pratique de très importantes consé-
quences (3) 1
Alors qu'il suffit, pour qu'une sentence arbitrale devienne
exécutoire, qu'elle soit revêtue de !'exequatur du magistrat
compétent, il faut, par contre, pour faire exécuter une transac-
tion non revêtue de la forme authentique, assigner judiciaire-
ment en exécution de la transaction et, après seulement, pour-
suivre l'exécution forcée du jugement intervenu sur cette
demande.
La sentence arbitrale peut faire l'objet de divers recours
judiciaires, alors que la transaction, à laquelle s'attache la force
de la convention-loi et, dès lors, l'autorité de la chose jugée,
peut seulement être rescindée ou annulée dans des conditions
qui tiennent compte, tout à la fois, du caractère contractuel
de l'institution et aussi de la stabilité indispensable dont elle
doit être assurée.
Contrairement à ce qui est parfois affirmé, la capacité et Ie
pouvoir de transiger ne sont pas les mêmes qu'en matière de
compromis : Ie tuteur ne peut jamais compromettre au nom
du mineur mais il peut transiger dans les conditions de l'arti-
cle 467 du Code civil. Nous aurons l'occasion de revenir sur les
différences entre ces deux régimes, au titre II, chapitre II,
consacré à la « capacité et au pouvoir de transiger ».
c) Quelles que soient les différences essentielles entre la transac-

(2) Jur. Liège, 1962-1963, p. 113.


(3) Voy., en général : A. BERNARD, L'arbitrage volontaire en droit privé, p. 23,
n°• 26 et 27; J. ROBERT, Arbitrage civil et commercial (éd. 1961, Sirey), n°• 4-6,
p. 12 et 13; Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction (par BoYER), n° 25, et v° Com-
promis, - Clause compromissoire (par R. MOREL), n° 4; LAURENT, t. XXVIII,
n° 230; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1567; GUILLOUARD, n° 29;
It. VAN LENNEP, « Scheidsgerecht, expertise en transactie », in R. W., 1938-1939,
p. 710; Rép. prat. dr. beige, v 0 Arbitrage, n°• 14 et s.
DE GAVRE, Cant-rat de transaation. - 7
98 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

tion et Ie compromis et les conséquences qui en résultent, !'ana-


lyse de la jurisprudence révèle qu'il est cependant parfois difficile
de tracer nettement la ligue de partage entre ces deux notions.

70. Jurisprudence.
Ainsi a-t-il été jugé
qu'il y a compromis et non transaction, quand les intéressés,
au lieu de définir eux-mêmes leurs droits, remettent à un tiers
un blanc-seing sur lequel la sentence devra être écrite sous
forme de convention, cette remise étant précédée ou accompa-
gnée d'un compromis parce cc qu'il est vrai de dire qu'alors la
décision n'est point l'oouvre des signataires mais du juge qu'ils
se sont donné » (5).
A contrario il y aurait dorre transaction si les blancs-seings
avaient été remis au tiers chargé de les remplir, après que les
parties avaient déjà réglé entre elles les conditions de la transac-
tion à intervenir; Ie tiers désigné n'est alors qu'un mandataire
des deux parties, chargé de donner à leur volonté commune de
transiger une forme juridique adéquate (6).
qu'il y a transaction et non compromis, lorsque les parties,
ayant défini elles-mêmes leurs sacrifices réciproques, donnent
mission à un expert de fixer la quotité d'une indemnité dont
elles arrêtent les bases de calcul (7), même si ce tiers est qualifié
cc d'arbitre souverain amiable compositeur », pour autant qu'outre
les concessions réciproques, il soit certain que les parties aient
entendu mettre fin aux difficultés qui s'étaient élevées entre
elles concernant un compte d'entreprise à dresser (8).
qu'il y a compromis, nonobstant Ie terme cc transaction »
employé par les parties, lorsque celles-ci, sans se faire aucune
concession, se bornent à charger des experts de procéder, en
dernier ressort, aux opérations d'une liquidation et d'un partage
successoral (9).

(5) Cass. fr., 29 décembre 1862, Sirey, 1863, I, 81, et D., 1863, 1, 164.
(6) Dans ce sens : GUILLOUARD, op. cit., n° 29.
(7) Pau, 11 juillet 1871, D.P., 1872, V, 441, cité par L. BoYER in Dalloz: Encycl.
dr. civil, v 0 Transaction, n° 25, et par A. BERNARD, op. cit., n° 26.
(8) Liège, 2 mai 1903, Pand. pér., 1903, n° 1090; Anvers, 10 avril 1893, Journ.
trib., 1893, 620 (sommaire seulement); comm. Bruxelles, 18 juin 1931, Jur. com.
Brux., 1931, 479.
(9) Lyon, 28 juin 1881, D. P., 1882, Il, 190, cité par A. BERNARD, op. cit.,
n° 27, in fine.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 99

qu'il y a compromis mais aussi convention « qui présente


tous les caractères de la transaction », lorsque les parties out
conféré aux arbitres Ie titre et les pouvoirs d'amiables composi-
teurs, renonçant ainsi anticipativement au droit d'attaquer
leur sentence, entendant terminer leur contestation en s'en
remettant entièrement et définitivement à la décision des
arbitres ( 10).
que, lorsque les parties soumettent à la décision d'experts
médicaux, par une convention intitulée « compromis de désigna-
tion d'experts » la détermination des incapacités causées par
un accident, sous réserve de la question des responsabilités,
il y a compromis dans la mesure ou les parties ont admis que la
décision des experts serait souveraine et irrévocable, ont spé-
cifié l'objet du litige et ont désigné les arbitres; mais il y a
aussi et en même temps transaction dans la mesure ou les parties
ont accepté qu'aucun recours ne serait admis contre la décision
des experts et ont ainsi accepté d'avance leur estimation de
l'incapacité permanente.
Ainsi fut-il jugé par Ie tribunal civil de Liège Ie 21 novembre 1956 (Il).
Cette décision est critiquée par M. Gevers qui, après avoir rappelé que
la transaction suppose essentiellement des concessions réciproques,
constate qu'en l'espèce il était difficile d'en relever l'existence, puisqu'au
moment ou les parties conviennent de se soumettre à la décision des
experts, elles ignorent ce que sera leur décision (12).
La Cour d'appel de Liège, dans un arrêt du 30 octobre 1959 (13),
s'efforce d'échapper à cette critique en relevant, dans une espèce assez
semblable, que les parties, « voulant prévenir une contestation à naître
sur les incapacités de la victime, sur leur durée et sur leur degré, se sant
concédé réciproquement qu'elles s'en remettaient la-dessus, sans discus-
sion, aux conclusions des experts choisis comme convenu; qu'ainsi il
paraît bien qu'elles ont transigé sur un aspect et sur une partie de l'in-
térêt civil qui résultait du délit commis par Ie prévenu, à savoir sur cette
partie de leurs droits relative à la désignation des experts et à la discus-
sion des conclusions de ceux-ci, donc, par ce fait, sur leur droit de vanter
ou de dénier l'existence ou l'importance des incapacités "·
Cet arrêt ne fait qu'un appel très subsidiaire à la notion de compromis.

(10) Bruxelles, 24 mai 1954, Pas., 1956, II, 16, cité et approuvé par MM. BER·
NARD et SIMONT, « Examen de jurisprudence relatif à la procédure civile, 1955-
1957 », Rev. crit. jur. belge, 1959, p. 139, n° 174; voy. nos observations sur l'exem-
ple suivant donné au texte.
(11) Bull. ass., 1957, p. 741 avec la note M. G.
(12) Note précitée au Bulletin des assurances; spécialement p. 746, sub 2.
(13) Journ. trib., 1959, p. 704.
100 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Il a, comme le jugement précité, fait l'objct d'observations critiques de


M. Gevers, qui considère que, nonobstant la motivation plus circonstan-
ciée de l'arrêt au sujet des concessions réciproques, l'acte s'apparente
davantage au compromis qu'à la transaction (14).

71. (Suite) Nous voudrions apporter à la solution de cette


dernière et délicate question de qualification quelques con-
sidérations d'un ordre un peu différent.
a) Nous pensons, en effet, que !'accent doit être mis également
sur la notion de litige et sur celle de son extinction, pour arriver
à distinguer la transaction, comme Ie compromis d'ailleurs,
de toute autre convention.
Supposons en effet que Ie responsable de ]'accident ou son
assureur et la victime de eet accident admettent l'un et l'autre
qu'une incapacité existe et s'en remettent pour la détermina-
tion de son taux à l'avis d'un médecin-expert, désigné par un
« compromis de désignation d'expert ». Cette situation est assez
semblable à celle qui existe fréquemment, dans la pratique,
lorsqu'un preneur sortant et son bailleur, admettant l'existence
de dégats locatifs, chargent conventionnellement un arbitre-
expert de déterminer Ie montant des dégats et la part du loca-
taire sortant dans ceux-ci (15).
Le tribunal civil de Bruxelles a admis (16), en s'appuyant
principalement sur l'autorité du professeur Bernard (17), qu'en
pareil cas il n'y a pas compromis parce qu'il n'y a pas de « litige »,
c'est-à-dire des « prétentions contradictoirement exprimées »,
pour reprendre l'heureuse expression récemment employée
par la Cour de Paris (18).
La Cour de cassation, saisie d'un pourvoi contre Ie jugement
précité du Il janvier 1963, l'a rejeté et a confirmé que Ie com-

(14) Voy. les observations in Rev. c-rit. jur. beige, 1961, p. 291, n° 80.
(15) Voy., pour illustrer cette hypothèse : Arlon, 15 janvier 1870, confirmé
par Liège, 5 juillet 1871 (Pas., 1871, II, 354) ; ces décisions parlent • d'une con•
vention expresse, spéciale, de s'en tenir à l'avis des experts..• qui présente une
grande analogie avec Ie cas de l'article 1592 du Code civil et doit être régie par
les mêmes règles »; voy. aussi trib. Bruxelles, 18 mars 1961, cité au Journ. trib.,
1962, p. 315, n° 104.
(16) Voy. Ie jugement de la 11• chambre du 11 janvier 1963, au Journ. trib.,
1963, p. 321 avec la note de références.
(17) Sentence arbitrale du 14 décembre 1961 (arbitres : M•• Malter et Bernard),
Rev. gén. ass. et resp., 1962, n° 6776.
(18) Voy. !'arrêt du 8 mars 1958 (Rev. arb., 1959, p. 55).
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS l Ol

promis postule essentiellement l'existence d'un litige, qui n'exis-


tait pas en l'espèce (19).
Il faut raisonner par analogie en ce qui concerne la transac-
tion qui pour exister requiert elle aussi un litige, ou mieux,
une situation contentieuse. Sans doute suffit-il que la transac-
tion prévienne un litige à naître sans qu'il soit nécessaire, comme
pour Ie compromis, que Ie litige, entendu ici dans son acception
technique ou procédurale, soit né et actuel (20). Mais, même dans
cette hypothèse, il faut au moins que les parties aient déjà
exprimé des prétentions opposées dont elles veulent précisé-
ment éviter Ie choc au cours d'un débat judiciaire, parce qu'il
leur apparaît que !'issue de ce débat est douteuse et incertaine
pour chacune d'elles. C'est cela « la situation contentieuse »
propre à la transaction.
Par conséquent si les parties sont d' accord sur Ie principe
d'un droit, mais n'ont pas formulé les prétentions qui en décou-
lent parce qu'elles estiment que, techniquement, elles ne sont
pas en mesure de Ie faire valablement, il n'y a, à notre senti-
ment, ni compromis ni transaction, mais une convention sui
generis qui emprunte à l'article 1134 du Code civil sa force obli-
gatoire. Sur ce terrain il n'y aura pas de différence avec Ie com-
promis ou la transaction : les parties sont liées par la décision
des experts. Mais, par contre, quant aux règles de capacité,
de forme et quant aux effets du contrat, les divergences entre
les trois solutions seront considérables.
Inversement, si les parties contestent et l'existence et l'étendue
des droits invoqués de part et d'autre et émettent à eet égard
des prétentions contradictoires, il peut y avoir transaction
comme il peut y avoir compromis et arbitrage, puisqu'il y a
litige, condition d'existence essentielle et commune à l'un et
l'autre cas.
b) C'est alors que se pose la question des concessions reci-
proques, dont Ie juge du fond doit constater l'existence, après

(19) Arrêt du 6 février 1964 (Pas., 1964, I, 596, et Journ. trib., 1964, p. 292),
rendu sur les conclusions conformes du procureur général Hayoit de Termicourt.
(20) En matière de compromis on admet que les parties soumettent aux arbi-
tres un litige futur et éventuel, à condition que l'objet en soit déjà suffisamment
déterminé: cass., 17 décembre 1936, Pas., 1936, I, 457; R. DEKKERS, • Compro-
mis et clause compromissoire», in Rev. crit. jur. belge, 1951, p. 265, n°• 14 et 15;
comp.: A. BERNARD, op.cit., n°• 81 ets.; ROBERT, op.cit., ibid.; Paris, 11 décem-
bre 1959, Rev. arb., 1960, p. 25.
102 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

celle du litige, pour pouvoir malgré les termes employés quali-


fier un acte de transaction.
c) Au double point de vue qui vient d'être exposé, la solution
de l'arrêt de la Cour de Liège du 30 octobre 1959 est-elle satis-
faisante?
L'arrêt ne circonstancie pas les éléments constitutifs d'un
véritable litige; il ne dit pas en quoi ni comment Jes préten-
tions respectives des parties étaient opposées au moment de la
signature du « compromis ». Il est cependant permis de penser
qu'un litige existait à ce moment, au moins en germe, puisque
!'arrêt parle du« droit des parties de vanter oude dénier respec-
tivement l'existence même des incapacités >>. Il ne s'agissait
donc pas seulement, semble-t-il, de faire déterminer par un tiers
un taux d'incapacité, Ie principe de celle-ci étant acquis. A eet
égard, Ie jugement du tribunal de Liège du 21 novembre 1956
est plus explicite : il parle expressément d'un litige existant
dont l'objet est décrit dans la convention de désignation
d'experts.
L'arrêt précité prend soin, ensuite, de caractériser les « con-
cessions réciproques >> en relevant que les parties se sont mutuelle-
ment concédé de s'en remettre sans discussion aux conclusions
des experts choisis, renonçant ainsi au droit de faire judiciaire-
ment désigner d'autres experts et à celui de discuter les con-
clusions de ceux choisis d'un commun accord, ce qui implique,
d'une manière plus générale, renonciation au droit de vanter ou
de dénier l'existence ou l'importance des incapacités (21).
Comme on Ie voit, les concessions sont ici d'ordre judiciaire.
Elles impliquent renonciation partielle au droit d'agir et on
aperçoit qu'elles n'affectent le fond du droit des parties que
« par ricochet>> : c'est parce que je me suis engagé à ne pas
faire désigner un nouvel expert et à ne pas discuter les conclu-
sions de celui qui a été choisi, qu'indirectement je renonce à
défendre mon point de vue initia! suivant lequel l'incapacité
de la victime est de x p. c ...
En outre, et surtout, une telle << concession », à la supposer
même de nature à mettre fin à un aspect du litige entre parties,
n'est pas une concession transactionnelle parce qu'elle n'a pas

(21) Voy. mutatis mutandis !'arrêt précité du 24 mai 1954 de la Cour de Bru-
xelle (note 10).
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 103

pour but ni surtout pour effet de permettre aux parties elles-


mêmes de prévenir ou de terminer un litige. C'est en effet un
tiers expert-arbitre qui met fin au litige ou seulement à l'un de
ses aspects avec l'entière possibilité de consacrer totalement,
sans amputation quant au fond du droit, Je point de vue d'une
seule des parties. Il s'agit donc plutöt, croyons-nous, d'une
convention abdicative sui generis (22).
Par contre, à condition qu'il y ait réellement litige, il est juste
de dire que des conventions du genre de celles que nous venons
d'envisager, s'assimilent beaucoup plus au compromis qu'à la
transaction (23).
Mais nous croyons que cette conclusion doit se fonder sur une
combinaison de tous les éléments constitutifs spécifiques de ce
dernier contrat.
Quant à la motivation du jugement du tribunal civil de Liège
du 21 novembre 1956, nous estimons qu'elle est critiquable
en ce que pour caractériser implicitement l'existence de « conces-
sions réciproques », la décision relève que les parties ont admis
que la décision des experts serait sans recours, alors que la
renonciation aux voies de recours caractérise aussi bien !'arbi-
trage en dernier ressort - tellement fréquent en pratique -
et l'acquiescement, que la transaction.
Beaucoup plus heureuse est la motivation d'un arrêt de la
Cour de Liège du 24 décembre 1964 (24), qui avait également
à qualifier la convention entre un assureur et la victime qui
s'en remettaient irrévocablement et sans recours aux termes
et conclusions du rapport d'experts médicaux amiablement
désignés par les parties.
Faisant notamment référence expresse au jugement du tri-
bunal de Bruxelles du 11 janvier 1963 et à l'arrêt précité de
la Cour de cassation du 6 février 1964, la Cour de Liège déclare
que cette convention n'est pas un compromis parce que les
experts-médecins n'étaient pas chargés de vider un litige mais
seulement de déterminer irrévocablement les bases de calcul
de l'indemnité due éventuellement à la victime (25).

(22) La même conclusion s'imposait selon nous dans l'espèce jugée par la Cour
de Bruxelles Ie 24 mai 1954 (voy. supra, n° précédent, note 10).
(23) Dans ce sens, outre les notes précitées de Mm• Gevers, voy. DE PAGE,
t. V, n° 487.
(24) Jur. Liège, 1964-1965, p. 154.
(25) C'est également à la notion de litige que se réfère un jugement récent du
104 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAffiE

Cette convention n'est pas davantage une transaction parce


que les parties ne mettent pas fin à une contestation entre elles,
mais recourent seulement à un moyen de fixer un élément
de fait à soumettre au juge qui aura à vider le litige.
Il s'agit plutöt d'une convention par laquelle les contractants
donnent mandat à un tiers à l'effet de fixer un chiffre, s'en remet-
tant irrévocablement à l'appréciation de ce mandataire (26).
Le droit néerlandais connaît ce type de convention qu'il désigne
sous le nom très expressif de « bindend advies », cette notion
étant très différente de celle de transaction (dading) (27).
Répétons à nouveau que, sur Ie plan de la force obligatoire
des décisions prises en exécution d'une convention de ce genre,
la controverse est sans aucun intérêt pratique. L'article 1134
du Code civil est là qui clöt la discussion, que la convention
soit appelée « compromis », « transaction » ou « convention
sui generis » emportant simple renonciation.
Par contre, des différences importantes apparaîtront dès que
se posera un problème de capacité, de forme, de recours, de
nullité, d'effets, etc.

§ 2. - Transaction. - Désistement. - Acquiescement.

72. a) On sait que Ie concept unique de « désistement »


recouvre trois notions assez différentes (28) : Je désistement
d'action qui emporte renonciation au droit lui-même, qui est
ainsi éteint, le désistement d'instance qui emporte renonciation
à la procédure en cours, sans préjudice au droit d'en intenter
une nouvelle; enfin, le désistement d'un acte de procédure

tribunal civil de Bruxelles (2 mars 1965, Rev. gén. ass. et resp., 1965, n° 7502) :
la décision distingue la connaissance de tout Ie litige de celle d'une question liti-
gieuse spéciale qui suffit pour qu'il y ait compromis.
(26) Dans ce sens, voy. les considérations très pertinentes de M. De Page (t. IV,
n° 41, note 1) qui dit en quoi Ie type de convention considéré s'apparente à la
possibilité de faire fixer Ie prix d'une vente, conformément à l'article 1592 du Code
civil et en quoi elle se distingue de la transaction et du compromis. Comp. : comm.
Bruxelles, 23 juin 1949, Jur. com. Brux., 1950, p. 141 (cas d'un mandat donné
à des experts à l'effet de transiger).
(27) Voy. sur ce point G. GHEYSEN, v 0 Dading, in A.P. R., n°• 51 et 52, avec
les références à la doctrine hollandaise.
(28) Voy. notamment : GARSONNET et CESAR-BRU, Traité de procédure, t. III,
n°• 845 et s.; CUCHE et VINCENT, Procédure civile et commerciale, n°• 565 et s.;
Code judiciaire en projet, art. 820 et s.; Rev. prat. dr. belge, v 0 Désistement, n°• 13
et 14; cass., 27 février 1958, Rev. crit. jur. belge, 1959, p. 42, et Pas., 1958, I,
713 obs.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 105

(appel...) qui emporte seulement renonciation au bénéfice de


eet acte.
Quelle que soit la forme du désistement dont il s'agit, on ne
saurait Ie confondre avec Ja transaction :
Ie désistement d'action est un acte unilatéral quine doit pas
être accepté par Ie colitigant, alors que la transaction est un
contrat synallagmatique fondé sur des concessions récipro-
ques (29);
Ie désistement d'instance est à !'origine un acte unilatéral.
Même s'il doit être accepté par Ie colitigant après la formation
du contrat judiciaire, il n'en devient pas un contrat, faute de
rapport de créancier à débiteur (30); enfin et surtout Ie désiste-
ment d'instance ne met pas fin au litige, mais seulement à une
procédure déterminée ;
Ie désistement d'un acte de procédure ne devant pas être
accepté, est un acte unilatéral. On répétera donc, à eet égard,
ce qui a été dit du désistement d'action.
b) L'acquiescement est !'acte unilatéral par lequel une des
parties s'incline devant une demande judiciaire ou renonce
à l'exercice des voies de recours dont elle pourrait user ou
qu'elle a déjà formées contre toutes ou certaines des dispositions
d'une décision de justice (31).
L'acquiescement diffère donc de la transaction en ce qu'il
est un acte unilatéral qui ne suppose aucune réciprocité des
concessions pour mettre fin à un litige déjà né (32). Il ne se
conçoit pas s'il s'agit d'un procès à naître (33). Il n'est soumis
à aucune condition de forme ou d'écrit et peut parfois inter-
venir, comme en matière de tute1le, dans des conditions diffé-
rentes de la transaction (comp. les articles 464 et 467 du Code
civil) (34).

(29) Liège, 29 mars 1962, Jur. Liège, 1962-1963, p. 113.


(30) VIZIOZ, Etudes de procédure, p. 161 ; en faveur du caractère contractuel
du désistement voy. RAYNAUD, « Le désistement d'instance » (Rev. trim., 1942,
p. 6).
(31) Cette partie de la définition est empruntée à l'article 1044 du Code judi-
ciaire en projet.
(32) Voy. Liège, 29 mars 1962, précité; Paris, 23 février 1937 ( Gaz. des trib.,
23 avril 1937), approuvé par DEMOGUE (Rev. trim. dr. civ., 1937, p. 617, n° 10).
(33) Rép. prat. dr. belge, v 0 Àcquiescement, n° 7.
(34) Voy. l'étude de HORSMANS et VAN COMPERNOLLE, « L'acquiescement et
Ie désistement en matière de divorce et de séparation de corps », Journ. trib.,
p. 457 et s.
106 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

c) Si, en principe, transaction d'une part, acquiescement et


désistement de l'autre, sont fondamentalement différents, il est
parfaitement concevable qu'existent des désistements ou acquies-
cement à caractère transactionnel. II suffi.t pour cela que l'acte
unilatéral de celui qui se désiste ou acquiesce ait une contre-
partie qui, pour Ie colitigant, représente une concession; tel,
!'engagement par ce dernier de régler les dépens exposés par
la partie qui se désiste ou acquiesce (35).
En pareil cas, !'ensemble de l'opération constitue une tran-
saction soumise à toutes les règles propres de ce contrat, même
s'il n'y a pas de commune mesure entre les engagements res-
pectifs : la lésion en effet n'est pas une cause de rescision de
la transaction (C. civ., art. 2052).

§ 3. - Transaction et retrait liti~ieux.

73. Sans doute une certaine analogie existe-t-elle entre la


transaction et la cession de droits litigieux suivie de retrait.
Mais il ne s'agit que d'une simple analogie, ce que M. De Page
souligne incidemment (36) lorsqu'il expose que la cession et
Ie retrait de droits litigieux exproprient Ie cessionnaire des
droits et, par voie de conséquence, << purge Ie droit de son carac-
tère litigieux. C'est, dit-il, tout comme si Ie cédé avait transigé
avec Ie cédant ... ».
Revenons au détail technique d'une telle opération : A et B
sont en procès; B (cédant) cède ses droits litigieux à C (cession-
naire) moyennant un prix x. A (cédé-retrayant) exerce Ie retrait
en payant à C (cessionnaire-retrayé) ce qu'il a déboursé, soit
x francs.
Le résultat obtenu est Ie même que si A et B avaient transigé
dans les conditions suivantes : A conserve la chose litigieuse
moyennant payement à B d'une somme x.
Dans l'un et l'autre cas, Ie litige disparaît.
Mais là s'arrête la similitude.
La psychologie des parties est sensiblement différente dans
l'un et l'autre cas : dans la transaction, les adversaires s'enten-

(35) Exemple classique tiré d'un arrêt de la Cour de Nancy du 12 février 1898
(D. P., 1899, II, 86); voy. aussi Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, par
L. BoYER, n° 28, et G. GHEYSEN, v 0 Dading, in A. P. R., n° 50.
(36) T. IV, n° 471, note 4, p. 443,
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 107

dent directement entre eux, en renonçant à certaines de leurs


prétentions, dans Ie hut d'éviter un litige ou d'y mettre fin;
dans la cession suivie de retrait, au contraire, B n'a rien
ahdiqué mais il a cédé ses droits, tandis que, par Ie retrait,
A préfère les racheter que de continuer à lutter avec C. De ce
fait, il acquiert les anciennes positions de B (37).
Ces différences psychologiques retentissent sur Ie hut ou la
« cause intrinsèque )) des différentes institutions (38) : la cause
de la transaction est l' élimination du litige tandis que celle de la
cession de droits litigieux est la même que celle d'une vente
ou d'un échange, c'est-à-dire un transfert de droits (39). Quant
au retrait, son hut est lihératoire et tend à l'expulsion du cession-
naire-retrayé du rapport de droit dans lequel il était entré
à la suite de la cession, la loi permettant cette expulsion forcée
pour éviter les spéculations malsaines sur des droits liti-
gieux (40).
Sans doute, Ie retrait litigieux met-il fin au procès.
Mais celui-ci n'est pas véritahlement terminé, par des conces-
sions réciproques : il est plus exactement éteint par la cc dispa-
rition l> forcée et légalement autorisée d'un des litigants.
Techniquement enfin, la cession et Ie retrait litigieux postulent
l'existence d'un procès déjà né et intenté antérieurement à la
cession (C. civ., art. 1700) (41), alors que la transaction peut se
concevoir s'il s'agit simplement de prévenir un procès à naître
(C. civ., art. 2044).
Il se déduit de ce qui précède que, quelles que soient les
analogies entre la transaction et le retrait litigieux quant au
résultat ohtenu par ces deux institutions, ces analogies n'ont
ahsolument rien de fondamental ni de structurel.
La cession de droits litigieux suivie de retrait n'est pas un
acte juridique de nature, de forme ou d'effets transactionnels
même si elle a, accidentellement, un effet extinctif. C'est donc

(37) BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. XII, n° 347.


(38) L. B0YER, La notion de transaction, p. 312 et 313.
(39) La cession peut évidemment prendre la forme d'une transaction transla-
tive : « tombe, en effet, sous l'application du retrait litigieux la transaction entre
deux prétendants à un droit litigieux, par laquelle l'un abandonne à prix d'argent
sa prétention contre le cédé, à l'autre » (DE PAGE, Compl. t. IV, n° 466, p. 89).
(40) DE PAGE, op. cit., n° 9 464 et 471.
(41) Voy. DE PAGE, t. IV, n° 467; Dalloz: Encycl. dr. civil, v° Cession de droits
litigieu:x, n°• 54 ets. Il faut une contestation sur le fond du droit (Bruxelles, 12 juin
1964, Pas., 1965, 11, 173).
108 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

à bon droit que l'on considère, notamment, que Ie tuteur d'un


mineur peut exercer Je retrait litigieux avec la simple autorisa-
tion du conseil de famille (42).

§ 4. - Transaction et serment décisoire.

74. Le serment décisoire est, suivant l'article 1357, 1°, du


Code civil « celui qu'une partie défère à l'autre pour en faire
dépendre le jugement de la cause ».
Cette forme de serment a, comme la transaction, pour con-
séquence de mettre fin au procès en cours, puisqu' elle a un effet
décisoire, que le serment soit prêté ou refusé par l'une ou l'autre
des parties (C. civ., art. 1361).
Est-elle, pour autant, une véritable transaction ou, à tout
Ie moins, un acte équipollent à une transaction empruntant
à celle-ci ses règles essentielles relatives, notamment, à la capa-
cité et au pouvoir de transiger ?
La réponse à cette question a fait l'objet d'une évolution
assez différente en doctrine et en jurisprudence.

75. En se fondant sur la tradition romaine suivant laquelle


Ie serment litisdécisoire est une sorte de transaction (43) la
doctrine française et beige du XIX e siècle a affirmé d'une
manière assez générale que la délation du serment litisdécisoire
est une offre de transiger qui se transforme en une véritable
transaction si Ie serment est prêté ou refusé (44).
Dans cette théorie traditionnelle, on enseigne que les parties
se font des concessions réciproques, en ce que celui qui défère
Ie serment consent à perdre son procè3 dès que Ie colitigant
prêtera serment, et même à prêter lui-même le serment que son
adversaire lui référera, sous peine d'échouer dans sa prétention,
tandis que, de son cöté, l'autre partie est obligée de prêter Ie
serment ou de le référer et d'accepter sa perte si on prête ce
serment référé.

(42) Dalloz : Encycl. dr. civil, v° Cession de droits litigieux, par A. LEBRUN,
n° 109.
(43) Jusjurandum speciem transactionis continent (Dig. 1. 2 Dr jurej., XII, 2).
(44) ZACHARIAE, MASSE et VERGE, t. IJl, p. 541, § 608; LAURENT, t. XX,
n° 230; DEMOLOMBE, t. VII, n° 580; MOURLON, t. Il, p. 926 et s. ; ÜOLMET de
SANTERRE, t. v, p. 628 et 629 ; LABBE, note au Sirey, 1889, Il, 41, sous Toulouse,
25 mai 1885.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 109

C'est la théorie fermement défendue notamment par Lau-


rent (45), tandis que Baudry-Lacantinerie (46) parle, avec plus
de nuances déjà, d'une « espèce de transaction » pour qualifier
Ie serment litisdécisoire.
Pratiquement, ces distinctions sont sans conséquences : tous
les auteurs cités admettent, dans Ie domaine essentie! de Ja
capacité et des pouvoirs, que la transaction et Ie serment déci-
soire sont régis par les mêmes règles, qu'il s'agisse de déférer
ou de prêter Ie serment (47), alors cependant que la délation
de serment, qui constitue l'adversaire juge de la cause, est un
acte plus dangereux que la prestation de serment, par laquelle
il suflit de confirmer sous serment la prétention déjà élevée
pour qu'elle triomphe.

76. La jurisprudence a été fortement influencée par cette


doctrine traditionnelle.
Elle aflirme, elle aussi, que Ie serment décisoire est une tran-
saction et obéit à toutes les règles propres à ce contrat, notam-
ment dans le domaine de la capacité.
Nous mettons spécialement ici !'accent sur !'arrêt de la Cour
de cassation du 9 juin 1879 (48), qui a nettement engagé la
jurisprudence beige dans Ie sens d'une assimilation très étroite
entre les deux notions.
La Cour déclare que la faculté de déférer le serment décisoire
sur un fait dont doit dépendre Ie jugement de la cause est
accordée aux parties comme moyen de terminer une contestation
par transaction.
Et !'arrêt relève l'existence des concessions réciproques dans
Ie fait que la partie « qui défère Ie serment consent par là à ce
que Ie litige soit décidé d'après la déclaration de son adversaire
qui servira de preuve des droits respectifs tandis que celui
auquel Je serment est déféré renonce à ses prétentions s'il se
refuse à le prêter ou à le référer ... ».
Il résulte de cette analyse que Ie serment, comme la tran-

(45) T. XX, n° 230.


(46) Précis, t. II (4• éd., 1892), p. 922 (n° 1311).
(47) Voy. les références données par LABBE, note précitée au Sirey, 1889, II,
41 (n° 2, in fine).
(48) Pas., 1879, I, 293, avec l'arrêt attaqué de la Cour de Bruxelles du 14 mai
1879 et les conclusions de l'avocat général Mestdagh de ter Kiele.
llO TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

saction, ne peut être admis lorsque la question à trancher inté-


resse l'ordre public (49).
La doctrine de eet arrêt fut très largement suivie par les
juridictions de fond (50).

77. Néanmoins, dès Ie début de ce siècle, un mouvement


se dessina en doctrine en faveur d'une distinction assez nette
entre la transaction et Ie serment décisoire.
Annoncée déjà par Accarias (51), Oume-Kendjiro (52) et
Guillouard (53), ce mouvement trouva une heureuse expression
dans une étude publiée en 1904 (54) par un juriste italien,
Carlo Lessona, professeur à Pise.
Cet auteur a fait apparaître l'erreur de ceux qui, rencontrant
une indiscutable analogie entre les deux institutions, ont cherché
à les identifier alors qu'elles sont profondément différentes dans
leur genèse, leurs buts et leurs effets.
Rappelant que la transaction est un contrat et que l'accord
des parties est essentie! pour faire naître l'obligation contrac-
tuelle, Lessona relève qu'au contraire celui qui refuse de prêter
le serment, c'est-à-dire décline l'offre de transaction qui lui est
présentée, s'oblige cependant ! Il n'y a donc pas d'analogie
dans la genèse des deux institutions.
De plus, « le serment étant un moyen de preuve a pour but et pour
effet de démontrer la vérité d'un fait. La transaction ne eontient rien
de semblable. Celui qui transige n'affirme pas un état de choses et ne
veut pas Ie rechercher. Au contraire, les parties qui transigent veulent
substituer à un état de droit et de fait sur lequel elles n'ont constaté
aucune existence objective précise, un autre état déterminé, non par la
véritable nature des choses mais par l'intérêt des contractants. En outre,
celui qui défère le serment se propose de sauver tout son droit sans se dissi-
muler qu'il peut le perdre tout entier; celui qui transige se propose de
sauver une partie de son droit et il sait qu'il ne Ie perdra pas tout entier :
la réciprocité de sacrifices est une des conditions essentielles de la transac-
tion ».

( 49) En l'espèce, il s'agissait d'un litige en matière électorale.


(50) Voy., outre !'arrêt attaqué de la Cour de Bruxelles du 14 mai 1879 et les
décisions plus récentes citées sub n° 78, ei-après : trib. Gand, 21 novembre 1899,
Pas., 1900, III, 282; Mons, 18 avril 1899, Pas., 1900, III, 105.
(51) Op. cit., p. 175, note 1.
(52) Op. cit., n° 287, p. 19 et s.
(53) Op. cit., n° 26.
(54) « Le serment est-il une transaction? », in Rev. trim. dr. civ., 1904, p. 797
et s. (voir spécialement p. 802).
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 111

Et Lessona conclut à !'absence d'analogie en ce qui concerne


les buts et les effets, admettant comme seul « vague élément
commun >> Je fait que Je serment comme la transaction, mais
aussi comme le jugement ou le désistement, termine Ie procès.
La doctrine française et beige du XXe siècle devait, d'une
manière générale, s'inspirer largement de cette manière de voir.
Dès 1905, Baudry-Lacantinerie et Barde (55) reprennent les
arguments essentiels de Lessona, mais déclarent cependant que
Ie serment décisoire est une « espèce », une variante de la tran-
saction qui se définit comme étant « une offre de renonciation
conditionnelle à la demande ou à l'exception » (56).
Même raisonnement, et aussi même conclusion chez Aubry
et Rau (57).
Par contre, Planiol et Ripert après avoir énoncé la théorie
traditionnelle en s'y ralliant apparemment (58), s'en dissocient
nettement lors de leur étude de la transaction et proclament
alors que, faute de concessions réciproques, Je serment décisoire
n'est pas une transaction (59).
On trouve la même opinion exprimée dans l'encyclopédie
Dalloz, sous la plume de L. Boyer (60).
Quant à M. De Page, après s'être borné d'abord à renvoyer
à la théorie classique et à l'arrêt de la Cour de cassation du
9 juin 1879 (61) il s'opposera plus tard, avec fermeté, à l'assi-
milation des deux institutions. Une transaction sans conces-
sions réciproques et à caractère contractuel unilatéral ne se
conçoit pas, dit-il en substance (62).
Quelles que soient la vigueur et la pertinence de ces critiques
à l'égard de la théorie classique de l'assimilation, il faut con-
stater que celle-ci garde encore des partisans autorisés. Parmi

(55) Traité. - Des obligations, t. III, 2• partie, n° 2731.


(56) Dans ce sens voy. aussi en jurisprudence beige récente : prudh. Courtrai,
12 novembre 1954, R. W., 1954-1955, 1568.
(57) T. XII (5• éd. par BARTIN), § 749, p. 96, note 28, et § 753, p. 137, texte
et note 1; comp. t. XII (6• éd., par P. EsMEIN), § 753, p. 111.
(58) T. VII (par GABOLDE), n° 1573.
(59) T. XI (par SAVATIER), n° 1567.
(60) Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 29.
(61) Voy. t. II (2• éd., 1940), n° 204, p. 199; DEKKERS (t. I•r, n° 536, p. 356,
en note). Les auteurs des Novelles (Droit civil, t. IV, n° 2211) se bornent également
à ces références.
(62) Voy. t. III (2• éd., 1942), n° 1042, c, p. 1074 et 1075, et aussi t. II (3• éd.,
1964), n° 204, p. 196; voy. dans Ie même sens P. EsMEIN sur AUBRY et RAU,
t. XII (6• éd.), § 753, p. 111.
112 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

ceux-ci, il y a lieu cependant de distinguer les auteurs qui,


tels Resteau (63), Piret (64) ou Kluyskens (65), continuent à
assimiler absolument transaction et serment, de ceux qui,
comme Beudant (66) ou Perrot (67), voient dans Ie serment
décisoire une convention transactionnelle aux caractères très
particuliers, l'analyse traditionnelle n'étant retenue que parce
qu'elle permet de comprendre et d'expliquer les conditions et
les effets du serment décisoire (68).

78. La jurisprudence belge ne paraît pas avoir été très


influencée par le revirement d'opinion intervenu dans une
partie importante de Ja doctrine.
Elle affirme depuis Je début de ce siècle que Ie serment déci-
soire est une transaction, Ia délation de serment étant une offre
de transiger qui se transforme en transaction au moment ou Ie
serment est prêté (69).
C'est tout particulièrement dans le domaine de la capacité
et des pouvoirs que l'assimilation a été invoquée : parce que Ie
serment est une transaction, Ie tuteur notamment ne peut
Ie déférer que si les formalités habilitantes de l'article 467 du
Code civil sont remplies (70); l'organe d'une personne morale
- administrateur, gérant ou liquidateur - ne peut faire de
même que s'il a Ie pouvoir exprès de transiger et qu'il Ie con-
serve jusqu'à la prestation de serment (71).

(ü3) Traité des sociétés anonymes, t. II, n° 901, p. 108.


(64) Voy. Ie jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 24 juin 1936
(Rev. soc., p. 89) dû à la plume de eet auteur éminent.
(65) De verbintenissen, n° 334; voy. aussi la. note R. THIEBAUT sous Bruxelles,
23 mai 1960, Rev. soc., 1960, p. lOü.
(66) BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. IX par LAGARDE et PERROT
(éd. 1953), n° 1323.
(67) Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Preuve, n°• 1091-1093.
(68) P. EsMEIN considère que, précisément, ce recours à l'idée de transaction
est inutile pour expliquer Ie mécanisme du serment : op. cit., ibid., note 1.
(69) Voy. notamment: trib. Bruxelles, 5 novembre 1902, Pas., 1903, III, 216;
Li•'ge, 19 mai 1905, Pas., 1907, II, 38; Charleroi, 29 mai 1905, Pand. pér., 1909,
44\J; trib. Liège, 17 juin 1911, Pas., 1911, III, 280; 30 mai 1911, Pas., 1911,
III, 343; 20 juillet 1911, Pas., 1911, III, 370; Liège, 31 mai 1913, Pas., 1914,
II, 175; Bruxelles, 27 mars 1952, Pas., 1953, II, 1 ; Gand, 21 juin 1956, R. W.,
1057-1958, col. 1583; voy. aussi cass., 13 mars 1930, Pas., 1930, I, 161 (pourvoi,
2• C't 3• moyens).
(70) Voy. sur cette question infra, n° 110 avec les références; adde: Bruxelles,
14 décembre 1910, Pas., 1911, II, 93 (cas du prodigue sous conseil judiciaire),
Rép. prat. dr. beige, v 0 Serment, n°• 106 et s.; comp. EsMEIN sur AUBRY et RAU,
op. cit., p. 112.
(71) Voy. sur cette question infra, n° 179 avec les références. Voir spéciale-
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 113

Ce sont les deux applications les plus remarquables et cou-


rantes de la théorie classique ; celle-ci prévaut toujours dans les
décisions récentes de nos cours et tribunaux (72), à quelques
exceptions près (73).

79. Conclusion. Nous pensons que Ie doute n'est pas permis


Ie serment décisoire n'est pas une transaction; les raisons que
l'on a invoquées contre l'assimilation nous paraissent décisives.
On précisera qu'elle n'est pas davantage une « renonciation
conditionnelle à la demande ou à la défense », puisque celui qui
prête Ie serment qui lui est déféré, sans Ie référer, ne renonce
à rien : il affirme, au contraire, la plénitude de ses droits et il
triomphe.
Mais il reste néanmoins que Ie serment est une institution
dont Ie mécanisme, plus que !'origine, est conventionnel.
De là, croyons-nous, la nécessité de dire que Ie serment est
une convention sui generis sur la preuve (74).
Mais, faut-il lui appliquer toutes les règles de la transaction
- notamment celles de la capacité et du pouvoir de transiger -
au simple motif que Ie serment décisoire met fin au litige, alors
que d'autres institutions, comme l'acquiescement ou Ie désiste-
ment, conduisent au même effet extinctif?
Certainement pas. Par contre, il est possible, croyons-nous,
d'organiser techniquement Ie mécanisme de la délation de
serment en retenant que I' acte sui generis en exécution duqueI
elle intervient, est un acte emportant disposition dans des
conditions au moins aussi dangereuses que la transaction.
En effet, celui qui défère le serment risque de perdre totale-
ment son procès, alors qu'une transaction lui donnerait le
bénéfice des concessions faites par Ie cotransigeant.

ment en jurisprudence : comm. Bruxelles, 5 mars 1926 (Jur. com. Brux., 1926,
177) et 24 juin 1936 (Rev. soc., 1937, p. 89); Gand, 21 juin 1956, précité; P. ESMEIN,
op. cit., p. 113 avec les références.
(72) Voy., outre !'arrêt précité de la Cour de Gand du 21 juin 1956, J. de P.
Anvers, 21 septembre 1950, R. TV., 1950-1951, 804 : Ie jugemcnt déclare cependant
que Ie serment est supposé mettre fin transactionnellement à la contestation.
(73) Voy. la sentence du conseil de prud'hommes de Courtrai du 12 novembre
1954 précitée et le jugement du tribunal de commerce de Courtrai du 2 juillet
1955 (R. W., 1956-1957, 2119): la première décision déclare qu'il n'y a pas renon-
ciation - donc pas de transaction - pour la partie qui accepte de prêter Ie ser-
ment; la seconde énonce que le serment décisoire est l'exécution d'une convention
« sui generis »; voy. aussi prudh. Mons, 16 mai 1964, Pas., 1964, III, 96.
(74) Voy. dans ce sens comm. Courtrai, 2 juillet 1955, et prudh. app. Mons,
16 mai 1964, précités.
DE GAVRE, Oontrat de transaction-. - 8
114: TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

C'est, croyons-nous, sur cette considération majeure qu'il faut


ordonner, par la voie prétorienne, les règles de capacité, de
pouvoir et d'objet qui, à défaut de dispositions positives exis-
tant pour Ie serment décisoire, seront celles d'autres institu-
tions juridiques, applicables par analogie.
Justifiées de cette manière et non par une assimilation diffi.-
cilement défendable entre transaction et serment décisoire, les
solutions données par nos cours et tribunaux (voy. ci-dessus,
sub n° 78) peuvent être approuvées. En effet, dans Ie domaine
de la capacité et des pouvoirs notamment, Ie serment, parce
qu'il peut emporter renonciation à la défense et à la demande,
constitue un acte d'une portée au moins aussi grande que l'ac-
quiescement (75) tandis que, d'un autre cóté, cette renoncia-
tion, en raison de l'utilité qu'elle peut présenter dans la défense
judiciaire des intérêts de l'incapable, doit être autorisée (76).
Le mécanisme protecteur de l'article 4:67 du Code civil paraît
donc adéquat en régime de tutelle : mais on ne l'appliquera pas,
comme tel, à une hypothèse pour laquelle il n'a pas été
institué ; on créera, d'une manière prétorienne, un système
de protection pour Ie cas du serment, rien n'empêchant de
calquer ce système, en tout ou en partie, sur celui de la tran-
saction.
Sans doute, pratiquement Ie résuitat est-il identique; mais
au moins, juridiquement, sur Ie terrain des définitions quali-
ficatives, une regrettable confusion peut-elle être ainsi évitée,
tandis qu'iI est permis de doter Ie serment décisoire d'une
structure organique plus souple et différente de celle de la
transaction chaque fois que Ie caractère dispositif et dangereux
du serment n'oblige pas à une référence analogique aux règies
de la transaction.
Tel est Ie cas, par exempie, de la prestation de serment par
ceiui auquel il est déféré : celui qui accepte de prêter Ie serment
sans Ie référer ne renonce à rien.

(75) Rappelons qu'en régime de tutelle, l'acquiescement est permis au tuteur


seul en matière d'action mobilière tandis qu'il requiert, en matière d'action immo-
bilière, l'autorisation du conseil de familie (voy. DE PAGE, t. II, éd. 1964,
n° 217).
(76) Quant aux renonciations interdites en régime de tutelle voy. DE PAGE,
op. cit., n°• 216 et 217, in fine.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS ll5

§ 5. - Transaction et renonciation.

80. La transaction implique des abandons ou concessions


réciproques qui emportent pour chacune des parties des renon-
ciations; cependant toute renonciation n'a pas, tant s'en faut,
un caractère transactionnel.
En principe, en effet, la renonciation est un acte essen-
tiellement abdicatif et unilatéral qui n'a pas besoin d'être
accepté (77); elle n'emporte donc aucune contrepartie, et
éteint un droit par la seule volonté de sou titulaire, sauf lors-
qu'exceptionnellement la renonciation s'intègre dans un contrat
synallagmatique complexe, comme la transaction, ce qui,
du même coup, lui fait perdre son véritable .caractère et la
soumet à toutes les règles propres aux contrats à titre oné-
reux (78).
Les renonciations, contrairement aux transactions, sont sou-
mises aux règles ordinaires de la forme (79) et de la preuve,
tandis que l'article 2044, alinéa 2, du Code civil affirme la
prééminence de l' écrit dans des conditions assurément diffé-
rentes du droit commun.
Dans Ie domaine de la capacité et des pouvoirs aussi, les diffé-
rences sont considérables : on soulignera déjà, avant de plus
amples développements, qu'en régime de tutelle, par exemple, la
transaction est permise au tuteur dans les conditions de l'ar-
ticle 467 du Code civil, alors qu'au contraire la renonciation
- acte unilatéral et sans contrepartie - est de ceux qui sont
interdits au tuteur, tandis que, lorsqu'elle est exceptionnelle-
ment permise, elle requiert seulement l'autorisation du conseil
de familie (80).
Quant aux effets et à la nature des deux institutions, ils sont
très différents : Ia transaction est en principe déclarative,
et parfois translative (81), alors que la renonciation pure et

(77) Voy. MALAURIE, v 0 Renonciation, in Dalloz: Encycl. dr. civil, n°• 1 et 52;
.T. D. BREDIN, « Les renonciations au bénéfice de Ia Ioi », Journ. trib., 1960, p. 642,
col. 3; LESSONA, " Essai d'une théorie généraie de Ia renonciation en droit civil ••
Rev. trim. dr. civ., 1912, p. 361 et s.
(78) MALAURIE, op. cit., n°• 68 et s.
(79) MALAURIE, op. cit., n°• 3 ets.; voy. cependant les articles 621, 784, 884,
1275 et 1457 du Code civil.
(80) Voy. sur cette question en généraI, DE PAGE, t. II (3• éd., 1964), n° 216;
comp. art. 461 du C. civ.
(81) Voy. t. II.
116 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

simple est abdicative en principe et exceptionnellement trans-


lative lorsque la renonciation a une contrepartie, ce qui lui
confère Ie caractère de contrat à titre onéreux.
Enfin et surtout, la renonciation peut s'expliquer par toutes
sortes de raisons psychologiques chez celui qui renonce, tandis
que la transaction suppose, par définition, l'intention de mettre
fin à un litige gràce à des concessions réciproques.

§ 6. - Transaction et partage. - Cas spécial


de la transaction-partage.

I o Introduction.
81. La transaction et Ie partage, bien qu'étant tous deux
des contrats déclaratifs à e:ffets « libératoires » (82) sont, en
principe, des conventions éloignées l'une de l'autre. L'animus
contrahendi, les buts immédiats poursuivis, et les résultats
obtenus sont en e:ffet di:fférents dans chacun des cas : élimination
d'un litige d'une part, cessation d'une indivision d'autre part (83).
On s'accorde même, compte tenu de ses éléments essentiels,
à dire que Ie partage amiable n'est pas en soi une transaction,
car il n'implique pas Ie litige et les concessions réciproques qui
caractérisent la transaction, les indivisaires qui renoncent
à solliciter Ie partage judiciaire étant tout au plus divisés quant
à la détermination de la valeur économique des droits de chacun,
ce qui ne suffit pas à donner un caractère contentieux à leurs
contestations (84).
Mais il n'en demeure pas moins que fréquemment dans la
pratique la transaction et Ie partage se fondent en une seule
convention, hybride - la transaction-partage ou partage transac-
tionnel - dont Ie régime juridique ne laisse pas d'être une
source d'intéressantes et importantes discussions.

(82) L'exprcssion est de L. BoYER, La notion de transaclion, p. 4Hl : l'auteur


relève que partage et transaction ont tous deux pour but de permettre la suppres-
sion de certains obstacles s'opposant au libre exercice des droits antérieurs.
(83) L. B0YER, op. cit., p. 421 et 422.
(84) BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. XII, n° 350; L. B0YER, op.
cit., p. 419 à 421; Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, par L. B0YER, n° 30
avec les références à la jurisprudence de la Cour de cassation de France, dont
certaines décisions citées ne paraissent cependant pas s'appliquer exactement
au cas envisagé. Voy. cependant : cass. fr., req., 4 mai 1846, D., 1846, I, 129,
et cass. fr., civ., 5 décembre 1887, D., 1888, I, 281; voy. aussi G. GHEYSEN,
v 0 Dading, in A. P. R., n° 58.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 117

L'utilité pratique de Ja transaction-partage n'est pas discu-


table : elle permet à ceux qui doivent ou veulent mettre fin
à une indivision de régler, par un acte unique, les situations
litigieuses existant entre elles au sujet, par exemple, des droits
successoraux dans leur principe ou dans leur quotité, de la
valeur des lots, de Ja manière de partager, des rapports, etc.
Mais cette convention est-elle un partage pur et simple, ou
une transaction répondant à toutes les règles de ce contrat ? Est-elle,
au contraire, une convention empruntant tantót au partage,
tantót à la transaction, telle disposition organique de l'un ou
de l'autre de ces contrats ?
Voilà la question essentielle à laquelle il a été donné réponse
dans deux domaines : celui de la capacité des contractants et
celui de la lésion de plus du quart :
a) si Ja transaction-partage est un partage, elle ne peut
intervenir, en présence de mineurs, que dans les conditions
de l'article 466 du Code civil et de la loi du 12 juin 1816; si elle
est une transaction, ce sont les formalités de l'article 467 qui
devront être respectées ;
b) si la transaction-partage est une transaction, elle n'est pas
rescindable (C. civ., art. 2052, al. 2) ; si, par contre, elle est
un partage, la lésion de plus du quart autorise la rescision
(C. civ., art. 887).

2° Transaction-partage et minorité.

82. On s'accorde, tant en Belgique qu'en France, à considérer


que les formalités légales relatives au partage des biens indivis
appartenant en partie à des mineurs ou des interdits sont
lourdes et anachroniques et qu'elles conduisent très souvent
à sacrifier davantage qu'à défendre les intérêts des incapables
qu'elles sont censées protéger (85).
Aussi plusieurs procédés ont-ils été imaginés qui conduisent,
dans des conditions de légalité parfois discutables, à éliminer
Ie partage judiciaire obligatoire au profit d'une opération juri-
dique qui, tout en n'ayant ni Ie nom ni la forme apparente

(85) Voy. notamment : PLANIOL et RIPERT, t. IV, n° 510; Dalloz : Encycl,


dr. civil, v 0 Succession, n°• 1442 ets.; BOYER, op. cit., p. 422 avec les références
en note 1 ; Rép. prat, dr. beige, v 0 Successions, n° 1225.
118 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

du partage, réalise cependant la sortie de l'indivision et a donc


des effets équipollents à ceux du partage (86).
La transaction-partage est l'un de ces procédés : les indivi-
saires simulent entre eux l'existence d'un litige et, moyennant
Ie respect des formalités moins lourdes de l'articles 467 du
Code civil, y mettent fin par une transaction qui assure en
même temps l'extinction du prétendu litige et la fin de l'in-
division.
Ce procédé doit être condamné comme constituant une fraude
à Ja loi (87) : Ie respect des formalités protectrices de l'arti-
cle 467 du Code civil - pourtant très efficaces - ne dispense
pas de suivre les formes judiciaires qui, s'inspirant de l'inca-
pacité des parties, sont d'ordre public (88). La sanction de
cette fraude est la nullité absolue.
Par contre, si la transaction-partage a, entre autres objets,
celui de terminer ou de prévenir une contestation réelle et indis-
cutable, on· admet généralement (89) qu'il suffit, sur le plan
de la capacité, qu'il ait été satisfait au prescrit de l'article 467,
la transaction l'emportant ici sur Ie partage, dès !'instant ou
il n'y a pas de simulation.
On aperçoit aussitöt qu'il sera, pratiquement, très malaisé
de faire la part de ce qui est simulé et de ce quine l'est pas (90).
La Cour de cassation de France, dans un arrêt déjà ancien (91),
a apporté à ce problème les éléments d'une solution très libérale:

(86) Voy. sur ces procédés Rép. prat. dr. belge, v 0 Successions, n°• 1225 à 1228;
Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Succession, n°• 1442 et s.
(87) PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. Jer, n°• 572 et 584; t. IV (par MAURY
et VIALLETON), n° 510, p. 608; LAURENT, t. X, n° 295; SCHICKS et VANISTER-
BEEK, t. II, n° 94, p. 329; Rép. prat. dr. belge, v 0 Successions, n° 1227; LES NOVEL-
LES, Droit civil, t. IV, n° 2206; voy. aussi infra, n° 110, et cass., 30 juillet 1816,
Pas., 1816, 187.
(88) Demolombe écrit très justement que « la loi a distingué dans l'admi-
nistration de la tutelle différentes catégories d'actes et a soumis les uns et les autres
en raison même de leur nature différente à un certain nombre de formalités spé-
ciales à chacun d'entre eux ... sans qu'il soit permis de bouleverser sa nomencla-
ture et ses classifications » (t. XV, n° 608); voy. dans Ie même sens : ScHICKS
et VANISTERBEEK, op. cit., ibid.
(89) DEMOLOMBE, t. XV, n° 609; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. II,
n°• 2302 ets.; AUBRY et RAU, t. X, § 624, note 37; BEUDANT, LEREBOURS-PIGEON-
NIÈJtE et LE BALLE, t. Vbis, n° 661, et t. XII, n° 350; BOYER, op. cit., n° 426.
(90) Boyer fait observer (op. cit., p. 426, note 1) que la transaction-partage
ne sera pratiquement annulée que lorsque la simulation sera imparfaite, c'est-à-
dire lorsqu'il résultera de !'acte lui-même ou des circonstances que Ie litige n'a été
créé que pour tourner les dispositions de l'article 888 du Code civil.
(91) Cass. fr., civ., 3 décembre 1887, Sirey, 1888, I, 425 note MEYNIAL, et D.,
1888, I, 241 note PONCET.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 119

pour que la transaction-partage soit valablement conclue,


moyennant Ie respect du seul article 467 du Code civil, il suffi.t
qu'il existat des causes sérieuses et diverses de litige « qui moti-
vaient réellement Ie recours à la transaction pour faire cesser
l'indivision ... ».
Cette solution, généralement suivie en jurisprudence (92), est
étendue par la doctrine (93) à toutes les hypothèses conce-
vables : contestation sur l'existence même des droits hérédi-
taires, contestation sur la quotité des droits de chacun et enfin
contestation sur Ie mode d'exécution du partage, bien qu'à eet
égard des restrictions aient été énoncées (94), à tort sans
doute (95), encore qu'il soit juste de dire que c'est spécialement
dans cette dernière hypothèse que Ie défaut de litige transac-
tionnel sérieux peut se présenter, les parties étant seulement
en discussion sur la valeur économique des parts divises qui
se substitueront à la masse indivise.
Ainsi, la solution de la jurisprudence veut-elle que chaque
fois que les parties ont eu pour commune volonté de mettre
fin à un véritable litige, ce soit cette volonté qui détermine la
nature unitaire de l'acte, sans que la cessation de l'indivision
puisse altérer son caractère de transaction (96).
Ce ne sera que dans l'hypothèse ou l'acte voulu par les parties
apparaîtra comme entaché de simulation ou comme dépourvu
d'objet - ou de cause - en raison de !'absence de tout litige,
qu'il devra être considéré comme nul, les formaJités de l'arti-
cle 466 et de la loi du 12 juin 1816 ayant été éludées (97).

3° Transaction-partage et lésion.
83. Logiquement, la même solution fondée sur l'intention
réelle et prépondérante des parties aurait dû prévaloir dans
l'application des règles de la lésion à la transaction-partage.

(92) Voy. les références données in Rép. prat. dr. belge, v 0 Successions, n° 1227.
(93) L. BoYER, op. cit., p. 428; Beudant et Lerebours-Pigeonnière (t. XII,
n° 350) se contentent même d'un litige précis, réel ou simulé.
(94) Voy. la note MEYNIAL précitée et Pand. belges, v 0 Partage de succession,
n° 407.
(95) Voy. la critique de L. BoYER, op. cit., p. 427 et s.
(96) Oume-Kendjiro (op. cit., n°• 392 et 393) propose un système fait de plu-
sieurs distinctions reposant toutes sur l'intention - éventuellement présumée -
des parties et sur Ie caractère principal ou accessoire des opérations de partage
par rapport aux dispositions transactionnelles.
(97) Voy.cependant !'opinion de Beudant et Lerebours-Pigeonnière rapportée
à la note 93.
120 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

C'est cependant la solution inverse qui s'est imposée : en


France depuis longtemps déjà, et en Belgique depuis une ving-
taine d'années, il est généralement admis, surtout en jurispru-
dence, que la transaction-partage reste rescindable pour lésion
de plus du quart, alors même qu'elle ne serait pas un acte simulé
déguisant un partage pur et simple, a fortiori si elle est eet acte
simulé.
Cette solution procède d'une interprétation extensive de l'arti-
cle 888, alinéa Jer, du Code civil, suivant lequel << l'action en
rescision est admise contre tout acte qui a pour objet de faire
cesser l'indivision entre cohéritiers, encore qu'il fût qualifié
de vente, d'échange et de transaction, ou de toute autre
manière ».
Pendant très longtemps, eu égard à une certaine interpréta-
tion des travaux préparatoires (98), ce texte fut appliqué
restrictivement en jurisprudence belge : il fut jugé notamment
par la Cour de cassation, Ie 10 juillet 1862, qu'il ne concernait
que la seule hypothèse de la transaction-partage simulée, qua-
lifiée telle, mais non réelle (99).
« Que, dit eet arrêt, la disposition édictée par ce dernier arti-
cle (l'article 888 du C. civ.) se rattache à la règle qu'il faut
s'arrêter plus à la réalité qu'au titre, et que, dès lors, e1le n'est
applicable que lorsque, pour éluder l'action en rescision, les
parties ont qualifié faussement de transaction l'acte qui n'a
d'a·utre objet que de faire cesser l'indivision ... »
Le pourvoi soumis à la Cour de cassation tendait à voir
donner à l'article 888 une portée tout à fait générale, justifiée
par la seule règle de l'égalité dans les partages, qui sanctionnée
elle-même par la rescision pour lésion, doit pouvoir s'appliquer
dès l'instant ou un acte a pour objet de faise cesser l'indi-
vision.
La Cour rejeta ce pourvoi, après que l'avocat général Cloquette
eut vigoureusement défendu la thèse de l'interprétation restric-
tive de l'article 888, alinéa 1er, fondée, selon lui, tout à la fois

(98) II semble, en effet, que les travaux préparatoires puissent être invoqués
dans les deux sens (voy. !'analyse de PIRET in Rev. crit. jur. belge, 1947, p. 100).
Les tenants de la théorie restrictive s'appuient surtout sur Ie rapport de Chabot
au Tribunat (LocRÉ, t. V, p. 75 et 126).
(99) Pas., 1862, I, 289. Voy. aussi dans Ie même sens: Bruxelles (cass.), 7 décem-
bre 1829, Pas., 1829, I, 316; Liège, 25 juillet 1839, Pas., 1839, 151 ; Liège, 12 jan-
vier 1861, Pas., 1861, II, 234.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 121

sur l'opinion de Chabot, rapporteur au Tribunat, et sur cette


considération de bon sens suivant laquelle la rescision pour
lésion des transactions nécessaires et réelles, au lieu d'être
favorable aux parties, leur serait préjudiciable en permettant
de renouveler les procès terminés (100).
Cette thèse restrictive devait trouver appui chez de nom-
breux auteurs du XIXe siècle (101), dont Ja doctrine fut ampli-
fiée et précisée, en termes excellents, par MM. De Page et
Dekkers, aux tomes Vet IX de leur traité (102).
Ces éminents auteurs soutiennent que les deux alinéas de
l'article 888 visent chacun un cas différent. L'alinéa Jer traite
d'un partage véritable, dissimulé sous l'apparence d'une tran-
saction : l'acte est rescindable et c'est normal, puisqu'il s'agit
réellement d'un partage; l'alinéa 2, au contraire, traite d'une
véritable transaction, dissociée du partage et postérieure à lui :
elle n'est pas rescindable et c'est tout aussi normal puisqu'il
s'agit d'une pure transaction. Dans les deux cas, par conséquent,
l'article 888 était inutile. Si ce texte - dont la portée exacte
n'est pas révélée par les travaux préparatoires - avait eu un
autre hut spécifique, le législateur l'aurait fait connaître (103).
Son silence oblige l'interprète à une analyse de bon sens, ce
qui amène MM. De Page et Dekkers à des conclusions fort pro-
ches de celles de la théorie traditionnelle du milieu du
XIX e siècle.
En France cependant, la théorie restrictive fut écartée,
dès 1829, par la Cour de cassation (104), tandis qu'une très
grande partie des auteurs se ralliait à une interprétation large
de l'article 888 (105).

(100) Voy. les conclusions du ministère public in Pas., 1862, 1, 295.


(101) TOULLIER, t. IV, n° 577; ARNTZ, t. Il, n° 1643; BELTJENS, Encyclopédie,
sub art. 888, n° 6; GUILLOUARD, n° 144; TROPLONG, Transactions, n° 141.
(102) T. V, n° 490, note 3, et surtout t. IX, n° 1474.
(103) Voy. spécialement t. IX, n° 1474, p. 1090.
(104) Voy. les arrêts des 12 août 1829, Sirey, 1829, I, 427; 16 février 1842,
Sirey, 1842, I, 337; 8 février 1869, Sirey, 1869, I, 361 ; 3 décembre 1878, D. P.,
1879, I, 419.
(105) AUBRY et RAu, t. X, § 626, note 20; Huc, t. v. p. 565; JOSSERAND,
t. III (3• éd.), n° 1237; CoLIN et ÜAPITANT, t. III (8• éd.), n° 775; BEUDANT,
LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et LE BALLE, t. Vbis, n° 900; PLANIOL et RIPERT,
t. IV, n° 692; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. UI, n° 3474; HAMEL, Du
partage transactionnel, t. III, Paris, 1908, p. 14. Contra: L. BoYER, op. cit., p. 431
et s., et Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 169; SAVATIER, Droit civil,
t. 111, n° 734.
122 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Cette opinion, favorable à la rescision pour lésion, fut reçue


également en Belgique (106) avant d'y être enfin consacrée par
la Cour de cassation.
Admise déjà dans un arrêt de la Cour de Liège du 19 jan-
vier 1932 (107), la thèse extensive fut accueillie d'une manière
incidente dans un arrêt de la Cour de cassation du 21 octo-
bre 1943 (108) puis enfin expressément consacrée par }'arrêt
de cette Cour du 21 novembre 1946, rendu sur les conclusions
conformes de M. Hayoit de Termicourt, alors premier avocat
général (109).
« Attendu que tout acte qui a pour objet de faire cesser l'indivision
constitue un partage ;
Attendu que l'égalité des lots étant de !'essence même de cette opéra-
tion, il importait que le législateur prît les mesures qu'il estimait propres
à assurer tout au moins dans une mesure raisonnable le respect de cette
égalité à l'égard de tous les cohéritiers; qu'à ces fins l'article 887 du
Code civil accorde l'action en rescision au copartageant lésé de plus du
quart;
Attendu que pour garantir davantage encore les droits de ce dernier,
l'article 888, alinéa 1er, proclame que tout acte qui a pour objet de faire
cesser l'indivision, quelle que soit sa qualification, est rescindable en cas
de lésion;
Attendu qu'il résulte de ces considérations que le but que s'est proposé
le législateur ne serait pas atteint, si, la sortie d'indivision étant réalisée,
même sous la forme d'une véritable transaction, l'action en "rescision
était refusée au copartageant lésé ... ».

Le pourvoi sur lequel intervint l'arrêt cité était dirigé contre


un arrêt de la Cour d'appel de Gand du 4 mai 1945 (ll0) qui,
statuant comme juridiction de renvoi à la suite de l'arrêt du
21 octobre 1943, avait admis, comme cette dernière décision,
la thèse de l'interprétation large de l'article 888, alinéa Jer.
M. Hayoit de Termicourt conclut au rejet de ce pourvoi. La

(106) LAURENT, t. X, n°• 481 et 485; SCHICKS et VANISTERBEEK, t. IV, p. 287;


KLUYSKENS, Erfenissen, 2• éd., n° 359; THIRY, t. II, n° 260.
(107) Jur. Liège, 1932, 59; Rev. prat. not., 1932, 368. Cet arrêt exclut formelle-
ment, pour l'application de l'article 888, la distinction entre transaction réelle
et simulée.
(108) Pas., 1944, I, 18 note R. H. Voy. en sens contraire, à la même époque:
Bruxelles, 7 mai 1941, Rev. prat. not., 1942, p. 237 (solution implicite).
(109) Pas., 1946, I, 434; Journ. trib., 1947, p. 68 note FERRIER, Rev. crit.
jur. beige, 1947, p. 96 note PrnET.
(110) Ann. not., 1945, p. 216.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 123

pensée de l'éminent magistrat peut se résumer dans les deux


propositions essentielles suivantes ( 111) :
« l'acte qui tient lieu de partage » dont parle l'article 888,
alinéa 1er, n'est point un acte simulé mais un acte qui a les
effets d'un partage, quoiqu'il puisse recevoir une autre quali-
fication légale ;
l'alinéa 2 de l'article 888 ne concerne donc pas une hypothèse
fondamentalement différente de celle visée à l'alinéa 1er, mais
énonce, au contraire, une dérogation à la règle générale tracée
par eet alinéa, ainsi qu'en atteste l'emploi des mots « mais
après le partage ... » et « l'action en rescision n'est plus admis-
sible ... » ( 112).
Ainsi la controverse trouvait-elle son épilogue. Les com-
mentateurs de l'arrêt du 21 novembre 1946 - dont R. Piret ( 113)
- se rallièrent à la thèse de la Cour de cassation dont seuls (114),
semble-t-il, MM. De Page et Dekkers demeurent les adver-
saires (115).

84. Mais, en même temps que la controverse était ainsi résolue


en jurisprudence beige, les limites à la possibilité de faire res-
cinder pour lésion une transaction-partage étaient tracées à
nouveau d'une manière très précise (116).
1° La rescision pour lésion de plus du quart est certainement
exclue :
a) lorsque la transaction a pour objet de régler des diffi.-
cultés réelles survenues postérieurement au partage ou à l'acte

(lll) Voy. les conclusions du ministère public au Journ. trib., 1947, p. 68,
et la note R. H. à la Pasicrisie, 1944, I, p. 19.
(ll2) Voy. en ce qui concerne plus spécialement eet argument, la note R. H.
à la Pasicrisie, 1944, I, 19 sous cass., 21 octobre 1943.
(ll3) Voy. la note sous cass., 21 novembre 1946, in Rev. crit. jur. belge, 1947,
p. 99 ets. Adde: note FERRIER au Journ. trib., 1947, p. 72, et Rép. prat. dr. belge,
v Successions, éd. 1951, n° 5 2591 à 2595.
0

(ll4) A notre connaissance, en effet, aucune décision judiciaire n'est venue


contredire la jurisprudence de la Cour de cassatiori : voy. Courtrai, 30 novembre
1950, T. N., 1951, p. 194 et s., et trib. Bruxelles, 20 novembre 1963 (Rev. prat.
not., 1964, p. 327).
(ll5) Voy. Ie Complément au t. IX, édité en 1952, p. 352, n° 1474.
(ll6) Voy. la note précitée de R. PIRET in Rev. crit. jur. belge, 1947, p. 105
et s., la note R. H. sous cass., 21 octobre 1943, Pas., 1944, 1, 18; Rev. prat. dr.
beige, v• Successions, n° 2594; DE PAGE et DEKKERS, t. IX, n° 1474, B, p. 1091;
G. GHEYSEN, v 0 Dading, in A. P. R., n•• 374 et s.
124 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

qui en tient lieu et par Ie fait de son exécution (117) : c'est


l'application pure et simple de l'article 888, alinéa 2, du Code
civil, qui régit la catégorie générale de tous les actes posté-
rieurs à la sortie d'indivision. Il faut rappeler que ce texte
écarte l'action en rescision pour autant que la transaction
intervienne sur des difficultés réelles, mais qu'il ne requiert
pas qu'il y ait déjà procès commencé.
La transaction pourra porter sur n'importe quelle contes-
tation réelle, fût-ce sur la rescision pour lésion elle-même (118).
b) lorsque la transaction est antérieure au partage et qu'elle
est faite pour aplanir les contestations extrinsèques qui y
faüiaient obstacle, à condition cependant que cette transaction
ne puisse pas être considérée comme indissociablement liée au
partage lui-même (voy. cette hypothèse ei-après) (119).
Dans ce cas, en effet, la transaction a sans doute pour but
de préparer le partage, mais elle n'a cetainement pas pour effet
de réaliser la sortie d'indivision (120).
c) lorsque la transaction a réellement un caractère aléatoire,
caractère qu'en soi sa nature intrinsèque ne comporte pas,
puisque la transaction ne présuppose pas nécessairement la
survenance d'un événement soumis au pur hasard (121).
L'exclusion de l'action en rescision se fonde ici sur une appli-
cation extensive de l'article 889 du Code civil qui, tout en ne
visant que Ie cas particulier de la cession de droits successifs
faite aux risques et périls du cessionnaire, s'étendrait en réalité
à toutes les conventions de caractère aléatoire (122). Par con-

(117) DE PAGE et DEKKERS, op.cit., ibid.; AUBRY et RAu, t. X, § 626, texte


et note 21 ; LAURENT, t. X, n° 486; RAOUL HAYOIT DE TERMICOURT, note sous
cass., 21 octobre 1943, Pas., 1944, I, 18; R. PIRET, note précitée, p. 106; cass.
fr., civ., 12 février 1912 (Sirey, 1913, I, 101 et la note) et 10 décembre 1913 (Sirey,
1914, I, 136); Agen, 20 février 1896, D. P., 1898, II, 9; Liège, 19 janvier 1932,
Rev. prat. not., 1932, 368 (solution incidente).
(118) DE PAGE et DEKKERS, t. IX, n° 1474, B, note 7, p. 1091; ÜOLIN et ÜAPI-
TANT, t. 111, n° 775, in fine.
(119) DE PAGE et DEKKERS, t. IX, n° 1474, B, p. 1091 avec les références en
note 2; Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Succession, n° 1943; Bruxelles, 7 mai 1941,
Rev. prat not., 1942, p. 237; la note de LOYNES sous Agen, 20 février 1896, précité,
et Courtrai, 30 novembre 1950, T. N., 1951, p. 194; voy. aussi l'étude de E. I.,
• Partage transactionnel et forfaitaire », in Ann. not., 1945, p. 39 à 43.
(120) Voy. cependant l'opinion nuancée de PIRET, note précitée, p. 106, c.
(121) Voy. supra, n° 3, c.
(122) Dans ce sens : DE PAGE et DEKKERS, t. IX, n° 1477; SAVATIER, Rev.
trim., 1922, p. 1003 et 1004, 1935, p. 870, et 1937, p. 657; JOSSERAND, t. 111,
n• 1237.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 125

séquent, si la transaction, même liée à un partage, se faisait


aux risques et périls des cocontractants, chacun supportant des
obligations dont l'étendue était objectivement inconnue au
moment du contrat, l'action en rescision pour Jésion ne serait
pas admise (123).

85. 2° La rescision pour lésion sera possible :


a) lorsque l'acte qualifié « transaction » n'en a que le
nom et dissimule un véritable partage ou tout acte équipol-
lent : c'est l'application - non discutée - de l'article 888,
alinéa Jer, du Code civil (124);
b) lorsque, dans un acte unique Jes contractants auront
entendu traiter comme un ensemble la transaction sur des
difficultés extrinsèques au partage ou sur les opérations même
de celui-ci, d'une part, et, d'autre part, l'attribution des parts
divises revenant aux communistes. C'est l'hypothèse expressé-
ment visée par !'arrêt du 21 novembre 1946 et par les tenants
de Ja théorie dite extensive;
c) lorsque deux actes distincts - transaction et partage -
démontrent que, dans la volonté des cotransigeants et des
copartageants, les actes formaient un tout indissociable et indi-
visible (125).
C'est une application corrélative de Ja thèse de l'interpréta-
tion extensive de l'article 888, a]inéa 1er.
La preuve de Ja relation nécessaire et indissoluble entre les
deux actes pourra être plus facilement faite chaque fois que la
transaction touchera à la formation des lots et aux attributions
à faire (contestations intrinsèques au partage). Et elle sera plus
difficile à rapportcr lorsqu'il s'agira d'une transaction sur con-
testation extrinsèque - quotité des droits d'un héritier (126),
capacité ou pouvoirs des prétendants-droits, validité d'un
testament, obligation on dispense de rapport, etc. - parce que

(123) Voy. PIRET, note précitée, Rev. crit. jur. beige, p. 106 et 107 avec les
références à la jurisprudence de la Cour de cassation de France, p. 106, note 2.
(124) Voy. notamment DE PAGE et DEKKERS, t. IX, n° 1474, p. 1089, et cass.
fr., req., 8 février 1869, Sirey, 1869, I, 361.
(125) DE PAGE et DEKKERS, t. IX, n° 1474, B; R. PIRET, note précitée p. 105
et 106; Rép. prat. dr. beige, v 0 Success-ions, n° 2594; Dalloz : Encycl. dr. civil,
v 0 Suecess-ion, par A. BRETON, n° 1944 avec les références.
(126) Voy. Bruxelles, 1 er mars 1919, Belg. jud., 1919, 662 cité par l\lM. DE PAGE
et DEKKERS, t, IX, n° 1471, B.
126 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

dans ce cas il faudra prouver que, déjà dans Ie premier acte


(transaction), les parties avaient pour intention certaine d'assurer
les effets du second (partage).
D'autre part, la transaction qui, après un partage partiel,
réalisera un partage complémentaire sera rescindable (127),
comme l'est Ie partage partiel lui-même (128) avec lequel l'acte
complémentaire forme un tout.

40 Concl usion.

86. En manière de conclusion, nous marquerons une préfé-


rence personnelle pour la théorie de l'interprétation restrictive
de l'article 888, alinéa l er, du Code civil, quelles que soient
l'autorité qui s'attache à la jurisprudence de la Cour de cassa-
tion et la valeur des arguments qui l'étayent.
Nous pensons que les travaux préparatoires et Ie texte des
dispositions du Code civil ne fournissent aucun argument décisif
en faveur de l'une ou l'autre thèse. En serait-il même autrement,
que la genèse mouvementée (129) de l'article 888 devrait inciter
à une grande circonspection.
C'est donc ailleurs qu'il convient de trouver les raisons de
décider dans tel ou tel sens.
Nous croyons qu'il faut surtout avoir égard à la valeur com-
parée que, d'une façon générale, Ie législateur a accordée aux
deux règles fondamentales qui s'opposent en l'occurrence : le
principe de l'égalité dans Ie partage d'une part; celui de la
stabilité des transactions, qui exclut leur rescision pour cause
de lésion, d'autre part.
Sans doute est-il difficile d'affirmer, d'une manière péremp-
toire, que dans Ie système du Code civil, l'une de ces règles
l'emporterait nettement sur l'autre.
Mais il faut cependant souligner l'hostilité marquée du légis-
lateur de 1804 à la possibilité de voir renaître des procès tran-
sactionnellement éteints. L'article 2052 du Code civil, en ses
deux alinéas, en porte notamment témoignage, tandis que les
travaux préparatoires de l'article 467 du Code civil, relatif aux

(127) Cass. fr., civ., 10 décembre 1913, Sirey, 1914, I, 136.


(128) Cass., 26 février 1959, Pas., 1959, I, 648, et Journ. trib., 1959, p. 381;
trib. Bruxelles, 20 novembre 1963, Rev. prat. not., 1964, p. 327 avec les références,
p. 330.
(129) Voy. DE PAGE et DEKKERS, t. IX, n° 1474, À, p. 1090 et 1091.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 127

transactions en régime de minorité, révèlent la volonté des


auteurs de ce code de rompre avec le système de l'ancien droit
en décrétant inattaquable, même pour cause de lésion énorme,
une transaction qui aurait été accomplie dans Ie respect des
formalités de l'article 467 (130).
Le souci de donner à la transaction - contrat exceptionnel,
libératoire et quasi judiciaire - la plus grande stabilité possible
est donc incontestable; il faut en tenir compte et ce d'autant
plus que l'on doit constater, d'un autre cöté, que l'action
en rescision n'est pas admise à l'égard de tous les partages : si
Ie partage judiciaire classique - acte de juridiction gracieuse -
peut être rescindé, par contre, Ie partage judiciaire, qui a donné
au juge }'occasion de trancher un différend, cesse d'être rescin-
dable parce que l'autorité de la chose jugée qui s'attache au
jugement contentieux s'y oppose (131).
Pourquoi en serait-il autrement lorsque c'est par Ie moyen
de la transaction - équivalent contractuel du jugement, égale-
ment doté de ]'autorité de la chose jugée - que le litige prend
fin?
Il apparaît ainsi que la règle de l'égalité dans les partages
et l'action en rescision qui la sanctionne doivent parfois céder
devant des principes plus absolus destinés - comme l'autorité
de la chose jugée - à assurer l'indispensable stabilité et l'effi-
cience d'actes aussi importants qu'un jugement contentieux,
une sentence arbitrale (132) ou une transaction.
Prenant pour principe de raisonnement cette hiérarchie de
valeur entre les deux règles qui s'affrontent, nous proposons de
résoudre comme suit Ie conflit auquel la transaction-partage a

(130) Voy. PoTHIER, Traité de la procédure civile, 5• part., chap. IV, art. II,
§ 1 er, n° 731; BERLIER, Exposé des motifs de l'article 467 au titre de la« Minorité »
(FENET, X, p. 643 et 644, et LOCRÉ, VII, éd. fr., p. 238 et 239); voy. aussi ÜU.ME-
KENJIRO, op. cit., p. 139 et s.; adde, cette déclaration très significative faite par
Maleville au Conseil d'Etat (Séance du 15 ventöse an XII, FENET, XV, p. 96) :
« Le premier Consul dit qu'alors les transactions ont donc un caractère plus sacré
que les jugements, M. Tronchet répond que ce principe est notoire, qu'il est fondé
sur ce que, dans les transactions, les parties se jugent elles-mêmes "·
(131) Voy. DE PAGE et DEKKERS, t. IX, n° 1470; ÁUBRY et RAu, t. X (5• éd.
par BARTIN, et 6• éd. par Es.MEIN), § 626, note 25 avec les références; Dalloz :
Encycl. dr. civil, v 0 Succession, par A. BRETON, n° 1922.
(132) Cass. fr., 31 mai 1902, Sirey, 1904, I, 23, obs. : eet arrêt décide que l'au-
torité de chose jugée, qui s'attache à la sentence arbitrale qui réalise un partage
judiciaire après avoir tranché des contestations réelles entre copartageants, s'op-
pose à la rescision pour lésion de ce partage judiciaire contentieux.
128 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

donné naissance, lorsque existe un différend réel entre les indi-


visaires :
a) l'exclusion de la rescision pour lésion doit demeurer la
règle générale, même Jorsque Ja transaction réelle et Ie partage
forment un seul acte, indivisible dans l'intention des parties.
b) cette exclusion se justifie par l'impossibilité de porter
atteinte à ce qui a été convenu dans des conditions qui empor-
tent effet de chose jugée.
c) tout au plus l'action en rescision pourrait-elle être admise
- comme parfois dans Ie cas d'un partage judiciaire conten-
tieux (133) - dans la mesure seulement ou elle ne remettrait
pas en question les solutions transactionnellement données aux
contestations de principe - surtout extrinsèques - qui ont
surgi entre indivisaires.
L'incidence de la rescision serait donc purement économique
(composition et valeur des lots, etc.).
On voit mal d'ailleurs comment, pratiquement, il serait
possible, ensuite de la rescision, de reformer la masse déjà par-
tagée et de recommencer, sans nouveau risque de lésion, toutes
les opérations et les calculs du partage si les droits des indivi-
saires étaient à nouveau contestés dans leur principe ou dans
leur quotité et que Je doute litigieux à eet égard était rétabli.
d) la lésion traduit une distorsion économique objective :
comment peut-on parler de lésion lorsque, par Ie fait de la
transaction, les indivisaires ont précisément renoncé à faire
valoir en justice toute l'étendue de leurs droits, dont il ne sera
donc jamais possible de fixer objectivement l'importance et la
valeur 1
e) une telle solution qui laisse la possibilité de corriger, par
l'action en rescision, des erreurs de calcul ou de valeur dans
l'allotissement proprement dit, est en outre compatible avec
les solutions dégagées dans Ie domaine de la capacité à accom-
plir une transaction-partage.
Car il est bien certain que les systèmes actuellement admis,
en matière de minorité (134) et de rescision pour lésion, créent
une inelegantia juris que l'on a justement dénoncée (135).

(133) AUBRY et RAu, op. cit., § 626, texte et note 26.


(134) Voy. supra, n• 82.
(135) L. BOYER, op. cit., p. 434.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 129

§ 7. - Transaction et jugement.

87. L'analogie entre la transaction et Ie jugement n'est pas


douteuse, et Ie Code civil lui-même la suggère lorsqu'il attache
aux transactions l'autorité de la chose jugée en dernier ressort
(art. 2052, al. 1er). De plus, les deux actes ont pour effet de
mettre fin à un litige, l'un par la volonté des parties, l'autre
par I'intervention du juge.
C'est pourquoi l'on dit de la transaction qu'elle a la valeur
d'un jugement conventionnel (136), qu'elle est « l'équivalent
processuel » (137) d'un jugement.
Mais les auteurs mêmes de ces formules frappantes déclarent
qu'il serait abusif de les prendre au pied de la lettre (138).
En effet, si la transaction et Ie jugement ont apparemment
un effet juridique commun - l'autorité de la chose jugée -
il reste que ces actes sont fondamentalement différents dans
leur origine et, partant, dans leur régime juridique, ainsi que
dans Ie mécanisme réalisateur de l'effet extinctif.

88. Quelles sant les différences essentielles tenant à !'origine


des deux actes, c'est-à-dire d'une part, à une origine purement
contractuelle, d'autre part, à une origine « institutionnelle » 1
Nous ne procéderons ici qu'au rappel des solutions admises
et consacrées par la doctrine classique (139) :
1° La transaction et Ie jugement ne peuvent être attaqués
de la même manière ni pour des causes identiques.
La transaction peut être annulée si l'un de ses éléments
constitutifs ou l'une de ses conditions de validité fait défaut,
et notamment si Ie consentement d'une des parties a été vicié ;
en principe, au contraire, les voies de nullité n'ont lieu contre
les jugements contentieux : il est notamment inconcevable
que les parties puissent attaquer un jugement en invoquant,
de leur part, un vice du consentement.
Les voies de recours ouvertes par Ie Code de procédure civile

(136) PONT, t. II, n° 479; MARBEAU, Traité des transactions, n° 20.


(137) L. BoYER, op. cit., p. 465, et Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction,
no 34.
(138) L. BoYER, op. cit., ibid.
(139) Voy. notamment: Huc, t. XII, n 09 320 ets.; PONT, t. II, n°• 479 et 629;
BAUDRY-LACANTINERIE et W AHL, t. XXI, n° 1291 ; GUILLOUARD, n°• 106 et s.;
BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. XII, n° 359; RIPERT et BOULANGER,
t. II, n° 3225; L. BOYER, op. cit., p. 466.
DE GAVRE, Oontrat de transaction. - 9
130 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

sont réservées aux décisions judiciaires et sont évidemment


inapplicables à une convention comme la transaction ; celle-ci
ne peut être attaquée pour cause d'erreur de droit, alors que
cette même erreur permet, au contraire, de solliciter la censure
de la juridiction d'appel ou de la Cour de cassation (140).
2° La transaction peut être résolue pour cause d'inexécu-
tion ( 141) ; Ie pacte commissoire ne se conçoit pas à l 'égard
des décisions de justice.
3° Dans les pays ou, comme en France, existe l'hypothèque
judiciaire, celle-ci peut être attachée aux jugements de con-
damnation, jamais aux transactions.
4° Le jugement peut être réformé dans certaines de ses dispo-
sitions seulement ; la loi présume, au contraire, que les cotransi-
geants ont voulu faire de la transaction un tout indivisible,
d'ou l'article 2055, alinéa 2, du Code civil sur lequel nous revien-
drons au titre des « Effets de la transaction ».
5° Le controle de la Cour de cassation ne peut s'exercer et
s'étendre à J'égard de la transaction d'une manière aussi large
qu'à l'endroit d'un jugement.
En ce qui concerne la transaction, nous renvoyons le lecteur
aux développements consacrés à la qualification des transac-
tions et actes en tenant lieu (142).
6° Les formes de la transaction et du jugement sont fondamen-
talement différentes.
7° Sauf si elle revêt la forme authentique, la transaction n'a
pas force exécutoire.

89. Malgré ces différences fondamentales, Ie jugement et la


transaction ont, en commun, un effet identique : l'élimination
d'une situation litigieuse.

(140) C'est évidemment par suite d'une erreur assez incompréhensible que
Bigot-'t>réameneu a déclaré au cours des travaux préparatoires (voy. LOCRÉ,
XV, éd. fr., p. 421, et FENET, XV, p. 108) que la ressemblance essentielle entre la
transaction et le jugement tient à ce qu'ils ne peuvent être rescindés pour cause
d'erreur de droit, alors que celle-ci est la cause principale de réformation des
jugements (voy. BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 1290; GUILLOUARD, n° 94).
(141) Sur le point de savoir si la transaction peut être résolue pour inexécution,
voy. t. II. Disons, en bref, qu'elle peut l'être par application d'un pacte commis-
soire exprès mais que l'application du pacte commissoire tacite est vivement discu-
tée (voy. M. GEVERS et J. DE GAVRE, Chron. de jurisprudence sur • les contrats
spéciaux », in Rev. crit. jur. belge, 1965, p. 248, n° 96).
(142) Voy. supra, n°• 50 et s.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 131

Et cette élimination définitive se réalise grace à la même


arme : on enseigne - et nous y reviendrons (143) - que l'excep-
tio rei judicatae et l' exceptio litis per transactionem finitae sont
de nature analogue, avec cette conséquence qu'on appliquera
à la transaction les règles et conditions de l'article 1351 du Code
civil, sous réserve cependant d'une recherche et d'une interpré-
tation préalables de la volonté réelle des cotransigeants en tant
qu'agent révélateur de ]'étendue de leurs renonciations respec-
tives (arg. art. 2048 à 2050 du Code civiJ).
Mais ce qu'il est essentiel de souligner, c'est que l'autorité
de chose jugée et l'effet extinctif qui s'attachent aux deux
actes sont obtenus par des techniques fondamentalement diffé-
rentes : d'une part, un accord de volonté autonome qui réalise
sa fin par des concessions réciproques; d'autre part, un acte
du juge, dépositaire d'une parcelle de l'autorité publique, qui
met fin au litige en confrontant les prétentions subjectives
des parties avec un système de règles positives préétablies.

90. La transaction judiciaire. Renvoi. Il est parfois très


diflicile de relever les différences essentielles que nous venons de
rappeler lorsqu'on se trouve en présence d'un acte hybride
qui assure l'extinction du litige par l'intervention conjuguée
de la volonté des parties et de leur juge.
Quels sont la nature, Ie régime juridique et les effets d'un
tel acte ? Est-il une pure transaction, un pur jugement ou un
acte mixte soumis aux règles de l'une et de J'autre 1
Le problème, on le voit, est assez semblable dans son prin-
cipe à celui de la transaction-partage: il touche ici aux domaines
des jugements d'expédient, des procès-verbaux de conciliation
judiciaire, des jugements d'homologation.
Nous nous bornons ici à poser ce problème : nous lui consa-
crons en effet une partie distincte de eet ouvrage (144).

§ 8. - Transaction pénale et fiscale.

91. La notion de transaction est fréquemment utilisée dans


des domaines très particuliers du droit pénal ou du droit fiscal
pour désigner des institutions juridiques qui n'ont parfois que

(143) Voy. t. II.


(144.) Voy.t. II.
132 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Ie nom en commun avec la transaction de droit civil dont parle


l'article 2044 du Code civil.
Le cas de la << transaction » pénale est caractéristique à eet
égard puisqu'on s'accorde à y voir une institution sui generis
de la procédure pénale, étrangère au droit civil.
La question est étudiée au chapitre consacré à l'objet de la
transaction (145). Le lecteur voudra bien s'y reporter.

§ 9. - Transaction et concordat.

92. On sait qu'il existe en Belgique une doctrine très autorisée


suivant laquelle Ie concordat judiciaire ou préventif, comme
d'ailleurs aussi Ie concordat après faillite, n'est pas une conven-
tion entre Ie débiteur et ses créanciers, au motif principal qu'un
contrat ne peut se former sans Ie consentement de tous ceux
qu'il oblige, tandis que Ie concordat s'établit par la décision
de la majorité des créanciers et devient obligatoire pour tous
si Ie tribunal l'approuve (146).
Dans cette conception - que nous croyons exacte - Ie
concordat est une institution originale du droit commercial
et il importe peu qu'elle ait ou non une nature ou des effets
transactionnels, dès !'instant ou elle est dotée d'une réglementa-
tion spécifique.
Mais il est vrai que cette opinion n'est pas unanime : en
Belgique (147), et en France (148), la nature contractuelle du
concordat est souvent défendue. Le concordat, dit-on, tire sa
force de la volonté des parties, et il est soumis aux règles ordi-
naires des conventions sur les points à propos desquels la
loi sur les faillites ne déroge pas au droit commun des
contrats.
Dès Jors, en supposant que Ie concordat puisse être regardé
comme une convention, cette convention est-elle transaction-
nelle?

(145) Voy. ei-après, n°• 250 et s.


(146) VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV (éd. 1965),
n°• 2840 et 2905.
(147) FREDERICQ, t. VII, n° 758; A. ÜLOQUET, « La faillite et les concordats »,
in LES NOVELLES, Droit commercial, t. IV, n° 1799; Rép. prat. dr. beige, v° Con-
cordat judiciaire (Compl. t. Il), n°• 4 ets.; cass., 5 février 1903, Pas., 1903, I, 102.
(148) Voy. les références données par VAN RYN et HEENEN, ainsi que par
A. ÜLOQUET, op.cit., ibid. Adde, L. BOYER, op.cit., p. 130, note 1, et Dalloz: Encycl.
dr. civil, v 0 Transaction, n° 33.
TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES VOISINS 133

La réponse à cette question, qui peut être d'un intérêt pra-


tique dans Ie domaine de la capacité et des pouvoirs, nous
paraît devoir être négative (149).
En effet, l'admission de la créance au cours de la procédure
en obtention du concordat judiciaire n'a pas pour effet de vider
la contestation au fond, puisque aux termes de l'article 22 des
lois coordonnées sur Ie concordat judiciaire « la décision du
tribunal en ce qui concerne les créances contestées, ne portera
pas sur Ie fond de la contestation, mais uniquement sur l'admis-
sion des créanciers contestés pour la totalité ou pour partie
de leurs créances dans les délibérations pour la formation du
concordat ».
Par conséquent, Je litige et les discussions ultérieures sur Ie
montant de la créance ne sont pas définitivement éteints (150).
On aperçoit mal en outre quelles sont les concessions faites par
Ie débiteur qui bénéficie du concordat.
Enfin, si les propositions concordataires sont acceptées, il
paraît plus exact de parler, suivant la nature desdites proposi-
tions, soit de renonciation ou de remise de dette, comme Je fait
en général la doctrine italienne (151), soit de concession de délais
de paiement.
Mais dans l'un et l'autre cas la transaction est exclue : on
peut donc en déduire que Ie tuteur peut voter au concordat
sans respecter l'article 467 du Code civil et Ie curateur sans se
soumettre aux dispositions de l'article 492 de la loi sur les fail-
lites (152).
La solution n'est guère différente lorsqu'il s'agit d'un con-
cordat après faillite. On cherche en vain en quoi la créance
serait encore douteuse, alors qu'elle a été définitivement et
irrévocablement admise au passif par Ie jugement dont parle
l'article 504 de la loi sur les faillites. S'il n'y a plus de doute,
il n'y a plus de litige et, dès lors, pas de transaction conceva-

(149) Contra : L. BoYER, op. cit., ibid.


(150) VAN RYN, op. cit., n° 2032; comp. art. 29; voy. aussi Gand, 13 juillct
1808, Pand. pér., n° 1638.
(151) BUTERA, Della transazione, n° 3(); voy. aussi les auteurs cités par L. BoYER,
op. cit., ibid.; VAN RYN et HEENEN' op. cit., n ° 2904.
(152) Dans ce sens, LES NOVELLES, Droit commercial, t. IV, n° 590; Rép. prat.
dr. belge, v° Concordat judiciaire, Compl. t. II, n° 284; FREDERICQ, t. VIII, n° 685;
voy. aussi en faveur du caractère non transactionnel du concordat : cass. fr.,
18 juillet 1843 (Dalloz, Jurispr. gén., v 0 Minorité, n° 541).
134 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

ble (153). De plus, on aperçoit mal, à nouveau, quelles sont les


concessions faites par un concordataire qui est remis à Ja tête
de ses affaires et recouvre Je droit de disposer librement de ses
biens ...

(153) LEs NOVELLES, op. cit., n°• 1734 et 1822; Liège, 7 janvier 1903, Pas.,
1903, II, 234, qui déclare expressément, pour écarter l'application de l'article 492
de la loi sur les faillites, que Ie concordat n'est pas une transaction, s'il ne comporte
aucune contestation ou renonciation à des sûretés.
TITRE II.
CONDITIONS DE VALIDITÉ
DE LA TRANSACTION.

93. Indépendan;i.ment des éléments constitutifs propres à ce


contrat, la transaction, comme toute autre convention, doit
satisfaire aux conditions de validité de droit commun prescrites
par l'article 1108 du Code civil : le consentement de la partie
qui s'oblige, la capacité de contracter, l'objet et la cause.
Nous nous proposons, dans les chapitres qui suivent, de pré-
ciser ces conditions de validité dans Je cadre spécifique de la
transaction, ce qui n'exclura pas, en maintes occasions, une
référence pure et simple au droit commun des obligations et des
contrats.

CHAPITRE PREMIER.

Le consentement.

§ 1 er. - Généralités.

94. La transaction est un contrat consensuel qui se forme par


!'échange des consentements, lequel lie les parties dès Ie moment
de eet échange.
C'est au juge du fond qu'il appartient de dire quand l'accord
des parties a été complètement acquis.
La simple offre faite (1), ou Ie projet de transaction remis
par l'un des colitigants à l'autre ne suffit évidemment pas à
faire naître Je contrat; en J'occurrence d'ailleurs, une grande
circonspection est de mise, car la transaction qui implique des
concessions réciproques et des renonciations, ne peut se pré-
sumer aisément (2).
Planio] et Ripert donnent l'exemple de la victime d'un délit

(1) Voy. Jes observations de R. SAVATIER in Rev. tr. dr. civ., 1935, p. 180.
(2) PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1570; Dalloz : Encycl. dr. civil,
v 0 Transaction, par L. BoYER, n° 47.
136 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

correctionnel qui reçoit, de la personne responsable, une cer-


taine somme sous enveloppe fermée, avec recommandation
de n'en pas parler et qui remercie : ce comportement n'emporte
pas nécessairement, de la part de cette victime, transaction
sur Jes conséquences civiles du délit (3). Cela va de soi.
L'article 1109 du Code civil aurait assurément suffit à rappe-
Ier qu'une transaction n'est pas valablement conclue si Je con-
sentement de la partie qui s'oblige a été donné par erreur ou
s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.
La disposition de l'article 2053 du Code civil suivant laquelle
une << transaction peut être rescindée lorsqu'il y a erreur dans
la personne ou sur l'objet de Ja contestation ... » ainsi que ...
« dans tous les cas ou il y a dol ou violence >> est donc surabon-
dante (4). Même constatation en ce qui concerne l'article 2052,
alinéa 2, en tant qu'il décide que la transaction ne peut être
attaquée pour cause de Jésion, puisqu'en effet la lésion n'est
une cause de rescision entre majeurs que lorsque la loi Je dit
(C. civ., art. 1118; voy. in/ra, n° 97).
Sans doute, cette redondance a-t-e11e une explication histo-
rique : !'ancien droit n'admettait que Je dol personneJ ou J'erreur
de calcuJ comme vices du consentement, partant de cette idée
que la transaction doit être le plus stabJe des contrats (5);
Jes auteurs du Code civil, tout en respectant cette idée de base,
ont cependant voulu souligner que Ja transaction est soumise
aux règles du droit commun relatives au consentement, sauf
Jes exceptions spécifiques à ce contrat, dont la plus remarquable
est assurément ceJle qui résulte de l'article 2052, alinéa 2, en
tant qu'il traite de l' erreur de droit.
Nous verrons ei-après quelques applications des notions de
dol et de violence dans le domaine de la transaction.
Quant à l'erreur, à laquel1e le titre XV du Code civiJ consacre
de nombreuses dispositions, souvent jugées inutiles, nous trai-
teron3 de ce vice du consentement au titre consacré aux « Nul-
lités et autres modes d'extinction de la transaction », suivant
en cela la méthode d'exposé classique (6).

