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SÖnke Ahrens

SÖnke Ahrens
LA CLÉ D’UNE ÉCRITURE EFFICACE RÉSIDE
DANS L’ORGANISATION INTELLIGENTE
COMMENT
DES IDÉES ET DES NOTES
PRENDRE DES NOTES
Ce livre aide les étudiants et les professionnels à développer leurs
capacités d’apprentissage, à pousser leur réflexion et à produire INTELLIGENTES

COMMENT PRENDRE DES NOTES INTELLIGENTES


plus facilement des contenus. Il propose une méthode complète
de prise de notes, de la lecture stylo en main, en quête de l’essen- Une technique simple pour booster l’écriture,
tiel, à la recherche de liens entre ces mêmes notes. D’une simpli- l’apprentissage et la créativité
cité révolutionnaire, ce système permet de se constituer peu à peu
une base de connaissances extrêmement riche. ST-SEL L
BE
Sönke Ahrens s’appuie sur les enseignements de la psychologie de

ER
LE
SUR LA PRISE
l’apprentissage ainsi que sur la méthode Zettelkasten, qu’il rend
DE NOTES
accessible au grand public. Depuis sa première édition, Comment
TE

IN

AL
prendre des notes intelligentes a été traduit en 12 langues et s’est RNAT I ON
écoulé à plus de 100 000 exemplaires dans le monde.

Au lieu de perdre votre temps à chercher vos notes,


citations ou références, vous pouvez vous concentrer
sur ce qui compte vraiment : réfléchir, comprendre
et développer de nouvelles idées.

SÖNKE AHRENS est un enseignant d’université et chercheur


allemand dans le domaine de l’éducation et des sciences sociales.
Il fait partie des références mondiales sur le sujet de la gestion
des connaissances personnelles.

22 €
ISBN : 978-2-416-01107-8
Code éditeur : G0101107

Couverture : Studio Eyrolles © Éditions Eyrolles


d’après © Káschem Büro
SÖnke Ahrens

SÖnke Ahrens
LA CLÉ D’UNE ÉCRITURE EFFICACE RÉSIDE
DANS L’ORGANISATION INTELLIGENTE
COMMENT
DES IDÉES ET DES NOTES
PRENDRE DES NOTES
Ce livre aide les étudiants et les professionnels à développer leurs
capacités d’apprentissage, à pousser leur réflexion et à produire INTELLIGENTES

COMMENT PRENDRE DES NOTES INTELLIGENTES


plus facilement des contenus. Il propose une méthode complète
de prise de notes, de la lecture stylo en main, en quête de l’essen- Une technique simple pour booster l’écriture,
tiel, à la recherche de liens entre ces mêmes notes. D’une simpli- l’apprentissage et la créativité
cité révolutionnaire, ce système permet de se constituer peu à peu
une base de connaissances extrêmement riche. ST-SEL L
BE
Sönke Ahrens s’appuie sur les enseignements de la psychologie de

ER
LE
SUR LA PRISE
l’apprentissage ainsi que sur la méthode Zettelkasten, qu’il rend
DE NOTES
accessible au grand public. Depuis sa première édition, Comment
TE

IN

AL
prendre des notes intelligentes a été traduit en 12 langues et s’est RNAT I ON
écoulé à plus de 100 000 exemplaires dans le monde.

Au lieu de perdre votre temps à chercher vos notes,


citations ou références, vous pouvez vous concentrer
sur ce qui compte vraiment : réfléchir, comprendre
et développer de nouvelles idées.

SÖNKE AHRENS est un enseignant d’université et chercheur


allemand dans le domaine de l’éducation et des sciences sociales.
Il fait partie des références mondiales sur le sujet de la gestion
des connaissances personnelles.
Comment prendre
des notes intelligentes

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Éditions Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Cet ouvrage est paru en 2022 sous le titre How to Take Smart Notes: One Simple
Technique to Boost Writing, Learning and Thinking.

Depuis 1925, les Éditions Eyrolles s’engagent en proposant des livres pour comprendre
le monde, transmettre les savoirs et cultiver ses passions !
Pour continuer à accompagner toutes les générations à venir, nous travaillons de
manière responsable, dans le respect de l’environnement. Nos imprimeurs sont ainsi
choisis avec la plus grande attention, afin que nos ouvrages soient imprimés sur du
papier issu de forêts gérées durablement. Nous veillons également à limiter le trans-
port en privilégiant des imprimeurs locaux. Ainsi, 89 % de nos impressions se font en
Europe, dont plus de la moitié en France.

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou


partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans l’autorisation de
l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-
Augustins, 75006 Paris.

