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Réflexions sur la conscience


La maison à trois étages

Tous les hommes expérimentent dans leur conscience le sentiment intime et


invincible d’une loi qui commande de faire le bien et d’éviter le mal. Cette expérience
est constitutive du sens moral. Elle n’est pas le fruit d’un enseignement, ni l’objet d’un
libre choix, ni le privilège d’un moment particulier de la vie. Elle accompagne
inséparablement l’exercice de la raison et ne cesse jamais de s’imposer, au plus profond
de la conscience, comme norme vivante de notre action, où elle est justement appelée,
“la voix de la conscience”.
Cette expérience se présente avec toutes les caractéristiques de la nature, c’est-à-
dire son caractère instinctif et immédiat, par le fait de sa nature innée, sa nécessité, sa
spontanéité et son universalité (ou spécificité).
La conscience morale a la fonction d’énoncer des jugements prudentiels, relatifs
aux moyens à mettre en oeuvre pour conformer l’action aux règles de la moralité.
La conscience morale n’est pas une faculté, mais un acte. Elle est plus
précisément un jugement que nous prononçons sur la moralité de nos actes et par lequel
nous décidons, en dernière instance, ce qu’il faut faire ou ne pas faire (ultime jugement
pratique).
La coscience diffère du sens moral (ou syndérèse), lequel est l’habitus des
premiers principes de la loi naturelle. Elle diffère de la raison pratique, dont le domaine
est plus vaste et qui est plus une faculté qu’un acte. Et enfin, elle diffère de la
conscience psychologique, laquelle atteste nos états intérieurs sans illuminer en rien nos
devoirs. La conscience morale, au contraire, est toute dans le jugement estimatif de
notre propre conduite. Elle atteste ce que nous faisons, ce que nous avons fait ou ce que
nous pensons faire de bien ou de mal dans telle cironstance; elle nous lie ou elle nous
délie; elle nous défend ou elle nous accuse.

Division de la conscience morale (types de conscience):

- La conscience morale peut être vraie ou erronée, selon que son jugement est
conforme ou contraire à la vérité.
- Elle est droite ou mauvaise, selon qu’elle tend vers le bien ou, au contraire, se
laisse dominer par les passions et les intérêts égoïstes plus que par la vérité et le
bien.
- La conscience peut être droite sans être vraie, c’est-à-dire sans être suffisamment
illuminée. L’erreur qui, dans tel cas fausse le jugement de la conscience, est
involontaire et plus ou moins invincible. Si, en effet, l’erreur eut été volontaire
en quelque sorte, la conscience cesserait d’être droite.
- On distingue encore entre une conscience certaine et une conscience probable
ou douteuse, suivant que son jugement est certain, probable ou douteux. Il existe
en réalité nombres de cas dans lesquels la certitude directe fait défaut.

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La conscience, pour être raisonable et parfaite, doit être droite et illuminée (vraie), elle
doit suivre seulement les bonnes intentions et juger conformément à la vérité.

La maison aux trois étages

Il n’est pas facile d’exposer le dynamisme des principes de la vie morale et la


relation entre la conscience, la liberté, la vertu et les normes etc… Le danger est de se
centrer sur un de ses éléments et de perdre de vue les autres., ou d’avoir une idée
statique de la moralité, sans en considérer son développement graduel, parce que la vie
morale – à savoir la croissance personnelle de l’homme – se développe comme un
organisme vivant, dans le mouvement duquel toutes les dimensions humaines prennent
place: l’aspect physique, psychique et spirituel. Pour l’expliquer d’un point de vue
chrétien, les Pères de l’Eglise ou les auteurs de spiritualité ont proposé un schéma
surprenant de simplicité et en même temps très profond.
La vie morale est comparable à un édifice à trois étages. Chaque étage représente
une vision complète de la morale, une perspective valide avec laquelle affronter la
propre vie de manière responsable: soit comme un ensemble de normes de conduite,
soit comme un organisme de vertus, soit comme une dédication/donation amoureuse
envers le prochain. Ces perspectives doivent se compléter les unes avec les autres pour
ne pas tomber dans une manière trop rigide de considérer la morale et ne pas tomber
dans un légalisme vain, une autosuffisance volontariste ou un amour égocentrique. Dans
cet édifice, il faut un “escalier” qui relie les trois étages, pour monter et descendre
autant de fois nécessaires et garder l’unité intérieure de tout l’édifice. L’escalier
symbolise la conversion incessante qui est l’attitude de l’homme authentique qui sait
s’ouvrir à la vérité et au don transcendant, à savoir la grâce.

Comme cela est représenté dans le schéma suivant, nous pouvons appeler les
trois perspectives mentionnées: correction, perfection et communion.