(3) Trib. Rennes, 17 février 1905, D., 1906, R., 79, cité par PLANIOL et RIPERT,
op. cit., ibid., note 4.
(4) Voy. Liège, 29 mars 1962, Pas., 1962, II, 262.
(5) ARG0U, liv. IV, chap. X (II, p. 460), cité par BAUDRY-LACANTINERIE et
WAHL, t. XXI, n° 1242.
(6) Voy. t. II.
CONSENTEMENT DES PARTIES 137

La lésion enfin ne retiendra J'attention que pour rappeler


qu'elle n'est pas, en principe, une cause de rescision de la tran-
saction.
§ 2. - Dol et transaction.

95. La transaction est annulable du chef de dol de Ja même


manière et dans les mêmes conditions que tout autre contrat.
On connaît la définition classique du dol : « toute tromperie
commise dans Ja conclusion des actes juridiques » (7), ce qui
suppose la réunion d'un élément psychologique - l'intention
de tromper - et d'un élément matériel - les manreuvres,
mensonges et/ou réticences déterminants du consentement d'une
des parties (8).
Domat (9) affirmait déjà que Jes transactions ou l'un des
contractants a été engagé par Ie dol de l'autre, n'ont aucun effet.
« Ainsi celui qui par une transaction abandonne un droit qu'il
n'a pu soutenir, faute d'un titre retenu par la partie, rentrerait
dans son droit si cette vérité venait à paraître. Et il en serait
de même d'un héritier qui aurait transigé avec sou cohéritier
dont Ie dol lui aurait öté la connaissance des biens. >>
Beaucoup plus près de nous, la Cour de cassation a affirmé
dans un arrêt du 5 février 1945 (10) « qu'un acte, fût-il une
transaction au sens de l'article 2044 du Code civil, n'en serait
pas moins entaché de nullité ... >> s'il ressort clairement de la
décision du juge du fond « ... que Ie consentement de la partie
civile a été vicié par dol, cause de nullité prévue par la loi ... >> (11).

(7) Voy. notamment DE PAGE, t. Jer (éd. 1962), n° 48, qui emprunte lui-même
la définition à Planiol. Voy. aussi Ie dol, en général : Dalloz : Encycl. dr. civil,
v 0 Dol, par J". BOULANGER; LES NOVELLES, Droit civil, t. IV, n°• 847 et s.; LUI-
PENS et KRUITHOF, « Examen de jurisprudence. - Les obligations », in Rev. crit.
jur. beige, 1964, p. 486 et s.
(8) Voy. notamment en ce qui concerne Ie caractère déterminant des manreu-
vres dolosives en matière de bail, l'arrêt de la Cour de cassation de France du
23 février 1961 ( Gaz. du pal., 1962, table, v 0 Bail, n° 16); voy. aussi mutatis mu-
tandis, en matière de transaction, l'arrêt rendu, dans les termes du droit maro-
cain, par la Cour de R::tbat Ie 8 janvier 1935, décision rapportée et commentée
par H. Vrzroz, in Rev. trim. dr. civ., 1936, p. 287. On rappelle ici que les manreu-
vres dolosives peuvent être passives et consister, par exemple, en un silence ou
une abstention trompeurs (G. GHEYBEN, v 0 Dading, in A. P. R., n° 355 avec les
références, notamment Lyon, 28 novembre 1930, Sirey, 1932, II, 207 avec la
note HODIÈRE),
(9) Lois civiles, liv. I, tit. XIII, sect. II, n° 1.
(10) Pas., 1945, I, 104 (plus spécialement p. 106, col. 1 et 2).
(11) Voy. Je recours à la notion de dol dans les transactions souscrites entre
les victimes d'accident et les assureurs ou responsables, in : Bruxelles, 10 juillet
138 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Mais, si l'on veut éviter que, contrairement à son hut même,


la transaction devienne une source de procès, il importe aux
tribunaux d'accueillir avec prudence la demande de nullité
et de ne retenir à l'appui de celle-ci que les manceuvres dolo-
sives nettement caractérisées et déterminantes, sans rechercher
si la transaction est plus avantageuse pour l'une des parties
que pour l'autre (12).
Au surplus Je dol ne se présume pas ; il doit être prouvé.

§ 3. - Violence et transaction.

96. Si l'article 2053, alinéa 2, du Code civil se borne à dire


que la transaction peut être rescindée pour cause de violence,
sans déroger aux dispositions des articles 1111 à 1115 du Code
civil, c'est évidemment parce que le droit commun institué
par ces articles s'applique purement et simplement (13).
On sait que dans la théorie générale de Ja violence celle-ci
n'est un vice du consentement que lorsqu'elle est injuste, c'est-à-
dire non motivée par l'exercice normal d'un droit et non fondée
sur le simple fait de rapports de subordination ou de dépendance
morale ou économique normaux (14).
« C'est pourquoi, disait déjà Pothier (15), un débiteur ne peut
jamais se pourvoir contre un contrat qu'il a fait avec son créan-
cier sous le seul prétexte qu'il a été intimidé par les menaces
que son créancier lui a faites d'exercer contre ]ui les contraintes
par corps qu'il avait droit d'exercer. »

1896, Pas., 1898, II, 55, et civ. Belley, 29 mars 1965, Dalloz-Sirey, 1965, Somm.,
p. 119. Voy. aussi Liège, 20 mars 1964, Jur. Liège, 1964-1965, p. 73 (cas d'une
quittance non transactionnelle viciée par dol).
(12) Dans ce sens, voy. civ. Seine, 7 janvier 1949, Gaz. du pal., 1940, I, 167,
et prudb. app. Bruxelles, 4 janvier 1938, Louage d'ouvr. 1!!38, p. 116.
(13) Sur la violence, en général, voy. DE PAGE, t. Jer (éd. 1962), n°• 58 et s.,
et Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Violence, par J. BOULANGER; LES NOVELLES, op.
cit., n°• 800 ets. Voy. l'application de l'article 1112, alinéa 1 er, in fine, au cas de
la transaction in civ. Seine, 25 juin 1955, La loi, 23 août 1955.
(14) DE PAGE, op.cit., n° 60, 4°, p. 75; trib. Bruxelles, 2 mai 1896, Pas., 1896,
III, 257, et 11 mars 1944, Bull. ass., 1944, 253, obs. (l'état de dénuement ou de
découragement qui n'est pas causé par Ie cocontractant ne peut fonder le grief
de violence). Voy. aussi cass. fr. civ., 19 juillet 1965 (Rev. gén. ass. terr., 1966,
p. 190) : eet arrêt confirme, après les juges du fond, que Ie fait de l'assureur qui
invoque à plusieurs reprises des causes justifiées de déchéance n'est pas illégitime
et, dès lors, constitutif de violence.
(15) Des obligations, n° 26.
CONSENTEl\IENT DES PARTIES 139

Les voies de droit normales ne peuvent donc jamais constituer


la violence morale qui vicie une transaction (16).
La jurisprudence, tant belge que française, a eu !'occasion
d'appliquer fort judicieusement ces principes dans Ie cas de
transactions souscrites par un débiteur sous Ie coup de pour-
suites soit pénales soit civiles ( 17).
C'est ainsi que par un arrêt du 14 juin 1828 (18), la Cour
d'appel de Bruxelles décidait que Ie seul fait qu'une transaction
ait été acceptée alors que l'un des colitigants était sous Ie
coup de poursuites pénale3 consécutives à une plainte en faux
déposée par l'autre partie, ne suffit pas pour établir la violence
dont parle la loi, d'abord « parce que rien ne prouverait que
cette dénonciation aurait été faite dans Ie dessein de contraindre
l'appelant à faire la transaction dont il s'agit au procès », ensuite
« parce que les poursuites d' office par un fonctionnaire public
ayant qualité à cette fin, étant des actes légaux, ne peuvent être
assimilés à des actes doleux ... qu'il résulterait du système de
l'appelant que toute transaction avec la partie civile par celui
qui serait poursuivi par Ie ministère public serait par cela seul
nulle, ce qui est inadmissible » (cf. C. civ., art. 2046).
Les mêmes principes sont affirmés dans les arrêts de la Cour
de cassation de :France des 17 août 1865 rt 19 février 1879 (19)
qui énoncent clairement qu'une poursuite criminelle ne peut
être considérée comme une violence illégitime.
Mais ces mêmes arrêts proclament, d'un même contexte, que
l'usage abusif ou malhonnête par l'un des cotransigeants, des
moyens que la loi civile ou pénale met à sa disposition vicie
la transaction soit pour cause de dol, soit pour cause de violence
morale.
Il en est ainsi, notamment :
lorsque par des combinaisons artificieuses du plaignant
dénaturant ou exagérant l'objet de la plainte, l'action publique

(16) Ainsi, Ie recours aux voies légales d'exécution (Liège, 8 février 1962, Pas.,
1963, Il, 142).
(17) Voy., outre les décisions citées ei-après, cass. fr., 19 janvier 1959 (Bull.,
cass., 1959, 111, 24) : l'arrêt relève expressément que la transaction a été acceptée
par crainte d'une condamnation mais que les mesures prises par l' Administration
douanière n'étaient pas illégales. Voy. aussi Louvain, 22 mars 1900 (Pas., 1900,
111, 202), et trib. Bruxelles, 9 decembre 1954 (Pa.s., 1956, 111, 50).
(18) Pas., 1828, p. 212.
(19) Sirey, 1865, 1, 39!J, et D., 187!J, 1, 445.
140 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

qu'il a mise en mouvement devient sous son impulsion un instru-


ment d'intimidation exploité par Ie plaignant à l'insu et malgré
Ja volonté des magistrats; nulle violence ne mérite d'être plus
sévèrement appréciée que celle qui, en trompant Ie juge, par-
vient à faire servir à ses mauvais desseins l'autorité instituée
dans l'intérêt de tous (arrêt précité du 17 août 1865).
Lorsqu'une action civile dont Ie but et l'effet étaient de
faire mettre indûment l'embargo sur un navire, a eu pour résul-
tat d'amener Ie capitaine à transiger pour éviter les inconvé-
nients de la durée de !'embargo; dans ce cas la violence procède
de l'exercice d'une action destinée à soutenir une prétention
injuste qui est ainsi devenu un moyen d'intimidation qui vicie
Ie libre consentement (arrêt du 19 février 1879).
Lorsque, par suite de la menace d'exécution d'un jugement
obtenu par dol et de Ja déclaration de faiJJite consécutive à ce
jugement, parties transigent sur l'exécution du jugement frau-
duleusement obtenu, Ie débiteur acceptant de payer une partie
des sommes prétendûment dues par lui, afin d'obtenir que sa
faillite soit rapportée (Bruxelles, 2 avril 1891, Pas., 1891, II,
414).
Il faut pröner l'application analogique de ces solutions, cha-
que fois qu'une transaction résulte de l'usage abusif, dolosif
ou frauduleux d'une voie de droit.

§ 4. - Lésion et transaction.

97. La lésion, nous l'avons déjà dit, ne se conçoit pas en ma-


tière de transaction, que ce soit entre majeurs ou mineurs.
A. Entre majeurs, en effet la combinaison des articles 2052,
alinéa 2, et 1118 du Code civil, empêche la rescision pour
lésion (20). Cette solution est d'ailleurs Jogique et se justifie, en
bon sens, par les motifs qui, au cours des travaux préparatoires,
furent énoncés par Bigot-Préameneu :
••• « Dans la transaction, tout était incertain avant que la volonté des
parties l'eiît réglé. Le droit était douteux, et on ne peut pas déterminer

(20) Solution constante en doctrine et en jurisprudence. Voy. notamment en


jurisprudence française récente : cass. fr., 28 mars 1955, Bull., cass., 1955, I, 122;
cass. fr., 13 février 1956, Bull., cass., 1956, III, 56, n° 66; Dijon, 19 avril 1932,
D. H., 1932, 372; Grenoble, 17 décembre 1952, D., 1953, 207. Voy. aussi Bruxelles,
15 décembre 1941, Rev. gén. ass. et resp., 1942, 3814,
CONSENTEMENT DES PARTIES 141

à quel point il était convenable à chacune des parties de réduire sa pré-


tention ou même de s'en désister » (21).

L. Boyer relève (22) que si la Iésion est exclue des causes de


rescision de la transaction, c'est pour des raisons identiques
à celles qui en ont fait exclure l'erreur de droit.
« Dans bien des hypothèses, en effet, la lésion apparaît comme n'étant
pas autre chose qu'une erreur sur le « quantum » du droit en litige ...
d'autre part, qui renonce à son droit d'action, renonce par là même à
faire apprécier judiciairement le montant du droit dont il prétend être
titulaire ... »

La règle de l'article 2052, alinéa 2, du Code civil est donc la


conséquence logique de l'idée selon laquelle les parties renon-
cent en transigeant à la connaissance juridictionnelle du droit
litigieux.
On a invoqué aussi, pour justifier l'exclusion de la Iésion, que
Ia transaction serait une « sorte de contrat aléatoire » (23).
Cette explication n'est pas exacte : s'il est vrai que la tran-
saction implique un « doute juridictionnel » (24), que Ie contrat
tend précisément à éliminer, il n'en reste pas moins commutatif
et la définition de l'article 1104 du Code civil n'est pas appli-
cable à la transaction, puisque la contrepartie obtenue et pro-
mise par chacun des litigants est ferme, du moins en prin-
cipe (25).
On a avancé aussi que l'article 888 du Code civil ferait excep-
tion à l'impossibilité d'obtenir Ja rescision pour lésion d'une
transaction.
Cette question a déjà été traitée, lorsque ont été étudiés les
rapports entre la transaction et Ie partage et la notion de transac-
tion-partage (26).
B. Entre mineurs ou entre mineurs et majeurs, la rescision
pour Iésion n'est pas davantage concevable.
Ou bien, en effet, l'acte est régulier quant à la forme (C. civ.,

(21) Exposé des motifs au corps législatif: FENET, XV, p. 109.


(22) La notion de transaction (Paris, 1947), p. 75.
(23) DE BEZ DE VILLARS, Le règlement amiable des indemnités dues à la suite
d'accidents corporels (Thèse, Aix, 1937, p. 113).
(24) L'expression est de CHAUMONT, « Esquisse d'une notion de !'acte juri-
dictionnel », Rev. dr. publ., 1942, p. 95 et s.
(25) Cf. supra, n° 3, c.
(26) Cf. supra, n°• 81 et s.
142 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

art. 467) et il est inattaquable comme s'il s'agissait d'un acte


entre majeurs ; ou bien, au contraire, l'acte est irrégulier et,
compte tenu des formalités imposées par l'article 467, il est
évidemment nul en la forme et non rescindable pour lésion. Cela
est vrai que l'incapable soit un mineur simple, sous tutelle ou
sous administration légale, ou un mineur émancipé.
Nous aurons !'occasion de revenir sur ces questions au cha-
pitre II du présent titre, consacré à la capacité de transiger.
CHAPITRE II.

Capacité et pouvoir.

SECTION PREMIÈRE.

DISTINCTION :
CAP ACITÉ ET POUVOIR DE TRANSIGER.

98. Il importe de reprendre ici la distinction que font tous


les auteurs entre la capacité et Ie pouvoir de transiger.
La capacité est l'aptitude à transiger valablement soi-même;
Ie pouvoir est l'aptitude à transiger valablement au nom d'au-
trui (1).
Rechercher si un mineur, un faible d'esprit ou un failli peut
transiger est une question de capacité. Rechercher si un manda-
taire peut transiger au nom de son mandant, un avocat au nom
de son client relève, au contraire, des questions de pouvoir.
Les NoveJles (2) opposent Ia capacité - qualité reconnue à
une personne de faire des actes juridiques en général - au
pouvoir défini comme étant la qualité reconnue à une personne
de faire des actes juridiques ayant pour objet tel bien déterminé
faisant partie de tel patrimoine : celui de l'auteur de l'acte ou
celui d'un tiers.
Cette définition est illustrée par Ja situation juridique actuelle
(et temporaire) de la femme mariée : l'article 214 nouveau
du Code civiJ en disposant in fine que Ie mariage ne modifie
pas la capacité civile des conjoints - sous réserve des pouvoirs
attribués aux époux au titre V du Iivre III - consacre Ja dis-
tinction fondamentale entre les deux notions. « La capacité
d'accomplir un acte juridique valable n'entraîne pas, de soi,
Ie pouvoir d'engager les biens matrimoniaux (3) ».

(1) DE PAGE, t. V, n° 492.


(2) Droit civil, t. IV, n° 2116.
(3) DE PAGE, t. I••, éd. 1962, p. 877, n° 723, 2°; cf. aussi, sur cette distinction,
les excellentes considérations de MARTY et RAYNAUD, Droit civil, t. J•• (1956),
p. 1016, et R. HouIN, Rev. trim. dr. civ., 1947, p. 383 et s.
144 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

La distinction est essentielle et traditionnelle, en toutes


matières.
Elle doit cependant être soulignée davantage dans Ie domaine
de la transaction, car, manifestement, l'article 2045 du Code
civil ne distingue pas, dans les exemples qu'il donne, les deux
ordres d'idées : l'alinéa 2 de eet article est révélateur à eet égard.
Il faut remarquer aussi que les grands traités de droit civil
étudient Ja matière qui nous occupe ici d'une façon fort géné-
rale, en renvoyant - ce qui se conçoit aisément - au droit
commun et aux lois particulières qui régissent la capacité et Ie
pouvoir en général.
En raison de l'importance pratique considérab]e des questions
de capacité et de pouvoir - singulièrement dans tout Ie conten-
tieux de l'assurance et de la responsabilité - nous croyons
opportun de nous y attacher davantage et d'étudier chaque
cas particulier, dans l'état actuel de la doctrine et de la juris-
prudence qui y sont relatives, même si, parfois, eet examen
conduit à un renvoi pur et simple au droit commun ou à une loi
spéciale.

SECTION II.

CAPACITÉ DE TRANSIGER.

§ ter. - Considérations générales.

À. SENS DE L'ARTICLE 2045, ALINÉA Ier.

99. L'articJe 2045, alinéa 1er, du Code civil énonce que :


« Pour transiger, il faut avoir Ia capacité de disposer des objets
compris dans la transaction ».
Ainsi donc, la transaction requiert non seulement Ja capacité
de s'obliger mais aussi la capacité de disposer.
La transaction, en effet, parce qu'elle comporte, essentielle-
ment, des abandons, des renonciations et des sacrifices réci-
proques est un acte de disposition ou d'aliénation. Qui transigit,
alienat: l'adage est exact et remonte à Ia tradition romaine (4).
Est-ce à dire que la voie de la transaction serait expressément

(4) Cf. sur la transaction - acte d'aliénation - en droit romain, BoNFILS, Des
transactions en droit romain et en droit français, thèse, Toulouse, 1863, p. 13, n° 9.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 145

fermée à quiconque n'a pas la capacité pleine et entière de


disposer, au mineur émancipé par exemple î
NulJement. La loi n'exige la capacité de disposer que rela-
tivement « aux objets compris dans la transaction » et non la
capacité de disposer, sans plus.
La différence est importante.
La transaction n'est interdite aux incapables qu'en fonction
de la nature du droit litigieux sur lequel on transige et de l'objet
des obligations réciproques; « qu'en fonction de la matière
à laquelle la transaction s'applique » (5).
Cette interprétation littérale de l'article 2045, alinéa 1 er, du
Code civil est constante (6) et conforme à la volonté du législa-
teur:
« La capacité nécessaire pour transiger est relative à l'objet de la
transaction. Ainsi Ie mineur émancipé pourra transiger sur les objets
d'administration qui lui sont confiés et aur ceux dont il a la diapoaition » (7).

L'exposé des motifs pose donc clairement la règle et en tire


les conséquences : sous certaines conditions, un mineur éman-
cipé pourra, par exemple, transiger valablement seul dans un
litige relatif à un bail de moins de 9 ans, parce que cette matière
est de celles à l'égard desquelles il est capable (C. civ., art. 481) (8).
Le principe de la capacité appréciée suivant l'objet, consacré
par l'article 2045, alinéa 2, du Code civil, connaît, cependant,
des exceptions chaque fois qu'une disposition légale spéciale
enlève totalement à un incapable Ie droit de transiger seul, même
dans la sphère restreinte de sa capacité : c'est Ie cas du mineur
non émancipé (art. 467) et du prodigue (C. civ., art. 513). Autre-
ment dit, il résulte certainement de l'article 2045, alinéa 2, que
toute personne qui ne peut disposer à titre onéreux des objets
compris dans la transaction, ne peut transiger; mais il n'en
résulte pas nécessairement que toute personne qui a ce droit
de disposition puisse transiger.

(5) L'expression est de DE PAGE, t. V, n° 493.


(6) Cf. DE PAGE, ibid.; AUBRY et RAu, t. VI (6• éd. par ESMEIN), § 420, p. 245;
BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1227; LAURENT, t. v, n° 96; DEK·
KERS, t. Il, n° 1320.
(7) Exposé des motifs par BmoT-PRÉAMENEU (LOCRÉ, éd. fr., t. XV, p. 417,
n° 3).
(8) Cf. sur ces questions et sur l'étendue exacte de la capacité du mineur éman-
cipé, infra, n °• 117 et s.
DE GAVRE, Oontrat de transaotion. - 10
146 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

100. Suite. Il importe encore de souligner ici, avec force, que


la capacité relative de disposer, requise par l'article 2045, alinéa 2,
est celle d'aliéner à titre onéreux et non à titre gratuit (9) : la
transaction étant un contrat à titre onéreux, à base de conces-
sions réciproques et corrélatives, on voit mal comment et pour-
quoi Ie contractant devrait être capable de disposer à titre
gratuit.
Un ancien auteur (10) a cependant soutenu cette thèse en se
référant aux articles 457 et 467 du Code civil.

« Un tuteur peut disposer des droits mobiliers (art. 457) et il ne peut


transiger sur ces mêmes droits sans observer certaines formalités (art. 467) ;
donc il ne suffit pas, pour transiger, d'être capable de disposer à titre
onéreux."

Cette théorie porte à faux et illustre, ab absurdo, l'importance


de la distinction qu'il y a lieu de faire entre la capacité et Ie
pouvoir de transiger (cf. ci-dessus, n° 98).
Mourlon, en effet, veut réaliser une démonstration dans le
domaine de la capacité mais il l'étaye par un argument tiré
des pouvoirs accordés par la loi à un mandataire légal : le tuteur.
Il n'y a rien d'étonnant que la loi permette à un administrateur
des biens d'autrui d'accomplir certains actes et lui en interdise
d'autres : on ne saurait en conclure, d'une façon générale, que
celui qui est capable d'aliéner seulement à titre onéreux, est
incapable de transiger.
L'exemple du tuteur est d'ailleurs singulièrement mal choisi :
il ne peut jamais faire des libéralités sur un objet, litigieux ou
non, appartenant au mineur et pourtant il peut transiger dans
les conditions de l'article 467 du Code civil.
La capacité de transiger existe donc indépendamment de
celle de donner gratuitement et Ie cas du mineur émancipé le
confirme : toute libéralité lui est interdite mais il peut transiger
soit en respectant les formalités de l'article 467 du Code civil,
soit seul, dans des cas exceptionnels il est vrai (cf. infra,
nos 127 et s.).

BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op.cit., ibid.; LAURENT,


(9) Cf. dans ce sens:
t. XXVIII, n° 335;
KLUYSKENB, t. IV, n° 568; Huc, t. XII, n° 285; PONT, t. II,
n° 510; GuILLOUARD, op. cit., n° 34.
(10) MOURLON, Répétitions écrites du Code Napoléon, t. 111, p. 422.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 147·

En réalité, lorsque l'article 2045, alinéa 1er, parle de disposer,


il vise Jes aliénations à titre onéreux, les seules qui, sauf Ie cas
de donations indirectes ou déguisées sous forme de transactions,
se conçoivent dans Ie cadre de notre contrat, essentiellement
à titre onéreux, puisqu'à base de sacrifices et concessions réci-
proques.
Il est bien certain, d'autre part, que si la loi avait exigé pour
la transaction, acte à titre onéreux, la capacité de disposer à
titre gratuit, elle aurait assurément pris Ie soin de Ie dire
expressément, comme elle l'a fait pour Ie compromis (C. civ.,
art. 1003).

B. - SANCTION DU DÉFAUT DE CAPACITÉ


ET DE POUVOIR : RÈGLES GÉNÉRALES.

101. En principe, la sanction du défaut de capacité est la


nullité relative de l'acte accompli par l'incapable.
Bien qu'en règle générale, la sanction du défaut de pouvoir
soit l'inopposabilité de l'acte à l'égard de la personne prétendû-
ment représentée (11), cette sanction est également la nullité
relative lorsqu'un acte est accompli sans pouvoir par un repré-
sentant légal d'un incapable investi d'un mandat général, tel
Ie tuteur. « A raison de ce caractère du mandat, l'incapable est
censé avoir toujours été partie à l'acte accompli par son repré-
sentant légal » (12).
Ce n'est, on Ie voit, que l'application du droit commun.
C'est également en vertu de celui-ci que la nullité relative de
la transaction pourra être demandée non seulement par l'inca-
pable ou ses héritiers mais aussi par Ie représentant légal, auteur
de l'acte incriminé.
Nous reviendrons plus précisément à ces principes lors de
!'examen des différents cas d'incapacité dus à l'àge.

(11) BAUDRY-LACANTINERIE, t. XXI, n° 1241; DE PAGE, t. Il (éd. 1964),


n° 788, et t. V, n° 492.
(12) DE PAGE, t. V, ibid.; LES NOVELLES, t. IV, Droit civil, n°• 2436 et 2437 :
« Le mineur se trouve engagé nonobstant son incapacité; eet engagement a été
souscrit en violation du régime de protection institué par la loi et Ie vice qui !'in-
fecte est en tout point comparable à celui qui infecte l'acte accompli par l'inca-
pable lui-même, en violation de son incapacité.•. La sanction sera donc la même
dans les deux hypothèses: Ie contrat sera annulable » (n° 2437, in fine).
148 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

§ 2. - Cas d'application.

102. Plan et avertissement. Nous grouperons, dans les numéros


qui suivent, les causes d'incapacité suivant les critères tra-
ditionnels : incapacités protectrices et générales dues à l'dge,
ou à une infirmité mentale; incapacités spéciales de transiger;
incapacités-sanctions et incapacités de droit public, pour ter-
miner enfin par !'examen du cas particulier de la femme mariée,
rattaché, conformément à la tradition, aux règles de capacité.
Nous traiterons également, en même temps que des incapa-
cités, des pouvoirs de transiger que la Joi donne aux personnes
chargées de représenter les incapables ou de les assister.
Normalement, !'examen de ces pouvoirs aurait dû trouver
sa place sous Ie titre distinct que nous consacrerons au « Pou-
voir de transiger » en général; nous pensons cependant qu'il
est plus pratique de rassembler ici deux études qui sont intime-
ment liées et qu'au demeurant les auteurs traitent traditionnelle-
ment de concert, sous Ie seul bénéfice de l'observation liminaire
que nous leur empruntons.

À. - lNCAPACITÉS PROTECTRICES DUES A L' AGE.

103. En règle générale, Ie mineur non émancipé ne peut


accomplir seul aucun acte juridique qu'il soit de disposition,
d'administration ou même de pure administration.
La transaction qu'un mineur d'àge accomplira seul sera donc
nulle en la forme : il s'agit d'une nullité protectrice, pour viola-
tion des formes prescrites par la loi, et la nullité est « en la
forme » puisque en régime de tutelle Ie tuteur n'aurait pas pu
accomplir l'acte seul.
QuelJes sont ces formes ? Elles diffèrent suivant que Ie mineur
a perdu l'un de ses auteurs ou que ceux-ci sont tous deux en
vie: dans le premier cas, c'est Ie régime de tutelle, dans Ie second
celui de l'administration légale.

I. Cas du mineur en tutelle.


104. Régime de l'article 467 du Code civil. Le mineur étant
incapable de transiger, Ie tuteur est seul habilité à Ie faire, en
sa qualité de représentant légal.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 149

Mais en raison du caractère particulier et complexe de la


transaction, de sa nature, des dangers qu'elle présente et des
effets importants qu'elle implique, l'article 467 du Code civil
auquel renvoie l'article 2045 subordonne l'action du tuteur,
dans ce domaine, à une triple formalité (13) :
l'avis de trois jurisconsultes désignés par Ie procureur du roi;
l'autorisation du conseil de famille;
l'homologation par Ie tribunal.
Le système légal est donc celui d'une protection singulière
ment renforcée. Et de surcroît tout à fait générale : l'article 467
s'applique à toutes les transactions que l'objet en soit immo-
bilier ou mobilier (14). Une telle étendue du système légal a
été critiquée de lege ferenda par M. De Page (15) qui estime
que Ie législateur devrait préciser une somme au-dessous de
laquelle, tant en matière mobilière qu'immobilière, la transac-
tion serait autorisée sous Ie seul controle du conseil de familie
et cela pour permettre la conclusion de transactions dans les
petits litiges mobiliers là ou, précisément, ce contrat peut être
Ie plus utile, en raison de l'importance des frais judiciaires. Mais
de lege lata il ne peut y avoir de discussion.
On sait que l'article 467 du Code civil a été modifié en France
par la loi du 14 décembre 1964 (16) :
« Le tuteur ne pourra transiger au nom du mineur qu'après

(13) « Tant de précautions écartent toute espèce de danger : elles subviennent


ainsi aux besoins de la société qui, en accordant une juste sollicitude aux mineurs,
doit aussi considérer les majeurs. Elles donnent enfin à l'administration du tuteur
son vrai complément. Que serait-ce en effet qu'un administrateur qui ne trouverait
pas dans la législation un moyen d'éviter un mauvais procès, ni de faire un arran-
gement utile? » (Exposé des motifs du titre « De la Minorité, de la Tutelle et de
l'Emancipation » fait par Berlier au Corps législatif Ie 25 ventöse an XI), LOCRÉ
(éd. Paris, 1827), t. VII, p. 238 et 239.
(14) PLANIOL et RIPERT, t. 1er, 2• éd. par SAVATIER, n° 584; BAUDRY-LACAN·
TINERIE, t. IV, n° 595; AUBRY et RAU, t. Jer par BARTIN, § 113, note 30, p. 709,
et t. I•r, 7• éd. par EsMEIN et PONSARD, § 113, note 49 avec les références; LES
NOVELLES, Droit civil, t. IV, n° 2205; DE PAGE, t. II, n° 203; ÜOLIN et ÜAPITANT,
t. I•r, n° 518; LAURENT, t. V, n° 96; DEMOLOMBE, t. VII, 747; BONFILS, op. cit.,
n° 182; Bourges, 25 novembre 1925, Sirey, 1925, II, 127 avec obs.
(15) DE PAGE, t. II, n° 203; cf. aussi M. GEVERS, La tutelle et l'administra-
tion légale. Essai de réforme, p. 120 avec les références de droit comparé reprises
en note 81 : il en résulte que dans aucun autre pays, en dehors de la France (avant
la réforme de 1964) et de la Belgique, n'existe un tel ensemble de formalités.
(16) Voy. sur cette loi nouvelle, en général, les commentaires de A. RouAsT
(Sem. jurid., 1965, D., 1917), P. ESMEIN ( Gaz. du pal., 1965, 1, D., 27), DURRY
et GOBERT (Rev. trim. dr. civ., 1966, p. 5); R. SAVATIER (Dalwz-Sirey, 1965, Chron.,
p. 51).
150 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

avoir fait approuver par Ie conseil de famille les clauses de la


transaction. »
Le nouveau régime supprime donc l'homologation du tribunal
et l'avis préalable des trois jurisconsultes (17).
Cela étant, les références de doctrine et de jurisprudence
françaises citées ei-après n'ont plus, en droit français, qu'un
intérêt transitoire, mais elles gardent toute leur valeur pour
nous puisqu'en Belgique l'article 467 n'a pas été modifié.
105. Avis des trois jurisconsultes. - Conditions. L'originalité
du mécanisme de l'article 467 du Code civil réside, assurément,
dans l'intervention de trois jurisconsultes dont il convient de
préciser Ie röle ainsi que les conditions et les modalités de leur
action.
1° Selon De Page ( 18) le Code parle de << jurisconsultes » parce
que l'Ordre des avocats, supprimé sous la Révolution, n'existait
plus en 1804, son rétablissement n'étant réalisé que par Ie décret
du 14 décembre 1810. Mais depuis cette date, poursuit !'auteur,
« les jurisconsultes sont des avocats inscrits au tableau de
l'Ordre ».
Cette conclusion, si elle correspond indiscutablement à un
usage très général, n'exprime cependant pas une vérité juridi-
que absolue.
En effet, l'article 467 ne s'opposerait nullement à ce que Ie
procureur du roi compétent (19) choisisse les jurisconsultes
parmi des professeurs, des notaires, d'anciens magistrats ou
des avoués : l'emploi du terme « jurisconsulte » Ie prouve. Si
Ie législateur avait entendu viser les seuls avocats, il aurait
parlé assurément de « défenseurs officieux » comme il l'a fait
à l'article 1597 du Code civil en matière de vente. En outre,
rien dans les travaux préparatoires du Code civil n'est de nature
à faire croire que les auteurs de l'article 467 auraient attaché

(17) M. M. Mazeaud (« Le nouveau régime d'incapacité des mineurs» in sup-


plément au t. I•r des Leçons de droit civil, n° 1298) regrettent cette dernière modi-
fication et estiment que l'avis d'au moins un jurisconsulte aurait dû être maintenu.
Ils confirment ainsi que, même dans la perspective d'une réforme aussi nova-
trice que souhaitée et nécessaire, la transaction reste un acte juridique exception-
nel qui appelle un système de protection particulier.
(18) Op.cit., ibid.; cf. aussi PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. I•r, 2• éd., n° 584;
BEUDANT, LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et BRETON, t. Illbis, 2• éd., n° 1646, ces
derniers auteurs exigeant même une ancienneté de 10 ans.
(19) Celui de !'arrondissement dans lequel la tutelle s'est ouverte.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 151

au mot « jurisconsu]te » un sens différent de son acception


normale et ordinaire : « celui qui est versé dans la science du
droit ou qui fait profession de donner des conseils sur cette
science » (DAL., Rép., v 0 Jurisconsulte). Il n'en demeure pas
moins que l'avis prévu par l'article 467 du Code civil étant
essentiellement celui d'experts chargés d'éclairer Ie conseil de
familie sur les chances de gain et de perte d'un procès, Ie pro-
cureur du roi choisira Ie plus souvent ces experts parmi les
avocats qui sont, par excellence, les praticiens du droit (20).
C'est en faveur de la liberté du choix que la Cour de cassation
s'est prononcée, sans équivoque, Ie 3 décembre 1848 (21).
Il s'agissait de savoir si un avoué pouvait être désigné comme
jurisconsulte au sens de l'article 467 du Code civil.
Le tribunal civil d'Arlon et la Cour de Liège ne l'avaient
pas admis.
La Cour de cassation infirme ces décisions, quant au principe,
« parce qu'un avoué peut être licencié en droit et jurisconsulte
instruit » mais constate, d'autre part, comme Je juge du fond,
qu'en l'espèce Ie concours de l'avoué a été préjudiciable au
mineur, parce qu'ayant déjà occupé en la cause, il ne pouvait
se trouver dans les conditions d'indépendance et de désinté-
ressement nécessaires pour émettre un avis dans une affaire
de cette importance. La Cour confirme, pour cette raison, Ie
bien-fondé de la décision d'annulation rendue par Ie juge du
fond.
Cet arrêt est précieux, en ce qu'il affirme, en droit, que Ie
choix du procureur du roi n'est pas restreint aux seuls avocats
et a fortiori à une catégorie d'avocats tandis qu'il souJigne,
d'autre part, la nécessité pour les jurisconsultes de se trouver,
en fait, dans une situation de totale indépendance à l'égard
des parties.
On soulignera cette même nécessité en ce qui concerne les
avocats choisis : elle va évidemment de soi et résulte des prin-
cipes de délicatesse et d'indépendance qui sont les fondements
de l'Ordre.

(20) Cf. SERVAIS, Rev. dr. belge, t. rer, 1886-1890, p. 696; ACCARIAS, op. cit.,
n° 104, p. 220; il faut cependant souligner ici qu'à Bruxelles il est aussi d'usage
que les jurisconsultes soient choisis par Ie Parquet parmi les professeurs d'Uni-
versité.
(21) Pas., 1848, I, 239 mais plus spécialement p. 242.
152 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

On ajoutera encore, à leur égard, qu'il n'est nullement requis


par l'article 467 du Code civil que l'avocat-jurisconsulte ait au
moins dix ans d'ancienneté dans la profession (22). Cette ancien-
neté n'est exigée qu'en matière de requête civile (C. proc. civ.,
art. 495) et ce n'est donc que par un usage que la règle est com-
munément étendue en matière de transaction.

106. 2° Il se conçoit aussi que les jurisconsultes ne peuvent


être clwisis parmi les membres du conseil de famille et récipro-
quement.
Il y a là, assurément, une cause d'incompatibilité : la loi a
voulu multiplier les précautions dans une matière délicate.
Son hut ne serait pas atteint si une même personne pouvait
réunir, en son chef, à des titres différents, plusieurs des róles
protecteurs imaginés par la loi. On ne peut à la fois conseiller
et être conseillé.
Quid si cette incompatibilité n'est pas respectée et qu'un
des jurisconsultes intervient dans la procédure à un double
titre 1
La majorité formée par deux des jurisconsultes suffit-elle
et couvre-t-elle l'irrégularité î
L'affirmative a été soutenue par une certaine jurispru-
dence (23).
A tort, pensons-nous. L'avis valablement donné par deux
des trois jurisconsultes seulement conduit à dire que la formalité
a été omise puisque la loi exige l'intervention de trois juris-
consultes (24). L'irrégularité est équivalente à l'omission de la
formalité. Elle ne peut être couverte, fût-ce même par Ie juge-
ment d'homologation.

107. 3° L'avis des trois jurisconsultes doit-il obligatoirement


précéder la délibération du conseil de famille ?
Logiquement oui, puisque l'avis des jurisconsultes se justi-

(22) Cf. dans ce sens : DE PAGE, t. II, n° 203; appel Fort-de-France, 13 avril
1950, J. C. P., 1951, II, 5989, approuvé en note par R. RomÈRE.
Contra : BEUDANT, LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et BRETON, t. Illbis, n° 1646.
(23) Cf. l'arrêt précité de la cour de Fort-de-France du 13 avril 1950 critiqué
sur ce point par RoDIÈRE, note précitée, et cassé par cass., civ., 12 mai 1953,
J. C. P., 1953, II, 7740 avec la note RoDIÈRE; Sirey, 1954, I, 75 avec la note de
jurisprudence.
(24) Cass. fr., civ., 12 mai 1953, J. C. P., 1953, II, 7740; RoDIÈRE, notes pré-
citées J. C. P., 1951 et 1953; LAGARDE, obs. Rev. trim. dr. civ., 1951, p. 68, et
1953, p. 521.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 153

fie principalement dans la mesure ou il peut éclairer Ie conseil


de famille dont la délibération doit nécessairement lui être
postérieure si l'on veut qu'il décide en parfaite connaissance de
cause.
La pratique notariale, en France surtout, a cependant parfois
créé un usage contraire : les notaires reculent devant les frais
d'une triple consultation s'ils n'ont, préalablement, l'assurance
que Ie conseil de familie approuvera Ie projet de transaction.
Cette pratique explique, semble-t-il, certains arrêts des juri-
dictions de fond françaises, qui décident que l' ordre chrono-
logique des formalités n'est pas prescrit à peine de nullité, Ie
juge du fond ayant Je pouvoir de rechercher si l'irrégularité
a causé préjudice au mineur (25).
La Cour de cassation de France, au contraire, s'en tient stric-
tement à l'ordre logique et rationnel des formalités (26).
Son dernier arrêt dans ce sens - celui du 2 juin 1955 (27) -
rappelle que les formalités de l'article 467 sont d'ordre public
et qu'il n'y a pas lieu de rechercher si, lorsqu'elles n'ont pas été
accomplies comme la loi Ie prescrit, les intérêts du mineur ont
ou non été sacrifiés.
La Cour se retranche donc derrière un strict formalisme que
d'aucuns jugent désuet (28) et contraire, tout à la fois, à !'esprit
de protection qui imprègne essentiellement la théorie des nulli-
tés en matière de minorité ainsi qu'à la tendance marquée par
I'ensemble de la procédure civile : « pas de nullité sans grief».
L'observation nous paraît exacte et digne d'inspirer des solu-
tions jurisprudentielles plus libérales, à condition qu'il s'agisse
de cas d'espèce semblables à ceux soumis à la Cour de cassa-
tion et à la Cour de Fort-de-France dans les arrêts précités des

(25) Montpellier, 19 mai 1934, D., 1936, II, 24; appel Fort-de-France, 13 avril
1950, précité; cf. dans ce sens : AccARIAs, op. cit., n° 104, p. 222 ; Grnouo, Etude
sur la tramaction, Thèse, Lyon, 1901, p. 34; DEMOLOMBE, t. VII, n° 746; PONT,
Les petits contrats, t. II, n° 553; LAGARDE, note Rev. trim. dr. civ., 1951, p. 69;
contra : les références citées ci-a près sub 26.
(26) Cass. fr., 13 mai 1922, Sirey, 1923, I, 132; 12 mai 1953, précité, avec les
notes RoDIÈRE et LAGARDE; cf. en doctrine, dans ce sens: DE PAGE, t. II, n° 203;
BAUDRY-LACANTINERIE, t. IV, n° 595, p. 611; PLANIOL et RIPERT, t. I•r, n° 584;
LAURENT, t. V, n° 96; Dalloz : Encycl. dr. civ., v 0 Transaction, n° 49; AccARIAB,
op. cit., n° 104, p. 222; P. WOUTERS, étude in Rev. dr. beige, 1911-1920, t. VI,
p. 348; GUILLOUARD, n° 38; Huc, t. III, p. 429, n° 448; AUBRY et RAU, t. Jer
(7• éd. par EsMEIN et PoNSARD), § 113, n° 448, texte et note 50.
(27) Sirey, 1955, I, 543; J. C. P., 1955, II, 8798.
(28) RoDIÈRE, notes J. C. P., 1951 et 1953, précitées; cette tendance perce
également chez DE PAGE, op. cit., n° 203.
154 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

2 juin 1955 et 13 avril 1950 : ces deux décisions révèlent, en


effet, que Jes jurisconsultes, Ie conseil de famiJle et Ie tribunal
avaient tous trois approuvé la transaction.
On voit mal, dès Jors, comment l'ordre chronologique, s'il
avait été respecté, aurait pu changer quelque chose à Ja déci-
sion finale ! (29).
Par contre, on ne saurait admettre que l'irrégularité formelle
soit couverte par Ie défaut de préjudice, lorsqu'en fait il y a eu
absence de la formalité ou irrégularité équivalente à pareille
absence : ce serait Ie cas, par exemple, d'un avis donné par
deux des jurisconsultes seulement (cf. supra, 2°, n° 106).
4° A quelles conditions de fond l'avis des jurisconsultes doit-il
satisfaire ?
Il importe essentiellement que Jes trois experts, chargés d'éclai-
rer le conseil de familie avant que celui-ci ne délibère, donnent
leur avis sur les chances de gain et de perte du procès et disent,
compte tenu des concessions que compte faire Je tuteur, si
« J'opération est ou non avantageuse pour le mineur».
C'est ce que la Cour de cassation de France a tenu à expli-
citer dans son arrêt précité du 12 mai 1953, qui casse l'arrêt
de la Cour de Fort-de-France du 13 avril 1950.
Comme Je fait justement observer M. Rodière, on retrouve à
la lumière de cette exigence de fond, la justification de la condi-
tion chronologique dont nous avons parlé : ce n'est pas le tri-
bunal qu'il faut éclairer en vue de son homologation, mais Ie
conseil de famille, en vue de sa délibération.
Sans vouloir apprécier Ie bien-fondé de l'avis des trois juris-
consultes, on sent, dans !'arrêt du 12 mai 1953, l'intention de
la Cour de cassation de rechercher cependant si l'avis des juris-
consultes était susceptible d'éclairer valablement Ie conseil de
familie. L'arrêt constate, en effet, qu'en l'espèce il n'en était
pas ainsi, l'avis ne répondant à aucune des exigences dictées
par la recherche de I'avantage du mineur.
5° L'avis des jurisconsultes doit-il être donné à l'unanimité?
L'affirmative est Ie plus souvent défendue. On considère
que les trois jurisconsultes ne forment pas une juridiction, un

(29) Cf. dans ce sens, DEMOLOMBE, Traité de la minorité, de la tutelle et de l'éman-


cipation, t. Jer, p. 746.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 155

corps constitué, et que, dès lors, une majorité ne peut suffire,


la loi exigeant l'avis de trois hommes spécialement compétents.
Sans doute les trois jurisconsultes ne forment-ils pas une
juridiction. Ils constituent, en réalité, un coJlège d'experts-
juristes.
Or n'est-il pas fréquent de voir, au terme d'une expertise,
un des trois experts désignés émettre une opinion différente de
celle des autres, sous forme d'une note de minorité ? Pourquoi
en serait-il autrement ici?
Il faut, au contraire, reconnaître que Ie partage de trois hommes
de l'art en deux opinions confrontées aidera et éclairera davan-
tage Ie conseil de famille qu'une unanimité forcée qui serait
faite de concessions intellectuelles réciproques.
Le hut de la loi semble donc atteint plus efficacement si 1'on
admet que Jes jurisconsultes peuvent avoir des avis différents,
sur l'opportunité de transiger.
L'opinion générale est cependant en sens contraire (30).
6° Le conseil de famille ne peut-il autoriser la transaction que
sur l' avis favorable des trois jurisconsultes ?
La discussion reste ouverte.
De Page (31) considère que ceux-ci ne sont que des experts
dont l'avis fournit au conseil de famille des éléments d'apprécia-
tion et d'investigation mais non des éléments de décision : s'il
en était autrement J'intervention du conseil de famille et du
tribunal deviendrait vaine. Selon J'éminent professeur, Ie con-
seil de famille pourrait donc passer outre à un avis défavorable
comme il pourrait, tout autant, ne pas s'estimer lié par un avis
favorable et refuser la transaction.
Cette analyse qui va à l'encontre, notamment, de ]'opinion
de Planiol et Ripert (32) ne nous paraît pas exacte. On peut,
en effet, retourner !'argument de M. De Page et se demander
à quoi servent les jurisconsultes si leur avis n'est pas suivi et

(30) Cf. BAUDRY-LACANTINERIE, t. IV, n° 595, p. 611 (avec une certaine hési-
tation cependant); LAURENT, t. V, n° 96; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. Ier,
n° 584; DEMOLOMBE, t. VII, n° 745; AccARIAS, op. cit., n° 104, p. 221.
(31) Op. cit., ibid.; dans Ie même sens : DE FREMINVILLE, De la min(}l'ité et de
la tutelle, t. II, n° 753; BoNFILS, op. cit., n° 180.
(32) Op. cit., t. I•r, n° 584; cf. dans Ie même sens : BAUDRY-LACANTINERIE,
CHENAUX et BoNNECARRÈRE, t. IV, p. 611, n° 595; LAURENT, t. V, n° 96; AccA-
RIAS, n° 104, p. 221; P. WOUTERS, étude précitée, p. 345-356; DEMOLOMBE,
t. VII, n° 745; AUBRY et RAU (7• éd. par ESMEIN et PONSARD), § 113, n° 448,
texte et note 51.
156 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

surtout comment Je refus de les écouter peut se conci]ier avec


Ja recherche de l'avantage du mineur que, précisément, seuls
ces hommes de l'art ont, dans la perspective du contrat à sou-
scrire, la possibilité d'apprécier exactement? C'est assurément
parce que la transaction est, comme la requête civile (C. proc.
civ., art. 495) une institution juridique exceptionneJle, complexe
et périlleuse, qu'il s'impose d'abord de s'en référer à l'avis de
ceux qui sont à même de juger de son opportunité, de son admis-
sibilité et de ses conséquences, et ensuite de s'incliner devant
eet avis.
Nous croyons pouvoir d'autant plus défendre ce point de vue
qu'il n'est nullement interdit au conseil de famille de mettre
des conditions à son autorisation, ce qui, dès lors, empêche que
son röle soit purement passif et vain.
Mais ce que le conseil de famille ne peut faire, c'est décider
que J'intérêt du mineur est de transiger a]ors que les vrais juges
de eet intérêt ont dit le contraire.
Toute autre solution nous paraît contraire à ]'esprit de la
loi laquelle, en instituant en matière de transaction, un organe
supplémentaire qu'on ne retrouve nulle part ai11eurs dans l'orga-
nisation tutélaire, a sans doute voulu conférer force obligatoire
à ses avis (33).
La question ne semb]e pas avoir été sou]evée en jurisprudence,
bien qu'à notre avis les arrêts précités de Ja Cour de cassation
de France qui prescrivent le strict respect chronologique des
formalités de l'article 467 du Code civil contiennent une appro-
bation implicite de Ja thèse que nous défendons : pourquoi, en
effet, exiger, d'une manière rigoureuse, que ]'avis des juris-
consultes précède Ja délibération du conseil de famille, si l' on
admet, par ailJeurs, que celui-ci puisse ne pas en tenir compte?

(33) L'opinion défendue au texte est expressément corroborée par la version


néerlandaise de l'article 467 du Code civil beige qui énonce :
« De voogd mag in naam van de minderjarige geen dadigen aangaan dan nadat
hij daartoe door de familieraad is gemachtigd en op gunstig advies (avis favorable)
van drie rechtsgeleerden, aangewezen door de procureur des konings bij de recht-
bank van eerste aanleg. »
Sans doute, l'article unique de la loi du 30 décembre 1061 dispose-t-il que « les
contestations basées sur la divergence des textes français et néerlandais sont
décidées d'après la volonté du législateur, déterminée suivant les règles ordinaires
d'interprétation, sans préeminence de l'un des textes sur l'autre ».
Mais, précisément, si l'on s'en réfère à la volonté implicite du législateur, c'est
au texte néerlandais qu'il convient, croyons-nous d'accorder la prééminence.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 157

L'ordre chronologique est de rigueur, en réalité, parce qu'on


ne veut pas que Ie conseil de famille puisse approuver un projet
de transaction avant d'avoir été éclairé par des hommes de
l'art, lesquels, par hypothèse, pourraient être hostiles à ce
projet.
Nous en avons ainsi terminé avec !'aspect le plus original
du mécanisme de protection institué par les articles 2045 et
467 du Code civil.

108. Homologation par le tribunal. Le projet de transaction


approuvé par les jurisconsultes, autorisé par le conseil de famille
doit encore être homologué par Ie tribunal.
Tant que cette homologation n'est pas acquise la transaction
demeure à I'état de projet et chacune des parties peut s'en
délier puisqu'elle n'est pas cc vaJable » (C. civ., art. 467).
Il paraît donc prudent, pour le tuteur, de faire stipuler expres-
sément par le colitigant qu'iJ se tient pour lié, dès avant
l'homologation de la transaction et, pour Je colitigant, de faire
promettre par Ie tuteur qu'iI remplira les formalités IégaJes.
Sans doute, ces engagements réciproques ne constituent-ils
pas la transaction, mais ils engendrent cependant des obligations
personnelles, susceptibles de se résoudre en dommages et inté-
rêts si elles ne sont pas exécutées.
Le tribunal compétent est évidemment Je tribunaI de première
instance du lieu de l'ouverture de la tutelle, quel que soit Ie
juge saisi du litige en raison de règles spéciales de compétence
et même si la transaction intervient en degré d'appel.
Le texte de I'article 467 est formeJ et ses exigences sont
claires.
En réalité, Ie Code civil, en réglementant Ja tutelle donne
à celle-ci un certain nombre d'organes, ayant chacun son röie
défini et indispensabJe : Je tribunaI civil est, comme Ie tuteur, Je
subrogé tuteur ou Ie conseil de famille, un de ses organes. Nulle
autre juridiction ne peut lui être substituée dans ce röie, sans
violer l'organisation légale de la tutelle (34).
En outre, pour ce qui est des transactions intervenues, en
degré d'appel, on ne voit pas pourquoi les parties opposantes

(34) Cf. note R. S. au D., 1949, Jur., 15!; contra : trib. paritaire de la Force,
12 décembre 1947 (ibid.), qui se déclare compétent pour homologuer une transac-
tion mettant fin à un litige de sa compétence exceptionnelle.
158 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

seraient privées du double degré de juridiction, ce qui arrive-


rait si la Cour d'appel avait compétence pour homologuer la
transaction (35).
Le tribunal statue en chambre du conseil (cf. C. civ., art. 458)
et sur les conclusions, conformes ou non, du ministère public
(C. civ., art. 467, et C. proc. civ., art. 83).
Il peut, suivant l'intérêt du mineur, accorder ou refuser
l'homologation.
L'acte qu'il est appelé à homologuer éventuellement, c'est
la transaction elle-même telle qu'elle a été soumise aux juris-
consultes et non, comme pour les autres contrats, la délibéra-
tion du conseil de famille qui précède la conclusion de Ia conven-
tion. Le texte de l'article 467, alinéa 2, du Code civil est très
clair à eet égard : Ie tribunal pourra donc exiger la production
de la transaction même et spécifier qu'elle ne pourra être modi-
fiée (36).
Peut-il, inversement, amender Ie projet de sa propre initia-
tive dans l'intérêt du mineur? Non, il ne peut, en principe,
qu'approuver ou refuser.
La décision du tribunal est-elle susceptible d'appel? : on
voudra bien se reporter, à ce propos, à I'article 889 du Code de
procédure civile qui admet l'appel d'une façon générale et aux
distinctions introduites dans l'interprétation de ce texte par
M. De Page (37).

109. Champ d'application des articles 2045, alinéa 2, et 467


du Code civil. Les formalités prescrites par les articles 2045
et 467 du Code civil s'imposent pour toutes les transactions
extra-judiciaires ou judiciaires (38), quels que soient la forme,
l'objet ou la nature de Ja convention.
Il ne faut donc pas distinguer suivant la nature mobilière
ou immobilière de la convention (cf. supra, n° 104); pas plus
qu'il n'est permis de soutenir que les dispositions envisagées
seraient inapplicables dans les hypothèses ou la transaction

(35) I'LANIOL, RIPERT et SAVATIER, t, I•r, n° 584.


(36) BAUDRY-LACANTINERIE, t, IV, n° 595, p. 611.
Le cas n'est pas unique, dans notre droit civil, d'une convention homologuée,
comme telle, par justice : voyez le contrat d'adoption (sur ce point précis, cf. DE
PAGE, t. I•r, 3• éd., n°• 1249, c, 1 °, et 1257).
(37) T. II (éd. 1964), n°• 125 et 129.
(38) Pour ce qui est des transactions judiciaires cf. t. II.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 159

serait susceptible d'être considérée, en fait, comme un acte


d'administration, celui-ci étant permis au tuteur sans autori-
sation. En réalité, la nature même de la transaction est incom-
patible avec la notion d'acte d'administration, qui se carac-
térise par le caractère courant et normal que présente un tel
acte dans la gestion du patrimoine pupillaire. Il est exclu que
la transaction puisse apparaître comme pareil acte normal et
courant (39).
La seule condition nécessaire mais suffisante pour l'applica-
tion de ces textes est donc l'existence d'un différend réel, de
quelque nature que ce soit, auquel les parties entendent mettre
fin par des concessions réciproques.
On rappellera, à ce propos, que les tribunaux ont Ie pouvoir
de rechercher la nature véritable d'une convention transac-
tionnelle dissimulée sous un autre acte, suivant les règles de
preuve relatives à la simulation et, en particulier, au moyen
d'une contre-lettre (40).

110. (Suite.) Sur le plan pratique, plusieurs conséquences


importantes découlent des conditions d'applicabilité des textes
précités :
1° L'exigence d'un différend réel empêche que l'article 467
puisse s'appliquer au cas d'un partage prétendûment mais non
réellement transactionnel.
Le procédé est fréquent : pour éviter les formalités de l'arti-
cle 466 du Code civil, encore plus lourdes et rigoureuses que
celles des articles 2045, alinéa 2, et 467 du Code civil, les indi-
visaires, parmi lesquels se trouvent des mineurs, simulent l'exis-
tence d'un litige entre eux et passent alors une transaction-
partage.
Cette manière de procéder est illégale (41).
Cependant, la jurisprudence française s'est montrée assez

(39) Cf. dans ce sens : SAVATIER, note D., 1949, Jur., 154; PLANIOL, RIPERT
et SAVATIER, t. Jer, n° 294; cf. aussi les développements consacrés à cette ques-
tion infra, n os 124 et s.
( 40) Cf. cass. fr., 25 octobre 1892, D. P., 1893, I, 17; cf. mutatis mutandis Ie
cas de la donation déguisée pour éluder des dispositions d'ordre public et sur la
preuve : Bruxelles, 12 janvier 1959, T. N., 1960, p. 13.
(41) PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. Jer, n°• 572 et 584; LES NOVELLES,
Droit civil, t. IV, n° 2206; voy. aussi supra, quant à la transaction-partage,
n°• 81 et s.
160 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

libérale dans l'appréciation du procédé, dès l'instant ou les


apparences ont été su:ffisamment respectées (42).
2° Puisque l'article 467 requiert l'existence d'une véritable
transaction faite de concessions réciproques, il en résulte que
ce texte n'est pas applicable lorsque la convention consacre
soit Ie triomphe complet du mineur soit, au contraire, un aveu,
un acquiescement ou un désistement de sa part.
On en arrive ainsi à cette conséquence assez paradoxale :
Je mineur ne peut s'assurer un succès transactionnel - donc
partiel - que moyennant les formalités que l'on sait, alors
qu'il n'a pas besoin de ces garanties pour reconnaître son échec
complet (43).
Le paradoxe est peut-être plus apparent que réel : « il est
sage de ne pas prolonger Ie débat sur une prétention que l'on
a reconnue non fondée, alors qu'il faut beaucoup de compétence
et de circonspection pour juger de la mesure dans laquelle il
y a avantage à sacrifier une partie d'un droit dont on continue
à a:ffirmer l 'existence » ( 44).
Les compagnies d'assurances font parfois usage du procédé
suivant, qui découle de cette conséquence : Ie défendeur au
procès - que ce soit Je mineur responsable ou !'auteur du dom-
mage qu'il a subi - s'incline devant la demande de la victime,
sur laquelle les parties se sont préalablement mises d'accord
par des concessions réciproques.
Certaines juridictions se montrent hostiles à cette manière
de procéder et a:ffirment qu'il y a transaction, l'acquiescement
ou Ie désistement n'étant va]ables, en tant que tels, que s'i]s
sont complets et absolus, c'est-à-dire s'ils excluent toute com-
pensation (45 ).

(42) Cass. fr., 5 décembre 1887, D., 1888, I, 241.


(43) Sur l'acquiescement en régime de tutelle, voy. E. JANSSENS, « Le tu teur
peut-il acquiescer à une action mobilière? •, in Rev. prat. not., 1962, p. 113.
(44) LES NOVELLES, Droil civil, t. IV, n° 2206.
(45) Cf. Montpellier, 25 novembre 1922, D., 1922, II, 95, cité par LEB NOVELLES,
t. IV, ibid., et PLANIOL et RIPERT, t. II, p. 621 : il s'agissait en l'espèce d'un juge-
ment allouant au mineur une rente viagère en réparation d'un dommage cor-
porel, décision qui avait été exécutée pendant 9 ans par le tuteur, bien que la
rente a!louée fût inférieure à la rente demandée. A la majorité du mineur, son
appel fut déclaré irrecevable, l'exécution volontaire du jugement étant assimilée
à une transaction et non à un acquiescement, en !'absence de signification régu-
Iière lui ayant fait acquérir l'autorité de la chose jugée. La transaction est donc
retenue plutöt que l'acquiescement parce que celui-ci n'est pas complet et absolu.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 161

La Cour d'appel de Bruxelles, par un arrêt du 28 janvier


1960 (46) a adopté - à juste titre croyons-nous - une position
plus souple : elle admet que l'accord des parties sur Ie montant
de dommages et intérêts puisse constituer le simple aveu de sou
exactitude, aveu qui peut être fait par Ie représentant légal du
mineur en !'absence des formalités légales de la transaction.
3° Parce que les formalités envisagées s'appliquent dès qu'il
y a transaction véritable quelle qu'en soit la forme ou la quali-
fication, il en résulte, notamment, que :
Le serment litisdécisoire déféré au nom du mineur est soumis aux
formes protectrices de l'article 467 du Code civil (47).
Les formes protectrices de la transaction sont requises même si la
transaction intervient alors que des majeurs et des mineurs, ayant les
mêmes intérêts, transigent avec leur adversaire commun.
Le tuteur peut, en respectant les articles 2045, alinéa 2, et 467 du Code
civil, accepter paiement d'une indemnité d'assurance sous condition
de renoncer à l'action en responsabilité de droit commun (48).

111. Sanctions des formes prescrites par les articles 2045, ali-
néa 2, et 467 du Code civil. Ces formes sont, évidemment, d'ordre
public et toute convention tendant à les éluder est nulle (49).
Ainsi, la clause par laquelJe le tuteur déclarerait se porter
fort de la ratification du mineur à sa majorité, nonobstant Ie
non-respect des formalités protectrices, serait de nul effet.
Deux cas peuvent se présenter :
a) Si les formes légalement imposées ont été respectées, la solu-

(46) Journ. trib., 1960, p. 322 : il est à noter cependant que cette décision fut
rendue alors qu'il s'agissait de mineur sous administration légale et non sous
tutelle, ce qui toutefois ne change rien aux principes de !'arrêt relatifä à la défini-
tion, négative en l'occurrence, de la transaction. Voy. aussi cass., 16 janvier 1957,
Pas., 1957, I, 563 (l'accord du contribuable sur la rectification, par l'administra-
tion, du chiffre des revenus déclarés est considéré comme une rectification par Ie
contribuable lui-même et non comme une transaction soumise aux articles 2045
et 467 du Code civil).
(47) Sur la nature transactionnelle du serment litisdécisoire et sur les contro-
verses dans ce domaine : voy. supra, n° 74; adde, quant à la question traitée au
texte: LES NOVELLES, Droit civil, t. IV, n° 2211; DE PAGE, t. Il (éd. 1964), n° 204;
DEKKERS, t. I••, n° 536, p. 356 en note; LAURENT, t. XX, n° 237; PLANIOL, R1-
PERT et SAVATIER, t. Jer, n° 566; Rép. prat. dr. beige, v 0 Serment, n° 106; cass.
fr., req., 14 novembre 1860, Sirey, 1861, I, 949; Mons, 5 mai 1892, Pas., 1892,
III, 216; trib. Liège, 30 mai 1911, Pas., 1911, III, 343 avec une note de références
qui concerne une tout autre question.
(48) Hasselt, 12 mai 1949, Pas., 1951, III, 6; Rev. prat. not., 1953, 162.
(49) Cass. fr., 12 mai 1953, Sirey, 1954, I, 75, et 2 juin 1955, Sirey, 1955, I, 543.
DE GAVRE, Oontrat de transactüm. - 11
162 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

tion est simple : !'acte est régulier et valable à l'égard du mineur


alors même qu'il en éprouverait préjudice (art. 1314).
La rescision pour lésion est, en effet, exclue d'abord parce
que la transaction n'est pas !'acte du mineur et ensuite parce
qu'étant !'acte régulier du tuteur, seule la lésion entre majeurs
pourrait être invoquée; or elle n'existe pas en matière de transac-
tion (C. civ., art. 2052, al. 2).
b) Quid, par contre, si les formalités n'ont pas été respectées,
en tout ou en partie, que la transaction soit l'reuvre du mineur
seul ou qu'elle soit I'reuvre du tuteur?
1° Si Ie mineur a agi seul, il pourra, en tout cas, demander
la nullité de la transaction irrégulière (50).
Il s'agit d'une cc nullité en la forme » puisque aussi bien la
transaction est un acte que Ie tuteur ne peut accomplir seul (51).
Par conséquent la nullité, si elle est demandée, sera pronon-
cée qu'il y ait lésion ou non (52) : il s'agit, en effet, d'un acte
« nul de droit », ce qui enlève au juge Ie pouvoir d'apprécier
les répercussions économiques réelles de !'engagement irrégu-
lier du mineur (53).
Mais, les formalités légales étant essentiellement protectrices,
la nullité sera relative conformément au droit commun : elle
ne pourra donc être demandée que par Ie mineur, ses héritiers
ou son tuteur à l'exclusion des personnes qui ont transigé avec
l'incapable (C. civ., art. 1125, al. 2) (54).

(50) Nous supposons - car c'est l'hypothèse la plus convenable - que Ie


mineur qui transige seul a atteint l'age du discernement.
Dans Ie cas contraire il s'agit plus exactement d'une nullité pour défaut total
de consentement (PLANIOL, RIPERT et BOULANGER, t. I•r, éd. 1948, n° 2194, 3°)
que nous appellerions volontiers « nullité naturelle» suivant la vieille expression
de Domat, nullité dont Ie régime est déterminé par la structure objective de !'acte
et le milieu de fait et dont le caractère paraît bien, pour cette raison, devoir s'im-
poser à tous (cf. sur cette question la remarquable étude de RENARD et VrEUJEAN,
« Nullité, inexistence et annulabilité en droit civil beige», in Ann. dr. Liège, 1962,
p. 243 à 294 et spécialement p. 273 à 277 ; cf. aussi cass., 28 mai 1958, Pas., I,
1069, cité par ces auteurs; comp. DEKKERS, t. I•r, n° 546.
(51) Sur la notion d'acte « nul en la forme • en général : cf. LES NOVELLES,
Droit civil, t. IV, n•• 2491 et s.
(52) Cass. fr., 2 juin 1955, J. C. P., 1955, II, 8798; LAGARDE, note Rev. trim.
dr. civ., 1953, p. 87, n° 6.
(53) Cf. note 52 ci-dessus et en outre : LES NOVELLES, op. cit., n°• 2491 avec
les réf. Contra mais isolé : BAUDRY-LACANTINERIE et BARDE, t. 111, n° 1979.
Ajoutons que le mineur n'encourra aucune responsabilité en raison de l'acte qu'il
a accompli seul, sauf s'il a dolosivement employé des moyens caractérisés et
délibérés pour faire croire à sa capacité : sur cette question cf. LES NOVELLES,
Droit civil, t. IV, n° 2502; RENARD et VIEUJEAN, étude précitée, p. 282, note 2.
(54) Liège, 24 décembre 1964, Jur. Liège, 1964-1965, p. 154.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 163

Par conséquent aussi, la demande en nullité se prescrira


par 10 ans (C. civ., art. 1304) et la nullité pourra être couverte,
si l'acte irrégulier est confirmé à Ia majorité du mineur.
2° Si c'est Ie tuteur qui a méconnu tout ou partie des forma-
lités légales ou même l'ordre de ceJles-ci (55) la transaction
sera annulable (C. civ., art. 1311 et 1314, ce dernier texte d'in-
terprétation extensive).
Parce que l' acte émane d'un administrateur nanti par la
loi d'un mandat général, la sanction est, en e:ffet, la nullité
et non l'inopposabilité laquelle, en droit commun, frappe les
actes irréguliers accomplis par des mandataires, en dehors de
leurs pouvoirs (56).
Autrement dit, même quand il agit irrégulièrement le tuteur
représente et engage Ie mineur. Sauf à ce dernier ou ses héri-
tiers à agir en nullité de l'acte irrégulier, Ie juge étant tenu
d'annuler dès qu'il constate Ie non-respect des formalités, qu'il
y ait lésion ou non (57).
La nullité peut également être demandée par le tuteur lui-
même, auteur de l'acte; et si elle est prononcée elle vaudra
tant à l'égard du mineur que de son représentant légal.
Cela est vrai quand bien même Ie tuteur se serait porté fort
de la ratification du mineur à sa majorité : d'abord, parce que
pareille clause est radicalement nulle si le tuteur a méconnu
les formalités légales et ensuite, parce que Je porte-fort ne
garantit pas la ratification de l'incapable mais uniquement
l'indemnisation du cocontractant en cas de refus de ratifica-
tion (58). En aucune manière, par conséquent, la clause de
porte-fort ne peut faire obstacle à une action en nullité qu'in-
tenterait Ie tuteur, auteur de l'acte.
D'autre part, quid si Ie mineur, devenu majeur, veut atta-
quer l'acte accompli irrégulièrement par son tuteur, dont,
entretemps, il est devenu l'héritier acceptant pur et simple,
étant par exemple son descendant ?
Le cas peut se présenter fréquemment : le mineur, devenu

(55) Cf. supra, sub n° 107.


(56) Cf. supra, n° 101.
(57) Cf. les références supra, notes 52 et 53.
(58) PLANIOL et RIPERT, t. II, n° 292 en note; LAGARDE, note précitée, Rev.
trim. dr. civ., 1953, p. 87, n° 6; contra: Pau, 4 février 1952, Sirey, 1952, II, 199,
justement critiqué par LAGARDE (note ibid.), aucune clause de porte-fort n'étant
même invoquée en l'espèce.
164 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

majeur, est-il dans l'impossibilité d'agir en raison de l'obliga-


tion d'exécution qui tient à sa qualité d'ayant-droit de !'auteur
de l'acte?
La question s'est posée devant la Cour de Bourges, saisie
sur renvoi après l'arrêt déjà cité de la Cour de cassation de
France du 2 juin 1955 (59). La chambre civile ayant admis la
nullité de la transaction pour inobservation de l'ordre des for-
malités de l'article 467 du Code civil, les défendeurs ont, pour
la première fois devant la cour de renvoi, opposé l'exception
de garantie (60) alléguant que Ie demandeur avait hérité de
l'obligation de garantie dont était personnellement tenue sa
mère tutrice, comme partie à l'acte litigieux.
La Cour de Bourges accueillit cette exception en relevant
que la mère décédée avait agi en son nom propre et comme tutrice,
ce qui empêchait son :fils devenu majeur d'agir en nullité, l'obli-
gation de garantie personnelle assumée par sa mère et tutrice
lui ayant été transmise (61).
La Cour de cassation de France ne l'entendit pas ainsi et
proclama que la nullité originaire de la transaction empêche
que celle-ci produise Ie moindre effet et notamment une quel-
conque obligation de garantie qui ne pouvait incomber à la
mère et tutrice « qu'autant que l'acte d'ou elle résultait était
considéré et reconnu valable, que dès Jors la charge ainsi accep-
tée par la mère ne pouvait empêcher Ie mineur devenu majeur
de se prévaloir des irrégularités formelles de l'acte qui lui était
opposé » (62).
Cet arrêt fait une application rigoureuse mais assurément
irréprochable des conséquences d'une nulJité prononcée, à tout
Ie moins quant à !'engagement pris par la mère en sa qualité
de tutrice (63).
C'est en vertu des mêmes conséquences qu'il faut, selon
nous, décider que Ie mineur devenu majeur n'est pas davantage
tenu, même au payement d'une indemnité, comme héritier du

(59) J. C. P., 1955, II, 8798; Sirey, 1955, I, 543.


(60) Il semble préférable de parler d'obligation d'exécution plutöt que d'obli-
gation de garantie parce que, dans la mesure ou elle n'est pas translative d'un
bien immobilier, la transaction n'emporte aucune obligation de garantie stricto
sensu.
(61) Gaz. du pal., 1958, I, 280 avec les observations en sens contraire.
(62) Cass. fr., civ., 3 février 1960, Gaz. du pal., 1960, I, 258 avec obs.
(63) Cf. sur cette question en général : RENARD et VIEUJEAN, étude précitée,
p. 285-289.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 165

tuteur, lorsque celui-ci s'est simplement porté fort sans s'en-


gager autrement, à titre personnel, dans une transaction qui est
ensuite annulée (64).
Pour Ie surplus, la nullité et l'action qui tend à la faire décla-
rer sont en tous points semblables à ce qui a été exposé sub b, 1°,
ci-dessus.
On se bornera à répéter que l'homologation par Ie tribunal
ne peut effacer les irrégularités de forme imputables au tuteur :
la décision du tribunal, en effet, parce qu'elle ne tranche en
général aucun litige (65), n'a pas les caractères d'une décision
contentieuse et, dès lors, l'autorité de la chose jugée ne s'y
attache pas. Le jugement ne couvre pas davantage les irrégu-
larités de la procédure homologuée qu'il n'est lui-même à l'abri
d'une action en nullité (66).
C'est en vain que l'on invoquerait que « voies de nullité
contre les jugements n'ont lieu » : l'intervention judiciaire est
gracieuse ; elle se superpose à ce qui est fondamentalement
un contrat et si celui-ci est nul, tout s'effondre avec lui (67).
Mais il est bien certain qu'en fait, Ie mécanisme de protection
institué par la loi aura pour effet de rendre les nullités assez
rares.
II. Cas du mineur sous administration légale.
112. Position de la question. Il faut donc supposer que les
père et mère du mineur sont en vie.
L'opportunité d'une transaction, ayant pour objet un droit
personnel du mineur, se pose : l'article 389 du Code civil four-
nit-il la solution?
Le père ou exceptionnellement la mère (68) va représenter le
mineur à la transaction en sa qualité d'administrateur légal
des biens personnels de son enfant.
La solution est certaine bien que les père et mère soient

(64) Cf. cependant : note d'obs. au Sirey, 1952, II, 200, sub Pau, 4 février 1952,
a vee les références françaises en sens contraire.
(65) Voy. sur cette question et les distinctions à faire : DE PAGE, t. II, n°• 125
et 129.
(66) Cf. sur cette question et dans ce sens : cass. fr., 13 mars 1922, Sirey, 1923,
I, 132 avec la note; RoDIÈRE, note J. C. P., 1951, 5989 et 5990; cass. fr., 2 juin
1955, précité.
( 67) Voy. dans Ie même sens mutatis mutandis, en matière d'adoption : DE PAGE,
t. Jer (3• éd.), n• 1265, texte et note 1.
(68) Cf. DE PAGE, t. Jer, éd. 1962, n•• 776, 3°, et 794bis.
166 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

légalement qualifiés d'administrateurs ; en réalité leurs pou-


voirs sont infiniment plus larges que ceux des véritables admi-
nistrateurs et leur permettent d' accomplir des actes de dispo-
sition, tels la vente, la transaction, etc.
Mais Ie père peut-il agir seul ou doit-il se soumettre, en tout
ou en partie, aux formalités prescrites, en matière de tutelle,
par l'article 467 du Code civi] ?
Remarquons immédiatement que cette question ne se pose
plus qu'en Belgique.
En France, en effet, Ja loi du 6 avril 1910 avait déjà résolu
Ie problème en imposant au père l'obligation d'être autorisé
par le tribunal à transiger (C. civ., art. 389, § 6). La loi du 14 dé-
cembre 1964 a simplifié encore la question (69).
Par conséquent, si la doctrine et la jurisprudence françaises
antérieures à 1910 ne présentent plus d'intérêt actuel en France,
elles peuvent, par contre, nous intéresser dans la mesure ou
elles apportent des éléments de solution à une question qui,
en Belgique, reste sans réponse légale.

113. Pouvoirs de l'administrateur légal. Rappel des principes


admis en doctrine et jurisprudence belges. Notre intention n'est
pas d'aborder, d'une manière systématique et exhaustive, la
matière des pouvoirs de !'administrateur légal, une des plus
délicates qui soient dans le droit des personnes. Pareille étude
mériterait, à elle seule, un ouvrage entier.

(69) On sait que cette loi récente organise un double régime qui, en ce qui
concerne !'enfant légitime, peut être résumé comme suit :
1 ° il y a, d'une part, Ie cas du mineur non émancipé, dont les père et mère sont
vivants, non divorcés ni séparés de corps et ne se trouvent pas dans un des cas
prévus par l'article 373 du Code civil français. Ce régime est celui de l'administra-
tion légale pure et simple (art. 389, § 1 er) ;
2° il y a, d'autre part, Ie cas du mineur non émancipé, dont l'un des auteurs
est décédé, ou se trouve dans l'un des cas prévus par l'article 373 du Code civil
ou encore dont Jes père et mère sont divorcés ou séparés de corps. Ce régime est
celui de l'administration légale sous cor,tróle judiciaire (art. 389, § 2).
Par conséquent, la tutelle ne s'ouvre plus désormais que lorsque Ie père et la
mère sant tous deux décédés ou se trouvent dans l'un des cas prévus par l'arti-
cle 373 du Code civil (déchéance de la puissance paternelle, etc.); cf. art. 390
nouveau.
Dans Ie régime d'administration légale pure et simple, l'accord des deux con•
joints est nécessaire mais suffisant lorsque l'acte, comme c'est Ie cas pour la transac-
tion, est de ceux que Ie tuteur ne peut accomplir seul (C. civ., art. 389, § 5).
Dans Je régime d'administration légale sous contröle judiciaire, !'administra-
teur légal doit être autorisé à transiger par Ie juge des tutelles parce que la transac-
tion est un acte que Ie tuteur ne peut accomplir qu'avec l'autorisation du conseil,
de famille (combinaison des art. 389, § 6, et 467 nouveaux du C. civ.).
CAPACITÉ DE TRANSIGER 167

Il s'agit seulement de rappeler les idées-forces de l'institu-


tion et leurs applications dans la doctrine et la jurisprudence
actueJles, de façon à situer, Ie plus exactement possible, le
cadre dans lequel il convient de placer la solution au problème
qui nous occupe ici.
1° On connaît les fondements sociologiques de I' administra-
tion légale : d'une part, la très large confiance faite aux parents,
justifiée par leur affection pour leurs enfants; d'autre part,
Ie souci d'assurer aux mineurs un minimum de protection contre
d'éventuels abus de pouvoirs ou encore contre l'inaptitude de
leurs parents.
Cette recherche d'un juste point d'équilibre se traduit, en
droit civil, par l'attribution, à !'administrateur légal, du pou-
voir d'accomplir seul tous les actes de la vie civile suscepti-
bles d'être qualifiés d'actes d'administration, cette dernière
notion étant entendue assez largement, contrairement à ce qui
se présente en matière de tutelle, précisément parce que les
père et mère sont, sociologiquement, dans une situation jugée
plus rassurante, pour Ie mineur, que celle du tuteur.
2° Mais quid des actes de disposition, catégorie d'autant plus
intéressante que la transaction s'y rattache assurément ?
Nous défendons, en effet, l'idée que la transaction n'est
jamais un acte d'administration (voy. n°8 109 et 124 et s.).
La question se pose parce que l'article 389 du Code civil ne
parle pas des actes de disposition et que Ie père n'est qu'un admi-
nistrateur des biens de son enfant mineur.
De nombreuses théories ont été élaborées (70).
Mais actuellement, il paraît unanimement admis en droit
belge que !'administrateur légal exerce des pouvoirs d'admi-
nistration très larges, seul et sans controle, pour tous les actes
que Ie tuteur peut accomplir seul ou avec l'autorisation du con-
seil de famille, tandis qu'il est tenu d'être nanti d'une autori-
sation judiciaire pour tous les actes qui, dans l'organisation
tutélaire, requièrent I'homologation du tribunal (71).

(70) On en trouvera une excellente synthèse daru, DE PAGE, t. I••, éd. 1962,
n° 799.
(71) DE PAGE, op.cit., n° 800; LES NOVELLES, Droit civil, t. IV, n° 2437, cf. en
jurfaprudence récente : Gand, 26 juin 1952, T. N., 1952, p. 218 (emprunt hypo-
thécaire); Marche-en-Famenne, 23 juin 1962, Jur. Liège, 1962-1963, p. 12 (renon-
ciation à succession).
168 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

3° Ce système, qui est celui de la loi française du 6 avril 1910,


se caractérise donc, essentiellement, par la suppression de
l'autorisation du conseil de famille et, corrélativement, de
I'homologation judiciaire, tandis qu'apparaît un mécanisme
protecteur nouveau : I'autorisation du tribunaJ.
Cette construction a été critiquée par certains auteurs belges
récents qui voudraient voir appliquer, par analogie, toutes les
règles de la tutelle chaque fois que I' acte à accomplir dépasse
manifestement Ie cadre des pouvoirs qu'il convient de recon-
naître à !'administrateur légal.
C'est la théorie des Novelles (72) sur laquelle nous aurons
}'occasion de revenir infra, n° II5, 1°.

114. Applications en matière de transaction. La transaction


est intrinsèquement un acte de disposition qui, en régime de
tutelle, ne peut être accompli par Ie tuteur que moyennant
l'homologation judiciaire de la transaction elle-même, après
avis de trois jurisconsultes et autorisation du conseil de famille
(C. civ., art. 467).
Par conséquent, dans l'état actuel de notre droit, il faut en
déduire que Ie père, administrateur légal, transigera valablement
sans devoir se plier aux trois formalités protectrices prescrites
par I'article 467 du Code civil : il lui suffira de solliciter I'autori-
sation du tribunal, mais il devra Ie faire quel que soit l'objet de
la transaction et même, par conséquent, si la convention porte
sur une action mobilière, puisque aussi bien, nous l'avons vu (73),
l'article 467 qui impose l'homologation judiciaire est, en matière
de tutelle, de très large application.
Telle est la conséquence généralement affirmée (74) des prin-

(72) Droit civil, t. IV, par RENARD et cts, n°• 2428 et s.


(73) Supra, n°• 109 et 124.
(74) Dans ce sens: DE PAGE, op.cit., n° 800, A, note 2; DEKKERS, t. I•r, n° 366;
LAURENT, t. IV, n° 314; GALOPIN, t. Jer, n° 726; R. ANDRÉ, étude au Bull. ass.,
1945, p. 95 ets. ; Bruxelles, 14 mai 1890, Pas., 1890, II, 408; trib. Liège, 18 décem-
bre 1891, Pas., 1892, 111, 112, ce jugement parlant à tort, in fine, d'homologation
par le tribunal alors qu'il s'agit d'autorisation; trib. Bruxelles, 2 mai 1898, Pas.,
1900, 111, 80.
Il faut souligner que l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 28 janvier 1960
(Journ. trib., 1960, p. 322), déjà cité, ne tranche pas la question, bien que le moyen
tiré de la violation de l'article 467 du Code civil - invoqué en régime d'administra-
tion légale - ait été expressément soulevé : la Cour décide qu'il n'y a pas transac-
tion mais aveu.
On consultera encore: PONT, t. Il, n° 560; GUILLOUARD, n° 42; G. GHEYl'EN,
v 0 Dading, in A. P. R., n° 111.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 169

cipes admis aujourd'hui en droit beige quant aux pouvoirs de


]'administrateur légal en matière de transaction (75).
Il faut observer ici que Ie célèbre arrêt de la Cour de cassa-
tion du 6 mai 1943 (76), qui limite les pouvoirs du tuteur agis-
sant seul et soumet - sauf exceptions légales - tous les actes
de disposition à l'autorisation du conseil de famille homolo-
guée par Ie tribunal, renforce cette conséquence : en effet, la
transaction est toujours un acte de disposition et en outre la
loi impose, en régime de tutelle, son homologation judiciaire.
L'autorisation du tribunal, en régime d'administration légale,
est donc, à un double titre, indispensable.

115. Oritiques. 1° Les auteurs des Novelles, envisageant la


question sur un plan général, regrettent, quant à eux, la sup-
pression de l'autorisation du conseil de famille et la création
d'une formalité nouvelle qui, de toutes pièces, est ajoutée au
système légal : l'autorisation judiciaire. Ils font valoir en outre
qu'une application analogique pure et simple des règles tuté-
laires serait profitable au mineur parce que, mieux que Ie tri-
bunal, Ie conseil de famille est à même d'apprécier « l'intérêt
du mineur et l'opportunité de l'acte projeté par le père» (77).
Si cette dernière considération peut, éventuellement, être
retenue, en fait, elle ne nous paraît pas suffisante pour justi-
fier, en droit, l'immixtion du conseil de famille dans l'organisa-
tion de l'administration légale. On l'a dit, quelle que soit la
place dans Ie Code civil de l'article 389 du Code civil, l'admi-
nistration légale diffère profondément de la tutelle : « !'enfant
mineur trouve en ses auteurs ses protecteurs naturels et ce
n'est qu'en cas de décès de l'un d'eux qu'une protection plus
spéciale quant à la gestion des biens s'impose » (78). Le légis-
lateur s'est donc montré hostile à une subordination quelconque
de la puissance paternelle, en tant que telle, au conseil de famille :
l'article 389 n'a-t-il pas été inséré en dernière minute dans Ie
Code à l'effet de marquer, précisément, que l'administration
légale, attribut de la puissance paternelle, n'était pas une tutelle,

(75) Il en est de même dans le droit positif français: l'art. 389, § 6, régit toutes
les transactions, quel que soit le montant en litige et l'objet du contrat.
(76) Pas., 1943, I, 157.
(77) Op. cit., n°• 2428 et s.
(78) DE PAGE, op. cit., n° 796, p. 923; cf. aussi, n° 800, A.
170 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

ce qui devait exclure, dans l'idée du Jégislateur, toute interven-


tion du conseil de famille dans la matière de l'administration
légale attribut de la puissance paternelle 1 (79).
Les cours et tribunaux ont toujours fait écho à cette doctrine
et souligné avec force la distinction entre les deux institutions,
ainsi que la nécessité d'exclure Ie conseil de famille de l'admi-
nistration légale (80).
L'administration légale est donc, suivant l'expression de
Capitant, une « tutelle sans subrogé tuteur et conseil de
famille » (81).
Les auteurs des Novelles invoquent encore Ie fait qu'en cer-
taines matières l'avis de la famille est sollicité (C. civ., art. 267
302, 494, 514) : mais il s'agit précisément de cas exceptionnels
pour lesquels existent des textes spéciaux. A défaut de volonté
pareillement exprimée d'une façon expresse, il paraît impossible
et manifestement contraire au vreu du législateur et à Ia struc-
ture sociologique du système légal, d'imposer l'intervention du
conseil de familie dans un domaine qui n'est pas Ie sien.
Quant à I'autorisation judiciaire, il ne s'agit nullement d'une
création « de toutes pièces », mais bien de l'application préto-
rienne, logique et raisonnable, de la règle qui veut que la seule
instance supérieure au père, de nos jours, soit l'autorité publi-
que chargée, en vertu de sa mission protectrice des droits de
tous - y compris des personnes privées sous puissance - de
prendre en mains Ie controle de la puissance paternelle, à l'in-
tervention du pouvoir judiciaire (82). Comme, d'autre part, Ie
conseil de famille n'intervient pas ici et n'a pas délibéré, il ne
peut évidemment s'agir d'homologation. La notion d'autorisa-
tion paraît, dès lors, tout à fait adéquate pour réaliser Ie hut
poursuivi.
Nous estimons donc que les critiques formulées, sur un plan
général, par les auteurs des Novelles, à l'égard du système
actuellement admis en droit beige, ne sont pas fondées.

(79) JEAN DABIN, « Le contröle de la puissance paternelle • Journ. trib., 1947,


p. 22.
(80) Cf. notamment cass., 9 juillet 1903, Pas., 1903, I, 332, et Gand, 25 juillet
1901, Pas., 1902, II, 107, qui se réfèrent tous deux à la volonté du législateur
formellement exprimée au cours des travaux préparatoires; cf. aussi cass. fr.,
5 janvier 1903, Pas., 1903, IV, 49 ; Marche-en-Famenne, 23 juin 1962, précité;
et, pour rappel, DE PAGE, op. cit., ibid.
(81) Rev. trim. dr. civ., 1910, p. 286-289.
(82) J. DABIN, étude précitée, ibid.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 171

Et par identité de motifs, nous ne pourrions approuver une


théorie qui appliquerait purement et simplement I'article 467
du Code civil aux transactions conclues par Ie père, administra-
teur légal, et imposerait donc, telles quelles, les trois formalités
protectrices prévues par ce texte (83).
2° Plus délicate, par contre, nous paraît être la question de
savoir si l'avis des trois jurisconsultes dont parle l'article 467
du Code civil est obligatoire en régime d'administration légale,
étant entendu, qu'en tout état de cause, il n'est pas question
d'une intervention du conseil de famille et, partant, d'une
homologation judiciaire mais bien, uniquement, d'une autorisa-
tion du tribunal.
Partant du principe que Ie père administrateur légal, jouis-
sant de la même confiance qu'un tuteur autorisé par Ie conseil
de famille, n'a ni plus ni moins de droits que ce dernier, certains
en out déduit qu'il est tenu de demander l'avis des trois juris-
consultes (84).
A notre sentiment, cette opinion est erronée : l'avis, même
détaché de toute autre formalité, n'est pas requis en régime
d'administration légale.
L'article 467 du Code civil institue, en effet, une formalité
exceptionnelle qui ne peut donc être étendue, sans volonté
expresse, à un domaine pour lequel elle ne fut pas conçue (85).
En outre, Ie but de cette formalité est d'éclairer Ie conseil
de familie et non Ie tribunal. Ce conseil ne fonctionnant pas en
régime d'administration légale, on voit mal comment l'avis des
jurisconsultes pourrait se justifier en droit, d'autant que lorsque
l'on dit que !'administrateur légal est dans Ja situation juridi-
que d'un tuteur autorisé par Ie conseil de familie, on devrait

(83) Contra, en faveur de cette application, DEMOLOMBE, t. VI, n° 446; Grnoun,


op. cit., p. 44 et 45; AccARIAS, op. cit., n° 107; voir aussi la note 84 ei-après au
sujet de !'arrêt de la Cour de Bruxelles du 30 janvier 1889.
(84) Charleroi, 27 mai 1905, Pas., 1905, III, 277 : ce jugement exclut l'inter-
vention du conseil de familie, mais déclare applicables au régime de l'administra-
tion légale et l'avis des jurisconsultes et l'homologation (sic) du tribunal; dans
Ie même sens : P. WOUTERS, « Quelques cas d'application de l'article 467 du Code
civil », Rev. dr. belge, 1911-1920, p. 345 ets. C'est à tort, selon nous, que eet auteur,
ainsi d'ailleurs que De Page (t. I•r, n° 800, p. 928, note 2), citent dans Ie même
sens l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 14 mai 1890 (Pas., 1890, II, 408)
qui semble bien n'exiger que l'autorisation judiciaire, quoi qu'en dise Ie som-
maire de cette décision à la Pasicrisie.
(85) Cf. dans ce sens cass. fr., 29 juillet 1903, Pas., 1904, IV, 35; BAUDRY-
LACANTINERIE, CHENAUX et BONNECARRÈRE, t. IV (2• éd.), n° 209, p. 233.
172 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

logiquement en déduire que l'avis des jurisconsultes ne se justi-


fie plus, puisque, dans l' organisation tutélaire, il doit précéder
la délibération du conseil de familie.
Nous sommes tenté de dire cependant, qu'en fait eet avis
peut être aussi précieux à !'administrateur légal qu'il l'est au
conseil de famille et au tuteur.
Pourquoi? Mais, évidemment parce qu'il s'agit d'un avis
d'experts chargés d'éclairer des hommes, très souvent incompé-
tents, sur l'opportunité de réaliser une convention diffi.cile,
complexe et dangereuse. La formalité ne relève pas, en soi,
du désir de protéger spécia]ement J'incapable contre son tuteur,
mais plutöt de Ja nature objective particulière de J'acte à sou-
scrire.
Ceci nous amène à penser, dans la perspective d'une plus
effi.cace protection des intérêts du mineur, que les tribunaux
pourraient parfaitement, au moment ou ils sont saisis d'une
demande d'autorisation relative à une transaction, subordonner
celle-ci à l'avis préalable de trois jurisconsultes.
La Cour de cassation de France, approuvée par M. R. Sava-
tier, considérant que le tribunal peut refuser l'autorisation, a
admis qu'il peut, a fortiori, autoriser la transaction sous cer-
taines conditions destinées à assurer au mineur un bénéfice plus
entier de ce contrat (86).
Parmi ces conditions, et même au premier rang d'elles, pour-
rait parfaitement se trouver celle de l'avis préalable des juris-
consultes.
De cette façon, cette formalité apparaîtrait, dans Ie domaine
de l'administration légale, non pas comme une application
extensive d'une règle tutélaire, qui se justifie ma] en droit,
mais comme une modalité de l'autorisation judiciaire, celle-là
étant comme celle-ci de création purement prétorienne.
En conclusion, nous considérons donc, dans l'état actuel
de notre droit, que ce n'est pas violer la loi - au contraire -
que de décider qu'aucune des formalités de l'article 467 du Code
civil n'est applicable en régime d'administration légale. Mais,
selons nous, le tribunal, chargé d'autoriser la transaction, ne
vio]era pas davantage Ie loi en imposant, comme modalité de
cette autorisation, une consultation de jurisconsultes dont il

(86) Cass. fr., req., 12 juillet 1921, D., 1922, I, 177 avec Ia note SAVATIER,
CAPACITÉ DE TRANSIGER 173

pourrait librement fixer Ie nombre, Ie röie et les pouvoirs, l'appli-


cation mutatis mutandis des règles techniques de l'artic]e 467
du Code civil paraissant ici à tout Ie moins opportune et ration-
nelle, à défaut d'être obligatoire.
116. Sanction des règles de capacité. I. La question a été étu-
diée déjà dans Ie cas du mineur sous tutelle : nous avons vu
qu'une transaction souscrite soit par Ie mineur seul, soit par Ie
tuteur au mépris de l'article 467 du Code civil donne lieu à
une « nullité en la forme >> qui vicie l'acte, même si Ie mineur
n'a pas été lésé.
i 1 Qu'en est-il en régime d'administration légale '?
i
Peut-on encore parler cc d'acte nul en la forme », alors que
l'intervention du conseil de famille est radicalement exclue,
que l'avis des jurisconsultes est, tout au plus, souhaitable en
fait et que, dès lors, la seule cc forme » requise est l'intervention
du père autorisé par justice '?
Telle est la question, à laquelle nous croyons, comme M. De
Page (87), devoir répondre par l'affirmative.
cc La protection bien comprise des mineurs l'exige impérieusement

(lire : l'extension de la théorie des actes nuls en la forme) et il ne faut pas


la compromettre par le motif, s'inspirant de considérations tout à fait
différentes, que la loi témoigne au père administrateur légal une confianee
plus grande qu'au tuteur. Rappelons d'ailleurs que les règles relatives
à la sanetion judiciaire de l'ineapaeité des mineurs sont de nature plus
coutumière que légale et qu'en conséquence !'argument de bon sens doit
prévaloir sur tout autre » (88).

L'éminent professeur ne raisonne, il est vrai, que dans l'hypo-


thèse ou Ie mineur aurait accompli l'acte seul. Mais les considé-
rations qu'il développe nous paraissent devoir justifier l'exten-
sion de la solution au cas d'une transaction qui aurait été accom-
plie par le père ou la mère seuI, sans autorisation préalable du
tribunal de première instance. Dans les deux cas, en effet, c'est
Ie souci de protéger Ie mineur qui doit être à !'avant-plan et
dicter la solution, sur le plan de la santion de l'incapacité, IequeI
est, par essence, différent de celui des forma]ités habilitantes
imposées au représentant légal.

(87) T. II, éd. 1940, n°• 7 et 21ter.


(88) Op. cit., n° 7, p. 20, cf. aussi dans Ie même sens : LES NOVELLES, Droil
civil, t. IV, n°• 2499 et 2500.
174 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Par conséquent, la transaction irrégulière sera « nulle en la


forme » et non « rescindable pour lésion » (89).
Il. En outre, cette « nullité en la forme » sera relative comme
en régime de tutelJe.
Nous renvoyons donc à ce qui a été dit supra sub n° lll, b,
quant aux conséquences du caractère relatif de la nullité.
Elles sont toutes applicables ici mutatis mutandis.