© Sönke Ahrens, 2022


© Éditions Eyrolles, 2023 pour la présente édition
ISBN : 978-2-416-01107-8

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Sönke Ahrens

Comment prendre
des notes intelligentes

Une technique simple pour


booster l’écriture, l’apprentissage
et la créativité

Traduction française : Michel Le Séac’h

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« On ne peut réfléchir sans écrire. »
Niklas Luhmann

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SOMMAIRE

Introduction ...........................................................................................................9
Chapitre 1
Tout ce que vous devez savoir .....................................................................15
Les bonnes solutions sont simples – et inattendues .......................................19
La boîte à fiches...............................................................................................23
Mode d’emploi de la boîte à fiches ...............................................................29

Chapitre 2
Tout ce que vous devez faire .......................................................................33
Rédiger un article pas à pas.............................................................................36

Chapitre 3
Tout ce qu’il vous faut .....................................................................................41
La boîte à fiches...............................................................................................43

Chapitre 4
Quelques faits à garder à l’esprit .................................................................47

PARTIE 1
LES QUATRE PRINCIPES DE BASE
Chapitre 5
L’important est d’écrire ...................................................................................51
Chapitre 6
La simplicité est capitale.................................................................................55

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Comment prendre des notes intelligentes

Chapitre 7
Nul ne part jamais de zéro ............................................................................65
Chapitre 8
Laissez-vous propulser par le travail ...........................................................71

PARTIE 2
LES SIX ÉTAPES D’UNE RÉDACTION RÉUSSIE
Chapitre 9
Distinguer et entrelacer les tâches ..............................................................79
Accorder à chaque tâche une attention exclusive..........................................79
Le multitâche n’est pas une bonne idée .........................................................80
Consacrer à chaque tâche le bon type d’attention.........................................83
Devenir expert plutôt que planificateur ..........................................................87
Tourner la page ................................................................................................91
Réduire le nombre de décisions .....................................................................95

Chapitre 10
Lire pour comprendre.....................................................................................99
Lire stylo en main .............................................................................................99
Garder l’esprit ouvert .....................................................................................104
Parvenir à l’essentiel .......................................................................................108
Apprendre à lire ............................................................................................111
Apprendre par la lecture...............................................................................113

Chapitre 11
Prendre des notes intelligentes..................................................................119
Une carrière bâtie note à note .......................................................................120
Réfléchir hors de son cerveau........................................................................123
Apprendre en n’essayant pas........................................................................128
Ajouter des notes permanentes à la boîte à fiches.......................................137

Chapitre 12
Développer des idées ...................................................................................139
Développer des sujets...................................................................................141
Établir des connexions intelligentes ..............................................................144
Comparer, corriger, contraster .......................................................................148

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Sommaire

Constituer une boîte à outils de réflexion .....................................................150


Utiliser la boîte à fiches comme machine à créer .........................................154
Penser à l’intérieur de la boîte .......................................................................157
Faciliter la créativité grâce à des restrictions .................................................164

Chapitre 13
Partager ses idées ...........................................................................................167
Du brainstorming au « boîte à fiches-storming »...........................................168
Réflexions descendantes ou ascendantes.....................................................171
Concrétiser en suivant ses intérêts .................................................................172
Terminer et réviser..........................................................................................175
Devenir expert en renonçant à planifier ........................................................177
La rédaction proprement dite .......................................................................180

Chapitre 14
En faire une habitude ....................................................................................183

Épilogue .............................................................................................................187

Annexe ................................................................................................................191

Bibliographie......................................................................................................199

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INTRODUCTION

Tout le monde écrit, surtout chez les universitaires. Les étudiants


écrivent, les professeurs écrivent. Et bien entendu, les essayistes et
autres auteurs de « non-fiction », troisième groupe de lecteurs aux-
quels ce livre est destiné, écrivent aussi. Écrire ne signifie pas for-
cément livres, articles ou rapports, mais aussi écriture « basique » de
tous les jours. On écrit quand on doit retenir quelque chose : une
idée, une citation, le résultat d’une étude… On écrit quand on veut
organiser ses pensées ou échanger des idées avec autrui. Les étudiants
écrivent lors des examens et, même s’ils sont oraux, ils les préparent
crayon en main. On couche par écrit non seulement ce qu’on craint
d’oublier, mais aussi ce qu’on tente de mémoriser. Toute entreprise
intellectuelle commence par une note écrite.
Le rôle de l’écriture est si central dans l’apprentissage, l’étude et la
recherche qu’il est étonnant qu’on y réfléchisse aussi peu. Si l’on en
parle, c’est presque toujours en pensant aux moments exceptionnels
où l’on rédige un texte long : un livre, un article ou, chez les étu-
diants, un mémoire ou une thèse à soutenir. À première vue, cela se
comprend : ces tâches sont celles qui engendrent le plus d’angoisse et
les difficultés les plus durables. C’est pourquoi elles sont le sujet privi-
légié de la plupart des livres pratiques et autres guides pour étudiants,
qui donnent rarement des conseils pour les notes de tous les jours
– lesquelles forment pourtant la plus grosse part de nos écrits.

