Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
La MORALE
Le DEVOIR et le BONHEUR
DEFINITIONS
La morale est la réflexion sur le bon comportement : elle se situe à l’échelle de la
personne et de ses relations avec d’autres personnes ; mais elle implique une réflexion sur les
valeurs, et la morale c’est donc également la discussion du bien et du mal, des valeurs en
général, et de la question des vices et des vertus. Par dérivation on appelle « morale » (une
morale) un ensemble de règles prétendant définir quel est le bon comportement. La morale
propose un « devoir-être » qui s’oppose le plus souvent à ce qui est ; elle dessine l’image
idéale d’un homme bon.
Le devoir est de l’ordre du « Tu dois ! ». C’est un impératif moral, un
commandement. L’illustration la plus célèbre nous en est données par la bible, et les 10
commandements, qui sont des exigences transcendantes à l’homme. Tu dois parce que tu dois,
dit Dieu à l’Homme par l’intermédiaire des tablettes que Moise recueille sur le mont Sinaï.
Dans nos sociétés modernes, les devoirs sont l’envers des droits ; l’Etat nous permet de jouir
de certains droits, ce qui implique en retour certains devoirs.
Le bonheur, quant à lui, est de l’ordre de la satisfaction. Il s’agit même de la
satisfaction suprême, celle qui dépasse et englobe toutes les autres ; le bonheur se définit
comme le souverain bien, comme ce qui est désirable par soi, ce que tout homme recherche.
Dans cette optique, il semble que bonheur et devoir s’opposent. Le fait que nous ayons
des devoirs rend-il vaine la recherche du bonheur ? Du point de vue du devoir, le bonheur
peut apparaître comme frivole.
AXES PROBLEMATIQUES
- Toute morale étant définie par et pour un sujet, comment s’élève-t-elle au-dessus de la
subjectivité pour devenir objective ? Une morale « objectivée » n’est-elle pas une morale
dominante qui cache sa domination sous la prétention de valeurs universelles désintéressées,
mais qui servent les intérêts des dominants (cf. la notion d’idéologie) ?
- Le jugement ne fait il que travestir la cruelle lâcheté du conformisme, ou bien garde-t-il une
légitimité et un sens au-delà des codes établis ?
- Toute morale n’est-elle pas une manière de brider la liberté (qu’elle suppose pourtant : il
n’y a de morale que si l’on est libre) ? La morale s’opposerait, autant ou peut-être mieux que
les lois, à la liberté, et ce d’autant plus qu’elle est intériorisée, en cherchant à canaliser,
déterminer cette liberté vers le seul bien.
- Peut-on juger qu’un système moral est meilleur qu’un autre ? Peut-on discuter
rationnellement de la morale ?
- La morale peut-elle, et doit-elle, orienter toutes nos actions et décisions ? Ce qui vaut à
l’échelle individuelle peut-il systématiquement valoir à l’échelle collective (celle de la
société, du politique) ? Machiavel ne nous apprend-il pas qu’on ne peut diriger un collectif
selon des principes moraux : elle est inefficace (et néfaste pour qui cherche à acquérir et
conserver le pouvoir) ? La politique doit-elle être immorale, ou amorale ?
- Si l’homme était bon, il n’aurait pas besoin de morale ; alors à quoi bon ses discussions et
ses prescriptions, si ce n’est pour culpabiliser, ou pour punir ceux qui ont la faiblesse de s’y
soumettre ? La morale n’a-t-elle pas pour racine une volonté de punir, de juger coupable tous
les hommes ? car qui correspondra à son idéal ?
- Ce qui rend l’éthique actuelle1 n’est-ce pas l’inactualité de la morale ? Ou, d’une toute
autre manière, les retards du droit ? Certes à terme, les certitudes de la loi se substituent
toujours aux incertitudes et aux inquiétudes éthiques. Mais les règles elles-mêmes sont un
élément problématique, parce que le conflit porte sur les règles elles-mêmes (qu’elles soient
juridiques ou autres).
- Chacun, lorsqu’il envisage de définir le bonheur, pense à lui-même et aux siens, mais
rarement à un bonheur de tous, ou de la collectivité (c’est-à-dire à une échelle politique) ;
comment concilier bonheur individuel et bonheur collectif ? Est-ce même possible ? (Cet
axe nous invite à articuler éthique et politique)
- Bonheur et devoir s’opposent-ils ? Assumer ses devoirs éloigne-t-il du bonheur, rend-il
vaine sa recherche ?
- La recherche du bonheur obéit à des désirs ou à des buts qu’on se fixe, mais ceux-ci ne
surgissent pas de nulle part : ils sont la plupart du temps dictés par un imaginaire social, voire
des idéologies qui font dépendre ce bonheur de normes d’autant plus efficaces qu’elles sont
inaperçues. Est-ce être heureux que d’accomplir l’idéal petit bourgeois, ou celui du parfait
petit militant, ou encore celui du cadre dynamique de demain (trader, créer sa start-up, etc.) ?