III. Cas du mineur émancipé.

117. Position de la question. a) Il n'est discuté par personne que


Ie mineur, malgré l'émancipation, reste un incapable : l'incapa-
cité, pour lui, demeure la règle et la capacité l'exception (90).
Ce n'est, en effet, que dans Ie seul domaine des actes de pure
administration que Ie législateur (C. civ., art. 481 et 484) a
donné au mineur émancipé une certaine capacité, que l'on
aurait tort, cependant, de confondre avec la capacité entière
du majeur (voy. in/ra, n° 126).
Mais, dès que l'on sort de cette catégorie exceptionnelle d'actes
juridiques, Ie mineur émancipé est et reste incapable avec,
cependant, cette distinction essentielle, par rapport au mineur
non émancipé, que c'est lui-même, et non un représentant
légal, qui accomplira l'acte, l'émancipé étant seulement, sui-
vant la nature de l'acte, assisté par son curateur seul ou habi-
lité par les organes de protection qui interviennent en régime
de tutelle (91).
b) Appliqués au domaine spécifique de la transaction, ces
principes généraux conduisent évidemment à imposer au mineur

(89) Sur les conséquences pratiques de la distinction : cf. LES NOVELLES, op.
cit., n°• 2503 et s.
(90) DE PAGE, t. Il, n° 252, texte et note 4; PLANIOL, t. I•r, n° 2001; LES
NOVELLES, op. cit., t. IV, n° 2616; BAUDRY-LACANTINERIE et BoNNECARRÈRE
(2• éd., 1905), t. IV, n° 703.
Tel était également, avant la loi du 14 décembre 1964, Ie régime du droit fran-
çais. Mais désormais cette loi (art. 481, al. 1 er nouveau) rend Ie mineur émancipé
capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile. En outre, elle abroge
les articles 483 à 486 anciens du Code civil·. Par conséquent tout problème dispa-
raît et Ie mineur émancipé transigera valablement seul, quelle que soit l'impor-
tance patrimoniale de la transaction.
(91) Sur Ie régime juridique de l'émancipé, en général : cf. DE PAGE, op. cit.,
n°• 255 et s.; LEs NOVELLES, op. cit., n° 2619 et s.; cf. aussi en ce qui concerne
l'intervention personnelle de l'émancipé à l'acte : Bruxelles, 4 juillet 1951, Journ.
trib., 1952, p. 12.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 175

émancipé les trois formalités instituées, en régime de tute1Ie,


par l'article 467 du Code civil.
En effet, nous l'avons déjà dit et nous y reviendrons (in/ra,
n° 125), Ia nature intrinsèque, Ie hut, la fonction et les carac-
tères de la transaction s'opposent à ce qu'on puisse jamais
Ja considérer comme acte d'administration; a fortiori, comme
un acte de pure administration, au sens de l'article 484 du
Code civil.
Dès lors, suivant Ie prescrit de ce texte, combiné avec l'arti-
cle 467 du Code civil, Ie mineur émancipé ne pourra transiger
que moyennant l'autorisation du conseil de famiIJe, préalable-
ment éclairé par l'avis de trois jurisconsultes, et l'homologation
de la transaction elle-même par Ie tribunal de première instance.
Le principe est donc l'application générale de l'article 467,
Ie mineur émancipé intervenant toutefois personne1Iement
dans Ie processus, en lieu et place du tuteur.
Il en résulte que les formalités de l'article 467 du Code civil
seront requises, par exemple :
Pour toutes les transactions portant sur des droits immobiliers (92).
Pour les transactions ayant pour objet les droits que Ie mineur tire
de la réception et/ou du remploi de ses capitaux, de la réception du compte
de tutelle, de l'acceptation des donations et des legs à titre particulier ... ,
ces actes étant de ceux qui requièrent l'assistance du curateur, sans autre
protection (C. civ., art. 482, 480 et 935, al. 2). Ils ne peuvent donc être
considérés comme actes de pure administration et, dès lors, les arti-
cles 484 et 467 s'appliquent (93).

c) Bien que la règle soit donc l'incapacité du mineur émancipé


de transiger autrement que dans les conditions de l'article 467
du Code civil, la doctrine (94) enseigne, singulièrement depuis
Ie début de ce siècle, que Ie mineur émancipé peut transiger
seul et sans formalité aucune « en ce qui concerne ses reve-
nus » (95) et même, d'une façon générale, chaque fois que la

(92) DE PAGE, op. cit., n• 288 (implicitement et a contrario); LES NOVELLES,


op, cit., n• 2666; Rép. prat. dr. belge, v• Minorité, tutelle et émancipation, n• 1744;
PLANIOL et RIPERT, t, Jer (éd. 1952 par R. et J". SAVATIER), n• 643 (implicitement).
(93) BONFILS, op. cit., p. 123; GUILLOUARD, n• 43.
(94) DE PAGE, op.cit., n• 284, 11°; DEKKERS, t. I•r, n• 590, in fine; PLANIOL
et RIPERT, t. 1er, n• 643; BAUDRY-LACANTINERIE, t. V, n• 243, t. IV, n• 713,
et t. XXI, n• 1229 ; Dalloz : Encycl. dr. civil., v• Transaction, n• 54; BONFILS,
op. cit., p. 123; ARNTz, Cours de droit civil, t. IV, n• 1539.
(95) COLIN et CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français, 6• éd., t. I••,
p. 555.
176 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

transaction est « relative aux actes d'administration qu'il peut


accomplir sans formalité » (96).

118. Cette doctrine se fonde principalement sur l'article 2045


du Code civil, lequel prescrit que pour pouvoir transiger vala-
blement il faut avoir la capacité de disposer de l'objet de la
transaction.
Or, ajoutent les auteurs, Ie mineur émancipé jouit de cette
capacité dès qu'il s'agit d'un acte de pure administration,
puisqu'à l'égard de pareils actes Ie mineur émancipé est consi-
déré comme majeur, ce qui implique l'élimination de toute
restriction à sa capacité (97).
Cette doctrine se prévaut aussi et surtout (98) de la déclara-
tion de Bigot-Préameneu au cours des travaux préparatoires
relatifs au titre de la Transaction :
" La capacité nécessaire pour transiger est relative à l'objet de la
transaction. Ainsi Ie mineur émancipé pourra transiger sur les objets
d'administration qui lui ont été confiés et sur ceux dont il a la disposi-
tion » (99).

Elle s'est appuyée, enfin et plus récemment, sur la conception


moderne et « économique » de !'acte d'administration - illus-
trée notamment par M. Trasbot - suivant laquelle « du mo-
ment ou une personne est capable d'accomplir un acte, elle
doit, en principe, pouvoir faire tout ce qui en dérive naturelle-
ment et procède du même caractère que !'acte initia!)) (100),
ce qui conduit à considérer que la transaction relative à un acte
de pure administration doit être regardée, el1e aussi, comme un
acte de pure administration, accessible, comme tel, au mineur
émancipé agissant seul (101).
On en arrive ainsi à ne plus appliquer les articles 467 et 484
du Code civil que pour << les transactions consécutives à des actes
de disposition >) (102).

(96) LES NOVELLES, op. cit., n• 2630.


(97) DE PAGE, op. cit., n• 283.
(98) C'est la seule justiflcation donnée par M. De Page à son adhésion à la doc-
trine citée (voy. t. II, n• 284, p. 269, 11°, note 5).
(99) LocRÉ, t. VII, p. 458, n• 3.
(100) A. TRASBOT, L'acte d'administration en droit privé français, Thèse, Bor-
deaux, 1921, p. 216 et 217.
(101) Cf. DE PAGE, op.cit., n• 284, in limine, et 11°; LEs NOVELLES, op.cit.,
n• 2633.
(102) TRASBOT, op. cit., ibid., cité aux NOVELLES, op. cit., n• 2632.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 177

119. Laurent a vivement critiqué ces opinions en développant


cette idée qu'une chose est de transiger, autre chose d'admi-
nistrer :
« ... celui qui ad.ministre conserve le patrimoine dont il a la gestion
tandis que celui qui transige diminue le patrimoine, toute transaction
impliquant une renonciation. Il faut dire la même chose des revenus
dont le mineur à la disposition : il en dispose en ce sens qu'il en jouit.
Mais renoncer à ses loyers, à ses fermages, est-ce en jouir ?... » (103).

Laurent, on Ie voit, s'en tient à une définition très stricte


de l'acte de pure administration et conteste formellement que,
sous cette étiquette, puisse jamais se réaliser une quelconque
aliénation, qu'elle qu'en soit la forme, donc une transaction :
« Il (le mineur émancipé) ne pourrait pas faire donation de ses revenus;
il ne peut même pas aliéner à titre onéreux ses droits mobiliers sans
assistance de son curateur ; transiger est un acte qui peut lui être bien
plus préjudiciable qu'une aliénation ; il faut donc des garanties plus
fortes pour sauvegarder ses intérêts. C'est là Ie vrai esprit de la loi » (104).

L'argumentation est moins heureuse lorsque Laurent oppose


la situation du mineur émancipé à celle du tuteur pour relever
la prétendue contradiction qu'il y a à reconnaître à l'émancipé
une capacité, même restreinte, de transiger alors que Ie tuteur,
qui dispose de pouvoirs d'administration autrement étendus,
ne peut jamais transiger seul, pour Ie mineur, sans respecter
l'article 467 du Code civil.
Cet argument procède, en effet, de la confusion déjà dénoncée
entre « capacité » et « pouvoir » de transiger : Ie mineur émancipé
a ou n'a pas la capacité de transiger, Ie tuteur en est évidemment
capable mais n'en a pas Ie pouvoir.
La distinction à faire est essentielle : Ie mineur émancipé,
bien que sa capacité soit restreinte, est néanmoins Ie maître
de ses affaires, ce qui lui permet de disposer comme il veut dans
la mesure de sa capacité. Le tuteur, au contraire, est toujours
un administrateur des biens d' autrui qui demeure comptable
des revenus comme des capitaux ; on comprend donc qu'il ne
puisse disposer transactionnellement de quoi que ce soit apparte-
nant au mineur.

(103) T. V, n° 235.
(104) Ibid.; dans le même sens: ACCARIAS, op.cit., n° 107, p. 227; PONT, t. II,
n° 520; GUILLOUARD, n° 43,
DE GAVRE, Ooritrat de trarisaction. - 12
178 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Laurent eût, sans doute, été mieux inspiré en faisant un


parallèle entre la capacité du mineur émancipé et celle du pro-
digue, auquel la transaction est radicalement interdite sans
J'assistance du conseil judiciaire (C. civ., art. 513), bien que la
capacité soit la règle pour le prodigue et que son incapacité soit,
en définitive, plus restreinte que celle du mineur émancipé.
120. Par contre, ce parallèJe a été fait dans un jugement du
tribunal civil de Gand du 17 février 1892 (105), qui consacre
par ailleurs la thèse de Laurent, en relevant :
que la transaction est un acte de disposition de haute importance ;
" qu'on chercherait vainement pour quelle raison il (le législateur) aurait
reconnu au mineur émancipé le droit de transiger sur les actes de pure
administration alors qu'il le refuse au tuteur et au prodigue <lont la capa-
cité est cependant plus étendue » ;
que l'opinion énoncée par Bigot-Préameneu n'a pas grande valeur,
car elle Ie fut, incidemment, " dans un exposé des motifs se rapportant
à un titre qui n'avait nullement pour objet de fixer l'étendue de la capa-
cité des mineurs émancipés, et à l'occasion d'un article qui ne citait
que quelques cas d'incapacité en se référant, du reste, aux principes
précédemment consacrés ».

Ce jugement fut suivi, en 1896, d'une décision du tribunal


civil de Bruxelles (106) qui, faisant appJication des règles de la
transaction au serment litisdécisoire, décide que le mineur
émancipé ne peut déférer ce serment, car il ne peut accomplir
que les actes de pure administration, catégorie juridique dont
Ja transaction ne fait pas partie ;
" Attendu que vainement les demandeurs objectent que le mineur
émancipé pourrait se désister de son procès, d'ou il suit qu'il peut le
terminer par une délation de serment ; qu'en effet, en admettant qu'un
mineur puisse se désister d'une action introduite, encore faut-il recon-
naître qu'en cas de désistement sans acquiescement, un demandeur ne
renonce pas à son droit ; que la délation de serment, au contraire, peut
mettre fin à son droit, s'il a existé; qu'il y a donc renonciation éventuelle. »

Là s'arrête la contribution de Ja jurisprudence beJge à Ja


discussion : il n'existe pas, en e:ffet, à notre connaissance, d'autre

(105) Pas., 1802, III, 201 et 202.


(106) Trib. Bruxelles, 14 décembre 1896, Pas., 1897, III, 198. Assez curieuse-
ment, ce jugement ainsi que celui du tribunal de Gand du 17 février 1892, sont
cités par les auteurs des Novelles comme favorables à la thèse de la capacité com-
battue par Laurent (op. cit., n° 2630), alors que c'est évidemment la conclusion
contraire qui s'impose (cf. DE PAGE, t. Il, n° 284, ll 0 , note 5).
CAPACITÉ DE TRANSIGER 179

décision dans un sens ou dans l'autre. Ce qui nous confirme


dans l'idée que si cette discussion est intéressante sur le terrain
des principes, elle surgit rarement en pratique, précisément
parce que les hypothèses dans lesquelles le mineur émancipé
pourrait éventuellement transiger seul doivent être et sont
effectivement considérées de façon restrictive.

121. Discussion critique des thèses en présence. Envisagées


sur un plan général, nous croyons qu'aucune des thèses en pré-
sence n'est parfaitement satisfaisante, même si l'une et l'autre
apportent des contributions essentielles à la solution du pro-
blème posé.
Il n'est pas douteux que l'opinion de la grande majorité de
la doctrine a, sur le plan des faits, de la réalité économique,
le bénéfice d'une beaucoup plus grande souplesse que la thèse,
parfois trop exégétique, de Laurent et de notre jurisprudence.
Il peut, en effet, être utile, économiquement, qu'un mineur
émancipé puisse transiger seul sans avoir à souffrir des lenteurs
et formalités inhérentes à la transaction, quand il s'agit de
litiges de peu d'importance relatifs à des loyers, fermages ou
autres revenus.
Mais cette considération est tout aussi valable pour le tuteur
et le prodigue, et pourtant, la loi s'oppose à ce qu'ils transigent
sans formalités.
Est-ce à dire qu'ici elle autorise la transaction ?
Il faut en douter et les auteurs favorables à la capacité en
doutent eux-mêmes :
« Mais Ie texte de la Ioi est ouvertement violé (C. civ., art. 467 et 484).
Il faut bien Ie confesser, ce n'est pas la solution de la jurisprudence qui
est critiquable, c'est Ie texte formel de la loi. Les nécessités de la vie
sociale sont plus fortes que les textes de loi" (107).

On peut se demander, dès lors, ce que dirait la Cour de cassa-


tion si elle était saisie d'un pourvoi fondé sur la violation des
articles 467 et 484 du Code civil ...
Il faut enfin prendre en considération la sécurité des cocon-
tractants du mineur émancipé et, à eet égard, la réponse n'est

(107) TRASBOT, op. cit., p. 216 et 217; on soulignera aussi la forme souvent
hésitante ou interrogative que certains auteurs favorables à la capacité donnent
à leur conclusion : cf. LES NOVELLES, op. cit., n°• 2629, 2630 et 2633.
180 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

pas douteuse la théorie doctrinale de la capacité, si elle a Ie


mérite de la souplesse et de la simplicité, les expose à des risques
certains sur lesquels nous reviendrons (in/ra, n° 129).
Mais il nous semble qu'il convient, avant toute autre démar-
che et pour bien résoudre la controverse, de répondre préalable-
ment aux deux questions suivantes :
I. la transaction peut-elle être considérée comme un acte
d'administration, voire de pure administration?
2. est-il vrai que, relativement aux actes de pure administra-
tion, le mineur émancipé est réputé majeur ?

122. Suite. On connaît les difficultés qui se présentent dès qu'il


s'agit de définir l'acte d'administration.
Elles proviennent de ce que Ie Code civil usant fréquemment
de cette notion, n'en a cependant pas présenté une théorie
générale et organique, comme il l'a fait, par exemple, pour la
propriété.
Il s'est borné à des énumérations exemplatives, les actes
d'administration se reconnaissant par leur nature juridique.
C'est ce critère de la nature intrinsèque de l'acte qui a conduit
Laurent et l'école exégétique à présenter l'acte d'administra-
tion d'une façon purement négative : l'acte d'administration
est celui qui n'est pas l'acte de disposition, ce dernier devant
être défini « comme tout acte juridique emportant aliénation
totale ou pa,rtielle d'un bien >> (108).
L'acte d'administration s'oppose donc à cc l'acte de propriété »
(C. civ., art. 1988), notion que d'aucuns ont préférée à celle d'acte
d'aliénation pour caractériser Ie droit de disposition (109).
Sous l'impulsion de Baudry-Lacantinerie et de Planiol, la
conception de l'acte d'administration s'est sensiblement rappro-
chée des réalités économiques et pratiques : ce qui, chez ces
auteurs, caractérise l'acte d'administration, en effet, c'est Ie
but vers lequel il tend, et non la nature abstraite et purement
juridique de ses effets.
« Par actes d'adnlinistration, écrit Baudry-Lacantinerie, il faut entendre
tous ceux qui tendent à conserver, à faire fructifier ou à augmenter Ie

(108) LAURENT, t. IV, n° 304, p. 406.


(109) DE PAGE, t. r•r (éd. 1962), n° 798, p. 925; sur la relation entre l'acte de
disposition et l'acte d'aliénation cf. LES NOVELLES, op. cit., n° 2342.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 181

patrimoine du mineur alors même qu'ils seraient de nature, par les consé-
quences qui en résultent, à compromettre Ie capita! lui-même » (llO).
Planiol, quant à lui, relève dans tous les actes d'administration un
dénominateur commun, de caractère objectif : "les actes d'administra-
tion, "n'engagent l'avenir que pour un temps court et sont, par suite,
fréquemment renouvelables » (lll).

Mais c'est, sans doute, avec la thèse de Trasbot que la doc-


trine moderne se fixera définitivement en faveur d'une concep-
tion purement économique de ]'acte d'administration, suivant
laquelle un même acte juridique peut, en raison des circonstances
concrètes de l'espèce, être soit un acte de disposition soit un acte
d' administration.
"C'est une notion économique, écrit M. De Page (112). C'est un concept
fonctionnel, variable, qui dépend essentiellement à la fois des circonstances
mêmes qui justifient l'acte et des pouvoirs de !'administrateur. En d'au-
tres termes, et sauf certains cas-limites sur lesquels tout Ie monde est
d'accord (actes de disposition à titre gratuit, hypothèques, baux de plus
de neuf années, emphytéose, etc.), il est impossible de donner de l'acte
d'administration une définition précise, lapidaire, qui ne serait que
théorique. »

Dans Je même courant d'idées, mais en termes plus prec1s,


M:. R. Savatier, dans la dernière édition du traité de Planiol
et Ripert, donne la définition suivante de l'acte d'admi-
nistration (113) :
« l'acte tendant, par des procédés normaux, à la conservation et à l'exploi-
tation du patrimoine, ainsi qu'à l'emploi des revenus. »

Cette définition paraît Ie mieux correspondre à la conception


actuelle de la doctrine.
123. Analyse de la jurisprudence. a) La jurisprudence belge,
hormis l'arrêt de la Cour de cassation du 6 mai 1943 (114), ne
fournit aucun enseignement (115). Et encore eet arrêt ne donne-
t-il pas la définition de l'acte d'administration.

(110) Précis de droit civil (7• éd.), t. I••, n• 1243, et Traité, t. V (avec ÜHENAUX
et BONNECARRÈRE), p. 232.
(111) Traité élémentaire de droit civü, 7• éd., p. 723 et 724.
(112) T. I••, éd. 1962, n• 798.
(113) PLANIOL, RIPERT et 8AVATIER (éd. 1952), t. Jer, p. 274.
(114) Pas., 1943, I, 157; Rev. crit. jur. beige, 1947, p. 181, avec les obs. de G. VAN
HECKE.
(115) G. Van Hecke Ie constatait et Ie regrettait déjà en 1947 dans sa note
précitée sous caEs., 6 mai 1943 (Rev. crit. jur. beige, 1947, p. 187); il semble bien
que la situation, à eet égard, ne Ee rnit pas modifiée.
182 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Il se borne à relever « qu'en tant qu'acte de disposition de


l'avoir pupillaire, la cession d'une créance appartenant au
mineur dépasse le pouvoir d'administration du tuteur ».
On affirme généralement qu'il n'est pas possible de déduire
de ce texte quel sens la Cour de cassation entend donner au
concept de l'acte d'administration, et on le regrette (ll6).
Il nous semble cependant permis d'être moins pessimiste
et de voir dans l'arrêt du 6 mai 1943, une approbation impli-
cite de l'ancienne théorie du Code civil, essentielement fondée
sur la nature intrinsèque de l'acte : c'est, en effet, parce que la
cession d'une créance du mineur - envisagée in abstracto -
est un acte de disposition - toujours in abstracto - qu'elle
excède les pouvoirs d'administration du tuteur.
Autrement dit, les pouvoirs - donc les actes - d'admi-
nistration sont définis par rapport à l'acte de disposition. C'est
Ia théorie classique.
Quoi qu'il en soit de cette interprétation, ce qui est certain,
c'est que la jurisprudence de la Cour de cassation atteste une
volonté de renforcer le formalisme protecteur chaque fois qu'il
s'agit d'un acte de disposition, cette philosophie de l'arrêt devant
nécessairement pénétrer le domaine de l'émancipation (Il 7)
comme aussi, d'ailleurs, celui de l'administration légale (ll8).
b) En France, par contre, la jurisprudence marque une ten-
dance plus favorable à la théorie moderne de l'acte d'admi-
nistration.
On trouvera aux Novelles les décisions les plus révélatrices
de cette tendance (ll9).
On se bornera à souligner ici, à propos de cette jurisprudence,
que, cependant, parmi les actes présentant un caractère inso-
lite et anormal, exclusif de la notion d'acte d'administration,
figurent incontestablement les renonciations (120), c'est-à-dire
des actes juridiques très proches de la transaction.

124. Il nous semble évident que, quelle que soit la théorie

(116) G. VAN HECKE, note précitée, p. 187.


(117) M. Van Hecke déduit de l'arrêt, en matière d'émancipation, que Ie
mineur émancipé « devra se munir de l'autorisation du c_onseil de familie et de
l'homologation du tribunal pour tout acte de disposition » (note précitée, p. 189).
(118) Cf. supra, n° 114.
(119) Op. cit., n°• 2379 et s.
(120) LEs NOVELI.ES, op. cit., n° 2382 avec les références.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 183

retenue, il n'est jamais possible de voir dans la transaction un


acte d'administration.
Si l'on opte, en effet, pour Ie système classique de la nature
intrinsèque de l'acte, Ie doute n'est assurément pas permis :
la transaction n'est jamais un acte d'administration parce qu'in-
trinsèquement elle est un acte de disposition. La partie qui
transige, renonce, en effet, à faire reconnaître en justice tout
ou partie de son droit contesté, ce qui signifie qu'elle en dispose,
moyennant quoi, Ie plus généralement, son cocontractant con-
sent, réciproquement et relativement à son droit concurrent,
aux concessions et renonciations convenues.
Or, il semble bien que dans la perspective générale de la juris-
prudence de notre Cour de cassation, c'est à cette théorie de la
nature intrinsèque qu'il faiJle s'arrêter.
Mais, même si la théorie dite « économique » de la doctrine
moderne devait triompher en jurisprudence, Ja conclusion
demeurerait la même : il nous paraît impossible, en effet, de
voir dans une transaction, « un acte tendant, par des procédés
courants et normaux, à Ia conservation et à l'exploitation du
patrimoine » (121).
La transaction n'est jamais un procédé normal et courant
de gestion; c'est, au contraire, un de ces procédés inhabitue]s
qui excJuent la notion d'acte d'administration.
Et les tenants les plus qualifiés de la théorie moderne en
conviennent d'ailleurs expressément.
« Il est difficile d'admettre, pense M. Savatier (122), que la transac-
tion, qui modifie par une renonciation partielle les droits auxquels pré-
tendait Ie mineur, puisse apparaître comme un acte courant et normal. »

Dès lors, nous pensons qu'est fondamentalement erronée la


théorie qui, sous prétexte de souplesse, conduit à donner à la
transaction Ie caractère d'acte d'administration lorsqu'elle est
relative à un acte d'administration.
La notion d'acte d'administration par relation devrait être
exclue ici.

125. A fortiori, doit-elle l'être lorsque la loi limite la capacité


d'un incapable aux actes de pure administration.

(121) Déflnition devenue classique donnée par R. Savatier au t. J•r de PLA·


NIOLet RIPERT (éd. 1952), p. 274, voy. supra, n• 122, in fine.
(122) Dans sa note au D., 1949, Jur., 154.
184 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

L'acte de pure administration ne correspond pas à une fan-


taisie terminologique du législateur.
Il exprime au contraire une réalité juridique, et s'oppose aux
actes de « libre » et << entière » administration (C. civ., art. 1536
et 1149).
L'expression marque donc, indéniablement, Ie souci du légis-
lateur de conférer au mineur émancipé un strict minimum de
pouvoir. Les meilleurs auteurs (123) en conviennent et en dédui-
sent que l'acte de pure administration sera celui « qui mani-
festement, aura pour but et pour effet la mise en valeur du patri-
moine n et qui sera « mani/estement un acte normal de
gestion » (124).
Cette définition rejoint celle que donnait déjà Baudry-Lacan-
tinerie, au début de ce siècle : « l'acte de pure administration
est celui qui, ayant pour but de conserver, de faire fructifier
et d'augmenter Ie patrimoine, ne peut produire des conséquences
dommageables pour Je capita! Iui-même » (125).
Il se conçoit, sans autres commentaires, que, sur Ie vu de ces
définitions, la transaction ne peut jamais satisfaire aux cri-
tères de ]'acte de pure administration, d'autant qu'elle ne peut
même être un acte d'administration.
Et, de nouveau, les tenants de la théorie moderne Ie recon-
naissent expressément :

M. R. Savatier n'écrit-il pas, au Répertoire Dalloz (126) :


« L'émancipé ne pourrait donc accomplir seul les actes dont la nature
juridique paraît à la loi (127) les rendre graves, m€me si les circonstances
en font des actes d'administration. »

(123) DE PAGE, t. Il, n° 283; LES NOVELLES, op.cit., n°• 2621 et 2622; BAU-
DRY-LACANTINERIE, CHENAUX et BONNECARRÈRE, t. V, p. 232; DEKKERS, t. Jer,
n° 589.
(124) LES NOVELLES, op. cit., ibid.; M. Verdot (La notion d'acte d'administra-
tion en droit privé français, Paris, 1963) écrit à ce sujet : " ..• Doivent être exclus
de cette notion de pure administration les actes qui, en raison de leur nature juri-
dique, paraissent les plus graves pour Ie patrimoine de l'émancipé même si, à
raison des circonstances dans lesquelles ils sont accomplis ou de leur objet, ils appa-
raissent, dans d'autres situations, comme des actes d'administration » (n° 191,
p. 139; voy. aussi, p. 138).
(125) Op. cit., ibid.
(126) Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Emancipation, n° 50, in fine, avec les réfé-
rences; cf. également VERDOT, op. cit., p. 139, n° 191, cité supra.
(127) Cette référence à la nature juridique légale, ne rnarque-t-elle pas une
tendance à fonder Ie raisonnement sur la notion de la • nature intrinsèque • de
l'acte?
CAPACITÉ DE TRANSIGER 185

Notre conclusion est donc que Ia transaction est et demeure


toujours un acte de disposition, ce qui exclut que l'on puisse
justifier une éventuelle capacité de transiger chez Ie mineur
par Ia raison, qu'en fait, et suivant les circonstances, il n'accom-
plirait qu'un acte de pure administration en transigeant sur
un acte de cette nature.
Première proposition : en transigeant sur un acte de pure
administration, Ie mineur émancipé accomplit un acte de dispo-
sition.

126. Seconde proposition : il est inexact de soutenir qu'à


l'égard des actes de pure administration, Ie mineur émancipé
est totalement assimilé au majeur (128).
Il est donc inexact de prétendre qu'en ayant la capacité
d'accomplir un acte de pure administration, il dispose implici-
tement de Ia capacité d'accomplir tous les actes quelconques
- dont la transaction - se rapportant audit acte de pure
administration.
Vérifions cette proposition :
Le mineur émancipé, nous I'avons dit (supra, n° Il 7), reste
un incapable. Il n'a donc de capacité que dans la stricte mesure
ou la loi lui en donne expressément.
Or que dit la loi î
Alors que l'article 487 du Code civil déclare que Ie mineur
émancipé est « réputé majeur pour les faits relatifs à son com-
merce », l'article 481 du Code civil, au contraire, se borne à dire
que, relativement aux actes de pure administration, l'émancipé
ne sera restituable contre ces actes que dans la mesure ou un
majeur Ie serait lui-même. Ce qui signifie, sans plus, qu'à l'égard
du mineur émancipé, Ia rescision pour ]ésion, protectrice des
mineurs, est exclue, Iorsqu'il s'agit d'un acte de pure admi-
nistration.
Mais cela ne signifie pas qu'il est réputé majeur : Ia nuance
entre les deux formules est considérable.
Et la différence entre les textes se traduit évidemment dans
la réalité juridique : les revenus qui sont, par excellence, l'objet
de l'acte de pure administration, ne peuvent être donnés (C. civ.,

(128) M. De Page, notamment, défend cette assimilation au majeur (t. II,


n° 283).
186 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

art. 903 et 904) ni prêtés. En outre, Ie mineur émancipé ne peut


compromettre, même si Ie compromis porte sur un objet de
pure administration (C. proc. civ., art. 83 et 1004) (129).
Ce qui plus est, même lorsqu'il est capable de s'obliger seul,
c'est-à-dire lorsqu'il s'agit d'un acte de pure administration,
!'engagement du mineur émancipé peut faire l'objet d'une
réduction protectrice (C. civ., art. 484, al. 2) (130). Celle-ci
laisse intact !'engagement, mais en diminue l'importance en
fonction de la fortune du mineur, de la bonne oude la mauvaise
foi de son ou de ses cocontractants et de l'utilité ou de l'inutilité
des dépenses. Les actes sont « réductibles pour excès » dès
!'instant ou ils emportent une dépense exagérée engendrée par
une vente ou tout autre contrat.
Il nous paraît donc diflicile de soutenir que Ie mineur émancipé
est pleinement capable, c'est-à-dire majeur, même dans les
domaines ou la loi lui reconnaît une capacité certaine.

127. Ces prémisses étant posées - impossibilité de considérer


la transaction comme un acte de pure administration et impos-
sibilité d'assimiler compiètement Ie mineur émancipé au majeur,
même quant aux actes de pure administration - comment
faut-il, selon nous, résoudre le problème particulier de la capacité
de l' émancipé, en matière de transaction ?
a) Si l'on s'en tenait au seul texte des articies 481 et 484 du
Code civil la question serait vite tranchée : Ie mineur émancipé
ne pourrait jamais transiger seul.
La solution s'exprimerait en e:ffet dans Ie syJlogisme suivant :
les articles 481 et 484 du Code civil interdisent au mineur émancipé
de faire, seul, aucun acte autre que de pure administration et, même quant

(129) PLANIOL et RIPERT, 2• éd., t. 1er, n• 643; LEs NOVELLES, op.cit., n• 2634;
voy. aussi Bruxelles, 12 juin 1959, Pas., 1960, II, 65: eet aITêt rappelle, en termes
très généraux, l'impossibilité de compromettre dès qu'un mineur est impliqué
dans une contestation et cela nonobstant la réforme de procédure réalisée par les
lois des 25 octobre 1919 et 12 mai 1937. Voy. en sens contraire: Lyon, 23 novem-
bre 1928, cité par LES NOVELLES, op. cit., n• 2635, et VERDOT, op. cit., p. 140,
n• 193.
(130) On considère, en effet, que l'action en réduction n'atteint jamais les actes
qui dépassent la pure administration (PLANIOL et RIPERT, t. I•r, n• 644, BAUDRY•
LACANTINERIE, t. v. n• 738; R. SAVATIER, v• Emancipation, in Dalloz: Encycl.
dr. civil, nos 67 et 83; LES NOVELLES, op. cit., n•• 2683 et 2684; DE PAGE, t. Il,
n•• 28 et 29; voy. cependant en sens contraire : AUBRY et RAu, t. Ier, 7• éd. par
ESMEIN et PoNSARD, § 132, n• 546, p. 885.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 187

à ces actes, ne l'assimilent pas complètement au majeur. Sa capacité


se restreint donc aux seuls actes expressément autorisés.
or, la transaction n'est jamais un acte de pure administration, même au
sens ou s'entend actuellement cette notion.
donc Ie mineur ne peut transiger que l'on considère la transaction
comme de pure administration ou simplement comme la « suite " d'un
acte de pure administration.

b) Mais cette solution conduirait à méconnaître un droit


de l'émancipé non exprimé au texte de la loi mais néanmoins
indiscutable : celui de disposer de ses revenus, dans certaines
limites.
C'est en vertu de ce droit que le mineur émancipé peut
procéder à des achats mobiliers ou même immobiliers, au
moyen de ses revenus : il peut donc les aliéner ; il en
dispose (131).
Par conséquent, dans notre système juridique de l'émanci-
pation, l'émancipé est un administrateur qui, à titre exception-
nel et relativement à certains éléments de son patrimoine seule-
ment, jouit d'une véritable capacité de disposer, laquelle, cepen-
dant, ne peut être considérée comme J'expression d'une capacité
équivalente à ceHe du majeur (C. civ., art. 484, al. 2).
Et c'est ici qu'intervient alors l'article 2045 du Code civil.
Ce texte requiert la capacité de disposer des objets compris
dans la transaction.
L'objet de la transaction, c'est le droit litigieux à l'exercice
duquel on renonce moyennant des concessions de la part du
colitigant.
Par conséquent, si ce droit est un droit aux revenus, la transac-
tion sera possible, car, exceptionnellement, l'émancipé peut
disposer de ses revenus.
Mais nous voudrions restreindre encore cette possibilité en
précisant qu'à notre avis les revenus doivent être, pour que
la transaction soit possible, non seulement l'objet du litige
mais aussi l'unique objet des obligations que chacune des parties
s'engage à payer aux termes de la transaction.
C'est dans ces conditions seulement que l'on peut dire que
les principes de l'article 2045 du Code civil se concilient avec

(131) DE PAGE, t. Il, n° 284; LES NOVELLES, op.cit., n° 2628,


188 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Ja capacité exceptionnelle de disposer reconnue au mineur


émancipé (132).

128. Exemples. ExpJicitons cette opinion par quelques exem-


ples :
1. Un mineur émancipé est victime d'un accident imputable à un
tiers. Il lui réclame, au titre de dommages et intérêts, consécutifs à un
préjudice moral et à une invalidité permanente partielle, une somme
de 1.000.000 par exemple. Le tiers responsable conteste l'étendue de la
réparation due et offre transactionnellement 750.000 francs. Le mineur
émancipé accepte. Transaction. Le mineur ne peut agir seul, les forma-
lités de l'article 467 du Code civil sont requises: en effet, le mineur renonce
indiscutablement à un capital. De plus, si la transaction ne constate
pas la réception et la quittance de ce capita!, elles ne pourront être vala-
bles sans l'assistance du curateur (C. civ., art. 482). '
2. Même solution si c'est le mineur émancipé qui est responsable, et
si c'est lui qui offre transactionnellement de payer par exemple 75 p. c.
des sommes réclamées par la victime (133).
3. Imaginons, par contre, le cas d'un mineur émancipé donnant à
bail, pour moins de neuf ans, un immeuble lui appartenant : acte de
pure administration (C. civ., art. 481).
Le mineur-bailleur assigne en payement de loyers arriérés : 25.000 francs.
Le preneur argue de l'existence de certains vices cachés, infectant
les lieux loués; il menace d'agir reconventionnellement en résiliation
du bail. Il finit par renoncer à cette demande moyennant réduction de
la demande principale à 15.000 francs.
Transaction possible par le mineur émancipé agissant seul, car il dis-
pose, à concurrence de 10.000 francs, de ses revenus seulement et ne
prend pas d'autres engagements.
4. Reprenons cette hypothèse mais supposons que le mineur-bailleur,
pour éviter la demande de résiliation du preneur, renonce totalement
à sa propre demande et, en outre, prenne !'engagement de faire faire
certains travaux pour supprimer les vices allégués, ou, à tout le moins,
s'engage à intervenir dans le coût de ces travaux à concurrence
de 5.000 francs, somme correspondant à un mois de loyer.
Transaction possible, par l'émancipé agissant seul, car le droit liti-

(132) Il semble bien que ce soit à une conclusion aussi restrictive que Colin
et Capitant aient abouti (Cours, t. r•r, 6• éd., p. 555); dans Ie même sens : cf.
LEPELLETIER, La transaction en droit romain et français, Thèse, Caen, 1890, p. 176
et 177; GrnouD, op. cit., p. 46 et 47; comp. VERDOT, op. cit., p. 140, n° 193, in
fine.
(133) Cf. dans Ie même sens, BEZ DE VILLARS, thèse précitée (Marseille, 1937),
p. 20; contra, mais à tort selon nous : note ANDRÉ (Bull. ass., 1945, p. 97) qui
défend, sans la justifier cependant, !'opinion que Ie mineur émancipé peut transi-
ger seul.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 189

gieux est un droit aux revenus de même que l'obligation complémen-


taire se paye normalement grace aux revenus disponibles.
5. Supposons, par contre, que Ie preneur invoque reconventionnelle-
ment que Ie bail doit être résilié aux torts du mineur parce que celui-ci
n'a pas délivré les lieux loués tels qu'il s'était engagé à Ie faire. En outre,
Ie preneur prétend que cette situation lui a causé un grave préjudice
commercial qu'il chiffre à 300.000 francs.
Le mineur succombe devant Ie premier juge. Il interjette appel. Paral-
lèlement Ie preneur offre de limiter ses prétentions à 200.000 francs
(loyer annuel : 60.000 francs, seul revenu du mineur).
Le mineur émancipé accepte : transaction.
Dans la thèse de certains auteurs modernes, cette transaction serait
possible, car elle est « relative à un acte de pure administration " et
procède du même caractère.
Selon nous, elle est radicalement exclue pour Ie mineur émancipé
agissant seul, parce que cette transaction, même si elle a pour objet
un droit aux revenus, comporte, par contre, pour l'émancipé, une aliéna-
tion qui dépasse très largement ses revenus disponibles et affecte, dès
lors, son capital.
Or, Ie mineur émancipé n'a pas la capacité d'en disposer et comme,
d'autre part, la transaction, même consécutive à un acte de pure admi-
nistration, n'a pas ce caractère, les formes instituées par l'article 467 du
Code civil seront requises.
6. La même solution s'impose, selon nous, dans Ie cas suivant : un
mineur émancipé, qui a des revenus annuels de 50.000 francs assure
sa responsabilité civile : acte de pure administration. Deux sinistres
surviennent, à la même époque. L'assureur décline sa responsabilité
en invoquant la nullité du contrat pour réticences et/ou fausses déclara-
tions. Le mineur conteste cette cause de nullité mais, pour faire bref
procès, accepte de prendre en charge personnelle Ie premier sinistre
(300.000 francs), l'assureur prestant sa garantie pour Ie second
(200.000 francs) et renonçant à invoquer la nullité pour l'avenir.
Cette transaction est relative à un acte de pure administration.
Et, pourtant, elle ne peut-être souscrite, selon nous, par l'émancipé
seul, à la fois parce que :
la transaction relative à un acte de pure administration ne devient
pas un acte de pure administration ;
Ie droit litigieux est un droit au bénéfice d'une assurance et non un
droit aux revenus stricto sensu, seul bien dont Ie mineur émancipé
puisse disposer dans Ie cadre de l'acte de disposition que constitue la
transaction ;
l'objet de l'obligation transactionnelle de l'émancipé ne peut se payer
avec ses revenus disponibles.

129. Conclusions. Nous pensons donc qu'il faut considérer


que Ie mineur émancipé ne peut, en principe, transiger sans
190 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

respecter les formes protectrices de l'article 467 du Code civil,


sauf si la transaction a pour objet un droit contesté aux revenus
et si elle ne fait naître à charge du mineur que des obligations
susceptibles d'être payées avec ses revenus disponibles.
Nous ne dissimulons pas ce que cette solution restrictive a
de rigide, de formaliste et de pesant.
Mais nous croyons qu'elle est la seule compatible tout à la
fois avec la nature de la transaction, l'étendue réelle de la capa-
cité du mineur émancipé, et Ie texte de la loi. Si Ie système
légal ne répond plus aux nécessités de l'heure - ce qui est
Ie cas - (134), il faut Ie modifier, mais il ne faut pas Ie solli-
citer en introduisant dans Ie raisonnement une notion aussi
contestable que celle de la transaction - acte de pure admi-
nistration « par relation ».
Quant à la déclaration de Bigot-Préameneu déjà citée, nous
renvoyons aux considérations pertinentes que Laurent et Ie
tribunal civil de Gand ont développées à son sujet (voy. supra,
n° 8 ll9 et s.).
A notre sens, cette déclaration, telle qu'on la lit au Locré (135),
est d'ailleurs assez étonnante en droit.
Bigot-Préameneu semble dire, en effet, que Ie mineur émancipé
peut transiger sur deux catégories de choses : « sur les objets
d'administration qui lui ont été confiés et sur ceux dont il a la
disposition », alors qu'il ne peut s'agir que d'une seule catégorie
de biens puisqu'en tout cas la transaction exige la capacité
de d.isposer.
Le texte devrait donc se lire, selon nous, comme suit :
« La capacité nécessaire pour transiger est relative à l'objet
de la transaction. Ainsi Ie mineur émancipé pourra transiger
sur les objets d'administration qui lui ont été confiés et dont
il a la disposition », auquel cas la déc1aration se concilie avec
notre conclusion puisqu'elle vise, implicitement mais certaine-
ment, les revenus.
Nous voudrions, enfin, faire observer que si de lege lata
notre analyse conduit à l'élaboration d'un système peu souple,
ce système, par contre, nous paraît infiniment moins dangereux

(134) Voy. les critiques adressées au système antérieur à la loi française du


24 décembre 1964 par DURRY et GoBERT, Rev. trim. dr. civ., 1966, p. 6 et s.
(135) T. VII (éd. beige), p. 458, n° 3.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 191

pour la sécurité des tiers et des cocontractants que la théorie


libérale de certains auteurs modernes.
Car a-t-on réfléchi aux conséquences possibles d'une capacité
de transiger trop largement étendue ?
Cette capacité, personne n'en doute, ne pourrait faire obsta-
cle à la réduction pour excès des obligations assumées par
l'émancipé aux termes de la transaction (136).
Or, la réduction pour excès, qui peut alJer pratiquement
jusqu'à la mise à néant de l'obligation du mineur, laisse intacte,
contrairement à la rescision pour lésion, l'obligation corréla-
tive du colitigant, avec cette conséquence que celui-ci aurait
définitivement perdu son droit d'agir, sans bénéficier pour
autant de la concession réciproque puisque celle-ci serait réduite,
eu égard, par exemple, à la fortune du mineur.
Sans doute pareille situation est-elle susceptible de se pro-
duire chaque fois que l'émancipé s'oblige.
Mais jamais elle n'engendre des conséquences aussi graves
que la renonciation au droit d'agir, avec, de surcroît, l'auto-
rité de chose jugée qui s'attache à pareille renonciation (C. civ.,
art. 2052).
Nous pensons dorre, en revenant de nouveau à la nature et
aux effets para-judiciaires de la transaction, que Jes risques
d'une réduction pour excès, qui pourraient se multiplier en
même temps que se multiplieraient les transactions réalisées
par l'émancipé seul, doivent, surabondamment, constituer un
argument d'opportunité sérieux en faveur de notre thèse.

130. Sanction des règles de capacité. Nous serons brefs, compte


tenu de ce qui a déjà été exposé dans Ie cas du mineur sous
tutelle et sous administration légale.
Trois hypothèses sont à considérer
1° Ie mineur émancipé a transigé personnellement, mais en
respectant Jes formaJités instituées par l'article 467 du Code
civil : l'acte est parfait et n'est susceptible ni de nullité, ni de
rescision, ni de réduction pour excès, quand bien même Ie mineur
en éprouverait préjudice ;
2° Ie mineur a transigé soit seul soit avec la seule assistance

(136) R. SAVATIER, v 0 Ernancipation, in Dalloz: Encycl. dr. civil, n°• 67 et 83,


Voy. aussi les références citées à Ia note 130.
192 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

de son curateur, alors que l'article 467 devait être respecté : la


transaction est nulle en la forme et Ie régime de cette nullité
est semblable à ce qui a été exposé en matière de tutelle (voy.
supra, n° 8 lll et s.);
3° Ie mineur a transigé seul alors qu'il en avait exceptionnelle-
ment la capacité : seule la réduction pour excès peut se conce-
voir. La rescision pour lésion et, a fortiori, la nullité en la forme
sont exclues.

131. Cas spécial du mineur émancipé commerçant. Nous savons


que l'article 487 du Code civil répute majeur Ie mineur émancipé
qui exerce un commerce, et ce pour les faits relatifs à ce com-
merce.
Il résulte donc d'un texte formel que Ie mineur émancipé
peut transiger librement, comme un majeur, dans tous les
litiges relatifs à ses affaires commerciales.
Sous condition qu'il en soit bien ainsi et que les règles de forme
prescrites par I'article 4 du titre premier du Code de commerce
aient été respectées, l' acte accompli par Ie mineur émancipé
commerçant, agissant seul, sera inattaquable : la nullité en la
forme, la rescision pour lésion et la réduction pour excès sont
donc toutes trois exclues.
Si, au contraire, la transaction ne concerne pas Ie commerce
du mineur, la transaction sera, selon Ie cas, nulle en la forme ou
réductible pour excès.
Si les formalités habilitantes du Code de commerce n'ont
pas été suivies, la transaction sera, bien que relative au com-
merce, « nulle en la forme » et ne pourra être retenue comme
acte civil, lequel, en toutes hypothèses, serait soit nul en la
forme soit réductible pour excès.

B. - lNCAPACITÉS PROTECTRICES ET GÉNÉRALES DUES


A UNE INFIRMITÉ MENTALE.

132. Les incapacités générales et protectrices dues à des


déficiences mentales concernent les interdits, l'aliéné sous
administration provisoire, I' aliéné interné mais non interdit,
les personnes séquestrées à domicile, les anormaux touchés
par la loi de défense sociale, et, enfin, les prodigues et les faibles
d'esprit.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 193

I. Cas des interdits judiciaires.


133. L'interdiction judiciaire, prononcée pour cause d'imhé-
cillité, de démence ou de fureur (C. civ., art. 489), place l'inter-
dit dans un état d'incapacité ahsolue de transiger, dès l'inter-
diction prononcée (C. civ., art. 502).
« L'interdit est assimilé au mineur, pour sa personne et pour
ses hiens : ]es ]ois sur Ia tutel1e des mineurs s'appliqueront à
la tutelle des interdits » (C. civ., art. 509) (137).
Par conséquent, c'est Je tuteur de l'interdit qui seul pourra
transiger, comme représentant légal de ce dernier, mais à condi-
tion de respecter les trois formalités de l'article 467 du Code
civil : avis des jurisconsultes, autorisation du conseil de famille,
homologation par Ie tribunal de première instance.
La solution résulte formellement de l'article 2045, alinéa 2,
du Code civil.
Nous renvoyons donc, purement et simpiement, à ce qui a
été exposé ci-devant au sujet de l'incapacité de transiger du
mineur en tutelle.

134. Quelle est la sanction de l'incapacité générale de l'interdit


judiciaire? Nous envisagerons, pour répondre à cette question,
trois hypothèses, différentes par Ie moment auquel l'aliéné
interdit aurait transigé seul.
a) Si l'aliéné interdit transige seul après le jugement pronon-
çant l'interdiction, la transaction sera nulle de droit suivant
l'articie 502 du Code civil.
Ce qui signifie que la nuJlité n'est pas subordonnée à la
démonstration d'une lésion, d'un dommage pécuniaire subi
par l'interdit ; elle doit être prononcée par Ie juge dès qu'il
constate que la transaction est postérieure au jugement. La
nullité de droit dépend donc seuiement d'un rapprochement
de dates.
Pour reprendre la forte expression de De Page (138) Ie juge-
ment d'interdiction crée « une présomption de folie continue,
présomption qui est irréfragable ... » et qui lie le tribunal d'une

(137) Courtrai, 3 juin 1955, R. W., 1955-1956, col. 807.


(138) T. II, 3• éd., n° 356; LES NOVELLES, Droit civil, t. IV, n° 2754. On con-
sultera également la chronique de jurisprudence de M. Renard, in Rev. crit. jur.
belge, 1950, p. 258 et 259.
DE GAVRE, 0011trat de tra-nsaction. - 13
194: TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

mamere absolue sans qu'il lui soit permis de rechercher si,


en fait, la transaction ne s'est pas réalisée dans un moment
de lucidité (139).
La nullité de droit, nonobstant ce caractère absolu et rigou-
reux, n'en est pas moins une nullité de protection, c'est-à-dire
une nullité relative (14:0) qui devra être demandée par l'inca-
pable (C. civ., art. 1125, al. 2), ses héritiers (14:l) ou son tuteur.
Cette nullité relative pourra donc disparaître soit par la
confirmation de la transaction nulle de droit (14:2) soit par la
prescription décennale à compter du décès de l'interdit ou de la
mainlevée de l'interdiction (C. civ., art. 1304:, al. 3).
b) Si l'aliéné a transigé seul avant le jugement d'interdiction,
la transaction pourra être annulée si la cause de l'interdiction
existait notoirement à !'époque ou la convention a été faite
(C. civ., art. 503), ou résulte de l'acte même.
Le juge du fond dispose donc, à !'inverse de ce qui se passe
dans l'hypothèse précédente, d'un large pouvoir d'apprécia-
tion puisque l'acte n'est pas nul de droit, mais seulement annu-
lable. La nullité cesse d'être obligatoire : elle devient facultative.
Le tribunal pourra donc prononcer l'annulation ou Ia refu-
ser : il se décidera suivant les circonstances propres de l'espèce
et tiendra compte, notamment, de l'importance du préjudice
éprouvé par l'aliéné, de la bonne oude la mauvaise foi de ceux
qui ont traité avec lui, de Ia possibilité d'une lucidité passagère
de l'aliéné au moment de l'acte, etc. (14:3).

(139) Mais ce système ne concerne que les actes et non les faits juridiques. Rappe-
lons aussi qu'en France on admet que soient pris en considération les intervalles
lucides, même pour les actes juridiques.
(140) Solution constante qui résulte d'ailleurs de la loi (C. civ., art. 1125, al. 2,
et 1304); cf. DE PAGE, op.cit., n° 358; LES NOVELLES, op.cit., n° 2755; J. CAR-
BONNIER, Droit civil, t. Jcr, n° 240, p. 736; DELVA, « Des effets de l'insanité de
la partie dans la procédure civile », Journ. trib., 1963, p. 257 et spécialement
p. 259, n° 11 avec les références en note 15.
(141) On rappellera ici les dispositions de l'article 504 du Code civil qui,
exceptionnellement, permet aux héritiers d'attaquer l'acte après le décès du
dément lorsque la preuve de la démence résulte de l'acte même, d'une part, et,
d'autre part, lorsque l'interdiction du dément défunt a été provoquée avant son
décès. Voy. sur ces questions : DE PAGE, op. cit., n° 364; LES NOVELLES, op.
cit., n°• 2712 à 272lbis avec les nombreuses références; Bruxelles, 19 février
1958, Pas., 1958, II, 248; cass. fr., civ., 25 octobre 1955, Rev. prat. not., 1956,
p. 136, obs. F. L.
(142) Sur la confirmation de l'acte par le tuteur, cf. cass., 8 février 1945, Pas.,
1945, I, 111, eet arrêt soulignant le caractère relatif de la nullité de droit.
(143) Voy. LES NOVELLES, op. cit., n° 2782 avec les nombreuses références;
DE PAGE, op. cit., n° 363; J. CARBONNIER, op. cit., ibid.; DELVA, ét. citée Journ.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 195

c) Si l'aliéné a transigé avant Ie jugement d'interdiction


mais après que la procédure a été intentée, on se trouve en
réalité dans l'hypothèse envisagée sub b : transaction conclue
avant Je jugement d'interdiction, soumise à l'article 503 du
Code civil (144).
Mais il se peut qu'au cours de la procédure, l'aliéné menacé
d'interdiction ait été pourvu d'un administrateur provisoire
chargé de prendre soin de sa personne et de ses biens (C. civ.,
art. 497).
Cette désignation modifie-t-elle la possibilité de transiger
de l'interdit ?
Aucunement, car !'administrateur provisoire ne peut accom-
plir que des actes d'administration. Encore faut-il qu'ils soient
urgents et strictement indispensables (145).
Il ne pourrait donc, sauf s'il y était expressément autorisé
par le tribunal (146), accomplir un acte qui, tel que la transac-
tion, n'est pas permis en régime de tutelle au tuteur agissant
seul (147).
Par conséquent, la capacité de transiger de l'aliéné n'est pas
modifiée, en cours de procédure, par la désignation d'un admi-
nistrateur provisoire : il pourra, dès lors, transiger seul, mais
sous réserve évidemment de l'annulabilité de l'acte conformé-
ment à l'article 503 du Code civil.

II. Cas des aliénés internés mais non interdits.


135. L'internement ou la collocation d'un dément dans un
établissement d'aliénés est une mesure administrative, à carac-

trib., 1963, p. 273 ets., spécialement p. 274, n° 46 avec les renvois n°• 77 et 78;
en jurisprudence belge récente, cf. Huy, 3 juillet 1946, Pas., 1948, III, 25; trib.
Liège, 7 février 1952, Jur. Liège, 1952-1953, p. 37; Bruxelles, 9 janvier 1961,
Rev. prat. not., 1964, p. 363; Mons, 1 er avril 1963, Pas., 1963, III, 76.
(144) Cf. DE PAGE, op. cit., n° 342, in fine.
(145) DE PAGE, op.cit., n° 346; voy. notamment quant aux actions judiciaires:
Liège, 13 juillet 1943, Pas., 1944, II, 1, et Bruxelles, 14 octobre 1961, Journ.
trib., 1962, 241.
(146) DE PAGE, op.cit., n° 346, p. 321, note 1, in fine. En pareil cas, les forma-
lités de l'article 467 du Code civil devront être respectées.
(147) Cette référence au régime de tutelle a été faite in Mons, 1 er décembre
1937, Belg. jud., 1938, 317, critiqué par DE PAGE, op.cit., n° 346, p. 321, note 1.
Mais même si une définition extensive des pouvoirs de !'administrateur provi-
soire, calquée bUr ceux du tuteur, était admissible, encore est-il certain que celui-ci
ne pourrait transiger au nom du dément, pendant la procédure, puisqu'aux
termes de l'article 467 du Code civil Ie tuteur ne peut transiger seul au nom du
mineur.
196 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

tère essentiellement curatif, qui, comme telle, n'altère pas la


capacité juridique de !'individu colloqué ou interné (148).
Celui-ci peut donc, en principe, transiger librement, seul.
Néanmoins, la loi du 18 juin 1850 sur Ie régime des aliénés
modifiée par celle du 28 décembre 1873 et surtout par celle
du 7 avril 1964, attache à la collocation trois effets juridiques
dont il faut tenir compte, lorsqu'il s'agit d'apprécier si une
transaction conclue par un aliéné colloqué, pendant son inter-
nement, peut être annulée pour cause de démence.
a) En vertu de l'article 34, alinéa 1er, de la loi précitée, texte
qui renvoie à l'article 1304 du Code civil, l'aliéné colloqué pourra
attaquer, pour cause de démence, la transaction conclue pen-
dant le temps de sa collocation. Il peut invoquer une présomp-
tion juris tantum de démence pendant toute la durée de son
internement (149). Le défendeur à l'action en nullité pourra
cependant lui opposer que l'acte a été accompli dans un inter-
valle lucide.
Le juge, quant à lui, appréciera souverainement s'il y a lieu
ou non d'annuler : c'est, mutatis mutandis, Ie régime de l'arti-
cle 503 du Code civil (voy. supra, n° 134, b), et non celui de la
nullité de droit de l'article 502 du Code civil (150).
b) Dérogeant à la règle générale de l'article 504 du Code
civil, l'article 34, alinéa 2, de Ia loi du 18 juin 1850 permet aux
héritiers du dément colloqué de demander la nullité de tout
acte souscrit pendant la collocation de leur défunt auteur,
sous réserve, de nouveau, d'une part, du pouvoir d'appréciation
laissé au tribunal et, d'autre part, de la possibilité, pour Ie défen-
deur, d'établir que la transaction a été souscrite dans un inter-
valle de lucidité.
c) On sait que l'aliéné colloqué peut être représenté dans cer-
tains actes de sa vie civile, par un administrateur provisoire.

(148) Bruxelles, 24 mai 1934, Belg. jud., 1934, 499 (avec réf.); Liège, 28 mars
1939, Pas., 1939, II, 121; Anvers, 16 mars 1950, R. W., 1950-1951, 594 avec
avis du ministère public et note; RENARD, Chron., Rev. crit. jur. belge, 1950,
p. 259, n° 72; DELVA, étude citée, Journ. trib., 1963, p. 276, n°• 65 et 66 avec les
références.
(149) Gand, 31 octobre 1947, Rev. prat. not., 1948, p. 26, et T. N., 1948, 8 (note);
DE PAGE, t. II, n° 373; DELVA, op.cit., Journ. trib., 1963, p. 276, n° 67, note 117.
(150) Trib. Liège, 19 octobre 1954, Jur. Liège, 1954-1955, p. 107.
Précisons que la nullité est évidemment relative : Gand, 7 mars 1955, T. N.,
1955, p. 167; DELVA, op. cit., ibid., n° 68 avec les références.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 197

Depuis la loi du 7 avril 1964 (151), celui-ci peut être désigné


de différentes manières : il s'agit d'abord de ]'administrateur
provisoire dont parle l'article 497 du Code civil; ensuite de
!'administrateur provisoire spécial désigné soit par le juge de
paix compétent, soit de plein droit, conformément aux dispo-
sitions de l'article 30 nouveau; enfin de !'administrateur pro-
visoire général dont parle l'article 30bis.
Mais quel que soit Ie mode de désignation de !'administra-
teur provisoire, les pouvoirs, pourtant assez larges, que lui
donne l'article 31 de la loi sur Ie régime des aliénés, ne compor-
tent pas celui de transiger au nom de l'aliéné, même avec auto-
risation de justice (152).
Il faut en conclure que même si la transaction apparaissait
in specie comme absolument nécessaire, elle ne peut être accom-
plie par !'administrateur provisoire. Dès lors, la capacité de
transiger du dément colloqué n'est aucunement affectée par
l'intervention de !'administrateur provisoire, sauf à appliquer,
évidemment, les règles de santions dont question ci-dessus,
a et b, même numéro.

III. Cas des aliénés non interdits, séquestrés à domicile.


136. La séquestration à domicile d'un aliéné, organisée par
l'article 25 de la loi sur le régime des aliénés, ne modifie pas sa
capacité civile, et n'entraîne pas Ie dessaisissement de l'admi-
nistration de ses biens.
Avant la loi du 7 avril 1964, ni Ie régime de l'administration
provisoire ni même celui de l'article 34 de la loi du 18 juin 1850
ne lui était applicable. Il s'ensuivait que Ie séquestré à domicile
restait entièrement soumis au droit commun et que s'il transi-
geait, nonobstant la séquestration ou alors qu'il s'était évadé,
la transaction ne pouvait être attaquée pour cause de démence
que si celle-ci était prouvée au moment de l'accomplissement

(151) Voy. l'excellent commentaire de la loi nouvelle par M. J. BAUGNIET,


in Rev. prat. not., 1966, p. 65 et s.
(152) DE PAGE, t. II, n° 380 : il faut donc souligner la différence qui existe
entre les pouvoirs de !'administrateur provisoire, désigné pendant la procédure
d'interdiction, conformément à l'article 497 du Code civil, et ceux de !'administra-
teur provisoire de l'aliéné colloqué, Ie premier pouvant éventuellement transiger
avec autorisation de justice (voy. supra, n° 133, in fine), Ie second ne Ie pouvant
jamais.
198 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

de l'acte. De plus, la transaction ne pouvait être invalidée


après Ie décès du séquestré à domicile, sauf si la folie résultait
de l'acte lui-même (153).
Actuellement, Ie régime de l'administration provisoire est
étendu, de même que l'article 34, aux séquestrés à domicile
(voy. notamment l'intitulé du chapitre VII, art. 29 à 34, de la loi).
Ce qui vient d'être exposé en ce qui concerne l'aliéné collo-
qué est donc applicable aux séquestrés à domicile par la volonté
du législateur qui a expressément placé les deux catégories
de déments sur le même pied (cf. notamment art. 29, 31 et 34
nouveaux).
En fait, la réforme n'affecte la possibilité de transiger que
sous l'angle de la sanction (application de l'article 34).

IV. Aliéné ne faisant l'objet d'aucune mesure légale


de protection.
137. Supposons qu'un dément qui n'est ni interdit ni collo-
qué ni séquestré vienne à transiger (154).
Cet acte, auquel manque une volonté consciente, est-il nul 1
II peut l'être à condition que Ie demandeur en nullité éta-
blisse que la démence existait au moment même de l'acte, auquel
cas celui-ci est nul faute de consentement. Si, au contraire, le
défendeur à l'action peut démontrer que la transaction a été
accomplie pendant une période de lucidité, l'acte sera inatta-
quable.
C'est l'application du droit commun.
Sur cette question et celle de la nature de la nullité pour
défaut de consentement voy. LES NOVELLES, Droit civil, t. IV,
nos 2700 et s. (155).

V. Délinquants anormaux. - Délinquants d'habitude.


138. Ces délinquants, soumis à la loi de défense sociale ne
sont pas, comme tels, des incapables (156).

(153) Voy. DE PAGE, op. cit., n° 386; LES NOVELLES, op. cit., n° 2833.
(154) Voy. sur ce cas, en général : VAN HOVE, « La gestion du patrimoine de
l'aliéné non interdit ni interné ou séquestré », in Rev. prat. not., 1953, p. 325.
(155) On consultera également: DE PAGE, t. II, n° 387; DELVA, op.cit., Journ.
trib., 1963, p. 278, n° 92 avec les références de doctrine citées en noten° 148.
(156) DE PAGE, op. cit., n° 366; voy. aussi MONETTE, DE VILLÉ et ANDRÉ,
t. II, n° 532.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 199

Ils peuvent donc, en principe, mais sous réserve de l'applica-


tion du droit commun, transiger valablement seuls.
On sait que la loi du l er juillet 1964, qui a modifié celle du
9 avril 1930, a institué un régime d'administration provisoire
(art. 29) calqué sur celui qui existe pour les aliénés.
L'article 30 nouveau de la loi de défense sociale donne à
!'administrateur provisoire du délinquant anormal ou d'habi-
tude des pouvoirs semblables à ceux que l'article 31 de la loi
du 18 juin 1850, modifiée par la loi du 7 avril 1964, donne à
l'administrateur provisoire de l'aliéné colloqué ou séquestré à
domicile.
Comme, parmi ces pouvoirs, ne figure pas celui de transiger,
la modification légale ne change rien à la possibilité de transi-
ger seul.
La loi nouvelle énonce, en outre, quant à la sanction, que
l'acte pourra être attaqué par application de l'article 1304,
alinéa l er, du Code civil expressément applicable aux internés
(art. 30, § 2 nouveau). Les dix ans de l'action en nullité courent
à l'égard de l'interné à dater de sa libération définitive et à
l'égard de ses héritiers à dater de la signification qui leur en
aura été faite ou de la connaissance qu'ils en auront eue depuis
la mort de leur auteur. Lorsque les dix ans auront commencé
à courir contre celui-ci, ils continueront à courir contre les
héritiers.

VI. Gas des prodigues et des faibles d' esprit.


139. l O Les prodigues et faibles d' esprit ont en commun une
même protection légale contre la mauvaise administration de
leurs biens : l'assistance d'un curateur.
Celui-ci s'est vu assigner par la loi des pouvoirs strictement
énumérés.
La transaction (157) prend rang parmi les actes qu'un pro-
digue ou un faible d'esprit ne peut accomplir qu'avec l'assistance
du curateur (158).

(157) Il faut entendre par là non seulement la transaction proprement dite


mais aussi tous actes à effets transactionnels, tels Ie serment litisdécisoire (voy. LES
NOVELLES, op. cit., n°• 2906 et 2909; cass. fr., 30 novembre 1909, Pas., 1911,
IV, 48; civ. Seine, 7 janvier 1949, Gaz. du pal., 1949, I, 167.
(158) C. civ., art. 513; voy. prudh. app. Bruxelles, 7 décembre 1962, Journ.
trib., 1963, p. 137, col. 3.
La disposition de l'article 513 est à rapprocher de celle de l'article 499 qui
200 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Remarquons ici que c'est à bon droit que l'on déduit et du


texte formel de l'article 513 et de l'incapacité absolue de plai-
der sans l'assistance du curateur, une incapacité, pareillement
absolue, de transiger, même sur des objets dont Je prodigue
ou Ie faible d'esprit a certainement la libre disposition, tels
ses revenus (159). Le texte de l'article 513 est, en e:ffet, absolu
et général, et la controverse rencontrée en matière d'émancipa-
tion est exclue ici, par la loi elle-même.
Personnellement, nous voulons retenir de l'article 513 un
argument en faveur de l'opinion que nous avons défendue
quant à la capacité de transiger du mineur émancipé (160) : le
Code civil montre, en effet, dans l'article 513, qu'il ne s'occupe
pas nécessairement de l' objet de la transaction pour déterminer
la capacité de celui qui transige, mais qu'il voit, au contraire,
dans la transaction, en soi, un acte d'aliénation, qui ne peut
être valablement accompli que par celui qui a la pleine capacité
de disposer (161).
2° Quid, dès lors, si l'incapable (162) transige seul?
si l'acte est accompli après la désignation du conseil judi-
ciaire, l'article 502 s'appliquera : Ia transaction sera nulle de
droit (163) (cf. sur cette sanction supra, n° 134).
si l'acte est accompli avant Ie jugement de désignation du
conseil, il demeure parfait, en principe. L'article 503 du Code
civil ne s'applique donc pas ici (164).
Mais il va de soi que les causes d'annulation de droit commun
pourront être invoquées, singulièrement s'il y a fraude dans

prévoit Ie cas de la désignation d 'un conseil judiciaire par Ie jugement qui rejette
une demande d'interdiction. La défense de transiger sans l'assistance de ce conseil
est prévue par ledit article 499.
(159) DE PAGE, t. v, n° 493, p. 481 et note 4; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER,
t. Jer, n° 769; MARTY et RAYNAUD, t. Jer, n° 908; LES NOVELLES, op.cit., n° 2908;
contra : ÜUME-KENDJIRO, op. cit., p. 163 et 164, n° 414.
(160) Voy. supra, n° 5 124 et s.
(161) De Page fait d'ailleurs Ie rapprochement entre Ie système légal de l'inca-
pacité du mineur émancipé et celui du prodigue et en souligne Ie manque d'homo-
généïté (op. cit., n° 493, p. 481, note 4).
(162) Il ne faut pas distinguer Ie cas du prodigue de celui du faible d'esprit :
DE PAGE, t. II, n° 430, avec les références de doctrine; cass., 17 février 1881,
Pas., 1881, I, 119.
(Hl3) La nullité de droit est relative et sortira ses effets, compte tenu de l'arti-
cle 1312 du Code civil (Liège, 19 septembre 1949, Pas., 1950, II, 73).
(164) La solution résulte du texte même de l'article 503 quine parle que d'in-
terdiction. Voy. en outre : DE PAGE, op. cit., n° 432; LES NOVELLES, op. cit.,
n° 2839; Bruxelles, 11 février 1916, Pas., 1916, II, 239.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 201

l'accomplissement de l'acte entre l'incapable et Ie tiers cocon-


tractant, et cela en vue d'éluder à !'avance les effets de la mise
sous conseil judiciaire (165), ou si la faiblesse d'esprit est telle
qu'il n'y a pas eu de volonté réelle et valable.

0. - lNCAPACITÉS SPÉCIALES DE TRANSIGER.

140. Nous avons terminé !'examen des incapacités de transi-


ger à caractère général et protecteur, en les rattachant soit à
l'age, soit à l'état mental.
Nous abordons maintenant la catégorie des incapacités spé-
ciales de transiger, instituées, elles aussi, dans un hut de pro-
tection.
Cette catégorie concerne des personnes qui, d'une manière
générale, sont parfaitement capables de transiger mais qui,
dans certaines situations particulières, sont spécialement frap-
pées, par la loi, d'une incapacité de le faire ou, à tout le moins,
ne peuvent transiger que moyennant certaines conditions et
formalités préalables.
Nous envisagerons successivement la capacité spéciale de
transiger
du mineur devenu majeur et du tuteur quant au compte
de tutelle,
des époux entre eux.

I. Gas de l'ex-tuteur et du mineur devenu majeur.

141. La loi protège Ie mineur sous tutelle, même après sa


majorité, en ne permettant au tuteur de transiger avec lui,
relativement au compte de tutelle, que lorsqu'elle considère que
l'ancien pupille est suffisamment éclairé sur les faits consti-
tutifs de la gestion tutélaire :
Article 2045 du Code civil, alinéa 2 : " ... et il (le tuteur) ne peut tran-
siger avec le mineur devenu majeur, sur le compte de tutelle, que confor-
mément à l'article 472 an mêrne titre " (De la minorité).

(165) Cf. notamment: DE PAGE, op.cit., n° 432; LES NOVELLES, op.cit., n°• 2840
ets. avec les références; cass., 2 novembre 1900, Pas., 1901, I, 36; cass. fr., 10 no-
vembre 1919, Sirey, 1920, 1, 248; trib. Bruxelles, 17 juin 1952, Journ. trib., 1953,
p. 277.
202 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

L'article 472 du Code civil impose quatre conditions pour que


le mineur, devenu majeur, puisse faire avec son ex-tuteur,
un « traité » relatif à la gestion de ce dernier.
Il faut pour que la transaction soit valable :
que le tuteur ait rendu à son ancien pupille « un compte
détaillé », c'est-à-dire un compte indiquant article par article,
les recettes et dépenses (cf. C. proc. civ., art. 533);
que le tuteur ait remis à son ancien pupille les pièces justi-
ficatives du compte de tutelle ;
que la remise du compte et des pièces justificatives soit
constatée par un récépissé de l'oyant compte.
qu'il se soit écoulé un délai minimum de 10 jours francs entre
la date du récépissé et celle de Ia transaction (166).
Si ces conditions sont remplies, la Ioi présume que le mineur
devenu majeur est parfaitement éclairé et l'autorise à transi-
ger; si elle ne Je sont pas, elle Ie répute aveugle et, craignant
que l'ex-tuteur n'abuse de la situation à son profit, annule
toute transaction et tout « traité >> en général qui interviendraient
sur Je compte de tutelle.

142. Il convient de préciser, quant aux personnes et quant


aux actes, Ie champ d'application de ce système légal (167),
qui trouve ses origines dans !'ancien droit (168).
a) Le régime particulier et exceptionnel des articles 2045

(166) La loi n'exige pas que Ie récépissé ait date certaine. On enseigne cepen-
dant que la prudence commande l'enregistrement du récépissé, s'il n'est pas
authentique, pour éviter tout soupçon d'antidate (BAUDRY-LACANTINERIE,
ÜHENAUX et BüNNECARÈRE, t. IV, n° 638, p. 635; DE PAGE, t. IJ, n° 237; PLANIOL
et RIPERT, t. I•r, n° 609), celle-ci devant être prouvée conformément au droit
commun, Ie récépissé faisant foi de sa date jusqu'à preuve contraire.
(167) La loi française du 14 décembre 1964 a modifié comme suit l'article 472 :
« Le mineur devenu majeur ou émancipé ne peut approuver Ie compte de tutelle
qu'un mois après que Ie tuteur Ie lui aura remis, contre récépissé, avec les pièces
justificatives. Toute approbation est nulle si elle est donnée avant la fin du délai.
Est de même nulle, toute convention passée entre Ie pupille devenu majeur ou
émancipé, et celui qui a été son tuteur si elle a pour effet de soustraire celui-ci,
en tout ou en partie, à son obligation de rendre compte.
» Si Ie compte donne Iieu à des contestations, elles seront poursuivies et jugées
conformément au titre du Code de procédure civile « Des redditions de comptes ».
C'est à ce texte nouveau que l'article 2045, a!inéa 2, du Code civil français
fait référence lorsqu'il vise les transactions entre Ie tuteur et Ie mineur devenu
majeur, relativement au compte de tutelle.
(168) PoTHIER, Traité des personnes et des choses, ir• partie, tit. VI, sect. IV,
art. VI, n° 189.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 203

et 472 du Code civil ne s'applique qu'au mineur en tutelle, devenu


majeur, et à son ancien tuteur.

Il ne s'applique donc pas aux transactions entre :


Ie père administrateur légal et son enfant devenu majeur. Les arti-
cles 2045 et 472 sont dérogatoires au droit commun. Ils doivent donc
être appliqués restrictivement, d'autant plus que les raisons qui les
justifient - crainte d'un abus par Ie tuteur des inexpériences et des
entraînements de son ex-pupille - se concilient mal avec une situation
dans laquelle les père et mère du mineur - ses protecteurs naturels -
sont tous deux en vie (169);
Ie mineur émancipé et son ancien tuteur : l'article 472 est tout à fait
inutile en présence, d'une part, de l'article 484 qui renvoie à l'article 467
pour toute transaction et, d'autre part, de l'article 480 du Code civil
qui impose l'assistance du curateur pour la reddition du compte de
tutelle (170);
!'ancien tuteur (ou ses héritiers) et Ie nouveau tuteur en cas d'excuse,
de destitution ou de décès du premier : Ie mineur est protégé par l'arti-
cle 467 du Code civil et ni les termes ni la ratio legis de l'article 472 ne
trouvent à s'appliquer ;
Ie tuteur et les héritiers du mineur : ici encore ni la lettre ni !'esprit
de l'article 472 ne peuvent être invoqués (171);
Ie mineur devenu majeur et son subrogé tuteur, pour faits relatifs à
sa responsa bili té ( 172).

Par contre, nous estimons, mais la question est controversée,


que les articles 2045, alinéa 2, et 472 du Code civil doivent
s'appliquer à la transaction intervenant entre les héritiers du
tuteur et Ie mineur devenu majeur.
Planiol et Ripert, notamment (173), ont soutenu !'opinion
contraire en faisant valoir que Je texte édictant une incapacité
est de stricte interprétation et ne peut s'appliquer à qui n'est
pas Ie tuteur proprement dit, lequel seul, à l'exclusion de ses

(169) BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n• 643, 3°.


(170) DE PAGE, t. II, n• 237 et les références p. 226, note 2; BAUDRY-LACAN·
TINERIE, op. cit., n• 643, 1°; comp. trib. Bruxelles, 13 novembre 1957, Journ.
trib., 1958, p. 8.
Contra : BEUDANT, t. IIIbis (2• éd. par BRETON), n• 1688, p. 273, note 1, qui
reconnaît qu'il y a doute et applique l'article 472 pour « éviter tout risque ».
(171) DEMOLOMBE, t. VIII, n• 78; LAURENT, t. V, n• 153; BAUDRY-LACANTI·
TINERIE, op. cit., n• 643, 2°; DE PAGE, t. II, n• 237.
(172) DE PAGE, op. cit., ibid., et Bruxelles, 13 mai 1886, Pas., 1886, II, 326.
(173) T. Jer, n• 607; cf. aussi: BEUDANT, t. IIlbis (2• éd. par BRETON), n• 1688;
BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n• 643, in fine; LAURENT, t. V, n• 153; cass.
fr., 19 mai 1863, Sirey, 1963, I, 305.
204 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

héritiers, peut avoir un ascendant moral éventuellement préju-


diciable à son ex-pupille (174).
M. De Page, au contraire, invoque l'esprit de la loi et le hut
poursuivi par le législateur pour justifier Ia solution oppo-
sée (175).
Nous nous rallions à l'opinion de l'éminent professeur : l'in-
capacité de l'article 472 est essentiellement protectrice; dès Iors,
la question se résume à rechercher si l'ex-pupille doit ou non
être protégé contre les héritiers de son tuteur. Et Ia réponse
ne nous paraît pas douteuse : il doit ]'être, car s'il est vrai qu'un
certain ascendant moral a disparu avec Ie tuteur, il reste que
l'ex-pupille doit être protégé contre son inexpérience, sa hate
et ses entraînements d'autant qu'on imagine mal, en fait, que
les héritiers du tuteur puissent être plus consciencieux et plus
scrupuleux que ne l'aurait été le défunt tuteur lui-même.
Le système léga] est donc établi pour Ie mineur, et non contre
Ie tuteur comme tel, mais bien contre tout rendant compte (176).
b) Une controverse existe sur l'étendue de la notion de« traité »
au sens de l'article 472 du Code civil (177).
Mais, en matière de transaction, elle est dénuée d'intérêt
et de portée, puisque l'article 2045, alinéa 2, du Code civil édicte
une règle spéciale et précise quant à son objet : Jes articles 2045,
alinéa 2, et 472 du Code civil s'appliqueront, en effet, à toutes
les transactions ou conventions à effets transactionnels, ayant
pour objet le compte de tutelle ou pouvant, par leur économie
ou leurs effets, avoir une influence, même indirecte, sur Ie compte
de tutelle.
Corrélativement, une transaction qui n'aurait aucune inci-
dence sur Ie compte de tutelle - transaction consécutive à une
vente pure et simple de l'ex-pupille à son tuteur par exemple -
échappe aux formalités de l'article 472 et est considérée comme
intervenant entre personnes pleinement maîtresses de leurs
droits (178).

(174) Raison supplémentaire invoquée par ÜUME-KENDJIRO, op. cit., n° 424,


4°, p. 177.
(175) Op.cit., ibid.; dans Ie même sens: ACCARIAS, op.cit., p. 246; DEMOLOMBE,
t. VIII, p. 83 et 84.
(176) DE PAGE, op. cit., ibid.
(177) Cf. sur ce point: DE PAGE, t. II, n°s 234 et 237, a.
(178) Voy. par exemple Liège, 30 mars 1835, Pas., 1835, II, 124.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 205

143. La sanction du non-respect des formalités légales est la


nullité de Ja transaction intervenue au mépris des articJes 2045,
alinéa 2, et 472 du Code civil, qu'il y ait lésion ou non (179).
Cette sanction se fonde sur une présomption de fraude, irré-
fragable, par application de l'article 1352 du Code civil : c'est
en vain, dès lors, que l'ex-tuteur allèguerait sa bonne foi et
offrirait de prouver que l'ex-pupille a transigé en parfaite con-
naissance de cause.
La nullité, parce qu'elle s'inspire essentiellement d'une idée
de protection, est évidemment relative.
Elle ne peut dorre être demandée que par l'ex-mineur ou ses
héritiers, et certainement pas par Ie tuteur (180) ou tout tiers
intéressé.
Mais il semble qu'en l'occurrence il faille préciser qu'il s'agit
d'une nullité relative purement personnelle, en ce sens que Je
droit de critique ne peut être mis en ceuvre par les créanciers
de Ja personne protégée (181). Il est ainsi dérogé à la règle géné-
rale de l'article ll66 du Code civil pour des raisons qui tiennent
au but ou, plus exactement, au milieu de fait ou opère la sanc-
tion : on considère que « si Ie compte de tutelle a été loyalement
rendu, bien que les formalités du traité aient été négligées, il
serait inadmissible que les créanciers de l'ex-pupille puissent
exercer à sa place une action que Ie respect et la reconnaissance
interdisent, moralement, à leur débiteur d'intenter » (182).
Sauf eet aspect particulier de la nullité, celle-ci répond à
toutes les caractéristiques du droit commun de la nullité relative.
En conséquence :
1° la nullité pourra faire l'objet d'une confirmation expresse
ou tacite, à condition que l'acte confirmatif observe les forma-
lités de l'article 472 du Code civil, faute de quoi la confirmation

(179) L'article 472 du Code civil n'exige pas la preuve de la lésion; cf. en outre:
trib. Liège, 11 décembre 1948, Jur. Liège, 1948-1949, p. 171.
(180) BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 641, in fine, avec les références de
jurisprudence française.
(181) RENARD et VIEUJEAN, « Nullité, inexistence et annulabilité en droit
civil belge », in Ann. dr. Liège, 1962, p. 270 (texte et notes 2 et 3); Rép. prat.
dr. belge, v 0 Nullité, n° 166.
(182) RENARD et VIEUJEAN, op. cit., ibid., note 3.
Contra : BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 641, citant cass. fr., 6 août 1888,
D., 1889, I, 439.
De Page (t. II, n° 238) ne parle que de l'ex-pupille ou ses héritiers sans men-
tionner les créanciers parmi ceux qui peuvent agir en nullité.
206 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

constituerait elle-même un traité relatif à la tutelle, frappé


de nullité (183);
2° l'action en nullité se prescrira par dix ans (C. civ., art. 1304).
La question du point de départ de ce délai décennal est contro-
versée (184) : est-ce Ia majorité du pupille - système de l'arti-
cle 475 du Code civil (185); est-ce Ie jour de l'acte - système
de droit commun de l'article 1304 du Code civil? (186).
Nous pensons avec Baudry-Lacantinerie (187) que ce n'est
ni l'un ni l'autre.
La prescription décennale est, en effet, une modalité de confir-
mation tacite et présumée (188). Or, un acte irrégulier ne peut
être valablement confirmé qu'à partir du moment ou l'auteur
de l'acte cesse d'être sous l'empire de la cause de nullité (189).
En l'occurrence, la confirmation ne peut donc être donnée que
du jour ou l'ex-mineur est parfaitement éclairé sur la gestion
tutélaire, ce qui suppose l'accomplissement des formalités de
l'article 472 du Code civil.
Nous estimons, en conséquence, que Ie délai de dix ans ne
peut commencer à courir que dix jours après la remise par
l'ex-mineur du récépissé constatant Ie parfait accomplissement
des formalités de l'article 472 du Code civil.
Le point de départ de la prescription décennale sera donc
toujours postérieur à la date de l'acte et à la majorité du mineur.
Sans doute, ce système peut-il, comme aussi celui fondé
purement et simplement sur l'article 1304 du Code civil, être
sans intérêt pratique pour !'ex-mineur si la nullité est demandée
ou obtenue plus de dix ans après la majorité. A ce moment,
il ne sera plus possible de solliciter une nouvelle reddition de
compte du tuteur, puisque Ie délai spécial de l'article 475 du
Code civil sera expiré. Mais comme l'observe M. De Page (190),

(183) DE PAGE, t. II, n° 238; PLANIOL et RIPERT, t. Jer, n° 610; ÜOLIN et


CAPITANT, t. Jer, n° 523, a; Amiens, 15 novembre 1904, D.P., 1905, II, 55.
(184) Voir !'excellent exposé de la question in DE PAGE, t. II, n° 248.
(185) ÜOLIN et ÜAPITANT, t. Jer, n° 524; DE FREMINVILLE, t. II, p. 496; DEMO·
LOMBE, t. VIII, p. 85 ets.; cass. fr., 15 mai 1882, D. P., 1883, 1, 111.
(186) PLANIOL et RIPERT, t. Jer, n° 614; ARNTZ, t. Jer, n° 762; DE PAGE, t. II,
n° 248.
(187) Op. cit., n° 642; dans le même sens : BEUDANT, op. cit., n° 1682, note 1.
(188) RENARD et VIEUJEAN, op.cit., p. 293: texte et note 1; PLANIOL et RIPERT,
t. VI, par ESMEIN, n° 316; DE PAGE, t. II, n° 805; CoLIN, CAPITANT et JULLIOT
DE LA MORANDIÈRE, Traité, t. Il (éd. 1959), n° 780.
(189) DE PAGE, op. cit., n° 805.
(190) T. II, n° 248, p. 239.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 207

cette conséquence est l'incidence normale d'une règle - celle


de l'article 475 du Code civil - qui relève d'un ordre d'idées
différent de celui qui justifie la prescription de l'action en nul-
lité de la transaction.
Pratiquement, il est donc prudent, pour limiter Jes effets de
cette implication, d'assigner à la fois en nullité de Ia transac-
tion et en reddition d'un nouveau compte, endéans les dix ans
qui suivent la majorité du pupille.
On ajoutera encore, quant aux effets de Ja nullité prononcée,
qu'elJe atteint non seulement la transaction relative au compte
de tutelle elle-même, mais aussi toutes autres clauses qui, dans
l'intention des parties, forment avec la convention nulle un tout
indivisibJe.
La jurisprudence beige a eu, récemment, l'occasion de Ie
préciser (191).
II. Transactions entre époux.
144. La question de la capacité spéciale de transiger entre
époux doit s'intégrer dans la théorie générale des contrats entre
époux (192).
On connaît Ie principe de base unanimement admis de nos
jours : la capacité générale de contracter entre époux est la
règle et elle s'impose, a fortiori, depuis Ja promuJgation de la
loi du 30 avril 1958 (193).
Mais ce principe souffre certaines exceptions dont la prin-
cipale résulte de l'article 1595 du Code civil qui, sauf certains
cas déterminés, prohibe la vente entre époux.
Le législateur a craint, principalement, que les époux ne
déguisent, sous forme de ventes, des donations irrévocables.
Sur cette crainte majeure s'ordonne la disposition de l'arti-
cle 1595 du Code civil qui s'inspire, en outre, du désir d'éviter
les abus d'influence d'un conjoint sur l'autre et les pactes frau-
duleusement souscrits au détriment des créanciers de l'un ou
l'autre des conjoints.

(191) Liège, 14 février 1950, Pas., 1951, Il, 22; Rev. prat. not., 1950, 193, cité
et approuvé par DE PAGE, t. II, n° 237, p. 225.
(192) Sur cette théorie on consultera les études générales de J. HÉMARD (Rev.
trim. dr. civ., 1938, p. 671-734) et de G. CoRNU (Rev. trim. dr. civ., 1953, p. 461-
493) ainsi que l'ouvrage de BAETEMAN et LAUWERS, Devoirs et droits des époux,
n°• 196 à 207; cf. aussi : DE PAGE, t. Jer (éd. 1962), n° 79bis.
(193) DE PAGE, op. cit., ibid., avec les références.
208 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Mais l'article 1595 du Code civil lui-même révèle que cette


présomption de fraude n'est pas irréfragable, et qu'elle doit
être écartée lorsque la mutation s'opère en vertu d'une cause
légitime, extérieure à la vente. Autrement dit, la prohibition
est levée Jorsqu'il existe, entre époux, une dette antérieure,
exigible et certaine, susceptible d'un payement actuel (194) :
ainsi s'expliquent les exceptions contenues dans l'article 1595,
qui constituent moins des ventes permises que des dations en
payement (195).
L'idée de base est donc que seules les mutations entre époux,
les transferts de propriété, sont interdits, à moins qu'ils ne
procèdent d'une dette antérieure et extérieure à la mutation,
parce que précisément, là ou il y a dette réelle, il ne peut y
avoir donation déguisée et que « cette certitude seule suffit à
renverser la présomption de gratuité frauduleuse qui s'attache
ordinairement à toutes les cessions onéreuses d'un époux à
l'autre » ( 196).
Par application de cette idée, sont évidemment valables les
contrats entre époux qui, tels Ie louage, Ie prêt, Ie dépöt empor-
tent une obligation de restituer et, par là, sont impuissants à
réaliser une donation déguisée et irrévocable (197).
Sont, par contre, interdits tous actes opérant mutation d'un
époux à l'autre, que celle-ci se présente à l'état brut, comme
dans une vente ou un échange, ou sous la forme plus voilée d'un
élément d'un contrat complexe, ou comme Ie résultat possible
de sou fonctionnement. On doit donc prohiber, en se rapportant
à l'étalon légal de l'article 1595 du Code civil, tout contrat
dont les effets seraient aussi graves que ceux de la vente parce
qu'il contiendrait, même en puissance, des mutations entre
époux (198).

145. Suite. Quid, dans ces conditions, de la capacité spéciale


de transiger, entre époux ?
Personne ne discute l'opportunité et l'utilité qu'il y a à per-

(194) G. CORNU, op.cit., n° 20, p. 480 avec les références de la note 73.
(195) Dans ce sens : DE PAGE, t. IV, n• 61; PLANIOL et RIPERT, t. X
par M. HAMEL, n° 63; Rép. prat. dr. belge, v 0 Vente, n° 126; G. CORNU, op.cit.,
ibid.
(196) G. CoRNU, op. cit., ibid.
(197) G. ÜORNU, op. cit., n° 21, p. 481.
(198) G. CoRNU, op.cit., n° 22 qui se réfère à la méthode de Demolombe.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 209

mettre les transactions entre époux, de façon à prévenir les


contestations ou à rétablir amiablement la paix du ménage.
Mais cela ne suffit pas à justifier, en droit, la solution de la
capacité pleine et entière de transiger.
Aussi la doctrine moderne (199) invoque-t-elle Ie caractère
déclaratif de la transaction pour en déduire que, puisque ce
contrat n'opère pas transfert de propriété, il n'y a pas lieu d'appli-
quer la règle de l'article 1595 même si, en soi, la transaction doit
être regardée comme un contrat plus dangereux que la vente.
La justification ne nous paraît que partielle. En effet, c'est
seulement quant aux droits litigieux que la transaction a un
caractère déclaratif. Mais il est fréquent qu'une des parties,
corrélativement à la renonciation de son adversaire au droit
litigieux, consente à !'abandon d'un bien non litigieux. II n'est
pas douteux que eet engagement crée entre les parties un rap-
port d'auteur à ayant eau.se qui confère un caractère translatif
à l'obligation du cédant (200).
Dès lors, dans Ie mesure ou la transaction, par son économie,
son exécution ou son fonctionnement emporte transfert entre
époux d'un bien non litigieux, elle ne peut être admise entre
les conjoints, à moins que la mutation ne puisse se justifier
par l'une des exceptions de l'article 1595, en particulier celle
du 1° qui concerne la cession d'un époux, séparé judiciairement,
à l'autre, en payement de ses droits.
De même, il nous paraît aller de soi que la transaction sur
une vente ou tout acte translatif interdit entre époux est pareil-
lement nulle, parce qu'elle constitue le résultat et la suite de la
convention prohibée : mais nous touchons davantage ici au
domaine de l'objet qu'à celui de la capacité proprement dite.
Ces deux restrictions étant formulées, Ie caractère déclaratif
de la transaction permet de justifier la capacité qu'ont les époux
de transiger librement entre eux, sous la seule réserve d'une
annulation en cas de fraude prouvée (201).

(199) J. HÉMARD, op. cit., n° 110, p. 729; G. CORNU, op. cit., n° 24, p. 482;
L. BoYER, La notion de transaction, p. 239 ets.; FRÉJAVILLE, Cours de droit civil
approfondi (Paris, 1952-1953), p. 364; BAETEMAN et LAUWERS, op. cit., p. 220,
n° 206.
(200) BEUDANT, t. XII, 2• éd., par RODIÈRE et PERCEROU, n° 346; Dalloz :
Encycl. dr. civil, v• Transaction, n° 142.
(201) Réserve unanimement formulée : cf. BAETEMAN et LAUWERS, op. cit.,
ibid.; FRÉJAVILLE, op. cit., ibid.; CORNU, op. cit., ibid.
DE GAVRE, Oontrat de transaction. - 14
210 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Mais, il reste que cette justification des auteurs les plus


récents ne rencontre pas l'argumentation d'une doctrine assez
ancienne (202), suivant laqueJle les époux ne pourraient jamais
transiger entre eux, parce que J'article 2045, alinéa 1er, du Code
civil requiert, pour transiger, la capacité de disposer à titre
onéreux des objets compris dans la transaction, et qu'en prin-
cipe les époux n'ont, entre eux, aucune capacité de disposer,
en vertu de l'article 1595 du Code civil.
Cette combinaison Jittérale des articles 2045, alinéa 1 er, et
1595 du Code civil conduit, selon nous, à une conclusion inexacte,
parce qu'elle va à l'encontre :
a) de la ratio legis de J'article 1595 du Code civil, qui est de
démasquer les donations déguisées et, dès lors, de prohiber
non pas n'importe quels abandons, concessions ou dispositions,
mais bien uniquement les transferts de propriété - les aliéna-
tions - non protégés par les trois exceptions dudit article 1595.
C'est seulement dans la stricte mesure de cette prohibition
que les époux sont incapables entre eux, et c'est par application
de ce qui précède que nous pensons qu'une femme peut parfai-
tement consentir à son mari un bail de plus de 9 ans, c'est-
à-dire accomplir un acte qui requiert généralement la capacité
de disposer, parce que eet acte n'emporte pas une mutation
réelle susceptible de déguiser une donation irrévocable.
b) de la portée de l'article 2045, alinéa 1er, qui, de toute évi-
dence, ne concerne que le plerumque fit de Ia capacité de droit
commun, et non Ie cas exceptionnel des relations contractuelles
entre époux, lequel relève plutöt d'un régime légal et spécial
de prohibitions d'intérêt privé, différent de celui de la capacité
proprement dite (203).
Nous croyons pouvoir étayer ce raisonnement par une dispo-
sition de droit positif; l'article 279 du Code civil, dont il résulte
expressément que les époux qui divorcent par consentement
mutuel sont libres de transiger sur l'inventaire et l'estimation
préalable de leurs biens et sur leurs droits respectifs (204).

(202) Cf. notamment : TROPLONG, Transactions, p. 584 ; AccARIAS, op. cit.,


p. 240; ÛUME-KENDJIRO, op. cit., n°s 426 à 428; GIROUD, op. cit., p. 63 et s.
(203) LAURENT, t. XXIV, n° 63; Rép. prat. dr. beige, v 0 Vente, n° 123.
(204) Cf. sur cette possibilité et les conséquences qui découlent de la transac-
tion intervenue : Liège, 27 juin 1952, Journ. trib., 1953, 172, et Bruxelles, 16 octo-
bre 1957, Pas., 1959, II, 13, ainsi que DE PAGE, t. Jer (éd. 1962), n° 1018, qui
CAPACITÉ DE TRANSIGER 211

Ce texte confirme à nos yeux :


que les époux sont en principe capables de transiger entre
eux, corollaire de la capacité générale de contracter entre époux.
que, dès lors, l'incapacité de transiger ne peut se concevoir
qu'exceptionnellement, c'est-à-dire lorsque la transaction, par
ses effets, est assimilable à la vente prohibée de l'article 1595,
ce qui suppose qu'elle implique Je transfert de la propriété
d'un bien non litigieux sans que puisse être invoquée l'une des
trois exceptions de l'article 1595 du Code civil.
On rappellera également à l'appui de ce qui vient d'être
exposé la jurisprudence récente du tribunal et de la cour de
Bruxelles (205) dont il résulte que des époux séparés judiciaire-
ment de biens peuvent régler transactionnellement, durant Ie
mariage, les droits qui découlent pour eux de leur régime matri-
monia! initia!. Sans doute, cette jurisprudence mettait-elle
surtout en cause la règle de l'immutablilité des conventions
matrimoniales. A ce titre, elle sera examinée de nouveau lors-
qu'il sera question de I'objet des transactions. Mais il reste que
sur le plan de la capacité de transiger, entre époux, !'arrêt du
24 mai 1960 affirme que « la voie de la transaction était ouverte
aux parties, sans autre limitation que Ie respect des droits des
tiers ... que pour remplir l'épouse de ses droits, son conjoint
peut lui attribuer des biens relevant de la communauté à laquelle
elle renonce, ou des biens propres à lui, sans violer, pour autant,
les règles de l'immutabilité des conventions matrimoniales,
des donations ou de la vente entre époux ».

146. Si la transaction est de celles qui sont prohibées, elle


sera nulle de nullité relative, avec toutes les conséquences de
droit commun que cela comporte.
Soulignons seulement que la nullité pourra être sollicitée et
par chacun des époux, et par leurs créanciers, puisque ce sont
ces derniers que l'article 1595 du Code civil tend entre autres
à protéger.

souligne que pour faciliter Ie règlement préalable des questions matérielles, la


faculté de transiger doit être entendue de la façon la plus large (application de
l'article 1134 du Code civil).
(205) Trib. Bruxelles, 8 octobre 1957 (Ann. not., 1959, p. 276), confirmé par
Bruxelles, 24 mai 1960 (Ann. not., 1960, p. 209), décisions commentées, surtout
sous l'angle de l'article 1395 du Code civil, par MM. J. RENAULD et N. LECLERCQ,
in Rev. crit. jur. belge, 1964 (Examen de jurisprudence relatif au contrat de ma-
riage et régimes matrimoniaux, 1960-1963), p. 354-366.
212 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

D. - lNCAPACITÉS-SANCTIONS.

147. Nous venons de passer en revue les incapacités protec-


trices en distinguant, suivant leur étendue, les incapacités
générales et les incapacités spéciales.
Nous abordons à présent Ie régime des incapacités-sanc-
tions, qui procèdent non d'une idée de protection mais de la
volonté de Ja loi d'imposer une déchéance ou une indignité.
Dans certains cas, la sanction est générale : c'est Ie système
de l'interdiction légale (206); dans d'autres elle n'existe que
relativement à certaines personnes et à certains biens : c'est
Je cas du failli, du commerçant concordataire et du débiteur
dont les immeubles sont frappés de saisie.

I. Incapacité de l'interdit légal.


148. Aux termes de ]'article 22 du Code péna], tel qu'il a été
modifié par la loi du 11 janvier 1954 (207), l'interdiction que
Ia loi attache aux condamnations criminelles (C. civ., art. 20
et 21) enlève au condamné la capacité d'administrer ses biens
et d'en disposer.
Comme, d'autre part, l'article 23 du Code péna] dispose qu'il
sera nommé à l'interdit légal un curateur pour gérer ses biens,
suivant les règles relatives à la tute11e des interdits, il suffit de
s'en rapporter à ce qui a été exposé ci-devant quant à l'incapacité
absolue de transiger de l'interdit judiciaire (voy. n° 8 133 et s.)
et quant aux formalités (C. civ., art. 467) qui s'imposent au
curateur.
La sanction de l'incapacité de l'interdit légal est la nullité
de droit de la transaction, conclue sans intervention du cura-
teur, après la décision dont dérive l'interdiction légale.
Mais la nullité sera cette fois absolue, car il s'agit d'une « inca-

(206) Nous considérons, en effet, que l'incapacité de l'interdit légal est une
peine accessoire bien plus qu'une mesure de protection même si, par voie de consé•
quence, elle permet de protéger les biens du condamné à qui toute gestion sérieuse
est impossible (dans ce sens : PLANIOL et RIPERT, 2• éd., t. I•r, n°• 248 et 694,
note 3; LES NOVELLES, op. cit., n° 2961; contra : MARTY et RAYNAUD, t. I•r,
n° 939, qui considèrent que l'idée de protection est aussi importante que celle
de sanction).
(207) Voy. sur l'interdiction légale en général, l'étude de M. J. BAUGNIET,
in Rev. prat. not., 1948, p. 265, et le commentaire de la loi du 11 janvier 1954 par
M. BUCKIN, in Rev. dr. pén., 1953-1954, p. 793.
-- ------------~---------------------------,

CAPACITÉ DE TRANSIGER 213

pacité de défiance » (208) qui touche à l'ordre public, à l'intérêt


général, et qui tend à assurer l'appJication des lois répres-
sives (209).
On rappelle ici que l'interdiction légale est suspendue pendant
que le condamné se trouve en liberté conditionnelle, en vertu
d'un ordre de libération qui n'a pas été révoqué (210).