Premier étage: La correction

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Le locataire du premier étage perçoit la morale comme un ensemble de règles et


d'interdits quelle que soit l'autorité qui les commande: Dieu, l'Église, l'État, la
famille, la tradition, etc... Qu'il soit juste ou injuste, dicté par une autorité légitime ou
par une autorité disputée, c'est toujours un ordre imposé du dehors qui fixe les limites
dans lesquelles je peux mener ma conduite. La question se pose en ces termes: que
m’est-il permis de faire? Qu’ai-je le droit de faire?

Deuxième étage : la perfection


La morale des vertus assume et dépasse les normes. Elle se construit sur la base des
normes. Le locataire de cet étage a réussi à intérioriser les valeurs représentées dans
les règles et les incarne désormais de manière personnelle et créative. Il expérimente
les lois comme une grammaire qui doit être apprise lors de l'étude d'une langue. La
grammaire n'est pas un obstacle qui m'empêche de m'exprimer librement. Sans elle,
en effet, je serais incompréhensible. Mais les vertus vont plus loin : elles me
procurent une maîtrise de moi-même et une connaissance de moi-même qui
m'ouvrent vers le langage de la liberté. Elles éveillent mon appétit pour le Bien et
mon désir d’en vivre. A ce niveau ma question est : Comment puis-je m’améliorer ?

Troisième étage : communion


Je ne peux pas rester au deuxième étage, je pourrais devenir égoïste et autosuffisant;
mépriser même, ceux qui se débattent au rez-de-chaussée. On se souvient de la
parabole du pharisien qui se vantait de ses mérites en les comparant à ceux du
percepteur (Lc 18, 10). L'échelle des transformations me place désormais directement
devant les autres qui me demandent de l'aide, du pardon, de la patience et des
sacrifices. Le voisin me cause une crise salutaire qui met mon tempérament moral à
l'épreuve. Je découvre donc le sens vocationnel de la morale, concrètement l'amour
comme sens de la vie : « l'homme qui veut sauver sa vie la perdra, et celui qui la
perdra la retrouvera" (Lc 17,33).
Le locataire de cet étage formule ainsi ses inquiétudes : Comment suis-je appelé à me
donner?
Comme on le voit, à chaque étage correspond une question, qui est l'expression de
l'attitude vitale qui régit sa conduite.

Comment suis-je
appelé à me donner?
Amour

Vertu Comment m’améliorer?

Norme Que m’est-il permis?

Trois niveaux de liberté

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Ici aussi, chacune de ces étapes correspond à une manière d'appréhender la liberté et de
la vivre. En effet, la sensibilité morale s'affine progressivement jusqu'à ce qu'elle
s'intériorise, se cultive et s'éduque.

Premier étage - Dans cette étape, la liberté signifie l'autonomie et l'indépendance,


l'absence d'obstacles à l'action. C'est cette marge que la loi autorise ou non. Ce modèle
normatif de morale est actuellement le plus étendu; en partie en raison de l'influence de
Kant et de son éthique de l'impératif catégorique; en partie par le développement des
droits de l'homme et par l'élaboration du code de déontologie dans les différents
domaines tels que la médecine. Aussi, à ce niveau, la liberté peut être vécue comme une
rupture avec les normes, comme le font les groupes anarchistes ou libérateurs. Malgré
tout, le mépris des conventions sociales ne suffit pas à les surmonter, il fait donc naître
de nouvelles conventions encore plus aliénantes.
Refuser une loi implique de se soumettre à une autre.

Deuxième étage - Ici la liberté est vécue comme un effort de maîtrise de soi. Il ne s'agit
pas de quelque chose de tout fait, d'un processus qui ne finit jamais : se connaître et
évoluer. La liberté est liée à l'intimité et à la perception contemplative des valeurs,
œuvres du cœur. Rappelons le sens classique des vertus authentiques, qui ne sont pas de
« bonnes habitudes » mais l'intégration du corps et de l'esprit dans l'unité de la personne.
A travers les vertus je suis plus moi-même, je synthétise le passé et le futur dans mon
présent, je suis le protagoniste de ma vie. C'est à ce niveau que se perçoit le paradoxe de
l'existence humaine: l'homme surpasse infiniment l'homme, affirme Pascal.

Troisième étage - c'est là que s'accomplit la célèbre phrase de saint Augustin : "Aime
et fais ce que tu veux". (Phrase qu’il faut bien comprendre!) C'est aussi sa périphrase
de l'évangile de saint Jean : "la vérité nous rend libres et l'amour ne nous rend pas
esclaves" . En effet, la liberté libérée, la plus authentique, naît du don d'être aimant
envers son prochain et cela est possible avec le fait de vivre avec joie les vertus : seul
celui qui se possède peut se donner. L'expression "aime et fais ce que tu veux" serait
en effet incompréhensible si elle était prononcée au premier étage.