Ne sommes-nous heureux que parce que nous atteignons un modèle désiré (que nous réalisons
enfin ce à quoi nous nous identifions) sans avoir critiqué ce modèle et sa valeur (être trader
c’est être influent et riche, mais c’est une vie de merde) ?
DOCTRINES
- L’eudémonisme désigne toute doctrine qui fait du bonheur, soit individuel, soit collectif, la
fin suprême à laquelle tend toute activité humaine. L’eudémonisme doit être distingué de
l’hédonisme qui place le souverain bien dans le plaisir. Le bonheur, dans les écoles
stoïciennes et épicuriennes, n’est pas séparable de la vertu.
- La morale kantienne (1785-1788)2
La morale cherche à répondre à la question « que dois-je faire ? », et ce en toutes
circonstances. La morale est ce qui doit guider notre action sur le terrain pratique ; lorsqu’un
choix se présente à moi (exemple de Sartre dans L’existentialisme est un humanisme : dois-je
rester auprès de ma mère qui est malade ou bien partir à Londres m’engager dans la
résistance ?) la morale doit m’aider à choisir en répondant à la questions des fins (buts).
L’épicurisme (Epicure) et le stoïcismes (les stoïciens) sont des morales qui
consistent à discerner le bien, et nous engager à régler notre vie en fonction de ce bien : pour
les épicuriens, le bien consiste dans l’obtention du plaisir, pour les stoïciens de l’adéquation
entre notre volonté et l’ordre du monde.
Mais justement, on voit bien ici que le bonheur n’est pas le même en fonction des
individus. Kant va donc critiquer l’idée selon laquelle la morale doit être fondée sur le
bonheur : la morale au contraire doit être valable à priori, c’est-à-dire valable en toutes
circonstances, et indépendamment des individus, elle doit être universelle.
Une morale fondée sur notre recherche du bonheur ne saurait être universelle.
Pourquoi ? Que veut dire cet argument ?
Le bonheur a un contenu variable selon les individus. Ce qui fera ton bonheur à toi (voyager
autour du monde) ne fera pas nécessairement le mien (gagner le championnat du monde de
saut à la perche). Et puis le bonheur n’est pas une véritable garantie ; à un désir succède un
autre. Qui peut m’assurer que gagner le championnat du monde de saut à la perche assurera
véritablement mon bonheur ? Fonder la morale sur le bonheur est donc essentiellement confus
alors que la morale doit être la même pour tous les individus.
2
KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs (1785) et Critique de la raison pratique (1788).
Il existe bien une indétermination radicale du concept de bonheur : « malgré le
désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis
et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. » (Kant, Fondements de la métaphysique
des mœurs). Et de conclure " le bonheur est un idéal non de la raison, mais de l'imagination."
Nous avons tous une certaine idée de ce qu’est la loi (connaissance commune, pré
philosophique) ; tout le monde peut donc être moral, il n’est pas besoin d’être
particulièrement éduqué pour cela. Kant se propose, dans les Fondements de la métaphysique
des mœurs, de remonter des jugements moraux énoncés communément aux principes qui les
fondent.
Quel est ce principe qui fonde le devoir ?
C’est la forme du devoir. C’est l’obéissance à la loi. Je n’obéis pas au devoir pour ce
qu’il me rapporte (matière) mais seulement parce que je le dois (forme). La morale va donc se
fonder sur des règles inébranlables, des impératifs catégoriques.
Impératifs catégoriques impératifs hypothétiques, qui dépend de nos intérêts.
Qu’est ce qu’un impératif ? Un commandement. Cf en grammaire : l’impératif : « range ta
chambre ! » est un ordre. Or nous dit Kant, nous pouvons recevoir des ordres de deux
instances : notre raison (volonté) ou bien nos désirs.
La différence d’une éthique avec la morale, selon Spinoza (lu par Deleuze3)
3
Gille Deleuze, Philosophie pratique, 1971, « Sur la différence de l’éthique avec la morale », Paris, Editions de
Minuit, pp. 27-43.
4
« Par-delà le Bien et le Mal, cela au moins ne veut pas dire : par-delà le bon et le mauvais », Nietzsche,
Généalogie de la morale, 1ère dissertation, § 17.
distinguer lois de nature (vérités éternelles de nature) et lois morales d’institution : la loi
morale est un devoir, et n’a d’autre effet (ou finalité) que l’obéissance : elle n’apporte aucune
connaissance. La différence de nature est irréductible entre le rapport commandement-
obéissance de la morale, et le rapport connu-connaissance (et c’est notamment dans leur
confusion que réside le drame pratique de la théologie qui considère que les Ecritures sont des
bases pour la connaissance).La loi, c’est toujours l’instance transcendante qui détermine
l’opposition des valeurs Bien-Mal, mais la connaissance, c’est toujours la puissance
immanente qui détermine la différence qualitative des modes d’existence bon-mauvais.