II. lncapacité du failli. - Cas du débiteur concordataire.

149. A. L'incapacité du failli est spéciale : elle n'existe qu'à


l'égard des créanciers qui forment la masse.
Il faut distinguer deux périodes :
a) le failli peut évidemment transiger après la date de la
cessation de payement et avant le jugement déc1aratif - pé-
riode suspecte - mais la transaction pourra être annulée :
bien que déclarative, la transaction est, en effet, un acte à titre
onéreux qui est soumis, comme tel, au régime de la nullité
facultative de l'article 446 de la loi sur les faillites (211), les
conditions de cette annulation étant la connaissance de l'état de
cessation de payement par le cocontractant (art. 446) (212),
et Ie préjudice causé par ]'acte à la masse (213). Il faut toute-
fois réserver la possibilité d'une nullité de droit de la transac-
tion, s'il est avéré que la valeur donnée par Je failli dépasse
notablement celle qu'il a reçue en retour (art. 445, al. 2), ou que
la transaction déguise en réalité une libéralité (art. 445,
al. 2) (214) : tel serait Ie cas, par exemple, d'une renonciation
transactionnelle à une créance pour faire cesser des poursuiteti1

(208) J. ÜARBONNIER, t. Ier, n° 209, p. 627; MARTY et RAYNAUD, t. Ier, n° 943;


MAZEAUD, Leçons de droit civil, t. Ier, n° 1387; LES NOVELLES, op. cit., n°• 2967
et 2968; voy. aussi GrROUD, op.cit., p. 56, qui admet que le cocontractant peut,
en tout cas, invoquer la nullité.
(209) Bruxelles, 21 mars 1956, Rev. fisc., 1957, p. 53.
(210) Loi du 31 mai 1888, art. ie•, modifiée par la loi du 11 janvier 1954, art. 1 er;
cf. aussi cass., 6 septembre 1960, Pas., 1961, I, 23.
(211) LYON-CAEN et RENAULT, t. VII, n° 392; FREDERICQ, op. cit., t. VII,
n° 141; Rép. prat. dr. belge, v° Faillite et banqueroute, n° 984, avec les références.
(212) VAN RYN et liEENEN, t. IV, n° 2733; FREDERICQ, t. VII, n° 141; LES
NOVELLES, Droit commercial, t. IV, n° 256; comm. Bruxelles, ier juillet 1954,
Rev. faill., 1953-1954, col. 1088. Voy. sur Ie système de nullité de l'article 446
en général : FREDERICQ, op. cit., n° 132; PIRET, Chroniques de jurisprudence sur
les faillites, in Rev. crit. jur. beige, 1951, p. 64 et s., et 1954, p. 138 et s.
(213) Bruxelles, ch. réun., 1 er mars 1960, Pas., 1960, II, 244.
(214) THALLER et PERCEROU, t. Ier, n° 577bis; Rtp. prat. dr. belge, v• Faillite
et banqueroute, n° 618.
214 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

qui ne peuvent aboutir contre le failli (215), ou encore de toute


transaction consentie sans cause pendant la période sus-
pecte (216). Toutes ces nullités, instituées dans l'intérêt de la
masse, ne peuvent évidemment être demandées que par elle, à
l'intervention du curateur.
Une précision importante s'impose : on enseigne que Ie régime
de nullité décrit ci-dessus ne vaut que pour les transactions
ou actes à effets transactionnels non judiciaires intervenus
pendant la période suspecte (217). Les transactions judiciaires
échapperaient dorre aux articles 445 et 446.
b) si Ie failli transige après Ie jugement déclaratif de faillite,
la transaction est, en principe, nulle de droit (218), car la fail-
lite emporte dessaisissement du débiteur et impossibilité pour
lui d'accomplir valablement, quant aux biens frappés de dessai-
sissement, un acte d'administration et, a fortiori, un acte de
disposition comme la transaction (art. 444, al. 2).
Cependant la nullité - ou mieux l'inopposabilité - de droit
n'existe qu'à l'égard de la masse, qui peut donc parfaitement
renoncer à l'invoquer si elle estime que Ie contrat peut être
ratifié parce qu'avantageux pour elle (219).
Corrélativement, ni Ie cocontractant, ni Ie failli lui-même,
ne peuvent invoquer l'état de faillite pour faire annuler la
transaction.
C'est en cela que la faillite ne crée pas une véritable incapacité,
mais seulement une indisponibilité, quant à certains biens,
dans Ie seul intérêt des créanciers.
Cet intérêt sera parfaitement sauvegardé si, après la déclara-
tion de faillite, la transaction est conclue par Ie curateur, au
nom de Ia masse : la loi lui donne, à eet effet, des pouvoirs dont
l'exercice est soumis à diverses formalités suivant l'importance
de l'objet de la transaction (voy. infra, n° 8 185 et s.).

(215) Comm. Gand, 16 mai 1914, Jur. com. Fl., 181.


(216) Comm. Gand., 6 juin 1914, Jur. com. Fl., 253.
(217) Rép. prat. dr. belge, v° Faillite et banqueroute, n° 985; note sous Bordeaux,
17 mars 1879, D. P., 1881, II, 225; cf. cependant FREDERICQ, op. cit., ibid. qui
soutient qu'à l'égard de l'article 446, il est indifférent que la transaction soit
intervenue en présence d'un magistrat qui aurait prêté ses bons offices en vue de
concilier les parties.
(218) Rép. prat. àr. belge, v° Faillite et banqueroute, n°• 396 et 398; VAN RYN
et HEENEN, op. ci.t., n° 2681.
(219) Rép. prat. dr. belge, v° Faillite et banqueroute, n° 398, in fine, avec les réfé-
rences de doctrine, et n°• 404 à 406.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 215

Précisons encore que la nullité de droit ne se conçoit pas,


dans la mesure ou la transaction porte sur un droit strictement
personnel au failli, tel le droit à réparation du préjudice
moral (220). Dans ce cas, le failli peut transiger seul et l'acte
sera opposable à la masse.
Par contre, si la transaction porte sur la réparation d'un pré-
judice matériel, seul le curateur peut accomplir l'acte (221).

150. La situation du commerçant concordataire est évidem-


ment tout à fait différente.
a) le concordat préventif à la faillite ou concordat judiciaire
ne frappe pas d'incapacité Ie débiteur qui l'a obtenu et ne le
dessaisit pas de plein droit de l'administration de ses biens.
Il peut donc transiger valablement seul sans aucune for-
malité.
Il faut cependant rappeler que, pendant la procédure suivie
pour l'obtention du concordat, le débiteur ne peut ni aliéner,
ni s'engager sans l'autorisation du juge délégué (loi du 20 juin
1883, art. 6), la sanction du défaut d'autorisation étant une
nullité relative dans l'intérêt des créanciers, qui pourront donc
seuls s'en prévaloir.
La transaction, pendant cette période, est soumise à l'auto-
risation du juge délégué.
L'autorisation - qu'il ne faut pas confondre avec l'assistance
due à un incapable - peut être générale ou spéciale ; elle ne
requiert aucune forme particulière.
Dès que l'homologation du concordat est acquise, le débiteur
est relevé de l'incapacité spéciale dont il était frappé en vertu
de l'article 6 précité.
IJ reprend donc, en principe, et sauf clause contraire du con-
cordat le complet exercice de ses droits et la libre disposition
de son patrimoine (222), sous réserve toutefois de la surveil-

(220) Cf. dans ce sens : MoNETTE, ANDRÉ et DE VILLÉ qui font de judicieuses
distinctions suivant la nature du préjudice réparé par l'indernnité sur laquelle
Ie failli transige (op. cit., n°• 546 et 547); G. GHEYSEN, v 0 Dading, in A. P. R.,
n° 97 avec réf. de jurisprudence française.
(221) Voy. mutatis mutandis, VAN RYN et HEENEN, t. IV, n°• 2683, p. 246,
texte et note 1.
(222) Voy. sur cette matière, en général : Rép. prat. dr. belge, v° Concordat
préventif de lafaillite, n°• 10, 135 à 138,375 ets.; FREDERICQ, t. VIII, n°• 732 ets.;
Rép. prat. dr. belge, v° Concordat judiciaire, in Compl., t. II, n°• 152 ets., 422 ets,
216 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

lance des commissaires et du juge délégué (lois coord., art. 30,


al. 4, et 37). Il pourra donc transiger librement.
b) le concordat postérieur à la faillite emporte cessation du
dessaisissement : Ie failli reprend donc la libre administration
de ses biens et peut en disposer, sous les seules restrictions que
Ie concordat a pu établir dans l'intérêt des créanciers, et à charge
de remplir les obligations que ce traité lui impose (223).
c) le concordat par abandon d'actif ne modifie pas davantage
la capacité du débiteur. Celui-ci reste donc à Ia tête de ses
affaires, nonobstant le mandat de vendre donné aux créanciers,
lequel mandat n'emporte pas transfert de propriété au profit
de ces derniers (224).
Cependant, il nous paraît que l'abandon d'actif modifie les
pouvoirs du débiteur, en ce sens qu'une transaction conclue
par lui serait difficilement opposable aux créanciers mandatés
pour liquider les biens et droits faisant l'objet du contrat, car
celui-ci impliquerait un retrait de mandat, lequel ne se conçoit
que moyennant Ie désintéressement des mandataires.
d) Le sursis de payement, quant à lui, affecte sensiblement
la capacité du commerçant, puisqu'aux termes exprès de l'arti-
cle 603, alinéa 3, du Code de commerce, Ie débiteur ne peut
transiger sans l'autorisation (225) des commissaires surveil-
lants.
Il faut cependant remarquer que Ie débiteur surséant reste
à Ia tête de ses affaires, à l'inverse du failli, et qu'il n'est pas
assisté : il agit personnellement, mais a besoin d'une habilita-
tion judiciaire, ce qui fait dire à certains qu'il s'agit d'une « inca-
pacité partielle d'une nature toute particulière ii (226).
On soulignera au passage, quant à la nature de la transaction,
qu'une fois de plus le législateur a tenu à distinguer la transac-
tion des actes d'administration, eux aussi interdits, sans auto-
risation, au débiteur qui bénéficie d'un sursis de payement.

(223) Voy. sur cette question, en général : Rép. prat. dr. belge, v° Faillite et
banqueroute, n°• 2160 et s. et spécialement n° 2166; FREDERICQ, op. cit., n°• 283
et s.; VAN RYN et HEENEN, t. IV, n°• 2852 ets.
(224) Jurisprudence constante, cf. Rép. prat. dr. belge, v° Concordat préventif
de la faillite, n os 406 et 407, et v° Concordat judiciaire, in Compl., t. II, n °• 506 et s.
(225) Sur la forme, l'étendue et la signification de cette autorisation, cf. Rép.
prat. dr. belge, v° Faillite et banqueroute, n°• 2782 à 2784.
(226) FREDERICQ, t. VIII, n° 618 avec les références.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 217

III. Cas du débiteur dont les biens sont frappés


de saisie immobilière.
151. Le débiteur ne pouvant, aux termes de l'article 27 de la
loi sur I'expropriation forcée du 15 août 1854, aliéner les immeu-
bles saisis ou indiqués au commandement, à compter du jour
de la transcription de la saisie ou du commandement, est évi-
demment incapable de consentir une transaction qui aurait
lesdits biens pour objet, puisque aussi bien, pour transiger, il
faut la capacité d'aliéner, de « disposer des objets compris dans
Ja transaction » (C. civ., art. 2045, al. 1er).
La sanction est la nulJité de droit « sans qu'il soit besoin de
la faire prononcer >> (art. 27, précité), sous la seule réserve de
ce qui est dit à l'article 28 de la même loi quant à la possibilité
de consignation des sommes dues avant l'adjudication.

E. - lNCAPACITÉS DE DROIT PUBLIC.

152. Comme toujours lorsqu'il s'agit de la capacité d'une


personne morale, la capacité de transiger des personnes de droit
public est intimement mêlée au pouvoir de transiger des man-
dataires et organes chargés de les représenter physiquement.
C'est ce qui explique que la matière que nous traitons ici,
Ie soit parfois, chez certains auteurs, sous Ie titre des << Pou-
voirs de transigcr >>.
Nous envisagerons successivement Ja capacité de transiger
de l'Etat, des provinces, des communes et des établissements
publics.
I. L'Etat.
153. L'Etat est doué de la personnalité juridique; il peut
disposer de ses biens aJiénables; il n'est soumis à aucune auto-
rité de tutelle : on n'aperçoit pas, dès lors, pourquoi il n'aurait
pas une capacité entière et ne pourrait transiger, à l'interven-
tion du ministre responsable chargé de Ie représenter (227).
Ce principe doit être clairement posé, car il existe, dans ce

(227) Il va de soi que Ie refus de la Cour des comptes d'apposer son visa sur
un mandat de payement délivré par Ie ministre compétent en exécution d'une
transaction régulière, ne porte atteinte ni à l'existence ni à la validité de celle-ci
(comm. Ostende, 20 avril 1939, Journ. trib., 1939, 651).
218 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

domaine, un risque d'erreurs, d'incertitudes et de confusions


qui tient en réalité à l'incidence de règles juridiques relevant
d'autres ordres d'idées que la capacité (228).
Il faut donc préciser :
a) que si l'Etat est en principe pleinement capable de transi-
ger, il ne peut, sauf exception, Ie faire en matière d'impöts, à
peine de rompre l'égalité fiscale entre les citoyens. L'interdic-
tion tient donc à I'objet du contrat, et non à la capacité de
l'Etat contractant (229) ;
b) que, de même, c'est en raison de l'objet du contrat que
l'Etat ne peut conclure une transaction qui entraînerait dispo-
sition ou aliénation d'un bien du domaine public ou privé de
l'Etat, dans des conditions incompatib]es avec la destination
spéciale de ce bien.
Nous reviendrons sur ces deux restrictions en traitant de
l'objet de la transaction (voy. in/ra, n° 8 201 ets. et 268 ets.);
c) que la circonstance, indiscutable, que l'Etat ne peut com-
promettre (230) est indifférente quant à Ja capacité de transi-
ger. Celle-ci est une chose, la capacité de compromettre en est
une autre. La preuve en est Ie régime différent institué par la
loi en matière de minorité et de tuteJle : incapacité absolue de
compromettre d'une part (231), possibilité de transiger moyen-
nant l'intervention du représentant ]égal et l'accomplissement
des formalités de la loi, d'autre part.

II. Les provinces.


154. Bien qu'aucun texte ne Ie dise expressément, les pro-
vinces belges ont incontestablement la personnalité juridique.
Il suffit de se référer à l'article 124 de la loi provinciale pour en
trouver l'affirmation imp]icite.
Elles peuvent donc contracter en nom propre.
Rien, dès Jors, ne les empêche de transiger. Mais sous eer-

(228) Cf. dans ce sens: DE PAGE, t. V, n° 493, p. 481 (implicitement); BAUDRY-


LACANTINERIE et WAIIL, t. XXI, n° 1236 avec les références à la jurisprudence
administrative française; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1573.
(229) DE PAGE, op. cit., ibid.
(230) Art. 83 et 1004 du C. proc. civ.; voy. cass., 12 février 1953, Pas., 1953,
I, 446.
(231) Bruxelles, 12 juin 1959, Pas., 1960, II, 165.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 219

taines conditions, qui tiennent à leur situation de personne


publique sous tutelle : l'article 86 de la loi provinciale énonce,
en effet, que les délibérations du conseil provincial sur une
transaction dont Ie valeur excède 10.000 francs, pourront être
subordonnées à l'autorisation du Roi, par déclaration du gou-
verneur de la province. La déclaration de réserve d'approba-
tion royale doit être faite par Ie gouverneur dans les dix jours
de la date de la délibération et notifiée, au plus tard, Ie lende-
main au conseil ou à la députation permanente (loi prov., art. 86;
voy. aussi art. 88).
Il se déduit de ce qui précède que les transactions dont la
valeur est inférieure à 10.000 francs pourront être conclues,
sans autorisation, par la province.
Dans Ie premier comme dans Ie second cas, la transaction
sera signée, au nom de la province, par les organes publics
légalement habilités à la représenter. C'est-à-dire, en principe,
le gouverneur, qui en tant qu'organe du pouvoir provincial,
exécute les décisions du conseil provincial (loi prov., art. 124,
al. 2), exceptionnellement par la députation permanente qui
peut aussi assumer l'exécution des délibérations du consei1
provincial par décision motivée et, si elle Je juge à propos, en
charger un de ses membres (art. 124, al. 2).
En matière de transaction, cette représentation de la pro-
vince par Ia députation permanente peut se concevoir d'autant
mieux que ladite députation dispose légalement de pouvoirs
spécifiques en matière d'action judiciaire (loi prov., art. 106,
al. 3).

III. Les communes et établissements publics (232).


155. L'article 2045, alinéa 3, du Code civil traite spéciale-
ment de ces personnes publiques en disposant qu'elles ne pour-
ront transiger que cc moyennant l'autorisation prévue par l'ar-
ticle 49 de la loi du 10 mars 1925 organique de l'assistance
publique »; c'est-à-dire, l'autorisation du Roi ou celJe de la
seule députation permanente, suivant J'importance de la transac-
tion.

(232) Sur la notion « d'établissement public " voy. la définition récente de DE


PAGE (t. Jer, éd. 1962, n° 506, 2°, p. 623) ainsi que celle de BUTTGENBACH, Manuel
de droit administratif. Principes généraux. Organisation et moyens d'action dea
administrationa publiques, éd. 1954, n° 198, p. 147,
220 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Cette référence du Code civil à la loi organique de l'assistance


publique résulte de la loi du 15 décembre 1949 qui, corrigeant
les termes périmés du texte français du Code civil, a supprimé
les mots « moyennant l'autorisation expresse de l'Empereur »
qui figuraient dans Ie texte originaire de l'article 2045, alinéa 3.
Si Ie Jégislateur ne s'est pas borné à remplacer Ie mot« Empe-
reur » par Ie mot « Roi », comme il Je fit, par exemple, dans les
articles 428 et 598 du Code civil, c'est évidemment parce qu'il
a vouJu mettre la loi civile en concordance avec la Joi admi-
nistrative et permettre, comme cette dernière l'admet dans
certains cas, que l'autorisation administrative puisse émaner
de la députation permanente seulement.
Nous pensons, en effet, que l'article 2045, alinéa 3, du Code
civil exprime en droit civil, Ja règJe générale relative à la capa-
cité des communes et des établissements publies : il est normal
que ces personnes publiques ne puissent transiger sans autori-
sation, puisqu'elles ne peuvent disposer librement des objets
qu'embrasse la transaetion (C. civ., art. 2045, al. 1er) (233).
Mais ce droit commun de la eapaeité civile ne s'applique,
comme tel, que dans la mesure ou il n'y est pas dérogé par une
disposition administrative qui institue et organise, conformément
aux règles de la tutelle d'approbation ou d'autorisation (234),
Ie mécanisme d'autorisation nécessaire à la validité de !'acte
sur Ie plan eivil.
La Joi communale fournit un exemple démonstratif de cette
compénétration des deux domaines :
a) suivant l'article 76, 1°, alinéa Jer, de la loi communale, sont
soumises à l'avis de la députation permanente et à l'approba-
tion du Roi, les délibérations du conseil communal sur les transac-
tions (235) ayant pour objet des biens ou droits immobiliers de

(233) Cf. les conclusions du procureur général M. Leclercq précédant cass.,


8 août 1851, in Pas., 1852, I, 123, col. 2.
(234) Sur les différences entre ces deux formes de tutelle administrative : cf.
BUTTGENBACH, op. cit., n°• 156 à 163; P. WIGNY, Droit adrninistratif (éd. 1953),
n os 124 et 125.
(235) L'article 76, 1 °, ainsi que l'article 77, 3°, des lois coordonnées ne concer-
nent que les véritables transactions comportant des sacrifices et abandons réci-
proques en vue d'éviter ou de terminer un litige et non de simples accords, après
un échange de vues destiné à instruire et régler une affaire (WILKIN, Précis de
droit cornrnunal, éd. 1959, n°• 131 et 469); cf. sur l'application de l'article 77, 3°,
au cas d'un désistement, à caractère transactionnel : cass., 21 novembre 1963,
Pas., 1964, I, 309.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 221

la commune. Mais l'approbation de la députation permanente


suffit si la valeur de la transaction reste dans les limites indi-
quées précisément par l'article 49, alinéa 2, de la loi organique
de l'assistance publique et, dès lors, par l'article 2045, alinéa 3,
du Code civil, à savoir : 100.000 francs au maximum ou Ie
dixième du budget des voies et moyens ordinaires, à condition
que ce dixième n'excède pas 1.000.000 de francs.
L'harmonie entre les textes est donc parfaite avec une seule
restriction cependant : l'article 2045, alinéa 3, du Code civil
soumet à I'autorisation administrative la transaction elle-même,
tandis que la loi communale soumet à I'approbation de l'autorité
de tutelle la délibération du conseil communal portant sur la
transaction.
La différence, selon nous, est davantage de forme que de
fond (236) et tient aux langages propres à deux domaines diffé-
rents du droit : il est certain, en effet, que l'autorité de tutelle
doit s'exercer sur une personne publique ou l'un de ses organes
plutöt que sur un contrat. Mais, quand on sait que l'approba-
tion administrative n'est donnée à la délibération du conseil
communal que moyennant, notamment, la production de la
transaction telle qu'elle sera signée et telle qu'elle est déjà
approuvée en principe par le colitigant (237), on doit constater
qu'il n'y a, pratiquement, pas de différence entre les mécanismes
d'approbation et d'autorisation et qu'ils se confondent en fait.
Nous en trouvons Ja confirmation dans un arrêt de la Cour de
cassation du 24 octobre 1958 (238) dont il résulte, explicite-
ment, que « lorsqu'une délibération du conseil communal a
décidé l'acquisition d'un immeuble, et qu'après accord entre
la commune et le vendeur la délibération est approuvée par un
arrêté royal, cette approbation implique l'autorisation d'acquérir
prévue par l'article 76, 4°, de la loi communale».
b) l'article 77, 3°, de la loi communale soumet à l'approbation
de la députation permanente les délibérations du conseil com-
munal sur les transactions qui ont pour objet des créances,

(236) Dans ce sens : LES NOVELLES, Lois politiques et administratfres, t. I•r :


• Institutions communales », n°• 642, 393 et s. et 1084.
(237) Sur la manière dont doit être composé Ie dossier destiné à l'autorité de
tutelle, cf. : Rép. prat. dr. belge, v° Commune, n° 1324; LES NOVELLES, op. cit.,
n°• 900 et 917.
(238) Pas., 19511, I, 202.
222 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

obligations et actions appartenant à la commune, à l'exception


des transactions qui concernent les taxes municipales (239).
Pratiquement cette disposition recouvre tout Ie domaine du
patrimoine mobilier de Ja commune (240), encore que l'on puisse
s'étonner de ne point trouver dans l'énumération de l'arti-
cle 77, 3°, les « biens ou droits » mobiliers, alors que l'arti-
cle 76, 1°, emploie cette expression de « biens ou droits » pour
les immeubles.
Et l'on constate que la loi communale, pour tout ce domaine
mobilier, déroge à l'article 2045, alinéa 3, du Code civil, puisque,
quelle que soit la valeur de la transaction en matière mobilière,
l'autorisation de la députation permanente est toujours suffi-
sante.
Voici donc un cas ou Ie droit civil commun cède devant une
disposition administrative, spécialement conçue pour les néct:Js-
i sités du service public intéressé.
J Mais ce droit civil commun reprendra son empire dans tous
\ les cas ou la règle administrative ne pourra s'appliquer ou
i n'existera pas : il pourrait en être ainsi pour les transactions
{ sur les biens et droits mobiliers communaux, dont ne parle pas
expressément l'article 77, 3°, puisqu'il est de principe constant
que les textes organiques des pouvoirs de tutelle sont de stricte
interprétation (241).

156. Tout ce qui vient d'être dit pour les communes, vaut,
mutatis mutandis, pour les établissements publics.
Il convient donc de s'ên-rèférêr"äûxî_öfs-öÇgà.niques qui Jes
régissent pour déterminer leur capacité de transiger. • · ·--
1··- . Parfois, fa loîrègiê spéêî:afement cette cápaêité : c'est Ie cas.
f notamment, des commissions d'assistance publique (loi du
f 10 mars 1925, art. 49). c5;·-constate que ces établissements
{ publics peuvent librement transiger, sans autorisation, lorsque
î l'objet du litige est de minime importance {242) et qu'au-delà
de la limite fixée, c'est évidemm,mt Je régime de l'article 2045,

(239) Sur ce cas particulier et sa signification exacte, cf. LES NOVELLES, op.
cit., n° 1234.
(240) LES NOVELLES, op. cit., n° 939; W1LKIN, Commentaire de la loi commu-
nale, t. II, n° 709.
(241) BUTTGENBACH, op. cit., n° 147, p. 115.
(242) 2.500 francs ou 5.000 francs suivant que la commune est émancipée
ou non,
CAPACITÉ DE TRANSIGER 223

alinéa 3, du Code civil - qui renvoie précisément audit arti-


cle 49 - qui s'applique : avis du conseil communal et de la
députation permanente plus autorisation du Roi pour la com-
mission communale; même chose mais sans avis du conseil
communal pour la commission intercommunale.
Par contre, aucun texte ne règle spécifiquement la capacité
de transiger des fabr~ques d'église en Ja distinguant de la capa-
cité d'aliéner en général : on appliquera donc Ie droit commun
de l'article 2045, alinéa 3, du Code civil (243).
Les exemples pourraient être multipliés : ceux qui précèdent
nous paraissent suffisamment explicites et susceptibles d'extra-
polation, pour ne pas devoir insister davantage dans l'énuméra-
tion.

157. Sanction. Si la transaction intervient sans que l'approba-


tion ou l'autorisation ait été donnée, la sanction de cette irré-
gularité sera évidemment la nullité.
Sera-t-elle relative ou absolue ?
Une certaine doctrine administrative, assimilant la commune
à un incapable et appliquant Ie droit commun des nullités en
matière d'incapacité, enseigne que la nullité est relative et qu'elle
ne pourra donc être invoquée par Ie cocontractant (244).
Cet enseignement va à l'encontre de l'arrêt déjà cité de la
Cour de cassation du 8 août 1851 (Pas., 1852, I, 122) qui, sur
les conclusions conformes du procureur général M. Leclercq (245),
affirme sans ambiguïté que la nullité est d'ordre public et peut
être invoquée, pour la première fois, devant la Cour de cassation.
L'arrêt de la Cour de cassation du 21 novembre 1963 (246) est
dans Ie même sens : il affirme que les attributions des autorités
communales et leurs pouvoirs respectifs sont d'ordre public,
ce qui autorise le juge du fond à vérifier d'office Ia validité d'un
désistement transactionnel, alors même que la commune n'avait
soulevé aucune contestation à ce sujet.

(243) La solution résulte formellement de l'arrêt de la Cour de cassation du


8 août 1851 précité et des conclusions du minietère public (Pas., 1852, I, 125,
in fine, et 126 ).
(244) WILKIN, op. cit., n• 709; LES NOVELLES, op. cit., n° 898; trib. Liège,
26 juin 1914 (Journ. trib., 1914, n° 2738), et Liège, 5 juillet 1915 (Pas., 1915-
1916, II, 167).
(245) Pas., 1852, I, p. 125, col. 1.
(246) Pas., 1964, I, 309.
224 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Il est évident qu'il s'agit en l'occurrence d'une nullité absolue


d'ordre public, parce que Jes principes de la capacité civile des
personnes publiques, imbriqués dans ceux de la tutelle admi-
nistrative s'exerçant sur ces personnes, relèvent des normes
impératives qui cc participent au caractère essentie! des règles
structurales de la société » (247). Or, c'est assurément la nature
et surtout Ie but de la règle sanctionnée qui déterminent les
caractères du droit de critique et de la nullité à laquelle il
tend.

158. Qu'il s'agisse de communes ou d'établissements publics,


la transaction sera évidemment signée par les organes d'exécu-
tion habilités à les représenter et à les engager (248).

IV. A utres personnes morales de droit public.


159. Nous pouvons être bref, car nous croyons que tout ce
qui vient d'être dit pour les établissements publics - référence
à la loi organique et, à défaut de disposition de celle-ci, à l'arti-
cle 2045, alinéa 3, du Code civil - vaut pour les autres personnes
de droit public qui ont vu Ie jour au cours de ces dernières décen-
nies (249), mais dans la mesure cependant ou il s'agit de services
publics personnalisés soumis à une autorité de tutelle.
Telles sont, par exemple, les intercommunales, régies par la
Joi générale du 1er mars 1922, ou celles créées antérieurement
à cette loi ; mais non, croyons-nous, les administrations per-
sonnalisées de l' Etat - telles les Régies - dont Ie statut général
est incompatible avec le mécanisme d'autorisation de l'arti-
cle 2045, alinéa 3, du Code civil. Pour ces dernières, on se réfé-
rera seulement à la loi o~~J.9..1!.~,,qui les crée et au principe
général de capacité de l'article 2045, alinéa 1er, du Code civil :
ne peut transiger que celui qui peut disposer de l'objet embrassé
par la transaction.

(247) DE HARVEN, note sous cass., 9 mars 1948, Rev. crit. jur. belge, 1954,
p. 264 et 265, cité par RENARD et VrnuJEAN, étude précitée, Ann. dr. Liège, 1962,
p. 279.
(248) Sur le cas particulier des communes : cf. LES NOVELLES, op. cit., n°• 228
à 233.
(249) Voy. à titre d'information, l'intéressant inventaire des entreprises publi-
ques belges, avec indication de la forme juridique de chacune d'elles, dressé par
le professeur M. A. FLAMME, in Rev. adm., 1963, p. 149, 173, 234, 256 et s.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 225

F. - CAS SPÉCIAL DE LA FEMME MARIÉE.

160. Capacité et pouvoir. La femme mariée est désormais


capable (Code civ., art. 214). Elle peut accomplir seule et vala-
blement des actes qui sont intrinsèquement parfaits, et, dès
lors, à l'abri d'une nullité relative pour cause d'incapacité.
Elle peut donc, théoriquement, transiger seule.
Est-ce à dire que la femme ait, en outre, Ie pouvoir d'engager
librement, à !'occasion d'une transaction, les biens sur lesquels,
en vertu du régime matrimonia! des époux, Ie mari exerce des
pouvoirs qui lui sont conférés soit par la loi, soit par Ie contrat
de mariage 1
Assurément non, et le texte de l'article 214 le confirme. C'est
ici qu'apparaissent la portée exacte et les limites de la réforme
réalisée par la loi du 30 avril 1958.
Elles tiennent dans la distinction, essentielle et déjà souli-
gnée (250), entre capacité et pouvoir d'agir :
la femme mariée est capable en ce sens qu'elle est désormais
apte à faire, en son nom, par elle-même, et sans assistance ou
autorisation d'aucune sorte, des actes juridiques intrinsèque-
ment valables.
mais elle demeure frappée, quant à certains biens matrimo-
niaux, d'une inaptitude à faire « des actes susceptibles de trans-
férer, modifier ou étendre tel ou tel droit déterminé; à créer,
en son nom ou au nom d'autrui, des obligations susceptibles de
donner lieu à une exécution forcée, sur tel ou tel bien
déterminé » (251). Cette inaptitude-là résulte du défaut de

(250) Voy. supra, n° 98. La distinction entre la capacité et Ie pouvoir de la


femme mariée est spécialement soulignée par M. De Page (t. Jer, éd. 1962, n° 723,
2°), par MM. Baeteman et Lauwers (Devoirs et droits des époux, Bruxelles, 1960,
n°• 126 et 158), par M. Vieujean (« Pouvoir et capacité de la femme commune en
biens », in Ann. dr. Liège, 1962, p. 419 et s., spécialement p. 442 et s.) et par
M. Kirckpatrick ( « La capacité et les pouvoirs des femmes mariées belges depuis
les lois des 30 avril 1958 et 22 juin 1959 », Journ. trib., 1960, p. 1 ets., spéciale-
ment n°• 1, 8 et 13; note sous Bruxelles, 23 juin 1961, Rev. crit. jur. beige, 1962,
p. 209 et s.). La Cour de cassation a par ailleurs clairement distingué les deux
notions et défini ainsi, de lege lata, la portée de la réforme de 1958, dans son impor-
tant arrêt du 23 janvier 1964 (Pas., 1964, I, 546; Journ. trib., 1964, p. 261, note
J". KIRKPATRICK; voy. aussi les observations de M. VrnuJEAN sur eet arrêt in
Rev. crit. jur. beige, 1965, Chron. de jurispr., p. 465).
(251) Les définitions données au texte sont empruntées à VIEUJEAN, op. cit.,
p. 445 et 446.
DE GAVRE, Oontrat de transaotion. - 15
226 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

pouvoir et sa sanction est l'inopposabilité de l'acte au mari, et


non la nullité relative pour défaut de capacité.
La capacité, on Ie voit, se rattache aux conditions de validité
de l'acte au moment de sa naissance, le pouvoir aux effets que
eet acte est susceptible d'engendrer sur tel bien, dépendant
de tel patrimoine.

161. Comme, par conséquent, la capacité de la femme ne


devient effective que dans la mesure ou son régime matrimonia}
lui attribue certains pouvoirs, il convient d'envisager ici, dans
chaque hypothèse, quels sont ces pouvoirs pour déterminer
dans quelle mesure elle peut, pratiquement, transiger seule.
Nous sommes conscients de ce que eet examen aurait, sans
doute, pu trouver une place plus logique au chapitre des « Pou-
voirs » plutöt qu'à celui de la « Capacité de transiger ».
Mais, dans le cas particulier de Ia femme mariée, les deux
concepts sont dans une tel1e interdépendance que nous avons
préféré traiter la question sous l'angle de la capacité, confor-
mément à la méthode traditionnelle et classique.

H ypothèses à considérer.

I O La femme est séparée de biens.

162. En régime de séparation de biens - conventionnelle


ou judiciaire - Ie mari n'a aucun pouvoir sur les biens de la
femme.
Le principe de Ja capacité, inscrit dans l'article 214 du Code
civil, sort donc ici ses pleins effets, sans aucune réserve : la
femme a la capacité et tous les pouvoirs pour engager ses biens
personnels et en disposer librement et valablement. Elle peut
donc transiger seule sans assistance ou autorisation, relative-
ment à ses droits et biens personnels (252).
Cette règle vaut, qu'il s'agisse d'une séparation de biens
consécutive à une séparation de corps, ou d'une séparation de

(252) Solution certaine. Voy. notamment KIRKPATRICK, op. cit., Journ. trib.,
1960, n°• 18; BAETEMAN et LAUWERS, op. cit., n°• 136 ets. et 185 (sur Ie cas spé-
cial de la transaction); J. DE VROE : « Réconciliation des époux séparés de corps
et capacité de la femme séparée de biens », in Rép. prat. not., 1963, p. 153.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 227

biens pure et simple, judiciaire ou non (voy. C. civ., art. 1449


et 1536 modifiés par Ja loi du 22 juin 1959).
Précisons encore que cette pleine et effective capacité de
transiger vaut même si la séparation de biens - convention-
nelle ou judiciaire - est antérieure à la mise en vigueur de la
Joi du 22 juin 1959, sous réserve, cependant, de la faculté inscrite
à l'article 4 de cette loi : maintien du régime antérieur, par une
déclaration authentique de volonté, avant Je 6 janvier 1960 (253).

2° La femme est commune en biens.

163. C'est évidemment dans cette hypothèse que la capacité


demeure assez théorique, puisque aussi bien elle ne peut s'exer-
cer que sous réserve des pouvoirs du mari, lesquels sont les plus
étendus en régime de communauté.
On s'accorde à reconnaître qu'en pratique la femme commune
en biens ne pourra agir seule que dans les cas ou, avant la loi du
30 avril 1958, elle pouvait Ie faire avec autorisation de justice,
parce que, précisément, c'était l'effet de l'autorisation judiciaire
de lever l'incapacité de la femme mariée tout en laissant sub-
sister son absence de pouvoirs sur les biens communs (254).
Dès lors, la femme peut valablement et librement aliéner
seule un bien personnel mais sous réserve du droit de jouïs-
sance qui appartient à la communauté. Ce qui revient à dire
qu'elle ne peut engager seule que la nue-propriété de ses propres
et disposer de ses biens, sans autorisation du mari ou de justice,
que dans cette mesure (255).
Il faut en déduire qu'une transaction souscrite par une femme
commune en biens, agissant seule, ne sera opposable au mari
que dans la mesure ou l'objet de la transaction - c'est-à-dire
aussi bien Ie droit litigieux que l'objet éventuel des obligations

(253) KIRKPATRICK, op. cit., Journ. trib., 1960, n°• 21 et s.; BAETEMAN et
LAUWERS, op. cit., n°• 142 et s.
(254) KIRKPATRICK, op. cit., Journ. trib., 1960, n° 5, p. 2.
(255) Cass., 23 janvier 1964, précité; Bruxelles, 23 juin 1961, précité; Vrnu-
JEAN, op. cit., p. 448, 2°; KIRKPATRICK, op. cit., Journ. trib., 1960, p. 3, n° 5,
et op. cit., Rev. crit. jur. belge, 1962, p. 212; eet auteur soulignant, à juste titre,
que Ie droit de jouïssance de la communauté, n'est pas un usufruit proprement
dit (Rev. crit. jur. belge, 1962, p. 212, n° 3, litt. b et note 14); BAETEMAN et LAU-
WERS, op. cit., n° 133, p. 153 ; RENARD et VIEUJEAN, Chron., Rev. crit. jur. belge,
1961, p. 507, n° 33; VIEUJEAN, Chron., Rev. crit. jur. beige, 1965, p. 463, n° 23.
228 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

nées du contrat pour la femme - ne concerne que la nue-pro-


priété de ses propres (256).
Dans tous les autres cas - transaction intéressant soit les
biens communs, soit la jouïssance ou la pleine propriété des
biens propres de la femme, - l'épouse devra en principe avoir
l'approbation, l'autorisation (257) du mari.
Sous réserve cependant de deux cas exceptionnels dans les-
quels la femme peut agir seule :
celui ou une transaction intervient dans Ie cadre strict du
mandat domestique (258), l'intérêt du ménage étant en vue.
Hypothèse assez théorique, il est vrai ;
celui ou la transaction concerne les biens réservés de l' épouse
(C. civ., art. 226septies).

164. Suite. La législation beige actuelle permet-elle, en outre,


à une femme commune en biens, d'engager, en transigeant
avec autorisation de justice seulement, la pleine propriété de ses
propres ainsi que les biens communs et, partant, ceux du mari ?
Assurément oui, si la transaction tend à procurer à la femme,
à la suite de concessions faites sur certains biens communs
par exemple, les ressources nécessaires pour tirer Ie mari de
prison ou pour établir les enfants communs, en cas d'absence
de l'époux (C. civ., art. 1427) (259).
Mais quid, en dehors de cette hypothèse exceptionnelle et
très théorique dans Ie cas particulier de la transaction ?
La question a été tranchée, il y a peu, par l'arrêt de la Cour
de cassation du 23 janvier 1964, déjà cité (260).

(256) BAETEMAN et LAUWERS, op. cit., n° 185.


(257) Sur la terminologie nouvelle qui tend à remplacer l'ancienne notion
« d'autorisation maritale " par celle de « consentement ,,, « assentiment ou appro-
bation » du mari, voy. les réflexions de M. J. Kirkpatrick à la Rev. crit. jur. belge,
1962, n° 5, p. 214 (avec les références).
(258) Cf. DONNAY, Rec. gén. enreg., 1958, p. 288 et 289; KIRKPATRICK, op.
cit., Journ. /rib., 1960, p. 4, n° 8 texte et note 43; G. GHEYSEN, v 0 Dading, in
.A. P. R., n° 102.
(259) L'autorisation de justice n'est pas requise pour la validité de !'engage-
ment puisque la femme est capable, mais seulement pour lui donner, dans l'hypo-
thèse de l'article 1427, les pouvoirs requis à l'effet d'engager les biens communs :
voy. KrnKPATRICK, op. cit., Journ. /rib., 1960, p. 4, note 44; Rev. crit. jur. beige,
1962, p. 219, n° 10, notes 50 et 52. Contra, mais à tort selon nous : DONNAY, op.
cit., p. 284, n° 8; RENARD, GRAULICH et DAVID, Chron., Rev. trim. dr. civ., 1959,
p. 215.
(260) Pas., 1964, I, 54, obs.; Journ. /rib., 1964, 261, note J. KrnKPATRICK;
Rev. prat. not., 1964, 134.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 229

Réformant un jugement du 22 octobre 1959 du tribunal


civil de Charleroi (261), la cour d'appel de Bruxelles, par son
arrêt précité du 23 juin 1961 (262), avait autorisé une femme
mariée sous Ie régime de la communauté réduite aux acquêts
à vendre la pleine propriété de sa part indivise dans un immeuble
dépendant de la succession de ses parents.
Le mari invoquait dans son pourvoi que l'arrêt ne pouvait,
sur pied de l'article 226quater du Code civil, autoriser que la
vente de la nue-propriété puisque, Ia loi du 30 avril 1958 n'ayant
pas modifié les régimes matrimoniaux, la jouissance des propres
de la femme reste acquise à la communauté, dont Ie mari demeure
Je chef, avec cette conséquence que lui seul peut donner à la
femme Ie pouvoir de disposer de ses propres en pleine propriété.
La Cour de cassation a rejeté ces moyens en décidant :
qu'aux termes de l'article 214 nouveau, la femme est pleine-
ment capable ;
que, partant, aux termes de l'article 226quater - qui ne sau-
rait être considéré comme la réplique de l'article 219 ancien -
l'autorisation du juge peut suppléer celle du mari lorsque la
femme ne peut agir seule en raison de son régime matrimonia],
cette autorisation levant l'obstacle qui résulte des pouvoirs que
ce régime donne au mari;
que, nantie de l'autorisation judiciaire, la femme peut dispo-
ser de la pleine propriété de ses propres, malgré Ie droit de jouis-
sance du mari ;
qu'une vente intervenue dans ces conditions est opposable
à la communauté et au mari.
Commentant eet arrêt (263), M. Kirkpatrick estime que Ie
système adopté par la Cour de cassation équivaut au régime de
l'article 217 du Code civil français (loi du 22 septembre 1942)
qui permet également à la femme d'accomplir, avec autorisa-
tion de justice, un acte de disposition, sans Ie concours ou Ie
consentement nécessaires du mari, si celui-ci est hors d'état
de manifester sa volonté ou si le refus n'est pas justifié par
l'intérêt de la famille. Suivant ce texte, l'acte autorisé par

(261) Rev. dr. fam., 1960, 12.


(262) Rev. prat. not., 1961, 318, note F. LAINE; Rev. cri/. jur. belge, 1962, 205,
note .r. KmKPATRICK.
(263) Journ. trib., 1964, 261.
230 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

justice est également opposable à l'époux <lont Ie concours ou


Ie consentement fait défaut.
Cependant, alors que, dans Ie système français de l'article 217,
les actes de disposition accomplis par la femme avec autorisa-
tion de justice engagent la communauté et partant les biens du
mari (264) Ja Cour de cassation décide, au contraire, en se réfé-
rant à l'article 1426 du Code civil, que l'acte judiciairement
autorisé n'engage pas les biens de la communauté et ne crée
aucune obligation de garantie dans Ie chef du mari (265).
Par conséquent, sur Ie plan de la transaction, acte de dispo-
sition comme la vente, la femme commune en biens pourra,
dans l'état actuel de notre jurisprudence, transiger avec autori-
sation de justice, accomplissant ainsi un acte valable, opposable
au mari et de nature à engager la pleine propriété de ses propres,
sans pour autant engager ni les biens communs ni ceux du
mari.

3° La femme est mariée sous un régime dotal.

165. Il semble actuellement acquis, après la loi du 22 juin


1959 et les travaux préparatoires auxquels elle a donné lieu,
que Ja capacité de la femme mariée n'a rien changé au régime
antérieur, tant des biens dotaux (C. civ., art. 1549) que des
biens paraphernaux.
« L'interprétation large des pouvoirs de la femme dotale sur sos para-
phernaux, fondée sur son assimilation avec la femme séparée de biens,
semble done devoir être écartée en présence des intentions exprimées
par Ie législateur au cours des travaux préparatoiros de la loi du 22 juin
1959 » (266).

La femme dotale ne pourrait donc accomplir seule une transac-


tion emportant disposition de ses paraphernaux et, a fortiori,
de ses biens dotaux lesquels, par définition, sont en principe
inaliénables, sauf les exceptions résultant des articles 1558 et

(264) LE GALCHER-BARON, Les p·rérogatives de la femme commune en biens sur


ses biens personnels et les biens réservés, Paris, 1959, n° 98 et les références, note 47.
(265) M. Vieujean considère que, de ce fait, Ie système de la Cour de cassation
est hybride, encore qu'il ait Ie mérite de rester compatible avec Ie principe de la
confusion des patrimoines : Ie mari ne peut être engagé contre son gré, ce qui est
essentie! en l'état de notre droit (Rev. crit. jur. belge, 1965, p. 464 et 465).
(266) BAETEMAN et LAUWERS, op. cit., n° 156, in fine, p. 179.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 231

1559 du Code civil (267), qui subordonnent à l'autorisation de


justice, l'aliénation et l'échange d'un bien dotal.
Il semble cependant que la femme dotale puisse transiger
seule sur l'administration et la jouïssance de ses biens parapher-
naux (arg. art. 1576 du Code civil) comme d'ailleurs, avant la
loi du 30 avril 1958, il était admis que la femme séparée de biens
pouvait transiger seule quant à l'administration de ses propres
et aussi quant à ses biens mobiliers (268).

4° La femme exerce une profession,


une industrie ou un commerce.

166. A !'inverse de la précédente, l'hypothèse revêt un inté-


rêt pratique toujours croissant.
La femme qui exerce, dans les conditions de l'article 215 du
Code civil, une profession, une industrie ou un commerce s'oblige
personnellement et, dès lors, transige valablement seule pour
tout ce qui concerne cette activité professionnelle (269). Les
biens qui sont attachés à cette activité, et surtout ceux qui en
résultent - c'est-à-dire les biens réservés - constitueront Ie
domaine idéal de cette pleine capacité à laquelle viennent cette
fois s'ajouter des pouvoirs qui ne sont conditionnés, en ce qui
concerne les biens réservés, que par l'intérêt du ménage et de
la famille (art. 226septies, § 2).
Mais quid des biens communs (270)? Peuvent-ils être engagés
par l'activité professionnelle de la femme et, singulièrement,
par une transaction qui concernerait cette activité ?
Oui, mais sous la condition essentielle que l'activité profes-
sionnclle de la femme soit exercée de l'accord exprès du mari
(art. 226quinquies, al. 2) (271).

(267) GUILLOUARD, op. cit., n° 50, p. 350; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL


(op. cit., t. XXI, 2• éd., n° 1230, in fine) qui soulignent que l'autorisation mari-
tale serait inopérante dans ce cas.
(268) Voy. art. 1449 du Code civil; DE PAGE, op. cit., t. V, n° 493, p. 481;
BAUDRY-LACANTINERIE et W AHL, op. cit., n° 1230.
(269) Solution déjà admise avant la loi du 30 avril 1958 : DE PAGE, op. cit.,
ibid. En France, voy. : BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op. cit., n°• 1230 et
1231; PLANIOL et RrPERT, t. XI (éd. 1932), n° 1574.
(270) Nous entendons par !à les biens dépendant soit d'une communauté légale,
soit d'une communauté réduite aux acquêts, soit d'une société d'acquêts jointe
à un régime de séparation de biens.
(271) Sur Ie caractère « exprès » de cette autorisation et sur les conséquences
pratiques qui en dérivent : voy. KIRKPATRICK, op. cit., Journ. trib., 1960, p. 8,
n° 33.
232 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

167. Applications : Transactions en matière d'accident. Suppo-


sons qu'une femme mariée soit victime d'un accident dû à la
faute d'un tiers. Elle en subit un dommage mora! et un dommage
corporel, résultant d'une incapacité temporaire puis définitive,
tandis que eet accident entraîne des débours médicaux et phar-
maceutiques.
Peut-elle transiger seule sur Ie dommage ainsi subi '1

168. La question ne suscite guère de difficulté si la femme


exerce une activité professionnelle distincte de celle de son mari
et si !'accident la prive, temporairement ou définitivement,
de gains professionnels.
Quel que soit son régime matrimonia], elle trouve, en e:ffet,
dans la législation sur les biens réservés Ie droit de transiger
seule, sans autorisation du mari ou de justice, puisque, d'une
part, l'article 226septies, § 1er, du Code civil inclut parmi les
biens réservés « les indemnités et dommages et intérêts destinés
à compenser la perte de gains professionnels sur lesquels elle
(la femme) était en droit de compter » (272) et que, d'autre
part, l'article 226septies, § 2, donne à la femme tous pouvoirs
- et notamment celui d'aliéncr - à l'égard de ces biens pour
autant que l'acte soit accompli dans l'intérêt du ménage ou pour
l'établissement des enfants communs (273).
Il faut préciser que ces pouvoirs valent aussi bien pour les
idemnnités d'incapacité que pour les sommes accordées en rem-
boursement de frais médicaux et pharmaceutiques, à condition,
dans ce dernier cas, que ces frais aient été exposés avec les
revenus professionnels de la femme, qui a ainsi été privée de
gains sur lesquels elle pouvait compter.

169. Si la femme n'exerce pas d'activité professionnelle dis-


tincte, ses pouvoirs de transiger seront fondamentalement
conditionnés par Ie régime matrimonia] des époux.

(272) Cf. notamment sur cette question : J. RENAULD, « Examen de jurispru-


dence sur les régimes matrimoniaux », in Rev. crit. jur. belge, 1960, p. 232, n° 6,
in fine, avec les références de jurisprudence antérieures à la loi du 30 avril 1958;
R. 0. DALCQ, Traité de la responsabilité civile, t. II, n° 4275 avec les nombreuses
références.
(273) Si cette condition n'est pas satisfaite, les pouvoirs de la femme tombent
et Ie régime décrit sub n° 169 s'applique (autorisation du mari pour engager la
pleine propriété des proprcs ou autorisation de justice).
CAPACITÉ DE TRANSIGER 233

Par conséquent
a) Si la femme est séparée de biens, elle aura tous pouvoirs
pour transiger sur les conséquences de J'accident, puisque
l'indemnité qui lui revient a indiscutablement un caractère
propre. Il en est de même des sommes dues en remboursement
des frais médicaux et pharmaceutiques, s'ils ont été exposés
par Ie patrimoine propre de Ia femme.
b) Si Ie régime matrimonia! est celui de la communauté légale
ou conventionneile, la question est infiniment plus délicate.
On sait que les indemnités qui reviennent à la femme en
réparation d'un préjudice moral ou matériel sont considérées
comme des biens propres; la jurisprudence est fixée dans ce
sens (274). On sait aussi que la femme peut agir en justice, en
demandant ou en défendant, sans autorisation, relativement
à la créance d'indemnité qui lui est propre (275), comme rela-
tivement à tous autres biens personnels (276).
Est-ce à dire qu'elle a Ie pouvoir de transiger seule sur l'in-
demnité qui lui est due ?
Ecartons d'emblée !'argument tiré du pouvoir d'ester seule
relativement aux biens propres : on sait que dans Ie système
du Code civil, la capacité ou Ie pouvoir de transiger n'est pas
lié à celui de plaider (277).
Si l'on applique les principes qui ont été dégagés ci-devant (278),
il faut décider :
a) que la femme n'aura jamais Ie pouvoir de transiger seule,
car il se conçoit mal que l'on puisse faire abandon d'une partie
d'indemnité, en nue-propriété seulement ? En effet, puisque la
créance d'indemnité est un propre, la communauté en perçoit
les revenus et la femme n'a donc Ie pouvoir de disposer libre-
ment que sous réserve de ce droit de jouïssance.

(274) Elle distingue donc les revenus, qui sont communs (C. civ., art. 1401, 2°),
de la capacité productive de ces revenus, inhérente à la personnalité de l'époux,
qui n'est pas un bien de communauté (cass., 12 octobre 1964, Pas., 1965, I, 145;
21 mai 1064, Pas., 1964, I, 993, et 25 novembre 1963, Pas., 1964, I, 321 ; Bru-
xelles, 25 mai 1960, Rev. prat. not., 1964, 324. Voy. aussi R. 0. DALCQ, op. cit.,
n°• 4273 à 4276, et les décisions citées par M. L. Barette dans son examen de juris-
prudence sur les régimes matrimoniaux, in Rec. gén. enreg., 1966, p. 16, n° 19.
(275) Cass., 21 mai 1964, Pas., 1964, I, 993 obs., Journ. trib., 1064, 704, et
Rev. gén. ass. et resp., 1964, 7354 et note.
(276) Bruxelles, 4 mai 1962, Pas., 1963, II, 80.
(277) Comp. art. 464 et 467 du Code civil; voy. aussi infra, n° 189.
(278) Cf. supra, n°• 163 et 164.
234 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

b) que, par contre, la femme pourra être autorisée par justice


à transiger sans Ie concours du mari. En pareil cas, elle pourra
pleinement disposer de ses droits et la transaction sera opposable
au mari. Elle ne pourra cependant créer à charge de la com-
munauté et du mari un engagement quelconque, susceptible
d'exécution. Les concessions consenties par la femme, créancière
d'indemnité, devront donc pouvoir être faites et exécutées
entièrement au moyen de ses biens propres.
Bien qu'il nous semble que ces conséquences soient la suite
logique des règles générales applicables en J'occurrence, on
enseigne parfois que la femme commune en biens peut librement
transiger, sans restriction aucune, sur Ie dommage moral ou
matériel qu'elle a subi.
C'est notamment !'opinion de MM. Mazeaud et Tune (279)
qui, s'appuyant sur un jugement du tribunal civil de la Seine
du 2 juin 1938 (280), considèrent que la femme a Ie plein exer-
cice de sa capacité civile, que toute personne capable peut
transiger sur les objets <lont elle a la disposition (C. civ., art. 2045),
que, dès lors, l'indemnité qui représente un préjudice mora!
étant un propre disponible, la transaction sur un tel bien est
permise à la femme agissant seule. Ce raisonnement, on Ie voit,
ne fait appel qu'aux notions de capacité et d'objet et méconnaît
totalement Ie domaine des pouvoirs de transiger eu égard au
régime matrimonia!. Le jugement du 2 juin 1938 auquel se
réfèrent MM. Mazeaud et Tune commet d'ailleurs, dans ce
domaine, une erreur évidente lorsqu'il énonce que l'indemnité
étant un propre Ie mari n'a aucun droit sur ce bien, alors que
les revenus de tous les propres sont communs (C. civ., art. 1401,
2°) et que, par conséquent, le mari est leur seul maître (C. civ.,
art. 1421) (281).
Nous maintenons donc notre conclusion, étayée par }'opinion
relativement récente du doyen René Savatier qui écrit (282) :
« La femme mariée peut évidemment transiger sauf à res-

(279) T. III (5• éd.), n° 2112, note lbis; M.G. Gheysen (v 0 Dading, in A.P. R.,
n° 101) se rallie à eet enseignement; il cite à l'appui de celui-ci quatre décisions
belges qui ne font cependant que proclamer le caractère propre de l'indemnité
pour dommage mora!, sans en tirer aucune conséquence en matière de transac-
tion.
(280) Gaz. du pal., 1938, II, 432 obs.
(281) Cass., 21 mai 1964, Pas., 1964, I, 883.
(282) T. XI du traité de PLANIOL et RIPERT (2• éd., 1954), n° 1574; comp.
CAPACITÉ DE TRANSIGER 235

pecter le droit d'usufruit qu'à, sur ses biens, Ie mari, sous Ie régime
de communauté, ou Ie régime dotal. »
A fortiori, la femme n'aura pas Ie pouvoir de transiger seule
si la convention porte soit sur les indemnités qui compensent les
débours médicaux et pharmaceutiques, soit sur celles qui com-
pensent une incapacité temporaire, les unes et les autres étant
généralement considérées comme tombant en communauté (283).
Pratiquement, la prudence commande donc si l'on veut
réaliser une transaction efficace, de veiller à obtenir dans tous
les cas, l'habilitation du mari, ou, à tout le moins, l'autorisa-
tion de justice.
Quant aux pouvoirs du mari, il va de soi qu'i]s ne l'autorisent
pas à transiger seul sur l'indemnité qui revient à la femme pour
Ie préjudice dont elle a personnellement souffert, puisque le
mari ne peut disposer des propres de la femme (284).
c) Si la femme est dotale, elle ne pourra transiger seule, car
ses pouvoirs sur les biens paraphernaux sont limités à l'admi-
nistration et la jouïssance de ces biens, les aliénations demeurant
interdites sans autorisation du mari ou de justice, puisqu'il est
actuellement certain (voy. supra, n° 165) que la loi du 30 avril
1958 n'a pas entendu modifier, ni expressément, ni tacitement,
l'article 1576 du Code civil (285).
Or, il est incontestable qu'une indemnité d'accident est un
bien paraphernal régi par ce texte.
d) Si la femme est mariée sous un régime de séparation de
biens avec sociétés d'acquêts, il nous paraît qu'elle ne pourra
davantage transiger seule sur les dommages et intérêts destinés
à réparer une incapacité permanente.
En effet, si l'indemnité est propre et relève donc des pouvoirs
entiers de la femme séparée de biens sur ses propres, il n'en
reste pas moins que la transaction peut affecter la consistance
active de la société d'acquêts en privant celle-ci des revenus ou des
économies sur les revenus de la partie abandonnée de l'indemnité.

même numéro, dans l'édition de 1932, antérieure aux lois françaises de 1938 et
1942 sur la capacité de la femme mariée. Adde, dans le même sens: Amiens, 28 octo-
tobre 1953 (Gaz. du pal., 1954, 1, 16), cité par MM. MAZEAUD, Leçons, t. IV, p. 312.
(283) DE PAGE, t. X, vol. I, n° 314; DALCQ, op.cit., n° 4276; MAZEAUD et TUNC,
op. cit., n° 2509.
(284) MAZEAUD et TuNC, op. cit., n° 2112, note Ibis; trib. Liège, 20 janvier
1941, Bull. ass., 1941, 367, et Liège, 14 juillet 1941, Bull. ass., 1941, 923.
(285) BAETEMAN et LAUWERS, op. cit., n° 156.
236 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Il paraît donc sage d'exiger aussi l'intervention du mari à


l'acte, singulièrement si la transaction porte en outre sur des
indemnités destinées à réparer une incapacité temporaire ou à
couvrir des débours médicaux et pharmaceutiques qui, dans Ia
plupart des cas, auront sans doute été exposés par la société
d'acquêts.
SECTION III.

POUVOIR DE TRANSIGER.

§ ter. - Rappel et plan.

170. Nous avons déjà eu !'occasion de souligner, à plusieurs


reprises, la distinction essentielle à faire entre capacité et pou-
voir de transiger, distinction que les auteurs du Code civil
paraissent avoir perdu de vue dans la rédaction de l'article 2045,
puisque les alinéas 1 er et 3 de eet article concernent la capacité
de transiger, tandis que l'alinéa 2 concerne à la fois les pouvoirs
et la capacité.
La présente section sera consacrée uniquement à la situa-
tion de personnes pleinement capables ayant pouvoir de transi-
ger au nom d'autrui.
Le pouvoir de transiger pour autrui est assurément une chose
exceptionnelle : il ne peut résulter que de la convention des
parties, de Ia loi ou d'un jugement.
Nous distinguerons donc, dans les pages qui suivent, la situa-
tion des mandataires conventionnels de celle des mandataires
et représentants légaux ou judiciaires.

§ 2. - Mandataires conventionnels.

A. - PRINCIPES GÉNÉRAUX.

171. C'était une question très discutée, tant en droit


romain (286) que dans !'ancien droit, de savoir si Ie mandat
général d'administrer tous les biens du mandant emportait
aussi pouvoir de transiger pour lui et en son nom.
Pothier (287) opinait pour la négative, tout en admettant
que, dans certains cas exceptionnels - éloignement du man-

(286) Voy. sur la controverse : ÜUME-KENDJIRO, op. cit., n°• 159 et s.


(287) Traité du contrat de mandat, n° 157 (éd. BUGNET, V, p. 236 et 237).
POUVOIR DE TRANSIGER 237

dant, importance de !'affaire - il faut présumer que, vu les


circonstances, Ie pouvoir de transiger est implicitement compris
dans Ie mandat général.
Aujourd'hui, la question n'est plus discutable, du moins en
principe : en effet, aux termes de J'article 1988 du Code civil,
Ie mandat donné en termes généraux n'embrasse que les actes
d'administration et ne s'étend pas aux actes de disposition,
lesquels requièrent des pouvoirs exprès, clairement précisés.
« Le mandat conçu en termes généraux n'embrasse que les actes d'admi-
nistration.
"S'il s'agit d'aliéner au d'hypothéquer, au de quelque autre acte de pro-
priété, le mandat doit être exprès. "

Il en résulte, puisque Ja transaction est en soi un acte de pro-


priété et d'aliénation, qu'un mandat « exprès >> est requis pour
pouvoir transiger au nom d'autrui (288).
C'est en vain que l'on invoquerait que la transaction peut
être, dans certaines circonstances, un acte d'administration,
qui serait alors compris dans Ie mandat général (289).
Nous avons eu !'occasion, en étudiant la capacité spéciale du
mineur émancipé, d'exprimer notre opinion sur la définition
fonctionnelle de l'acte d'administration en matière de transac-
tion (voy. supra, n° 8 ll8 et s.). Nous n'y reviendrons pas, sauf
à renforcer la conclusion que nous exprimions alors en rappe-
lant que Ie pro jet du tribunal de cassation sur l' article 1988,
s'exprimait ainsi, en son article 4 :
« Le mandataire ne peut transiger pour son mandant si Ie
pouvoir pour transiger n'est exprès >> (290).

(288) DE PAGE, t. V, n° 494, in fine; Rép. prat. dr. belge, v 0 Mandat, n°• 349
ets., en particulier n°• 383 à 387; Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n°• 62
et 66; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1237; PLANIOL et RIPERT,
t. XI, n° 1571.
(289) Cf. sur la notion d'acte d'administration en général et sur son applica-
tion dans Ie cadre de l'article 1988 du Code civil : DE PAGE, t. V, n° 391.
Une partie de la doctrine et de la jurisprudence françaises admet que Ie mandat
général emporte pouvoir de transiger lorsque la transaction porte sur un acte
d'administration. Elle est alors, elle-même, un acte d'administration embrassé
par Ie mandat général (PLA~IOL et RIPERT, op. cit., ibid.; Dalloz : Encycl. dr.
civil, v 0 Transaction, n° 62; Paris, 30 juillet 1850, D. P., 1851, II, 116).
Il faut reconnaître à cette solution Ie mérite d'une grande souplesse sur Ie plan
pratique, mais elle heurte, à notre sens, la nature même de la transaction ainsi
que la notion d'acte d'administration. Voy, dans Ie sens de notre opinion : comm.
Anvers, 16 janvier 1920, Pas., 1920, 111, 158.
(290) FENET, t, II, p. 744,
238 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Ce texte fut supprimé par la suite comme faisant double


emploi avec la règle générale exprimée par l'article 1988 du
Code civil, alinéa 2.
Nous pensons, dès lors, que les travaux préparatoires expri-
ment clairement la volonté du législateur de soumettre toutes
les transactions au régime de l'article 1988, alinéa 2, du Code
civil, même s'il paraissait possible - économiquement - de
faire de la transaction, en certaines circonstances, un acte
d' administration.
Mais cela étant, il faut s'entendre sur la portée exacte de la
règle de principe énoncée par l'article 1988, alinéa 2, du Code
civil : lorsque ce texte parle de mandat exprès, il faut comprendre
que la loi exige que la volonté du mandat soit clairement exté-
riorisée quant à la non-exclusion des actes de disposition.
« Exprès » signifie donc ici « précis », cc déterminé », par opposi-
tion au mandat général dont les contours sont indéterminés.
Seul Ie mandat conçu en termes généraux, sans plus, sans
aucune précision, est présumé ne s'étendre qu'aux actes d'admi-
nistration.
Mais cette présomption peut être renversée par toute mani-
festation de volonté contraire, quelle qu'en soit la forme : il
suffit, en effet, d'une volonté clairement manifestée pour que le
mandat devienne « exprès ».
La jurisprudence récente de la Cour de cassation illustre cette
théorie - qui est celle de M. De Page (291) - en admettant
que Ie juge du fond peut, par une interprétation conciliable
avec les termes de la procuration, apprécier souverainement
l'étendue du mandat (292), compte tenu de toutes les circon-
stances intrinsèques ou extrinsèques (293) au contrat, et décider
que Ie mandant a eu l'intention de conférer au mandataire des
pouvoirs plus étendus que ceux que comporte normalement un
mandat général suivant l'article 1988 du Code civil (294).

Par conséquent :
il est non seulement parfaitement concevable qu'un mandat

(291) Voy. t. V, n°• 379bis et 392.


(292) Cass., 14, janvier 1954 (Pas., 1954, I, 402) ; 3 mai 1955 (Pas., 1955, I,
361); 23 juin 1958 (Pas., 1958, I, 1191).
(293) Arrêt précité du 23 juin 1958.
(294) Arrêt précité du 3 mai 1955; cf. aussi M. GEVERS, Chronique de juris-
prudence sur les contrats spéciaux, in Rev. crit. jur. belge, 1956, p. 319, n° 42.
POUVOIR DE TRANSIGER 239

général visant globalement les actes de disposition, mais n'em-


brassant pas nommément la transaction, emporte pouvoir de
transiger, si Ie juge du fond estime que la volonté du mandant
est clairement établie de ne pas exclure la transaction du mandat ;
mais, il est possib]e, en outre, au juge du fond, de déduire de
circonstances décisives que les parties ont entendu déroger
à la règle de l'article 1988, alinéa 2, du Code civil (295), et que
Ie mandant a voulu accorder au mandataire des pouvoirs de
disposition qu'un mandat général ne comporte pas normale-
ment.
172. Principes généraux (suite). C'est également une règle
fondée sur une présomption supplétive de volonté qu'exprime
l'article 1989 du Code civil.
« Le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son
mandat : Ie pouvoir de transiger ne renferme pas celui de compromclttre. »

L'article 1989 suppose donc, à !'inverse de l'article 1988, un


mandat précis, non général, lequel, à défaut de volonté contraire
révé]ée d'une manière décisive, devra s'interpréter d'une manière
rationnellement restrictive (296).
Telle est la règle dont la loi fournit un exemple : Ie pouvoir
de transiger n'emporte pas celui de compromettre, parce que
« terminer un procès par son propre jugement ou par Ie juge-
ment d'autrui sont deux choses différentes que Ie mandataire
ne peut confondre sans dénaturer ]'objet du mandat » (297).
Cette justification ainsi que la règle de principe de l'arti-
cle 1989 du Code civil permettent de dire, a contrario, qu'en
lui-même Ie pouvoir de compromettre n'emporte pas mandat
exprès de transiger au sens de l'article 1988 du Code civil.
Pour qu'il en soit ainsi, il faudrait que la volonté du mandant
d'étendre le mandat jusqu'à la transaction soit établie d'une
manière indiscutable.

173. S'il est vrai que Ie mandat de transiger doit, en principe,


s'interpréter restrictivement, encore faut-il préciser que Ie

(295) DE PAGE, op. cit., n° 396.


(296) Cf. DE PAGE, t. V, n° 393.
(297) Déclaration du tribun Tarrible rapportée au FENET, t. XIV, p. 593 et
594, et au LOCRÉ, t. XV, p. 246 et 247; voy. aussi: Rép. prat. dr. belge, v 0 Mandat,
n° 383; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 545; LAURENT, t. XXVII,
n° 432.
240 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

mandat emporte cependant pouvoir d'accomplir tous actes


qui sont sa suite logique et sans lesquels il ne pourrait être
exécuté (298).
Nous verrons aux numéros suivants des applications de cette
règle que la logique impose.

B. - APPLICATIONS.

174. I. Il résulte de la règle généra]e de l'artic]e 1988, ali-


néa 2, du Code civil :
1 ° que Ie mandat " exprès » est requis, qu'il s'agisse de transiger sur
des droits mobiliers ou immobiliers (299).
La jurisprudence a fait une application remarquable du principe au
cas du capitaine de navire et du batelier : quelque étendus que soient
leurs pouvoirs, ils ne comprennent pas cel ui de transiger, sans mandat
exprès, pour compte de leur armement (300).
2° que, conséquemment, Ie serment litisdécisoire emportant des effets
transactionnels, ne peut être déféré par Ie mandataire général au défen-
deur, ni être déféré au mandataire qui n'a pas pouvoir "exprès » de
transiger (301).
3° qu'en principe, les gérants et administrateurs de sociétés n'ont pas,
à défaut de pouvoirs " exprès » résultant des statuts ou d'une habilita-
tion spéciale, Ie pouvoir d'engager la société par une transaction.
Nous traiterons séparément de cette application intéressante du prin-
cipe général de l'article 1988, alinéa 2, du Code civil, infra, sub n° 8 176 ets.
4° que Ie mandat ad litem conçu en termes généraux n'emporte pas
pouvoir de transiger (302).
En particulier, l'avocat, qui n'est qu'exceptionnellement Ie mandataire
de son client (303), ne peut transiger au nom de ce dernier sans mandat

(298) DE PAGE, t. V, n° 393; Rép. prat. dr. belge, v 0 Mandat, n° 350 avec les
nombreuses références.
(299) Rép. prat. dr. belge, v 0 Mandat, n°• 323 et 331 ; LAURENT, t. XXVII,
n° 429; BAUDRY-LACANTINERIE, t. XXI, n° 537.
(300) Bruxelles, 2 novembre 1900, Pas., 1901, II, 132 et la note; comm. Anvers,
16 janvier 1920, Pas., 1920, III, 158.
(301) Cf. Rép. prat. dr. belge, v 0 Mandat, n°• 323 et 383 avec les références;
BAUDRY-LACANTINERIE et W AHL, t. XXI, n° 529 avec les références; LAURENT,
t. XXVII, n° 430; GUILLOUARD, n° 88.
(302) G. GHEYSEN, v 0 Dading, in A. P. R., n° 132 avec les réf. Quant au pou-
voir de faire un aveu ou d'acquiescer : cf. les références citées par MM. Bernard,
Gutt et Simont, Examen de jurisprudence. Procédure civile (1958-1961), Rev.
crit. jur. belge, 1963, p. 148, n° 2, et 160, n° 30; adde: cass., 18 septembre 1964,
Pas., 1965, I, 61.
(303) Sur Ie mandat ad litem de l'avocat, en général, voy. notamment M. GE-
VERS, Chronique de jurisprudence sur les contrats spéciaux, in Rev. crit. jur.
belge, 1956, p. 317 et s. (n° 41), et 1961, p. 286, n° 70 avec renvoi aux notes de
M. Reumont, Journ. trib., 1953, p. 223, et Journ. trib., 1956, p. 255; voy. aussi
Dinant, 25 mars 1964, Jur. Liège, 1963-1964, p. 245.
POUVOIR DE TRANSIGER 241

« exprès ». Le juge ne peut donc déduire des <lires et conclusions des


conseiis l'existence d'une transaction, sans avoir préalabiement vérifié
l'existence d'un mandat spécial (304).
Il en est d'ailleurs de même pour l'avoué et l'huissier bien qu'iis soient
toujours, contrairement à I'avocat, mandataires de leurs clients (305).

175. II. Il résulte de ce que Ie mandat exprès doit être inter-


prété restrictivement (C. civ., art. 1989), mais d'une manière
raisonnable (supra, n° 172).
1° que Iorsqu'un man dat autorise Ie mandataire à transiger, il ne
peut exercer ce pouvoir que dans les matières pour lesquelles Ie mandant
Ie lui avait accordé (C. civ., art. 1156 et 1163);
2° que non seulement Ie mandataire qui a reçu pouvoir exprès de
transiger ne peut compromettre (supra, n° 172), mais qu'il ne peut davan-
tage proroger un compromis (306), même s'il a reçu Ie pouvoir de transi-
ger par médiation d'arbitre, la transaction par médiation d'arbitre res-
tant une transaction, essentiellement différente du compromis (307);
3° que Ie mandat exprès de transiger n'emporte pas pouvoir de renoncer
sans contre-partie aux droits litigieux (308), ni celui de faire une remise
de <lette sans contre-partie, tandis par contre qu'il habilite à accepter
pareille remise ( 309) ;
4° que Ie pouvoir de transiger sur les poursuites n'autorise pas Ie man-
dataire à transiger sur Ie fond de la contestation (310);
5° que Ie mandat de transiger ne donne pas pouvoir au mandataire
d'acquiescer.
L'acquiescement suppose, comme la transaction, la capacité ou Ie
pouvoir d'aiiéner. Mais hormis ce trait commun les différences sont en
effet fondamentales.
C'est ainsi qu'il a été jugé, avec infiniment de raison, " qu'on ne saurait
arguer que la compagnie (d'assurances) pouvant transiger peut, par
Ià même, acquiescer à une décision judiciaire au nom de son assuré,

(304) Cass., 3 octobre 1940, Pas., 1940, I, 239; Bruxelles, 12 avril 1932, Pas.,
1933, II, 24; Gand, 3 décembre 1948, R. W., 1948-1949, 1299; Hasselt, 7 janvier
1948, R. W., 1947-1948, 638; trib. Liège, 30 avril 1928, Jur. Liège, 1928, 189,
et 1 er juin 1965, Jur. Liège, 1965-1966, avec la note M.H. sur Ie mandat ad /item
de l'avocat, en général.
(305) DE PAGE, t. V, n°• 362 et 494, in fine.
(306) Rép. prat. dr. beige, v 0 Arbitrage, n° 59, et v 0 Mandat, n° 385 avec les
références; A. BERNARD, L'arbitrage volontaire en droit privé, n° 59.
(307) PONT, Mandat, n° 955; Rép. prat. dr. beige, v 0 Mandat, n° 384.
(308) PLANIOL et RIPERT, t. XI, n° 1461, 2°.
(309) Rép. prat. dr. belge, v 0 Mandat, n° 385 : !'opinion paraît exacte mais se
fonde témérairement, semble-t-il, sur un passage de Baudry-Lacantinerie et
Wahl (t. XXI, et non XXIV, n° 547).
(310) Rép. prat. dr. belge, v 0 Mandat, n° 386.
DE GAVRE, Oontrat de transaction. - 16
242 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

l'acquiescement comportant une renonciation plus complète que la transac-


tion, ce contrat supposant un accord de volonté, alors que l'acquiescement
constitue une renonciation unilatérale sans contre-partie" (311);
6° que, par contre, le mandat de transiger emporte pouvoir de sti-
puler les conditions et modalités de la transaction (312); de reconnaître,
dans la discussion d'un compte, l'existence d'une créance à charge du
mandant (313); de renoncer à une exception de procédure, de ratifier
une renonciation faite par un autre mandataire en dehors de ses pou-
voirs, de faire des rcconnaissances et des aveux, à condition toutcfois,
dans ces derniers cas, que le mandat de transiger soit assorti du pouvoir
de se désister (314);
7° que l'interdiction faite à un assuré de transiger personnellement
sur sa rcsponsabilité, ni même la clause de direction du procès insérée
dans la police au profit de l'assureur, ne confèrent à ce dernier le pouvoir
de transiger pour compte de son assuré (315).

176. Applications (suite). - III. Cas des gérants, administra-


teurs et liquidateurs de sociétés ou associations. La question du
pouvoir de transiger des mandataires et organes sociaux, à
défaut de disposition statutaire à eet égard, est traditionnellement
rattachée aux principes de l'article 1988 du Code civil.
On en déduit, d'une façon générale, que celui qui n'a que des
pouvoirs de gestion ne peut transiger sans mandat « exprès »,
les pouvoirs généraux de gestion se limitant, dans Ie silence
des statuts, aux actes d'administration (C. civ., art. 1988,
al. 1er) (316).
Mais on ajoute, tout aussitöt, que puisque pour transiger il
suffit de la capacité de disposer des objets compris dans la transac-
tion, Ie mandataire social peut transiger sans mandat exprès
lorsque l'objet du litige est compris dans le cercle des actes qui
sont dans ses attributions.
Cette dérogation au principe général, admise pourtant par

(311) Paris, 23 février 1937, Gaz. des trib., 23 avril 1937, approuvé par DEMO-
GUE, Rev. trim. dr. civ., 1937, p. 617, n° 10; voy. également supra, n° 72.
(312) Tournai, 11 août 1845, Belg. jud., 1601.
(313) Arlon, 25 juillet 1889, CLOES et BONJ, t. XXXIII, 539.
(314) PONT, Mandat, n° 957; Rép. prat. dr. belge, v 0 Mandat, n° 386.
(315) Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 66, citant notamment : Paris,
23 février 1937, Gaz. des trib., 1937, II, 201, et PrcARD et BESSON, Traité général
des assurances terrestres en droit français, t. III, n° 213, in fine.
(316) Rép. prat. dr. belge, v 0 Sociétés anonymes, n° 762; voy. une application
in Gand, 8 janvier 1951, T. N., 1951, 217 : « la constitution d'une hypothèque ...
est un acte de disposition qui excède les limites d'un mandat de gestion, si large
qu'il soit ».
POUVOIR DE TRANSIGER 243

des auteurs éminents (317) nous paraît procéder d'une nouvelle


et regrettable confusion entre les règles de capacité et celles de
pouvoir (318) : comment, en effet, peut-on justifier l'étendue
des pouvoirs d'un mandataire par une règle de capacité, destinée
essentiellement à définir non l'aptitude à transiger pour autrui
mais bien celle à transiger pour soi-même?
Il s'agit évidemment de deux choses fondamentalement diffé-
rentes : ce n'est pas parce que ]'on est capable de disposer,
c'est-à-dire de transiger soi-même, qu'on est habilité ipso facto
à le faire au nom d'autrui. Dans ce dernier cas, ce sont les prin-
cipes du mandat qui s'appliquent, à l'exclusion de tous autres.
Ceci étant précisé, nous pensons cependant que certains
mandataires sociaux peuvent engager la société par une transac-
tion, même sans mandat exprès. Mais l'exception se justifie
alors non par la règle de capacité de l'article 2045, alinéa 1er,
mais bien par l'étendue du mandat que la loi civile ou commer-
ciale donne à ces mandataires sociaux.

177. Suite. Cette opinion impose l'examen du cas particulier


de chaque gérant ou administrateur de société, compte tenu
de la forme et du type de celle-ci. Nous traiterons ultérieurement
de la situation des liquidateurs des sociétés commerciales :

1° Associés-gérants d'une société ou d'une association civile


dénuée de la personnalité juridique.

Dans les sociétés et associations civiles dénuées de perso-


nalité juridique (319), la question du mandat des associés gérants
« affieure au premier plan » (320) : c'est elle qui doit être résolue
avant tout pour savoir si les associés sont tenus, en principe,
la question de l'étendue de l'engagement à l'égard des tiers
venant ensuite.
Les associés ne seront tenus envers les tiers, sans solidarité,
que si l'un d'eux a reçu mandat des autres (C. civ., art. 1862-1864).

(317) Voy. spécialement RESTEAU, Traité des sociétés anonymes, t. II, n° 886;
Rép. prat. dr. beige, op. cit., ibid., avec les références citées qui concernent les pou-
voirs des administrateurs de sociétés anonymes.
(318) Baudry-Lacantinerie souligne occasionnellement l'erreur de cette confu-
sion au n° 537, p. 265, de son tome XXI.
(319) Les sociétés civiles qui prennent la forme des sociétés commerciales pour
acquérir la personnalité juridique sont aussi soumises aux règles de fond des
sociétés commerciales (DE PAGE, t. V, n° 1, c, p. 11, in fine, et 12).
(320) DE PAGE, op. cit., n° 81.
244 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Mais ce mandat peut être présumé - c'est Ie mandat d'admi-


nistrer l'un pour l'autre dont parle l'article 1859, 1°, du Code
civil - ou peut résulter d'une clause spéciale chargeant l'un
des associés de l'administration sociale (C. civ., art. 1856, al. 1er).
Dans l'un comme dans l'autre cas, il faut remarquer que la
loi ne parle pas d'un pouvoir, présumé ou exprès, d'accomplir
des actes d'administration mais bien d'un pouvoir d'administrer
(C. civ., art. 1856, in limine; art. 1859, 1°).
Aussi s'accorde-t-on à considérer que la notion d'administra-
tion doit être entendue ici lato sensu, et qu'elle est indépen-
dante de la nature intrinsèque de l'acte (321) : !'associé peut
faire les actes qui dépendent de son administration, et pas
seulement les actes qui sont, par leur nature, des actes d'admi-
nistration.
Par conséquent, !'administrateur pourra parfaitement accom-
plir un acte de disposition Iiant ses coassociés, à condition qu'il
rentre norma]ement dans l'administration de la société, compte
tenu de l'objet social et des circonstances (arg. art. 1860 du Code
civil).
Nous sommes donc ici en dehors et au-delà du mandat général
dont parle l'article 1988 du Code civil - mandat qui n'embrasse
que les actes d'administration - avec cette conséquence qu'un
mandat « exprès » ne sera pas requis, pour autant que la transac-
tion puisse se concevoir normalement dans l'administration
de la société (322).
Mais, soulignons-le encore, cette dérogation se justifie unique-
ment par la définition que Ja loi donne spécialement des pouvoirs
du mandataire - administrateur d'une société civile ou d'une
association non personnalisée, et non par la règle générale de
capacité de l'article 2045, alinéa 1er, du Code civil, qui ne peut,
croyons-nous, être invoquée ici.

2° Administrateurs et gérants des sociétés en nom collectif


et en commandite simple.

178. La situation de ces administrateurs est fort proche de


celle des associés gérants d'une société civile : il s'agit de véri-

(321) DE PAGE, op. cit., n° 77; PLANIOL et RIPERT, t. XI, n° 1025; LAURENT,
t. XXVI, n° 307.
(322) DE PAGE, op. cit., n° 77, p. 92.
POUVOIR DE TR.A.NSIGER 245

tables mandataires, disposant de pouvoirs de gestion larges,


lesquels s'étendent à I'administration de la société lato sensu
et débordent, dès lors, le cadre des actes d'administration définis
comme tels suivant leur nature intrinsèque (323).
On tirera donc, en ce qui les concerne, la même conclusion
que ci-dessus : la transaction demande, en principe, un mandat
spécial, sauf si elle peut se concevoir dans les limites de l'admi-
nistration générale de la société.
Mais cette conception extensive du mandat en matière de
transaction est discutée : certains (324) l'admettent en consta-
tant que Ie gérant a parfois le droit d'aliéner les choses sociales
et en invoquant, à tort, la règle de capacité de l'article 2045,
alinéa 1er, du Code civil; d'autres (325) la contestent par une
application rigoureuse de l'article 1988 du Code civil ou par une
interprétation stricte de I'article 2045, alinéa 1er (326), qui est
ainsi sollicité dans les deux sens.
Pour illustrer Ja tendance restrictive, on cite généralement
un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 2 décem-
bre 1930 (Rev. soc., 1931, n° 3165, p. 266 avec la note), qui décide
que Je gérant d'une société en commandite simple ne peut
transiger sans mandat exprès et que, dans Ie doute sur l'étendue
du mandat, il faut l'entendre d'une manière restrictive en faveur
du mandant.
Cette jurisprudence révèle, une fois de plus, la tendance à
considérer la transaction comme un acte à régime juridique
exceptionnel.

(323) VAN RYN, t. Jer, n° 427. On citera aussi une intéressante décision du
tribunal de commerce de Bruxelles du 16 mars 1950 (Jur. com. Brux., 1951, p. 9)
qui énonce que, dans le silence des statuts, les associés en nom collectif sont censés
s'être donnés réciproquement le pouvoir d'administrer, avec mission plus large
que dans un mandat ordinaire, et que si les actes de disposition n'exigent pas
nécessairement un mandat exprès, encore faut-il qu'ils soient nécessités par la
bonne marche de !'affaire ou qu'ils servent normalement à la réalisation du but
social, les actes sortant du cadre de l'objet social statutaire ou les actes qui ont
une durée ou une importance extraordinaires n'ayant pas ce caractère.
(324) FREDERICQ, t. IV, n° 205, p. 336; GUILLERY, t. Jer, n° 378; P0THIER,
Du contrat de société, chap. 111, n° 68.
(325) Comm. Bruxelles, 2 décembre 1930, cité au texte infra; cf. dans le même
sens en matière de compromis : BERNARD, op. cit., n° 62.
(326) LAURENT, t. XXVI, n° 310. Cet auteur, se référant à l'article 2045 du
Code civil, constate que s'il est vrai que « le gérant a parfois des droits plus étendus
que Ie mandataire, c'est quand l'objet de la société lui donne le pouvoir de vendre.
Mais on ne peut pas dire que l'objet de la société soit de transiger et de compro-
mettre ». Observation particulièrement pertinente,
246 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Car, en effet, si l'on s'en tient aux principes généraux qui,


dans Ie silence des statuts, gouvernent les pouvoirs des admi-
nistrateurs et gérants des sociétés civiles et, partant, des socié-
tés commerciales de personnes, il faut admettre qu'en raison
de J'étendue reconnue à ces pouvoirs, la transaction ne devrait
pas nécessairement requérir un mandat exprès.
Or, c'est pourtant à cette solution rigoureuse, fondée sur
l'article 1988 du Code civil, que s'arrête la décision ci-dessus,
laquelle, par ailleurs, se réfère d'une manière générale au prin-
cipe d'interprétation restrictive posé par l'article 1989 du Code
civil en ce qui concerne la notion de mandat cc exprès ».

3° Administrateurs des sociétés anonymes.

179. La situation est, ici, toute différente.


En effet, l'article 54 des lois coordonnées sur les sociétés com-
merciales exprime, à défaut de dispositions statutaires con-
traires, une règle attributive de pouvoirs nettement restric-
tive : les administrateurs ne sont pas investis de l'administra-
tion de la société lato sensu, mais seulement du pouvoir de faire
tous actes d'administration, ce qui est différent (327).
Nous sommes donc ici exactement dans l'hypothèse de l'arti-
cle 1988 du Code civil, et il suffit dès lors de rappeler que pour
pouvoir transiger - c'est-à-dire accomplir un acte de dispo-
sition - il faut un mandat cc exprès » (328) au sens de cette
disposition.
La solution nous paraît certaine, et c'est en vain que quelques
autorités invoquent, pour justifier Ie pouvoir implicite de tran-
siger :
a) la circonstance que l'article 54 précité donne aux admi-
nistrateurs Ie pouvoir de cc soutenir toutes actions au nom de la
société tant en demandant qu'en défendant » (329), alors que

(327) Voy. VAN RYN, t. I•r, n° 604; sur cette question en droit comparé :
cf. VAN ÜMMESLAGHE, Le régime des sociétés par actions et leur administration
en droit comparé (Bruxelles, 1960), n° 269, spécialement p. 445 et 446.
(328) Dans ce sens : PASSELECQ, Traité des sociétés commerciales, n° 1814;
app. Douai, 8 juillet 1954 (D., 1954, Somm., 65).
(329) Voy. dans ce sens, mais à tort : RESTEAU, t. II, n° 886, p. 96, in fine,
qui paraît en contradiction avec l'alinéa final du même numéro; contra : VAN
RYN, op. cit., n° 604, in fine; PASSELECQ, op. cit., n° 1831; THIÉBAUT, note sous
Bruxelles, 23 mai 1960, Rev. soc., 1960, p. 106.
POUVOIR DE TRANSIGER 247

Ie pouvoir d'agir judiciairement n'est aucunement, dans la


conception du Code civil, Ie corollaire de celui de transiger et
réciproquement : il suffit de s'en référer aux pouvoirs du tuteur
et à ceux du curateur de l'émancipé pour en être convaincu.
b) la possibilité de transiger sur les matières <lont les admi-
nistrateurs ont la disposition, parce que la capacité de transiger
tient à celle de disposer des objets embrassés par la transac-
tion (art. 2045, al. 1 er) (330).
Nous avons déjà dénoncé l'erreur de cette confusion entre
une règle de capacité destinée à définir les conditions de validité
d'un acte accompli pour soi-même, et une règle de pouvoir
qui définit les conditions d'effecacité d'un acte accompli pour
compte d'autrui.
La jurisprudence beige, contrairement à de nombreux
auteurs (331), a fait une application remarquable des principes
que nous avons défendus ci-dessus en admettant que Ie serment
litisdécisoire - dont la nature et les effets transactionnels ont
déjà été maintes fois soulignés (332) - peut non seulement
être déféré mais aussi prêté par les administrateurs des sociétés
anonymes, à condition qu'ils aient expressément le pouvoir de
transiger (333).

(330) Une doctrine autorisée soutient ce point de vue en Belgique, en se fon-


dant sur une déclaration de Pirmez, faite au cours· des travaux préparatoires et
rapportée par GuILLERY, Commentaire législatif, t. II, p. 121; voy. dans ce sens :
RESTEAU, t. Il, n° 886, in fine; FREDERICQ, t. V, n° 430, p. 619; Rev. prat. dr.
beige, v 0 Sociétés anonymes, n° 762; contra: LAURENT, t. XXVI, n° 310, et PASSE-
LECQ, op.cit., ibid. On notera aussi !'opinion nuancée de M. Van Ryn (t. Jer, n° 604)
qui tout en se référant au rapport Pirmez, considère que les administrateurs
peuvent transiger sans mandat exprès si l'objet du litige est compris dans le « cer-
cle des actes qui sont dans les attibutions du conseil ». L'éminent auteur justifie
donc, semble-t-il, l'exception à la règle de l'article 1988 du Code civil davantage
par une interprétation de l'étendue du mandat que par la règle de capacité de
l'article 2045, alinéa 1 er, du Code civil ce qui, juridiquement, est certainement
plus exact. Comp. cass. fr., 30 juillet 1963, Rev. arb., 1963, p. 91, décision rendue
en matière de compromis.
(331) Une grande partie de la doctrine, en effet, s'oppose à ce que les organes
sociaux puissent prêter le serment litisdécisoire, même s'ils ont le pouvoir de
transiger (RESTEAU, t. Il, n° 901; FREDERICQ, t. V, n° 430; VAN RYN, t. Jer,
n°• 368 et 605). Mais De Page souligne, à bon droit, l'évolution en sens contraire
(t. Jer, 3• éd., 1962, p. 638, note 4). Adde: PLANIOL et RIPERT, t. Jer (2• éd., 1950),
n° 93bis. Quant au pouvoir de déférer le serment, les organes sociaux le possèdent
indiscutablement s'ils ont pouvoir de transiger : RESTEAU, t. II, n° 888; FREDE-
RICQ, t. V, n° 430.
(332) Voy. notamment supra, n°• 74 ets.; adde: les références infra note 333
et RESTEAU, t. II, n° 901, p. 108.
(333) Trib. Bruxelles, 11 avril 1890, Belg. jud., 1890, 682; comm. Liège, 18 juin
1929, Rev. soc., 1929, p. 355; comm. Bruxelles, 24 juin 1936, Rev. soc., 1937, p. 89
248 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

L'application pure et simple de l'article 1988 ressort donc


de cette jurisprudence, dont le corollaire est évidemment l'im-
possibilité pour !'administrateur-délégué de transiger sans
pouvoir exprès, parce que Ia transaction est naturellement
et intrinsèquement exclue de la gestion journalière à laquelle
la délégation se limite, sauf dispositions spéciales et con-
traires (334).

4° Administrateurs et gérants des sociétés coopératives


et en commandite par actions.

180. Ce qui vient d'être dit sub n° 179 ci-dessus vaut assuré-
ment pour les gérants des sociétés en commandite par actions.
A défaut de dispositions statutaires, leurs pouvoirs sont les mêmes
que ceux des administrateurs des sociétés anonymes : la solu-

avec obs. : l'annotateur de cette excellente décision - due à la plume de M. René


Piret, alors référendaire - souligne à bon droit que Ia possibilité de recourir,
activement ou passivement, à la procédure du serment requiert Ie pouvoir exprès
de transiger, c'est-à-dire de « disposer absolument et intégralement de l'intérêt
en Iitige »; Bruxelles, 23 mai 1960, Pas., 1961, II, 114; Journ. trib., 1960, p. 574,
et Rev. soc., 1960, p. 106 avec Ia note THIÉBAUT : Ie pouvoir d'engager la société
(S.P.R.L.), sans autre précision, n'était pas contesté dans I'espèce soumise à Ia
Cour; voy. aussi mais a contrario : comm. Anvers, 29 juin 1930, Rev. soc., 1930,
p. 173, et Bruxelles, 8 janvier 1954, Pas., 1955, II, 95, et sur la question, en géné-
ral : VAN RYN et VAN ÛMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence sur les sociétés
commerciales (1957-1960) », in Rev. crit. jur. belge, 1962, p. 372 et 373, n° 17.
(334) Comm. Liège, 9 décembre 1952, Rev. soc., 1956, p. 172, confirmé par
Liège, 28 janvier 1954, Rev. soc., 1956, p. 175, obs. J. HENRY : ces décisions, ainsi
que l'annotateur de !'arrêt du 28 janvier 1954, posent, à juste titre, en règle absolue
et indiscutable, l'impossibilité pour l'administrateur-délégué de transiger pour
Ia société sans mandat exprès.
MM. Van Ryn et Van Ommeslaghe approuvent cette opinion mais Ia nuancent:
« il faut ... se garder de généraliser à l'excès : une transaction peut fort bien n'être
qu'un acte de minime importance ... » (« Examen de jurisprudence, 1954-1956 :
« Les sociétés commerciales », in Rev. crit. jur. beige, 1958, p. 81, n° 26).
Voy. aussi dans Ie sens des décisions citées, comm. Anvers, 29 janvier 1930,
Rev. soc., 1930, p. 173; comm. Bruxelles, 24 juin 1936, Rev. soc., 1937, p. 89 et
motifs p. 90; Rép. prat. dr. beige, v 0 Sociétés anonymes, n° 1120 avec les références;
G. GHEYSEN, v 0 Dading, in A.P. R., n° 124.
En ce qui concerne les pouvoirs des délégués en matière de compromis et de
procédures judiciaires en général, on consultera notamrnent, en Belgique, P. DE-
MEUR, « La question journa!ière et les procédures judiciaires et arbitrales », Rev.
soc., 1961, p. 65 ets.; J. LEHRER, étude in Rev. soc., 1957, n° 4657; R. SMITS,
« Les sociétés de commerce peuvent-elles compromettre? », Journ. trib., 1958,
p. 701 et 702; et en France : la note d'AUTESSERRE sous Paris, 12 février 1963,
au Sirey, 1963, p. 177-179, cette note faisant !'examen de la jurisprudence fran-
çaise la plus récente (voy. à eet égard également l'étude Demeur précitée). Voy.
encore, sur les pouvoirs des délégués, en général, la note de MM. VAN ÛMMES-
LAGHE et SIMONT, in Rev. crit. jur. beige, 1964, p. 72.
POUVOIR DE TRANSIGER 249

tion résulte de l'article 107 des lois coordonnées sur les sociétés
commerciales (335).
La question est plus discutable pour les administrateurs des
coopératives : l'article 146, 3°, des lois coordonnées leur donne
Ie pouvoir de gérer la société.
M. Van Ryn observe qu'il n'y a pas de raison de donner au
pouvoir de gestion dans la société coopérative un sens plus
étroit que dans les sociétés en nom collectif et en commandite
simple (336).
Suivant cette opinion, Ie mandat exprès qui demeure
la règle ne serait pas nécessairement requis (voy. supra,
no 178).
D'autres auteurs, tels Resteau (337) et Fredericq (338),
assimilent les administrateurs des coopératives aux admi-
nistrateurs des sociétés anonymes, au point de vue de leurs
pouvoirs, et déclarent que les règles de droit commun du man-
dat doivent s'appliquer. Mais on sait aussi que ces auteurs
interprètent largement les pouvoirs des administrateurs des
sociétés anonymes en matière de transaction. Par conséquent,
en pratique, les deux opinions ne sont pas éloignées l'une de
l'autre.
La prudence commande, en tout cas, de veiller à ce que
!'administrateur soit nanti de pouvoirs exprès de transiger.
On rappellera à eet égard la jurisprudence nettement restric-
tive citée en matière de commandite simple, alors cependant
que, dans cette forme de société, il est unanimement admis que
les pouvoirs de gestion doivent s'entendre largement.

5° Gérants des sociétés de personnes


à responsabilité limitée.

181. On discute de l'interprétation à donner à l'article 130


des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, qui, dans
Ie silence des statuts, donne au gérant tout pouvoir pour agir
au nom de la société.

(335) VAN RYN, t. Jer, n° 872, p. 517.


(336) T. II, n° 1020. Les mots employés par la loi sont cependant différents.
(337) Traité des sociétés coopératives, n° 260.
(338) T. V, n° 701 renvoyant au n° 430 sur les pouvoirs des administrateurs
des sociétés anonymes.
250 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Il nous semble que ce serait priver Ie texte légal, et aussi


les travaux préparatoires qui l'explicitent, de toute significa-
tion que de réduire, comme Ie font certains, les pouvoirs
des gérants à ceux des administrateurs des sociétés ano-
nymes (339) ou même à ceux des gérants des sociétés en nom
collectif (340).
Nous suivons ici l'enseignement de M. Van Ryn (341) et
considérons donc que Ie gérant d'une S. P. R. L. peut valable-
ment transiger au nom de la société, sans pouvoir exprès, par
la seule vertu de l'article 130, lequel confère, dans Ie silence
des statuts, des pouvoirs dont l'étendue ne se rencontre assu-
rément pas ailleurs.

6° Gérants des sociétés commerciales non personnalisées


association momentanée et en participation.

A l'égard des tiers, Ie gérant des associations en participation


concentre sur sa tête l'entière propriété des biens de l'asso-
ciation.
Il a tous pouvoirs sur eux ; il en dispose en son nom pro-
pre (342).
Il peut donc aussi transiger librement, sans pouvoir exprès,
au sujet des droits et intérêts qu'il gère, saufle recours en respon-
sabilité que pourront former contre lui ses coassociés s'ils avaient
méconnu les stipulations des conventions intervenues entre
eux (343).
Quant au gérant d'une association momentanée (344), s'il
yen a, il ne peut agir qu'en vertu d'un mandat : Ie droit com-
mun et I'article 1988 du Code civil en particulier s'appliquent
donc à son cas.