Il y a 3 niveaux de liberté qui peuvent être représentés de la manière suivante:

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Trois manières de comprendre la conscience morale:

Par conscience morale, nous comprenons le jugement de l'apprentissage pratique de


l’individu qui distingue le bien ou le mal dans des circonstances concrètes, ici et
maintenant. Aujourd'hui, souvent, la conscience ne se définit pas comme un jugement -
c'est-à-dire une réflexion sur la vérité des choses - mais comme une décision autonome
de l'individu en marge ou contre les circonstances, la société, les traditions, y compris la
nature humaine.
[En fait, beaucoup ne parle plus de conscience.]

Premier étage - notre schéma tripartite montre que le concept de conscience-décision


vient d'une hypertrophie du premier niveau, de la vision normative de la morale. Si la
morale se réduit à une question de lois, je peux définir ma conscience comme une loi de
plus, celle que j'impose de ma liberté autonome. Alors je me réaffirmerais face à toutes
les réalités qui me touchent à commencer par mon corps. En fait, pour la conscience-
décision le corps est le premier terrain sur lequel il faut s'affirmer ; il devient un
matériel biologique pré-moral, qui perd son sens purement humain jusqu'à ce qu'il soit
informé par la décision de la conscience.

Deuxième étage - La conscience authentique et le jugement pratique dont nous parlons


exigent la prudence classique, c'est-à-dire le lien entre la vérité de la personne concrète
et la vérité des circonstances auxquelles il a affaire. La prudence, comme la vertu,
augmente ou diminue par la rectitude de son exercice ; c'est une tâche, non une faculté
fixe et inaltérable.

Troisième étage - La conscience, à ce niveau, pourrait être représentée par le cœur, à


condition qu'il soit compris de manière sérieuse et rigoureuse, comme organe
d'intégration et de sens, et non comme synonyme d'"affection". Le cœur est le symbole
de l'intégration réalisée entre le corps et l'esprit, c'est la conscience du sage qui perçoit
la vérité de manière contemplative et intuitive. Un homme est capable de distinguer le

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bien du mal avec un naturel suprême, suivant l'amour du prochain, amour d'autant plus
spontané et libre qu'il est le plus entraîné à l'exercice des vertus.

On résume graphiquement :

Trois modes de relations entre les sentiments/l’eros et le bien moral

Par “sentiments”, nous entendons toute la dimension affective de l’homme (sentiments,


attirance sexuelle, passions, émotions, affection spirituelle…). L’eros est considéré
comme l’amour sentimental : c'est la tendance à la plénitude existentielle et au bonheur
au sens permanent du terme; c'est l'amour-désir, l'amour nécessité, qui s'éveille dans la
contemplation de la beauté sensible et représente son paradigme dans l'amour entre
l'homme et la femme.
Quel est le rapport entre cette forme d'amour et le bien moral?
Dans le schéma représenté on peut distinguer trois expériences distinctes.
Au premier étage, il y a une opposition forte entre l’ eros et le bien moral (ethos) : une
chose est ce que « le cœur veut » et autre chose est ce que la conscience et les normes
me dictent de faire. La personne se sent mal à l’aise; elle vit parfois un drame, un conflit
violent et douloureux entre eros et ethos.
A ce propos, rappelons les paroles de saint Paul : « En effet, ma façon d’agir, je ne la
comprends pas, car ce que je voudrais, cela, je ne le réalise pas; mais ce que je déteste,
c’est cela que je fais ». (Rm 7, 15) À ce stade, la rectitude morale exige la soumission et
le contrôle des sentiments, en faisant une séparation figurative entre vouloir et ressentir,
décider et désirer.

Au deuxième étage, la maîtrise de soi crée une inclination spontanée vers le bien moral
objectif qui n'est pas reconnu de manière externe et abstraite mais à travers des
connotations affectives, intuitivement. La promesse de plénitude et de dévouement que
contient l’eros se réalise progressivement à travers les vertus. Il s'agit sans aucun doute

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d'un processus ardu et laborieux, non exempt de chutes et de regressions, mais qui
conduit à une intégration progressive entre l’eros et l’ethos.

Au troisième étage, l'intégration entre eros et ethos est réalisée : le désir désespéré de
plénitude s'accomplit dans la personne. Cela, on le sait, consiste à se donner au prochain
par la communion interpersonnelle, ce qu’on nomme agapè ou charité. En fait, Eros et
Agape se complètent et s’alimentent l'un et l'autre, comme Benoît XVI l'a sagement noté
dans son encyclique Deus Caritas est (nº7).

Nous pouvons résumé le tout avec le graphique suivant:

3ºétage: communion amour Synthèse entre eros et ethos


2ºétage: perfection Vertus Intégration graduelle
1ºétage: correction normes conflit entre eros et ethos

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