(339) RESTEAU, Traité des sociétés de personnes à responsabilité limitée, n°• 205
et 206.
(340) VAN HouTTE, Traité des sociétés de personnes à responsabilité limitée,
n° 164; FREDERICQ, t. V, n° 654; comm. Anvers, 19 janvier 1954, R. W., 1954-
1955, col. 1519.
(341) T. II, n° 934 avec !'analyse des travaux préparatoires.
(342) Voy. sur cette question, en général : VAN RYN, t. rer, n° 454.
(343) PASSELECQ, op. cit., n°• 3981 et 3982; FREDERICQ, t. V, n° 802; cf. mu-
tatis mutandis en matière de compromis : BERNARD, op. cit., n° 62, A, p. 39.
(344) Elle n'a ni individualité juridique ni patrimoine propre : cass., 30 mars
1962, Pas., 1962, I, 842.
POUVOIR DE TRANSIGER 251

7° Administrateurs des associations


sans but lucratif.

Dans Je silence des statuts, l'article 13 de la loi du 27 juin


1921 donne au conseil d'administration des A.S. B.L. Ie pouvoir
<< de gérer les affaires de l'association ... ».

Formule large, on Ie voit, qui doit conduire à assimiler la


situation des administrateurs à celle des gérants des sociétés
de personnes.
IJs ne pourront donc transiger, en principe, sans pouvoir
exprès, sauf s'il peut être admis, en fait, que la transaction
entre dans la gestion normale des affaires de l'association, dans
l'administration lato sensu de l'A. S. B. L.

8° Liquidateurs des sociétés commerciales.

182. La question est résolue par l'article 181 des lois coor-
données sur les sociétés commerciales : les liquidateurs peuvent,
à défaut de disposition contraire dans les statuts ou l'acte de
nomination, transiger sur toutes contestations, sans autorisa-
tion de l'assemblée générale.
« Il est rare qu'une transaction nuise à une partie, il est presque irnpos-
sible que dans une liquidation elle ne cornpense les sacrifices qu'elle
irnpose par les lenteurs qu'elle rachète » (345).

Cependant, il est admis que, malgré la généralité des termes


de l'article 181, il est une transaction qui échappe à la compé-
tence des liquidateurs : celle qui porte sur des versements à
faire par les associés, en cette qualité. L'égalité de traitement
entre les sociétaires serait, en effet, rompue si la société pouvait
renoncer à une partie de ses droits sociaux et grever les autres
membres du groupe d'une charge plus lourde (346).
De ce que les liquidateurs ont, en principe, pouvoir de transi-
ger sur toute contestation intéressant la liquidation, il se déduit :
que les liquidateurs ont Ie droit de déférer, de prêter et de référer le
serrnent litisdécisoire (347);

(345) Rapport Pirmez, in GUILLERY, Comment. lég., III, n° 78.


(346) FREDERICQ, t. V, n° 735, p. 1031 et 1032; RESTEAU, t. IV, n° 1936;
Rép. prat. dr. beige, v 0 Sociétés anonymes, n° 2611; PASSELECQ, op. cit., n° 4598.
(347) La solution résulte formellement du rapport Pirmez et des travaux pré-
paratoires de l'article 156 (ancien) (GUILLERY, Comment. lég., 111, n° 597); voy. en
252 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

que les liquidateurs peuvcnt transiger avec les administrateurs et


cornmissaires sur les contestations que fait naître !'actio mandati,
résultant d'une violation des statuts (348).
Cette transaction met fin à l'action en dornmages et intérêts de la
société contre ses organes, mais n'a ni pour but ni pour effet de ratifier
les infractions aux statuts sociaux. Elle n'a pas davantage pour effet
de mcttre fin à l'action que les tiers peuvent intenter contre les admi-
nistrateurs en vertu de l'article 62 des lois coordonnées, le liquidateur
n'étant pas le mandataire des tiers-créanciers. Il restera cependant à
rechercher si, en fait, la transaction intervenue sur !'actio mandati ne
prive pas d'intérêt l'action fondée sur l'article 62 précité (349). En effet,
si la société a obtenu réparation de son préjudice, les tiers peuvent trou-
ver dans l'augmentation du patrimoine social qui est leur gage cornmun,
l'indemnisation du dornmage que la faute des administrateurs leur a
occasionné.

183. Pouvoirs de l'assemblée générale. II va sans dire que ce


qui vient d'être exposé quant aux pouvoirs de transiger des
gérants, administrateurs et liquidateurs de sociétés, présuppose
qu'en tout cas l'assemblée générale de la société a Ie pouvoir de
transiger pour elle, comme elle a Ie pouvoir d'aliéner, d'acquérir,
d'hypothéquer ... (350).
Par conséquent, s'il y a doute sur l'étendue des pouvoirs
des organes de gestion, Ie recours à l'assemblée permettra de
régler la question, sans contestation possible.

§ 3. - Représentants, mandataires
et administrateurs légaux ou désignés par justice.

À. - LES REPRÉSENTANTS LÉGAUX DES INCAPABLES.


RENVOI.

184. Nous avons, à !'occasion de !'examen des règles de capacité,


défini les pouvoirs des représentants légaux chargés de repré-
senter ou d'assister les incapables dans la conclusion d'une
transaction.

outre: FREDERICQ, t. V, n° 736, in fine; RESTEAU, t. IV, n° 1913; PASSELECQ,


n° 4595: Rép. prat. dr. beige, v 0 Sociétés anonymes, n° 2572 avec les références.
(348) Comm. Bruxelles, 14 mars 1931, Rev. soc., 1932, n° 3200; cass. fr., 23 juil-
let 1931, Journ. des soc., 1933, p. 15; Rép. prat. dr. beige, v 0 Sociétés anonymes,
n° 2612 avec les références.
(349) Rép. prat. dr. beige, v 0 Sociétés anonymes, n° 2613; RESTEAU, t. IV,
n° 1938.
(350) Rép. prat, dr. beige, v 0 Sociétés anonymes, n° 1388.
POUVOIR DE TRANSIGER 253

Nous renvoyons donc à ce qui a été exposé ci-devant tout


en précisant que c'est par souci de ne point scinder des matières
qui, en fait, doivent être traitées de pair, et Ie sont d'ailleurs
traditionnellement, que nous avons volontairement étudié
ensemble l'étendue de l'incapacité de transiger de certaines
personnes et l'étendue des pouvoirs de ceux que la loi a chargés
de les protéger.

B. - LES CURATEURS DE FAILLITE.

185. Nous avons déjà étudié les effets de la faillite sur la capa-
cité personnelle de transiger du failli (voy. supra, n° 8 149 et s.).
Il convient donc qu'après Ie jugement déclaratif ce soit Ie
curateur qui transige sur toutes les contestations qui intéressent
la masse (351), même sur celles qui sont relatives à des actions
et droits immobiliers; Ie curateur doit être autorisé par Je juge-
commissaire, et Ie failli doit être dûment appelé.
C'est l'article 492 de la loi sur les faillites qui trace cette
règle, dont la portée est particulièrement large : elle s'étend
non seulement aux transactions proprement dites, mais aussi
à tous actes équipollents (352) que] que soit l'objet du litige :
mobilier et/ou immobilier; dette ou créance, contestation
actuelle ou future (353).

186. Mais la mise en oouvre technique du principe diffère


suivant l'importance de l'objet de la transaction, c'est-à-dire
la valeur du Jitige, et non pas en fonction de I'effet de la transac-
tion (354).

(351) Mais non, évidemment, sur celles qui intéressent Ie failli à titre stricte-
ment personnel, comme par exemple la transaction sur une indemnité d'accident
destinée à réparer un préjudice moral ou corporel; voy. sur cette question et les
distinctions à faire : MONETTE, DE VILLÉ et ANDRÉ, op. cit., n° 550; Dalloz :
Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 58 avec les références; cf. aussi n° 149 texte et
note 220.
(352) Rép. prat. dr. belge, v° Faillite et banqueroute, n° 1764; voy. une applica-
tion in Liège, 17 novembre 1960, obs. M. H., Jur. Liège, 1960-1961, p. 122 : il
s'agissait en l'espèce d'une renonciation à l'instance d'appel, à laquelle la Cour
reconnaît un caractère transactionnel; adde : comm. Bruxelles, 20 novembre
1948, Jur. com. Brux., 1949, p. 191 (cession de créance au créancier gagiste moyen-
nant renonciation à tout recours) ; comm. Ostende, 30 octobre 1952, R. W., 1952-
1953, col. 850 (abandon d'une action).
(353) FREDERICQ, t. VII, n° 211, p. 356.
(354) FREDERICQ, op. cit., n° 211, p. 357; Rép. prat. dr. belge, v° Faillite et
banqueroute, n° 1792; LES NOVELLES, Droit commercial, t. IV, n°• 1733 et 1736.
254 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

a) lorsque la transaction porte sur des droits immobiliers


ou que son objet mobilier est d'une valeur indéterminée ou supé-
rieure à 300 francs, elle ne sera obligatoire qu'après avoir été
homologuée sur Ie rapport du juge-commissaire.
Le failli devra être appelé à l'homologation : son opposition
à la transaction ne rendra cependant celle-ci impossible que si
elle porte sur des droits immobiliers et qu'elle intervient avant
Ie rejet du concordat (355) ; dans tous les autres cas, Ie tribunal
pourra passer outre à l'avis du failli, dont la convocation s'im-
pose cependant à peine de nullité.
b) lorsque la transaction porte sur des biens mobiliers dont la
valeur est inférieure à 300 francs, la seule autorisation du juge-
commissaire suffira, sans homologation, Ie failli étant appelé
mais sans qu'il ait de pouvoir d'opposition à la réalisation de
l'acte.
C'est Ie tribunal qui aurait été compétent ratione materiae
pour connaître de la contestation sur laquelle on transige, qui
sera également compétent pour homologuer la convention
(application de l'article 492, alinéa 2, in fine) (356). Si Ie litige
que l'on prévient ou que l'on termine n'avait pas encore été
porté devant une juridiction et que Ie choix de celle-ci - tri-
bunal civil ou de commerce - avait dépendu de la qualité du
défendeur, il paraît sage de porter l'action devant Ie tribunal
de première instance, qui connaît en principe de toutes matières,
sauf demande de dessaisissement du défendeur.
Pour plus de détails sur ces questions de procédure et de
compétence, nous renvoyons aux ouvrages spécialisés (357).
Tout ce qui précède vaut, mutatis mutandis, lorsque la transac-
tion intervient pendant la période de liquidation de la faillite,
c'est-à-dire après Ie rejet du concordat.
Une seule différence existe, déjà signalée : Ie failli ne pourra

(355) Art. 528 de Ia loi sur les faillites; FREDERICQ, op. cit., n° 211, in fine,
avec les références; Rép. prat. dr. beige, v 0 précité, n° 1771.
(356) Voy. sur la compétence d'homologation de Ia Cour d'appel, Iorsque Ia
transaction intervient postérieurement à l'intentement de !'appel : Bruxelles,
10 avril 1948, Jur. corn. Brux., 1948, 207.
(357) FREDERICQ, t. VII, n°• 212 et 213; Rép. prat. dr. belge, v 0 précité, n°• 1775
à 1779 (Il faut corriger certaines des opinions émises eu égard à Ia modification
que Ia loi du 3 juillet 1956 a apportée en rendant Ie tribunal de commerce compé-
tent pour tous Iitiges, même immobiliers, dont la cause relève de I'activité des
commerçants). Adde : G. GHEYSEN, v 0 Dading, in A. P. R., n° 121, et
LES NOVELLES, op. cit., n° 1992.
POUVOIR DE TRANSIGER 255

plus s'opposer à la transaction, même si son objet est immobi-


lier. La solution résulte expressément de l'article 528 de la loi
sur les faillites qui maintient, par ailleurs, l'obligation d'entendre
Ie failli avant de réduire ses droits transactionnellement.

187. Il faut souligner encore que les pouvoirs de transiger du


curateur ont pour corollaire légal celui de déférer - mais non
de prêter (358) le serment litisdécisoire dans les contestations
qui concernent la faillite (art. 492, al. 4).
Mais ici Ie curateur aura besoin de l'autorisation du tribunal
de commerce qui a déclaré Ja faillite, Ie failli étant appelé pour
fournir toutes explications.

188. La sanction des formalités légales, et notamment du


défaut d'homologation, est la nuJlité de la transaction intervenue.
Mais cette nullité est protectrice : elle est instituée en faveur
de la masse et du failli qu'i] s'agit de protéger contre d'éventuels
abus de gestion du curateur.
Eux seuls pourront donc invoquer la nullité, à l'exclusion
du cocontractant (359), qui n'aura de recours que contre Ie
curateur (360).
Par contre, si la transaction est régulièrement conclue par Ie
curateur, elle oblige tous les créanciers, même ceux qui auraient
déjà intenté, par l'action subrogatoire ou par l'action paulienne,
Ie procès au sujet duquel Ie curateur a transigé (361).

0. - LES ENVOYÉS EN POSSESSION


DES BIENS D'UN ABSENT.

189. Il y a lieu de distinguer la condition de l'envoyé en pos-


session provisoire de celle de l'envoyé en possession définitive
(C. civ., art. 129).
a) l'envoyé en possession provisoire, ne détenant les biens de
!'absent que comme « dépositaire » (362) (C. civ., art. 125),

(358) Le serment ne peut, en effet, être prêté que sur un fait personnel (C. civ.,
art. 1359) ; or, !'acte litigieux a été accompli par Ie failli et non par Ie curateur
(FREDERICQ, t. VII, n° 215, in fine; Rép. prat. dr. belge, v 0 précité, n° 1789).
(359) FREDERICQ, op. cit., n° 214; Rép. prat. dr. belge, v 0 précité, n° 1773.
(360) Rép. prat. dr. belge, v 0 précité, n° 1774.
(361) Cass. fr., civ., 18 décembre 1922, D. P., 1925, I, 223.
(362) Sur les différences entre le dépöt proprement dit et l'envoi en possession
provisoire : voy. BAUDRY-LACANTINERIE et HOUQUES-FOURCADE, t. Jer (2• éd.,
1902), n° 1123, p. 927.
256 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

est évidemment un simp]e gérant du patrimoine d'autrui : il


ne peut, en cette qualité, accomplir que les actes d'administra-
tion (363) mais non un acte de propriété comme la transac-
tion (364).
Tel est Ie principe qui se déduit en outre de l'article 128 du
Code civil, qui empêche l'envoyé en possession provisoire d'alié-
ner ou d'hypothéquer Jes immeubles de l'absent.
Il semble qu'il faille étendre la règle au domaine des droits
et biens mobiliers, puisque l'article 126, alinéa 2, du Code civil
révèle que Ie tribunal peut, s'il y a lieu, ordonner la vente de ces
biens, ce qui démontre que l'envoyé en possession ne peut en
disposer librement (365). Répétons que cela est logique, puisque
la loi l'assimile au détenteur précaire des biens d'autrui, et que
cette condition ne varie pas suivant la nature des biens.
C'est en vain que J'on invoquerait, pour justifier Ie pouvoir
de transiger de l'envoyé en possession provisoire, en matière
mobilière, Ie droit qui lui est reconnu de plaider, comme défen-
deur ou demandeur, dans les actions qui intéressent Ia patri-
moine de !'absent (art. 134 et arg. art. 817, al. 2, du C. civ.).
Nous avons déjà sou1igné maintes fois qu'il n'y a pas de corré-
lation entre Ie pouvoir d'agir en justice et celui de transiger :
Ie rapprochement des articles 464 et 467 du Code civil Ie démon-
tre, et les textes invoqués ici Ie confirment puisque, d'une part,
l'article 128 du Code civil interdit toute forme d'aliénation
immobilière, tandis que, d'autre part, les articles 134 et 817,
alinéa 2, ne distinguent pas suivant la nature mobilière ou
immobilière de l'action judiciaire que peut soutenir l'envoyé
en possession provisoire.
Mais le tribunal peut-il autoriser l' envoyé en possession pro-
visoire à transiger ?

(363) DE PAGE, t. Ier (3• éd., 1962), n° 491; BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit.,
n °• 1124 et s.
(364) BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 1136, p. 935; AUBRY et RAu, t. Jer,
§ 153, p. 975, note 9 (7• éd. par A. PoNSARD, Paris, 1964), qui restreignent la règle
aux transactions en matière immobilière seulement.
(365) Dans ce sens : BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n°• 1134 et 1136; DEMO-
L0MBE, t. II, n°• 112 à 115; LAURENT, t. II, n° 177, et t. XXVIII, p. 248; RENARD,
« Déclaration d'absence et de décès », in Rev. dr. int. et dr. comp., 1950 (n° spécial),
p. 37; Orléans, 25 novembre 1850, D., 1851, I, 70; contra: AUBRY er RAU, t. Jer.
§ 153, p. 975, note 7 (7• éd.); De Page paraît restreindre l'interdiction d'aliéner
aux seuls immeubles (op. cit., ibid.).
POUVOIR DE TRANSIGER 257

La réponse affirmative doit résulter pour certains (366)


de !'opinion défendue pour les actes d'aliénation en général (367).
Elle se fonde sur l'article 112 du Code civil, qui concerne une
autre période - celle de la présomption d' absence - et permet
au tribunal de désigner, en cas de nécessité, un administrateur
provisoire ou curateur qui sera chargé de l'administration de tout
ou partie des biens laissés par !'absent présumé.
Or, il est unanimement admis que eet administrateur pro-
visoire, s'il n'est investi, en principe, que de pouvoirs d'admi-
nistration à effets provisoires (368) peut cependant, si la néces-
sité s'en fait impérieusement sentir, être judiciairement autorisé
à accomplir exceptionnellement un acte de disposition (369)
lequel, en raison des circonstances, pourra s'intégrer dans l'admi-
nistration des biens lato sensu (370) dont !'administrateur pro-
visoire est chargé, à défaut de mandataire constitué.
La règle est donc l'interdiction d'accomplir plus qu'un acte
de gestion, sauf nécessité absolue, judiciairement constatée.
Peut-on étendre cette faculté exceptionnelle de l'article 112
du Code civil à la période de l' envoi en possession provisoire qui
suppose, cette fois, une absence déclarée (371) et non plus pré-
sumée?
En bon sens : oui. Rien ne s'y oppose, bien au contraire,
puisque l'envoyé en possession provisoire, quoique fictivement
considéré comme un dépositaire ou détenteur précaire, est
néanmoins, en puissance, un propriétaire sous condition réso-
lutoire. L'article 75, alinéa 2, de la loi hypothécaire belge consa-
cre d'ailleurs, en droit positif, cette situation, en admettant
qu'une hypothèque puisse être consentie sur les biens faisant

(366) Voy. BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 1140, p. 938; PONT, op. cit.,
t. II, p. 278.
(367) DE PAGE, op.cit., ibid.; AUBRY et RAU, op.cit.,§ 153, p. 977, note 12;
LAURENT, t. Il, n° 181; PLANIOL et RIPERT, t. Jer, n° 61; BAUDRY-LACANTINERIE,
op. cit., n° 1140; PLANIOL, t. 111, n° 2483; DEMOLOMBE, t. Il, n°• 111 et 115.
(368) DE PAGE, t. Jcr (3• éd., 1962), n° 484; LAURENT, t. Il, n°• 141 et 142;
Huc, t. Jer, n° 402; DEMOL0MBE, t. Il, n°• 31 et 34; note anonyme sous Tournai,
24 novembre 1891, Pas., 1892, III, p. 78 et 79; comm. Anvers, 22 novembre
1946, R. W., 1946-1947, 915; Bruxelles, 30 mai 1952, Pas., 1953, II, 68; Rev.
not., 1954, 305; J. de P. Berchem, 1cr avri! 1947, R. W., 1946-1947, 1207.
(369) Voy. Bruxelles, 30 mai 1952, Pas., 1953, II, 68; Termonde, 20 janvier
1860, Belg. jud., 1860, p. 343; Tournai, 24 novembre 1891, Pas., 1892, III, 78
et 79 (sans motivation adéquate cependant) et la note précitée; LAURENT, op.
cit., ibid.; Huc, op. cit., n° 398.
(370) DE PAGE, op. cit., ibid.
(371) Judiciairement ou administrativement (loi du 20 août 1948).
DE GAVRE, Contrat de transaction. - 17
258 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

l'objet d'un envoi en possession provisoire, moyennant les for-


malités prescrites pour les mineurs et les interdits (C. civ.,
art. 467).
Faut-il, en droit strict, admettre, pour autant, une exten-
sion analogique de cette interprétation de bon sens et de cette
possibilité légale à d'autres actes de disposition, et considérer
que l'envoyé en possession provisoire peut transiger dans les
conditions de l'article 467 du Code civil?
Il est permis d' en douter, car il est certain que Ie tribunal ne
peut autoriser quelqu'un à disposer de la chose d'autrui sans
y être habilité par un texte spécial (372), par essence d'inter-
prétation stricte : ce texte existe pour la période de !'absence
présumée (C. civ., art. 112) et aussi pour celle de !'absence décla-
rée avec envoi en possession provisoire, mais alors quant à la
constitution d'hypothèque seulement. Il suffit donc de consta-
ter qu'il n'existe pas de disposition légale qui puisse s'interpré-
ter avec certitude comme permettant la transaction à l'envoyé
en possession provisoire, pour en déduire stricto jure que cette
convention ne peut être conclue par lui.
Mais il reste qu'il est difficile d'expliquer rationnellement
pourquoi ce qui est permis avant la déclaration d'absence cesse
de l'être après, alors que les administrateurs provisoires et les
envoyés en possession sont tous deux préposés à l'administra-
tion des biens de !'absent.
Nous pensons donc que la transaction devrait pouvoir être
autorisée par justice, en cas d'absolue nécessité, dûment consta-
tée. Mais, dans le silence de la loi, nous croyons qu'il est préfé-
rable de laisser au tribunal Ia plus grande latitude dans la déter-
mination des formalités <lont la transaction devra être entourée,
compte tenu des circonstances, plutöt que d'imposer ipso facto
Ie respect de l'article 467 du Code civil. Cette disposition est
spécifique à la tutelle des mineurs et des interdits et ne saurait,
croyons-nous, être étendue à une autre hypothèse, même si
l'article 75, alinéa 2, de la loi hypothécaire fait référence aux
règles propres à la minorité et à l'interdiction, et s'il est de
jurisprudence, en Belgique, que les ventes immobilières per-
mises à !'administrateur provisoire sur pied de l'article 112 du

(372) De Page Ie souligne au tome IX, n° 879, 2°, lorsqu'il traite des actes
accomplis par l'héritier bénéficiaire.
POUVOIR DE TRANSIGER 259

Code civil ont lieu suivant les formes de la loi du 12 juin 1816
relative aux ventes des immeubles des mineurs (373). Ceci
n'exclut pas cependant que le tribunal puisse imposer, par
exemple, une consultation de jurisconsultes avant d'autoriser
l'acte. Mais il n'est pas tenu de Ie faire.
Quoi qu'il en soit de ce qui précède, il est une transaction
qui, en tout cas, peut être conclue par l'envoyé en possession :
c'est celle qui a pour unique objet la portion de revenus accordée
à l'envoyé en possession par l'article 127 du Code civil, parce
qu'à l'égard de ces biens il peut agir animo domini, exactement
comme le mineur émancipé peut disposer de ses revenus per-
sonnels (application de l'art. 2045 du C. civ.) (374).

190. b) l'envoyé en possession définitive, au contraire, est traité


en héritier véritable (C. civ., art. 129). Sans doute, son titre
est-il sous condition résolutoire, mais ses actes demeurent, et
!'absent, s'il revient, est tenu de reprendre ses biens dans l'état
ou ils se trouvent (C. civ., art. 132 et 133).
Il n'est donc pas douteux que l'envoyé en possession défi-
nitive peut aliéner les biens faisant l'objet de ]'envoi et, dès
lors, transiger valablement, !'engagement pris par lui étant
assurément opposab]e à ]'absent s'il reparaît (375).

191. c) Sanction : si l'envoyé en possession provisoire tran-


sige sans en avoir le pouvoir ou l'autorisation, la convention
sera nuJle et inopposable à l'absent.
Mais seul celui-ci et ses héritiers ou ayants droit pourront
se prévaloir de l'excès de pouvoir, l'envoyé en possession ne
pouvant Ie faire (376). IJ s'agit, en effet, d'une sanction pro-
tectrice.
Quant aux tiers cocontractants, on enseigne qu'ils ne peu-

(373) Voy. notamment les références citées in fine de la note sous Tournai,
24 novembre 1891, Pas., 1892, III, 79, et spécialement Termonde, 30 novembre
1876, Pas., 1877, II, 243 avec les conclusions contraires du ministère public.
(374) Voy. mutatis mutandis: A. BERNARD, op.cit., p. 37, n° 58.
(375) Doctrine constante : voy. DE PAGE, op. cit., n° 496; RENARD, étude
précitée, p. 37 et 38; voy. aussi cass., 10 décembre 1942 (motifs), Rev. crit. jur.
belge, 1947, p. 11 ets. avec la note VANDE VORST, et Pas., 1942, 1,312: eet arrêt
soumet au même régime juridique les hypothèses visées aux articles 132 et 136
du Code civil.
(376) BAUDRY·LACANTINERIE, op. cit., n° 1140, p. 907; DEMOLOMBE, t. Il,
137; DEMANTE et COLMET de SANTERRE, t. Jer, 162bis, III; contra : LAURENT,
t. Il, p. 182.
260 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

vent invoquer la nullité ou l'inopposabilité, qu'ils aient ou


non été avertis de la situation, sauf cependant si celle-ci ]eur
a été célée par des manceuvres dolosives (377).

D. - L'HÉRITIER BÉNÉFICIAIRE, L'HÉRITIER APPARENT


ET LE CURATEUR A SUCCESSION VACANTE.

192. a) L'héritier qui accepte la succession sous bénéfice d'in-


ventaire est propriétaire des biens successoraux. Il Jes admi-
nistre, mais à charge de payer les dettes et de dé1ivrer les legs.
Sa gestion est donc contrölée par l'effet de diverses dispositions
légales qui ont pour résultat « d'absorber chez l'héritier, Ja qua-
lité de propriétaire au profit de celle d'administrateur » (378).
C'est pourquoi il nous paraît préférable de considérer la possi-
bilité de transiger, chez l'héritier bénéficiaire, plutöt sous l'an-
gle du pouvoir que sous celui de la capacité (379).
Et c'est précisérnent parce que l'héritier bénéficiaire est avant
tout un administrateur qu'il est enseigné d'une manière générale
qu'il ne peut en principe accomplir un acte de disposition, tel
que la transaction (380). Certains restreignent (381) Ia portée
de cette règle de principe, en soutenant que la transaction est
possible lorsqu'elle est un acte d'administration « par relation »,
c'est-à-dire lorsqu'elle porte sur un acte d'administration. Nous
avons déjà critiqué cette théorie à !'occasion de l'étude de Ia
capacité du mineur émancipé (382). Nous voudrions ajouter
aux arguments déjà développés celui qui se déduit de l'arti-
cle 91 du projet de 1904 portant revision du titre des Succes-

(377) Voy. GrnOUD, op. cit., p. 94, et AccARIAS, op. cit., p. 250 et 251.
(378) DE PAGE et DEKKERS, t. IX, n° 887; voy. art. 803 à 807 du Code civil,
art. 988 et 989 du Code de procédure civile.
(379) Dans ce sens voy. : PLANIOL et RIPERT, t. XI, n° 1571; Dalloz: Encycl.
dr. civil, v 0 Transaction, n° 63 ; voy. cependant : BAUDRY-LACANTINERIE et W AHL,
t. XXI, n° 1231, qui étudient la question sous l'angle de la capacité.
(380) DE PAGE, op. cit., n° 890; Rép. prat. dr. beige, v 0 Successions, n° 856;
BAUDRY-LACANTINERIE et W AHL, t. VII, 2, 1357, avec les références en note 3,
p. 229.
(381) BAUDRY-LACANTINERIE et W AHL, t. VII, 2, n° 1357; PLANIOL et RIPERT,
op. cit., n° 1571; AUBRY et RAU, t. X, § 618, texte et note 26; Dalloz : Encycl.
dr. civil, v 0 Transaction, n°s 62 et 63; DE PAGE, op.cit., ibid., note 7; voy. dans Ie
sens du mandat légal d'administration large, en général ; comm. Liège, 20 décem-
bre 1960, Jur. Liège, 1960-1961, p. 173 obs. M.H.; voy. aussi, dans Ie même sens,
en matière de compromis : BERNARD, op. cit., n° 51.
(382) Voy. supra, n°• 121 et s.
POUVOIR DE TRANSIGER 261

sions (383) : on y lit, en effet, que l'héritier bénéficiaire ne peut


jamais transiger - sans distinction aucune - à moins qu'il
ne soit autorisé par Ie juge de paix, cette autorisation étant
l'innovation de la réforme.
Quid si l'héritier bénéficiaire transige alors que, comme tel,
il n'en a pas le pouvoir?
L'acte est valable, mais on enseigne généralement que l'héri-
tier sera ipso facto déchu du bénéfice d'inventaire et traité
comme héritier pur et simple, puisque tel est l'effet, en droit
commun, de l'accomplissement par lui d'un acte de disposi-
tion (384). M. De Page critique la rigueur de cette sanction et
considère, au terme d'un brillant raisonnement de « doctrine
prétorienne », que la vraie sanction est la nullité, ou mieux
encore l'inopposabilité de l'acte, sans déchéance (385). Mais
il ne paraît guère être suivi dans cette voie (386).
L'héritier bénéficiaire pourrait-il éviter la sanction de la
déchéance? Sans aucun doute, s'il sollicite et obtient l'accord
des créanciers et légataires : ils n'auront alors aucune raison
de se plaindre, ce qui exclut l'opportunité d'une sanction (387).
Mais certainement pas en sollicitant l'autorisation de transi-
ger du tribunal, car ce n'est pas son röle d'accorder Ie droit
de disposer à un administrateur, si la loi ne lui en donne pas la
faculté (388).

193. b) L'héritier apparent peut-il transiger sur les biens


successoraux, et rendre la transaction opposable à l'héritier
véritable?

(383) Voy. DE PAGE, op. cit., p. 1121 ets.


(384) Arg. art. 988 et 989 du Code de procédure civile; voy. BAUDRY-LACAN-
TINERIE et WAHL, op.cit., n°• 1566 ets.; LAURENT, t. IX, n° 403ter, et t. X, n° 143;
PONT, t. Il, n° 565; PLANIOL et RIPERT, op. cit., n° 1571; Dalloz : Encycl. dr.
civil, v 0 Transaction, n° 71; Huc, t. XII, n° 8 294 et 301.
(385) Op. cit., n° 878; voy. aussi DEKKERS, t. III, n° 610.
(386) Voy. Rép. prat. dr. belge, v 0 Successions, n°• 878 ets., in tome XIII, édité
en 1951.
(387) DE PAGE, op.cit., n° 879, 1 °; AUBRY et RAu, t. X, n° 618, texte et note 26.
(388) LAURENT, t. X, n° 143, p. 175, qui analyse l'arrêt de la Cour d'appel de
Paria du 30 juillet 1850 (D., 1851, II, 116) rendu dans Ie même sens; DE PAGE,
op. cit., ibid., 2°, qui contredit ainsi, semble-t-il, ce qu'il enseigne au tome I•r,
n° 491, sur les pouvoirs de l'envoyé en possession provisoire des biens de !'absent
(voy. supra, n° 189); contra, mais sans justification : Rép. prat. dr. belge, v 0 Suc-
sessions, n° 866, qui admet la possibilité de transiger dans les conditions de l'arti-
cle 467 du Code civil.
262 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

La solution affirmative (389) actuellement admise en


France (390) résulte de la théorie générale dégagée pour les
aliénations en forme de vente : elle suppose la bonne foi du
tiers contractant.
Elle doit trouver sa place, croyons-nous, dans l'étude du
pouvoir de transiger, puisque l'héritier apparent engage en réa-
lité le patrimoine d' autrui.
Pratiquement, il faut souligner l'avantage qu'il peut y avoir
à écarter de la masse héréditaire, moyennant des concessions,
ceux qui prétendent y avoir droit, singulièrement si la dévolu-
tion successorale est équivoque, et la détermination de l'héri-
tier véritable délicate. Mais il est évident que les contractants
éventuels ne souscriront à ces transactions utiles et opportunes
que s'ils ont la certitude qu'elles ne seront pas anéanties lors
de la découverte de nouveaux successibles (391).
Il faut donc que l'apparence puisse remplir très largement
sa fonction de consolidation et de validation.
C'est ce qui a amené certaine jurisprudence française récente
à étendre eet effet aux transactions souscrites par l'héritier
apparent, non seulement avec ceux qui, avant Ie contrat, étaient
des tiers penitus extraneus par rapport à la succession, mais
aussi avec ceux qui étaient intimement mêlés aux difficultés
successorales et auraient pu être eux-mêmes défendeurs à la
pétition d'hérédité (392).
En Belgique, par contre, il est enseigné que seuls les actes
d'administration accomplis par l'héritier apparent sont oppo-
sables à l'héritier véritable, parce que ces actes peuvent être
utiles à ce dernier.
Les actes de disposition, par contre, sont nuls par applica-
tion du principe de la relativité des conventions combiné avec

(389) Sur la validité des actes accomplis par l'héritier apparent, en général,
tant en Belgique qu'en France, voy. l'étude de RAUCENT, in Ann. dr. sc. pol.,
1953, p. 109.
(390) BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. VII, 1, n° 943, et t. XXI, n° 1231;
PLANIOL et RIPERT, t. XI, n° 1594; BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE,
t. Vbis par LE BALLE, n° 219; .r. ÜARBONNIER, note au D., 1948, .Jur., 465 avec
les références; cass. fr., req., 10 avril 1888, D. P., 1889, 1, 278; contra : PoNT,
t. II, n° 580; AccARIAS, op. cit., n° 127.
(391) .J. ÜARBONNIER, note précitée, sous Angers, 14 avril 1948.
(392) Angers, 14 avril 1948, D., 1948, .Jur., 462 avec la note .J. CARBONNIER.
Sur les doutes que fait naître cette extension voy. les notes de R. SAVATIER, Rev.
trim., 1948, p. 356, n° 1, et de Vornrn, J. C. P., 1948, II, 4382.
POUVOIR DE TRANSIGER 263

la règle suivant laquelle nul ne peut transmettre à autrui plus


de droits qu'il n'en a.
La transaction accomplie par l'héritier apparent sera donc
nulle et inopposable à l'héritier véritable (393), même si les
parties sont de bonne foi.
Il faut cependant rappeler ici que, même en Belgique, on
admet que les jugements obtenus par l'héritier apparent de bonne
foi ou rendus contre lui sont opposables à l'héritier véritable.
Cette solution traditionnelle se fonde sur l'impossibilité pour
les tiers, engagés dans des relations judiciaires, c'est-à-dire
forcées, avec l'héritier apparent, de rechercher au préalable s'il
n'existe pas d'autres héritiers ayant Ie droit d'agir (394).
Nous pensons que cette justification peut être logiquement
étendue non seulement aux transactions judiciaires stricto
sensu mais également à toutes les transactions qui mettent
fin à un procès en cours, même sans intervention active du juge
dans Ie processus contractuel.
Il nous semble rationnel, en effet, de soumettre à un même
régime, fondé sur des motifs semblables, les jugements et les
conventions qui, les uns comme les autres, vident les contesta-
tions avec autorité de chose jugée (C. civ., art. 1351 et 2052).

194. c) Le curateur à succession vacante est un mandataire


chargé d' administrer et de liquider la succession, comme Ie
ferait un héritier bénéficiaire (arg. C. civ., art. 884).
Il ne peut donc transiger, pas plus qu'il ne peut compro-
mettre (395) : les pouvoirs des curateurs sont volontairement
limités, non seulement dans l'intérêt des créanciers et léga-
taires, mais encore dans celui des héritiers qui pourraient se
présenter (396).

(393) Voy. notamment LAURENT, t. IX, n° 560; DE PAGE, op. cit., n°• 825
ets.; DEKKERS, t. III, n°• 584 et 585; Rép. prat. dr. beige, v 0 Successions, n° 1023.
(394) DE PAGE, op. cit., n°• 825 et s.; DEKKERS, t. III, n° 586; Rép. prat. dr.
beige, v 0 Successions, n° 1023; cass., 7 janvier 1847, Pas., 1847, I, 294; voy. mu-
tatis mutandis l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 7 décembre 1950 (Pas., 1951,
II, 81) rendu dans la célèbre affaire Charlier après cass., 7 novembre 1940 (Rev.
not., 1941, p. 566) et les commentaires de M. Renard (Rev. crit. jur. beige, 1953,
n° 33, d, p. 217), ainsi que ceux de M. De Page (t. r•r, 3• éd., n° 269bis, in fine)
sur ces décisions. Il faut 'citer contre l'opinion des auteurs précités : ScHICKS et
VAN lSTERBEEK, t. IV, p. 334, et LAURENT, t. IX, n° 556, qui appliquent rigoureuse-
ment l'article 1351 du Code civil.
(395) A. BERNARD, op. cit., n° 57.
(396) DE PAGE, op. cit., n° 1508, texte et note 1, p. 1115.
264 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

La sanction du défaut de pouvoir du curateur est la nullité


relative de l'acte accompli par celui qui n'a pas qualité pour
transiger (397).

§ 4. - Sanction du défaut de pouvoirs.


Notions ~énérales. - Rappel.

195. La distinction - essentielle et maintes fois soulignée -


entre la capacité et Ie pouvoir de contracter, se traduit évidem-
ment par une différence de sanction à l'égard de l'acte irrégu-
lier, différence au demeurant beaucoup moins nette.
La transaction qui émane d'un incapable existe jusqu'à son
annulation ; l'incapable ne peut se soustraire à son exécution
qu'en intentant l'action en nullité; il dépend de lui de valider
définitivement Ie contrat nul par la confirmation.
Au contraire, une transaction souscrite par une personne
sans pouvoir n' existe pas par rapport au véritable intéressé,
tant qu'il ne l'a pas ratifiée expressément ou tacitement.
Elle est à son égard une chose étrangère, une véritable res
inter alios acta; l'article 2052 du Code civil ne peut donc être
invoqué : on dit que la transaction lui est inopposable (398).
Sous deux réserves, importantes il est vrai :
a) les actes accomplis au-delà de leurs pouvoirs par des repré-
sentants légaux - Ie tuteur, Ie curateur à succession vacante,
Ie curateur de faillite, etc. ; - investis d'un mandat légal et
général, sont dits nuls et non inopposables, parce qu'en raison
du caractère général du mandat, l'incapable est censé avoir
toujours été partie à l'acte accompli par son représentant (399)
Tel est, en effet, Ie critère de la distinction : ceiui qui est partie
à l'acte soit par lui-même, soit par ses auteurs à titre universeI
soit, exceptionnellement, par un représentant légal investi de

(397) Rép. prat. dr. belge, v 0 Successions, n° 958; PLANIOL et RIPERT, t. IV,
n° 277.
(398) Voy. sur cette distinction en général et plus spécialernent dans le dornaine
de la transaction: BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1241; DE PAGE,
t. I•• (3• éd., 1962), n° 100, et t. V, n° 492 ; Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transac-
tion, n° 70.
(399) DE PAGE, t. V, n° 492, et t. II, n° 788 : l'auteur y souligne la nécessité,
adrnise d'ailleurs, d'étendre Ie régirne de la nullité aux protecteurs légaux des
incapables qui, tels le curateur de l'érnancipé, ne sont pas investis de pouvoirs
aussi généraux que Ie tuteur par exernple.
POUVOIR DE TRANSIGER 265

pouvoirs protecteurs, peut invoquer la nullité ; celui qui est


réellement représenté à l'acte invoquera éventuellement son
inopposabilité.
b) l'inopposabilité ne saurait être accueillie lorsqu'un manda-
taire judiciaire - avoué ou huissier - a transigé sans en avoir
Ie pouvoir spécial : dans ce cas, la transaction ne deviendra
inopérante qu'à !'issue d'une procédure en désaveu (400).

196. Les deux sanctions sont fréquemment confondues, Ie


plus souvent toutefois sans grandes conséquences sur Ie plan
pratique.
Il faut cependant se garder de croire que la distinction est
purement académique. Elle a, en effet, ses implications, notam-
ment dans Ie domaine de la prescription : l'article 1304 du Code
civil soumet à une prescription extinctive de 10 ans les actions en
nullité pour incapacité; au contraire, la déclaration judiciaire de
l'inopposabilité peut être demandée pendant 30 ans (401).
Pratiquement, si la transaction a été accomplie par une per-
sonne sans pouvoir pour ce faire, les praticiens feront donc bien
de veiller à solliciter judiciairement la nullité de l'acte ou, à
tout Ie moins, son inopposabilité.

§ 5. - Cas spécial de la femme mariée. - Renvoi.

197. La situation particulière de la femme mariée, depuis la


loi du 30 avriJ 1958 (C. civ., art. 214) a été étudiée, conformément
à la méthode d'enseignement c]assique, lors de !'examen des
règles de capacité. Le lecteur voudra bien se rapporter aux numé-
ros 160 et suivants, consacrés à cette question.

***
(400) Voy. C. proc. civ., art. 352 à 362; Rép. prat. dr. beige, v 0 Mandat, n° 833;
Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Tran.saction, n° 70.
(401) Voy. DE PAGE, t. Il, n° 788, note 2; PLANIOL, t. II, n° 1289; cass., 3 avril
1845, Pas., 1845, 1, 287.
CHAPITRE III.

Objet et cause de la transaction.

SECTION PREMIÈRE.

GÉNÉRALITÉS.

198. Rappel du droit commun. La transaction est soumise au


droit commun des obligations et des contrats.
Elle requiert donc, pour sa validité, un objet et une cause
répondant aux exigences de la loi civile.
L'objet du contrat c'est son contenu, c'est-à-dire aussi bien
les obligations qu'il engendre (C. civ., art. 1126-1128), que
l'objet desdites obligations (C. civ., art. 1129 et 1130).
Une transaction n'a pas d'existence si elle n'implique pas
pour l'une et l'autre des parties une prestation simple ou com-
plexe : faire, ne pas faire ou donner.
Cela va de soi, et il est juste d'écrire que la matière de l'objet
est paisible ( 1).
Il n'en est pas de même de celle de la cause.
On connaît les vigoureuses controverses qui opposent les
causalistes aux anti-causalistes, ceux-ci étant largement et
éminemment représentés dans la doctrine belge (2).
Il n'est pas dans nos intentions d'entrer ici dans Ie détail
de ces controverses, ni même <l'en faire l'historique ou Ie point,
ce que d'autres ont fait déjà, excellemment (3).
Nous nous bornerons à rappeler qu'en droit positif la cause
demeure une condition de validité du contrat (C. civ., art. 1108
et 1131), ce que les auteurs admettent (4) et ce que la jurispru-
dence se plaît à confirmer (5).

(1) J. CARBONNIER, Droit civil, t. II, n° 108, p. 368.


(2) Voy. notamment: LAURENT, t. XVI, n°• 110 ets.; DE PAGE, t. II, n 08 472
et s.; DEKKERS, t. Il, n° 77.
(3) Voy. la synthèse des NOVELLES, Droit civil, t. IV, n 08 1077 à 1158, et celle
de J. CARBONNIER, op. cit., n° 113, p. 378-380.
(4) DE PAGE, t. Il, n° 479; LES NOVELLES, op. cit., n° 1068; DEKKERS, t. Il,
n° 85; J. CARBONNIER, op. cit., n° 109, p. 368.
(5) Voy. notamment en France, les références citées par CARBONNIER, op.
cit., n° 114, p. 381 et s., et en Belgique : trib. Bruxelles, 10 février 1954, Journ.
trib., 1954, 443; comm. Bruxelles, 17 décembre 1955, Jur. com. Brux., 1956,
OBJET DE LA TRANSACTION 267

Dès lors, il paraît difficile de n3 pas présenter la cause comme


une des conditions de validité de la transaction, quelles que
soient, par ailleurs, les critiques dont le système légal peut
légitimement faire l'objet.
Mais ce respect de l'exigence légale n'interdit pas de rappeler
que la cause d'un contrat est tantöt le but immédiat - cause
intrinsèque - tantöt le but médiat ou éloigné - cause extrin-
sèque - que les parties se proposent d'atteindre en contrac-
tant (6).
Or, on admet très généralement en Belgique que la cause - but
immédiat - se confond avec l'objet du contrat lorsqu'il s'agit
d'un contrat à titre onéreux et ne constitue dorre pas, vue sous
eet angle, un élément distinct de validité de la convention.
Tandis que, au contraire, dans son sens de mobile, de hut
médiat ou éloigné, la cause reste indiscutablement un élément
distinct et essentie! de validité de la convention (7) : on ne
conçoit pas que celle-ci puisse sortir ses effets si, en contrac-
tant, les parties ont eu en vue des mobiles illicites.
Le contrat, dans ce cas, sera nul, comme est nul le contrat
dont l'objet - le contenu - est illicite; mais les nullités respec-
tives seront prononcées à des titres différents.
C'est en cela que, pratiquement, la théorie de la « cause-
mobile » garde son intérêt.
Nous y reviendrons lors de l'examen particulier de la cause,
élément de validité de la transaction.

SECTION II.

OBJET DE LA TRANSACTION.

§ ter. - Généralités. - Renvoi au droit commun.

199. Caractéristiques de l'objet. 1° L'objet de la transaction


- nous l'avons déjà dit - c'est ce qui est dû par chacun des

21!2; Courtrai, 21 juin 1951, R. W., 1951-1952, 1013, et les commentaires de LIM-
PENS et VAN DAMME sur ces décisions in Rev. crit. jur. belge, « Examen de juris-
prudence. - Les obligations », 1953, n° 18, p. 56; 1956, n°• 18 et 19, p. 208 et
209, et 1960, n° 43, p. 358.
(6) Voy. les références citées supra note 2; adde, DE BERSAQUES, note Rev.
crit. jur. belge, 1950, p. 326; LIMPENS et VAN DAMME, op.cit., Rev. crit. jur. belge,
1960, n° 43.
(7) De Page Ie souligne très nettement : les critiques adressées à la théorie de
268 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

colitigants ce sont les prestations imposées par les obligations


nées du contrat.
Il répond, dans la conception classique, qui est celle du droit
positif, à la question quid debetur ? et se distingue ainsi de la
cause qui répond au célèbre cur debetur ?
Transposée dans une terminologie moins archaïque, cette
définition de l'objet devient celle de la matière économique
de !'engagement, du contenu du contrat, réalité économico-
sociologique autour de laquelle s'ordonnent les conditions,
clauses, modalités et détails de la convention.
Comme l'écrit très justement le professeur Dekkers (8) :
cc Strictement parlant, l'objet de la transaction se confine dans
les concessions que se font les parties. Le litige auquel ces con-
cessions mettent fin n'est pas tant l'objet de la transaction que
sa cause. Mais les deux se mêlent, car les concessions compren-
nent forcément la renonciation, par les parties, aux prétentions
qu'elles faisaient valoir dans le litige. Aussi, comprend-on qu'en
matière de transaction l'on confonde la cause et l'objet et que
ce dernier mot s'applique même plus spécialement au litige qui
occasionne la transaction ».
C'est ce que Pont avait déjà exprimé d'une manière moins
précise lorsqu'il écrivait (9) que cc l'objet du contrat est un
droit douteux et ... l'objet des obligations le sacrifice fait par
chacun des contractants ».
Quant à M. Gheysen, il distingue nettement l'objet de la
transaction de l'objet du litige (10). Sans doute, dit-il, l'objet
de la contestation est-il toujours contenu dans celui de la transac-
tion, mais il peut arriver que celle-ci comporte toutes sortes
de dispositions qui sont étrangères au litige originaire, singu-
lièrement lorsque la transaction implique l'abandon d'un bien
non litigieux, par exemple une somme d'argent dont Ie paye-
ment compense les sacrifices faits par le colitigant relativement
à un immeuble que les parties se disputaient.
2° Comme dans tout contrat, l'objet non seulement doit

la cause ne concernent que la cause interne ou cause stricto sensu tandis que la
cause illicite est tout à fait en dehors de la controverse (t. II, n° 475, in fine);
voy. aussi LIMPENS, Rev. erit. jur. belge, 1953, n° 19, p. 57.
(8) Précis, t. Il, n° 1322.
(9) PONT, Des petits contrats, 2• vol., n° 569.
(10) V 0 Dading, in A. P. R., n°• 139 et 140.
OBJET DE LA TRANSACTION 269

exister mais doit encore être déterminé (11) ou déterminable,


possible et licite.
Il ne peut être une chose hors commerce et il est requis qu'il
présente un intérét - matériel ou moral - pour les contrac-
tants.
C'est le droit commun des contrats.
Par conséquent, dès le moment ou le contenu de la transac-
tion, les prestations qu'elle impose répondent à ces exigences
générales, il sera permis de transiger, en principe, sur l'existence,
l'étendue, les modalités, les effets de tout droit susceptible de
donner lieu à un litige, quelles qu'en soient !'origine et la nature.
3° Il importe peu que le droit soit actuel ou futur, dès l'instant
ou les parties ont intérêt à prévenir une contestation ou à y
mettre fin, eet intérêt pouvant aussi bien se concevoir dans Ie
cas d'un droit futur que d'un droit actuel, à condition qu'au
moment de la transaction Ie droit futur soit déjà déterminé
ou déterminable (12) et que la transaction ne constitue pas
un pacte sur succession future (13), auquel cas la règle de l'arti-
cle 1130, alinéa 1er, du Code civil céderait devant l'exception
de l'article 1130, alinéa 2.
4° Est-il possible de transiger sur un droit éventuel ou condi-
tionnel?
La réponse est positive et sa justification a été fournie anté-
rieurement, lors de !'examen de la notion de « contestation à
naître » au chapitre consacré à la définition du contrat de transac-
tion (14).
5° Il se conçoit aisément que la transaction suppose un objet
dans le commerce.
L'article 2045, alinéa 1er, du Code civil en disant que pour

(11) Cf. Liège, 2 juillet 1930, Pas., 1931, II, 40.


(12) Voy. cass. fr., 31 décembre 1835, Sirey, 1836, I, 189, et mutatis mutandis
cass., 9 avril 1959, Pas., 1959, I, 793 (cas de la cession de créance future).
(13) Voy. sur cette question, en général, l'examen de jurisprudence de LIM-
PENS et VAN DAMME, in Rev. crit. jur. belge, 1960, n° 8 45 à 49, p. 359 à 362, et
celui de LIMPENS et KRUITHOP, in Rev. crit jur. beige, 1964, p. 489 et s., n°• 39
et s.; dans Ie cas particulier de la transaction, voy. Bruxelles, 27 novembre 1963
(Pas., 1964, II, 318), avec les références en note : on peut cependant se deman-
der si dans l'espèce soumise à Ja Cour, il s'agissait véritablement d'une transac-
tion, !'arrêt employant d'ailleurs ce mot avec prudence et Je plaçant entre guille-
mets (cette décision est publiée au Journ. trib., 1964, p. 59, sous Ja date du 3 décem-
bre 1963).
(14) Voy. supra, n° 20.
270 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

transiger il faut avoir la capacité de disposer du droit sur lequel


on transige, exprime implicitement que le droit litigieux doit
pouvoir être l'objet d'un acte de disposition.
La capacité de disposer présuppose la disponibilité de l'objet.
De là il résulte que la transaction n'est valable que si les
« choses n qui en constituent la matière sont dans Ie commerce
juridique et ne sont pas telles que des dispositions légales impé-
ratives interdisent d'y renoncer.
Nous verrons, aux numéros suivants, les exemples les plus
caractéristiques de cette règle.
6° La transaction ne sera valable que dans la mesure ou son
objet est licite et non contraire à l'ordre public et aux bonnes
mceurs.
C'est dans Ie champ de cette condition conforme au droit
commun des contrats que l'objet et la cause extrinsèque -
Ie mobile-hut - trouvent leur spécificité propre.
7° Pour que la transaction soit valable, il faut qu'elle ait
un objet et que eet objet existe réellement.
L'objet est inexistant lorsque, notamment, fait défaut la
première condition du contrat : un litige né ou à naître (15).
Quant à la notion de litige, aux caractéristiques et aux qua-
lités auxquelles elle doit répondre, nous renvoyons aux déve-
loppements consacrés, au titre rer, à la définition et aux éléments
constitutifs de la transaction (16).
L'inexistence de l'objet peut aussi, suivant certains (17), se
rattacher à la théorie de l'erreur dans la transaction : nous y
reviendrons lorsque nous traiterons au tome II des causes de
nullité du contrat, prévues par les articles 2054 à 2057 du Code
civil, qui peuvent assurément s'interpréter comme des cas
d'application de la théorie de l'objet inexistant.

§ 2. - Objets inaliénables, interdits ou illicites.


Exemples. - Limites des interdictions.

200. Nous avons vu que la transaction - acte de disposi-


tion - suppose l'aliénabilité de l'objet en litige.

(15) DE PAGE, t. V, n° 496; Tongres, 29 novembre 1951, R. W., 1951-1952,


1520, obs.
(16) Voy. supra, n°• 5 et s.
(17) Voy. notamment Tongres, 29 novembre 1951, précité.
OBJET DE LA TRANSACTION 271

Cette aliénabilité est la règle.


L'exception peut résulter d'une convention particulière ou,
plus souvent, de la loi.
Nous passerons en revue, ei-après, les exemples les plus
caractéristiques d'objets indisponibles et hors commerce, patri-
moniaux ou extra-patrimoniaux.
Nous verrons ainsi que, dans certains cas, la loi prohibe expli-
citement ou implicitement les renonciations et transactions,
pour des raisons d'ordre public, social ou économique alors
qu'en soi l'objet est disponible.
L'énumération qui va suivre n'a pas la prétention d'épuiser
toutes les situations juridiques concevables mais seulement
de souligner l'importance pratique ou théorique de certaines
d' entre elles.
I. Biens du domaine public.

201. Les biens du domaine public, comme les droits que l'Etat
tire de sa souveraineté, sont hors commerce (18).
La transaction est donc interdite et il est de principe qu'une
commune ne peut transiger sur les biens du domaine public
communal (19).
La règle doit cependant être quelque peu nuancée : on sait
que l'indisponibilité des biens domaniaux n'est de rigueur que
dans la mesure nécessitée par l'affectation de ces biens à l'uti-
lité publique. Dès lors, l'inaliénabilité n'empêche pas l'Etat
ou la personne de droit public compétente, de concéder des
droits de jouïssance précaires sur Ie domaine public, à condition
qu'ils soient compatibles avec la destination de celui-ci, l'auto-
rité opérant ainsi une sorte de déclassement partiel et provisoire
des biens domaniaux, dans l'intérêt de tous (20).

(18) Voy. la rigoureuse application de ce principe in trib. Bruxelles, 3 octo-


bre 1938, Journ. trib., 1938, 593; voy. aussi cons. préfect. inter-départemental
Lille, 18 mai 1953, D., 1953, 470.
(19) DE PAGE, t. V, n° 497, 6°; Huc, t. XII, n° 302; BAUDRY-LACANTINERIE
et W AHL (2• éd.), t. XXI, n° 1278; Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, par
L. BOYER, n° 74; GurLLOUARD, n° 75; cass. fr., req., 7 novembre 1892, Sirey,
1893, I, 366.
(20) DE PAGE, t. V, n° 807, p. 704; LES NOVELLES, « Lois politiques et admi-
nistratives », t. IV: Le domainé public, par DoR et DEMBOUR, n° 92, spécialement
le 3° avec les nombreuses références; voy. aussi cass., 11 septembre 1964, Journ.
trib., 1965, p. 213, et les conclusions de M. l'avocat général Ganshofvan der Meersch
précédant cass., 12 octobre 1954, Pas., 1955, I, 106 (spécialement p. 108 et 109).
272 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Cette possibilité d'accomplir, dans ces limites et conditions,


des actes juridiques ayant le domaine public pour objet conduit
à dire qu'une transaction portant sur lesdits actes peut exep-
tionnellement se concevoir.
Il suffit de songer au litige qui opposerait à l'Etat le titulaire
du droit d'user de l'assiette d'un chemin ou des berges d'un
canal.
Ce litige est concevable et, dès lors aussi, la transaction qui
y mettrait fin dès !'instant· ou les droits reconnus aux parti-
culiers n'ont pas pour effet de rendre Ie chemin ou le canal
impraticables.
La destination d'utilité publique vincule et ne prime les droits
privés que si elle est incompatible avec eux (21). Tel est le critère.

II. Pensions alimentaires.

202. Comme on l'a fait observer très justement, les dévalua-


tions monétaires et l'instabilité économique en général ont
donné vie à la théorie des renonciations et des transactions en
matière d'obligations alimentaires (22). Ce fut surtout vrai en
France ou l'on assista, au cours des dernières années, à une
véritable prolifération de décisions judiciaires rendues non
seulement au sujet de conventions relatives à des obligations
alimentaires légales mais aussi et surtout à des obligations
parentes ou voisines, plus complexes ou hétérogènes : transac-
tions entre époux divorcés au sujet de la pension de l'article 301
du Code civil ; transactions entre personnes non civilement
tenues à une obligation alimentaire, transformant en obliga-
tion civile l'obligation naturelle originaire, etc.

203. Distinctions. Une distinction - faite unanimement par


les auteurs et la jurisprudence - s'impose liminairement.
Si la dette d'aliments sur laquelle on transige trouve son
origine dans la convention des parties la transaction est possible
tant sur Ie principe de la dette que sur sa quotité ou ses moda-

(21) Cass., 16 novembre 1906, Pas., 1907, I, 45, cité par DE PAGE, t. V, n° 808,
p. 705; LES NOVELLES, Droit civil, t. IV, n° 104lbis, in fine; BUTTGENBACH,
Principes généraux, organisation et moyens d'action des administrations publiques,
n°• 807 et s.
(22) Cf. l'étude de Mm• H. SINAY, « Les conventions sur les pensions alimen-
taires », in Rev. trim. dr. eiv., 1954, p. 228.
OBJET DE LA TRANSACTION 273

lités de payement parce que la dette ne se fonde pas sur une règle
légale d'ordre public (23). Ainsi des époux divorçant ou se
séparant de corps par consentement mutuel peuvent-ils régler
transactionnellement, par application de l'article 279 du Code
civil, leurs droits respectifs, notamment quant aux aliments (24).
La solution n'est pas discutable lorsque le titre de l'obliga-
tion est un contrat à titre onéreux (25).
Elle l'est à peine davantage lorsque ce titre est un testament
ou une donation: Baudry-Lacantinerie (26) a cependant soutenu
qu'en pareil cas la créance d'aliments est indisponible et il a
invoqué, tout à la fois, l'article 1004 du Code de procédure
civile qui prohibe le compromis sur les dons et legs d'aliments
et l'article 581, 4°, du même Code qui déclare insaisissables les
pensions et aliments qui trouvent leur cause dans une libéralité.
A tort, selon nous. En effet, il a déjà été dit et il doit être répété
qu'il n'y a pas de coïncidence absolue entre Ie compromis et la
transaction, ni sous l'angle de la capacité, ni sous celui de l'objet:
le mineur ne peut jamais compromettre même à l'intervention
de son représentant légal, mais son tuteur ou son administra-
teur légal peut transiger, en son nom, moyennant le respect
des formalités légales ; les causes qui intéressent une commune
- parce que communicables - n'autorisent pas Ie compro-
mis mais elles peuvent se résoudre par une transaction et en
constituer valablement l'objet. La prohibition de compromettre
ne peut donc être étendue et invoquée hors de propos, puis-
qu'elle est de droit strict (27). Quant à l'argument tiré de l'arti-
cle 581, 4°, du Code de procédure civile, il ne paraît pas meil-
leur : la défense de la loi s'adresse au créancier de celui qui a
droit aux aliments en vertu d'un don ou d'un legs ; elle limite

(23) Voy. notamment: DE PAGE, t. Jer (3• éd., 1962), n° 561bis, et t. V, n° 497,
3°; DEKKERS, t. I••, n° 184, note 1; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1579;
LAURENT, t. XXVIII, n° 366 : Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 75.
Contra, en ce qui concerne les dons et legs d'aliments : BAUDRY-LACANTINERIE,
op. cit., n° 1272.
(24 Voy. en jurisprudence : cass., 11 décembre 1958, Pas., 1959, I, 372, et
Bruxelles, 16 octobre 1957, Pas., 1959, III, 13.
(25) Voy. les auteurs cités sub note 23 ci-devant et en outre Baudry-Lacan-
tinerie qui rappelle que cette solution était déjà celle du droit romain (L 8 § 2 D.
De trans. 2.15).
(26) Op. cit., ibid., voy. dans le même sens : AUBRY et RAU, t. VI (6• éd.,
par EsMEIN), § 420, note 21, p. 251.
(27) Voy. cass. fr., 22 février 1831, Sirey, 1831, I, 107; AccARIAS, op. cit.,
p. 209 et s. ; LAURENT, t. III, p. 76; COLMET DE SANTERRE, t. VIII, p. 322.
DE GAVRE, Contrat de transaction. - 18
274 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

sou droit de saisie mais elle ne rend pas les aliments indispo-
nibles (28). Pour qu'ils le soient il aurait fallu que la loi les
déclare non seulement insaisissables mais aussi incessibles.

204. Distinctions (suite). Si, au contraire, il s'agit d'une transac-


tion sur aliments dus en vertit de la loi, - articles 205 et suivants,
308 (29), 337, 340b, 342a, 351, 762 et suivants du Code civil -
la question est plus délicate.
C'est ainsi qu'il est aequis que la transaction est possible :
a) si elle porte sur les arréi-ages échus de la pension : ces arré-
rages sont disponibles et répudiables parce que le crédirentier
n'en a plus besoin pour vivre ; il n'engage pas ses moyens d'exis-
t:mce en y renonçant (30).
Cette justification peut s'élargir en une formule plus vaste,
valable pour toutes les conséquences patrimoniales de l'état
des personnes : tant que ces conséquences ne Fse seront pas
produites elles demeurent attachées à l'état et lui empruntent
sou caractèr0 d'indisponibilité; mais une fois réalisées elles s'en
séparent et il devient possible d'en disposer par contrat (31).
b) si elle porte seulement sur le mode d'exécittion de l'obliga-
tion alimentaire légale.
Sans doute, le payement de l'obligation en espèces est-il
la règle (C. civ., art. 210 et 211) : il n'empêche que Ie crédi-
rentier qui accepte que l'exécution se fasse en nature ne sacri-
fie pas le montant ou Ie principe de sou droit aux aliments. Et
c'est cela qui est essentie!.
Il faut décider, d'une manière générale, que toutes les transac-
tions sur le mode d'exécution sont valables, non seulement
celles qui, originairement, prévoient l'exécution en nature ou
en valeur, mais celles qui, ultérieur2ment, substituent au mode
primitif un mode nouveau (32).

205. Il est donc dangereux d'affirmer d'une manière absolue

(28) LAURENT, t. XXVIII, n° 366.


(29) Sur Ie cas particulier de la pension due en vertu de ce te,rte, voy. G. GHEY-
SEN, v 0 Dading, in A. P. R., n° 166.
(30) BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 1272 avec la référence au droit romain
sub 2.
(31) RIPERT et BOULANGER, t. Jer, n° 160.
(32) DE PAGE, t. V, n° 497; BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 1272, p. 624;
AuDRY et RAu, t. VI (6• éd., par P. EsMEIN), § 420, 4°, in fine avec les références;
SINAY, op. cit., p. 24.3.
OBJET DE LA TRANSACTION 275

que toutes les transactions portant sur une pension alimentaire


légale sont nulles, alors qu'en réalité cette solution rigoureuse
ne vaut pleinement que pour les transactions qui affectent
l'existence même, le principe de l'obligation.
Dans ce cas, en effet, le doute n'est pas permis : la transaction
emporte l'extinction définitive du droit; or, l'obligation alimen-
taire ne peut s'éteindre que dans les conditions de la loi; donc
la transaction est nulle.
Cette solution est affirmée d'une manière absolue, depuis
toujours (33).
Seul le fondement de l'interdiction suscit3 des discussions :
on invoque surtout l'ordre public et social qui empêche qu'il
soit porté atteinte à une des pièces maîtresses de l'organisation
familiale, fondée sur la solidarité entre ses membres (34) ; on
se réfère aussi aux textes prohibitifs des articles 581, 4°, et
1004 du Code de procédure civile dont il a déjà été question ;
on déclare enfin qu'une convention qui n'a pris aucune part
dans la création d'une obligation légale préexistante est impuis-
sante à y mettre fin : un mutuus dissensus ne saurait avoir plus
d'efficacité qu'un mutuus contractus (35).
Quoi qu'il en soit de ces discussions, elles conduisent toutes
au même résultat pratique : les conventions abdicatives d'une
pension alimentaire légale sont nulles, qu'elles se fassent sans
contrepartie (renonciation pure et simple) ou moyennant des
concessions réciproques (transaction) entre le débiteur et le
crédirentier.

206. Mais quid si l'on veut transiger sur l'étendue, la quotité


de la pension alimentaire légale, c'est-à-dire sur les arrérages
à échoir.
C'est alors que surgissent les difficultés.
En fait, on a souligné, tout à la fois, d'une part, l'intétêt
de pouvoir régler transactionnellement un litige - souvent
familial - sur des aliments (36) et, d'autre part, le danger de

(33) DE PAGE, t. Jer (3• éd., 1962), n° 561, 1°, p. 706, et t. V, n° 497; JossE-
RAND, t. Jer, n° 1172.
(34) Voy. notamment: DE PAGE, op.cit., n° 561, 1°; Bruxelles, 22 avril 1959,
Pas., 1959, II, 266; Bruxelles, 7 avril 1960, Journ. trib., 1960, p. 758; cass. fr.,
ei,·., 21 janvier 1930, Sirey, 1930, I, 322.
(35) SINAY, op. cit, n° 15, p. 236.
(36) DE PAGE, t. V, n° 497; PLANIOL et RIPERT, op. cit., ibid.
276 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

permettre l'abandon transactionnel de ce qui, pour le crédi-


rentier, consitue souvent l'essentiel de ses ressoucres vitales (37).
En droit on a invoqué, outre la tradition romaine et celle de
l'ancien droit (38), l'impossibilité de concilier l'existence d'une
transaction sur aliments avec l'autorité de chose jugée que pro-
clame l'article 2052 du Code civil (39), alors qu'un jugement
en matière alimentaire n'a jamais cette autorité pour ce qui
regarde l'avenir puisque les variations dans la situation respec-
tive des parties permettent de modifier, en tout temps, ce qui
a été judiciairement fixé (40).
D'ou l'admission de la transaction pour les arrérages échus
seulement.
M. De Page a mis en doute cette opinion, avec beaucoup de
prudence, en avançant que l'on pourrait transiger sur la quotité
d'une pension alimentaire légale sous condition de respecter
le principe essentie} de variabilité déposé dans l'article 209 du
Code civil (41).
Autrement dit, dans la mesure ou, en cours d'exécution de
la transaction, la situation respective des parties demeure
inchangée, la convention sort ses effets par application de
l'article 1134 du Code civil; par contre, si elle se modifie, il est
dérogé audit texte par l'effet de l'article 209 qui se superpose
à l'article 1134 et rend la transaction lettre morte pour les
arrérages à échoir, à compter du moment ou un élément nouveau
a rompu l'équilibrc précédemment considéré entre les ressources
du débiteur et les besoins du créancier d'aliments.
Cet enseignement est aussi celui de Planiol et Ripert qui con-
sidèrent que la transaction n'est pas nulle mais seulement provi-
soire, au même titra que Ie jugement qu'elle supplée (42).

(37) DE PAGE, op. cit., ibid.; BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 1272, p. 624,
1 er et 2 e alinéa.
(38) Voy. les références données par BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 1272,
p. 623, notes 4 et 5.
(39) Huc, t. XII, n° 303.
(40) Solution certaine en ce qui concerne la non-application de l'article 1351,
voy. DE PAGE, t. III, n° 953, et t. Jer, n° 552.
(41) T. V, n° 497, p. 483 et 484; voy. aussi, quant à la possibilité de transiger
sur une pension alimentaire, !'argument qui se déduit de l'article 162, 38°, du
Code des droits d'enregistrement.
(42) T. Il, n° 46, et t. XI, n° 1579; voy. aussi BEUDANT et LEREBOURS-PIGEON-
NIÈRE, t. XII, n° 352, in fine; L. BOYER, in Dalloz: Encycl., op. cit., n° 75; AUBRY
et RAU (5• éd., par BARTIN), t. IX, § 553, p. 170; contra: BAUDRY-LACANTINERIE,
op. cit., n° 1272, et G. GHEYSEN, v 0 Dading, in A. P. R., n° 161.
OBJET DE LA TRANSACTION 277

La Cour d'appel de Bruxelles, par un arrêt du 22 avril 1959 (43),


a admis cette doctrine en décidant que l'obligation d'entretenir,
procédant de l'institution de la famille, ne peut faire l'objet
d'une convention que « pour autant qu'elle ne déroge pas aux
principes consacrés par la loi ».
Ces opinions nous paraissent parfaitement fondées.
Il est souhaitable et opportun que les situations particu-
lières des créanciers et débiteurs d'aliments puissent être appré-
ciées par les intéressés eux-mêmes, surtout lorsqu'il s'agit de
personnes liées par des rapports familiaux.
Il est, dès lors, très logique de considérer qu'une décision
judiciaire n'est nécessaire qu'à défaut d'accord amiable, de
même que Ie partage judiciaire ne s'impose entre majeurs qu'à
défaut de partage convenu. Mais il faut en déduire, corrélative-
ment, que la transaction ne tient lieu de jugement qu'en épou-
sant le même régime juridique que la décision contentieuse :
celui tracé par l'article 209 du Code civil. Et l'article 2052 du
Code civil n'est pas un obstacle à ce qu'il en soit ainsi : eet
article énonce, en effet, la règle de principe qui correspond
au quad plerumque fit, au même titre que l'article 1351 du Code
civil. Il n'est pas nécessaire, pour déroger à l'article 2052, que
le cas exceptionnel des transactions en matière d'aliments
légalement dus soit prévu par ce texte, pas plus qu'il n'est
nécessaire de viser, dans l'article 1351 du Code civil, le cas
exceptionnel des jugements en matière alimentaire. Dans l'un
et l'autre cas, l'exception à la règle va de soi et correspond à
la nature même des choses qui s'oppose à ce qu'on règle défi-
nitivement une situation d'avenir que la loi a expressément
et essentiellement voulu variable (44).

207. Nous croyons, pour les mêmes motifs, que peuvent être
déclarées valables les transactions portant sur la durée de l'obli-
gation alimentaire légale.
Sans doute, seront radicalement nulles, les transactions qui
nieraient Ie caractère viager du droit aux aliments ou qui pré-

(43) Pas., 1959, Il, 266; voy. aussi: trib. Bruxelles, 4 mars 1966, Journ. tr-ib.,
1966, p. 412 (pension due en Yertu de l'article 340b du Code civil}, et cass. fr.,
civ., 21 janYier 1930, Sirey, 1930, I, 322.
(44) Cf. sur cette considération, en général, les conclusions du procureur géné-
ral Paul Leclercq precédant cass., 6 mars 1930 (Pas., 1930, I, 144, plus spéciale-
ment p. 150, col. 1).
278 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

voiraient qu'à telle date déterminée l'obligation cessera d'être


due : ces conventions sont en réalité des renonciations au béné-
fice du droit lui-même.
Par contre, si les parties pour éviter un procès se bornent à
aménager, dans le temps, leurs droits et obligations réciproques,
en s:i référant exactement aux exigences légales, telles qu'elles
sont consacrées judiciairement, la transaction est valable.
Tel serait le cas d'une transaction comportant un terme
extinctif de l'obligation alimentaire, mais déterminé en fonc-
tion de critères objectifs permettant d'affirmer, par exemple,
qu'à la date convenue, Ie crédirentier cessera d'être dans Ie
besoin. Tel est, suivant la Cour de Colmar (45), le cas d'une
convention entre époux divorcés, relativement à l'entretien
d'un enfant, après sa majorité, le père s'engageant à payer
telle somme jusqu'à la fin des études supérieures poursuivies
par sa fille ; la Cour valide eet engagement à terme parce qu'il
ne contredit pas les principes relatifs à l'obligation alimentaire
des parents, après la majorité de leurs enfants.

208. Oonclusions. Nous pensons qu'en matière d'obligations


alimentaires légales, sont valables
les transactions portant sur les arrérages échus ;
celles qui se bornent à aménager Ie mode de règlement et
d'exécution de l'obligation alimentaire;
celles qui fixent l'étendue de la <lette, soit dans sou montant,
soit dans sa durée, mais à la condition expresse, dans ces cas,
que la transaction ne soit que provisoire et variable quant à
la quotité et ne heurte pas, quant à la durée de l'obligation légale,
les principes d'ordre public consacrés par la loi et la pratique
judiciaire.
Par contre, sera radicalement nulle, sans confirmation pos-
sible, la transaction qui porte sur Ie principe même du droit
aux aliments, parce qu'on ne dispose pas d'un droit qui touche
à l'ordre des familles et, dès lors, à l'ordre public et social.

209. Applications. Les règles de principes énoncées ci-dessus

(45) Arrêt du 13 avril 1951 (D., 1951, p. 384), cité par SINAY : op. cit., n° 21,
p. 241.
OBJET DE LA TRANSACTION 279

en ce qui concerne les obligations conventionnelles et légales


d'aliments conduis3nt à décider :
que les transactions intervenant entre personnes non tenues envcrs
l'une l'autre d'une obligation légale d'aliments participent du carac-
tère d'immutabilité et d'irrévocabilité des contrats et forment la loi inva-
riable des parties (46). Il faut cependant préciser que l'on peut concevoir
la même situation juridique entre débiteurs légaux d'aliments dès !'ins-
tant ou il est acquis que la cause de !'engagement n'est pas l'état de
besoin du créancier mais bien toute autre cause, non contraire à l'ordre
public (47).
qu'une transaction est valable lorsqu'elle a pour objet une pension
alimentaire volontairement et contractuellement payée par !'auteur d'un
enfant <lont la filiation adultérine n'est pas légalement établie, Ie débi-
teur d'aliment se bornant dans ce cas à assumer un engagement limité
qui a pour effet de nover une obligation naturelle en une obligation
civile (48). Il faut noter cependant que la nature contractuelle de l'accord
ne peut empêcher la revision de la pension s'il résulte de l'intention des
parties que celles-ci, tout en transigeant, n'ont pas entendu fixer ne
varietur la quotité de la <lette (49).
Autrement dit, les parties sant entièrement libres (50) de fixer l'éten-
due et les modalités de leurs droits et obligations, puisque la convention
n'a pas pour objet une obligation légale d'aliments.
que, de même, une transaction portant sur une pension alimentaire
payée par un époux divorcé à son ancien conjoint, en dehors de l'obliga-
tion de l'article 301 du Code civil, est valable et ne peut être modifiée (51).
que la pension alimentaire stipulée, au profit de la femme, dans la

(46) BAUDRY-LACANTINERIE et HOUQUES-FOURCADE, t. III, n° 2105; DE


PAGE, t. Jer, n° 56lbis.
(47) LAURENT, t. III, n° 51.
(48) Cass. fr., civ., 23 octobre 1946 (J. C. P., 1946, II, 3344, note A.S.); voy.
aussi les observations de LAGARDE sur eet arrêt in Rev. trim. dr. civ., 1947, p. 43;
dans Ie même sens : Paris, 15 février 1952, J. C. P., 1952, Il, 7079, note R. SAVA·
TIER.
(49) Colmar, 21 juillet 1950, J. C. P., 1952, Il, 6772, note R. SAVATIER.
Il faut signaler une nette tendance, en France, à donner à l'obligation novée
un caractère alimentaire prépondérant, nonobstant son origine purement contrac-
tuelle, voy. à ce propos les commentaires de Mm• Sinay (op. cit., p. 253 et s.).
On en déduit la variabilité de la pension (Paris, 15 février 1952, précité; Riom,
6 juin 1953, J. C. P., 1954, II, 7907, note P. RAYNAUD) et la nullité des renoncia-
tions et transactions (civ. Mayence, 8 décembre 1927, D., 1928, II, 159, note
R. SAVATIER) en se référant au caractère alimentaire « incontestable » de la pen-
sion. On peut se demander, après Savatier, si, en définitive, Ie conflit n'est pas
uniquement apparent et s'il ne se ramène pas à une simple question d'interpré-
tation, en fait, de la volonté des contractants (voy. R. SAVATIER, notes sous les
arrêts de Colmar et de Paris, précités).
(50) Voy. cependant la restriction exprimée à la note précédente.
(51) Trib. Bruxelles, 30 juin 1932, Pas., 1933, 111, 22 : cas d'une pension due
par l'ex-mari divorcé, par consentement mutuel, en vertu d'une convention posté-
rieure au divorce; il s'agissait donc d'une obligation alimentaire conventionnelle
entre étrangers.
280 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

convention préalable au divorce par consentement mutuel, en règlement


transactionnel de ses droits et reprises, a un caractère définitif parce qu'elle
est consentie en conséquence d'une convention entre époux sur leurs
droits respectifs (52).
que, s'ai:;issant d'une dette alimentaire légale, la transaction sur le
montant de pareille <lette est valable mais modifiable ad nutum, les
tribunaux ayant toujours pouvoir de veiller à ce que Ie chiffre transac-
tionnellement fixé ne soit pas insuffisant pour couvrir les besoins du
créancier d'aliment, compte tenu des ressources du débirentier (53).
C'est le principe de l'article 209 du Code civil.
que, par identité de motifs, doit être déclarée valable, sous réserve
d'une variabilité judiciaire plus étendue, la clause d'échelle mobile intro-
duite au profit du crédirentier dans une transaction sur la quotité de la
<lette alimentaire légale.
Sans doute eette clause restreint-elle la variabilité légale puisqu'elle
est à sens unique en ee qu'elle ne rend pas eompte d'une modification
dans la situation du débirentier : il nous semble eependant qu'elle doit
être validée (54) sous cette condition expresse qu'elle ne peut faire éehec
à la révision judiciaire qui est de droit. En définitive la clause d'échelle
mobile n'offrira d'intérêt, par !'automatisme du déclcnchemcnt de la
révision et de la détermination mathématique de scs limites, que si les
parties veulent bien s'y tenir et ne pas lui substituer une révision judi-
maire. Mais eet avantage, pour relatif qu'il soit, n'est pas négligeable
sur le plan des opportunités familiales.

210. Cas particuliers. Il faut traiter isolément Ie cas des obli-


gations alimentaires résultant des articles 205, § 2, et 301 du Code
civil dont Ie régime particulier conditionne d'une façon spéci-
fique la validité des transactions qui ont ces obligations pour
objet.
1° Cas spécial de la pension de I' article 205, § 2,
du Code civil.

211. La pension alimentaire de l'article 205, § 2, a de parti-


culier qu'elle n'oblige la succession à payer des aliments au
conjoint survivant qu'à concurrence de la valeur de l'actif
net recueilli, à condition, en outre, que l'état de besoin existe
au jour du décès.
A vee cette conséquence que la pension fixée originairement

(52) Voy. dans ce sens : trib. Bruxelles, 25 juillet 1916, Pas., 1918, III, 178.
(53) Voy. Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, par L. BoYER, n° 75, citant
cass. fr., req., 28 juillet 1903 (D. P., 1904, 1, 37), et Bordeaux, 26 juillet 1855
(Sirey, 1857, Il, lll).
(54) Dans ce sens : SINAY, op. cit., n° 20, p. 241 avec les références dans les
deux sens en note 32.
OBJET DE LA TRANSACTION 281

constitue un maximum qui peut cependant être réduit et même


disparaître s'il n'est plus nécessaire (55).
Il est donc dérogé au principe de l'article 209 du Code civil,
parce que le débiteur - la masse héréditaire - ne peut béné-
ficier d'aucun accroissement de ressources après le décès et
qu'en outre la variabilité risquerait de remettre indéfiniment en
question les opérations de la liquidation successorale (56).
Dès lors, une transaction intervenant sur l'étendue, la quotité
de la pension alimentaire légale de l'article 205, § 2, ne peut
être soumise à modification que dans Ie sens de la réduction
ou de la suppression des sommes dues; il n'est pas question de
la déclarer valable sous réserve de l'application de l'article 209
du Code civil qui implique la révision dans les deux sens et qui,
dès lors, ne joue pas ici.

2° Cas spécial de la pension de l'article 301


du Code civil.

212. La pension de l'article 301 du Code civil (57) a un fonde-


ment, une nature et une forme particulières qui commandent,
très logiquement, des solutions originales dès l'instant ou elle
constitue la matière d'une transaction.
La question de savoir s'il est permis de renoncer totalement
ou transactionnellement à cette pension légale est donc diffé-

(55) DE PAGE, t. Jcr (3• éd., 1962), n° 547, B; PLANIOL et RIPERT, t. IV, par
MAURY et VrALLET0N, n° 144.
(56) DE PAGE, op. cit., ibid.; PLANIOL et RIPERT, op. cit., ibid.
(57) On sait que l'article 301 du Code civil sera modifié, sans doute à bef délai.
On connaît les vicissitudes de la proposition de Joi de MM. Rolin et Harnbye
(cf. J. EECKH0UT, « La pension alimentaire après divorce. - Heurs et malheurs
d'une proposition de loi », in Journ. trib., 1965, p. 2!)3; cf. aussi, du mêrne auteur,
les études parues au Jou,·n. trib., 1963, p. 689, et 1!)64, p. G!)3).
Le rapport fait au nom de la Commission de la justice du Sénat par l\I. Dua
(Doe. pe.rlem., Sénat, 1965-1966, n° 63; Journ. trib., 1966, p. 232) a finalernent
proposé Ie texte suivant :
• Le tribunal peut accorder à l'époux qui a obtenu Ie divorce, sur les biens et
les revenus de l'autre époux, une pension lui permettant d'assurer son existence
dans des conditions équivalentes à celles dont il bénéficiait durant le mariage.
Le montant de la pension ainsi définie suit les variations du coût de la vie ; il
peut être adapté aux modifications notables survenues dans les besoins ou dans
les ressources des parties ; en aucun cas il ne peut excéder le tiers d~s revenus de
l'époux débiteur.
" La pension peut, à tout moment, être remplacée par un capita!, soit de l'accord
des parties, soit à la demande d'une d'elles par décision du tr-ibunal.
" En cas de décès de l'époux débiteur la charge de la pension est supportée par
tous les héritiers et, au besoin, par les légataires, proportionnellement à leur
282 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

remment résolue suivant que l'on admet ou non que la pension


de l'article 301 est indemnitaire ou alimentaire, d'une part,
suivant qu'on la tient ou non pour une institution d'ordre
public, d'autre part.
On sait qu'cn Belgique la jurisprudence (58) a consacré comme
un cc article de foi )) (59) le caractère indemnitaire de la pension
due à l'époux qui a obtenu Ie divorce et que la plupart des auteurs
ont adopté la conception de la Cour de cassation : la pansion
est une indemnité qui répare la perte du droit au secours même
si la forme de cette indemnité est alimentaire, ainsi que son
mécanisme juridique.
Il en résulte, d'une mamere générale, que cette pension
n'étant qu'une forme de réparation civile est pleinement dispo-
nible au même titre que l'indemnité due sur pied de l'article 1382
du Code civil : dans cette conception, les transactions sont
valables.
Par contre, les tenants de la conception alimentaire - très
généralement reçue en jurisprudence française - prennent

émolument, étant entendu qu'à l'égard de chacun d'eux la disposition de l'ali-


néa précédent est applicable ... ».
Ce texte fut voté, à une large majorité, par Ie Sénat, Ie 16 juin 1066.
Il résulte du rapport précité que la pension après divorce est une pension sui
generis mais qui a, avant tout, un caractère indemnitaire. Cette conception appela
les critiques du sénateur Van Pé (Compte rendu analytique, séance du Sénat
du 16 juin 1966, p. 548). Le sénateur Rolin lui répondit en réaffirmant que tout
en défendant Ie principe de la variation des pensions, il a paru nécessaire de sou-
ligner leur caractère indemnitaire, ce que confirme la possibilité de remplacer Ie
payement de la pension par Ie versement d'un capital (Compte rendu analytique,
ibid., p. 548, col. 2). Ces dernièrcs considérations sur Ie caractère indemnitaire
prépondérant de la pension nous paraissent essentielles pour la solution, de lege
fcrenda, des questions étudiées au texte. Nous pensons, en effet, que la possibilité
expressément co:csacrée, de faire de la pension de l'article 301 l'objet d'une con•
vention (cf. alinéa 3 du texte voté par Ie Sénat) jointe à l'affirmation de son carac•
tère indemnitaire prépondérant (cf. aussi al. 4 du nouveau texte) devrait permettre
Ie maintien des solutions admises de lege lata, même s'il est incontestable que Ie
caractère alimentaire de la pension après divorce sort renforcé du texte présente·
ment transmis par Ie Sénat à la Chambre (cf. alinéas 1 er et 2).
(58) Cf. notamment : cass., 18 octobre 1934, Pas., 1935, I, 20; cass., 4 mai
1944, Pas., 1944, I, 337; cass., 22 octobre 1954, Pas., 1955, I, 153, obs. R. H.
avec des références de doctrine et de jurisprudence très complètes sur Ie caractère
indemnitaire de la pension; cass., 5 juillet 1957, Pas., 1957, I, 1331; cass., 11 mars
1965, Rev. prat. not., 1966, p. 19; Bruxelles, 13 décembre 1963, Pas., 1965, II, 56;
Liège, 29 juin 1965, Pas., 1965, II, 302; voy. aussi l'étude du professeur Rigaux
sous cass., 30 avril 1964 (Rev. crit. jur. belge, 1965, p. 279) : Ie caractère indemni•
taire et alimentaire de la pension y est souligné.
(59) RENARD et VIEUJEAN, Examen de jurisprudence sur « Les personnes »,
1956-1960, in Rev. crit. jur. beige, 1962, p. 96; voy. aussi l'examen de jurispru-
dence de M. VrnuJEAN, in Rev. crit. jur. beige, 1966, p. 184.
OBJET DE LA TRANSACTION 283

parti pour l'indisponibilité de la pension, ce qui conduit à consi-


dérer comme nulles les transactions qui y sont relatives. La
thèse est ici que si la pension de l'article 301 n'est qu'une espèce
d'obligation alimentaire, elle est, comme celle-ci, d'ordre public,
et partant, indisponible.
Mais ce bref résumé des thèses en prés:mce ne donne qu'una
idée générale et incomplète de la diversité des questions qui se
posent et des distinctions qui doivent être faites.

213. Article 301 du Code civil (suite) : distinctions. - Cas


des arrérages échus. La première précision à apporter concerne
l'objet de la transaction : il est hors de doute qu'une discussion
n'existe que s'il s'agit de transiger sur le droit à la pension lui-
même et non sur les arrérages échus, distincts et détachés de ce
droit.
Ces arrérages, par définition, sont destinés à être aliénés
puisqu'ils doivent servir au payement des frais d'entretien du
créancier d'aliments. Rien n'empêche qu'une fois échus, le
créancier renonce à les percevoir ...
C'est un problème voisin de celui que soulève Ie fameux
adage : << Aliments ne s'arréragent pas» (60).
C'est aussi l'application des principes généraux déjà dégagés
en matii>re de transaction sur une dette légale d'aliments (61).

214. Distinctions (suite) : .Moment ou intervient la transaction.


Les solutions diffèrent suivant que la transaction sur la pension
de l'article 301 intervient avant ou après la transcription du
divorce, en Belgique du moins. En France, en effet, la distinc-
tion a moins de portée depuis qu'en 1949 la Cour de cassation
a affirmé, en tout cas dans ie domaine qui nous occupe, Ie carac-
tère purement alimentaire da la pension après divorce, ce qui
conduit à décider que la transaction est nulle, quel que soit Ie
moment ou elle intervient, parce que son objet est une dette
d'aliments indisponible et d'ordre public.

215. A. Transaction antérieure au divorce. On proclame, d'une


manière très générale, que tout accord ayant pour objet la

(60) DABIN, op. cit., Rev. trim. dr. civ., 1939, p. 934; LAOARDE, note Rev. trim.
dr. civ., 1949, p. 409, n° 9, in fine.
(61) Voy. supra, n° 204.
284 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

pension de l'article 301 est nul (62) s'il intervient avant la disso-
lution du mariage. La nullité, ajoute-t-on, affecte non seulement
les conventions abdicatives ou dispositives - renonciations
et transactions - mais aussi les simples conventions d'éta-
blissement de pension (63).

216. Mais la nullité peut être prononcée pour des raisons et


à des titres différents :
1° On peut la justifier d'abord par l'indisponibilité de l'objet
du contrat.
C'est la thèse de ceux qui estiment que le droit à la pension
de l'article 301 est un droit à des aliments, relevant de l'ordre
public (64).
L'emprise de l'ordre public en cette matière n'est que Ie
reflet du caractère d'ordre public de l'institution du divorce
lui-même : il ne saurait appartenir aux particuliers d'aller à
l'encontre de la conception que la loi s'est faite du divorce et
de la période post-matrimoniale (65).
Mais, précisément, l'exactitude de cette dernière conception
est justement mise en doute par d'éminents auteurs (66) qui
défendent cette idée que si Ie divorce est assurément une insti-
tution d'ordre public, par contre, la pension après divorce n'a
pas ce caractère parce qu'étant dans sou essence une indemnité,
elle n' est pas une conséquence inéluctable et nécessaire du
divorce, même pour le conjoint qui l'a obtenu. L'article 301 ne
précise-t-il pas que Ie tribunal pourra accorder une pension ... 1
Dès lors, si la pension après divorce n'est pas d'ordre public,

(62) Voy. DE PAGE, t. I•r (éd. 1962), n° 978, texte, in fine, et note 2, p. 1066;
Rép. prat. dr. beige, Compl., t. Jer, v 0 Divoree et séparation de corps, n° 502.
(63) Voy. notamment les observations de Cornu sous cass. fr., 30 janvier 1958,
D., 1958, 689 et s.
(64) Dans ce sens, voy. DABIN, op. cit., p. 037; RENARD et VIEUJEAN, « Exa-
men de jurisprudence », in Rev. crit. jur. beige, 1953, p. 157, et 1962, p. 99, ainsi
que toute la jurisprudence française postérieure à !'arrêt de la Cour de cassation
du 28 février 1949 (D., 1949, Jur., 301) dont il sera question irifra, sub n° 219.
(65) HEBRAUD, « La pension de l'article 301 du Code civil et les conventions
en vue du divorce », J. C. P., 1952, I, 078, n° 15.
(66) Voy. notamment : PLANIOL, RrPERT et ROUAST, t. II, n° 638, p. 533;
LALOU, « Des contrats entre époux », dans Etudes Capitant, p. 438 et 439; BEu-
DANT, t. III, n° 860; LAGARDE, notes in Rev. trim. dr. civ., 1938, p. 78; SINAY,
ét. cit., p. 248, n° 30, in fine. Adde, en jurisprudence belge : Bruxelles, 2 avril
1955, Journ. trib., 1955, p. G77-679, et trib. Bruxelles, 17 janvier 1962, Journ.
trib., 1962, p. 2 08.
OBJET DE LA TRANSACTION 285

il faut logiquement (67) en déduire qu'elle est disponible même


si son fondement est alimentaire - a fortiori s'il est indemni-
taire - , et que la transaction a un objet valable, même si elle
intervient avant Ie divorce (68).
Sans doute peut-on dire qu'il est interdit de renoncer à !'avance
à un droit non encore né, fût-il un droit à indemnité. Assuré-
ment, la renonciation, - transactionnelle ou non - au droit
de se faire indemniser d'un préjudice éventuel est interdite.
Par contre, dans la technique de la théorie de droit commun
de la réparation civile, la détermination amiable et transac-
tionnelle du taux et des modalités de la réparation est valable
lorsque, dès l'abord, la nature et l'étendue du préjudice sont
suffisamment précisés (69).
Or, n'est-il pas vrai, par exemple, qu'entre Ie moment de
l'admission d'un divorce de plano et celui de sa transcription,
Ie préjudice de l'époux qui a obtenu Ie divorce est déjà sufli-
samment précisé dans ses éléments essentiels, d'autant que,
sous réserve de la transcription ultérieure du divorce à son
profit exclusif, c'est au jour du jugement que s'ouvre Ie droit
à la pension de l'article 301? (70).
2° Si, ainsi, I'indisponibilité de l'objet est une cause de nullité
discutable, singulièrement lorsqu'il s'agit de conventions non
dispositives mais constitutives de droits, par contre, la notion
de cause illicite permet de mettre en doute la validité de toutes

(67) C'est, sans doute, au nom de cette même logique que MM. Renard et
Graulich soulignent (« Chronique de droit belge "• in Rev. trim. dr. civ., 1953,
p. 189) le fait que M. De Page, partisan décidé de la théorie indemnitaire, ne
justitie pas, pourquoi, selon lui, les transactions sont licites après divorce et ne
le sont pas avant. Voy. aussi DABIN, ét. citée, p. 936.
(68) Dans ce sens, voy. le jugement très explicite du tribunal civil de Bruxelles
du 17 janvier 1962 (Journ. trib., 1962, p. 208). D'autre part, certaines décisions
semblent avoir admis cette conséquence dans des espèces qui peuvent être rete-
nues mutatis mutandis: Verviers, 5 mars 1951, Journ. trib., 1951, 585, ce jugement
admet la validité d'une convention - non transactionnelle - sur l'article 301
du Code civil (réformé par Liège, 14 février 1952, Pas., 1952, II, 68, qui retient
la cause illicite de l'engagement), Bruxelles, 21 mars 1947, Journ. trib., 19-17,
p. 416 : l'arrêt constate que la convention a été conclue avant le divorce et réité-
rée après; trib. Liège, réf., 10 mai 1951 (Jur. Liège, 1950-1951, p. 306) : l'ordon-
nance admet, sous une forme dubitatfre, la validité d'une renonciation qui paraît
avoir été conclue avant divorce. Voy. également !'examen de jurisprudence de
M. Vieujean sur « Les personnes "• Rev. crit. jur. belge, 1966, p. 184.
(69) Solution constante dans Je droit commun de la responsabilité civile;
cf. R. 0. DALCQ, Traité de la responsabilité civile, t. II, n°' 2828 ets.; cass., 28 octo-
bre 1942, Pas., 1942, l, 261; DEM0GUE, t. IV, n° 551, p. 226 et 227; DABIN, ét.
citée, p. 936.
(70) Du moins <lans ]'opinion dominante: voy. DE PAGE, t. Jer (3° éd.), n° 980,
286 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

les conventions sur la pension de l'article 301, dès !'instant ou


elles sont antérieures au divorce.
La nullité procède ici de ce que la convention est faite en vue
du divorce, pour favoriser la rupture du lien conjugal et masquer
un divorce collusoire.
Il se conçoit que même une convention de constitution de
pension - a fortiori une transaction - conclue dans eet esprit
doit être annulée en raison de l'illicéité de la « cause-mobile
but n (C. civ., art. 1131-1133) (71).
Mais nous croyons que Ie juge est tenu de relever in concreto,
dans chaque espèce, l'existence de la cause illicite, sans pouvoir
la présumer in abstracto du seul fait que le contrat intervient
pendant les épreuves (applic. art. 1315 du C. civ.) (72).
Il constatera, par exemple (73), que l'un des époux a obtenu
de son conjoint qu'il intente une action en divorce moyennant
la constitution d'une pension substantielle après divorce (74),
ou que tel autre époux renonce à la pension de l'article 301
pour obtenir de son conjoint qu'il fasse défaut au cours de la
procédure en divorce (75).
3° La nullité peut encore être prononcée parce que la transac-
tion antérieure au divorce opère un règlement ou une liquida-
tion anticipés des droits matrimoniaux des conjoints.
La règle d'ordre public qui est violée est alors celle de I'immu-

et Jes références à Ja jurisprudence de Ja Cour de cassation, p. 1069, note 1; voy.


contra : Bruxelles, 13 décembre 1963, Journ. trib., 1964, p. 167, et Pas., 1965,
II, 86, et, très récemment, cass., 18 novembre 1965, Pas., 1966, 1, 373.
(71) Voy. sur cette question, en Belgique : RENARD et VIEUJEAN, Rev. crit.
jur. beige, 1953, p. 156, n° 27; 1957, p. 133, n° 34, et 1962, p. 99, n° 47; Liège,
14 février 1952, Pas., 1952, II, 68; voy. aussi Bruxelles, 20 janvier 1956, R. W.,
1955-1956, col. 1337 qui énonce Jes principes d'une manière générale et Jes appli-
que à une convention conclue pendant Jes épreuves qui déroge à J'article 299
du Code civil, et trib. Bruxelles, 17 janvier 1962, Journ. trib., 1962, p. 208. En
France, voy. : cass., req., 3 avril 1933, Rev. trim. dr. civ., 1935, p. 635; cass., req.,
3 avril 1935, D. H., 1935, 284, obs. LAGARDE; cass., civ., 26 janvier 1938, D.,
1942, I, 120, note NAST; 6 avril 1949, Rev. trim. dr. civ., 1949, p. 522, obs. LA-
GARDE; Bordeaux, 12 mai 1951, Rei•. trim. dr. civ., 1951, p. 506; Toulouse, 23 octo-
bre 1950, Jou1·n. trib., 1952, p. 72; cass., civ., 14 et 21 janvier 195,t, J. C. P.,
1954, II, 7967; cass., civ., 8 mars 1963, J. C. P., 1963, II, 13195, Rer. trim. dr.
civ., 1963, p. 534, obs. DESBOIS.
(72) Rm,ARD et GRAULICH, Chron. précitée, in Rcv. trim. dr. civ., 1953, p. 189,
avec les observations critiques sur Bruxelles, 27 février 1952 (Journ. trib., 1952,
p. 456).
(73) Même si Jes exemples cités ne concernent pas des transactions stricto sensu,
ils valent, crayons-nous, mutatis mutandis.
(74) Bruxelles, 27 fénier 1952, Journ. trib., 1952, p. 456.
(75) Liège, 14 février 1952, Pas., 1952, II, 68.
OBJET DE LA TRANSACTION 287

tabilité des conventions matrimoniales et la nullité ne se fonde


donc ni sur l'indisponibilité d'un droit alimentaire légal, ni
sur une cause illicite du contrat (76).
Faut-il considérer que toute convention ou toute transaction
sur la pension de l'article 301 emporte ipso facto, une atteinte
au principe de l'article 1395 du Code civil, comme la Cour de
Liège paraît l'avoir admis dans son arrêt précité du 17 février
1952?

« L'un des conjoints en s'obligcant sur sos biens présents et à venir


et l'autre, en stipulant à son avantage une pension, en on fixant do com-
mun accord le chi:ffre et en convenant des circonstances dans lesquelles
elle deviendra exigible dérogent conventionn3llement à leur statut
matrimonia! qui n'a rion prévu de tel et qui a été définitivement fixé
par la célébration du mariage, ce qui est expressément prohibé par
l'article 1395 du Code eivil " (77).

Assurément pas. L'article 1395 du Code civil ne prohibe les


conventions entr3 époux que dans la mesure ou clles modifient
Ie régime matrimonial et les conséqu?nces e,;;sentielles de celui-ci :
or, s'il est interdit de modifier b cadre - le contenant - des
conventions matrimoniales, l'immutabilité de c;J c·Jntcnant 113
postule pas, pour autant, la fixité du contenu.
« L'article 1395 veut que les époux conservent jusqu'à la
liquidation d~ leur régime, le même genre de patrimoine ; il
n'exige nullement que ces patrimoines conservent, jusqu'à la
dissolution du mariage, la même valeur ... Le mari peut appau-
vrir la communauté : celle-ci n'en continue pas moins d'exister.
Et si le mari peut appauvrir la communauté par des donations
« au profit de toutes personnes >> (art. 1422), pourquoi ne pour-
rait-il le faire au profit de sa femme >>? (78).
Ce qui est vrai pour la donation pendant le mariage l'est,
a fortiori, pour une transaction, contrat à titre onéreux, qui,
de surcroît, ne sortira ses effets qu'après divorce : qui n'aperçoit
qu'en s'obligeant à payer une pension après divorce, le mari
ne change rien au cadre du régime matrimonia! mais prend un
engagement qui affectera seulement la valeur des biens qui lui

(76) DABIN, op.cit., p. 936; PLANIOL, RIPERT et NAST, t. IX, n° 683, et t. XIV,
Supplément, p. 246; voy. sur cette question : HEBRAUD, ét. citée, J. C. P., 1952,
I, 978, n° 8.
(77) Dans Ie même sens : Bruxelles, 9 mars 1959, Pas., 1960, II, 131.
(78) DE PAGE, t. X, vol. 1, n°' 145 et 154, 3°, avec les références.
288 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

reviendraient après la dissolution du lien conjugal ? Immuta-


bilité du régime matrimonia} ne saurait donc signifier « immuta-
bilité des patrimoines ».
Les meilleurs auteurs ne s'y trompent pas, qui critiquent (79)
Ie recours abusif et généralisé à la notion de l'immutabilité du
régime matrimonia!, par Ie seul fait de l'existence d'une conven-
tion, avant divorce, sur l'article 301.
Ce qui ne veut évidemment pas <lire qu'une telle idée ne
justifiera jamais Ia nullité de la convention : mais, pour la
prononcer, Ie juge devra constater, in concreto, que Ie contrat
emporte une liquidation anticipée des droits matrimoniaux
des époux - par exemple par un règlement des reprises et
récompenses préalable ou corrolaire à l' engagement relatif à
l'article 301 - ou qu'il implique une dérogation au type même
du régime adopté ou à ses conséquences nécessaires : clauses
relatives aux apports, clauses de liquidation (80).

217. Nous croyons donc pouvoir conclure comme suit sur


cette délicate question de la validité de la transaction avenue
avant Ie divorce :
a) Si l'on admet que la pension de l'article 301 n'est pas
d'ordre public et qu'elle a un fondement indemnitaire pré-
dominant, il faut en déduire qu'une transaction qui y est rela-
tive, avant divorce, n'est pas nulle, en raison de son objet, d·u
mains si Ie préjudice de l'époux «innocent» est suffisamment
établi au moment du contrat et que Ia transaction se borne à
traiter du taux et des modalités de payement de la pension.
Si ces conditions ne sont pas remplies, Ia transaction sera
nulle, car on ne renonce pas, à l'avance, au principe d'un droit
non encore acquis.
La convention est d'autant moins critiquable que les parties
conviennent d'accorder à l'époux qui obtiendra Ie divorce à
son bénéfice exclusif, plus que ce que lui garantit l'article 301

(79) Voy. les observations de MM. Renard et Vieujean sur !'arrêt de la Cour
d'appel de Bruxelles du 9 mars 1959, in Rev. cri!. jur. belge, 1962, p. 98 et 99,
n ° 4 7. Cet arrêt aurait dû, selon nous, invoquer la cause illicite pour justifier la
nullité prononcée.
(80) Voy. dans ce sens : cass. fr., civ., 21 janvier 1954 (J. C. P., 1954, II, 7967)
qui relève qu'une convention intervenue en cours d'instance emportait payement,
par Ie mari, d'une pension viagère mensuelle représentant la part forfaitaire de
la femme dans la communauté. Cet arrêt invoque, en outre, la cause illicite tenant
à un pacte collusoire entre époux.
OBJET DE LA TRANSACTION 289

ou, encore, que les époux se bornent à faire une application


pure et simple de ce texte à leur situation personnelle, dont
les éléments font seulement l'objet d'un examen amiable. Mais,
en pareil cas, il s'agira d'une convention de constitution de
pension non transactionnelle (81).
b) Par contre, la transaction pourra être annulée parce qu'elle
a une cause illicite si elle tend à réaliser frauduleusement la
rupture du lien conjugal ; ou, parce qu'elle a un objet contraire
à l'ordre public, si elle a pour effet d'attenter au principe de
l'immutabilité du régime matrimonial.
c) Si l'on admet que la pension de l'article 301 est d'ordre
public, il faut en déduire la nullité absolue de la transaction
avenue avant divorce, même si l'on considère qu'elle a un carac-
tère indemnitaire prépondérant (C. civ., art. 6), a fortiori si
l'on opte pour sa nature alimentaire.
à) Dans les hypothèses reprises ci-dessus sub b et c la nullité
de la convention sera absolue.
Elle ne pourra donc pas être confirmée par une exécution
volontaire, parce qu'une promesse nulle ne peut engendrer
aucun effet; elle n'emportera donc aucune novation (82). Mais
il sera loisible aux parties, après divorce, de refaire une nouvelle
convention (83) dont la validité sera admise ou contestée sui-
vant la thèse adoptée dans Ie cas des transactions avenues après
dissolution du mariage (voy. in/ra, n° 8 218 et s.).

218. B. Transaction après le áivorce. Dans cette hypothèse,


puisque Ie mariage est dissous, la nullité pour atteinte au régime
matrimonia! ou du fait de la cause illicite ne se conçoit pas.
C'est l'indisponibilité de l'objet seule qu'on retiendra comme
cause éventuelle de nullité.
1° Une première théorie proclame que l'article 301 n'est pas
d'ordre public et que la pension a un fondement indemnitaire
prépondérant. On en déduit qu'elle est parfaitement disponible

(81) Voy. RENARD, « Examen de jurisprudence », Rev. crit. jur. belge, 1957,
p. 157; adde : P. HEBRAUD, ét. citée, n° 4.
(82) Bruxelles, 9 mars 1959, Pas., 1960, II, 131 ; cass. fr., 8 mars 1963, J. C. P.,
1963, II, 13.195; voy. les observations de DESBOIS sur eet arrêt in Rev. trim. dr.
civ., 1963, p. 534.
(83) Bruxelles, 21 mars 1947, Journ. trib., 1947, 416.
DE GAVRE, Contrat de transaction. - 19
290 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

et que la transaction est valable, par application du principe


de l'autonomie des volontés (C. civ., art. 1134).
C'est la théorie très généralement reçue en Belgique (84),
sauf quelques exceptions, d'ailleurs remarquables, en doc-
trine (85).
C'est encore l'opinion d'une grande partie des auteurs fran-
çais (86) et ce fut, jusqu'en 1949, celle des cours et tribunaux
de France (87).
Dans cette conception, les parties peuvent librement con-
venir après divorce qu'une pension n'est due que dans telles
conditions ou suivant telles modalités : elles en fi.xent Ie taux,
la rattachent ou non à un index de prix ou, d'une manière plus
générale, déclarent la pension variable ou fixe (88).
Mais, même dans cette conception très libérale, une question
peut se poser : le principe de la convention-loi s'oppose-t-il à
la suppression de la pension après divorce si elle cesse d'être
nécessaire à la suite, par exemple, du remariage de l'époux
innocent (art. 301, in fine)? La réponse doit être affirmative
parce que les parties, devenues étrangères l'une à l'autre, peu-
vent donner à la pension un caractère viager et irrévocable,
sans devoir prendre égard aux changements intervenus dans la

(84) DE PAGE, t. Jer (éd. 1962), n° 978, 2•, p. 1066; DEKKERS, t. Jer, n° 302,
p. 209; P. VAN ÜMMESLAGHE, « La transmission passive à cause de mort de la
pension de l'article 301 du Code civil », Journ. trib., 1955, p. 288, col. 2; Bruxelles,
8 février 1889, Pas., 1889, II, 416; Bruxelles, 21 mars 1947, Journ. trib., 1947,
p. 417, et 29 novembre le-!7, Journ. trib., 1948, p. 168; Liège, 14 février 1952,
Pas., 1952, II, 68; Bruxelles, 2 avril 1955, Journ. trib., 1955, p. 677-679; Bru-
xelles, 9 mars 1959, Pas., 1960, II, 131 (8• attendu, solution implicite); 14 octo-
bre 1960, Rev. prat. not., 1963, p. 234 et 235, et 8 avril 1965, Journ. trib. 1965,
p. 330; trib. Bruxelles, 22 septembre 1949, Journ. trib., 1949, p. 640.
(85) DABIN, op. cit., p. 935 et s.; RENARD et VIEUJEAN, Examens de juris-
prudence précités, Rev. crit. jur. belge, 1953, p. 156; 1957, p. 133, et 1962, p. 99;
voy. aussi la référe:ice que M. J. Baugniet fait à !'opinion de M. Dabin dans sa
note sous Mons, 6 avril 1944, in Rev. prat. not., 1944, p. 361.
(86) ÜOLIN et ÜAPITANT, Cours (11• éd.), n° 406; RIPERT et BOULANGER, t. r•r,
n° 1754; PLANIOL, RIPERT et RouAST, t. II, n° 64.2; AUBRY et HAU, t. VII (6• éd.,
par ESMEIN), § 480, note 45; BEUDANT, LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et BRETON,
t. III, n° 860. Il faut observer que certains de ces auteurs se bornent à faire réfé-
rence à la jurisprudence citée ei-après en note 87, sans émettre un avis person-
nel.
(87) Cass. fr., req., 30 juillet 1889, D. P., 1890, I, 428, et 28 juillet 1903, D. P.,
1904, I, 37 ; civ. Seine, 28 juin 1926, D. H., 1926, 4.92, et 1 er juillet 1936, D. lI.,
1936, 467; Aix, 18 décembre 1945, J. C. P., 1946, II, 3107.
(88) Voy. spécialement à eet égard, en jurisprudence beige récente, !'arrêt
très explicite de la Cour d'appel de Bruxelles du 14 octobre 1960 (Pas., 1961, II,
27). Adde trib. Bruxelles, 22 septembre 1949, précité.
OBJET DE LA TRANSACTION 291

situation respective des ex-époux ou aux dispositions de l'arti-


cle 301, notamment sa disposition finale (89).

219. 2° Une seconde théorie se fonde sur le caractère alimen-


taire (90) de la pension de l'article 301 et en déduit l'indispo-
nibilité absolue de la pension, avant et après divorce, soit par
voie de renonciation, soit par voie de transaction.
C' est la théorie actuelle de la Cour de cassation de France
<lont la position paraît fixée depuis l'arrêt du 28 février 1949 (91)
qui a déterminé un revirement de jurisprudence, moins specta-
culaire cependant qu'il n'y paraît à première vue (92).
« Que, dès lors, en raison de ses modalités et de son but, propres à la
créance d'aliments, la pension accordée en vertu de l'article 301, § 1er,
du Code civil, ne peut être l'objct d'une transaction ou d'une renon-
ciation. n

On observera que la Cour de cassation de France justifie


essentiellement sa position en prenant parti en faveur du carac-
tère alimentaire de la pension qui, bien « qu'ayant son fonde-
ment dans la réparation du préjudice causé injustement à
l'époux divorcé, par la perte du droit au secours ... » tend néan-
moins « •.. au même but moral et social que l'obligation alimen-
taire inscrite dans les articles 212 et 238 du Code civil » et « obéit,
d'autre part, à toutes les règles prescrites en matière d'ali-
ments ».

(89) Bruxelles, 29 novembre 1947, Journ. trib., 1948, p. 168, cité par DE PAGE,
op. cit., n° 978, note 3, p. 1066, et Bruxelles, 14 octobre 1960, précité.
(90) Rappelons ici que si tout le monde admet actuellement en France que la
pension de l'article 301 est, à la fois, indemnitaire dans son fondement et alimen-
taire dans sa forme, la discussion surgit lorsqu'il s'agit de déterminer lequel des
deux caractères est prépondérant (voy. notamment P. EsMEIN, « Le double visage
et les singularités de la pension après divorce ", D., 1953, Chron., 67, et DESBOIS,
obs. in Rev. trim. dr. civ., 1965, p. 326).
(91) D., 1949, Jur., 301, note RIPERT; J. C. P., 1949, II, 4888, note critique
EsMEIN; Rev. trim. dr. civ., 1949, p. 408, obs. LAGARDE.
Il faut souligner qu'il s'agissait en l'espèce d'une convention avant divorce
définitif sur la pension de l'article 301, § J•r, du Code civil français, lequel, depuis
une ordonnance du 12 octobre 1945, contient un article 301, § 2, qui donne à
l'époux innocent le droit de postuler des dommages et intérêts complémentaires
pour tout autre préjudice que celui résultant de la perte du droit au secours. Sur
les rapports entre ces deux dispositions légales, voy. notamment les observations
de DESBOIS in Rev. trim. dr. civ., 1962, p. 657, 1963, p. 313 et 314, et 1965, p. 326.
(92) En effet, l'arrêt de la Cour de cassation de France du 17 janvier 1939
(D. H., 1939, p. 145) annonçait déjà le revirement de 1949. D'autre part, voy.
aussi, contre la validité de la transaction: Colmar, 3 juin 1937 (D. H., 1937, 526),
et civ. Seine, 14 février 1938 ( Gaz. du pal., 1938, I, 169).
292 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Cette conception est encore plus nettement affirmée dans un


arrêt de la chambre civile du 23 mai 1949 (93).
« Attendu que l'accord concernait une <lette purement alimentaire et,
à ce titre, était sans valeur. »

Cette jurisprudence, manifestement inspiree par les circon-


stances économiques de l'heure (94) et singulièrement par la
dévaluation constante de la monnaie, a reçu récemment, en
doctrine, l'appui de nombreux auteurs français (95).
La Cour de cassation de France, a donné, par ailleurs, à sa
thèse la portée générale qu'elle comporte nécessairement dès
!'instant ou on en admet le princip3 : les transactions sont nulles,
qu'elles interviennent avant ou après le divorce (96).

220. 3° Une troisième théorie, variante de la précédente (97),


justifie l'impossibilité de transiger par des considérations d'ordre
économico-social qui s'imposent comme une règle d'ordre
public, à laquelle les conventions particulières ne peuvent
déroger, que ce soit avant ou après le divorce et quel que soit le
caractère prépondérant reconnu à la pension de l'article 301.
C'est la théorie de Ripert (98), pourtant acquis à la concep-
tion indemnitaire. Il justifie sa solution par les impératifs du
régime économique contemporain qui légitiment des décisions
judiciaires créatrices d'un droit protecteur des faibles, lequel

(93) D., 1949, Jur., 443. Bien que eet arr0t - comme d'ailleurs celui du 28 fé-
vrier 1949 - ait été rendu dans une espèce ou la transaction était intervenue
avant divorce, les termes de la décision excluent toute distinction suivant Ie mo-
ment ou l'accord se réalise: la transaction est nulle dans tous les cas (voy. RrPERT,
note précitée au D., l!l49, Jur., 301; SINAY, ét. précitée, p. 247, n° 28, in fine).
(94) Voy. Esl\IEIN, note sous cass., 23 mai 1949, J. C. P., 1919, II, 5202; note
au Sirey, 1949, I, 86.
(95) RrPERT, note précitée au D., 1949, Jur., 301; LAGARDE, notes in Rev.
trim. dr. civ., 1949, p. 409; J, CARBONNIER, t. Jcr, p. 428; CüLIN et CAPITA"fT,
Traité, t. Jer, n° 832; MARTYet RAYNAUD, t. Jer (éd. 1956), n° 633, p. 845; L. BüYER
in Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 76; CORNU, note sous cnss. fr.,
30 janvier 1958, D., 1958, Jur., 689.
D::tns 12 même sens, en Belgique : DAmN, op. cit., p. 935 à 938; RENARD et
VIEUJEAN, op. cit., Rev. crit. jitr. belge, 1Q62, n° 47, p. 99.
(96) Voy. cass. fr., civ., 17 janvier 1953, D., 1953, Jur., 235, et 30 décembre
1953, D., 1954, Jur., 127; voy. aussi les arrêts des 28 juillet 1949 (D., 1949, Jur.,
443) et 30 jn,nvier 1958 (Sirey, 1958, Jur., 359 ,wee la note MEURISSE, solution
implicite); adde : Paris, 19 décembre 1931, cité pcir cass. fr., 30 décembre 1953,
précité; Colmar, 25 février 1952, Sirey, 1953, II, 59.
(97) Dans les deux théories, c'est en effet l'article 6 du Code civil qui justitie
la nullité du contrat.
(98) Voy. ses notes au D. H., 1927, p. 53, et au D., 1949, Jur., 301, sous cass.
fr., 28 février 1949.
OBJET DE LA TRANSACTION 293

« impose dans la société des hommes une pitié conciliable avec


la justice », l'interprète dût-il rester sceptique sur « la valeur
de l'analyse juridique n
" Le conjoint divorcé qui par insouciance ou générosité a renoncé à
sa pension, celui qui a transigé croyant bien faire, pourra se trouver
quelques années plus tard privé de tout secours. Il faut Ie défendre contre
lui-même. Il est en tout cas d'intérêt social qu'il ne soit pas un mal-
heureux à charge de l'Etat, s'il y a quelqu'un qui, par sa faute, l'a mis
dans eet te situation ... »

C'est donc la règle morale qui interdit de valider la transac-


tion, idée exprimée dès 1927 par Ie doyen Ripert et que l'on
retrouve reprise, dans une certaine mesure (99), par l'arrêt déjà
cité de la Cour de cassation de France du 28 février 1949. Sui-
vant l'heureuse expression d'Esmein (100), l'indemnisation du
conjoint innocent devient une règle d'ordre moral, social et
public, au même titre que l'obligation alimentaire.

221. Comme on Ie voit, ces théories conduisent à des conclu-


sions très opposées.
Alors que dans la conception indemnitaire, les parties peu-
vent convenir de tout ce qui touche à la pension de l'article 301,
dans la conception alimentaire ou économico-sociale, ellcs nc
peuvent, par contre, convenir transactionnellement de rien :
ni du taux, ni de la réduction future, ni de I'invariabilité de la
pension (101). Elles ne peuvent même décider que la pension
après divorce sera cc rachetée n par Ie payement ou la constitu-
tion d'un capita! (102) alors que cette opération n'est pas néces-
sairement une transaction et que son caractère abdicatif est
discutable.
L'époux innocent est donc, dans cette conception, traité

(99) L'arrêt se réfère en effet non seulement au caraclère alimentdre pr·épo,1-


dérant de la pension de l'article 301 mais aussi au « hut moral et social » de la
pension après divorce (voy. aussi c,iss. fr., 23 mai 1940, précité).
(100) Note critique sous cass. fr., 28 février 19-19, J. C. P., 1949, II, 48S8.
(101) Lagarde écrit « ••• et le débiteur ne peut pas davantage renoncer au droit
de demander la réduction ultérieure de ses engagements » (Rev. trim. dr. cfo., 1949,
p. 4.09, n° 9, in fine).
(102) Cass. fr., 23 mai 1949, J. C. P., 1949, II, 5202, note critique EsMEIN,
qui énonce les limites à apporter à la nullité. Contra, en faveur de la vr,lidité du
pacte de rachat sous réserve de révisibilité ad nutum : trib. mixte de Saïgon,
15 mars 1952, cité par Lagarde in Rev. trim. dr. civ., 1952, p. 202 et s. avec les
observations très nuancées de eet auteur.
294 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

comme un véritable incapable qu'il faut protéger contre lui-


même.
Il n'existe, à vrai dire, qu'un seul point de contact entre les
deux courants : certains tenants de la thèse de la nullité admet-
tent cependant que la convention peut être valable dans la
mesure ou elle n'est pas une transaction ce qui suppose qu'elle
n'emporte aucune renonciation ou concession abdicative d'au-
cune sorte.
Le domaine de la licéité est donc celui, très étroit, des con-
ventions d' établissement ou de constitution de pension après
divorce qui vont dans le même sens que Ie devoir préexistant
au contrat, tout en le consacrant (103).
Ainsi sera validée, par exemple, la convention par laquelle
des ex-époux élargissent l'étendue de l'obligation légale en
dépassant la limite du tiers des revenus fixée par l'article 301,
ou se bornent à arbitrer amiablement le montant de la pension
sans se faire pour autant des concessions et abandons récipro-
ques ou unilatéraux (104).

222. Gonclusion générale. Nous croyons que la solution au


problème de la validité des transactions sur la pension de l'arti-
cle 301 antérieures ou postérieures au divorce des époux, est
inséparable des deux considérations générales suivantes :
1° l'obligation alimentaire entre époux est d'ordre public
dans la mesure ou elle traduit l'existence d'un lien qui tend à
assurer l'existence d'un groupe social primordial : la famille.
Mais elle ne saurait survivre, avec les mêmes caractères, à la
dissolution du mariage et de la famille, par Ie divorce.
2° il ne saurait exister entre époux divorcés ce que M. Dabin
appelle « un substitut du droit de l'article 212 », c'est-à-dire
un lien de mariage incompatible avec l'idée même du divorce.
Dès lors il faut, pensons-nous, admettre comme fondée la
théorie qui donne à la pension de l'article 301 un caractère

(103) CoRNU, note d'obs. citée infra, note 104.


(104) Voy. RENARD, « Examen de jurisprudence "• 1957, p. 133; DABIN, op.
cit., p. 935; cf. en France: cass., civ., 30 janvier 1958, Sirey, 1958, Jur., 359 (avec
la note MEURISSE), et D., 1958, 689 avec la note G. CoRNU : eet arrêt admet la
validité d'une convention après divorce, constitutive de la pension de l'article 301,
sous réserve de sa variabilité ad nuturn mais il souligne expressément que la con-
vention de l'espèce n'est ni une renonciation ni une transaction; adde : Paris,
15 avril 1958, J. C. P., 1958, IV, 141.
OBJET DE LA TRANSACTION 295

indemnitaire prépondérant et en déduire la validité des tran-


sactions et renonciations qui ont cette pension pour objet.
Nous concevons même cette validité comme la règle de prin-
cipe, quel que soit le moment ou intervient la transaction, sous
les réserves que commandent Ie respect bien compris du prin-
cipe de l'immutabilité du régime matrimonial et celui de la
théorie de la cause illicite, singulièrement applicable dans le
cas des divorces collusoires.
Sans doute, ne peut-on tenir pour négligeables les raisons
d'ordre économico-social que Ripert a mises en avant précisé-
ment parce qu'il lui paraissait impossible de justifier la solution
de la nullité par une quelconque survivance d'un lien matri-
monia! entre époux divorcés (105). Mais, outre qu'il semble
peu heureux de justifier une solution qui doit être définitive
par des raisons contingentes, pourquoi ne pas concilier les
nécessités juridiques de la théorie indemnitaire avec les impé-
ratifs sociaux de la vie d'aujourd'hui, en décidant que la transac-
tion sur la pension-indemnité pourra être revue au même titre
que peut l'être la transaction sur l'indemnité de l'article 1382,
lorsque survient un élément nouveau qui aggrave la situation
de la victime ? Cet élément nouveau, non considéré par les
parties au moment de la conclusion de leur accord, c'est, en
l'occurrence, la perte de valeur de la monnaie qui autorisera
la réévaluation de la pension originairement stipulée.

223. Pensions alimentaires (suite et fin). - Transaction sur


les sûretés garantissant l'obligation alimentaire. Il faut envisager
enfin le cas d'une transaction sur la sûreté qui garantit la dette
alimentaire légale.
On considère généralement qu'elle est valable dès !'instant
ou il s'agit d'une sûreté conventionnelle : « s'il est essentie! que
Ie créancier ne perde pas le droit aux aliments il peut souvent,
sans inconvénient pour lui-même et tout en gardant la certi-
tud9 d'être payé régulièrement, se dessaisir des sûretés qui
sont !'accessoire de cette créance n (106).

(105) Note précitée au D., 1949, p. 301, col. 2.


(106) PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1579, p. 1031; BAUDRY-LACAN-
TINERIE et W AHL, t. XXI, n ° 1272, p. 624, et les références en note 6 ; L. BoYER,
op.cit., in Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 77; cass. fr., civ., 12 décem-
bre 1921, D.P., 1922, I, 153, note CAPITANT, et Sirey, 1923, I, 353, note AUDINET.
296 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Par contre, on considère que ne sont pas disponibles les


sûretés légales protectrices et, en France, les hypothèques judi-
ciaires qui ne pourront donc faire l'objet d'une renonciation
ou d'une transaction, parce qu'elles procèdent du même ordre
public et social que Ie droit garanti lui-même (107).
Quant aux sûretés qui accompagnent les dettes alimentaires
conventionnelles ou la pension indemnitaire de l'article 301,
elles sont disponibles et peuvent faire l'objet d'une transaction.

III. Indemnités en matière d'accidents du travail.


224. Des transactions sur les pensions alimentaires légales,
on peut rapprocher Ie régime juridique des conventions sur les
indemnités-loi.
Dans l'un et l'autre cas, en effet, l'idée de base est d'assurer
la protection de celui qui trouve soit dans la pension, soit dans
la rente-loi, Ie moyen de sa subsistance.
lei, c'est donc Ie travailleur qui doit être complètement
protégé.
Il l'est par l'article 21 des lois coordonnées sur les accidents
du travail qui énonce Ie principe de l'interdiction de toute
convention contraire aux dispositions de la loi ; et aussi par
l'article 26 qui dispose :
« Les accords entre parties concernant les indemnités à allouer en-
suite d'accidents sont obligatoirernent constatés par le juge compétent.
» L'expédition du proeès-verbal constatant eet aecord n'est revêtu
de la formule exécutoire qu'après que le juge a reconnu que le règlernent
du sinistre est conforme aux dispositions de la loi.
» A peine de nullité, ces aecords sont rnotivés et ils mentionnent, notam-
n1ent, le salaire de base, la nature de la lésion, la réduetion de eapaeité
et la date de eonsolidation. »

225. Ces dispositions fondamentales affirment Ie caractère


d'ordre public des règles de réparation fixées par la loi (108).
Il s'en déduit que l'ouvrier a droit à la réparation légale
intégrale et forfaitaire et qu'il ne peut, en transigeant, y renoncer
directement ou indirnctement, totalemcnt ou partiellement.

(107) Voy. dans ce sens PLANIOL et RIPERT, op. cit., ibid.; BOYER, op. cit.,
ibid.; cass. fr., civ., 11 janvier 1927, D. P., 1927, I, 129, note CAPITANT.
(108) Sur ce caractère, cf. notamment cass., 17 avril 1958, Pas., 1958, I, 893;
25 juin 1959, Pas., lDGO, I, 1103, et 7 novembre 1963, Pas., 1964, I, 260.
OBJET DE LA TRANSACTION 297

La transaction est donc interdite parce qu'elle suppose, par


définition, des abandons et concessions réciproques qui sont
impossibles là ou seules les prescriptions légales peuvent trou-
ver place, au point que Ie juge n'est pas tenu par un accord
qui les méconnaîtrait (109).
Le principe est constant (110) et fut réaffirmé par l'arrêt de
la Cour de cassation du 17 avril 1958 (111) dont la portée est,
par ailleurs, beaucoup plus large :
« Qu'en effet, celle-ci (la victime) ne peut valablement renoncer aux
réparations forfaitaires déterminées par les lois coordonnées sur la répa-
ration des accidents du travail. »

226. Mais il faut préciser les contours exacts de cette interdic-


tion :
a) elle concerne les relations entre l'assureur-loi et la victime;
b) elle est donc en principe étrangère aux transactions qui,
conclue sans fraude entre la victime ou ses ayants droit et Ie
tiers responsable ou son assureur, sont licites et valables (112).
Mais la Cour de cassation par son arrêt précité du 17 avril
1958 a singulièrement restreint cette validité de principe (113).

(109) Voy. notamment cass., 6 juillet 1950, Pas., 1950, I, 812, et Journ. trib.,
1950, p. 540 (solution implicite).
Sur Ie système - assez semblable - existant en France : voy. Dalloz : Encycl.
dr. civil, v 0 Transaction, par L. BoYER, n° 78 avec les références et de BEZ DE
VrLLIARS, De la transaction comme mode de règlement des accidents corporels (Thèse,
Aix, 1937), p. 34 à 37; voy. aussi la note MEURISSE sous civ. Caen, 15 novembre
1963, Sirey, 1963, p. 332.
(110) Voy. DE PAGE, t. V, n° 497, 4°; DELARUWIÈRE et NAMÈCHE, La répara-
tion des dommages résultant des accidents du travail (2e éd., 1947), n° 426; MoNETTE,
DE VILLÉ et ANDRÉ, op.cit., t. II, n° 514; Bruxelles, 8 juillet 1957, R. W., 1957•
1958, col. 365, et 30 janvier 1957, Pas., 1958, II, 165; J". de P. Boussu, 9 juin
1953, Bull. ass., 1953, 545; J". de P. Fexhe-Slins, 10 décembre 1958, Bull. ass.,
1959, p. 36, obs.; J". de P. Neufchateau, 20 février 1959, Bull. ass., 1959, p. 213,
obs.
(111) Pas., 1958, I, 893, obs.; Bull. ass., 1958, p. 390, obs. G. W.; Rev. crit.
jur. belge, 1959, p. 244, avec la note d'liüRION et WURTH.
(112) Trib. Bruxelles, 23 novembre 1951, R. W., 1951-1952, 896; Courtrai,
8 mai 1952, R. W., 1953-1954, 1125; Namur, 3 mars 1953, Bull. ass., 1953, 228;
Liège, 30 juin 1953, Bull. ass., 1954, p. 47; Gand, 9 décembre 1953, Journ. trib.,
1954, p. 81; trib. Liège, 10 février 1958, Journ. trib., 1958, p. 189. En ce qui con·
cerne la prohibition du cumul d'indemnités voy. Rép. prat. dr. beige, Complé-
ment I, v 0 Accidents du travail, n° 847.
(113) Voy. dans le même sens: cass., 20 juin 1958 (Pas., 1958, I, 1178), 6 avril
1959 (Pas., 1959, I, 785), 13 janvier 1964 (Pas., 1964, I, 495), et 27 avril 1964
(Pas., 1964, I, 912), ainsi que la jurisprudence récente des juridictions de fond
citée par Horion in Rép. prat. dr. beige, Complément I, v 0 Accidents du trava-il,
n° 849; voy. aussi Hasselt, 10 juin 1960, R. W., 1960-1961, col. 850.
298 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Elle déclare en effet que la transaction entre la victime et le


tiers << ne peut priver le chef d'entreprise ou l'assureur-loi du
droit d'exercer, à ses risques et périls, l'action aquilienne de la
victime contre ce tiers, dans Ie cas ou le chef d'entreprise ou
l'assureur-loi reste légalement tenu envers la victime au paye-
ment d'indemnités, allocations ou annuités forfaitaires et ce,
à concurrence de ce qu'il lui a effectivement payé en exécution
de cette obligation d' ordre public ... ».
Il se déduit de eet arrêt et des motifs qui en fondent la doc-
trine que la Cour de cassation place sur le même pied et en
arrive à frapper d'un même interdit la renonciation de la vic-
time aux indemnités forfaitaires d'une part, mais aussi aux
indemnités de droit commun d'autre part, dans la mesure cepen-
dant ou le montant du dommage matériel est couvert en même
temps par les indemnités forfaitaires et par les indemnités de
droit commun : « il y aurait ainsi une zone commune qui serait
hors du commerce juridique non pas seulement pour respecter
la règle du non-cumul, mais aussi pour assurer Ie recours du
chef d'entreprise ou de l'assureur-loi » (114).
Pratiquement, cela équivaut à dire que la transaction n'est
permise entre la victime et Ie tiers responsable que si elle porte
soit sur Ie dommage moral, soit sur le dommage matériel qui
dépasse celui qui est couvert par les indemnités forfaitaires (115).
Nous reviendrons sur eet important problème de l'opposa-
bilité à l'assureur-loi d'une transaction « victime-tiers respon-
sable » lors de l'étude des effets de la transaction.
c) corrélativement, l'interdiction ne concerne pas la transac-
tion entre Ie chef d'entreprise ou l'assureur-loi et Ie tiers respon-
sable ; mais une telle renonciation ne peut résulter que de leur
engagement personnel et non d'un acte de la victime qui y est
étrangère (116).
d) l'interdiction vaut quelle que soit la manière dont se réa-

(114) Note précitée d'HoRION et WURTH, Rev. crit. jur. beige, 1959, p. 260;
voy. aussi, outre les arrêts précités de la Cour de cassation : Liège, 9 février 1961,
Bull. ass., 1961, p. 525, obs. R. V. G.
(115) Cass., 17 avril 1958, précité: ... « la victime et Ie tiers responsable transi-
gent librement en ce qui concerne Ie préjudice moral et la partie du préjudice
matériel qui ne sont pas susceptibles de donner lieu à l'indemnisation forfaitaire
prévue par les lois coordonnées ... ».
(116) Cass., 17 avril 1958, précité; Namur, 3 mars 1953, Bull. ass., 1953, 228.
OBJET DE LA TRANSACTION 299

lise la transaction : judiciairement (art. 26) ou, a fortiori, extra-


j udiciairement.
e) l'interdiction n'empêche pas qu'un accord puisse se réa-
liser entre l'assureur-loi et la victime et être homologué par Ie
juge de paix, à condition qu'il ne comporte pas de concessions
soit réciproques soit unilatérales de la part du travailleur.
C'est ainsi que sera valable l'accord comportant règlement
de l'indemnité temporaire sur base d'un salaire plus élevé que
celui proposé par l'assureur-loi pour Ie règlement de l'indemnité
permanente partielle (117), parce que eet accord n'est pas une
transaction à défaut de concessions réciproques.
Pareil accord est étranger au tiers responsable et ne lui est
pas opposable (118).

IV. Contrat de mariage et biens dotaux.

1° Contrat de mariage.

227. La règle de l'immutabilité des conventions matrimoniales


interdit que les époux concluent entre eux, pendant Ze mariage,
une transaction (119) dont l'objet serait leur régime matrimonial.
Cette interdiction est affirmée d'une manièra constante et
tout à fait générale (120).
Faut-il, pour autant, considérer que l'impossibilité de tran-
siger ne souffre aucune exception, notamment lorsque les époux
sont judiciairement séparés de biens, soit à titre principal, soit
à titre accessoire, après séparation de corps ?
On sait que la Cour de cassation, par un arrêt du 31 décem-
bre 1955 (121), a donné à la règle de l'immutabilité des régimes
matrimoniaux la portée la plus étendue : la Cour rattache le
principe d'immutabilité aux règles qui gouvernent l'association
conjugale quant aux biens, avec cett3 conséquence qu'aussi

(117) J. de P. Uccle, 10 mars 1928 (Rev. acc. trav., 1928, p. 149), cité par Mo-
NE'ITE, DE VILLÉ et ANDRÉ, op. cit., ibid.
(118) Bruxelles, 30 janvier 1957 (sommaire), Pas., 1958, II, 165.
(119) Sur la capacité des époux de conclure entre eux une transaction, cf. supra,
n°• 150 et s.
(120) DE PAGE, t. V, n° 497, 2°; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1576;
BAUDRY-LACANTINERIE et ,VAHL, t. XXI, n° 1274 '. Dalloz : Encycl. dr. civil,
v 0 Transaction, par L. BoYER, n° 81; Huc, t. XII, n° 304; cass. fr., 14 juin 1882,
Sirey, 1882, I, 421.
(121) Pas., 1956, I, 415, et Rev. prat. not., 1956, p. 60, note F. L.
300 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

longtemps que celle-ci subsiste, les époux restent soumis aux


dispositions sous !'empire desquelles ils se sont initialement
placés, et le fait que leur communauté soit dissoute pour une
cause qui lui est propre est sans importance à eet égard (122).
Il s'en déduit que tant que le mariage n'est pas dissous, les
époux ne peuvent renoncer expressément ou tacitement aux
droits que leur donnent leurs conventions matrimoniales, et
notamment aux gains de survie, car cela impliquerait une déro-
gation à l'article 1452 du Code civil.

Cette conception était, de longue date, celle de la Cour de


cassation de France (123) et celle de nombreux auteurs (124);
ainsi le professeur René Savatier dont !'opinion est particulière-
ment nette :
cc Ce passage du joug de la communauté au joug de la séparation de
biens ne s'effectue pas par des actes de volonté mais par un jugement,
et la volonté des époux qui n'est pas libre d'opérer ce passage ne l'est
pas davantage d'en modifier les eonditions, telles qu'elles se trouvent
imposées par les règles cornbinées de l'aneien et du nouveau régirne,
l'un et l'autre intangible!:! ... » (125).

Il reste que, malgré l'autorité qui s'attache à ces décisions


et opinions, la jurisprudence récente du tribunal et de la Cour
d'appel de Bruxelles s'est résolument orientée en faveur de la
possibilité de transiger, après séparation de biens, sur les con-
ventions matrimoniales.
Le tribunal civil de Bruxelles, par jugement du 8 octobre
1957 (126), a, en effet, décidé que n'est point contraire à l'immu-
tabilité du régime matrimonia! une convention - dont le carac-
tère transactionnel est très heureusement souligné et défini -
avenue entre époux après un jugement de séparation de biens,
et dont l'objet était, notamment, d'attribuer à l'épouse à titre
de remploi un immeuble acquis par elle à titr0 onéreux, durant

(122) Cette synthèse de l'arrêt est celle faite par Ie professeur .J. RENAULD,
in Rev. crit. jur. belge, 1960 (« Contrat de mariage et régime matrimoniaux. -
Examen de jurisprudence, 1956-1959 », p. 227).
(123) Cf. !'arrêt de cette Cour du 3 novembre 192!, D. P., 1925, I, 137, avec
la note R. SAVATIER.
(124) DE PAGE et DEKKERS, t. X, vol. I, n° 758; RIPERT et Bour..ANGER, t. 111,
n° 738; BEUDANT, t. Xbis, n° 672.
(125) Note précit.ée au D. P., 1925, I, 138.
(126) Ann. not., 1959, p. 276.
OBJET DE LA TRANSACTION 301

Ie mariage, avec l'assistance et l'autorisation de sou mari, mais


sans les formalités des articles 1434 et 1435 du Code civil.
" Attondu que l'aote du 23 août 1951 ne porte pas atteinte au principe
d'ordre public de l'immutabilité des conventions matrimoniales; qu'en
effet, dans le cadre de la transaction et suivant l'intention commune
exprimée par les parties, l'attribution à la défenderesse de l'immeuble
litigieux à titre de remploi ne fait que suppléer à la non-observation des
formalités au moment de l'acquisition. que la clause de remploi contenu
dans !'acte du notaire ... , même si elle apporte un changement de fait dans
la composition des patrimoines des époux ne modifie par leur statut matri-
monia!..."

Ce jugement sera confirmé, d'une mamere très élogieuse,


par un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 24 mai 1960 (127).
" Attendu qu 'au fond, la voie de la transaction était ouverte aux parties
sans autre limitation que le respect des droits des tiers, lesquels ne sont
pas en cause en l'espèce; que pour remplir l'épouse de ses droits son
conjoint peut lui attribuer des biens relevant de la communauté à laquelle
elle renonce ou des biens propres à lui, sans violer pour autant, les règles
de l'immutabilité des conventions matrimoniales, des donations ou de
la vente entre époux ... "

Cette jurisprudence, assurément novatrice, a été critiquée


par le professeur J. Renauld. Sans nier que la transaction peut
présenter de grands avantages entre époux, eet auteur reproche
au tribunal de Bruxelles d'avoir perdu de vue que si l'article 1395
du Code civil ne fait pas obstacle à ce que des changements de
fait aient lieu dans la composition du patrimoine de chacun des
conjoints, il interdit cependant qu'ils se réalisent autrement
que dans Ie strict respect des règles organiques du statut matri-
monia! et des conséquences de celui-ci (128). A l'arrêt du 24 mai
1960, M. Renauld fait le grief (129), d'avoir admis la possibilité
de transiger en termes trop généraux, car cc tout règlement,
fût-il qualifié de transaction, qui mettrait en cause le contenu
du contrat ou du régime matrimonia! pourrait prêter Ie flanc
à critique du point de vue de l'article 1395 du Code civil )).
Est-il certain que toute transaction qui intervient entre époux
séparés de biens judiciairement porte nécessairement sur Ie

(127) Ann. not., 1960, p. 209.


(128)Examen de jurisprudence précité, in Rev. crit. jur. belge, 1960, n° 2,
in fine,
p. 228.
(129)Examen de jurisprudence 1960-1963 (avec la collaboration de M. N. LE-
CLERCQ), Rev. crit. jur. beige, n° 1, p. 354 et s.
302 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

principe et l'étendue des droits matrimoniaux? Nous n'en sommes


pas convaincus et nous croyons qu'en réalité tout dépend des
circonstances de l'espèce. Il appartiendra donc au juge du fond
d'apprécier la nature et l'étendue des sacrifices consentis, les
implications économiques de l'acte et les dangers qu'il comporte
au regard des garanties offertes aux époux par leur statut
matrimonia!. Si, ainsi, Ie juge acquiert la conviction que la
transaction aboutit à des résultats économiques équivalents à
ceux auxquels aurait conduit l'application stricte du régime
matrimonia!, il pourra, semble-t-il, donner à l'acte tous ses
effets, constatant simplement qu'un mode d'exécution du
contrat de mariage a été substitué à celui originairement
prévu (130).

228. Si Ie principe d'immutabilité s'impose avec rigueur


jusqu'à la disssolution de l'association conjugale, il ne survit
évidemment pas à celle-ci.
Dès lors, les époux ou leurs héritiers peuvent parfaitement,
une fois le mariage dissous, régler transactionnellement leurs
droits et obligations comme ils l'entendent, dans les limites du
droit commun (131).
Par ailleurs, il est admis que rien n'interdit à des époux séparés
de biens seulement, de prendre, après les opérations de liquida-
tion de la communauté, effectuée suivant les règles du statut matri-
monial, des arrangements transactionnels ayant pour objet Ie
patrimoine de chacun d'eux, même si, en fait, ces arrangements
modifient les conséquences de la liquidation intervénue ! (132).

2° Biens dotaux.

229. Suivant l'article 1554 du Code civil, les immeubles dotaux


ne peuvent être aliénés ou hypothéqués pendant le mariage,
ni par Ie mari, ni par la femme, ni par les deux conjointement,
sauf les exceptions prévues par les articles 1555 et suivants
du Code civil.

(130) Cf. dans ce sens A. RonrÈRE, note au Sirey, 1868, I, 153, sous cass. fr.,
4 décembre 1867.
(131) DE PAGE et DEKKERS, t. X, vol. I, n° 146; J. RENAULD, op. cit., Rev.
crit. jur. beige, 1960, p. 226, n° 2.
(132) J. RENAULD, op. cit., Rev. crit. jur. beige, 1960, p. 227, n° 2; R. SAVA-
TIER, note précitée au D. P., 1925, I, 138.
OBJET DE LA TRANSACTION 303

On en déduit qu'en principe tout acte volontaire qui a pour


hut ou pour effet d'enlever à la femme tout ou partie de ses
droits sur Ie fonds dotal immobilier est interdit : la transaction
doit, comme la vente, !'échange ou Ie compromis être rangée
parmi de tels actes (133). Quant aux exceptions légales ou
conventionnelles à la règle de l'inaliénabilité, elles sont de droit
strict (134).

230. Mais faut-il donner à la dot mobilière de la femme Je


même caractère inaliénable, en appliquant, par analogie, Ie
principe de l'article 1554?
La jurisprudence française avait déjà répondu (135) d'une
manière affirmative et très nette à cette question Iorsque la loi
française du 22 septembre 1942 vint consacrer la solution préto-
rienne. II faut observer que, tout en déclarant Ia dot mobilière
inaliénable par la femme, Ie système français actuel admet,
comme avant Ia Ioi de 1942, que Ie mari peut aliéner les meubles
dotaux dans l'intérêt de la famille, à tout Ie moins dans l'intérêt
d'une bonne administration de la dot, formule plus restrictive
que certains commentateurs de la loi du 22 septembre 1942
estiment plus exacte (136).
En Belgique, par contre, la tendance est de s'attacher au
principe général de la disponibilité des biens et de considérer
que Ia loi ne visant que les immeubies, il n'y a pas Iieu
d'étendre au domaine de la dot mobilière l'interdiction de l'ar-
ticle 1554 (137).
Dans cette conception, les meubles dotaux peuvent faire
l'objet d'un acte de disposition tel que la transaction, mais

(133) DE PAGE, t. X, vol. 2, n° 1435; LAURENT, t. XXVIII, n° 363; PLANIOL,


t. III, n° 1527; Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Régime dotal, par G. RIPERT, n° 193;
COLIN et CAPITANT, t. !II, n° 708.
(134) Voy. à titre d'exemple : Bruxelles, 27 ma,rs 1908, Pas., 1908, II, 178.
(135) Cass. fr., 14 novembre 1846, D., 1847, I, 27, et 6 décembre 1859, Sirey,
1860, l, 645; RIPERT, in Dalloz: Encycl., v 0 précité, n° 263; ÜOLIN et ÜAPITANT,
t. III, n° 464.
(136) Voy. les auteurs cités par RIPERT, op. cit., n° 264, et notamment P. Es-
MEIN (ét. in Gaz. du pal., 1942, 2, doctrine 45) ainsi que les opinions en sens con-
traire rapportées au même numéro.
(137) LAURENT, t. XXIII, n°• 540 et 541, et t. XXVIII, n° 363; DE PAGE,
op. cit., n° 1446; KLUYSKENS, Huwelijkscontract, n° 380; trib. Bruxelles, 8 juin
1850, Belg. jud., 1850, 823; id., 3 juin 1846, Belg. jud., 1816, 1137 ; adde : ÜUME-
KENDJIRO, op. cit., n° 363.
304 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

la femme qui transige devra être autorisée par son mari, même
depuis les lois des 30 avril 1958 et 22 juin 1959 (138).

231. Quelle que soit la portée du principe d'inaliénabilité


déposé dans l'article 1554 du Code civil, il paraît exact de ne
l'appliquer qu'aux transactions qui emportent aliénation d'un
immeuble dotal ou d'un droit sur un tel immeuble et non à celles
aux termes desquelles la femme acquiert ou conserve un immeuble
dotal moyennant I'aliénation de biens non dotaux.
Puisque l'épouse dotale - dûment autorisée - peut disposer
même à titre gratuit, des biens paraphernaux, pourquoi ne
pourrait-elle aliéner ces biens transactionnellement pour conser-
ver un bien dotal '?
La question qui se pose ici est celle de l'indisponibilité de
l'objet qui doit être restreinte à l'hypothèse visée par la loi.

232. Quant aux biens paraphernaux ils sont totalement dis-


ponibles et peuvent faire l'objet de transactions (C. civ., art. 1576),
sous réserve des règles de pouvoir et de capacité.

V. Transaction sur la chose d'autrui.


233. Dans la mesure ou elle conduit à l'aliénation et au trans-
fert de la propriété du bien, la transaction sur la chose d'autrui
est interdite (139).
C'est une application normale de l'article 1599 du Code civil.
La nullité est la sanction de cette interdiction : elle a les
mêmes caractères que celle qui atteint la vente de la chose
d'autrui (140); elle peut donc être invoquée seulement par la
partie à Iaquelle Je bien est attribué (141) et elle disparaît avec
les mêmes événements puisqu'il s'agit d'une nullité relative.

VII. Droits extra-patrimoniaux. - L'état des personnes.


234. Principe. Il est unanimement admis que l'état des per-
sonnes est absolument hors commerce et ne peut donc faire

(138) Voy. supra, n°s 165 et s.


(139) BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1276; PONT, t. Il, n° 576;
GurLLOUARD, n° 63.
(140) BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op. cit., n° 1285; GurLLOUARD, op.
cit., ibid.
(141) Rappelons que pour M. De Page la nullité peut parfois être demandée
par les deux parties : t. IV, n° 32, C, et Complément.
OBJET DE LA TRANSACTION 305

l'objet d'aucune convention valable, singulièrement s'il s'agit


d'un acte emportant disposition comme la transaction (142).
L'état des personnes, parce qu'il touche à l'ordre public et
social ne saurait être à la disposition des parties, dans Je patri-
moine desquelles il ne figure pas, non plus que ses attributs
tels que Ie nom, la filiation ou la nationalité.

235. Conséquences. En application de ce qui précède, il a été


admis que doivent être annulées les transactions ayant pour
objet :
a) la puissance paternelle (143);
b) les droits du mari comme chef de la famille (144);
c) les droits et devoirs des époux et en particulier l'obligation de
vivre ensemble, tout pacte transactionnel de séparation amiable entre
époux étant nul (145);
d) nne convention tendant à la dissolution du lien matrimonia! par
le divorce (146) ou à son relachement par la séparation de corps et de
biens (147);
e) la nationalité : si la nationalité peut être acquisc ou perdue dans
certains cas légalement déterminés, elle ne peut l'être par un simple
accord de volontés autonomes (148). « La loi permet aux parties de
modifier l'état par leur volonté, mais non pas à leur fantaisie » (149).
/) la filiation : on imagine évidemment mal que l'on puisse transac-
tionnellement renoncer à tout ou partie de eet attribut essentie! de
l'état d'une personne.
Et cependant des distinctions ont été faites, dans ce domaine plus
qu 'ailleurs.
Certaine décision, cassée il est vrai (150), a cru pouvoir distinguer

(142) DE PAGE, t. Ier (3• éd., 1962), n° 246, A; DEKKERS, t. II, n° 1322; PLA-
NIOL et RIPERT, t. XI, n° 1576; BAUDRY-LACANTINERIE et WAIIL, t. XXI, n° 1261;
LAURENT, t. XXVIII, n° 356; DEMOLOMBE, t. V, n°• 314 et s.; GUILLOUARD,
n°• 67 et 68; ACCARIAS, n° 92; PONT, t. II, n° 597; Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Trans-
action, par L. BOYER, n° 79.
(143) LAURENT, op. cit., n° 358; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op. cit.,
ibid.; Dalloz : Encycl., op. cit., ibid.; GurLLOUARD, n° 72.
(144) Dalloz : Encycl., op. cit., ibid.
(145) Cass. fr., req., 3 avril 1935, D. H., 1935, 284; Dalloz : Encycl., op. cit.,
ibid.
(146) Cass. fr., civ., 25 novembre 1901, D. P., 1902, I, 31, et req., 4 août 1913,
Sirey, 1914, I, 326.
(147) Cass. fr., civ., 14 juin 1882, D. P., 1883, I, 248.
(148) GurLLOUARD, n° 78; BAUDRY-LACANTINERIE et vVAHL, op. cit., ibid.
(149) PLANIOL et RIPERT, t. Jer, n° 19.
(150) Aix, 16 juin 1836, Sirey, 1837, II, 25, cassé par cass., 12 juin 1838, Sirey,
1838, I, 695; adde dans Ie sens de l'arrêt d'Aix : Paris, 3 juillet 1812, cité par
BAUDRY-LACANTINERIE et W AHL, op. cit., p. 619, note 1.
DE GAVRE, Oontrat de transaction. - 20
306 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

entre la filiation légitime et la filiation naturelle, cette dernière autori-


sant la transaction sous prétexte que la qualité d'enfant naturel ne
serait pas un état et que la transaction serait heureuse, car elle éviterait
les recherches de maternité toujours scandaleuses !
Une autre distinction a eu plus de faveur : la transaction est nulle
si elle implique renonciation à l'état réclamé mais valable si elle contient
reconnaissance de eet état, car il n'est pas immoral de reconnaître l'état
légitimement réclamé par un autre (151).
Ces distinctions sont vaines et condamnées de longue date (152) :
un arrangement, avec les concessions matérielles qu'il implique le plus
souvent, est inconcevable sur une question d'état, soit qu'il le confirme
soit qu'il le brise; il n'y a que les choses dans le commerce qui peuvent
être l'objet des conventions (C. civ., art. 1126).
Or, l'état des personnes n'est jamais dans le commerce.
g) la tutelle et la subrogée tutelle (153), ainsi que le régime légal des
incapacités, tel que celui de l'interdit (154).
h) les nullités de mariage : ici aussi il faut rejeter la distinction faite
autrefois (155) en raison de la cause de la nullité. Seuls, suivant cette
théorie, les vices qui font « rougir la morale " et « blessent l'honnêteté »
rendent non avenue la transaction qui a pour objet de valider un mariage
nul.

236. Limites de l'indisponibilité. S'il faut considérer que l'état


des personnes est absolument indisponibJe parce que hors com-
merce, il faut admettre, d'autre part, que les conséquences
patrimoniales, ou droits pécuniaires, qui dérivent de l'état s'en
détachent et deviennent disponibles (156).
On ne transige pas valablement sur sa filiation d'enfant
légitime mais on Ie fait sur Jes conséquences successoraJes qui
s'attachent à eet état.
Les conséquences pécuniaires de l'état suivent donc Je régime
juridique de toute valeur patrimoniale.

(151) Dans ce sens : TROPLONG, n° 69; cass. fr., 13 avril 1820, D., 1820, I, 477;
27 février 1839, D., 1839, I, 201, et 28 novembre 1849, Sirey, 1850, I, 81.
(152) LAURENT, t. XXVIII, n° 356; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op.
cit., ibid., et note 6, p. 619 ; cass. fr., 9 mai 1864, Sirey, 1864, I, 305, et 13 novem-
bre 1883, Sirey, 1884, I, 328; adde, GrnouD, op. cit., p. 117; ACCARIAS, nos 93
et 94; GUILLOUARD, n° 69.
(153) Cass., 13 mars 1841, Pas., 1841, 1, 199.
(154) Sur l'impossibilité de transiger sur une demande d'interdiction voy. :
GUILLOUARD, n° 68, et cass. fr., req., 13 novembre 1883, D. P., 1884, I, 103.
(155) Voy. TROPLONG, p. 609; contra : LAURENT, op. cit., n° 360; ACCARIAS,
n° 95; PONT, t. Il, n° 600; DEMOLOMBE, t. V, n° 333; GIROUD, op. cit., p. 119.
(156) Voy. DE PAGE, t. Jer (3• éd., 1962), n° 247; PLANIOL, RIPERT et SAVA-
TIER, t. XI, n° 1576; Dalloz: Encycl., op. cit., n° 80.
OBJET DE LA TRANSACTION 307

Mais encore faut-il préciser la portée exacte de cette limite


à l'impossibilité de transiger :
a) s'il est vrai que les conséquences pécuniaires de l'état sont
disponibles, encore faut-il qu'il s'agisse de droits patrimoniaux
stricto sensu tels que les droits successoraux ou les produits
de la jouissance légale des père et mère qui sont réellement
une conséquence pécuniaire de l'état et non un attribut de eet
état, comme Ie sont la jouissance légale elle-même ou l'admi-
nistration léga]e qui, en tant qu'élément constitutif essentie!
de la puissance paternelle, ne peut faire l'objet d'une conven-
tion (157);
b) les conséquences pécuniaires de l'état ne peuvent faire
l'objet de transactions valables que dans la mesure ou celles-ci
ne règlent pas, en même temps, une difficulté relative à l'état
lui-même ou ne comporte pas un accord implicite sur l'état des
personnes (158).
Les parties devront donc prendre soin de circonscrire leur
accord dans Ie strict domaine des intérêts patrimoniaux, en
évitant même de se servir d'expressions qui rappellent l'état (159),
sauf s'il s'agit d'une désignation transitoire et énonciative, faite
pour la facilité du langage ou d'une simple modalité, sans que
les qualités invoquées eussent fait l'objet d'aucune conven-
tion (160).
c) Quid si une transaction règle de concert la question de
l'état et celle des intérêts pécuniaires qui en dérivent?
La solution paraît bien devoir être celle de la nullité de la
convention tout entière: on invoque l'indivisibilité du contrat (161)
sauf, disent certains (162), s'il résulte avec certitude de l'inten-
tion des parties que celles-ci ont entendu faire, dans un seul
et même acte, deux transactions distinctes emportant prix
distincts, - l'une sur l'état, l'autre sur ses suites pécuniaires

(157)Cass., 6 novembre 1879, Pas., 1879, I, 400.


(158)Voy. Douai, 7 juillet 1953, La loi, 18 septembre 1953.
(159)LAURENT, t. XXVIII, n° 356.
(160) Cass. fr., req., 29 mars 1852, D., 1854, I, 392.
(161)LAURENT, op. cit., n° 358; Gmoun, op. cit., p. 120; AUBRY et RAU, t. VI
(6• éd.,par EsMEIN), § 420, p. 250 texte et note 18; cass. fr., 27 février 1839, D.,
1839, I,201; cass. fr., 25 novembre 1901, Sirey, 1903, I, 353 avec la note PILON;
AccARIAS, op. cit., p. 196. Certaines de ces autorités argumentent de l'article 2055
du Code civil.
(162) Voy. LAURENT et Gmoun, cités ci-dessus; adde : cass. fr., req., 9 mai
1855, D., 1855, I, 228; PONT, t. II, p. 292, n° 593 avec les références.
308 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

- auquel cas le juge pourrait maintenir l'une et annuler


l'autre (163). l\'Iais on soulignera, après Laurent, le caractère
assez théorique de cette hypothèse : on voit mal, en effet, com-
ment la seconde convention ne serait pas, étroitement, la dépen-
dance corrélative de la première et comment, dès lors, l'indivi-
sibilité pourrait, en fait, être écartée.

VII. Sépulture de famille.

237. Il est admis que l'on ne peut transiger sur les droits
relatifs à une sépulture de famille que dans la mesure ou. celle-ci
est aliénable (164).
Or, l'aliénabilité d'un tel bien est fortement discutée.
La jurisprudence française considère, d'une manière générale,
qu'en principe « les tombeaux et le sol sur lequel ils sont élevés,
que ce soit en cimetière public ou dans un cimetière privé,
sont en dehors des règles du droit sur la propriété et Ia libre
disposition des biens et ne peuvent être considérés comme
ayant une valeur en argent » (165).
Cette position a été confirmée par un arrêt de la Cour de
cassation de France du 25 mars 1958 (166) qui réaffirme que
les concessions funéraires sont hors du commerce et, par suite,
incessibles selon les modes ordinaires de transmission des biens.
Il s'en déduit que les renonciations et transactions sont
impossibles (167).
l\'I. De Page fait justement observer (168) qu'il est difficile
de faire d'un tombeau un bien « hors du commerce» alors même
qu'il a un ou des propriétaires, mais il se demande, sans résoudre
la question, si ce bien « dans Je commerce>> est aliénable ou non.

(163) Contra: AUBRY et RAU, t. VJ, § 420, p. 199 (5° éd.), et p. 250 (6° éd.),
note 18; cass. fr., 25 novembre 1901, précitée; TROPLONG, n° 68; DEMOLOMBE,
t. v, 517.
(164) L. BOYER in Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 74.
(165) Cass. fr., 11 avril 1938, Pas., 1940, II, 31; Toulouse, 25 avril 1904, Pas.,
1904, IV, 131; Agen, 23 juin 1909, Rev. prat. not., 1910, 580; adde, en doctrine :
R. SAVATIER, in Dalloz: Encycl. dr. civil, v° Familie, n°s 91 ets.; du mème auteur,
in Rép. gén. not., 1928, art. 21-707, n°s 12 ets. : "La transmission des sépultu-
res »; BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 1270; GurLLOUARD, n° 75.
(166) D., 1958, Jur., 352 et la note.
(167) Cass. fr., 11 avril 1938, précité.
(168) T. V, n° 1167, p. 1028, note 5.
OBJET DE LA TRANSACTION 309

Il admet cependant que la question de la sépulture est plus


d'ordre affectif que patrimonial (169).
Tel nous paraît être Je juste critère : après Ie décès du conces-
sionnaire, la sépulture devient un élément du patrimoine lato
sensu d'une famille, valeur strictement familiale et personnelle
dont Jes ayants droit ne pourront disposer en tout ou en partie
- notamrnent par une transaction - qu'en respectant les droits
semblables des autres indivisaires et l'interdiction d'accueillir
sans leur autorisation des étrangers à la famille. Ce qui équivaut
à dire que la transaction n'est concevable qu'entre coïndivisaires
d'une mêrne farnille, la renonciation de l'un profitant à
l'autre (170). Il paraît certain, d'autre part, qu'avant son décès,
Ie concessionnaire peut transiger sur ses droits à la sépulture,
qui n'est pas encore devenue un bien de famil1e pratiquement
inaliénable.
VIII. Renonciations interdites.

1° Principes et limitations.

238. Il arrive fréquemment que, pour des raisons d'ordre


public, entre autres économiques ou sociales, Ie législateur inter-
dise explicitement (171) ou implicitement (172) aux contrac-
tants de renoncer, en tout ou en partie, aux droits et préroga-
tives qui résultent pour eux de dispositions légales d'ordre public
ou irnpératives (173).
C'est ainsi qu'il est impossible de transiger sur les dispositions
du contrat de mariage, en raison du principe de l'imrnutabilité
du régirne rnatrimonial: nous l'avons déjà vu (174).
C'est ainsi égalernent qu'il est impossible, en principe, de
transiger, par exemple, sur les dispositions impératives et pro-
tectrices de la Ioi en matière sociale (175) ou en matière de bail
à ferme ou de bail commercial.

(169) T. V, n° 1167, p. 1027 et 1028, note 3, in fine.


(170) Dans ce sens, voy.: R. SAVATIER, in Dalloz: Encycl., op.cit., n° 94.
(171) Par l'emploi de formules telles que : « Nonobstant toute convention con-
traire ... ».
(172) Par la portée et Je but de la Joi.
(173) Voy. mutatis mutandis en matière d'acquiescement et de désistemcnt :
cass., 15 mai 1964, Pas., 1964, I, 980, et Gand, 11 octobre 1963, Pas., l!l64, II,
256.
(174) Voy. supra, n° 227.
(175) Dans un domaine voisin, celui de Ja réparation des spoliations en droit
310 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

239. Mais si telle est la règle, il faut aussitót l'assortir de


restrictions, tant en ce qui concerne le principe même de la
prohibition que la sanction de celle-ci :
1° Rien n'interdit aux parties de transiger en se bornant
à interpréter valablement et définitivement une disposition d'ordre
public (176);
2° Il est permis, par une extrapolation du principe déposé
dans l'article 2220 du Code civil, de renoncer transactionnelle-
ment à une prérogative d'ordre public dès !'instant ou elle est
entrée définitivement dans Ie patrimoine d'une des parties,
constituant pour elle un droit acquis (177).
La Cour de cassation de France a proclamé ce principe, en
matière de bail à ferme, dès 194 7, et en a donné, par la suite,
de nombreuses applications (178).
Sans doute est-il difficile de définir exactement Ie moment
auquel une prérogative d'ordre public devient un droit acguis
par son entrée dans tel patrimoine : ainsi que le souligne M. Jean
Carbonnier (179), il semble douteux que la Cour de cassation
de France puisse admettre qu'il suffit que Ie bail ait commencé
à courir pour que les abandons deviennent licites, au motif
que le locataire étant dans les lieux, la liberté de son consente-
ment est désormais assurée.
Sans doute, cette circonstance permettra-t-elle de valider
certaines transactions, notamment celles qui portent sur le
montant des loyers à échoir ou la durée du bail (180); par

français, voy. en faveur de la nullité des transactions emportant renonciation


aux droits résultant de l'ordonnance du 21 avril 1945 : cass. fr., civ., 7 juillet
1955, Bull., cass., 1955, I, 242.
(176) Cass. fr., soc., 24 avril 1952, D., 1952, 721, note R. SAVATIER; PLANIOL,
RIPERT et SAVATIER, t. XI, n°• 1578bis et 1579ter.
(177) Voy.mutatis mutandis,en matière de contrat de mariage,supra,n° 228,in fine.
(178) Voy. notamment, outre les arrêts de principe de la chambre sociale du
7 novembre 1947 (Sirey, 1948, I, 164), les arrêts de la même juridiction des 21 mai
1948 (Bull., civ., 1948, 3, n° 527, p. 556: transaction valablement conclue, en cours
de bail, sur Ie droit au renouvellement), 16 mai 1952 (D., 1952, 721, note SAVA-
TIER : transaction sur loyers échus ou indemnités déjà dues au fermier), 24 avril
1952, précité (transaction sur Ie taux des fermages à échoir), 7 janvier 1954 (D.,
1955, Somm., 6). Voy. aussi, en matière de bail à loyer et de propriété commer-
ciale: cass. fr., soc., 14 décembre 1944 (Sirey, 1945, I, 64), et cass. fr., civ., 29 octo-
bre 1941 (Sirey, 1941, I, 208) avec les notes et les renvois; voy. en Belgique :
J. de P. Ath, 31 mai 1960, Journ. trib., 1960, p. 470 (transaction sur l'indemnité
pour travaux exécutés par Ie fermier, C. civ., art. 1778, § 5).
(179) Obs. in Rev. trim. dr. civ., 1953, p. 126, n° 8.
(180) Voy. notamment les arrêts précités de la Cour de cassation de France
des 2! avril 1952 et 7 novembre 1947.
OBJET DE LA TRANSACTION 311

contre, on ne saurait concevoir comme valable une transaction


sur Je droit au renouveJlement du bail avant que ce droit ne se
soit ouvert dans les conditions prévues par la loi (181).
Corrélativement, resteront prohibées toutes les transactions
qui emportent renonciation anticipée à des droits Jégaux non
encore acquis.
On rapprochera cette jurisprudence des protections que la loi
belge accorde au preneur, fermier ou commerçant, notamment,
par les articles 1742 (dernier alinéa), 1748 (dernier alinéa), du
Code civil ou par l'article 3 de Ja loi sur Jes baux commerciaux
du 30 avril 1951.

2° Renonciations aux droits sociaux.


240. Ce sont en réalité des principes d'inspiration semblable
qu'appliquent les juridictions belges en matière de transaction
et renonciation aux droits sociaux que la loi donne aux tra-
vailJeurs (182).
La question ne doit être envisagée qu'à l'égard de ces derniers:
l'employeur, en effet, peut toujours renoncer (183) et, a fortiori,
transiger (184) sur Jes droits qui lui appartiennent.
Par contre, le travailleur - ouvrier ou employé - doit être
protégé contre toutes abdications - transactionnelles ou non -
qui pourraient intervenir alors qu'existe eet état d'inégalité
juridico-économique, tenant à la subordination, qui caractérise
les relations de travail, la protection <levant être assurée aussi
Jongtemps qu'existe un tel état de fait et de droit :
cc Le travailleur <lont la condition implique une subordination écono-
miqne déjà, va de plus se trouver désormais - c'est l'objet même du
contrat de travail, c'est son critère distinctif - soumis à la subordina-
tion juridique de l'employeur. Soumis à l'autorité du patron, comment
alors ce travailleur pourrait-il vraiment librement rononcor? » (185).

(181) Voy. dans ce sens cass. fr., 7 janvier 1954, précité.


(182) Sur le système des renonciations aux prestations de la sécurité sociale,
en France, voy. la note MEURISSE au Sirey, 1963, p. 333 (sub 1).
(183) Voy. en faveur d'une renonciation valable, par l'employeur : prud'h.
appel Bruxelles, 4 novembre 1954, Journ. trib., 1955, p. 197; 14 novembre 1954,
Journ. trib., 1955, p. 385, et 18 juin 1957, Journ. trib., 1958, p. 133; voy. aussi
cass., 21 octobre 1960, Pas., 1961, I, 190, et CoLENS, Le contrat d'emploi (éd. 1964),
n° 39.
(184) Sur les différences entre les renonciations et les transactions voy. supra,
n° 83.
(185) CAMERLYNCK, « Les renonciations au bénéfice de la loi en droit du tra-
vail français », Trav. de l'Association Capitant, 13, 1959-1960, p. 382.
312 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

De là, ces deux conséquences, logiques et corrélatives


1° Toute transaction ou renonciation anticipée, intervenant
avant l'acquisition du droit social par le travailleur est nulle
que ce soit en matière d'indemnité tenant lieu de préavis, de
sursalaires, de salaires dus pour les jours fériés, de salaire garanti
ou de prestations patronales imposées par l'organisation de la
sécurité sociale au profit des travailleurs directement (186),
telles que les allocations de congés payés dues aux employés.
On a pu <lire (187) que la transaction dans ces différents
domaines était malaisément concevable anticipativement, à !'in-
verse de la simple renonciation : la transaction, en tant qu'elle
suppose un litige, présuppose très généralement des droits acquis,
objets de la discussion.
Il faut cependant rappeler que la transaction sert aussi
à prévenir un procès, que le litige, essentie! à la transaction,
se définit Iargement et qu'enfin la transaction peut avoir pour
objet des droits éventuels, du moins dans une certaine conception
du contrat (188). On songera, par exemple, au cas de l'employeur
qui, sur Ie point de congédier un employé dit « supérieur »,
débat avec lui la durée du préavis à lui accorder, ensuite de
quoi une transaction intervient, chacun faisant des concessions
à l'autre afin d'éviter un procès incertain (189).
2° Les transactions intervenant après l'acquisition des droits
sociaux de l'employé ou de l'ouvrier, sont licites parce que,
contrairement aux renonciations transactionnelles anticipées,
elles n'emportent pas dérogation au système juridique établi :
« Il est exact que la renonciation a posteriori n'emporte pas de déro-
gation aux lois : le droit reconnu au sujet a été acquis par lui conformé-
ment à la loi » (190).

(186) Nous visons essentiellement ici la matière des vacances annuelles payées :
le patron paye directement aux employés les pécules de vacances (arr. roy. du
5 avril 1958, art. 39). Dans les autres cas, l'employeur satisfait aux obligations de
sécurité sociale par l'intermédiaire de l'O. N. S. S., dont il est le débiteur.
(187) Voy. Ja très intéressante étude de Mm• PAPIER-JAMOULLE, « Les renon-
ciations aux avantages d'ordre public résultant des Jois sociales », in Ann. dr.
Liège, 1963, p. 423; voy. cependant p. 424.
(188) Voy. supra, n°• 20 et 199, 4°.
(189) Voy. un exemple in cass. fr., soc., 14 novembre 1063, Sircy, 1961, Jur.,
133.
(190) J. DABIN, « Autonomie de la volonté et lois impératives, ordre public
et bonnes mamrs, sanction de la dérogation aux lois en droit privé interne »,
Ann. dr. sc. polit., 1940, p. 205.
OBJET DE LA TRANSACTION 313

241. Ce sont ces règles que nos cours et tribunaux appliquent


d'une manière très constante depuis plusieurs années.
Les décisions proclament qu'est licite la transaction sur l'in-
demnité tenant lieu de préavis, dès !'instant ou la rupture
des relations de travail est consommée, parce qu'à ce moment
est acquis Ie droit à l'indemnité (191), cela même si l'indemnité
transactionnellement convenue est inférieure à cel!e correspon-
dant au délai de préavis minimal de l'article 15, alinéa 1er,
des lois coordonnées sur Ie contrat d'emploi (192).
Il est parfois précisé dans la jurisprudence la plus récente
que la transaction doit intervenir en parfaite connaissance de
cause (193), condition qui paraît surabondante puisqu'elle est
sous-entendue et présumée chaque fois qu'il s'agit de l'accom-
plissement d'un acte juridique. Tout au plus faut-il y voir la
volonté de certaines juridictions de vérifier spécialement si, au
moment ou la transaction est intervenue, Ie salarié avait effec-
tivement cessé d'être, en fait, dans eet état de semi-incapacité
juridique et économique dont il a déjà été question.

242. Mais, si l'idée de base ainsi appliquée paraît simple et


claire, on constate cependant qu'ici, comme si souvent ailleurs
en droit, il reste possible de discuter de certaines applications
de la règle de principe :
a) Le premier et principal objet de discussion est relatif au
moment de l'acquisition des droits sociaux, moment essentie!

(191) Prud'h. Bruxelles, 29 juin 1936, Louage d'ouvr., 1936, p. 189 (avec les réfé-
rences reprises dans la sentence); prud'h. appel Bruxelles, 17 avril 1939, Louage
d'ouvr., 1939, p. 182; prud'h. Gand, 9 mai 1939, Louage d'ouvr., 1940, p. 22 ; prud'h.
Gand, 25 mai 1948; Rev. dr. social, 1949, p. 88; prud'h. Roulers, 23 novembre
1950, Rev. dr. social, 1955, p. 34; prud'h. Bruxelles, 27 décembre 1948, Journ.
trib., 1949, p. 186; comm. Bruxelles, 13 juin 1925, Jur. com. Brux., 1925, p. 217 ;
comm. Bruxelles, 20 janvier 1962, Rev. dr. social, 1962, p. 180 (sommaire), réformé
partiellement par Bruxelles, 6 avril 1963, cité ei-après; prud'h. Liège, 25 février
1966, Journ. trib., 1966, p. 377, et Jur. Liège, 1965-1966, p. 238; CoLENS, Le
contrat d'emploi (éd. 1964), n° 39; A. L. note sous prud'h. Mons, 12 mai 1959,
Rev. dr. social, 1960, p. 65; voy. aussi a contrario, l'arrêt de la Cour de cassation
du 19 novembre 1964 (Journ. trib., 1965, p. 36), dont il résulte que l'on ne peut
renoncer d'avance au délai ou à l'indemnité de préavis.
Pour ce qui est du droit français qui applique les mêmes principes, cf. cass.
fr., soc., 20 décembre 1956, Bull., civ., IV, n° 964, p. 719 avec la note, et 14 novem-
bre 1963 (motifs), Sirey, 1964, Jur., 133; MAZEAUD et TuNC, Traité de la respon-
sabilité civile, t. III, n°• 2113 et 2112.
(192) Prud'h. appel Mons, 4 février 1961, Rev. dr. social, 1961, p. 277.
(193) Prud'h. appel Mons, 4 février 1961, et comm. Bruxelles, 20 janvier 1962,
précités.
314 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

puisqu'il fixe la frontière de ce qui est illicite et de ce qui cesse


de l'être.
Un arrêt récent de la Cour d'appel de Bruxelles (194) paraît
bien avoir fixé les principes en la matière: il décide qu'employeur
et employé peuvent « transiger sur tous intérêts en litige et
notamment sur la durée du préavis, sur l'indemnité de rupture
et sur tous comptes pouvant exister entre (eux) » ... , dès l'instant
ou Ie préavis est notifié parce qu'à ce moment l'employé retrouve
sa liberté et n'a plus à être « protégé contre un état éventuel
d'infériorité et les entreprises d'un employeur qui tenterait
d'abuser de cette infériorité; (qu') « en effet dès ce moment
!'employé se trouve porteur d'un acte définitif mettant fin
à son engagement, acte lui assurant des droits bien déterminés
et auxquels son employeur ne peut porter atteinte ... ».
Peu importe par conséquent, suivant cette jurisprudence, que
Ie préavis ne prenne cours qu'après un temps déterminé et
que la dissolution du contrat ne se produise qu'à l'expiration
du préavis ; seul compte Ie moment de sa notification.
Cette conception, annoncée déjà par d'autres décisions (195),
paraît bien avoir été confirmée, à tout Ie mains d'une façon
implicite, par des arrêts récents de la Cour de cassation.
En effet, d'une part, il résulte clairement de l'arrêt du 5 no-
vembre 1965 (196), « que les parties peuvent convenir, avant
l'expiration du préavis qui a été notifié à l'une d'elles, de substi-
tuer une autre date au terme du préavis initia!». La formulation
est, on Ie voit, très large : l'arrêt n'exclut nullement que les

(194) Arrêt du 6 avril 1963, Rev. dr. social, 1964, p. 18, et Pas., 1964, II, 88.
(195) Prud'h. Bruxelles, 23 juin 1930, Louage d'ouvr., 1931, p. 118; prud'h.
Gand, 25 mai 1948, Rev. dr. social, 1949, p. 88; adde : prud'h. Bruxelles, 8 mars
1965 (Journ. trib., 1965, p. 408, note J. P. ÜLAUWAERT) : cette décision admet
expressément la validité d'une transaction pendant la durée du préavis (cf. sub 1
de la note J. P. ÜLAUWAERT); cependant, on peut se demander s'il y avait réelle-
ment transaction en l'espèce, car ni la sentence ni !'annotateur ne caractérisent
Ie litige et les concessions faites par les parties, singulièrement par !'employé lequel
ne pouvait renoncer qu'à des droits acquis. Car il faut se garder de confondre
les transactions et les simples conventions de résiliation amiable qui, comme le
fait observer M. Clauwaert, peuvent effectivement se réaliser à tout moment,
qu'il y ait ou non préavis notifié, et cela par la seule vertu d'un mutuus consensus
qui se réalise cependant sans concessions réciproques. La différence entre les deux
types de contrats est certaine et le conseil de prud'hommes d'appel de Mons
l'a souligné très exactement (arrêt du 3 août 1963, Pas., 1963, 111, 116) dans une
espèce qui paraît proche de celle jugée le 8 mars 1965.
(196) Journ. trib., 1966, p. 76.
OBJET DE LA TRANSACTION 315

conventions, dont il admet expressément la validité, aient un


caractère transactionnel.
D'autre part, l'arrêt de la Cour de cassation du 3 mars
1966 (197) énonce expressément que la dénonciation d'un
contrat d'emploi avec un préavis irrégulier a lieu le jour ou
celui-ci a été notifié, avec cette conséquence que c'est ce jour-là
aussi que naît Je droit à l'indemnité compensatoire prévue par
l' article 20 des lois coordonnées ; dès lors ce droit à indemnité
peut se transmettre aux héritiers de l'empioyé décédé avant
I'expiration du délai de préavis irrégulier. De cette jurispru-
dence on peut donc déduire, en ce qui concerne la question
qui nous occupe, que Ie droit à indemnité étant acquis dès le
jour de Ia notification du congé, c'est dès ce jour également que
les transactions sont possibles sans qu'il faille avoir égard à la
date d'expiration du congé, c'est-à-dire à celle de la dissolu-
tion du contrat.
Mme Papier-Jamoulle, dans l'étude déjà citée qu'elle a consa-
crée aux renonciations aux avantages d'ordre public résultant
des lois sociales, a vivement critiqué Ie système pröné par l'arrêt
de la Cour d'appel de Bruxelles du 6 avril 1963 (198).
Suivant eet auteur, les transactions et renonciations, lors-
qu'elles sont concevables (199), ne sont valables que si elles
interviennent après la dissolution du contrat, peu importe si,
avant ce moment, Ie droit social a été acquis ou pas.
Dans Ie cas de l'indemnité tenant lieu de préavis, il faudrait
donc, dans cette opinion, que la transaction intervienne seule-
ment après la fin complète des relations de travail et non simple-
ment après la rupture à terme du contrat, qui coïncide avec
la signification du préavis. L'accord intervenu pendant Ie délai
de préavis serait donc nul parce qu'il est contraire sinon au texte
de la loi, du moins à Ia ratio legis : il faut que la protection
tacitement imposée aux salariés subsiste aussi longtemps que
durent les circonstances qui ont motivé l'intervention législa-
tive, les termes très généraux de la loi n'interdisant pas une
telle interprétation (200).

(197) Journ. trib., 1966, p. 353.


(198) Ann. dr. Liège, 1963, p. 418 et 419.
(199) Mm• Papier-Jamoulle fait certaines distinctions qui la conduisent à
exclure la possibilité de transiger sur certains droits sociaux, même après la fin
des relations de travail. Il en sera question au n° 243.
(200) Op. cit., spécialement p. 418.
316 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Thèse très rigoureuse, on Ie voit, contraire à une jurisprudence


bien établie qui estime, à bon droit, qu'en fait Ie salarié recouvre
sa liberté à l'égard de son employeur dès qu'il sait que son
engagement prendra fin ; et, en outre, thèse difficilement conci-
liable avec les termes de la loi qui, aussi bien pour Ie contrat
de travail (201) que pour Ie contrat d'emploi (202), ne frappe
de nullité que les clauses prévoyant une indemnité moindre
que celle qui est légalement fixée, Ie terme cc prévoyant » visant
d'une manière implicite les renonciations anticipées (203).

243. b) La seconde question discutable concerne l' étendue


ratione materiae à donner aux principes énoncés ei-avant :
convient-il de les appliquer à tous les avantages sociaux ou
faut-il, au contraire, opérer certaines distinctions entre eux 1
La jurisprudence paraît nettement tendre vers une généra-
lisation des règles déjà dégagées en matière d'indemnité de
préavis : on relève, dans la jurisprudence récente, d'une part,
l'affirmation que sont nulles les transactions et renonciations
anticipées au salaire garanti (204), d'autre part, la possibilité
de transiger, après la rupture du contrat, sur l'allocation de
congés payés (205). Quant à la Cour d'appel de Bruxelles elle a
- nous l'avons vu (206) - , adopté une formule très large
pour admettre qu'une transaction peut intervenir sur tous comptes
entre employeur et employé dès après la notification du préavis
de fin de fonctions.
Cette généralisation des règles appliquées en matière d'in-
demnité de préavis, a été critiquée, en partie du moins, dans
l'étude précitée de Mme Papier-Jamoulle. Si eet auteur admet
évidemment la nullité de toute transaction ou renonciation anti-
cipée aux sursalaires, salaires garantis, salaire pour les jours
fériés et obligations patronales à l'égard de la sécurité sociale(207),
par contre il combat la thèse de la validité des transactions
postérieures à la dissolution du contrat lorsqu'elles ont pour

(201) Article 22, al. 2, de la loi du 10 mars 1900.


(202) Article 22 des lois coord. sur Ie contrat d'emploi.
(203) Dans ce sens, prud'h. Bruxelles, 29 juin 1936, Louage d'ouvr., 1936, p. 189.
(204) Comm. Tournai, 30 septembre 1052, Pas., 1953, III, 77 ; prud'h. Malines,
26 août 1952, R. TV., 1954-1955, 1176, qui affirment le caractère d'ordre public
des dispositions légales concernées.
(205) Comm. Bruxelles, 25 avril 1957, Journ. trib., 1957, p. 376.
(206) Arrêt précité du 6 avril 1963.
(207) Op. cit., p. 424, 428, 429 et 431.
OBJET DE LA TRANSACTION 317

objet des droits ou avantages sociaux dont Ie respect est assuré


par des sanctions pénales : tel est Ie cas des dispositions relatives
au payement des sursalaires (208), des jours fériés (209) et des
obligations patronales en matière de congés payés (210). Dans
ces trois cas, les renonciations et transactions seraient inter-
dites, à quelque moment qu'elles interviennent (211).
Sans doute, l'existence de sanctions pénales - qui souvent
rendent compte de l'état de conscience sociale d'une époque
- renforce-t-elle Ie caractère impératif de la loi et lui donne-
t-elle un plus grand prestige et une efficacité accrue.
Mais, ainsi que Ie procureur généra] Paul Leclercq l'affirmait
déjà en 1928 (212), « la circonstance que la passation de contrats
en violation de Ja loi donne également naissance à l'action
publique contre Ie chef d'entreprise qui a commis une infraction
en opprimant l'ouvrier, présume la loi, ne modifie pas la nature
de droit civil qui appartient à ses dispositions légales. Nom-
breux, en effet, sont les articles du Code pénal et d'autres lois
qui garantissent les contrats de droit civil : tels sont l'article 491
du Code pénal qui protège, notamment (213), le mandat, le
dépöt, Ie gage et le prêt ; les articles 496 et suivants qui, en
punissant l'escroquerie et la tromperie, assurent l'acheteu:r contre
Ie vendeur; et à ces dispositions, il serait aisé d'en ajouter
beaucoup d'autres ... >>.
L'intensité de la sanction prévue par Ie législateur ne doit
donc pas déterminer une solution différente dès !'instant ou,
comme c'est Ie cas pour toutes les dispositions de droit social,
Ie fondement d.e la règle demeure identique. Dans Ie cas parti-
culier des sursalaires et de l'application de la loi du 14 juin 1921,
la Cour de cassation, entraînée par la brillante démonstration

(208) Article 20 de la loi du 14 juin 1921.


(209) Article 13 de l'arrêté-loi du 25 févricr 19!7.
(210) Article 50 des lois coordonnées par l'arrêté royal du 9 mars 1951.
(211) Voy. dans le même sens, l'étude de P. HoRION, « L'évolution des sanctions
pénales en droit beige "• Rev. trav., 1063, p. 1133 et s. et spécialement p. 1150.
A noter cependant que de lege fercnda eet auteur suggère, dans le domaine qui nous
occupe (sursalaires, salaires, jours fériés, cotisations O.N.S.S.), la suppression
des sanctions pén2-les et leur remplacement par des peines civiles (p. 1152).
(212) Conclusions précédant cass., 7 juin 1928, in Pas., 1928, I, 1 75 et plus
spécialement p. 179.
(213) En effet, eet article vise indistinctement, sans les spécifier, tous les con-
trats translatifs de la possession ou de la détention précaire, fussent-ils innomés
(voy. cass., 10 janvier 1927, Pas., 1927, I, 122, cité par J. CONSTANT dans« L'inexé-
cution des contrats et Ie droit pénal belge ", Rev. dr. pén., 19131-1965, p. 140,
note 1).
318 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

de son procureur général, a relevé à juste titre que Ie hut de


cette loi est de protéger l'ouvrier contre certaines lésions de
ses intérêts matériels et moraux ... Ie législateur ayant tenu
compte de ce « qu'en général les chefs d'industrie et les patrons
peuvent dicter leurs conditions que l'ouvrier doit accepter, pour
pouvoir se procurer Jes moyens d'existence pour ]ui et sa famille,
ou rejeter, sous peine d'être condamné à la misère, lui et les
siens ... » (214).
Le fondement, la raison d'être de la loi, est donc identique
à la justification donnée aux solutions intervenues en matière
d'indemnité de préavis.
Fondement identique, solution identique : !'auteur du som-
maire, à la Pasicrisie, de l'arrêt précité de la Cour de cassation
du 7 juin 1928 ne s'y est pas trompé lorsque, disant expressé-
ment ce que !'arrêt dit tout au plus implicitement, il écrit que
l'ouvrier ne peut renoncer d'avance à ce que Ie sursalaire lui
soit payé (215).

244. Généralisant, comme Je font nos juridictions, la solution


de la validité des transactions intervenues entre patrons et
salariés, dès !'instant ou ceux-ci ont pu agir en toute liberté,
dégagés d'une menace économique pour eux et leur famille,
nous voudrions étayer encore cette solution en recourant à un
bref parallèle.
La salarié, par Ie fait de la subordination, est considéré comme
un « quasi-incapable >> (216) frappé d'une sorte d'incapacité
spéciale, de même que Ie mineur, devenu majeur, est, quant au
compte de tutelle, dans un état d'incapacité spéciale envers
!'ancien tuteur (C. civ., art. 2045 et 472). Mais nous avons
vu (217) que la loi admet la transaction sur Ie compte de tutelle
lorsqu'il est acquis, par la réunion de certaines conditions, que
la « crainte révérentielle >> de !'ex-mineur à l'égard de l'ex-tuteur
n'est plus à redouter, Ie mineur ayant été suffisamment éclairé
sur la gestion de son ancien tuteur.

(214) Arrêt du 7 juin 1928, Pas., 1928, I, 181.


(215) Pas., 1928, I, 175; voy. en faveur de la licéité des renonciations - même
tacites - aux sursalaires : prud'h. appel Liège, 28 mars 1942, Louage d'ouvr.,
1943, p. 114; contra : prud'h. Liège, 19 juin 1937, Jur. Liège, 1937, p. 215.
(216) Voy. les conclusions précitées du procureur général Paul Leclercq in
Pas., 1928, I, 179.
(217) Supra, n°s 141 et s.
OBJET DE LA TRANSACTION 319

Nous pensons que l'idée que l'on trouve à la base des arti-
cles 2045 et 472 est juste et que c'est la même idée qu'appli-
quent et doivent appliquer très généralement les tribunaux
lorsqu'ils sont appelés à se prononcer sur la validité d'un compte
transactionnel entre bailleur et preneur de services, quelle que
soit la nature des éléments litigieux de ce compte.
Qu'il soit permis, en guise de conclusion, de rapporter ici
!'opinion récente du professeur J. D. Bredin (218) citée déjà
par Mme Papier-Jamoulle :
« Une large zone de l'ordre public, et quine cesse de s'étendre,
concerne la protection des intérêts économiques et sociaux
d'individus et de groupes d'individus. L'intérêt public impose,
pour éviter des abus d'autorité, des spoliations, des injustices
sociales, que des individus puissent acquérir certaines préroga-
tives, disposer de certains droits. Si les bénéficiaires des dispo-
sitions légales, après en avoir été saisis, les jugent inutiles ou
encombrantes, Ja loi n'entend pas les contraindre à les garder.
Une renonciation peut alors être efficace, parce que l'ordre public
était intéressé à armer un individu pour préserver l'équilibre des
farces sur lequel repose l'équilibre social. S'il plaît à eet individu
de jeter bas ses armes, l'intérêt public y reste indifférent ».

3° Sanction des prohibitions.


245. Nous venons de voir dans quelles conditions certaines
renonciations transactionnelies sont interdites et dans quelle
mesure il peut être, parfois, dérogé à la prohibition.
Il reste à tracer, d'une manière générale, la règle de sanction
lorsque la prohibition de transiger est violée.
L'intensité de cette sanction variera suivant la nature de
l'intérêt protégé.
Si les dispositions de la loi sont instituées seulement pour
la protection d'intérêts privés, elles ne seront pas considérées
comme d'ordre public, bien qu'impératives, et la nullité des
conventions y dérogeant sera relative (219).

(218) « Les renonciations au bénéfice de la loi », Journ. trib., 1960, p. 646;


voy. aussi MALAURIE in Dalloz: Encycl. dr. civil. v 0 Renonciation, n° 35.
(219) Sur la notion de loi impérative, non d'ordre public, voy. LES NOVELLES,
Droit civil, t. IV, par RENARD, VIEUJEAN et HANNECART, n°s 1246 et s. ; BAETE-
MAN, note Rcv. crit. jur. beige, 1960, p. 163, sous cass., 6 décembre 1956; voy.
aussi cass., 14 janvier 1965, Journ. trib., 1965, 151.
320 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Il sera dorre possible de renoncer au droit d'agir en nullité


pour autant que Ja renonciation soit postérieure à l'exécution
de l'obligation, faute de quoi la renonciation anticipative devien-
drait une clause de style privant de toute sanction la règle
violée (220).
Tel est Ie régime applicable, en Belgique, en matière de baux
commerciaux (221).
Par contre, si la disposition légale violée est impérative et
d'ordre public parce qu'elle tient aux fondements mêmes de
l'ordre moral, politique, social ou économique établi, la nuJlité
sera absolue et la transaction sera invalidée d'office, sans confir-
mation possible.

IX. Fonctions publiques.

246. Les fonctions publiques ne sont pas susceptibles de pro-


priété et, de ce fait, ne peuvent faire ]'objet de conventions
particulières : elles sont totalement hors commerce.
La transaction est dorre formellement prohibée dans ce
domaine (222).
Cette interdiction ne demande guère de commentaires.
On précisera cependant qu'elle doit s'appliquer singulière-
ment au domaine des charges notariales, qui ne peuvent faire
l'objet d'un trafic quelconque, nonobstant la fréquence des
opérations de cession et l'importance des valeurs patrimoniales
transmises (223).
On rappellera cependant Ie cas exceptionnel prévu par l'arti-
cle 59 de la loi de ventöse an XI, qui détermine dans quelles
limites Ie titulaire ou ses héritiers et Ie notaire qui recevra

(220) Cass., 6 décembre 1956, Pas., 1957, I, 364, précédé des conclusions du
procureur général Hayoit de Termicourt; BAETEMAN, note précitée, p. 169;
LES NOVELLES, op. cit., n° 1258; ces derniers auteurs considèrent que la nullité
qui frappe les renonciations anticipées est absolue, contrairement à M. Baeteman
qui pröne (p. 171), ,\ juste titre croyons-nous, le caractère relatif de la nullité.
(221) DE PAGE. Complément au t. IV, n° 782; Rép. prat. dr. beige, Complé-
ment I, v 0 Baux commerciaiix, n°s 4, 65 et 73; BAETE~lAN, note précitée, p. 166 ets.
(222) Quant au régime existant en France, voy. notamment : PLANIOL et
RIPERT, t. XI, n° 1580; Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 TransacHon, par L. BOYER,
n° 88.
(223) Dans le sens de l'illicéité de tout trafic, voy. notamment LES NOVELLES,
op. cit., n°' 1286 et s.; Bruxelles, 29 septembre 1954, Rev. prat. not., 1954, p. 387
avec avis du ministère public, et Journ. trib., p. 665; Liège, 3 février 1964, Jur.
Liège, 1963-1964, p. 209.
OBJET DE LA TRANSACTION 321

les minutes peuvent traiter de gré à gré « des recouvrements


à raison des actes dont les honoraires sont encore dus et du
bénéfice des expéditions ... » sous réserve, en cas de non-accord,
de l'appréciation qui sera faite par deux notaires choisis ou
désignés d'offi.ce (224).
Mais les principes d'ordre public qui fondent l'impossibilité
de convenir et de transiger sur la charge elle-même et la cession
des minutes et répertoires ne tolèrent aucune autre exception,
même entre proches parents (225).
Il faut cependant exclure de l'indisponibilité de principe
certains éléments patrimoniaux librement négociables qui per-
mettront au nouveau notaire de bénéficier de l'organisation de
l'étude : personnel, fiches, documentation, mobilier de bureau,
droit d'occuper l'immeuble, etc. (226). Une transaction, après
démission et nomination, sur les droits résultant des conven-
tions relatives à ces éléments négociables est donc concevable,
puisque ces biens sont dans le commerce.

X. Transaction sur les engagements argués de nullité


et les actions en nullité absolue.

247. Il n'est pas possible de donner effet, par une transaction,


à un engagement contraire à l'ordre public et aux bonnes mamrs,
affecté de ce fait d'une nullité absolue et radicale, parce que
la transaction ne peut avoir pour conséquence de paralyser
indirectement une action en nullité qui est d'ordre public et
à laquelle il n'est pas permis de renoncer (227).
Par identité de motifs, l'action en nullité absolue elle-même
ne peut constituer l'objet d'une transaction, faute de quoi celle-ci
serait nulle « pour les motifs d'ordre public qui conduisent
à la nullité de l'acte primitif » (228).
Ainsi doit-on, par exemple, considérer comme nulles à défaut

(224) Une vraie transaction paraît cependant difficilement concevable en


pratique.
(225) Bruxelles, 30 juin 1943, Rev. prat. not., 1944, 201 (annoté).
(226) HAUCHAMPS, Droit notarial, n° 2630; LAINÉ, note sous Bruxelles, 29 sep-
tembre 1954, in Rev. prat. not., 1954, p. 395.
(227) Solution constante : voy. BAUDRY-LACANTINERIE et "\VAHL, t. XXI,
n°• 1267 et 1279; Dalloz: Encycl., op. cit., n° 89; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER,
t. XI, n° 1581; DE PAGE, t. V, n° 497, 10°, p. 485.
(228) BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. XII, n° 353; voy. aussi Dalloz:
Encycl., op. cit., ibid., et la jurisprudence française citée ei-après.
DE GAVRE, Contrat de transaction. - 21
322 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

d'objet licite la transaction qui a pour objet l'action tendant


à la nuJlité d'une dette de jeu lorsque cette dette ne donne pas
lieu à une action en justice (229); celle qui intervient sur une
substitution prohibée en maintenant à la charge du grevé
l'obligation illégale de conserver et de rendre (230); celle qui
tend à assurer Ie payement de complaisances coupables (231);
celle qui met fin aux discussions suscitées par une libéralité
adressée à une personne abso]ument incapable de recevoir (232),
celle qui tend à éteindre l'action en nullité. dirigée contre une
opération viciée pour atteinte à la réserve successorale (233),
et d'une manière plus générale toute transaction tendant à
écarter la nullité d'un acte illicite ou immoral (234).
Par contre, on peut indiscutablement transiger sur les actions
en nullité relative (C. civ., art. 2054) (235) à condition que la
transaction soit exempte du vice dont l'acte originaire était
atteint (236).

XI. Transaction sur une décision judiciaire définitive.


248. L'hypothèse envisagée ici est évidemment différente de
celle de l'article 2056 du Code civil, qui frappe de nullité pour
cause d'erreur, la transaction intervenue sur un procès terminé,
par une décision passée en force de chose jugée, dont les parties
ou l'une d'elles n'avaient point connaissance.
lei, au contraire, on suppose que les parties transigent, en
ayant une parfaite connaissance de l'existence du jugement
définitif qui met fin au litige parce que l'une d'elles estime,
par exemple, que Ie jugement a été trop favorable à sa cause

(229) BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1267.


(230) Cass. fr., 8 novembre 1892, Sirey, 1894, I, 500, et D. P., 1893, I, 93.
(231) Cass. fr., 18 décembre 1893, Sirey, 1895, I, 70.
(232) Cass. fr., 5 février 1895, D. P., 1895, I, 199, et 5 mars 1912, D. P., 1914,
J, 117.
(233) Cass. fr., 5 novembre 1867, D. P., 1868, I, 70.
(234) Paris, 3 décembre 1925, Gaz. du pal., 1926, I, 212.
(235) Dans ce sens, voy.: PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, op.cit., ibid.; Dalloz:
Encycl., op. cit., ibid.; quant à la renonciation à la nullité, du fait de l'exécution
volontaire de l'obligation, voy. notamment cass., 6 décembre 1950, avec les con-
clusions du rninistère public, Pas., 1957, I, 361, et cass., 5 juin 1964, Pas., 1964,
I, 1060.
(236) Voy. en plus des références citées sub note 235 ci-dessus, RENARD et Vrnu-
JEAN, « Nullité, inexistence et annulabilité en droit civil beige », in Ann. dr. Liège,
1963, p. 290 (texte et note 1 avec les références); voy. aussi arg. art. 1115 et 1311
du Code civil.
OBJET DE LA TRANSACTION 323

et qu'elle se croit par suite obligée moralement de sacrifier


une partie des avantages que Ie jugement consacre à son
profit (237).
Nous avons déjà montré (238), lorsque nous avons étudié
les éléments essentiels de Ja définition de la transaction, qu'une
telle convention répond difficilement à cette définition. Il s'agit
plutót d'une renonciation ou de l'exécution volontaire d'une
obligation naturelle, mais pas d'une transaction (239), puisque
Ie jugement a précisément mis fin au litige, que l'autorité de
la chose jugée s'oppose à une nouvelle discussion sur Ie fond
du droit et que les concessions émanent unilatéralement de la
partie qui bénéficie du jugement.

249. Cependant, cette solution apparemment logique et ration-


nelle ne suffit pas à expliquer l'existence des nombreuses conven-
tions qui interviennent après et sur Ja chose jugée, en parfaite
connaissance de cause, et auxquelles on reconnaît un caractère
transactionnel.
Il faut donc faire certaines distinctions :
a) Une véritable transaction peut intervenir à !'occasion de/et
sur les difficultés que fait naître l'exécution du jugement définitif.
Elle se conçoit d'abord à l'occasion des difficultés juridiques
qui surgissent au cours de la procédure, par exemple une ac"tion
en revendication ou une opposition au commandement. Dans
ce cas, il y a litige au fond et droit d'agir pour chacune des
parties puisque « Ie débiteur comme Ie créancier a Ie droit
d'être écouté de l'agent d'exécution ... et d'obtenir la modifica-
tion des mesures exécutoires » (240). Mais on aperçoit que ce
litige générateur de doute et ce droit d'agir qui rendent la
transaction possible ont un caractère nouveau et que, par consé-
quent, parties transigeront sur un autre procès et sur un autre
objet.

(237) BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 1251, p. 612.


(238) Voy. supra, n° 27 et t. II.
(239) LAURENT, t. XXVIII, n° 422; GUILLOUARD, op. cit., n° 158; Dalloz :
Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 20; DE PAGE, t. V, n° 520, note 1 et 2, p. 510;
BoYER, La notion de transadion (Paris, 1947), p. 127 et 128, 130 et 131; contra:
BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., ibid.; FROIMEsco, De l'erreur en matière de
transaction (thèse, Paris, 1923), p. 81; cass. fr., req., 12 novembre 1902, D. P.,
1902, 1, 566.
(240) CARNELUTTI, Processo di esecuzione, t. Jer, § 189, cité par L. BOYER,
op. cit., p. 129, note 1, in fine.
324 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

b) La transaction est également concevable suivant certains


sur les difficultés de fait auxquelles l'exécution peut donner lieu :
Ie créancier peut estimer favorable de renoncer à son droit
à l'exécution forcée afin d'obtenir, dans des conditions moins
aléatoires, un payement réduit mais certain (241).
c) En dehors de ces hypothèses, les plus fréquentes en prati-
que, il n'y aura pas transaction mais un autre acte juridique,
valable comme tel, puisqu'une remise en question de la vérité
judiciaire ne se conçoit pas lorsque Ie jugement est devenu
définitif et que le droit ct'agir des parties a, de ce fait, disparu
en même temps que la controverse sur le fond du droit sub-
stantie!.
XII. Transaction sur l'action publique
et l'action civile résultant d'une infraction.

A. - PRINCIPES.

250. De l'article 2046 du Code civil, on déduit traditionnelle-


ment (242), tout à la fois, le principe de l'indisponibilité de
l'action publique et c0lui de la disponibilité transactionnelle
de l'action civile née d'une infraction.
Cette déduction s'impose d'évidence : l'ordre public est inté-
ressé à la répression des infractions, et la renonciation à leur
sanction par la mise en amvre de l'action publique ne se conçoit
pas, du moins en principe (243). Par contre, l'action civile de
la victime ne sanctionnc que l'atteintc à des droits et intérêts
privés : elle peut donc être prévenue ou éteinte par des conces-
sions réciproques.

B. - EXCEPTION : TRANSACTION EN MATIÈRE PÉNALE.

251. 1° La procédure dite << transactionnelle » en matière


pénale ne relève que d'assez loin de l'objet de eet ouvrage,
consacré à la transaction en droit civil.

(241) L. BoYER, op. cit., p. 30 et 32 qui cite cass., req., 12 novembre 1902,
précité.
(242) GurLLOUARD, n° 64; BAUDRY-LACANTINERIE et W AHL, n° 1262, p. 620;
Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, par L. BOYER, n° 85; DE PAGE, t. V,
n° 497, 11°, p. 485; Rép. prat. dr. belge, v 0 Action publique, n° 54.
(243) Voy. cependant les exceptions en matière pénale et fiscale : infra, n°• 251
et s. et n°• 268 et s.
OBJET DE LA TRANSACTION 325

Nous ne traiterons donc de ce sujet que sommairement, en


priant Ie lecteur de se reporter aux ouvrages et études spécialisés
de procédure et de droit pénal (244).
252. 2° La transaction pénale, qui a été introduite dans la
législation belge par un arrêté royal du 10 janvier 1935, n'a
jamais été définie par un texte légal ou réglementaire.
Bien plus, si le mot « transaction » a été utilisé dans Je rapport
au Roi préoédant l'arrêté royal du 10 janvier 1935, il n'a que
très rarement été employé dans les textes (245). Néanmoins,
dès cette époque, l'expression << transaction » s'impose dans la
pratique.
Il faut remarquer ici que, si les juristes belges d'expression
française parlent de « procédure transactionnelle » ou de « répres-
sion atténuée », la même notion est désignée différemment à
l'étranger et dans la terminologie néerlandaise : celle-ci préfère
parler de « minnelijke schikking » plutót que de « dading » ou
de « transactie », afin d'éviter toute confusion avec la transaction
de droit civil (246). Le droit français connaît « l'oblation volon-
taire» ou « !'amende de composition >>; on parle de « Straf-
befehl » ou de « Strafverfügung >> en Allemagne, de « jugement
par décret pénal » en !talie et « d'amende forfaitaire» ou de
« mandat de soumission » dans certaines lois cantonales suisses.
Ces variations et incertitudes terminologiques (247), alors
qu'en réalité il s'agit cependant de désigner, dans les grandes
lignes, une même notion, font déjà apparaître que l'on ne se
trouve pas en présence d'une véritable transaction, mais d'un
élément particulier de la procédure pénale.

253. 3° En droit beige, la transaction pénale est généralement


dé,finie comme étant un mode d'extinction de l'action publique,

(244) On consultera, en Belgique, outre les ouvrages généraux de droit pénal,


les études de : P. DE CANT, « La procédure transactionnelle en droit pénal belge »
(in Rev. int. dr. pén., 1962, p. 423); TH. VERSÉE, v 0 Minnelijke schikking
(in A. P. R.); HALLEUX, « La transaction introduite dans Ie droit pénal » (Ann.
dr. sc. polit., 1939, p. 69 et s.) et A. FETTWErs, « Procédure sommaire en matière
répressive. Transaction sur l'action publique ou condamnation sans débats? •
(Ann. dr. Liège, 1958, p. 341 ets.). Voyez aussi l'étude récente faite par MARCHAL
et JASPAR dans Droit criminel. - Traité théorique et pratique, 1965, t. II,
n °• 2926 et s.
(245) Voy. cependant l'arrêté-loi du 22 janvier 1945, art. 11, § 1 er, 5°, al. 3.
(246) TH. VERSÉE, op. cit., n°• 2 à 5, p. 11 et 12.
(247) Sur les raisons de ces hésitations de terminologie, voy. L. CoRNIL, « Pro-
pos sur Ie droit criminel », in Rev. dr. pén., 1946-1947, p. 25, et Journ. trib., 1946,
413.
326 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

qui se réalise par Je payement d'une somme d'argent dont le


montant est fixé par le ministère public (248).
La définition qu'en donne M. Jean Graven (249), tout en étant
fort générale, nous paraît rendre compte, très heureusement,
du hut de l'institution :
« c'est une procédure accélérée qui fait l'économie des débats
dans les affaires qui ne les exigent pas abso]ument » (250).
La première définition met !'accent sur le moyen mis en ceuvre,
Ja seconde sur le hut à atteindre eu égard à « l'affiux croissant
des petites infractions ... des cas-bagatelles ... » (251).
Il faut donc les combiner, tout en soulignant Ja nature parti-
cuJière de la transaction de droit pénal.
CeJle-ci est, à nos yeux, une procédure non juridictionnelle
accélérée, institution de droit public étrangère au droit civiJ (252),
qui, faisant l'économie des débats dans les affaires quine l'exigent
pas absoJument, éteint l'action pubJique par le payement d'une
somme d'argent proposée par Ie ministère public.

254. 4° Les diverses conditions d'application de la procédure


transactionneJle, en droit pénal belge, sont énoncées par les
articles 166, 167 et 168 du Code d'instruction criminelle en ce
qui concerne les infractions qui sont de la compétence de !'offi-
cier du ministère public près Ie tribunal de police, et par Jes
articles 180 et 180bis du même code, en ce qui concerne les
infractions qui sont de la compétence du procureur du roi.
De plus, les articles 169 et 180ter du Code d'instruction crimi-
nelle accordent Ja faculté d'user de la procédure transactionneJJe
aux officiers du ministère public près les juridictions mili-
taires (253) et au procureur général près la Cour d'appel pour
les personnes bénéficiant d'un priviJège de juridiction.

(248) Voy. notamment DE PAGE, t. V, n° 497, 11°; P. DE CANT, op.cit., p. 423;


Rép. prat. dr. belge, v 0 Procédure pénale, n° 231.
(249) « Préface à }'enquête internationale sur la condamnation sans débats »,
in Rev. int. dr. pén., 1962, p. 389,
(250) On verra, quant à l'efficacité pratique du procédé, la statistique publiée
par A. FETTWEIS, op. cit., p. 349 et 350.
(251) J. GRAVEN, op. cit., ibid.
(252) Cette partie de la définition est empruntée à }'arrêt de la Cour d'appel
de Bruxelles du 23 décembre 1953, Pas., 1955, II, 106, et Rev. dr. pén., 1953-
1954, p. 684 (annoté).
(253) Voy. la loi du 7 juin 1949 et aussi celle du 19 septembre 1945 commentée
au Journ. trib., 1946, p. 4, par A. DETRISCHE.
OBJET DE LA TRANSACTION 327

Ces dispositions énoncent, dans !'ensemble, les mêmes règles.


On peut les réduire à sept conditions d'application, ou mieux
à sept conditions d'applicabilité, puisque le recours à la procédure
transactionnelle n'est qu'une faculté pour Je ministère public,
et non une obligation (254).
Remarquons cependant, avant d'énumérer les conditions
légales, qu'il convient d'y ajouter deux conditions supplémen-
taires procédant de l'intention certaine du législateur et qui con-
stituent, en quelque sorte, des préalables implicites. Il faut en effet :
l O que l'infraction soit établie (255) ;
2° que les exigences de l'ordre social n'imposent pas la com-
parution du prévenu devant le tribunal (256).
255. Lorsqu'il a été satisfait à ces préalables les conditions
suivantes doivent encore être réunies :
a) Il faut que l'infraction pour laquelle une proposition
transactionnelle est envisagée soit de la compétence de l'organe
du ministère public qui se propose d'user de cette procédure.
Cette exigence concerne les compétences territoriale, matérielle
et personnelle.
b) Il faut que l'infraction ne soit punissable que d'une amende
ou d'un emprisonnement dont Ie maximum ne dépasse pas
un mais, ou de l'une et l'autre de ces peines.
Toutefois Ie maximum de l'emprisonnement dont l'infraction
peut être punissable est porté à trais mais, voire à six mais
en matière de coups et blessures involontaires (C. pén., art. 418
et 420), si, antérieurement à l'infraction susceptible de faire
l'objet de la procédure transactionnelle, Ie délinquant n'a jamais
été condamné à une peine criminelle ou à une peine non condi-
tionne]]e d'emprisonnement correctionnel.
c) Au cas ou l'infraction a causé un dommage à autrui, il faut
que ce dommage ait été définitivement réparé, faute de quoi
l'action publique ne peut être éteinte par transaction (257).
d) Il faut que l'organe du ministère public estime ne devoir

(254) F. DuMON : déclaration à l'assemblée du 24 octobre 1953 de l'Union


beige et luxembourgeoise de droit pénal, rapportée à la Rev. dr.' pén., 1953-1954,
p. 271; R. VAN ROYE, « Le Code de la circulation », p. 1018, n° 2021.
(255) Voy. pour plus de détails à ce sujet : TH. VERBÉE, op. cit., n°• 65 à 68.
(256) Voy. P. DE CANT, op. cit., p. 435, et TH. VERSÉE, op. cit., n°• 69 et s.
(257) Loi du 7 juin 1949; voy. corr. Anvers, 27 février 1957, Journ. trib., 1957,
p. 736, et Gand, 8 décembre 1962, R. W., 1963-1964, col. 721.
328 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

requerir qu'une amende, ou une amende et la confiscation,


et qu'il puisse légalement ne requérir que ces peines.
e) Il faut que Ie tribunal n'ait pas déjà été saisi par une
citation ou un avertissement, et que Je juge d'instruction n'ait
pas été requis d'instruire.
f) Le montant de la somme que Ie délinquant est invité
à payer à titre transactionnel ne peut être supérieur au maximum
de l'amende légale majorée des décimes additionnels et ne peut
être inférieur à 100 francs.
g) Le délai dans lequel la somme proposée doit être payée
ne peut être inférieur à huit jours ni supérieur à six mois pour
les infractions qui constituent des délits (art. 166, al. 1er, in fine), ce
délai étant réduit à trois mois au maximum pour les contraventions.
Mais des circonstances exceptionnelles autorisent que le délai
soit porté à douze mois au maximum lorsqu'il s'agit d'un délit
(C. instr. crim., art. 166, al. 1er, in fine, et art. 180, al. 3).

256. 5° Le champ d'application de la transaction pénale en


droit beige est simple à déterminer : il suffit de s'en référer
à la deuxième et à la troisième condition ci-dessus pour en
connaître les limites.
11 existe donc, dans notre législation, une règle générale qui
permet de déterminer immédiatement Ie champ d'application
de la procédure transactionnelle, sans devoir recourir, comme
en droit pénal français (258), à une multitude de dispositions
particulières (259) et disparates.
Cette règle a d'ailleurs sensiblement évolué depuis 1935, géné-
ralement dans Ie sens de l' élargissement du champ de la procé-
dure transactionnelle (260).

(258) Voy. R. LEGEAIS, « L'oblation volontaire et !'amende de composition,


ou les procédures sans débats en droit pénal français », in Rev. int. dr. pén., 1962,
p. 453 et s., et un début d'énumération in Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transac-
tion, par L. BOYER, n° 86.
(259) Remarquons cependant ici que certains textes de droit belge consacrent
et organisent Ie droit de transiger dans des conditions spéciales : voy. par exemple
l'article 11 de l'arrêté-loi du 22 janvier 1945 relatif à la répression des infractions
à la réglementation relative à l'approvisionnement du pays, toujours en vigueur,
et l'article 33 de la loi du 26 décembre 1956 sur Ie service des postes, qui donne à
l'administration des postes un pouvoir de transiger que !'on rapproche de celui
qui existe au profit de l'administration des douanes et accises.
(260) Voy. l'arrêté royal du 10 janvier 1935 (art. 4), l'arrêté royal du 21 juin
1939 abrogé en partie par la loi du 16 juin 1947, la loi du 7 juin 1949 et celle du
30 décembre 1957.
OBJET DE LA TRANSACTION 329

La loi du 30 décembre 1957 est Ie terme actuel de cette évoiu-


tion : elle permet Ie recours à Ia transaction pénale dans les cas
d'infractions prévues par les articles 418 et 420 du Code pénaI,
cette nouvelle Ioi devant spécialement s'appiiquer au domaine
des accidents de roulage avec blessures. Remarquons à ce propos
qu'en Iimitant aux articles 418 et 420 du Code pénal l'extension
de Ia procédure transactionnelle, Ie Iégislateur a formellement
exclu de son champ d'application le cas de l'homicide involon-
taire prévu par I'article 419.
Au stade actuel de l'évolution, il est donc permis de dire
qu'entre dans le champ d'application de Ja procédure transaction-
nelle toute infraction punissabie d'une amende ou d'un empri-
sonnement dont Ie maximum ne dépasse pas un mois, ou de l'une
et l'autre de ces peines, à condition que Ie fait n'ait pas causé
à autrui un dommage non définitivement indemnisé ; mais que,
par exception, le maximum de Ia peine d'emprisonnement est
porté à trois mois si Ie délinquant n'a jamais été condamné
à une peine criminelle ou à une peine non conditionnelle d'empri-
sonnement correctionnel et même à six mois s'il s'agit d'infrac-
tions prévues par les articles 418 et 420 du Code pénal.
Ainsi, maigré l'extension constante du champ d'application
de Ia procédure transactionnelle, on constate que Ie législateur
n'a pas voulu dépasser certaines limites, mais qu'en pratique
cette procédure permet de réprimer une multitude de con-
traventions et de délits à caractère relativement peu impor-
tant.

257. 6° L'effet essentiel de la transaction pénale est I'extinction


de l'action publique.
En droit français, cette conséquence s'explique par la règle
non bis in idem, puisque, par la procédure transactionnelle,
l'infraction est établie comme par un jugement, et que Je paye-
ment de Ja som.me prévue est considéré comme l'exécution
d'une peine (261).
Cette explication ne peut être retenue en droit belge, ou Ja
transaction est un élément particulier, une institution sui generis
de la procédure pénale.
L'extinction de l'action publique est donc l'effet spéci-

(261) R. LEGEAIS, op. cit., p. 464.


330 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

fique (262) et, en même temps, l'un des buts essentiels de cette
institution.
Bien que cette conséquence ne soit pas explicitement affirmée
dans Jes textes, e1le a, sans doute possible, été voulue par leurs
auteurs. Cela ressort du rapport au Roi précédant l'arrêté royal
du 10 janvier 1935 (263), qui révèle !'analogie existant entre Ie
système nouveau et celui de l'article 74 du Code pénal néerlan-
dais, suivant lequel « ••. l'action publique ... s'éteint par Ie paye-
ment volontaire du maximum de l'amende ».
Mais l'effet extinctif ne se produit que si la somme proposée
est payée dans Ie délai fixé par la proposition (264); par contre,
il importe peu que Ie destinataire ne soit pas averti dans ce délai
du payement fait en temps utile (265).
L'effet extinctif est absolu, et la transaction acceptée et
exécutée n'est susceptible d'aucun recours, ni au pénal ni,
a fortiori, au civil (266). Mais elle n'empêche évidemment que
l'action publique fondée sur un fait identique à celui qui est
visé par la proposition transactionnelle (267).

258. Quid si une transaction est acceptée et exécutée, mai~


qu'il s'avère qu'elle fut proposée en violation des conditions
légales, par exemple alors que la victime de l'infraction n'était
pas indemnisée ?
Question importante, singulièrement depuis l'extension au
délit de coups et blessures involontaires de la procédure transac-
tionnelle.
Les opinions divergent :
a) certains refusent au ministère public la possibilité de faire
revivre l'action publique (268), parce que la transaction acceptée
et exécutée a un caractère absolu et définitif, et que ce serait

(262) Comm. Bruges, 15 octobre 1959, R. W., 1961-1962, col. 756; Bull. ass.,
1962, p. 669, obs. R.V.G.; DE PAGE, t. V, n° 497; DE CANT, op.cit., p. 423 ets.;
Rép. prat. dr. beige, v 0 Procédure pénale, n° 231.
(263) Pasin., 1935, p. 5.
(264) Cass., 31 octobre 1939, Pas., 1939, 1, 451 ; corr. llfarche-en-Famenne,
15 mai 1959, Jur. Liège, 1959-1960, p. 35.
(265) Pol. Lokeren, 8 janvier 1937, J. J. P., 1937, p. 241; pol. Courtrai, 6 mai
1938, R. W., 1938-1939, 399.
(266) Bruxelles, 23 décembre 1953, Pas., 1955, II, 107.
(267) Cass., 2 mai 1950, Pas., 1950, I, 609.
(268) VAN RoYE, op. cit., n° 2031; pol. Gand, 13 mars 1962, R. W., 1962-
1963, col. 609.
OBJET DE LA TRANSACTION 331

compromettre les droits de la défense de poursuivre celui qui,


ayant transigé en parfaite bonne foi, peut ne plus être en mesure
de réunir les éléments nécessaires à son acquittement (269).
b) d'autres, se fondant notamment sur les termes très expli-
cites du rapport au Roi précédant J'arrêté royal du 10 jan-
vier 1935 (270) estiment que le droit de poursuite reste entier,
sauf à restituer ce qui a été payé en exécution de la transac-
tion (271).
Outre ]'argument tiré de la volonté des auteurs de J'arrêté
royal de 1939, nous croyons que ce qui est nul, et de nullité
évidemment absolue, puisque Jes conditions de la Joi sont d'ordre
public (272), ne peut produire aucun effet juridique : c'est là
un principe général du droit, et la transaction pénaJe - même
considérée comme une institution de droit public étrangère au
droit civiJ - ne peut y échapper.

259. 7° Nous venons d'étudier sommairement la transaction


pénale dans ses aspects positifs : sa définition, ses conditions
d'applicabilité, ses limites et ses effets.
Il faut aussi la considérer dans ses aspects négatifs et dire
ce qu'elle n'est pas.
a) La transaction pénale est une institution de droit public,
étrangère au droit civil.
Il faut revenir à ce caractère et souligner que la transaction
pénale ne saurait être confondue avec une convention de droit
civil, qu'elle soit quaJifiée de transaction ou autrement.
Nous croyons qu'il est inexact de dire, après avoir écarté
la notion de transaction au sens de l'article 2044 du Code civil,
que « Ja procédure transactionnelle suppose le consentement
réciproque des parties, un accord qui se réalise sur la base de
concessions réciproques dont la nature et les Jimites sont définies
par la loi » (273). Dans cette conception, Ie parquet << renonce

(269) VAN RoYE, op. cil., ibid.


(270) Pasin., 1935, p. 6, col. 2.
(271) Gand, 4 mars 1954, cité par VERSÉE, op. cit., p. 71; corr. Anvers, 27 fé.
vrier 1957, Journ. trib., 1957, p. 736, et Gand, 8 décembre 1962, R. W., 1963-
1964, col. 721, obs. V.R.C.
(272) Cass., 31 octobre 1939, Pas., 1939, I, 451.
(273) A. FETTWEIS, op.cit., p. 356; dans le sens de l'application des articles 2044
et 1134 du Code civil, voy. BRAAS, Précis de procédure pénale, t. Jer (éd. 1950),
n° 169.
332 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

à requenr une condamnation pénale véritable et se contente


d'imposer le payement d'une somme relativement modique ... )),
tandis qu'en « acceptant l'offre du magistrat, le délinquant
renonce de son cóté à la protection judiciaire ... ».
Plus exacte nous paraît être l'idée suivant laquelle la transac-
tion pénale, même si elle suppose un accord, échappe totalement
au domaine du droit civil et constitue une procédure sui generis
de droit public étrangère au droit civil (274), dans laquelle,
par conséquent, il est vain de rechercher l'existence des cc conces-
sions réciproques » caractéristiques de la transaction civile.
M. Versée a clairement mis en lumière que l'accord - ou
mieux, la collaboration - du délinquant n'est pas requis dans
Ie but de former un contrat au sens du droit civil, mais simple-
ment pour attester que la décision unilatérale du ministère
public n'a pu lui être imposée.
Il faut ajouter que Ie parquet, en proposant la procédure
transactionnelle, ne tend aucunement à faire une concession
au délinquant, mais essentiellement, à réaliser une simplification
des débats, l'économie procédurale étant le hut même de l'insti-
tution (275).
Sans se laisser entraîner sur Je terrain - inadéquat - des
concessions réciproques, on peut se demander cependant quelle
concession fait un délinquant qui, s'il se sait coupable, a l'avan-
tage de ne pas devoir comparaître devant la justice répressive
et paye une somme transactionnelle souvent inférieure au mon-
tant de la condamnation que Ie juge pourrait lui infliger !
Enfin, la transaction pénale se distingue fondamentalement
de la transaction civile en ce que celle-ci présuppose, dans le
chef des parties, un droit litigieux et douteux, alors que la transac-
tion pénale, au contraire, n'est permise au ministère public que
lorsqu'il n'y a aucun doute sur la culpabilité du délinquant,
c'est-à-dire sur la prétention de l'organe de la loi (voy. supra
n° 254, in fine). Celui-ci, s'il n'a pas la conviction de cette culpa-
bilité, doit, en effet, mettre en mouvement l'action publique.

(274) VERSÉE, op. cit., n°• 165 et s.; F. DuMON : déclaration à l'assemblée
du 24 octobre 1953 de l'Union beige et luxembourgeoise de droit pénal, rappor-
tée à la Rev. dr. pén., 1953-1954, p. 271; Bruxelles, 23 décembre 1953, Pas., 1955,
II, 107; R.V.G., note sous comm. Bruges, 15 octobre 1959, au Bull. ass., 1962,
p. 669.
(275) Voy. quant à ce but, les considérations de A. FETTWEIS, op. cit.,
p. 343 et s.
OBJET DE LA TRANSACTION 333

260. b) En droit beige, l'exécution de la transaction, qui ne


peut résulter de l'action publique puisqu'elle éteint cette der-
nière, ne constitue pas une peine.
Tout au plus peut-on y voir une peine en fait, mais non en
droit (276), Ie payement effectué ne pouvant être considéré
comme une condamnation (277) ni la somme versée comme une
amende.
Ainsi Ie système belge sauvegarde-t-il Ie principe constitu-
tionnel (278) suivant leguel seuls les tribunaux peuvent pro-
noncer des condamnations.
Il est donc erroné de <lire que dans la procédure transaction-
nelle, le ministère public est investi d'un véritable pouvoir
juridictionnel (279).
Tout démontre, au contraire, qu'il n'a jamais été dans les
intentions du législateur de doter Je parquet d'un tel
pouvoir (280).
De ce que la transaction péna]e exécutée ne constitue pas
une peine, mais seulement une sanction atténuée de nature
administrative (281), résultent les conséquences suivantes
les transactions ne peuvent servir de base à la récidive légale (282)
et ne peuvent donner lieu à une mesure de grace (283);
la transaction ne constitue pas, contre celui qui l'accepte, nne recon-
naissancc des faits et de la culpabilité (284);

(276) Comm. Bruges, 15 octobre 1959, R. W., 1961-1962, col. 756, et Bull.
ass., 1062, p. 660 et la note R.V.G.; R. HAYOIT DE TERMICOURT, « L'immunité
parlementaire ", Mercuriale prononcée à l'audience soJennelle de rentrée de Ja
Cour de cassation du 15 septembre 1955, Rev. dr. pén., 1955-1956, p. 293, et Journ.
frib., 1955, p. 616; VERSÉE, n° 5 125 et 170.
(277) P. DE CANT, op.cit., p. 441; R. HAYOIT DE TERMICOURT, op.cit., ibid.;
A. FETTWEIS, op. cit., p. 357; J. CONSTANT, Droit pénal, t. II (éd. 1959), n° 597.
(278) Voy. arg. art. 7, 73 et 94 de Ja Constitution : W. J, GANSHOF VAN DER
MEERSCH, Concl. précédant cass., 21 décembre 1956, Journ. trib., 1057, p. 49
(spécialement p. 55, col. 3); A. MAST, « Monopole juridictionneJ du pouvoir judi-
ciaire "• Journ. trib., 1946, p. 345.
(279) Bruxelles, 23 décembre 1953, Pas., 1955, II, 107.
(280) Voy. le rapport au Roi précédant l'arrêté royal du 10 janvier 1935 (Pas,in.,
1935, p. 6, col. 2), les travaux préparatoires de la loi du 7 juin 1949 (Ann. parlem.,
Sénat, session 1948-1949, séance du 18 mai 1949, p. 1525) et les commentaires de
l'annotateur de !'arrêt de la Cour de Bruxelles du 23 décembre 1953, in Rev. dr.
pén., 1953-1954, p. 689.
(281) L'expression est de FETTWEIS, op. cit., p. 357; dans Ie même sens, note
A.V.G. au Bull. ass., 1962, p. 669.
(282) J. CONSTANT, Droit pénal, n° 730; VERSÉE, op. cit., n° 132; FETTWEIS,
op. cit., p. 357 ; solution différente en droit français : voy. R. LEGEAIS, op. cit.,
p. 464.
(283) TH. VERSÉE, op. cit., n° 131, p. 68.
(284) BRAAS, Précis de procédure pénale, éd. 1950, t. Ier, n° l 70bis; VERSÉE,
334 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

les transactions ne sont pas inscrites au casier judiciaire central, mais


seulement aux bulletins de renseignements dressés par les communes (285) ;
la transaction ne peut faire obstacle à la réhabilitation (286) ;
par identité de motifs, nous crayons que la proposition de transaction
ne peut être considérée comme un acte de poursuite interruptif de la
prescription, puisque toute la procédure transactionnelle tend précisé-
ment à l'extinction de l'action publique, et que la proposition ne peut
plus être faite valablement dès que les poursuites sont intentées (287).
L'opinion contraire a cependant été défendue, singulièrement en
jurisprudence (288).

261. Il faut dorre conclure de ce qui précède que les exceptions


au principe de l'indisponibilité de l'action publique, consacrées
par les textes depuis 1935, n'ont pas eu pour effet d'engendrer
de véritables transactions, mais seulement une institution sui
generis de la procédure pénale, étrangère au domaine des trans-
actions de droit civil dont traite eet ouvrage.

0. - TRANSACTION SUR L'ACTION CIVILE.

262. En énonçant que l'on peut transiger sur l'intérêt civil


qui résulte d'un délit, l'article 2046, alinéa 1er, du Code civil
proclame évidemment une règle générale qui vaut quelle que
soit la catégorie à laquelle l'infraction se rattache (crime, délit,
contravention) (289).
Il est permis de transiger sur toutes les conséquences civiles
de l'infraction, mais la transaction n'est possible qu'entre son
ou ses auteurs et la victime. L'article 2046, alinéa 1er, n'a pas
en vue, en effet, un accord entre auteur et coauteurs ou com-
plices du délit, soit pour liquider entre eux les conséquences
de l'infraction, soit pour en partager les bénéfices. Un tel accord

op.cit., n° 126, p. 66; R. VAN RoYE, op.cit., n° 2034; FETTWEIS, op.cit., p. 357;
J. de P. Anvers, 10 juillet 1952, R. W., 1952-1953, col. 1162.
(285) Voy. Ja critique de ce système dans R. VAN ROYE, op. cit., n° 2034, et
TH. VERSÉE, op. cit., n° 129.
(286) J. CONSTANT, op. cit., n° 944, p. 1163; Rép. prat. dr. belge, v 0 Réhabili-
tation, n° 13.
(287) R. HAYOIT DE TER~UCOURT, op. cit., ibid.; BRAAS, op. cit., n° 170; VER-
SÉE, op. cit., n° 119; R.V.G., note sous comm. Bruges, 15 octobre 1959, Bull. ass.,
1962, p. 669.
(288) Pol. Bruges, 22 avril 1936, R. W., 1936-1937, 649; corr. Verviers, 9 jan-
vier 1948, Pas., 1948, III, 11, et 8 juin 1953, Jur. Liège, 1953-1954, p. 12, déci-
sions approuvées par R. VAN RoYE, op. cit., n° 2033.
(289) BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1263; GUILLOUARD, op.
cit., n° 64.
OBJET DE LA TRANSACTION 335

serait radicalement nul, la cause et I'objet étant illicites (290).


Cela va de soi.
En ce qui concerne les intérêts privés qui relèvent de l'action
civile, la transaction acquiert, entre parties, Ja force contrac-
tuelle de la chose jugée. El1e épuise donc les droits de la partie
lésée et l'empêche soit de se constituer partie civile devant Ie
juge répressif (291), soit de citer directement Ie responsable
devant Je tribunal.
Par contre, la transaction est sans incidence sur l'action
publique (292).
C'est cette indépendance entre les deux actions - fondamen-
talement différentes (293) - que proclament l'article 2046,
alinéa 2, du Code civil et l'article 5 de la loi du 17 avril 1878
contenant Ie titre préliminaire du Code d'instruction criminelle.
S'il est vrai que Ja transaction sur l'action civi]e n'empêche
pas Ja poursuite du ministère public (C. civ., art. 2046, al. 2),
elle ne ]'aide cependant en aucune façon : la transaction n'im-
plique pas aveu de Ja cu]pabilité pénale (294) mais simp]ement
reconnaissance de l'imputabilité civile d'un fait dommageable,
puisque aussi bien ce n'est pas le délit que la transaction a pour
objet.
Il en résulte que, nonobstant celle-ci, l'acquittement reste
possible (295).
Et s'il survient, i] n'en]ève pas sa validité à la transaction,
qui n'est privée ni de cause ni d'objet (296) ; elle est, tout au

(290) Cass. fr., req., 7 novembre 1865, D., 1866, I, 204; Paris, 3 décembre
1025, Gaz. du pal., 1926, I, 212, confirmant civ. Seine, 26 décembre 1924, Gaz.
du pal., 1925, II, 378.
(291) PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1577; DE PAGE, t. V, n° 497,
II, p. 485; Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, par L. BOYER, n° 84; LES NO-
VELLES, Procédure pénale, t. I•r, 1, « L'action publique et civile », n° 524; Anvers,
24 janvier 1908, Pand. pér., 1909, 884; Bruxelles, 13 janvier 1934, Rei,. gén. ass.
et resp., 1934, 1431; comp. : corr. Anvers, 13 juin 1934, R. W., 1933-1934, 843.
(292) Voy. cependant infra, n° 263.
(293) DE PAGE, op. cit., ibid.; LAURENT, t. XXVIII, n° 354, p. 353.
(294) BIGOT-PRÉAMENEU, « Exposé des motifs » (LOCRÉ, t. VII, p. 459); LES
NOVELLES, op. cit., ibid.; DE PAGE, op. cit., ibid.; Rép. prat. dr. beige, v 0 Action
civile, n° 346 (qui cite mal à propos cass., 4 mars 1929, Pas., 1929, I, 117); LAU-
RENT, t. XXVIII, n° 354.
(295) MAZEAUD et TuNc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile
délictuelle et contractuelle, t. III (5• éd.), n° 2116.
(296) MAZEAUD et TUNC, op. cit., ibid.; PIRSON et DE VILLÉ, Traité de la res-
ponsabilité civile extra-contractuelle, t. II (éd. 1935), n° 279 avec les références
p. 117, note 1; Rép. prat. dr. beige, v 0 Action civile, n° 349; LES NOVELLES, op.
cit., n° 524.
336 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

plus, entachée d'une erreur de droit qui n'autorise cependant


pas la nullité (297) (C. civ., art. 2052, al. 2).
C'est ce que Denisart exprimait déjà en disant que« Ia transac-
tion est exécutée quel que soit l'événement du procès » (298).
En effet, Ie cotransigeant a pu transiger parce qu'il estimait
sa responsabilité civile peu discutable, indépendamment de savoir
si telle infraction, strictement définie, pouvait ou non lui être
reprochée.
Il a pu aussi agir par crainte (timor litis) quant à I'étendue
des condamnations civiles futures (299).
L'engagement pris par l'inculpé a une cause et un objet,
puisque, en échange de son sacrifice, la victime abandonne ses
chances de succès (300).
Il en sera de même, par identité de motifs, si, au lieu d'acquit-
ter, Je tribunal, statuant sur les intérêts civils, opère un partage
des responsabilités plus favorable à l'inculpé que !'arrangement
transactionnel intervenu (301).

263. Nous avons vu, au numéro précédent, que la transaction


sur l'action civile est possible quelle que soit la nature de l'in-
fraction, et qu'elle est sans incidence sur l'action publique.
On peut se demander si ces principes constants ne doivent
pas être nuancés lorsqu'il s'agit d'infractions pour lesquelles
l'action publique ne peut être mise en mouvement que par la plainte
de la victime.
1° La première question qui se pose est de savoir si, dans
ce cas (302), la transaction n'est pas, en soi, entachée d'un hut

(297) Trib. Bruxelles, 5 juillet 1945, Rev. gén. ass. et resp., 1946, 3956 ; comm.
Verviers, 9 mars 1934, Pas., 1934, III, 141; J. de P. Liège (1 er cant.), 2 décembre
1927, J. J. P., 1928, 381; J. de P. Soignies, 26 janvier 1956, Bull. ass., 1956,
p. 57, obs.; J. de P. Beeringen, 29 janvier 1954, J. J. P., 1955, 358; contra: Tou-
louse, 9 novembre 1959, Sirey, 1960, Jur., 80 avec la note critique F.L.; décision
également Cl'itiquée par MM. MAZEAUD, Rev. trim. dr. civ., 1960, p. 481.
(298) V 0 Repar. civ., n° 18, cité par MAZEAUD et TUNC, op. cit., n° 2110, note 2,
p. 230.
(299) DE PAGE, op. cit., iMd.
(300) MAZEAUD et TUNC, op. cit., n° 2110.
(301) MAZEAUD et TuNc, op. cit., ibid., et note 5; cass. fr., reg., 31 mars 1931,
D. H., 1931, p. 250.
(302) Sur une hypothèse voisine - celle d'un engagement emportant obliga-
tion de réparer l'intégralité du préjudice afin d 'obtenir un retrait de la plain te
dénonçant une infraction poursuivie d'office, voy. : PmsoN et DE VILLÉ, op.
cit., n° 278, p. 115 ets.; L. et M. MAZEAUD, op. cit. (4• éd.), n° 2115; camp. ibid.,
5• édition, par MAZEAUD et TUNC.
OBJET DE LA TRANSACTION 337

ou d'une cause illicite, en ce qu'elle équivaudrait à un marchan-


dage destiné à entraver l'exercice de l'action publique.
C'est l'enseignement de MM. Mazeaud (303) qui considèrent
que la victime bat monnaie avec son droit d'obtenir une condam-
nation pénale, et que la transaction a une cause illicite.
Remarquons immédiatement que la question ne se pose plus
actuellement en France, puisque l'article 2, alinéa 2, du Code
de procédure pénale, qui a remplacé l'artic]e 4 du Code de 1808,
énonce que Ia renonciation à l'action civile peut arrêter ou
suspendre l'action publique dans les cas ou la plainte est une
condition nécessaire de la poursuite. Il en résulte qu'une telle
renonciation est licite comme ]'est également la transaction,
qui est, notamment, une renonciation réciproque au droit
d'agir (304).
Par contre, en Belgique, la discussion peut encore se concevoir
puisque l'article 5 du titre préliminaire du Code d'instruction
criminelle, à l'instar de l'article 4 du Code français d'instruction
criminelle de 1808, ne distingue pas entre les infractions lorsqu'il
énonce que « la renonciation à l'action civile n'arrête pas les
poursuites ».
Nous croyons que la solution de MM. Mazeaud est trop rigou-
reuse, et qu'il s'impose au juge du fond de rechercher, dans
chaque cas, s'il existe effectivement des manoouvres caractérisées
révélatrices de la seule intention d'entraver l'action publique.
Autrement dit, il faut rechercher si, par les concessions qu'il
obtient de la partie lésée, !'auteur de l'infraction gagne quelque
chose sur Ie terrain des conséquences civiles de l'infraction
et ne se borne pas à accepter, à eet égard, la solution la plus
défavorable dans Ie seul hut de n'être pas poursuivi. Un tel
dessein peut se concevoir mais il faut en établir et non en pré-
sumer l'existence réelle. Telle était, semble-t-il, l'opinion de la
Cour de cassation de France avant l'abrogation de l'article 4
du Code d'instruction criminelle (305). Telle peut être aussi la
solution en droit belge, de lege lata (306).

(303) Op. cit. ( 4• éd.), ibid.


(304) MAZEAUD et TUNC, op. cit., n°• 2114, note 3, et 2115; voy. aussi Ie rapport
Combaldieu précédant cass. fr., crim., 28 octobre 1965, Dalloz-Sirey, 1965, p. 803
et s. (spécialement p. 806).
(305) Cass. fr., req., 31 mars 1931, D. H., 1931, p. 250.
(306) De lege ferenda, la solution française actuelle paraît préférable.
DE GAVRE, Oontrat de transaction. - 22
338 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

2° Si la transaction sur les conséquences civiles de l'infraction


intervient avant Je dépöt de la plainte, fait-elle obstacle à la
mise en mouvement de l'action publique par Ie dépöt ultérieur
de cette plainte ?
La question ne paraît pas avoir été résolue.
Nous croyons qu'on arrive à la solution en ordonnant Ie
raisonnement sur Ie principe fondamental de l'indépendance des
actions publique et civile et sur la distinction entre partie
plaignante et partie civile (C. instr. crim., art. 66).
Il est certain, en effet, que la victime de l'infraction qui a
obtenu transactionnellement la réparation des suites civiles
de celle-ci perd la qualité de partie lésée ; sa constitution de
partie civile est donc désormais impossible.
Mais cette circonstance ne l'empêche pas nécessairement
d'avoir encore un intérêt à la répression, intérêt que la partie
lésée ou offensée (307) peut faire valoir par Je dépöt d'une
simple plainte qui suffit à mettre l'action publique en mou-
vement.
Sans doute, Ie ministère public reste-t-il toujours juge de
l'opportunité des poursuites. Mais la transaction n'empêche pas
la victime - qui dans le cas des infractions qui nous occupent
ici, est la première à pouvoir apprécier dans quelle mesure la
lésion qui lui a été faite mérite une sanction cc sociale », - de
réclamer cette sanction à l'autorité qui a compétence pour la
mettre en oouvre.
Il suffit de songer au cas de la victime d'une calomnie : elle
peut estimer opportun, pour faire bref procès, de réduire transac-
tionnellement Ie montant de la réparation peut-être importante
qui lui est due, tout en considérant que les faits sont suffisamment
graves, socialement, pour justifier une action et une condamna-
tion répressives.
3° Si la transaction intervient après Ie dépöt de la plainte,

(307) On consultera, quant aux infractions qui demandent une plainte soit
de la partie lésée, soit de la partie offensée (adultère, calomnie, diffamation) soit
de certaines personnes légalement qualifiées (ex. : titulaire du droit de chasse;
loi du 28 février 1882, art. 4, 5, 26) l'énumération donnée par Ie Répertoire pra-
tique de droit belge (v 0 Action publique, n° 36).
On rappellera cependant que depuis la loi du 17 décembre 1963 (art. 2) qui a
modifié l'article 508bis du Code pénal, la grivèlerie est un délit qui peut être pour-
suivi d'office et pas seulement sur plainte de la partie lésée.
OBJET DE LA TRANSACTION 339

elle reste aussi sans incidence sur Je sort de l'action publique


mise en mouvement par ce dépöt.
L'article 5 du titre préliminaire du Code d'instruction crimi-
nelle ne distingue pas - nous l'avons vu - Ie cas des infractions
poursuivies seulement après plainte de la victime de celles qui
Ie sont d'office.
Par conséquent, il faut, dans notre système légal, que la
transaction au civil s'accompagne d'un désistement au pénal
pour que l'action publique puisse s'éteindre. Encore faut-il que
ce désistement intervienne avant tout acte de poursuite, sauf
en matière d'adultère et d'entretien de concubine ou Ie désiste-
ment met fin aux poursuites en tout état de cause (C. instr.
crim., art. 2) (308).
On soutient même (309) que, dans ce domaine, la transaction,
comme telle, éteint l'action publique. Cette conception qui, sur
Ie plan théorique, confond la transaction sur l'action civile et
Ie désistement au pénal, ne peut s'expliquer qu'en considérant
que la transaction fait présumer Ie désistement, celui-ci pouvant,
exceptionnellement, être implicite en matière d'adultère.
Il suffit donc que la transaction déclare expressément exclure
Ie désistement pour que l'exception à la règle générale dispa-
raisse; mais il est vrai qu'en pratique la transaction pure,
sur les seuls intérêts civils, se conçoit, ici, bien difficilement ...

264. On enseigne aussi que la transaction sur l'action civile


en matière de douanes et accises entraîne l'extinction de l'action
publique (310).
Il faut se garder d'une confusion: s'il est vrai que la transaction
consentie par l'administration sur l'action publique et l'action
civile met évidemment fin aux poursuites, puisque Ie ministère
public n'a pas, ici, un droit d'initiative, par contre la transaction
sur la seule action civile - c'est-à-dire l'action en payement
des droits éludés et des dommages et intérêts, prévue par
l'article 249 de la loi générale sur les douanes et accises - doit,

(308) Sur !'ensemble du système actuellernent en vigueur en France, voy.


cass., crim., 28 octobre 1965, Dalloz-Sirey, 1965, p. 803 avec Ie rapport du conseil-
ler Combaldieu.
(309) BRAAS, op.cit., n° 252, in fine, p. 202; voy. aussi en ce qui concerne l'effet
extinctif, sur l'action publique, de la renonciation à l'action civile : Rép. prat.
dr. belge, v 0 Action civile, n° 345.
(310) Rép. prat. dr. belge, v 0 Action civile, n° 346; MARCHAL et JASPAR, Droit
criminel (éd. 1965), t. II, n° 3004.
340 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

selon nous, rester sans incidence sur le sort de l'action pubJique,


parce qu'elle est totalement indépendante et distincte de celle-ci.
La Cour de cassation a, très nettement, affirmé cette indépen-
dance à plusieurs reprises, notamment dans le domaine des
délais de prescription (311).

265. La transaction sur les intérêts civils nés d'une infraction


emporte un effet novatoire (312) : une dette <léterminée dont
la cause est purement contractuelle remplace l'obligation délic-
tuelle indéterminée, accessoire de l'action publique.
Il en résulte - nous l'avons déjà dit - que la partie lésée
ne peut plus agir comme telle ni se constituer partie civile.
Il s'en déduit aussi que seuls les tribunaux civils ont compé-
tence pour statuer sur les différends que soulève la transac-
tion (313), et que c'est la prescription ordinaire en matière
civile qui régira l'action née du contrat intervenu, et non la
prescription abrégée de l'action civile ex delicto (314).

266. La transaction sur les conséquences civiles d'un délit


ne pos tule aucune forme spéciale.
Les règles communes à toutes les transactions sont appli-
cables (voy. ei-après, n° 8 290 et suiv.).
Il faut cependant rappeler ici la disposition de l'article 249
du Code de procédure civile relatif au faux incident civil.
« Aucune transact-ion sur la poursuite du faux incident ne pourra être
exécutée, si elle n'a été homologuée en justice, après avoir été communi-
quée au ministère public, lequel pourra faire, à ce sujet, telles réquisi-
tions qu'il jugera à propos.»

Ce texte exceptionnel et de stricte interprétation révèle un cas


de transaction judiciaire que nous traiterons comme tel, dans la
seconde partie de eet ouvrage.

(311) Voy. notamment cass., 19 janvier et 1 er février 1954, Pas., 1954, I, 446
et 482; 7 février 1955, Pas., 1955, I, 603; 30 avril 1962, Pas., 1962, I, 960; 18 mars
1965, Journ. trib., 1965, p. 365; voy. aussi Rép. prat. dr. beige, v 0 Douanes et
accises, n° 5 344, 361 et 362.
(312) R. 0. DALCQ, Traité de la responsabilité civile (LES NOVELLES, Droit
civil), t. Il, n° 3941; MAZEAUD et TUNC, op. cit., n° 2138, note Ibis; PIRSON et
DE VILLÉ, op. cit., n° 278, p. 115; cass. fr., civ., 17 mai 1901, D., 1902, I, 303.
(313) Bruxelles, 13 janvier 1934, Rev. gén. ass. et resp., 1934, 1431 ; PrnsoN
et DE V1LLÉ, op. cit., ibid.; LES NOVELLES, Procédure pénale, t. Jer, 1, op. cU.,
n° 528; voy. aussi sur les problèmes de compétence en général : G. GHEYSEN,
v 0 Dading, in A. P. R., n°• 63 et 64, ainsi que notre tome II.
(314) DALCQ, op. cit., ibid.; MAZEAUD et TUNC, op. cit., ibid.
OBJET DE LA TRANSACTION 341

Le principe de l'homologation et de l'intervention du ministère


public est maintenu par l'article 906 du Code judiciaire en projet.

267. Évoquons encore, très brièvement, une question qui a été


discutée au XIXe siècle en doctrine et en jurisprudence : est-il
permis de transiger sur les conséquences civiles d'un prêt usu-
raire (315)?
La discussion est née parce que le problème était mal posé :
il faut dire, appliquant I'article 2046, alinéa 2, que la transaction
sur les intérêts civils nés du délit d'usure est possible et licite
et qu'elle laisse intact le droit de poursuite du ministère public.
Mais elle ne peut, en aucun cas, avoir pour conséquence de donner
effets au contrat de prêt usuraire oude le maintenir dans l'avenir
parce qu'elle aurait alors un objet radicalement contraire à
l'ordre public et aux bonnes moours. Nous avons déjà vu qu'il
est impossible de transiger sur les actions en nullité absolue
et de donner effet par un pacte transactionnel à ce qui est radi-
calement nul (voy. supra, n° 247).
La transaction sera donc valable si elle reconnaît la nullité
du prêt et règle ensuite, par des concessions réciproques, la
question de Ja réduction des intérêts et des restitutions.
Telle paraît bien être !'opinion dominante (316), que renforce
le droit positif beige puisqu'il autorise le juge à réduire la charge
des intérêts excessifs et usuraires à la demande de la partie lésée
(C. pén., art. 494, renvoyant à C. civ., art. 1907ter).

XIII. Transaction en matière fiscale.

À. - PRINCIPE ET JUSTIFICATION.

268. L'interdiction de toute transaction en matière fiscale est


un principe reconnu par la doctrine et la jurisprudence, à de
rares exceptions près (317).

(315) Voy. l'exposé de la question et les références aux diverses opinions dans
BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1266, et PLANIOL, RIPERT et SAVA-
TIER, t. XI, n° 1581.
(316) PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, op. cit., ibid.; Dalloz: Encycl. dr. civil,
v 0 Transaction, par L. BOYER, n° 89.
(317) Voy. \VAHL, note sous cass. fr., 13 mars 1895, Sirey, 1895, I, 465; BAUDRY-
LACANTINERIE et WAHL, t. XXI, n° 1265, p. 621; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER,
t. XI, n° 1578.
342 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Ce principe se justifie par la règle de l'égalité de tous les


citoyens devant l'impót, affirmée par l'article 112 de la Consti-
tution (318) et, en outre, par Je caractère d'ordre public attaché
aux lois fiscales (319), qui font de l'impöt un objet indisponible.

1° Article 112 de la Constitution.

269. L'article 112 de la Constitution dispose :


« Il ne peut être établi de privi]ège en matière d'impöts.
» Nulle exemption ou modération d'impót ne peut être établie
que par une loi. »
Ce texte, proche encore « du temps des privilèges et des privi-
légiés, a entendu garantir l'égalité en exigeant, dans des termes
qui sont Ie fruit d'une volonté nettement exprimée du Consti-
tuant, l'intervention directe du législateur là ou il s'agit d'exemp-
tion ou de modération d'impöts » (320).
Quelque importants que soient les assouplissements et les
dérogations apportés à Ia règle constitutionnelle, en matière
d'impöts directs ou indirects (321), cette règle garde toute sa
vigueur, et Ie Conseil d'Etat l'a rappelé, à plusieurs reprises,
avec force et précision (322).
Tout au plus peut-on - si l'on ne place pas la question sur Ie
terrain de la perte d'autorité de la règle constitutionnelle -

(318) Voy. notamment DE PAGE, t. V, n° 497, 5°; E. SCHREUDER, Les impots


sur les revenus, p. 3 et 429 (n° 454bis); GENIN, Commentaire du Code des droits
d'enregistrement, de greffe et d'hypothèque, n°• 98 et 09; VAN Hou=E, Principes
de droit fiscal beige, n°• 46, 148 à 150; û=EN, « Les taxes assimilées au timbre »,
in LES NOVELLES, Droit fiscal, t. Jer, n° 1837, p. 351; FR. LOECKX, R. VAN DIO-
NANT et G. NEYENS, Eléments de la science des impóts, p. 289 et 290; A. TIBER-
GHIEN et E. RONSSE, Traité des impóts sur les revenus, n° 9, p. 17; C. VERBAET,
« Dwingend recht en transactierecht in fiscaal opzicht » (T. B., 1953, p. 15).
Quant au sens exact à donner au principe d'égalité devant l'impöt, voy. cass.,
30 mai 1961, Pas., 1961, I, 1048.
(319) A. TIBERGHIEN, Manuel de droit fiscal, t. Jcr, p. 25, n°• 50 et 51; A. TIBER•
GHIEN et E. RONSSE, op. cit., n°• 10 et 11; LOECKX, VAN DIONANT et NEYENS,
op. cit., p. 288; V. GoTHOT, Cours de droit fiscal, t. ier, p. 4; Rép. prat. dr. beige,
v 0 Enregistrement, n°• 11 et 13, et v 0 Droits de succession, n° 1145; GENIN, op.
cit., n°• 102 et 104; CLAEYS-BOUUAERT, De aanslag, p. 131, n° 204; C. VERBAET,
op. cit., p. 15 ; C. S., note sous cass., 15 mai 1952, in Rec. gén. enreg., n° 19.255.
(320) W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « L'impöt et la loi », in Hommage
à Victor Gothot (Ann. dr. Liège, 1962), p. 277 et 280; voy. aussi LoECKX, VAN
DIONANT et NEYENS, op. cit., p. 91.
(321) Voy. sur cette question la pénétrante étude de M. GANSHOF VAN DER
MEERSCH, précitée, spécialement p. 291 à 297.
(322) GANSHOF VAN DER MEERSCH, op.cit., p. 279; voy. aussi Anvers, 7 octo-
bre 1955, R. W., 1955-1956, 1293.
OBJET DE LA TRANSACTION 343

admettre, comme « moins heurtant n, Ie fait de faire bénéficier


la collectivité d'une exemption d'impöt décidée, par arrêté royal,
dans Ie seul souci de l'intérêt général (323).
C'est donc en se fondant sur une règle constitutionnelle très
ferme que Ja doctrine (324) déduit de l'alinéa 2 de l'article 112
que Ie Ministre des finances ne peut renoncer à un impöt légale-
ment dû, ni consentir à sa réduction, sauf si une loi l'y autorise.
L'article 112 défendant à l'administration d'accorder aucune
remise partielle ou totale d'impöt, celle-ci ne peut transiger,
à la fois parce qu'elle ne peut réaliser les << concessions réci-
proques n essentielles à l'existence de ce contrat, parce que
l'impöt est un objet indisponible et parce que fait aussi défaut
Ie pouvoir de disposer de l'objet du contrat (325). Il faut donc
en déduire qu'aucune transaction, au sens que le droit civil donne
à cette notion, n' est possible en matière fiscale.
Remarquons aussi que l'article 112, étant rédigé dans les
termes les plus généraux, s'applique aussi bien aux impöts
directs ou indirects au profit de l'Etat qu'à ceux levés par les
provinces et les communes (326).

2° Les lois d'impöt sont d'ordre public.

270. Le caractère d'ordre public de la législation fiscale,


destinée à régir des rapports entre l'Etat-souverain et les parti-
culiers considérés comme sujets, est aujourd'hui incontesté.
Il a été affirmé par un arrêt important de la Cour de cassation
de France du 13 mars 1895 (327) et répété en Belgique par
plusieurs arrêts récents de notre Cour de cassation. Celle-ci,
par son arrêt du 30 novembre 1950 (328), disait déjà que l'impöt
est un prélèvement pratiqué par voie d'autorité par l'Etat, les

(323) GANSHOF VAN DER MEERSCH, op. cit., p. 286, § 9.


(324) Voy. notamment: VAN HOUTTE, op.cit., n° 105; LOECKX, VAN DIONANT
et NEYENS, op. cit., p. 289 ; GENIN, op. cit., n° 99.
(325) Cass., 12 janvier 1903, Pas., 1903, I, 76. Wahl, rencontrant eet argument,
a tenté de distinguer (note citée p. 466) l'impöt comme tel, qui est inaliénable,
du produit de l'impöt, aliénable comme toute autre valeur dépendant du patri-
moine de l'Etat; distinction subtile mais peu convaincante si l'on veut bien avoir
égard à la destination de l'impöt et à son but.
(326) WIGNY, Droil constitutionnel, t. II, n° 652.
(327) Sirey, 1895, I, 465; voy. aussi cass. fr., 7 avril 1913 (Rec. gén. enreg" 1913,
n° 15.322, et Rev. prat. not., 1914, p. 378) et 16 mars 1938 (Rec. gén. enreg.,
n° 18.039 obs.).
(328) Pas., 1951, I, 191 avec la note W. G. qui passe en revue et critique plu-
sieurs définitions de l'impöt, données par la doctrine.
344: TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

provinces ou les communes, sur les ressources des personnes


qui vivent sur leur territoire ou y possèdent des intérêts, pour
être affecté aux services d'utilité générale (329).
On va plus loin aujourd'hui, puisqu'on enseigne (330) que
l'impöt n'est plus seulement Ie prélèvement ainsi défini et qu'il
a perdu son exclusive destination budgétaire, étant devenu,
essentiellement, un moyen de gouvernement et un agent de
redistribution des richesses et des ressources.
L'impöt fait donc apparaître la solidarité entre Je régime fiscal
et Ie système politique : on conçoit dès lors que, plus que jamais,
il soit d'ordre public (331) et hors commerce.
Il en résulte qu'aucune transaction valable et irrévocable ne
saurait intervenir, en matière d'impöt, entre l'Etat et les contri-
buables : l'article 6 du Code civil et Ie hut même de l'impöt
s'y opposent radicalement (332).
Cependant, suivant plusieurs auteurs (333), il faudrait distin-
guer les transactions qui ont pour objet I'assiette ou Ie taux de
l'impöt de celles qui concernent une simple question de fait (exem-
ple : telles valeurs mobilières omises dans une déclaration de
succession valent-elles 500.000 francs ou 200.000 francs?).
Les premières sont toujours interdites, tandis que les secondes
seraient autorisées dans certains cas.
Cette opinion se fonde sur les nombreuses dispositions légales
qui, en matière d'impöts indirects, autorisent Ie Ministre des
finances à conclure des transactions, pourvu qu'elles n'emportent
pas exemption ou modération d'impöt.
Nous verrons plus loin quelle est la véritable nature de ces
« transactions » légalement autorisées. Nous montrerons qu'il ne
s'agit pas de transactions au sens du droit civil, puisque toute

(329) Voy. notamment dans Ie même sens : cass., 12 octobre 1954, Pas., 1955,
I, 106 et les conclusions du ministère public; 24 avril 1958, Pas., 1958, I, 942;
13 juin 1961, Pas., 1961, I, 1119.
(330) W. GANSHOF VAN DER MEERSCH, L'impót et la loi, p. 275.
(331) Cass., 21 février 1950, Pas., 1950, I, 443; 10 juillet 1951, Pas., 1951, I,
781, et 10 juin 1952, Pas., 1952, I, 652, cités par M. l'avocat général Ganshof
van der Meersch dans ses conclusions précédant cass., 12 octobre 1954, précité
(Pa._s., 1955, J, 112).
(332) Voy. notamment : GENIN, op. cit., n°• 102 et 103; A. TIBERGIIIEN et
E. RoNSSE, op. cit., n°• 10 et 11; GOTHOT, op. cit., p. 5; TIBERGHIEN, op. cit.,
n°• 50 et 51; voy. aussi cass., 12 janvier 1903, Pas., 1903, I, 76; Bruxelles, 23 mai
1923, Pas., 1924, II, 6.
(333) Voy. GENIN, op. cit., n° 104; A. TIBERGHIEN, op. cit., n° 51; ÜTTEN,
op. cit., n° 1836; TIBERGHIEN et RONSSE, op. cit., n° 11, p. 17 et 18.
OBJET DE LA TRANSACTION 345

concession de la part de l'administration sur Ie principe ou Ie


montant de l'impöt est interdite, soit directement, soit indi-
rectement.

271. La règle suivant laqueJle la perception des impöts, inté-


ressant l'ordre public, ne peut donner lieu à une transaction
valab]e, a été critiquée par certains auteurs français.
Wahl affirme (334) que rien ne démontre que l'impöt soit
d'ordre public, même pas les articles 13 et 14 de la loi du 26 août
1789 (335) qui interdisent toute augmentation, modification ou
suppression de l'impöt, si ce n'est par une loi.
C'est une pure affirmation de eet auteur, qui n'en démontre
nullement l'exactitude.
Il suffit de relire la définition que donnent, de la loi d'impöt,
la Cour de cassation et les meilJeurs auteurs, pour comprendre
que !'opinion de Wahl est, présentement, insoutenable.
Cet auteur, ainsi d'ailleurs que Baudry-Lacantinerie (336)
et Planiol et Ripert (337), critiquent l'idée contenue dans I'arrêt
de la Cour de cassation de France du 13 mars 1895 (338), suivant
Iaquelle l'impöt constitue Ie patrimoine de la nation et ne peut,
dès lors, être l'objet de transaction. Ils ne contestent pas que
l'impöt soit dans le patrimoine de l'Etat mais iis se demandent
pourquoi ]'Etat ne pourrait, comme un particulier, disposer de
son patrimoine. Comparant l'impöt au domaine public, inaJié-
nable et imprescriptible, ils argumentent a contrario de la
prescriptibilité de l'impöt pour en déduire sa disponibilité.
lei encore, nous croyons qu'il suffit de se reporter à la notion
actuelle de l'impöt pour apercevoir combien Ie raisonnement
de ces auteurs de droit civil est contraire aux buts et aux fonc-
tions d'intérêt général qui, aujourd'hui, caractérisent l'impöt.
Sans doute, les auteurs cités admettent-ils que les contribuables
ne peuvent être dispensés de payer l'impöt, lequel, en ce sens,
est d'ordre public, mais ils ajoutent à cela que « la transaction
a eet effet que Ie redevable est considéré comme n'étant débiteur

(334) Op. cit., p. 466.


(335) Il s'agit de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen; il est
intéressant de rapprocher lesdits articles 13 et 14 de l'article 112 de notre Consti-
tution.
(336) T. XXI, écrit avec A. WAHL, n° 1265, p. 621.
(337) T. XI, n° 1578.
(338) Sirey, 1895, I, 465,
346 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

que de la som.me mise à sa charge par la transaction (339).


Raisonner ainsi, c'est, croyons-nous, perdre de vue que l'exis-
tence, la non-existence et aussi la détermination de la dette
d'impöt ne dépendent que des dispositions de la loi et non de la
volonté des parties intéressées. Il n'est donc pas concevable
ou admissible que l'administration et les contribuables réalisent
un accord contra legem, singulièrement si eet accord est une
transaction qui implique des concessions réciproques.
Remarquons ici que !'opinion de Wahl n'a guère eu d'échos
en Belgique et qu'elle ne paraît pas avoir été accueillie par la
jurisprudence française.

B. - ExcEPTIONS APPARENTES A LA RÈGL'E. ÉNUMÉRATION


DES TEXTES AUTORISANT LA TRANSACTION
EN MATIÈRE FISCALE.

272. 1° Nonobstant l'interdiction de toute transaction en


matière d'impöts, de nombreuses dispositions légales parlent
explicitement de << transaction » en matière fiscale.

Ce sont principalement :
l'article 9 de l'arrêté du Régent du 18 mars 1831, organique de l'admi-
nistration des finances, qui énonce que Ie Ministre des finances « statue
sur les réclamations ayant pour objet la remise d'amendes et d'augmenta-
tions de droits à titre d'amendes, autres que celles prononcées par le juge,
et arrête les transactions entre l'administration et les contribuables dans
les cas ou elles sont autorisées par les lois » ;
l'article 141 du Code des droits de succession (arrêté royal du 31 mars
1936), qui dispose que le Ministre des finances « statue sur les réclama-
tions ayant pour objet la remise des amendes fiscales et conclut les
transactions avec les contribuables, pourvu qu'elles n'impliquent pas
exemption ou modération d'impöt » (340);
les articles 219 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et
de greffe (341), 74, alinéa 2, du Code des droits de timbre, 29 de la loi

(339) "\VAHL, op.cit., p. 466; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op.cit., n° 1265,


p. 621; PLANIOL et RIPERT, op. cit., n° 1578,
(340) Remarquons que Ie rapport au Roi précédant l'arrêté royal du 31 mars
1936 considère que ce texte met en concordance l'article 9 de l'arrêté du Régent
du 18 mars 1831 avec l'article 112 de la Constitution.
(341) Déjà avant l'arrêté royal du 30 novembre 1939 contenant le Code des
droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, la doctrine voyait dans l'arti-
cle 34 de la loi du 11 octobre 1919, qui parle d'une « soumission en vue d'éviter
!'expertise », une consécration du droit pour l'administration de transiger sur une
question de fait. - Voy. Rép. prat. dr. belge, v 0 Enregistrement, n°• 13 et 412.
OBJET DE LA TRANSACTION 347

du 17 octobre 1945 établissant un impöt sur Ie capita!, 202 4 du Code des


taxes assimilées au timbre, textes qui à quelques mots près reproduisent
la disposition de l'article 141 du Code des droits de succession;
les articles 229 et 230 de la loi générale sur les droits de douanes et
d'accises du 26 août 1822, l'article 229 disposant qu' « il pourra être
transigé par l'administration ou d'après son autorisation, en ce qui
concerne !'amende, la confiscation, la formeture des fabriques, usines
ou ateliers, sur toutes contraventions à la présente loi, et aux lois spéciales,
sur la perception des accises, toutes et autant de fois que l'affaire sera
accompagnée de circonstances atténuantes, ou qu'on pourra raisonna-
blement supposer que la contravention doit être attribuée plutöt à une
négligence ou erreur, qu'à l'intention de fraude préméditée »;
l'article 43 des lois sur la taxe sur les débits de boissons fermentées,
coordonnées par arrêté royal du 3 avril 1953, qui renvoie à la loi générale
sur les douanes et accises et l'article 44 des mêmes lois coordonnées,
qui fixe une limitation au droit de transiger sur certaines peines ;
l'article 15 de la loi du 29 août 1919 sur Ie régime de l'alcool, qui auto-
rise Ie Ministre des finances à transiger sur certaines peines lorsque Ie
contrevenant n'est pas en état de récidive (342) ;
l'article 2 de la loi du 28 décembre 1912, qui autorise la députation
permanente à transiger en ce qui concerne !'amende encourue pour
contravention aux règlements concernant les impositions provinciales ;
l'article 16 de la loi du 29 avril 1819, qui autorise les<< administrations
municipales » à conclure des transactions avec les contrevenants aux
impositions communales et de prévenir ainsi les poursuites du ministère
public.

2° A cöté des textes qui parlent expressément de « transaction »


ou de « transiger », il en existe d'autres qui sont interprétés
comme contenant implicitement l'autorisation de transiger.
Ce sont notamment : l'article 77, 3°, de la loi communale
du 30 mars 1836 (343), les articles 59, § 2, et 61, /, des anciennes
lois coordonnées relatives aux impöts sur les revenus (344),
devenus les articles 307, 416 et 417 du Code des impöts sur les
revenus; l'article 6 de la loi du 19 mars 1953 modifiant les lois
relatives à l'impöt spécial et à l'impöt extraordinaire.

273. Aucun texte du Code des impóts sur les revenus ne prévoit
donc expressément la possibilité de transiger.
L'administration a, toutefois, toujours estimé qu'elle a Ie droit

(342) Sur la portée de cette faculté, voy. : cass., 25 avril 1955, Pas., 1955, I,
925, et 27 juin 1955, Pas., 1955, I, 1161.
(343) TIBERGHIEN, op. cit., n° 1214, p. 389.
(344) Voy. C. VERBAET, op. cit., p. 16.
348 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

de transiger sur l'action publique dans les cas d'infraction aux


dispositions légales qui concernent les contributions directes (345).
Ce droit ne lui a jamais été contesté et il était expressément
consacré par la législation Ja plus ancienne (346). Mais la transac-
tion ne peut porter que sur l'action publique et sur Ie montant
de l'amende, mais non sur le montant de l'impöt dû. De plus,
des circulaires ministérielles interdisent Ia transaction pour cer-
taines infractions (347).
Remarquons qu'en France, la doctrine (348) voit dans les
articles 1930 et 1944 du Code général des impöts des dispo-
sitions permettant à l'administration de consentir des remises
d'impöts à titre transactionnel. En fait, l'article 1930 parle de
Ja possibilité pour Ie contribuable « d'obtenir de la bienveillance
de l'autorité administrative ... remise ou modération d'imposi-
tions régulièrement établies ... ». Les termes employés font donc
beaucoup plus penser à l'exercice d'un droit de gràce de Ia part
de ]'administration qu'à une véritable transaction.

274. Les textes qui consacrent soit explicitement soit impli-


citement Ie droit de transiger pour l'administration des finances,
sont donc nombreux et épars.
De plus l'administration s'arroge elle-même Ie droit de tran-
siger dans certains cas, ce qui ne clarifie pas les choses.
Ni la doctrine, ni la jurisprudence n'ont défini jusqu'à présent
Ia nature des transactions autorisées en matière fiscale.
Nous nous efforcerons de dénombrer ici les types de transac-
tions rencontrées en droit fiscal et de dégager leur nature propre.

0. - CATÉGORIES DE « TRANSACTIONS FISCALES ».

275. Les textes énumérés aux numéros précédents parlent de


transactions pourvu qu'elles n'impliquent pas exemption ou
modération d'impóts, de remises d'amendes ou d'augmentations
de droits, d'exonérations d'intérêts de retard ou, encore, de

(345) SCHREUDER, op.cit., n° 454bis, p. 429, et< Sanctions et peines pécuniaires


en matière fiscale », in Ann. not., 1949, p. 397; FEYE et CARDYN, Procédure fiscale
contentieuse, p. 309, n° 287.
(346) Cf. art. 42 de la loi du 21 mai 1819 pour Ie droit de patente et article 114
de la loi du 28 juin 1822 pour la contribution personnelle.
(347) Pour plus de détails, consult. FEYE et CARDYN, op. cit., p. 309, n° 287.
(348) L. BOYER, v 0 Transaction, in Dalloz: Encycl. dr. civil, n° 87, in fine.
OBJET DE LA TRANSACTION 349

transactions sur l'action publique, les amendes et autres sanctions


fücales à caractère pénal.
Les dispositions légales ou réglementaires concernent donc
des situations disparates et il est certain que toutes ces formes
de « transactions » lato sensu recouvrent des situations juridiques
très différentes.
Il est cependant possible de grouper ces « transactions » en
catégories plus ou moins homogènes eu égard à leur objet et
à la façon dont elles se réalisent.
Les dispositions légales énumérées au n° 272 ci-devant font
porter la transaction soit sur des sanctions pénales et peines
pécuniaires en matière fiscale, soit sur un objet que la loi ne
définit pas, mais que la doctrine a qualifié de « toute question
de fait préalabJe à la fixation de l'impöt ».
Les sanctions et peines pécuniaires se divisent elles-mêmes
en deux groupes distincts : d'une part, les sanctions <lont la
réalisation nécessite la mise en reuvre de l'action publique et
l'intervention des tribunaux répressifs; d'autre part, les sanctions
qui sont infligées directement par l'administration elle-même (349).
Les premières sont des peines au sens du droit pénal (empri-
sonnement, amendes dites fiscales, confiscation ... ).
Les secondes, qui sont encourues de plein droit, sans aucune
intervention de la justice répressive, sont des amendes purement
fiscales (350), que l'on qualifie mieux encore « d'amendes admi-
nistratives » par opposition aux amendes fiscales à caractère
pénal (351).
Il faut rappeler, à l'occasion de cette distinction, Je prescrit
de l'article 100, alinéa 2, du Code pénal, suivant lequel l'appli-
cation des dispositions du livre premier du Code pénal « ne se
fera pas lorsqu'elle aurait pour effet de réduire des peines pécu-
niaires établies pour assurer la perception des droits fiscaux ».

(349) Voy. sur cette distinction : ScHREUDER, « Sanctions et peines pécuniaires


en matière fiscale», in Ann. not., 1949, p. 361 ets.; VAN Hou=E, op.cit., p. 361
à 372; GENIN, op. cit., p. 39, n° 101; voy. aussi Ie texte de l'article 9 de l'arrêté
du Régent du 18 mars 1831 organique de l'administration des finances, qui con-
sacre implicitement la distinction; comp. art. 202 4 et 207 du Code des taxes assi-
milées au timbre.
(350) VAN HOUTTE, op. cit., n° 124, p. 91.
(351) Voy. aussi sur cette distinction et sur les relatives incertitudes de la termi-
nologie qui l'exprime, l'étude de P. E. TROUSSE, « Les sanctions pénales de droit
fiscal », in Rev. dr. pén., 1962-1963, p. 279, plus spécialement quant aux sanctions:
p. 288 et s.
350 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Ce préambule général nous amène à proposer la classification


suivante:

1° Transactions fiscales assimilables aux transactions pénales.


Transactions en matière de douanes et accises.
276. Il s'agit donc ici de transactions portant sur des sanctions
fiscales qui sont, en même temps, de véritables peines (exemples :
articles 229 et 230 de la loi générale sur les douanes et accises;
articles 43 et 44 des lois coordonnées sur la taxe sur les débits
de boissons fermentées; article 16 de la loi du 29 avril 1819
donnant au conseil communal Ie droit de transiger).
Ces transactions - fréquentes surtout en matière de douanes
et accises - sont comparables aux transactions pénales et
poursuivent le même but qu'elles : éviter de surcharger les cours
et tribunaux (352).
Elles out également Ie même effet : l'extinction de l'action
publique et l'impossibilité de poursuite ultérieure en raison des
mêmes faits (353).
Mais, comme les transactions pénales, elles ne peuvent être
assimilées à de véritables transactions de droit civil.
Cependant, on considère souvent les transactions en matière
de douanes et accises comme une convention entre l'administra-
tion et Ie contrevenant, par laquelle la première substitue à
l'action répressive et aux peines corrélatives une sanction moins
sévère, que le second s'oblige à supporter.
Ainsi Feye et Cardyn enseignent-ils que les articles 2044
et suivants du Code civil leur sont applicables (354).
M. P. Van Gerven estime également (355) que les règles
relatives à la validité des conventions en général, ainsi que celles
qui gouvernent la transaction en droit civil, sont applicables.
Mais eet auteur reconnaît tout aussitöt que la << transaction »
entre l'administration et Ie contrevenant ne peut être considérée
comme un pur acte de droit civil, en ce qu'elle n'a pas seulement

(352) Voy. pour plus de détails: P. VAN GERVEN, « De transactie in zake doua-
nen en accijnzen"• R. W., 1962-1963, col. 1657 ets.; REYBROUCK, « L'emprison-
nement principal en matière de douanes et accises "• Rép. fisc., 1962, p. 125 et s.
(353) Cass., 26 janvier 1953, Pas., 1953, I, 388 obs.; comp. cass., 7 juin 1937,
Pas., 1937, I, 174.
(354) Op. cit., n° 355, p. 377.
(355) Op. cit., col. 1658 et 1659.
OBJET DE LA TRANSACTION 351

pour objet l'indemnisation du Trésor, mais aussi l'action publique


et les sanctions répressives dont elle est assortie.
Cette opinion récente et nuancée rend compte, assez exacte-
ment, des variations qui ont caractérisé la jurisprudence.
A !'origine, en effet, la Cour de cassation a considéré (356)
que la transaction intervenue entre l'administration des accises
et Ie contrevenant, aux termes de laquelle aucune suite n'était
donnée au procès-verbal intervenu, moyennant payement d'une
certaine somme au titre d'amende, des droits et des frais, pouvait
être rescindée, par application de l'article 2053 du Code civil,
lorsqu'il y a erreur sur l'objet de la contestation.
Cette jurisprudence a longtemps prévalu (357).
Elle pouvait peut-être s'expliquer par une certaine conception
qui donnait à l'amende fiscale un caractère accusé de pénalité
civile, en ce que !'amende constitue Ia réparation du dommage
réel ou légalement présumé que l'infraction a fait éprouver au
Trésor (358).
Tant que l'on a considéré que Ie caractère de réparation civile
l'emportait sur celui de peine, on pouvait imaginer de soumettre
la transaction consentie par l'administration à toutes les règles
qui, en droit civil, régissent ce contrat, puisque son objet principal
était des dommages et intérêts.
La conception de cc J'amende - réparation civile » fut heu-
reusement critiquée par Ie procureur général Paul Leclercq (359).
Son argumentation fonde aujourd'hui la théorie suivant laquelle
les amendes en matière de douanes et accises ont un caractère
pénal prépondérant, Ie seul dommage qu'elles sont censées réparer
étant non pas celui qui aurait été causé à l'Etat par l'infraction

(356) Cass., 4 mai 1893, Pas., 1893, I, 212, et surtout cass., 21 mars
1895 (2 arrêts), Pas., 1895, I, 134 et s. avec les conclusions du procureur général
Mestdagh de ter Kiele.
(357) Voy. notamment cass., 4 février 1940, Pas., 1940, I, 30 (violation de
l'article 2044 du Code civil); corr. Bruxelles, 9 décembre 1954, Pas., 1956, III,
50 (l'article 2052 du Code civil est invoqué); voy. aussi les références citées par
le Rép. prat. dr. belge, v 0 Douanes et accises, n° 377. Adde : Bruxelles, 22 décem-
bre 1937, e/c. Brasserie Cavenaille (inédit).
(358) Voy. quant aux tenants de cette théorie : R. JANSSENS DE BISTHOVEN,
« Considérations sur la répression de la fraude en matière de douane » (Mercuriale
prononcée à l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le 1 er sep-
tembre 1959), Rev. dr. pén., 1959-1960, p. 3 ets., spécialement p. 4 et s.; adde :
corr. Liège, 28 février 1950, Journ. trib., 1951, p. 40.
(359) Note so,1s cass., 26 janvier 1925 (Pas., 1925, I, 117), citée par R. JA:s-s-
SENS DE BISTHOVEN, op. cit., p. 7.
352 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

in specie, mais bien Ie tort que les fraudes, dans leur ensemble,
lui font subir (360). Autrement dit, Ie seuJ dommage qui justifie
encore la qualification d'amende mixte n'a pas sa cause dans
Ie fait pour lequel Je contrevenant est condamné.
Cette évolution des idées sur la nature de J'amende fiscale
à caractère pénal, et aussi Ja circonstance qu' en tout cas Ja
transaction a pour objet l'action publique, doit faire considérer
que la transaction n'est pas, en Ja matière, la convention de
droit civil dont parle l'article 2044 du Code civil.
Il s'agit pJutöt d'une convention de droit public qui, dictée
par des raisons d'économie procédurale (361), découle d'un acte
souverain de l'administration, de nature politique ou adminis-
trative (362). Elle emporte, de la part de celle-ci, renonciation
à l'action publique, remise ou modération des peines, en raison
des circonstances favorables de la cause et de la bonne voJonté
de celui qui accepte !'engagement de subir une sanction pécu-
niaire moins sévère (363).
Il reste, évidemment, qu'il s'agit d'une convention et que,
dès lors, les règJes générales applicables à tous les contrats Ie
sont égaJement ici, mais non - nécessairement - les règles
spécifiques de la transaction civile.

277. Les considérations qui précèdent valent, mutatis mutandis,


en matière de taxes sur les débits de boissons fermentées, puisque
les lois coordonnées relatives à cette matière (art. 43) renvoient,
comme de nombreuses autres dispositions d'ailleurs (364), à la
loi générale du 26 août 1822 sur les douanes et accises. Même
chose en matière de taxes communales, puisque Je conseil com-

(360) R. JANSSENS DE BISTHOVEN, op. cit., ibid.; cass., 26 janvier 1925, pré-
cité; Bruxelles, 9 mars 1960, Pas., 1961, II, 165.
(361) Voy. la statistique particulièrement éloquente à eet égard fournie par
l'étude précitée de P. VAN GERVEN (R. W., 1962-1963, col. 1659, n° 9).
(362) Corr. Bruxelles, 3 mars 1956, Journ. trib., 1956, p. 616.
(363) Rép. prat. dr. beige, v 0 Douanes et accises, n° 376; Bruxelles, 26 juillet
1921, Belg. jud., 1922, 50; Liège, 24 décembre 1952, Rép. fisc., 1953, p. 221, qui,
tout en reconnaissant à la transaction un caractère mixte, en fait l'équivalent
d'un jugement de condamnation. Voy. aussi cass., 25 avril 1955, Pas., 1955, I, 923,
avec la note 1 et 2 p. 924 : l'arrêt décide qu'en matière de douanes et accises le
juge saisi de l'action publique de l'administration, après transaction, doit en
vérifier la recevabilité suivant les principes du droit pénal, sans avoir à rechercher
les effets d'une trant>action en matière civile (à remarquer que Ie pourvoi invo-
quait la violation de l'article 2052 du Code civil).
(364) Voy. l'énumération donnée par TH. VERSÉE, in A. P. R., v 0 Minnelijke
schikking, n° 19.
OBJET DE LA TRANSACTION 353

munal a également Ie droit d'étendre l'action publique par une


transaction avec Ie contribuable.

278. Ajoutons qu'en ce qui concerne les sanctions pénales


en matière d'impóts sur les revenus, la loi ne prévoit pas la
possibilité de transiger. Mais les poursuites étant exercées à la
requête de l'administration (art. 79bis des anciennes lois coor-
données; art. 350 du Code des impöts sur les revenus) (365),
celle-ci s'arroge le droit de transiger sur l'action publique (366),
pour autant qu'il n'y ait pas faux, usage de faux ou infraction
commise par les agents d'affaires, experts, etc., et qu'il n'y ait
pas de décision judiciaire coulée en force de chose jugée (367).
Par contre, en matière d'impöts indirects, les poursuites étant
intentées par Ie ministère public, la transaction sur l'action
publique est inconcevable pour l'administration.

2° Décisions administratives procédant


du droit de gràce.

279. L'administration transige-t-elle lorsqu'elle accepte de


faire remise des sanctions fiscales à caractère administratif :
amendes administratives ou accroissements ?
Rappelons d'abord que les remises d'amendes sont permises
au Ministre des finances par l'arrêté du Régent du 18 mars 1831
(art. 9) dont les termes (368) ont été repris dans différentes
dispositions en matière d'impöts indirects (369). Elles ne consti-
tuent pas des violations de l'article 112 de la Constitution,
puisque !'amende administrative est à distinguer de l'impöt
lui-même (370).

(365) Voy. quant aux limites de ce droit de poursuite : cass., 11 décembre


1961, Pas., 1962, I, 445 avec la note R.J.B., p. 447.
(366) SCHREUDER, étude précitée, in Ann. not., 1949, p. 397; FEYE et CARDY:-.,
op. cit., n° 287, p. 309.
(367) Coordination administrative, n°s 5529 et s.; TROUSSE, étude citée, Rev.
dr. pén., 1962-1963, p. 289; FEYE et CARDYN, op.cit., n° 287, p. 309.
(368) " Il (Ie Ministre des finances) statue sur les réclamations ayant pour
objet la remise d'amendes et d'augmentations de droits à titre d'amendes, autres
que celles prononcées par Ie juge, et arrête les transactions entre l' administration
et les contribuables, dans les cas ou elles sont autorisées par les lois. »
(369) Exemples : article 141, alinéa 2, du Code des droits de succession, arti-
cle 219, alinéa 2, du Code des droits d'enregistrement, article 74, alinéa 2, du Code
des droits de timbre, article 202 4, alinéa 2, du Code des taxes assimilées au timbre ;
voy. aussi !'article 335 du Code des impöts sur les revenus.
(370) VAN HOUTTE, op. cit., n° 641, p. 362.
DE GAVRE, Contrat de transaction. - 23
354 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

La nature de ces remises d'amendes a été discutée.


Très rapidement, les auteurs y ont vu l'exercice d'une sorte
de droit de gráce appartenant au Ministre des finances (371).
Par contre, la jurisprudence eut tendance, de nouveau, à
recourir à l'idée de transaction civile.
Ainsi un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 6 mars
1946 (372) décide-t-il, en matière de taxes assimilées au timbre,
que lorsque l'administration réduit les amendes encourues du
chef de contraventions fiscales, à condition que le contribuable
paie la partie maintenue des amendes par acomptes mensuels
et qu'il souscrive une reconnaissance de dette en principal et
intérêts à due concurrence, elle a conclu avec ce contribuable
une convention synallagmatique et transactionnelle.
Cette façon d'analyser une remise d'amende, même à caractère
administratif, est inexacte, car, répétons-le encore, il faut,
pour qu'il y ait transaction, des concessions réciproques : or,
on peut se demander quelle concession ferait l'administration,
alors que Je contribuable est le seul bénéficiaire d'une véritable
faveur, sans contre-partie.
L'arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 1952 (373) a clos
la discussion : il décide que la réduction des amendes fiscales
sous des conditions déterminées, conformément au droit attribué
au ministre par l'arrêté du Régent du 18 mars 1831, ne fait pas
naître une transaction assortie de la condition résolutoire tacite
de l'article 1184 du Code civil, mais est l'acte d'une autorité
administrative qui, dans les limites de sa compétence, statue
sur une réclamation dont elle est saisie.
L'engagement souscrit par le redevable de se conformer aux
conditions fixées ne transforme donc pas la décision administra-
tive de réduction ou de remise d'amendes en une convention
transactionnelle (374).
La doctrine de la Cour de cassation, énoncée en matière de
taxes assimilées au timbre, a un caractère général et s'applique
à tous les cas dans lesquels est autorisée Ja remise ministérielle

(371) ScHREUDER, op. cit., Ann. not., p. 382; GENIN, op. cit., p. 39, n° 101.
(372) Rép. jisc., 19i7, p. 17.
(373) Pas., 1952, I, 586; voy. aussi ÜTTEN, op. cit., n° 1053, p. 230; Rép. prat.
dr. belge, v 0 Taxes assimilées au timbre, n° 1786.
(374) Note C. S. sous cass., 15 mai 1952, Rec. gén. enreg., 1953, n° 19.255,
p. 330 et s.
OBJET DE LA TRANSACTION 355

des amendes fiscales à caractère administratif. La Cour a d'ail-


leurs souligné la portée générale de son arrêt en se référant
à l'arrêté du Régent du 18 mars 1831 plutót qu'à l'article 202 4
du Code des taxes assimilées au timbre qui en est une appli-
cation particulière.
Les remises d'amendes ne sont donc pas des transactions
mais des décisions administratives discrétionnaires (375) dont
on a pu dire, dans un domaine extrêmement voisin (376), qu'elles
procèdent d'un acte de faveur qui ressortit lui-même à une
sorte de droit de gràce ministériel.
Précisons encore que lorsque l'administration subordonne la
remise des amendes au payement des droits dans un certain délai
et que le contribuable satifait à cette condition, il ne se forme
pas, quant aux droits ainsi payés, une transaction qui fait
obstacle à une réclamation ultérieure du redevable : le caractère
d'ordre public de la loi d'impót et l'impossibilité générale de
transiger en matière fiscale s'y opposent (377).

280. On s'est demandé, en matière d'impóts directs, quelle est


Ia nature de Ia remise des accroissements accordée par Ie ministre.
Cet accroissement est-il une forme d'amende fiscale à caractère
administratif ou une augmentation d'impót?
La Cour de cassation a considéré que l'accroissement d'impót
est une forme d'amende fiscale, avec cette conséquence que
l'article 9 de l'arrêté du Régent du 18 mars 1831 lui est appli-
cable (378).
Les remises de tels accroissements sont donc possibles (379)
et, ainsi que Ie soulignait M. l'avocat général Ganshof van der
Meersch dans ses conclusions précédant l'arrêt du 8 novembre
1949 (380), ces remises sont ... « un acte de faveur - assimilable

(375) Voy. Charleroi, 2 mai 1958, Rec. gén. enreg., 1959, n° 20.064, p. 107, et
la note sous Bruxelles, 6 mars 1946, Rép. fisc., 1947, p. 20.
(376) Voy. n° 280.
(377) Voy. dans ce sens : Bruxelles, 20 juin 1945, Dr. fisc., 1945, p. 107 avec
la note; Anvers, 18 février 1944, Rép. fisc., 1947, p. 21.
(378) Cass., 8 novembre 1949, Pas., 1950, I, 131 avec les conclusions de M. l'avo-
cat général Ganshof van der Meersch qui, notamment, retrace l'évolution de la
jurisprudence sur cette question (p. 133 à 135); voy. aussi cass., 4 octobre 1937,
Pas., 1937, I, 255.
(379) FEYE et CARDYN, op. cit., p. 78, n° 65. Remarquons ici que la remise des
intérêts de retard est également possible : cf. art. 350 du Code des impöts sur les
revenus qui .a remplacé l'article 59, § 3, des anciennes lois coordonnées.
(380) Pas., 1950, I, 131, plus spécialement p. 135; voy. aussi Liège, 6 novem-
bre 1962, Bull. contr., 1963, p. 2176.
356 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

à la grace - à l'égard du payement d'une somme qui n'est pas


un impót ... ».
Cette conception ne paraît pas contredite par les articles 334
et 335 du nouveau Code des impóts sur les revenus, qui main-
tiennent à l'accroissement d'impót son caractère de sanction
administrative, distincte de l'amende administrative que l'arti-
cle 335 introduit dans le domaine des impóts sur les revenus (381).
Cette nouvelle amende pourra faire l'objet de remises aux-
quelles on appliquera le régime qui a été décrit au numéro
précédent.
3° Accords sur une question de fait.
281. Outre les deux catégories sommairement étudiées aux
numéros précédents, il faut en examiner une troisième : elle
concerne les transactions que l'administration peut conclure
avec les contribuables, « pourvu qu'elles n'impliquent pas exemp-
tion ou modération d'impóts ».
Ce type d'accord, sur la nature duquel les lois qui l'autorisent
restent silencieuses, se rencontre en matière de droits de succes-
sion (art. 141, al. 2), de droits d'enregistrement, d'hypothèque
et de greffe (art. 219, al. 2), de droits de timbre (art. 74, al. 2)
et de taxes assimilécs au timbre (art. 2024, al. 2).
La plupart des auteurs (382) découvrcnt dans ces textes
la pmsibilité de « transiger sur une question de fait >>. Par souci
de sauvegarder 1a règle de l'interdiction de toute transaction
en matière fiscale, on distingue donc deux sortes de transaction :
1° celles qui portent sur une question de droit et qui sont tou-
jours interdites ; 2° celles qui portent sur une question de fait
et qui sont parfois perm.ises.
Cette distinction n'est pas satisfaisante, car qui dit transaction
civile dit nécessairem.ent concessions, abandons réciproques, que
la transaction porte sur une question de fait ou de droit.
Or, précisém.ent, ce que l'article 112 de la Constitution et le
caractère d'ordre public de la Ioi fiscale interdisent, c'est toute
concession directe ou indirecte sur Ie principe ou Ie montant

(381) Voy, TROUSSE, op. cit., p. 289.


(382) Voy, notamment GENIN, op. cit., n° 104, p. 41; A. TIBERGHIEN et
E. :RoNSSE, op. cit., n° 11, p. 18; ÜTTEN, op. cit., n° 1836, p. 351; Rép. prat. dr.
beige, v 0 Taxes assimilées au timbre, n° 1786; VAN HOU'l-rE, op.cit., n°• 46 et 47,
et, du même auteur, Beginselen van het Belgisch Belastingrecht (Gand, 1966), t. I•r,
n°• 46 et 47.
OBJET DE LA TRANSACTION 357

de l'impöt dû, dont la détermination ne peut résulter que de


la loi.
Il faut donc constater, avec Donnay (383), que la formule
employée par les textes légaux contient en elle-même une
contradiction, et que le législateur a ainsi recours à une termino-
logie inexacte (384). Il n'est pas possible, en effet, de souscrire
une transaction civile sans faire des concessions, celles-là, mêmes
que toute l'économie de la loi fiscale interdit.
En réalité, ce que les textes cités ci-devant permettent au
Ministre des finances, c'est de reconnaître les bases sur lesquelles
un impöt doit être perçu (385), mais non de transiger à propre-
ment parler.
La validité des accords ainsi définis et leur caractère irrévo-
cable, pour l'administration comme pour Ie contribuable, sont
généralement admis (386).

282. En ce qui concerne les itnpots directs, aucune disposition


légale n'a consacré expressément Ie droit de « transiger sur une
question de fait ».
Il n'est cependant pas douteux que des accords en vue d'arrêter
les bases sur lesquelles un impót doit être perçu existent en
grand nombre (387).
Certains textes révèlent implicitement cette existence.
Ainsi :
l'article 5, § 2, de l'arrêté du Régent du 15 octobre 1947,
pris en exécution de la loi du 20 août 194 7, qui permet expressé-
ment que les pourcentages d'amortissement annuel soient arrêtés
de commun accord entre Ie contribuable et l'administration;
l'article 417 du Code des impóts sur les revenus, qui traite

(383) Commentaire du Code des droits de succession, n° 1499, p. 899.


(384) VAN HouTTE, Principes, p. 37, note 1, et Beginselen, n° 47, note 5, p. 48.
(385) DoNNAY, op. cit., ibid. On rapprochera l'opinion exposée au texte de
l'arrêt de la Cour de cassation du 16 janvier 1957 (Pas., 1957, I, 563) dont il résulte
que l'accord total ou partiel donné par le contribuable sur la rcctification, par
l'administration, du chiffre des revenus déclaré doit être considéré comme une
rectification par le contribuable lui-même de sa déclaration, afin de la rendre
conforme à la réalité; il ne s'agit donc pas d'une transaction soumise à l'arti-
cle 467 du Code civil. Voy. aussi Anvers, 7 octobre 1955, R. W., 1955-1956, 1293.
(386) Rép. prat. dr. beige, v 0 Taxes assimilées au timbre, n° 1786; VAN H0UTTE,
Principes, n° 47, p. 37.
(387) VAN HOUTTE, op. cit., ib-id.; voy. Bruxelles, 22 janvier 1947 (taxes sur
les jeux et spectacles), Rev. jisc., 1047, p. 282; Liège, 30 avril 1052 (sol. impl.),
Rev. jisc., p. 404.
358 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

de la réclamation contre l'estimation du revenu cadastral d'un


immeuble.
Quant à la discussion qui existe au sujet de la force obligatoire
et du caractère définitif de pareils accords à l'égard de l'admi-
nistration, on consultera notamment les ouvrages déjà cités
de Van Houtte (388) et de Tiberghien et Ronsse (389).

D. - CONCLUSION.

283. On peut conclure, au terme de eet essai de classification


des accords qui interviennent en matière fiscale, qu'il existe
assurément, dans ce domaine, des phénomènes dont la nature
et l'objet sont souvent très divers, mais qu'aucun d'entre eux
ne répond exactement à la notion de transaction telle que l'entend
Ie droit civil beige et français.
Partant, il faut conclure, quant à l'objet de notre contrat,
que la règle de l'impossibilité de transiger en matière fiscale
est certaine et que les textes n'y dérogent qu'en apparence
en autorisant certains accords ou conventions, auxquels ne doit
cependant pas s'appliquer la réglementation spéciale des arti-
cles 2044 et suivants du Code civil.

E. - TRANSACTION EN MATIÈRE POSTALE.

284. On se borne à rappeler (390) ici l'existence de l'article 33


de la loi du 26 décembre 1956 sur Ie service des postes, qui donne
à l'administration Ie droit de transiger, dans certains cas, aussi
longtemps que n'est pas intervenu un jugement définitif de
condamnation.
XIV. Conclusion générale.

285. Nous venons de passer en revue les exemples que nous


croyons les plus caractéristiques, pour illustrer les règles géné-
rales qui définissent l'objet de la transaction, c'est-à-dire sa
matière.

(388) Op. cit., ibid.


(389) Op. cit., p. 196, n° 589.
(390) Braas étudie ensemble les transactions en matière fiscale et postale et
les distingue des transactions pénales de droit commun (Précis de procédure pénale,
t. r•r, n°• 162 et s.).
LA CAUSE DANS LA TRANSACTION 359

Celle-ci recouvre aussi bien, rappelons-le encore (391), les


droits litigieux eux-mêmes que l'objet des obligations de chacune
des parties colitigantes.
On ne transige pas sur une filiation qui relève de l'état des
personnes, mais on ne peut davantage, en exécution d'une
transaction relative à un immeuble parfaitement disponible,
faire abandon, par exemple, d'un bien indisponible.

SECTION III.

LA CAUSE DANS LA TRANSACTION.

§ ter. - Rappel du droit commun. - Renvoi.

286. Nous avons déjà eu l'occasion d'indiquer en tête de ce


chapitre (392) la nécessité qui existe de distinguer, dans la notion
protéïforme de la cause, deux choses parfaitement différentes,
que confond d'ailleurs l'article 1131 du Code civil :
la cause immédiate ou intrinsèque qui rnnd compte de l'utilité
subjective du contrat pour les parties:
la cause médiate ou extrinsèque qui rend compte des buts
plus lointains poursuivis par les contractants. C'est cette cause-là
qui peut être éventuellement la « cause illicite », contraire à
l'ordre public ou aux bonnes mreurs.
Ces deux définitions de la cause recouvrent des concepts
juridiques essentiellement différents qui demeurent, en droit
positif (393), malgré les critiques adressées au principe même
de leur existence, des conditions de validité de toute transaction.

§ 2. - La cause immédiate dans la transaction.

287. Nous ne reviendrons pas sur la controverse qui, dans Ie


domaine de la cause immédiate ou intrinsèque, oppose les

(391) Nous renvoyons au passage emprunté à M. Dekkers, cité supra, sub


n° 199, 1°.
(392) Voy. supra, n° 198.
(393) Voy. notamment, en jurisprudence beige, Ie recours à la notion de « cause
immédiate " dans Arlon, 17 avril 1907 (Pand. pér., 1909, 440), trib. Bruxelles,
24 juillet 1895, Journ. trib., 1805, 1131, et Bruges, 1 er février 1937 (R. W., 1937-
1938, 453); et Ie recours à la notion de « cause illicite " dans la jurisprudence
relative à l'article 301 du Code civil, citée ci-devant au n° 216, 2°.
360 TRANSACTION EXTRA-J lJDICIAIRE

causalistes aux anticausali::;tes, sauf pour constater qu'en général


les grands traités de d.roit civil n'étudient pas, dans Ie cadre
de la transaction, la cause immédiate d'une manière systérna-
tique, mais plutöt occasionnelle (394).
En Belgique notamment, ou la tend.ance anticausaliste l'em-
porte, la cause qui nous occupe ici est absorbée par « l'objet-
utilité subjective >> (395).
Le but immédiat des colitigants est évidemment de mettre
fin à une situation litigieuse existant entre eux, et de réaliser
cc but par Ie moyen de concessions réciproques.
Si Ie litige auquel on veut mettre fin n'existe pas ou est pure-
ment fictif, les engagements pris n'ont pas de raison d'être;
Ie contrat est « sans causc » (396). Mais n'est-il pas, plus simple-
ment, sans objet? C'est la théorie de M. De Page (397).
Pratiquement, la controverse relative à la qualification « cause »
ou « objet » ne peut avoir d'intérêt que dans Ie domaine de Ia
sanction de l'irrégularité, c'est-à-dire la nullité.
Nullité absolue si la cause de Ia transaction fait défaut (398),
nullité relative si l'objet n'existe pas ou ne répond pas aux
conditions générales de validité - autres que la licéité - ,
communes à tous les contrats : tel paraît (399) être l'enseigne-
ment classiquc.
Mais on aperçoit aussitöt que la discussion perd réellement
tout intérêt pratique dès !'instant ou l'on décide - à bon droit -
que la nullité absolue doit être réservée à la seule protection
d'intérêts non privés, et ou l'on en arrive, par conséquent,
à unifier Ie régime des sanctions en considérant que !'absence
de cause et Ie défaut d'objet ont l'un et l'autre pour consé-

(394) C'est Ie cas notamment de Baudry-Lacantinerie et \Vahl (t. XXI, n°• 1259
ets.); de Planiol et Ripert (t. XI, n°• 1576 ets.); de Beudant et Lerebours-Pigeon-
ni&re (t. XII, p. 396 et s.).
(395) Voy. DE PAGE, t. V, n° 496; DEKKERS, t. II, n° 1322.
(396) Tongres, 29 novembre 1951, R. W., 1951-1952, 1520, obs.
(397) Op. cit., n° 496.
(398) Voy. dans ce sens Dalloz : Encycl. dr. civil, v° Cause, n° 107 avec les
références à Josserand, Colin et Capitant, Beudant et Japiot.
(399) La nullité relative est admise dans Ie cas de la vente de la chose d'autrui,
mais paraît repoussée dans d'autres cas (vente faute d'objet ... ). Les solutions ne
sont donc pas cohérentes, ce qui explique la formule hésitante employée au texte.
Sur cette qucstion voy. DE PAGE, t. II (éd. 1964), n° 780, p. 746, note 1, et LES
NOVELLES, Droit civil, t. IV, n° 99ibis à 995.
LA CAUSE DANS LA TRANSACTION 361

quence la nullité relative de la transaction ou de tout autre


contrat (400).

288. (Suite) Théorie de M. L. Boyer. Nous voulons faire ici


une place spéciale à la théorie de la cause immédiate qui a été
élaborée par Ie professeur Louis Boyer dans son remarquable
ouvrage « La notion de transaction )).
Cette théorie, fondée initialement sur Ie contrat de transac-
tion (401), généralisée ensuite à tout Ie droit contractuel (402),
a trouvé dans la théorie des nullités en matière de transaction
(C. civ., art. 2053 à 2058) un champ d'expérimentation parti-
culièrement fertile (403), cehti d'ailleurs qui, chez d'autres
auteurs, avait permis l'exposé occasionnel de certaines consi-
dérations sur la cause.
M. Boyer, qui prend rang parmi les causalistes les plus auto-
risés de la doctrine française récente, voit dans la cause que nous
qualifions d'intrinsèque deux éléments ayant chacun un röle
parfaitement distinct mais complémentaire : la cc cause catégo-
rique )) d'une part; la cc cause casuelle », d'autre part (404).
La cause catégorique est un élément objectif qui cc catégorise »
ou individualise abstraitement toutes les conventions relevant
de tel type, de telle catégorie de contrat. La cause catégorique
de la transaction qui est, en définitive, la cause du contrat,
est dorre l'élément invariable que l'on retrouvera dans toutes
les transactions : l'élimination du litige.
La cause casuelle au contraire est un élément subjectif, variable
dans chaque cas particulier : on transige, par exemple, en consi-
dération d'un aléa, d'un lien de parenté, propres au cas d'espèce.
Cette distinction, qui a pour toile de fond celle qui existe
entre <c cause du contrat » et cc cause de l'obligation », retentit
évidemment sur Je plan de la sanction.
Selon M. Boyer - et c'est là l'originalité de sa thèse - !'ab-
sence de cause catégorique (absence de situation litigieuse), qui

(400) C'est la théorie de De Page. - Voy. en ce qui concerne l'objet : t. Jer


(3• éd.), n°s 89bis et 96, 2°, et t. II (3• éd.), n° 780 et, en ce qui concerne la « cause
immédiate "• t. II (éd. 1964), n° 487. On arrive à la même conclusion, sur Ie plan
pratique, si l'unification se fait en faveur de la nullité absolue.
(401) P. 103 à 121.
(402) P. 162 à 249.
(403) P. 122 à 161.
(404) Voy. spécialement sur cette distinction, les conclusions de !'auteur,
p. 120 à 122.
362 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

correspond au concept traditionnel d'absence de cause, n'a pas


pour conséquence la nullité de la transaction, mais bien sa
dénaturation : Ie contrat est valable, les obligations qu'il engendre
demeurent, mais non en tant qu'elles procèdent d'une tran-
saction.
Quant au défaut de cause casuelle qui est toujours Ie résultat
d'un vice de la volonté d'une des parties, il a pour effet de per-
mettre l'annulation de l'obligation de cette partie et, par voie
de conséquence, celle du contrat. Mais si les parties décidaient
de maintenir la convention, celle-ci ne perdrait pas sa qualifica-
tion juridique.
Comme on Ie voit, cause et erreur substantielle ont ici de
nombreuses interférences. Nous aurons !'occasion d'y revenir
plus longuement lors de l'examen des articles 2053 et suivants
du Code civil, au titre des nullités de la transaction, ces dispo-
sitions étant Ie champ clos idéal pour la discussion entre causa-
listes et anticausalistes.
Disons cependant, dès à présent, après le doyen Maury (405),
que la théorie de la « dénaturation » de M. Boyer se heurte,
en droit positif, au texte même de l'article 1131 du Code civil.
Celui-ci lorsqu'il vise !'absence de cause, prévoit formellement
la nullité du contrat, laquelle, dans la théorie de M. Boyer,
ne serait plus concevable que s'il y avait, outre !'absence de cause
catégorique, erreur sur la cause casuelle de !'engagement.

§ 3. - La cause illicite dans la transaction.

289. Lorsque deux époux transigent sur les dispositions de


leur contrat de mariage, Ie contrat a une cause immédiate ;
sa cause médiate n'est pas nécessairement i11icite, mais l'objet
du contrat est indisponible.
Lorsque les mêmes époux s'attribuent transactionnellement
des immeubles disponibles entre eux, Ie contrat a un objet
valable ; il a une cause immédiate, mais sa cause Iointaine ou
médiate sera illicite si le but poursuivi par les colitigants est,
par exemple, de préparer ou faciliter Ia rupture collusoire du
lien conjugal.
Dans un cas semblable la transaction est nulle de nullité

(405) Dalloz: Encycl, dr. civil, v• Cause, n° 105.


LA CAUSE DANS LA TRANSACTION 363

absolue, parce que ces buts sont contraires à l'ordre public et


aux bonnes moours.
Quelque séduisantes que soient des observations faites par
ceux (406) qui intègrent la cause illicite dans Ie concept« d'objet-
utilité sociale », basé sur l'article 6 du Code civil, il faut, croyons-
nous, maintenir à la cause illicite son röle propre et distinct.
Non seulement parce que la loi Ie veut (art. 1131) et que la
jurisprudence Ie proclame (407), mais aussi parce que ce concept
a une utilité propre. Il permet, en effet, par des investigations
appropriées sur la pensée et les mobiles profonds des contractants,
de distribuer plus exactement la sanction de la nullité (408),
tandis que, d'autre part, et d'une manière négative cette fois,
la cause illicite laisse intact Je concept d'objet illicite avec tout
ce qu'il implique de plus ra<lical et de plus brutal dans la sanction,
Ie juge étant, dans cette hypothèse, dispensé de rechercher les
mobiles et de Jes caractériser par rapport à l'une ou l'autre
des parties (409).
Prenons un exemple : si la transaction a pour objet de régler
les droits des parties sur un fonds de commerce immoral, l'objet
du contrat est illicite et la nullité doit être prononcée sans égard
aucun à la bonne ou à la mauvaise foi d'une des parties. Par
contre, si la renonciation transactionnelle d'une des parties à
certains droits sur un immeuble est apparemment valable, licite
et conforme à l'ordre public, elle pourra cependant être annulée
si Je juge acquiert la conviction qu'elle n'a été acquise que dans
Ie but de permettre l'exploitation dans les lieux d'un commerce
immoral.
La théorie de la cause illicite a donc, croyons-nous, son röle
propre à jouer en matière de transaction, comme dans tout autre
contrat.

(406) DE PAGE, t. Jer (éd. 1962), n°• 92 ets., et t. II (éd. 1964), n° 478; DEK-
KERS, t. II, n° 77.
(407) Voy. en matière de transaction la jurisprudence citée à !'occasion de
l'étude des transactions sur la pension de l'article 301 du Code civil, supra,
n° 216, 2°.
(408) Sur les distinctions à faire, quant à la sanction, suivant que les deux
parties ou l'une d'elles seulement a connaissance de l'illicéité, voy. DE PAGE,
t. Jer (éd, 1962), n° 94, et LES NOVELLES, Droit civil, t. IV, n°• 1191 ets.
(409) Sur l'importance de l'objet et les conséquences de son illicéité, notamment
quant à la preuve et aux effets, voy. LES NOVELLES, Droit civil, t. IV, n° 1185,
et DE BERSAQUES, note sous Liège, 11 janvier 1949, Rev. crit. jur. beige, 1950,
p. 326.
364 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Son contenu ne varie pas dans le domaine qui nous occupe.


Les exemples de cause illicite sont donc infiniment nombreux :
nous renvoyons Ie lecteur aux développements donnés à cette
question dans Ie droit commun des obligations (410).
Nous nous bornons à souligner que Jes exempJes fournis par
la jurisprudence, dans Je cas spécial de la transaction, sont
rares, exception faite, cependant, du domaine de la pension
prévue par l'article 301 du Code civil dans lequel, nous l'avons
déjà vu, il a été fait assez fréquemment appel à la notion de
cause illicite (411).

(410) Voy. notamment : DE PAGE, t. I•r (éd, 1962), n• 93, et LES NOVELLES,
Droit civil, t. IV, n°• 1260 et s.
(411) Cf. supra, n° 216, 2°,
CHAPITRE IV.

Forme et preuve de la transaction.

Nous envisageons, sous ce titre, les conditions de forme


relatives à la validité de la « convention - negotium » et celles
relatives à la validité de l' écrit instrumentaire destiné à faire
preuve.

SECTIO:N" PRE:\HÈRE.

FORME DE LA TRANSACTION.

290. Distinction. - Rappel. Il ne sera question ici que des


transactions extra-judiciaires, l'étude des formes des transac-
tions judiciaires étant spécialement traitée au tome II.
Nous rappelons seulement que nous avons réservé l'expression
« transaction judiciaire » aux seules transactions qui se réalisent
ou sont parfaites grace à l'intervention active du juge dans le
processus contractuel, telJes que les jugements d'expédient ou
convenus, les transactions homologuées par justice, etc.

291. Principes de l'article 2044, alinéa 2, du Code civil.


Portée. La transaction extra-judiciaire, qui se réalise sans inter-
vention active du juge, se forme par le seul échange des consente-
ments.
Si, aux termes de l'article 2044, alinéa 2, du Code civil « ce
contrat doit être rétligé par écrit », cette exigence ne concerne,
de toute évidence, que la preitve de la transaction, du negotium,
et non son existence.
Domat, à qui l'article 2044 a été emprunté (1), l'entendait
déjà ainsi et, sauf quelques décisions isolées (2), la jurispru-
dence et la doctrine unanimes ont confirmé cette interpréta-
tion (3).

(1) Lois civiles, Jr• partie, liv. Jer, tit. XIII, sect. I/XI.
(2) Caen, 12 avril 1845, D., 1845, II, 108, cité par LAURE~T, op. cit., n° 367.
(3) DE PAGE, t. V, n° 498; DEKKERS, t. II, n°• 1318 en note et 1323; Rép. prat.
dr. beige, v 0 Transaction, 11° 37; LAURENT, t. XXVIII, n° 367; KLUYSKENS, t. IV,
366 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Elle est pleine de raison : les contrats solennels sont l'exception


et il faut une disposition légale expresse pour qu'une convention
acquière ce caractère (C. civ., art. 1250, al. 2, 931, 1394, al. 1er,
et L. hyp., art. 76). Aussi, lorsqu'un écrit est exigé, doit-on,
dans Ie doute, décider que cette exigence ne concerne que la
preuve, Ie consensualisme étant la règle.
L'article 2044, alinéa 2, n'est pas cette disposition expresse :
les travaux préparatoires dont il sera question ei-après démon-
trent que Ie législateur n'a envisagé l'existence de l'écrit que
dans la perspective de la preuve du contrat.
Personne n'a jamais soutenu que, par exemple, les conven-
tions de société civile, les dépöts volontaires et, plus générale-
ment, les «choses» dont la valeur excède 3.000 francs consti-
tuent des contrats solennels parce que les articles 1834, 1923
et 1341 du Code civil requièrent, respectivement, l'existence
d'un écrit, ad probationem seulement (4).
Il doit en être de même pour la transaction : la circonstance
qu'un contrat ne peut se prouver que par écrit n'implique
nullement sa solennité.

292. Oonséquences. Il résulte du caractère consensuel de ce


contrat que :
a) la transaction peut être écrite ou verbale (5), sous réserve
de certaines difficultés de preuve dans ce dernier cas (cf. infra,
n° 8 294 et s.).
b) la volonté commune de transiger peut se manifester d'une

n°• 566 et 573; M. GEVERS, Chron. de jurisprudence in Rev. crit. jur. belge, 1961,
p. 292, n° 81, et Rev. crit. jur. beige, 1965 (avec J. DE GAVRE), p. 246,
n° 93; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, t. XI, n° 1582; AUBRY et RAU (6• éd. par
P. Es~IEIN), t. VI,§ 420, p. 247; COLIN etCAPITANT, t. IX, n° 1380, p. 880; BAUDRY-
LACANTINEitIE et vVAHL, t. XXI, n° 1217; L. BOYER dans Dalloz: Encycl. dr. civil,
v 0 Transaction, n° 42; BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. XII (par RODIÈRE
et PERCEROU), n° 356; MAZEAUD, Leçons de droit civil, t. III, n° 1639. En juris-
prudence belge cf. notamment : cass., 25 avril 1844, Pas., 1844, I, 152 ; Bruxelles,
11 avril 186!, Pas., 1865, II, 215; 8 m'trs 1916, Pas., 1915-1916, II, 326; 15 février
1963, Pas., 1!)63, II, 270; Gand, 22 février 1856, Pas., 1856, II, 130 ; Liège, 20 mars
1964, Jur. Liège, 1964-1965, p. 73; trib. Bruxelles, 30 octobre 1038, Journ. trib.,
1938, 593; Audenarde, 20 mai 1903, Pas., 1904, III, 125; comm. Bruxelles, 10 fé-
vrier 1939, Jur. com. Brux., 1940, 279; comm. Liège, 4 juillet 1910, Journ. frib.,
1910, 1171; prud'h. Charleroi, 28 janvier 1928, Pas., 1928, III, 184; pol. Nivelles,
15 octobre 1957, Bull. ass., 1957, p. 739, obs. G. W.; J. de P. Bruges, 21 mars 1947,
J. J.P., 1947, 227.
( 4) Cf. aussi Ie cas du contrat d'assurance: cass., 1 e, mars 1866, Pas., 1866, I, 36,
et en France note J. CARBONNIER, Rev. trim. dr. civ., 1948, p. 229.
(5) Cf. la. doctrine citée ci-devant, note 3.
FORME DE LA TRANSACTION 367

mamere expresse ou tacite à condition, dans cette seconde


éventualité, que la volonté soit certaine (6).
La volonté de contracter ne se présume jamais. Il en est
d'autant plus ainsi, dans la transaction, que ce contrat implique,
essentiellement, des renonciations et concessions réciproques.
Mais, par contre, si elle est certaine, la volonté de transiger peut
parfaitement résulter d'un acte dans lequel les parties ne men-
tionnent même pas l'existence d'un litige entre elles, s'il est
acquis que ce litige existait réellement et qu'elles avaient l'in-
tention d'y mettre fin par des concessions réciproques (7).
On cite généralement (8), comme révélateurs d'une volonté
implicite et certaine de transiger, l'exécution partielle d'un
jugement ou d'un arrêt non définitif (9) et Ie dépöt de conclu-
sions, en cours de procès, révélant la volonté commune des
parties.
c) Si la transaction est constatée par écrit, elJe peut l'être
par acte authentique, acte sous seing privé, ou encore se former
par correspondance, ce mode de formation des contrats ne
devant en rien être écarté ici (10).

293. Exceptions. Si la transaction, contrat purement consen-


suel, ne requiert, en principe, aucune formalité, il existe cepen-
dant des exceptions à cette règle.
Les principales se situent dans Je domaine des transactions
judiciaires : il s'agit des transactions qui, en matière de tutelle
(C. civ., art. 467), de faillite (C. comm., art. 492), de faux incident
civil (C. proc. civ., art. 249) (11), ne sont valables, n'ont d'exis-
tence et ne peuvent être exécutées que si elles ont préalablement
fait l'objet d'une homologation judiciaire.

(6) Cf. notamment DE PAGE, op. cit., ibid., et PL.A.NIOL, RIPERT et SAVATIER,
op. cit., ibid.; voy. aussi un exemple in prud'h. app. Bruges, 11 février 1949,
Louage d'ouvr., 1949, p. 80 (note).
(7) Bruxelles, 15 avril 1959, Pas., 1960, II, 65, cité par Mme GEVERS, Rcv. crit.
jur. belge, 1961, p. 292, n° 81.
(8) Cf. PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, op. cit., n° 1582, et L. BoYER, Dalloz :
Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 42.
(9) Bourges, 25 novembre 1925, Sirey, 1925, Il, 127, obs.
(10) DE PAGE, op.cit., n° 498 ;BAUDRY-LACANTINERIE, op.cit., n° 1217; contra:
LAURENT, t. XXVIII, n° 379, eet auteur niant, d'une façon générale, la validité
d'un contrat formé par correspondance (cf. t. XIX, n° 224).
Sur ce mode de formation des contrats cf. DE PAGE, t. 111, n° 847, et LES
NOVELLES, Droit civil, t. IV, n°• 272 ets.; HEENEN, note Rev. crit. jur. belge, 1962,
p. 303 et s., sous cass., 16 juin 1960, et en particulier n°• 10 ets.
(11) Voy. aussi art. 906 du Code judiciaire en projet.
368 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Nous avons déjà dit que ces transactions feront l'objet d'une
étude spéciale, en même temps que les autres transactions judi-
ciaires (cf. tome II).
D'autre part, il faut rappeler que suivant l'article 472 du
Code civil tout traité - en ce compris la transaction - entre
Je tuteur et le mineur devenu majeur ne pourra intervenir que
s'il est précédé d'une reddition de compte justifiée, dix jours
au moins avant la transaction, Ie tout à peine de nullité de
celles-ci ( 12).

SECTION II.

PREUVE DE LA TRANSACTION.

§ 1 er. - Sens et portée de l'article 2044, alinéa 2,


du Code civil.

294. Nous avons déjà dit que l'écrit exigé par l'article 2044,
aJinéa 2, du Code civil n'est pas de ]'essence de la transaction
et qu'il est requis probationis et non solemnitatis causa.
Ce renforcement du formalisme probatoire emporte une déro-
gation essentielle à l'article 1341 du Code civil en ce sens que
même les transactions d'une valeur inférieure à 3.000 francs
ne pourront en principe être prouvées que par écrit, ce qui
exclut la preuve par témoins et présomptions.
L'écrit instrumentaire est donc requis quelle que soit la valeur
de la transaction. Tel est le principe, unanimement reconnu (13)
dont nous envisagerons l'exacte portée ei-après.
Précisons cependant, dès à présent, que la rigueur de l'arti-
cle 2044, alinéa 2, ne s'impose que si la contestation porte sur
l'existence même de l'accord et non sur sa nature ou sa portée (14).

295. Les travaux préparatoires (15) révèlent, tout à la fois,

(12) Voy. supra, n°• 141 et s.


(13) DE PAGE, op. cit., n° 499, p. 488; DEKKERS, op. cit., n° 1324; Rép. prat.
dr. belge, v 0 Transaction, n° 39; LAURENT, op. cit., n°' 367, in fine, 374 et 376;
PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, op. cit., n° 1585; AUBRY et RAU, op. cit., ibid.
(note 6); JOSSERAND, t. Il, n° 1453; BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, op. cit.,
n° 1219; BEUDANT, op.'cit., n° 357; L. BoYER, Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transac-
tion, n°• 90 et 93; M..i'.zEAUD, op. cit., ibid.
(14) Cass. fr., soc., 22 juin 1960, Bull., civ., 1960, IV, 520.
(15) LocRÉ, La législation de la France, éd. Paris, 1828, t. XV, p. 431.
PREUVE DE LA TRANSACTION 369

que l'écrit n'est exigé qu'en vue de 1a preuve du contrat et Ie


pourquoi de cette exigence.

Après avoir rappelé que la transaction est un contrat et


qu'elle doit donc réunir les conditions de validité des conventions,
Ie rapporteur du Tribunat, Albisson, déclare en effet :
« La seule condition que le projet ajoute et qui devait l'être par rap-
port à la nature particulière de la transaction, c'est qu'elle soit rédigée
par écrit, ce qui est infiniment sage, car la transaction devant terminer
un procès, c'eût été risquer d'en faire naître un nouveau que d'en laisser
dépendre la solution d'un problème sur l'admissibilité ou les résultats
d'une preuve testimoniale "·

Dans son discours à la séance du Corps Jégislatif du 29 ventöse


an XII (20 mars 1804), Gillet, orateur du Tribunat, n'est pas
revenu sur cette prise de position (16).
Le projet a donc été approuvé sans autre observation.
L'extrait du rapport d' Albisson fait clairement apparaître
que Ie souci du législateur est celui de la preuve d'une conven-
tion de « nature particulière », ce qui démontre que les auteurs
du Code n'ont jamais voulu faire de l'écrit une condition de
solennité du contrat (17);
que Je hut à atteindre est d'éviter, après la solution transaction-
nelle d'un procès, un nouveau débat sur Ja preuve, notamment
testimoniale.
M. De Page fait justement observer (18) avec Baudry-Lacan-
tinerie (19) que ]'on peut invoquer, pour justifier l'exigence de
l'écrit, un autre argument, certainement mei11eur : « la transac-
tion est un contrat complexe, insusceptible d'être prouvée, d'une
manière suffisamment sûre et précise, quant à la teneur de ses
multiples c]auses, par témoignages ou présomptions; qu'en tout
cas il serait dangereux d'admettre pareils modes de preuve ».
Là est, en effet, la véritable et principale justification de l'écrit
instrumentaire : bien que les travaux préparatoires n'y fassent
pas une allusion expresse, elle s'y trouve exprimée implicite-
ment, selon nous, lorsque Albisson se réfère à la << nature parti-
culière » de la transaction.

(16) LocRÉ, op. cit., p. 442 et s.


(17) Voy. supra, n° 291, in fine.
(18) Op. cit., n° 499, p. 487 et 488,
(19) Op. cit., n° 1219.
DE GAVRE, Oontrat de transactwn. - 24
370 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

§ 2. - L'article 2044, alinéa 2, et les exceptions


de droit commun à l'article 1341 du Code civil.

296. L'article 2044, alinéa 2, exclut donc la preuve testimo-


niale et, partant, la preuve par présomptions même au-dessous
de 3.000 francs, somme en deçà de laquelle, en droit commun,
la preuve écrite absolue ou tempérée - commencement de preuve
par écrit - n'est jamais exigée.
La solution est constante (20).
Mais, par contre, demeure très controversée la question
de savoir si l'article 2044, alinéa 2, fait ou non obstacle
à ce que jouent les exceptions de droit commun à l'arti-
cle 1341 du Code civil, que la valeur de la transaction excède
ou non 3.000 francs:
celle de l'article 1347 relative au commencement de preuve
par écrit;
celles de l'article 1348 relatives à l'impossibilité matérielle
ou morale d'exiger un écrit et à la perte du titre (art. 1348, al. 4);
celle des conventions avenues en matière commerciale (C.
comm., art. 25).

À. - CAS DE L'ARTICLE 1347 DU CODE CIVIL.

297. L'applicabilité de l'article 1347 en matière de transaction


reste éminemment discutée bien que, tant en Belgique qu'en
France, la Cour de cassation ait, de longue date, admis la possi-
bilité de prouver par témoins et présomptions lorsqu'il existe
un commencement de preuve par écrit.
Deux théories ont été élaborées sur cette question :
a) La première applique l'article 2044, alinéa 2, d'une façon
générale et considère que ce texte exclut radicalement la preuve
testimoniale et par présomptions dans tous les cas ou elle est
admissible suivant le droit commun, que ce soit sur pied de
l'article 1341 du Code civil (cas des conventions n'excédant pas
3.000 francs) ou sur pied de l'article 1347 du Code civil.
Cette théorie se réclame de la volonté exprirnée au cours des

(20) Cf. les réféi-ences citées s1,pra, n° 294, note 13.


PREUVE DE LA TRANSACTION 371

travaux préparatoires (cf. supra, n° 295), de l'esprit de la loi


qui s'en déduit, et du texte très général de l'article 2044, alinéa 2.
« Si la loi rejette la preuve testimoniale en cette matière, ce n'est pas
parce qu'elle se défie des témoins, c'est parce que les témoins ne seraient
pas en état de rendre compte de ce qui s'est fait en leur présence; cela
conduirait inévitablement à un procès sur la preuve. n

Et Laurent (21) d'en déduire que ce motif reçoit son appli-


cation aussi bien lorsque la preuve testimoniale n'est admise
qu'avec un commencement de preuve par écrit que lorsqu'elle
est admise directement (conventions n'excédant pas 3.000 francs).
Cette théorie peut se prévaloir en outre de l'autorité de
MM. De Page (22), Dekkers (23), Kluyskens (24), Planiol et
Ripert (25), Aubry et Rau (5° éd. par Bartin) (26) et de plusieurs
décisions des juridictions de fond tant en Belgique (27) qu'en
France (28), décisions assez anciennes il est vrai, hormis un
important arrêt de la Cour d'appel de Liège du 20 mars 1964 (29)
qui énonce, de la manière la plus formelle, la prohibition absolue
de la preuve par témoins.
b) La seconde, nettement restrictive, considère que l'article 2044,
alinéa 2, dérogatoire au droit commun, ne fait exception qu'au
seul article 1341 du Code civil et qu'on ne saurait l'étendre
jusqu'à faire échec à l'article 1347 du Code civil.
Cette théorie est celle de notre Cour de cassation depuis 1844
et de la Cour de cassation de France depuis 1864.
« Attendu qu'il en résulte qu'il (l'art. 2044, al. 2, du C. civ) n'exige
la formalité de l'écriture que comme moyen de preuve de la transaction,
sans la considérer comme tenant à !'essence du contrat.

(21) Op. cit., n° 376.


(22) Op. cit., n° 499, 4°, p. 488.
(23) Op. cit., n° 1324.
(24) Op. cit., ibid.
(25) Op. cit., n° 1585.
(26) T. VI, § 420, texte et notes 8 et 9; cf. encore <lans Ie même sens : GurL-
LOUARD, Traité des transactions, 2• éd., n° 86; Rép. prat. dr. belge, v 0 Transaclion,
n°' 40 et 41; RIPERT et BOULANGER, t. II, n° 3224; l\IONETTE, DE VILLÉ et ANDRÉ,
Traité des assurances terustres, t. II, n° 509, p. 240; GIROUD, op. ei/., p. 161.
(27) Liège, 2 mars 1848, Pas., 1848, Il, 49; trib. Bruxelles, 9 <lécembre 1854,
Belg. jud., 1855, 970; Anvers, 27 janvier 1894, Jur. port Anv., 1895, 1, 84; prud'h.
Bruxelles, 24 mai 1938, Journ. trib., 1939, 174.
(28) Nancy, 5 décembre 1867, Sircy, 1868, II, 3; Bourges, 12 août 1871, Sirey,
1873, Il, 161 ; Paris, 30 novembre 187G, D., 1878, II, 64; Lyon, 7 avril 1938,
Sircy, 1938, II, 194.
(29) Jur. Liège, 1964-1965, p. 73.
372 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

» Que, dès lors, la disposition générale de l'article 1347 du Code civil


quant à l'admissibilité de la preuve testimoniale en matière de preuve
des contrats et obligations conventionnelles en général, lorsqu'il existe
un commencement de preuve par écrit, reçoit également sou application
en matière de transaction, l'article 20-!4 n'excluant que la preuve pure-
ment testimoniale de l'existence de ce contrat quand même la valeur
de sou objet n'excéderait pas celle de 150 francs » (30).

Cet arrêt du 25 avril 1844 n'a, à notre connaissance, été ni


confirmé ni infirmé par la Cour de cassation, les juridictions
de fond étant quant à elles, assez partagées (31).
En France, par contre, l'arrêt de principe du 28 novembre
1864 (32) a été très régulièrement confirmé (33), tandis que les
juridictions de fond, après de très vives réticences, fi.nissaient
par s'incliner devant la jurisprudence de la Cour de cassa-
tion (34).
Le dernier en date des arrêts de celle-ci - celui de la chambre
civile du 9 juin 1947 - se borne, comme les précédents d'ailleurs,
à affirmer, par une motivation assez sommaire, que « les dispo-
sitions de l'article 2044, alinéa 2, du Code civil n'ont pas entendu
déroger à la règle de l'article 1347 du Code civil ».
La théorie restrictive que ces arrêts consacrent a reçu, en
doctrine, l'approbation de Baudry-Lacantinerie et Wahl (35),
d'Aubry et Rau, par P. Esmein (36), de l\fazeaud (37), de Beu-
dant (38) et de Rodière (39).

(30) Pas., 1844, I, 152.


(31) Dans Ie sens de }'arrêt du 25 avril 1844, cf. Bruxelles, 13 mai 1863, Pas.,
1864, II, 22 (en matière commerciale); Gand, 9 décembre 1896, Belg. jud., 1898, 359
(en matière commerciale); trib. Bruxelles, 14 juillet 1917, Pas., 1918, III, 187;
trib. Bruxelles, 5 juillet 1945, Pas., 1946, III, 20; Gand, 11 mai 1930, Pas., 1930,
II, 100; Nivelles, 12 novembre 1957, Rec. jur. Niv., 1958, p. 56, obs.; contra :
cf. les décisions citées au n° 297, note 27; G. GHEYSEN, À. P. R., v 0 Dading, n° 189
avec les références.
(32) D., 1865, I, 105.
(33) Cf. cass., civ., 24 décembre 1877, Sirey, 1878, I, 252; req., 2 août 1927,
Gaz. du pal., 1927, II, 883; 13 juin 1936 (implicitement), D. H., 1936, p. 393;
cass., civ., 9 juin 1947, Sirey, 1947, I, 174; cf. également cass. fr., 17 décembre 1962,
Bull., civ., 1962, IV, 760 (sol. impl.).
(34) Cf. notamment Colmar, 22 décembre 1953, D., 1954, 374; Grenoble, 22 octo-
bre 1958, Gaz. du pal., 1959, I, 9 (sol. impl.); en sens contraire : cf. supra, n° 297,
note 28.
(35) Op. cit., n° 1222,
(36) Op. cit., 6• éd., par P. Es~EI::.-, § 420, note 8; contra: 5• éd., par BARTIN,
ibid., p. 197.
(37) Leçons de droit civil, t. III, n° 1639; cf. aussi MAZEAUD et TUNC, Traité
.de la responsabilité civile (5• éd.), t. II, n° 1703, note lbis.
(38) Op. cit., n° 357.
(39) Note sous cass., civ., 9 juin 1917, J.C. P., 1947, II, 3930 et 3931.
PREUVE DE LA TRANSACTION 373

298. Suite. C'est, en définitive, M. Rodière et aussi, dans une


moindre mesure, Baudry-Lacantinerie et Wahl qui, seuls, ont
apporté une certaine justification à la théorie restrictive de la
Cour de cassation de France.
On ne peut manquer, en effet, de souligner que cette jurispru-
dence procède plus d'affirmations que de démonstrations convain-
cantes (40).
M. Rodière donc, dans sa note précitée (41), défend I'idée
que ce qui singularise la transaction - comme d'ailleurs l'anti-
chrèse, le contrat d'assurance et Ie compromis - « c'est que,
quel que soit l'intérêt en jeu, la preuve par témoins n'est pas
directement recevable. Mais Ie motif qui conduit à bannir la
preuve directe par témoins n'a aucune prise sur le jeu ordinaire
des exceptions que Ie droit commun des preuves apporte à
l'article 1341 du Code civil. Chacune de ces exceptions se justifie
par des raisons qui lui sont propres : l'article 1347 par la suffi-
sante probabilité qui s'attache à la conjonction d'un commence-
ment de preuve par écrit avec des témoignages ou des indices
dont la portée d'ailleurs est abandonnée aux lumières et à la
conviction du juge ... Et ces raisons tiennent bon <levant les
motifs de l'article 2044, alinéa 2. Celui-ci doit donc composer
avec elles ... ».
On le voit, M. Rodière distingue entre la preuve par témoins
directe et indirecte - comme notre Cour de cassation le faisait
déjà dans son arrêt précité du 25 avril 1844 en parlant de preuve
purement testimoniale - et, par ailleurs, il dégage la finalité
des textes en présence pour ensuite les déclarer conciliables,
ce que Baudry-Lacantinerie et Wahl avaient déjà implicitement
exprimé (42).

299. Critique de la théorie restrictive. Il paraît extrêmement


difficile de souscrire à la théorie restrictive des Cours de cassation
de Belgique et de France.
Pour de multiples raisons :
1. C'est à tort, pensons-nous, que l'arrêt de principe rendu
par notre Cour de cassation Ie 25 avril 1844 présente et défend

(40) J. Carbonnier le remarque dans sa note de jurisprudence à la Rev. crim.


dr. civ., 1947, p. 440 et 441.
(41) J.C.P., 1947, II, 3930 et 3931.
(42) Op. cit., n° 1222, in fine.
374 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

l'applicabilité de l'article 1347 du Code civil comme corollaire


du caractère non solennel de la transaction.
Cette relation, assurément établie par l'arrêt (cf. l'extrait cité
supra, n° 297), est erronée : la seule conclusion que I'on doive
inférer du caractère consensuel d'un contrat est la règle de la
valeur probatoire du serment oude l'aveu (43) et non l'applica-
bilité de l'article 1347 du Code civil.
En outre, la Cour de cassation pèche, semble-t-il, par contra-
diction : pourquoi, en effet, admettre que l'article 1347 est
applicable, malgré I'article 2044, alinéa 2, et, d'autre part, déci-
der qu'il ne l'est pas en matière de bail, en vertu de l'article 1715
du Code civil, alors que la nature plus complexe de Ia transac-
tion justifierait, au contraire, une solution plus formaliste?
C'est pourtant à cette contradiction assez inexplicable qu'on
arrive en mettant en regard I'arrêt du 25 avril 1844 et celui
du 22 mars 1945 (44), rendu en matière de bail.
Il est permis de se demander si cette dernière et récente
jurisprudence, ainsi que !'opinion unanime de la doctrine
belge (45) ne feraient pas revenir la Cour de eassation sur sa
jurisprudence ancienne, si elle était de nouveau saisie de la
controverse, d'autant que l'arrêt du 25 avril 1844 n'a pas été
confirmé depuis par une autre décision de notre Cour
suprême (46).
2. Si la Cour de cassation de France échappe - depuis peu
de temps il est vrai (47) - à pareil reproche de contradiction,
par contre, sa jurisprudence, comme aussi d'ailleurs celle de

(43) RomÈRE l'admet, cf. note J.C. P., 1947, II, 3930 et 3931.
(44) Pas., 1945, 1, 137; Journ. trib., 1945, p. 352 avec la note R. PrnsoN qui
approuve l'arrêt; cf. aussi sur cette question P. DEMEUR, Chron. de jurisprudence
sur les contrats, Rev. crit. jur. belge, 1950, n° 19, p. 75.
( 45) Cf. les références citées supra sub n ° 297.
(46) Il faut signaler cependant l'existence d'un arrêt du 25 janvier 1932 (Pas.,
1932, I, 43) qui rejette, comme dépourvu d'intérêt, un pourvoi contre l'arrêt
de Gand du 11 mai 1930 déjà cité (Pas., 1930, II, 100) qui reconnaissait l'existence
d'une transaction tout enne concédant à l'écrit allégué que la valeur d'un commen-
cement de preuve par écrit.
(47) Un arrêt de la chambre sociale du 27 février 1953 (D., 1953, 641, avec la
note SAVATIER) a, en effet, admis, pour la première fois, la possibilité de prouver
l'exécution, et partant l'existence d'un bail par présomptions lorsque existe un
commencement de preuve par écrit. Il en était autrement auparavant : Req.,
28 juin 1892 (D., 1892, I, 407); cf. sur la tendance générale, en France, à l'assou-
plissement du formalisme en matière de bail : note de jurisprudence J. CARBON-
NIER, « Contrats spéciaux », Rev. trim. dr. civ., 1954, p. 115 et 116.
PREUVE DE LA TRANSACTION 375

Ja Cour de cassation de Belgique, méconnaît, selon nous, la


volonté du législateur.
Et non seulement la volonté qu'il a exprimée en ce qui concerne
la transaction, mais aussi celle qui est sous-jacente chaque fois
que, dans Ie domaine contractuel, l'écrit est exigé ad probationem,
même au-dessous de 3.000 francs.
M:. De Page a remarquablement exprimé l'idée que chaque
fois que cette exigence existe, Ie droit commun se trouve aggravé
au profit de l'écrit.
« Cette solution emporte logiquement le rejet de la preuve testimoniale
au-dessus comme en dessous du taux légal, même s'il existe la garantie
du commencement de prcuve par écrit. En revenir par la voie indirecte
du commencement de preuve par écrit, au témoignage, c'est s'exposer
à tous ses dangers dans des matières spéciales oü la loi a déjà, en considé-
ration de ces dangers, rcjeté la preuve testimoniale qui, en !'absence
d'une disposition dérogatoire, était pourtant Ie droit commun » (48).

Cette opinion condamne avec infiniment de pertinence la


distinction faite par M. Rodière et notre Cour de cassation
entre la preuve testimoniale directe ou purement testimoniale
et la preuve indirecte, complémentaire à un commencement
de preuve par écrit.
Le rejet de cette distinction s'impose davantage encore si
on la considère sous l'angle des motifs qui expliquent tradition-
nellement l'article 2044, alinéa 2, du Code civil.
Imaginons, en effet, que telle partie litigante se voie opposer
un écrit, de sa main, ainsi conçu : « J'admets que la convention
intervenue entre nous pour mettre fin à notre procès, etc. ».
Cet écrit rend vraisemblable l'existence, alléguée par hypothèse,
d'une transaction. Il réunit les conditions de l'article 1347 du
Code civil pour que la preuve par témoignages ou présomptions
soit théoriquement admissible.
Mais, oserait-on soutenir que pareil écrit enlève quoi que ce soit
au risque de voir la nature particulière et complexe de la transac-
tion imparfaitement reflétée dans des témoignages souvent in-
complets ou imprécis, singulièrement lorsqu'il s'agit de faire la
preuve de clauses à caractère purement juridique ou judiciaire '?
D'autre part, Ie risque de voir naître un conflit sur la preuve
est-il éliminé '? Evidemment non!

(48) T. III, n° 884.


376 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Dès Iors, les raisons qui ont poussé Ie légis]ateur à proscrire


la preuve testimoniale directe, même dans les cas ou elle était
autorisée suivant l'article 1341 du Code civil demeurent, et il
ne se justifie pas, rationnellement, de distinguer entre la preuve
purement testimoniale et la preuve par témoins (ou présomp-
tions) admise indirectement, l'une et l'autre étant également
périlleuses du double point de vue considéré.
Mais il y a plus : non seulement la théorie extensive de la Cour
de cassation n'est pas conforme à !'esprit des travaux prépara-
toires et de l'article 2044, a]inéa 2, mais, de surcroît, elle va selon
nous à l'encontre de la volonté expressément manifestée au cours
des travaux préparatoires, ce qui ne nous paraît pas avoir été
suffisamment souligné (49).
Il suffit, en effet, de relire Ie rapport d'Albisson au Tribunat
(cf. supra, n° 295) pour se rendre compte que Ie Jégislateur de
1804 a entendu éviter tout nouveau débat sur les mérites mais
aussi sur l'admissibilité de la preuve testimonia]e.
Ce qui signifie explicitement qu'un débat sur les conditions
d'application de l'article 1347 du Code civil et spécialement
sur l'existence ou la non-existence d'un commencement de preuve
par écrit ne peut se concevoir. Dès Iors ...
3. Un dernier argument contre la théorie de la Cour de cassa-
tion, qui vient étayer Ie raisonnement de M. De Page sur la
portée générale qu'il convient de donner aux dérogations à
l'article 1341 (cf. supra, même numéro) : Ie droit positif beige
révèle, en matière de contrat d'assurance, la nécessité d'un
écrit, même en deçà de 3.000 francs, mais aussi la possibilité
de prouver par témoins et présomptions, s'il y a commencement
de preuve par écrit (loi du Il juin 1874, art. 25, al. 2).
Si Ie législateur a cru nécessaire de Ie dire expressément,
dans un texte spéciaJ, c'est parce que, contrairement à ce qu'en-
seigne M. Rodière (50), l'application de l'artic]e 1347 n'allait pas
de soi.

300. Oonclusion. II faut donc résolument opter en faveur de


la thèse défendue par la doctrine dominante et considérer que

(49) Il est d'ailleurs frappant de con stater qu'aucun des arrêts de la Cour de
cassation de France ne rencontre les arguments tirés des travaux préparatoires.
(50) Note, déjà citée, au J. C. P., 1947, II, 3930 et 3931.
PREUVE DE LA TRANSACTION 377

l'article 2044, alinéa 2, a une portée générale qui exclut l'appli-


cation de l'article 1347 du Code civil.
Cette adhésion se justifie par les raisons qui ont été dégagées
ci-devant mais que nous voudrions cependant, comme ]'a déjà
fait J. Carbonnier (51), compléter quelque peu en faisant réfé-
rence à ce qui, dans la nature particulière de la transaction,
!'apparente à l'acte de procédure, voire à l'acte juridictionnel
(cf. C. civ., art. 2052) et en rappelant ainsi Ie parallélisme entre
la transaction et Ie compromis, autre convention très proche
du droit judiciaire.
En effet, il nous paraît que, tant l'article 2044, alinéa 2, du
Code civil que l'article 1005 du Code de procédure civile qui
régit la forme écrite du compromis, excluent l'un et l'autre la
preuve par témoins et présomptions parce qu'une institution
procédurale ne peut s'en accommoder (52), cette raison valant
quelles que soient les conditions dans lesquelles cette preuve
est sollicitée.

B. - CAS DE L'ARTICLE 1348 DU CODE CIVIL.

301. Il faut, par identité de motifs, décider que l'article 2044


du Code civil ne peut s'accommoder de l'exception prévue par
l'article 1348 du Code civil qui, en droit commun, admet la
preuve par témoins et présomptions lorsque existe une impossi-
bilité morale ou matérielle de préconstituer une preuve écrite (53).
M. De Page (54) observe, à juste titre, qu'il est difficilement
concevable que des parties en litige soient dans l'impossibilité
matérielle ou - surtout - morale de préconstituer une preuve
écrite de leur accord.
L'hypothèse est donc théorique.

302. Quid, par contre, de l'exception prévue à l'article 1348,


alinéa 4, du Code civil qui admet la liberté de Ia preuve lorsqu'il
y a perte involontaire du titre?

(51) Note de jurisprudence précitée, Rev. trim. dr. civ., 1947, p. 440 et 441.
(52) L'expression est de ;J. ÜARBONNIER, op. cit., ibid.
(53) Cf. DE PAGE, op. cit., n° 499, p. 488, 5°, et t. III, n° 884 (en général);
contra: L. BoYER dans Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 93; RODIÈRE,
note J.C. P., 1947, précitée.
(54) Op. cit., n° 499, p. 488, et t. III, n° 884.
378 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

On admet généralement en doctrine (55) que l'exception


s'applique malgré l'article 2044, a]inéa 2, du Code civil, car, dans
ce cas, la règle de la preuve écrite a été respectée, mais, à son
corps défendant, Je créancier est dans l'impossibilité de repré-
senter l'écrit légalement exigé.
La mise en oouvre de cette exception implique, évidemment,
que la perte du titre soit due à un cas de force majeure, ce qui,
par exemple, exclut la possibilité d'invoquer l'article 1348,
alinéa 4, lorsqu'une des parties a volontairement remis Ie titre
à un tiers (56).
Quelque traditionnelle que soit cette opinion, même chez les
tenants de la théorie extensive de l'article 2044, alinéa 2, nous
pensons qu'elle ne peut se justifier rationnellement dans Ie cas
particulier de la transaction.
Ce qu'il faut rechercher, en effet, ce n'est pas si la règle de la
preuve littérale a ou non été respectée mais bien si, les choses
étant ce qu'elles sont, il existe un risque de voir renaître un
procès sur la preuve et d'entendre inexactement reproduire Ie
contenu d'une convention complexe s'apparentant, en outre,
à une institution procédurale.
Considérée sous eet angle, il nous semble que la réponse ne
fait pas de doute : l'article 1348, alinéa 4, n'est pas plus conci-
Jiable avec l'article 2044, alinéa 2, que les autres dispositions
déjà envisagées (57).
Le parallèle que l'on fait avec Je bail, pour lequel il est admis
que l'article 1348, alinéa 4, se concilie avec l'article 1715 (58),
n'est pas pertinent à nos yeux : la nature fondamentale du bail
ne s'apparente pas à celle de la transaction. Or, c'est principale-
ment en raison de la nature particulière de ce contrat que la
preuve par témoins et présomptions doit être exclue de la manière
la plus générale.

(55) Cf. DE PAGE, t. V, n° 499, p. 489; DEKKERS, op.cit., n° 324; KLUYSKENS,


op.cit., ibid.; LAURENT, op.cit., n° 377; Rép. prat. dr. beige, v 0 Transaction, n° 44;
a fortiori les tenants de la théorie de l'interprétation restrictive de l'article 2044,
alinéa 2 (cf. n° 297, in fine). Planiol et Ripert n'envisagent pas la question.
(56) Léopoldville, 19 mai 1959, Journ. trib. d'outre-mer, 1959, p. 102.
(57) Rodière (note J.C. P., 1947, précitée) admet que la seule solution logique,
si !'on écarte l'article 1347 en vertu de l'article 2044, alinéa 2 - thèse qu'il combat
au demeurant - consiste à écarter, de même, l'application de l'article 1348,
alinéa 4. Il fait, sur ce point précis, la critique de !'opinion d'Aubry et Rau, par
Bartin, lequel, comme M. De Page, soumet à un régime différent les articles 1347
et 1348 d'une part, l'article 1348, alinéa 4, d'autre part.
(58) Cf. notamment cass., 16 décembre 1948, Pas., 1948, I, 722.
PREUVE DE LA TRANSACTION 379

C. - PREUVE DE LA TRANSACTION
EN MATIÈRE COMMERCIALE.

303. On connaît les principes : le droit civil réserve expressé-


ment le régirne des preuves en rnatière cornmerciale (C. civ.,
art. 1341, al. 2) tandis que l'article 25 du Code de commerce
déclare la preuve testimoniale adrnissible en toutes matières,
sauf dérogations expresses, et sous réserve du pouvoir laissé
au juge d'écarter la preuve testimoniale s'il l'estime opportun.
La jurisprudence révèle un large recours à cette dernière faculté,
singulièrement lorsque les usages cornrnerciaux sont fixés dans
le sens de la rédaction d'un écrit, ce qui, pratiquement, est Ie cas
pour tous les contrats importants (59).
Les auteurs qui, dans Ie dornaine des articles 1347 et 1348
du Code civil, ont opté pour la thèse de l'application large
de l'article 2044, alinéa 2, du Code civil prennent une attitude
identique en l'occurrence, les raisons de cette solution étant
toujours les rnêrnes (60). Nous renvoyons à ce qui a été dit supra,
sub n° 297, a.
La jurisprudence belge, dans sa majorité, va dans Ie rnême
sens (61), la Cour de cassation ne s'étant cependant pas encore
prononcée, à notre connaissance.
Il en est autrement en France : l'arrêt de la Cour de cassation

(50) Cf. les références citées par DE PAGE, t. III, n° 888, p. 871, note 2. Adde,
parmi les décisions plus récentes : comm. Bruxelles, 25 janvier 1940, Pas., 1949,
III, 89; comm. Anvers, 6 juin 1952, Rev. banque, 1953, p. 837, obs. P. DE BEus;
Marche-en-Famenne, 27 mars 1953, Jur. Liège, 1952-1953, p. 251; Bruxelles,
19 février 1959, Pas., 1959, II, 234 et 235 (en matière de cautionnement); Gand,
29 juin 1959, B. W., 1959-1960, 692; cf. aussi LIMPENS et VAN D.BDrn, Chron.
de jurisprudence, « Les obligations "• Bev. crit. jur. belge, 1961, n° 72, p. llO et lll,
avec les références.
(60) Cf. notamment DE PAGE, t. V, n° 499, p. 488, 6°; DEKKERS, op.cit., ibid.;
KLUYSKENS, op.cit., ibid.; LACOUR et BOUTERON, 2• éd., n° 764, note 4; PLANIOL
et RIPERT, op.cit., ibid.; BARTIN sur AUBRY et RAU, t. VI, § 420, texte et note 9,
p. 197.
Contra : VAN RYN, Principes de droit commercial, t. II, n ° 1239 ; FREDERICQ,
Traité, t. Jer, n° 153; G. GHEYSEN, v 0 Dading, in A.P. R., n° 193; BAUDRY•
LACANTINERIE et \VAHL, op.cit., n° 1224; AUBRY et RAU par P. EsMEIN, op.cit.,
§ 420, texte et note 9, p. 248 ; BEUDANT, op. cit., n° 357; MAZEAUD, Leçons, ibid.;
JosSERAND, op.cit., ibid.; LYON-CAEN et RENAULT (5• éd.), t. III, n° 52; L. BoYER
dans Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 92.
(61) Cf. Anvers, 19 juillet 1862, Jur. port Anv., 1863, I, 123; Liège, 10 juillet
1858, Pas., 1859, II, 107; Charleroi, 1 er août 1873, Pas., 1873, III, 338; trib. Gand,
20 avril 1878, Belg. jud., 1878, l118; id., 27 avril 1878, Pas., 1878, 111, 352;
Arlon, 7 octobre 1961, Jur. Liège, 1961-1962, p. 225 (sub n° 82); contra : Liège,
9 mai 1922, Jur. Liège, 1922, p. 225.
380 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

du 26 décembre 1950 (62) déclare que l'article 2044, alinéa 2,


n'est applicable qu'en matière civile et qu'il ne peut déroger
au principe de droit commercial de Ja liberté des preuves.
Cette jurisprudence de la Cour de cassation de France est
évidemment dans Ia Jigne logique des arrêts qui ont consacré
l'application restrictive de l'article 2044, alinéa 2, en regard
des articles 1347 et 1348 du Code civil (63). Il n'est pas inutile
de souligner que Ja transaction alléguée portait sur un Iitige
relatif à un bail et à un sous-bail commercial. La Cour condamne
donc radicalement la théorie de !'acte purement civil sur laquelle
nous reviendrons.

304. Il ne fait pas de doute que les raisons de sécurité juridique


qui justifient Ie rejet de Ja preuve testimoniale en matière civile
valent également, en fait, lorsque Ja transaction intervient en
matière commercia]e.
Mais ces raisons peuvent-elles être invoquées, comme telles,
dans ce domaine; autrement dit l'article 2044, alinéa 2, du Code
civil peut-il, dans sa lettre et son esprit, servir de justification
juridique valable au rejet des principes inscrits dans l'article 25
du Code de commerce 1
Personnellement nous ne Ie croyons pas : la situation ici est,
en effet, toute différente de celle qui se présente Jorsqu'il s'agit
de régler un conflit entre l'article 2044, alinéa 2, et l'article 1347
du Code civil, par exemple. Dans ce cas, il s'agit de deux dispo-
sitions civiles qui, à défaut de pouvoir se concilier, se combattent,
l'une (art. 2044, al. 2) emportant dérogation à l'autre. Ce conflit
se situe dans un même ordre juridique.
Par contre, dans Ie cas de Ia transaction commerciale, il y a
conflit entre des dispositions relevant d'ordres juridiques diffé-
rents.
Or, la loi civile sur la preuve - l'articJe 1341 compJété en
matière de transaction par l'article 2044, alinéa 2 - ne peut
s'appliquer que si elle ne préjudicie pas aux règles du droit
commercial qui gouvernent Ia preuve des engagements commer-
ciaux.

(62) Sirey, 1952, I, 37, avec la note R. MEURIBBE qui approuve !'arrêt et cite
les décisions de fond dans Ie même sens et contra.
(63) Cf. les références citées supra, sub n• 297, b.
PREUVE DE LA TRANSACTION 381

L'article 2044, alinéa 2, du Code civil ne peut donc, à défaut


de disposition particulière expresse, déroger à l'article 25 du Code
de commerce, et cela en vertu même de l'article 1341, alinéa 2,
du Code civil.
Selon nous, il est donc impossible de justifier Ie rejet de la
preuve testimoniale en matière commerciale par l'application
extensive de l'article 2044, alinéa 2, du Code civil. C'est ce
qu'exprime l'arrêt du 26 décembre 1950 de Ia Cour de cassation
de France.

305. Est-ce à dire que la transaction en matière commerciale


pourra se prouver librement, l'article 2044, alinéa 2, du Code
civil ne pouvant être invoqué ?
Les auteurs qui appliquent eet article en matière commerciale
justifient aussi leur position par une théorie célèbre : celle de
l'acte purement civil (64).
Sans vouloir déborder des limites du sujet qui nous occupe,
nous envisagerons cette théorie ici, dans la mesure ou on l'in-
voque dans Ie cas particulier de la transaction.
Il est bien évident qu'un conflit ne peut naître entre les règles
de preuve de droit civil et celles de l'article 25 du Code de com-
merce que s'il s'agit de faire la preuve « d'engagements commer-
ciaux )) autrement dit des contrats ou actes de commerce (65).
La transaction peut-elle être un acte de commerce, si elle
intervient entre deux commerçants ?
Ce n'est certainement pas un acte de commerce par nature
(cf. C. comm., art. 2, liv. Ier, tit. Ier).
Est-ce un acte de commerce par relation ?
La loi (art. 2 précité, in fine) répute << acte de commerce l>
toutes obligations des commerçants « qu'elles aient pour objet
des immeubles ou des meubles, à moins qu'il soit prouvé qu'elles
aient une cause étrangère au commerce».
Quel est Ie sens exact de cette dernière expression ? M. Van
Ryn (66), qui combat la théorie de l'acte civil, a démontré que,
sous ]'empire de la loi du 15 décembre 1872, les mots « cause

(64) Cf. notamment DE PAGE, t. V, n° 499, p. 489; DEKKERS, op.cit., n° 1324;


LAURENT, op. cit., n° 375.
(65) Les mots « engagements commerciaux » dont parle l'article 25 du Code
de commerce doivent recevoir une acception très large: cf. VAN RYN, Principes
de droit commercial, t. II, n° 1234.
(66) Op. cit., t. rer, no 75.
382 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

étrangère au commerce » désignent ce qui est étranger à tel


commerce, à l'exploitation de telle entreprise. « Au commerce »
signifie donc « à son commerce ».
Il ajoute (67) que la loi du 3 juillet 1956 qui a expressément
étendu à toutes les obligations des commerçants, la présomption
de commercialité de l'article 2, dernier alinéa, du Code de com-
merce, rend moins défendable encore la théorie des cc actes
essentiellement civils », c'est-à-dire des actes étrangers au com-
merce en général.
Cette dernière affirmation nous paraît discutable.
S'il est vrai que la loi du 3 juillet 1956 restreint singulièrement
la notion de « l'acte essentiellement civil » en faisant entrer dans
Ie droit commercial les opérations immobilières qui en étaient
traditionnellement exclues comme étant les actes civils-type (68),
par contre, il semble bien que Ie législateur de 1956 n'ait pas
entendu, pour autant, supprimer radicalement la notion d'actes
étrangers au commerce en général.
Bien au contraire, certains passages des travaux préparatoires
de cette loi révèlent expressément que la présomption de com-
mercialité ne peut être renversée cc que s'il est prouvé qu'elles
(les obligations du commerçant) aient une cause étrangère au
commerce (et non à son commerce comme on Ie dit parfois) » (69).
On pourrait donc déduire de cette loi que l'intention du
législateur fut, notamment pour des raisons de procédure (70),
de soumettre les opérations immobilières au même régime juri-
dique que toutes les autres obligations des commerçants, tout
en laissant intacte, pour Ie surplus, la notion « d'acte essentielle-
ment civiJ », qui paraît trouver dans les travaux préparatoires
de la loi du 3 juillet 1956 un soutien exprès que la loi du 15 dé-
cembre 1872 ne contenait assurément pas, bien au contraire.
Quelles que soient les critiques dont la théorie de l'acte civil
est l'objet de la part d'éminents commercialistes (71), il faut

(67) Op. cil., t. Il, n° 1239.


(68) Sur la situation antérieure à la loi du 3 juillet 1956, on consultera principale-
ment la note de M. LIMPENS sous cass., 28 avril 194!.l, Rev. crit. jur. beige, 1950,
p. 97.
(69) Ce sont les termes mêmes employés par Ie second rapporteur de la commis-
sion spéciale du Sénat M. Van Impe (Doe. parlem., Sénat, Rapport n° 322 du
21 juin 1956).
(70) Rapport de M. Van Impe précité.
(71) VAN RYN, op.cit., t. Ier, n° 8 76 ets. avec note et renvois; cf. aussi, impli-
citement, cass. fr., 26 décembre 1950, précité.
PREUVE DE LA TRANSACTION 383

donc constater que, tant en doctrine que dans Ie droit positif


récent, est admise l'existence d'actes purement civils, c'est-
à-dire d'actes qui, bien que se rattachant à l'exploitation de
telle entreprise, sont cependant étrangers au commerce en général.
La transaction entre-t-elle dans cette catégorie, ce qui aurait
évidemment pour effet de la soustraire à l'application de l'arti-
cle 25 du Code de commerce, seul l'article 2044, alinéa 2, du Code
civil régissant, dès lors, la question de la preuve ?
Laurent (72) l'affirme, l\'l. De Page aussi mais avec, semble-
t-il, plus d'hésitations (73).
Si la transaction est un acte purement civil, ce ne peut être
que parce qu'elle se rattache aux actes et obligations auxquels
peut donner lieu l'exercice d'actions judiciaires, ces actes et
obligations étant, traditionnellement, exclus du droit commer-
cial. On rappellera, à eet égard, l'arrêt de la Cour de cassation
du 10 octobre 1895 (74) qui confère un caractère civil à I'obli-
gation d'un commerçant au payement d'honoraires judiciaires.
Cet arrêt, comme d'ailleurs ]'abondante jurisprudence qui
s'en inspire (75), justifie Ie caractère civil de l'acte par !'absence
d'intention et d'esprit de lucre.
Ce critère de l'acte lucratif a été jugé suranné et a fait l'objet
d'une nouvel1e définition dans la doctrine moderne du droit
commercial : le hut lucratif ne doit plus s'apprécier pour chaque
acte en particulier mais bien dans !'ensemble des opérations
commerciales entreprises par un commerçant, chacune de ces
opérations rejaillissant sur les autres (76). L'acte non lucratif
se définit donc d'une façon de plus en plus restrictive (77).

(72) Op. cit., n° 375.


(73) Op. cit., t. V, n° 499; cf. également Complément, t. V, n° 499, p. 343, et
Complément, t. III, n° 889, p. 492, beaucoup moins affirmatif; contra: Rép. prat.
dr. belge, v 0 Transaction, n° 43.
(74) Pas., 1895, I, 286.
(75) Cf. les nombreuses références citées par DAUBRESSE aux NOVELLES, Droit
commercial, t. Jer, n°• 418 à 426, et notamment dans le cas particulier de la transac-
tion considérée comme acte de commerce : comm. Gand, 24 avril 1915, Jur. com.
Fl., 1915, 96 ; Liège, 9 mai 1922, Jur. Liège, 1922, 225 ; contra: trib. Gand, 27 avril
1878, Pas., 1878, III, 352.
(76) VAN RYN, op. cit., t. Jer, n° 80.
(77) L'évolution est très sensible en matière de cautionnement, convention
traditionnellement considérée comme étrangère au commerce parce qu'il s'agit
d'un contrat « de bienfaisance ». Voy. l'examen de la jurisprudence récente par
M. GEVERS (Chron. de jurisprudence sur les contrats spéciaux in Rev. crit. jur.
belge, 1961, p. 200, n° 77) et par M. GEVERS et J. DE GAVRE (Cbron. de jurispru-
384 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Il est vrai que lorsqu'un commerçant transige, il ne réalise


pas un bénéfice direct comme s'il vendait des produits de sa
fabrication ; mais il agit certainement dans une intention lucra-
tive, celle-ci pouvant se manifester aussi bien dans la recherche
d'un gain que dans Ie désir d' éviter une perte ou certains risques,
en l'occurrence ceux afférents à un litige né ou à naître.
D'autre part, il nous paraît difficile de fonder Ie caractère
purement civil de la transaction sur !'aspect non lucratif de ce
contrat, alors que ce dernier critère se concilie difficilement avec
la règle de la finalité lucrative (78) des sociétés commerciales
qui, présentement, forment sans doute la part la plus impor-
tante des commerçants et qui transigent aussi souvent que les
commerçants - personnes physiques !
Nous pensons donc, sans vouloir nous prononcer ici sur la
valeur d'ensemble de la théorie de l'acte essentiellement civil,
qu'en tout cas la transaction n'est pas un de ces actes.
Nous en déduisons que rien, en théorie du moins, ne s'oppose
fondamentalement à ce qu'une transaction soit prouvée par
témoins et présomptions, en matière commerciale. Ainsi Ie veulent
les articles 2044, alinéa 2, 1341, alinéa 2, du Code civil et 25
du Code de commerce qui doivent être combinés.
Rien, en théorie, disions-nous.
Car, en pratique, chaque fois qu'une offre de preuve testimo-
niale est formulée en matière de transaction, le juge la repoussera
et exigera l'écrit comme l'article 25 du Code de commerce lui
en laisse expressément la faculté.
Ce n'est donc pas l'article 2044, alinéa 2, comme tel qu'on
appliquera mais, gràce à cette faculté laissée au juge, l'esprit
qui l'anime, les raisons logiques qui Ie justifient et, en tout cas,
l'usage juridique qu'il crée aussi bien en matière commerciale
qu'en matière civile.

dence, Rev. crit. jur. belge, 1964, p. 236, n° 85); adde et comp. Bruxelles, 8 jan-
vier 1964, cité par G. LERMUSIAUX au Journ. trib., 1964, p. 619; comm. Liège,
29 septembre 1962, Jur. Liège, 1962-1963, p. 51.
(78) Sans doute, les actes à titre gratuit ne sont-ils pas, apriori, incompatibles
avec la capacité complète des sociétés commerciales, limitée seulement par leur
nature de personne morale. Mais encore faut-il que pareils actes ne soient pas
absolument désintéressés et qu'ils puissant, au moins, être considérés comme des
moyens, même indirects, de réaliser l'objet social (cf. sur cette question: P. VAN
ÛMMESLAGHE, note Rev. crit. jur. bel ge, 1958, p. 286 ; VAN RYN et VAN ÛMME-
SLAGHE, Chron. de jurisprudence, Rev. crit. jur. belge, 1962, p. 364, n° 8).
PREUVE DE LA TRANSACTION 385

§ 3. - Conditions de validité de l'écrit.

306. Application du droit commun. Si la transaction est consta-


tée par un écrit, celui-ci doit, cela va de soi, remplir les conditions
de validité qui, en droit commun, donnent une force probante
à l'acte sous seing privé ou à l'acte authentique (79).
Nous ne croyons pas devoir insister à eet égard, sauf à rappeler
que, par application des articles 1er et 2 de la loi du 16 décembre
1851 sur les privilèges et hypothèques, la transaction devra être
reçue en la forme authentique et transcrite si elle a pour objet,
en tout ou en partie, des droits réels immobiliers (80). Peu importe
que l'on reconnaisse à la transaction un caractère déclaratif
ou translatif puisque aussi bien la transcription et, dès lors,
l'authenticité sont requises dans les deux cas (Loi hyp., art. 1 er).
On soulignera aussi que si la transaction emporte donation de
biens meubles, soit par l'effet d'une donation indirecte, soit par
l'effet d'une donation déguisée (81) elle ne devra pas être reçue
en la forme authentique, I'article 931 du Code civil ne s'appli-
quant qu'aux donations proprement dites (82).

307. Application de l'article 1325 du Code civil. La transaction


étant un contrat synallagmatique doit, si elle est écrite sous
seing privé, satisfaire au prescrit de l'article 1325 du Code civil
relatif à Ia formalité des doubles originaux.
La solution est certaine (83).
Elle souffre cependant deux exceptions, plus apparentes que

(79) La Cour de cassation a eu !'occasion de Ie rappeler en ce qui concerne


la signature. L'apposition d'une croix ne peut en tenir lieu : arrêt du 14 novem-
bre 1901 (Pas., 1902, I, 37).
Par ailleurs, la transaction non signée ne vaut que comme projet ou offre de
transaction. Elle peut être retirée tant qu'elle n'est pas acceptée (cass. fr., req.,
11 décembre 1901, D. P., 1903, I, 114); cf. sur l'application de ces principes
constants dans Ie domaine successoral la note de jurisprudence de R. SAVATIER
in Rev. trim. dr. civ., 1935, p. 180.
(80) Cf. Bruxelles, 15 février 1963, Pas., 1963, II, 70.
(81) Cass., 19 novembre 1838, Pas., 1838, 1, 390.
(82) Cass., 5 janvier 1950, Pas., 1950, I, 287.
(83) DE PAGE, t. V, n° 498; DEKKERS, op. cit., ibid.; KLUYSKENS, op. cit.,
ibid.; LAURENT, op. cit., ibid.; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER, op. cit., ibid.;
AUBRY et RAU, t. VI (6• éd. par P. ESMEIN), § 420, texte p. 248, et note 9, 3.
Contra : MoNETTE, DE VrLLÉ et ANDRÉ, Traité des assurances terrestres, t. II,
n 08 509 et s., ces auteurs considérant que l'article 2044, alinéa 2, du Code civil
déroge à toutes les règles de droit commun, y compris celle de l'article 1325 du
Code civil. Cette théorie paraît difficilement conciliable avec Ie caractère synallag-
matique de la transaction et avec Ie but très préci:• de l'article 2044, alinéa 2,
du Code civil.
DE GAvRE, Oontrat de transactwn. - 25
386 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

réelles, et qui ne sont au demeurant que l'application du droit


commun.

308. a) Lorsque la transaction se forme par correspondance,


I'article 1325 ne s'applique pas.
Les lettres-missives constituent des écrits admissibles de la
façon la plus générale et, par conséquent, dans Ie domaine qui
nous occupe (84).
Il est fréquent que les lettres dont Ie rapprochement forme
contrat, émanent des conseils des parties. Peut alors se poser
Je problème de Ia production en justice de la correspondance
échangée entre les avocats et celui des limites du caractère
confidentiel qui s'attache normalement à cette correspondance :
ces questions sont généralement tranchées par les règlements
de l'Ordre (85) encore que, très récemment, la jurisprudence
française ait eu l' occasion de se prononcer à eet égard, dans des
espèces qui précisément mettaient en cause l'existence de transac-
tions (86).

309. b) L'article 1325 n'a plus de raison d'être lorsqu'une des


parties a déjà complètement exécuté ses obligations.
Cette exception reçoit une fréquente application, dans la
pratique, lorsque sont rédigées des quittances transactionnelles
pour solde de tous comptes, notamment dans Ie contentieux
des assurances, ou dans celui des relations entre employeurs
et travailleurs.
Dans les deux cas, la quittance est Ie plus souvent rédigée
en un seul exemplaire.
Cet exemplaire unique peut-il valablement faire preuve de
l'existence d'une transaction?
La solution aflirmative est très généralement défendue mais
des divergences subsistent quant à sa justification.

(84) DE PAGE, t. 111, n° 847, et t. V, n° 498; contra, mais à tort, croyons-nous,


LAURENT, op. cit., n° 370.
(85) Cf. résolutions du Conseil de l'Ordre du barreau de Bruxelles des 21 et
28 juin 1960, approuvées par tous les Conseils de l'Ordre du pays.
(86) Paris, 5 mai 1965, Dalloz-Sirey, 1966, Somm., p. 23; Douai, 15 juin 1956,
D., 1957, 97 avec la note CRÉMIEU; sur la question de la production en justice
de la correspondance échangée entre les avocats, d'une façon générale, cf. !'examen
de jurisprudence de M. HÉBRAUD, in Rev. trim. dr. civ., 1963, p. 605, n° 9, et cass.
fr., 19 mars 1963, Sirey, 1963, p. 236 et la note.
PREUVE DE LA TRANSACTION 387

On a invoqué (87) Ie droit commun suivant lequel !'exemplaire


unique d'une convention synallagmatique est un commencement
de preuve par écrit au sens de l'article 1347 du Code civil.
Mauvaise justification à nos yeux puisque, nous l'avons sou-
tenu, Ie commencement de preuve par écrit ne sert à rien en
matière de transaction, l'article 2044, alinéa 2, du Code civil
écartant, implicitement mais certainement, l'application de
l'article 134 7.
En réalité, comme Ie souligne une doctrine autorisée (88),
la force probante de la quittance tient à cette idée qu'il n'est
guère de preuve plus concluante d'une convention que son exécution.
Or si cette exécution est établie dans Ie chef d'une des parties
- l'assureur ou l'employeur qui a payé la somme convenue
transactionnellement - l'article 1325 cesse de s'appliquer, car
ce texte ne se justifie que dans Ia mesure ou des obligations
corrélatives existent encore dans Ie chef des deux parties à une
convention synallagmatique (89).
Ainsi, par exemple, la victime d'un accident qui délivre
à l'assureur une quittance transactionnelle pour solde est-elle
sans intérêt à conserver un original en sa possession puisqu'elle
a été indemnisée.
La jurisprudence a très largement suivi cette doctrine, tant
en Belgique (90) qu'en France (91).
« Attendu que, bien qu'en principe la transaction constitue une conven-

(87) Gand, 11 mai 1930, Pas., 1930, Il, 100; cass. fr., civ., 15 janvier 1946,
J.C. P., 1946, Il, 3034, et A. CHAVANNE, « Les quittances pour solde de tous
comptes », in J. C. P., 1949, Doctr., 776.
(88) DE PAGE, t. 111, n° 804, B, 1°, e, et t. V, n° 498; PLANIOL, RIPERT et
SAVATIER, t. XI, n° 1585 avec les références en note 3; G. WETS, note au Bull. as.~.,
1957, p. 740; R. GEYSEN, « Le reçu pour solde de tout compte », in Rev. dr. soc.,
1951, p. 208 et s. ; GRAULICH et LALOUX, notes de jurisprudence in Rev. trim.
dr. civ., 1931, p. 720, n° 45.
(89) Cf. sur cette interprétation de l'article 1325, en général, cass., 20 février
1941 (Pas., 1941, I, 54), 7 février 1951 (Pas., 1951, I, 683) et 3 avril 1964 (Pas.,
1964, I, 824).
(90) Bruxelles, 10 juillet 1896, Pas., 1898, Il, 55, et 12 juin 1953, Bull. ass.,
1953, p. 479; Liège, 29 mars 1962, Pas., 1962, II, 262, et 29 mars 1964, Jur. Liège,
1964-1965, p. 73 (spécialement p. 75, col. 2); trib. Bruxelles, 5 juillet 1945, .Rev. gén.
ass. et resp., 1946, 3956, et 2 mars 1965, Rev. gén. ass. et resp., 1965, 7502 avec
la note J. FONTEYNE; cf. aussi cass., 3 mars 1966 (inédit, S. A. Nationale de
Bruxelles c. Vanderstocken) qui rejette Ie pourvoi dirigé contre un arrêt de la
Cour d'appel de Bruxelles du 17 février 1964 (inédit) qui lui-même confirme trib.
Bruxelles, 28 mars 1963 (Journ. frib., 1963, p. 491) - voy. spécialement la réponse
à la quatrième branche du moyen unique.
(91) Cass., civ., 8 janvier 1900, D., 1904, I, 606, et cass., req., 5 décembre 1938,
J.C. P., 1939, Il, 1032.
388 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

tion synallagmatique, il n'y avait en l'espèce aucun motif lors de la rédac-


tion de l'écrit d'appliquer l'article 1325 du Code civil parce que précisé-
ment l'appelante, à la suite du versement fait par elle, n'avait plus, au
moment de la signature, aucun engagement à remplir et que la réciprocité
des engagements est la raison de la disposition légale en cause » (92).

Par conséquent il convient, dans cette opinion, de distinguer


nettement la transaction proprement dite de la quittance transac-
tionnelle (93).
Dans la première, les parties fixent par écrit leurs obligations
et concessions réciproques, c'est-à-dire la teneur d'un accord
à réaliser ultérieurement, et l'acte instrumentaire devra être
rédigé en double, comme le veut l'article 1325. Mais si, ce qui
est souvent le cas, les parties exécutent immédiatement leur
accord, une simple quittance suffit qui est destinée non pas à
constater les engagements respectifs mais bien le fait qu'ils ont
été complètement exécutés ; dans ce cas la formalité du double
n'est plus requise. Et c'est précisément parce que la quittance
est moins explicite que la transaction même qu'elle peut, quant
à la détermination exacte de sa nature et de sa portée transaction-
nelles, donner lieu à des difficultés de qualification dont nous
avons déjà parlé (94).
En opposition avec !'opinion, très généralement reçue, qui
vient d' être exposée, on notera cependant que, pour certains,
« il vaut mieux s'attacher à la nature même de la convention
réalisée qu'à l'instrumentum qui lui sert de support et décider ...
que la transaction constitue un contrat synallagmatique et que
l'acte sous seing privé qui Ie constate doit être fait en double
original, même s'il n'est qu'une quittance » (95).
C'est d'ailleurs pourquoi, en fait, les assureurs veillent, Ie
plus souvent, à ce que les quittances soient rédigées en plusieurs
exemplaires (96).

(92) Bruxelles, 12 juin 1953, précité.


{93) R. GEYSEN, op. cit., ibid.
(94) Voy. supra, 11°• 53 et s.
(95) A. ÜHAVANNE, op. cit., ibid.; Montpellier, 21 juin 1932, Gaz. du pal., 1932,
Il, 264; trib. Bruxelles, 28 mars 1963, Journ. trib., 1963, p. 491, confirmé par
Bruxelles, 17 février 1964 (inéclit e/c Vanderstocken et Nationale de Bruxelles);
prucl'h. appel Bruxelles, 4 novembre 1947, Rev. dr. soc., 1951, p. 222 avec la note
critique.
(96) A. ÜHAVANNE, op.cit., ibid.; BEZ DE VILLARS, De la transaction comme mode
de règlement des accidents corporels, thèse, Aix, 1937, p. 44; cf. les considérations
de la Cour de Liège sur cette pratique (arrêt du 20 mars 1964, Jur. Liège, 1964-
1965, p. 73, spécialement p. 75, col. 2).
PREUVE DE LA TRANSACTION 389

310. Quid si la transaction, rédigée en un seul exemplaire,


n'a fait l'objet d'aucune exécution ou d'une exécution de la
part d'une des parties seulement 1
Le non-respect de l'article 1325 du Code civil fait naître au
profit de la partie qui n'a pas concouru aux actes d'exécution
de l'autre partie une action en nullité relative (97). Cette nullité
peut être couverte par l'exécution ultérieure, totale ou partielle,
de la convention (98).
S'il est inopérant - nous l'avons déjà dit - de considérer
}'exemplaire unique comme commencement de preuve par écrit
puisque l'article 1347 du Code civil est écarté par l'article 2044,
alinéa 2, du Code civil, par contre, rien n'empêche de trouver
dans !'exemplaire unique la preuve d'un aveu extra-judiciaire
de la transaction intervenue, l'article 1325 ne régissant que les
actes sous seing privé contenant des contrats synallagmatiques
et non les écrits invoqués pour justifier l'existence d'un aveu
extra-j udiciaire.
La Cour de cassation a eu !'occasion de Ie rappeler par sou
arrêt du 7 juin 1951 (99).

§ 4. - Preuve de la transaction par aveu et serment.

311. Si l'application des articles 1347, 1348 du Code civil


et 25 du Code de commerce peuvent susciter des controverses
en matière de transaction, par contre, il n'est pas douteux qu'à
défaut de preuve littérale, l'existence de ce contrat pourra
s'établir par l'aveu et le serment, Je contrat n'étant pas solennel.
La solution est constante en doctrine et en jurisprudence (100).

(97) Liège, 20 mars 1964, précité.


(98) Comm. Bruxelles, 16 janvier 1958, Journ. trib., 1958, 408, cité par MM. Lim-
pens et Van Damme, Chron. précitée, Rev. crit. jur. belge, 1961, p. 103, n° 68, 1°.
(99) Pas., 1951, 1, 683; cf. aussi : cass., 25 mars 1880, Pas., 1880, 1, 107, et
cass. fr., req., 21 juillet 1925, Pas., 1926, Il, ll.
(100) DE PAGE, t. V, n° 499, p. 489; DEKKERS, op.cit., ibid.; LAURENT, op.cit.,
n°• 378 et 379, qui refute !'opinion contraire de TROPLONG; Rép. prat. dr. belge,
v Transaction, n° 45; KLUYSKENS, op. cit., ibid.; PLANIOL, RIPERT et SAVATIER,
0

op. cit., ibid.; AUBRY et RAU, par P. EsMEIN, op. cit., § 420, texte et note 7;
DEMOGUE, note de jurisprudence, Rev. trim. dr. civ., 1931, p. 430 et 431; JossE•
RAND, op.cit., ibid.; BAUDRY-LACANTINERIE et W AHL, op.cit., n° 1221; BEUDANT,
op. cit., n° 357; Dalloz: Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 94. En jurisprudence,
cf. principalement quant à l'aveu : cass., 27 septembre 1937, Pas., 1937, 1, 243
(solution implicite); comm. Liège, 4 juillet 1910, Pand. pér., 1911, 120, et quant
au serment : La Haye, 26 juillet 1823, Pas., 1823, 426; Malines, 18 février 1864,
CLOES et BoNJ., t. XV, 563; comm. Liège, 4 juillet 1910, précité; contra: Liège,
29 aoflt 1814, Pas., 1814, 215.
390 TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE

Il en résulte que les tribunaux pourront recourir à tous moyens


destinés à provoquer l'aveu judiciaire de Ja transaction et,
notamment, à la comparution personnelle des parties et à leur
interrogatoire sur faits et articles (101).
Il importe toutefois que l'aveu ainsi recueilli soit formel et
complet quant à l'existence et aux clauses de la transaction,
le juge ne pouvant compléter, par des présomptions, des aveux
partiels fragmentaires, complexes ou contradictoires (102).
Quant à l'aveu extra-judiciaire, il devra réunir les mêmes
conditions et, en outre, être écrit, par application de l'article 1355
du Code civil qui déclare inopérant ]'aveu extra-judiciaire verbal
dans les matières ou la preuve testimoniale est proscrite (103).

(101) La Haye, 3 juillet 1823, Pas., 1823, 455; Malines, 18 février 1864, et
comm. Liège, 4 juillet 1910, précités; cf. aussi les décisions françaises c\tées par
L. BOYER in Dalloz : Encycl. dr. civil, v 0 Transaction, n° 94.
(102) Liège, 12 juin 1929, Pas., 1929, II, 107,
(103) Cf. une application dans corr. Marche-en-Famenne, 11 février 1954,
Rev. gén. ass. et resp., 1954, 5359 : il s'agissait d'une relation faite par des verba-
lisants, non signée par les parties, ce qui excluait un aveu écrit. Le tribunal décide
que Ie procès-verbal ne peut être retenu comme aveu extra-judiciaire verba! en
matière de transaction (0. civ., art. 1355).
TABLE DES MATIRRES
PAGES
PRÉFACE ... 5

AVANT-PROPOS . 9

LISTE DES ABRÉVIATIONS 11

ÎNTRODUCTION . . . . . 15

LA TRANSACTION EXTRA-JUDICIAIRE.

TITRE Jer. - DOMAINE DE LA TRANSACTION (n°• l à 92). 21

CHAPITRE rer. - DÉFINITION ET ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS


DE LA TRANSACTION (n° 8 l à 49) . , 21

SECTION Jre. - DÉFINITION (n° 8 1 et 2) 21


§ 1er. - Définition du Code civil : article 2044. Lacunes.
Critiques (n° 1) . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
§ 2. - Définition classique de la transaction. - Ses éléments
constitutifs (n° 2) . . . . . . . 22

SECTION II. - ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS (n° 8 3 à 49) . . . 23


§ 1 er. - La transaction est un contrat. - Caractères de ce
contrat (n° 3) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
§ 2. - La transaction exige une contestation née ou à naître.
- La notion de litige (n°• 4 à 20) . . . . . . . . . 25
A. - Nécessité d'une contestation. - La res litigiosa,
élément objectif du contrat (n°• 5 à 8) . . . . . 25
B. - Les notions de contestation et de litige. - Défi-
nitions. - Evolution (n°• 9 à 20) . 28
1° Terminologie du Code civil (n° 9) . 28
2° Evolution (n° 10) . . . . . . . . . 30
3° Conception moderne du litige (n°• 11 à 14) 31
4° Transaction et litige (n° 15) . . . . 34
5° La notion de contestation ou de litige à naître.
-Transaction sur les droits éventuels (n°• 16 à 20). 36
§ 3. - La transaction suppose un doute né du litige. -
Théorie de la res litigiosa et dubia (n°• 21 à 27) . . . 43
392 TABLE DES MATIÈRES
PAGES
A. - Nécessité d'un doute litigieux (n° 21) 43
B. - Doute subjectif ou objectif? (n° 22) 46
C. - Critique de la théorie du doute. - Thèse de
M. Boyer. - Le doute est-il absent de certaines
transactions? (n°• 23 à 27) . . . . . . . . . 48
§ 4. - La transaction suppose l'intention commune des
parties de mettre fin au litige (n° 28) . . . . . . 53
§ 5. - La transaction réalise sa fin par des concessions
réciproques (n° 8 29 à 48) . . . . . . . . . . . . . 54
A. - Les « concessions réciproques "• élément essentie!
de la transaction (nd 29) . . . . . . . . 54
B. - Lacunes du Code civil (n°• 30 à 32) . . . . . . 55
C. - Définition des concessions réciproques. - Leur
objet. - Distinction (n°s 33 à 48) . . . . . . . . 58
I. Nécessité des concession.s réciproques (n° 33) . . 58
IT. Nature et objet des concessions faites par les coli-
tigants (n° 34) . . . . . . . . 59
Transaction tran.slative (n° 35) . . 59
Transaction pure ou déclarative (n° 36) 60
Théorie de la doctrine classique (n° 37) 60
Théorie de M. Boyer. Autonomie et nature du
droit d'action, objet des concession.s réciproques
(n°• 38 à 40) . . . . . . . . . . . . . 63
Théorie de M. R. Rodière (n° 41) . . . . . . 66
Critique de la théorie de M. Boyer (n°• 43 à 47) 68
Conclusion (n° 48) . . . . . . . . . . 76
§ 6. - Essai de synthèse et de définition (n° 49) 78

CHAPITRE IT. - QUALIFICA.TION DES A.CTES TRANSACTION·


NELS (nos 50 à 67) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
§ 1er. - Rappel des principes. - Renvoi au droit commun
(n°• 50 et 51) . . . . . • . . . . . . . . . . . . 80
§ 2. - Applications pratiques. - Cas spécial des quittances
pour solde (n°• 52 à 65) . . . . . . . . . . . . . 82
1 ° Les quittances pour solde en matière sociale
(nOB 55 à 59) . . . . . . . . . . . . . . . 84
2° Les quittances pour solde en matière d'assurances
(n°• 60 à 65) . . . . . . . . . . . 89
§ 3. - Autres applications pratiques (n°• 66 et 67) . . . . 94

CHAPITRE III. - TRANSACTION ET ACTES JURIDIQUES V0I·


SINS (n°s 68 à 92) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
1
TABLE DES MATIÈRES 393
PAGES
Introduction (n° 68) . . . . . 96
§ 1er. - Transaction et compromis (n°• 69 à 71) 96
a) La transaction et le compromis sont des actes juri-
diques essentiellement différents (n° 69) . . . . . 96
b) Importance de la distinction (n° 69) . . . . . . . 97
c) Analyse de la jurisprudence. - Considérations et
critiques (n° 69) . . . . . . . . . . . . . . . 97
§ 2. - Transaction. - Désistement. - Acquiescement
(nO 72) . . . . . 104
§ 3. Transaction et retrait litigieux (n° 73) 106
§ 4. Transaction et serment décisoire (n° 74 à 79) 108
§ 5. Transaction et renonciation (n° 80) . 115
§ 6. - Transaction et partage. - Gas spécial de la transac-
tion-partage (n°• 81 à 86) . . . . . . . . . 116
1° Introduction (n° 81) . . . . . . . . . . 116
2° Transaction-partage et minorité (n° 82) . . 117
3° Transaction-partage et lésion (n°• 83 à 85) 119
4° Conclusion (n° 86) . . . . . . 126
§ 7. - Transaction et jugement (n°• 87 à 90) 129
§ 8. - Transaction pénale et fiscale (n° 91) 131
§ 9. - Transaction et concordat (n° 92) . 132

TITRE II. - CONDITIONS DE V ALIDITÉ DE LA TRANS-


ACTION (n°• 93 à 311) . . . . . . . . . . 135

CHAPITRE rer. - LE CONSENTEMENT (n°• 94 à 97) 135


§ 1er. - Généralités (n° 94). 135
§ 2. - Dol et transaction (n° 95) 137
§ 3. - Violence et transaction (n° 96) 138
§ 4. - Lésion et transaction (n° 97) . 140

CHAPITRE II. - CAPACITÉ ET Pouvom (n° 98 à 197) 143


SECTION Jre. - DISTINCTION : CAPACITÉ ET P0UV0IR DE
TRANSIGER (n° 98) . . . . . . . . . 143
SECTION II. - CAPACITÉ DE TRANSIGER (n° 8 99 à 169). 144
§ 1er. - Considérations générales (n°• 99 à 101) . . . 144
A. - Sens de l'article 2045, alinéa 1er (n°• 99 et 100). 144
B. - Sanction du défaut de capacité et de pouvoir
règles générales (n° 101) . . . . . . . . . . . 147
394 TABLE DES MATIÈRES
PAGES
§ 2. - Cas d'application (n° 8 102 à 169) . . . . . . . 148
A. - Incapacités protectrices dues à l'age (n°• 103 à 131). 148
I. Cas du mineur en tutelle (n°• 104 à 111) . . . 148
Régime de l'article 467 du Code civil (n° 104) 148
Avis des trois jurisconsultes. - Conditions (n°• 105
à 107). . . . . . . . . . . . . . 150
Homologation par le tribunal (n° 108) . 157
Champ d'application des articles 2045, alinéa 2,
et 467 du Code civil (n°• 109 et 110) . . . . . 158
Sanctions des formes prescrites par les articles 2045,
alinéa 2, et 467 du Code civil (n° 111) 161
II. Cas du mineur sous administration légale (n° 8 112
à 116). . . . . . . . . . . . . . . . 165
Position de la question (n° 112) . . . . . 165
Pouvoirs de !'administrateur légal. - Rappel des
principes admis en doctrine et jurisprudence
bel6 es (n° 113) . . . . . . . . . 166
Applications en matière de transaction (n° 114) 168
Critiques (n° 115) . . . . . . . . . . . 169
Sanction des règles de capacité (n° 116) . 173
III. Cas du mineur émancipé (n°• 117 à 131) 174
Position de la question (n° 8 117 à 120) . . 174
Discussion critique des thèses en présence (n°• 121
et 122) . . . . . . . . . . . . . . 179
Analyse de la jurisprudence (n° 8 123 à 127) 181
Exemples (n° 128) . . . . . 188
Conclusions (n° 129) . . . . . . . . . . 189
Sanction des règles de capacité (n° 130) . 191
Cas spécial du mineur émancipé commerçant (n° 131). 192
B. - Incapacités protectrices et générales dues à une
infirmité mentale (n°• 132 à 139) . . . . . . 192
I. Cas des interdits judiciaires (n° 8 133 et 134) . 193
II. Cas des aliénés internés mais non interdits (n° 135). 195
III. Cas des aliénés non interdits, séquestrés à domi-
cile (n° 136) . . . . . . . . . . . . . . 197
IV. Aliéné ne faisant l'objet d'aucune mesure légale
de protection (n° 137) . . . . . . . . 198
V. Délinquants anormaux. - Délinquants d'habi-
tude (n° 138) . . . . . . . . . . . . . . . . 198
VI. Cas des prodigues et des faibles d'esprit (n° 139). 199
C. - Incapacités spéciales de transiger (n°• 140 à 146). 201
I. Cas de l'ex-tuteur et du mineur devenu majeur
(n°• 141 à 143) . . . . . . . . . 201
II. Transactions entre époux (n°• 144 à 146) . . . . 207
TABLE DES MATIÈRES 395
PAGES

D. - Incapacités-sanctions (n° 8 147 à 151) 212


I. Incapacité de l'interdit légal (n° 148) 212
II. Incapacité du failli. - Cas du débiteur concor-
dataire (n°• 149 et 150) . . . . . . . . . . . 213
nr. Cas du débiteur dont les biens sont frappés de
saisie immobilière (n° 151) 217
E. - Incapacités de droit public (n° 152) 217
I. L'Etat (n° 153) . . . . . .
II. Les provinces (n° 154) . .
III. Les communes et établissements publics (n° 8 155
217
218 1
à 158) . . . . . . . . . . . . . . . . 219 1',,
IV. Autres personnes morales de droit public (n° 159). 224
F. - Cas spécial de la femme mariée (n°• 160 à 169). 225

SECTION nr. - POUVOIR DE TRANSIGER (n°s 170 à 197) 236


§ 1er. - Rappel et plan (n° 170) . . 236
§ 2. - 2'dandatairee conventionnels (n°• 171 à 183) 236
A. - Principes généraux (n° 8 171 à 173) . . . 236
B. - Applications (n° 8 174 à 183) . . . . . . 240
I. De l'article 1988, alinéa 2, du Code civil (n° 174). 240
II. De l'article 1989 du Code civil (n" li5) . . . . 241
III. Cas des gérants, administrateurs et liquidateurs
de sociétés ou associations (n° 176) . . . . . . 242
1° Associés-gérants d'une société ou d'une associa-
tion civile dénuée de la personnalité juridique
(n°177) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
2° Administrateurs et gérants des sociétés en nom
collectif et en commandite simple (n° 178) . . 244
3° Administrateurs des sociétés anonymes (n° 179). 246
4° Administrateurs et gérants des sociétés coopéra-
tives et en commandite par actions (n° 180). 248
5° Gérants des S. P. R. L. (n° 181) . 249
6° Gérants des sociétés commerciales non person-
nalisées (n° 181) . . . . . . . . . . 250
7° Administrateurs des A. S. B. L. (n° 181) 251
8° Liquidateurs des sociétés commerciales (n°• 182
et 183) . . . . . . . . . . . . . . . . 251
§ 3. - Représentants, mandataires et administrateurs léga·ux
ou désignés par justice (n° 8 184 à 194) . . . . . . . 252
A. - Les représentants légaux des incapables. - Renvoi
(n° 184) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252
396 TABLE DES MATIÈRES
PAGES
B. - Les curateurs de faillite (n°• 185 à 188) . . . . 253
C. - Les envoyés en possession des biens d'un absent
(n° 189) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
a) Cas de I'envoyé en possession provisoire (n° 189). 255
b) Cas de l'envoyé en possession définitive (n° 190). 259
D. - L'héritier bénéficiaire, l'héritier apparent et Ie cura-
teur à succession vacante (n°• 192 à 194) . . . . 260
§ 4. - Sanction du défaut de pouvoirs. - Notions géné-
rales. - Rappel (n° 8 195 et 196) . . . . . . . . . . 264
§ 5. - Cas spécial de la femme mariée. - Renvoi (n° 197). 265

CHAPITRE III. - ÛBJET ET CAUSE DE LA TRANSACTION


(nOB 198 à 289) . . . . 266

SECTION rre. - GÉNÉRALITÉS (n° 198) 266

SECTION Il. - ÜBJET DE LA TRANSACTION (n° 8 199 à 285) 267


§ 1er. - Généralités. - Renvoi au droit commun (n° 199). 267
§ 2. - Objets inaliénables, interdits ou illicites. - Exem-
ples. - Limites des interdictions (n° 200) 270
1. Biens du domaine public (n° 201) . . 271
II. Pensions alimentaires (n° 8 202 à 223) 272
Distinctions (n° 203 à 207).
8 272
Conclusions (n° 208) . . 278
Applications (n° 209) . . . 278
Cas particuliers (n° 210) . . 280
1° Cas spécial de la pension de l'article 205, § 2, du
Code civil (n° 211) . . . . . . . . . . . . 230
2° Cas spécial de la pension de l'article 301 du Code
civil (n° 8 212 à 222) . . . . . . . . . . . . 281
Transaction sur les sûretés garantissant l'obligation 295
alimentaire (n° 223) . . . . . . . . . . . . .
III. Indemnités en matière d'accidents du travail (n° 8 224
à 226). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296
IV. Contrat de mariage et biens dotaux (n°• 227 à 232). 299
V. Transaction sur la chose d'autrui (n° 233) . . . . . 304
VI. Droits extra-patrimoniaux. - L'état des personnes
(nOB 234 à 236) . . 304
VII. Sépulture de famille (n° 237) . 308
VIII. Renonciations interdites (n°• 238 à 245) 309
1° Principes et Iimitations (n° 238 et 239) .
8 309
TABLE DES MATIÈRES 397
PAGES
2° Renonciations aux droits sociaux (n° 8 240 à 244) 311
3° Sanction des prohibitions (n° 245) 319
IX. Fonctions publiques (n° 246) . . . 320
X. Transaction sur les engagements argués de nullité
et les actions en nullité absolue (n° 247) . . . . . 321
XI. Transaction sur une décision judiciaire définitive
(n°• 248 et 249) . . . . . . . . . . . . . . . . 322
XII. Transaction sur l'action publique et l'action civile
résultant d'une infraction (n° 8 250 à 267) . . . . 324
A. - Principes (n° 250) . . . . . . . . . . . . . 324
B. - Exception : transaction en matière pénale
(n°s 251 à 261) . . . . . . . . . . . . . . . 324
0. - Transaction sur l'action civile (n° 8 262 à 267) 334
XIII. Transaction en matière fiscale (n° 268 à 284) .
8 341
A. - Principe et justification (n° 8 268 à 271) . . . 341
B. - Exceptions apparentes à la règle. - Enuméra-
tion des textes autorisant la transaction en ma-
tière fiscale (n° 8 272 à 274) . . . . . . . 346
0. - Catégories de cc transactions fiscales" (n° 275). 348
1° Transactions fiscales assimilables aux transac-
tions pénales. - Transactions en matière de
douanes et accises (n° 8 276 à 278) 350
2° Décisions administratives procédant du droit
de grace (n°• 279 et 280) . . . . . . . . . 353
3° Accords sur une question de fait (n° 8 281 et 282) . 356
D. - Conclusion (n° 283) . . . . . 358
E. - Transaction en matière postale (n° 284) 358
XIV. Conclusion générale (n° 235) . . . 358

8ECTION III. - CAUSE DE LA TRANSACTION (n° 286) . 359


§ 1er. - Rappel du droit commun. - Renvoi (n° 286) 359
§ 2. - La cause immédiate dans la transaction (n° 8 287
et 288) . . . . . . . . . . . . . . . . . 359
§ 3. - La cause illicite dans la transaction (n° 289) . . 362

CHAPITRE IV. - Fomrn ET PREUVE DE LA TRANSACTION


(n° 8 290 à 311) 365

SECTION pe, - FORME DE LA TRANSACTION (n° 8 290 à 293). 365


Distinction. - Rappel (n° 290) . . . . . . . . . . . . 365
Principes de l'article 2044, alinéa 2, du Code civil. - Portée
(n° 291) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
398 TABLE DES MATIÈRES
PAGES

Conséquences (n° 292) 366


Exceptions (n° 293) . 367

SECTION Il. - PREUVE DE LA TRANSACTION (n° 8 294 à 311). 368


§ 1er. - Sens et portée de l'article 2044, alinéa 2, du Code
civil (n° 8 294 et 295) . . . . . . . . . . . 368
§ 2. - L'article 2044, alinéa 2, et les exceptions de droit
commun à l'article 1341 du Code civil (n° 296) . . . . 370
A. - Cas de l'article 1347 du Code civil (n° 8 297 à 300). 370
B. - Cas de l'article 1348 du Code civil (n°• 301 et 302). 377
C. - Preuve de la transaction en matière commerciale
(nOB 303 à 305) . . . . . . . . . . . . . . . . 379
§ 3. - Conditions de validité de l'écrit (n°• 306 à 310) . . . 385
Application de l'article 1325 du Code civil (n°• 307 à 310). 385
§ 4. - Preuve de la transaction par aveu et serment (n° 311). 389

0. B. C. E. - B. D. B. H.
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