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Comment prendre des notes intelligentes

Les ouvrages disponibles relèvent en gros de deux catégories. D’abord,


ceux qui enseignent les contraintes formelles : style, structure ou
règles de citation. Et puis, les livres de psychologie qui expliquent
comment venir à bout du travail sans crise de nerfs et avant que votre
éditeur ou votre directeur de thèse refuse de repousser une énième
fois la date de remise de vos travaux. Ce qu’ils ont tous en commun,
cependant, est leur point de départ : un écran blanc ou une feuille
de papier immaculée. Ils ignorent ainsi le principal, c’est-à-dire la
prise de notes ; ils ne voient pas que, pour progresser vraiment, il faut
améliorer l’organisation de toute l’écriture. Ils semblent oublier que le
processus d’écriture commence bien en amont de cet écran vierge et
que la rédaction proprement dite est la plus petite partie de la mise
au point d’une argumentation.
Le présent ouvrage souhaite combler ce manque en montrant com-
ment transformer efficacement vos pensées et vos découvertes en des
écrits convaincants tout en amassant un trésor de notes intelligentes et
interconnectées. Cette masse de notes peut vous aider non seulement
à ressentir plus d’aisance et d’agrément dans l’écriture, mais aussi à
apprendre de manière durable et à trouver de nouvelles idées. Et par-
dessus tout, à écrire chaque jour de manière à faire avancer vos projets.
L’écriture n’est pas ce qui vient après la recherche, l’apprentissage ou
l’étude : elle est le medium de tout ce travail. Et peut-être est-ce pour
cela que nous réfléchissons rarement à cette écriture, l’écriture de tous
les jours, la prise de notes et les brouillons. Elle est aussi vitale que la
respiration mais, à la pratiquer sans cesse, nous ne la remarquons pas.
Cependant, si une meilleure technique respiratoire ne peut sans doute
rien pour nos écrits, toute amélioration dans notre manière d’organi-
ser l’écriture de tous les jours, de prendre des notes au fil de l’eau et
de les utiliser, produira ses effets au moment où nous nous trouverons
face au feuillet ou à l’écran vierge – ou plutôt le moment où nous ne
nous y trouverons pas, puisque ceux qui prennent des notes intelli-
gentes n’éprouveront plus jamais l’angoisse de la page blanche.

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Introduction

Une autre raison explique que la prise de notes vole en général sous
les radars : ceux qui s’y prennent mal ne recueillent pas d’avis négatifs
immédiats. En l’absence de critiques, rares sont ceux qui demandent
de l’aide. Et, le marché de l’édition étant ce qu’il est, en l’absence
de demande, l’offre n’est pas abondante non plus. C’est la terreur de
l’écran vierge qui pousse étudiants et universitaires vers les rayon-
nages de livres pratiques sur l’écriture, un marché largement servi
par les éditeurs et visant une situation dans laquelle le mal est déjà
fait. Celui qui prend des notes de manière irrégulière, inefficace ou
simplement mauvaise risque de ne s’en apercevoir qu’en paniquant à
l’approche d’une date limite – et de se demander alors pourquoi cer-
tains semblent toujours produire de bons textes alors qu’ils ont quand
même le temps de prendre un café chaque fois qu’on les y invite. Et
même à ce moment, il se trouvera sans doute des excuses occultant
la vraie raison, probablement liée à la différence entre bonne et mau-
vaise prise de notes. « Il y a des gens comme ça », « écrire est forcé-
ment difficile », « on n’a rien sans rien » et autres clichés du même
genre empêchent trop de gens de s’interroger sur ce qui sépare au
juste les stratégies d’écriture gagnantes et les autres.
La bonne question est : Que faire différemment dans les semaines,
les mois, voire les années qui précèdent la confrontation avec la page
blanche afin de se préparer au mieux pour produire aisément un texte
excellent ? Rares sont les gens qui peinent par ignorance des règles
de citation ou parce qu’ils souffrent de blocages psychologiques. Avoir
du mal à écrire des textos ou des courriers électroniques à ses amis
n’est pas fréquent. Les règles de citation sont largement disponibles et
les désordres mentaux sont sûrement moins nombreux que les articles
non remis dans les délais. La plupart des gens sont tourmentés par des
raisons beaucoup plus terre à terre, l’une d’elles étant le mythe de la
page blanche lui-même. Ils se tracassent parce qu’ils croient, car on le
leur fait croire, que l’écriture commence par une page blanche. Si
vous pensez n’avoir vraiment rien sous la main pour la noircir, vous
avez une vraie raison de paniquer. Avoir tout dans la tête ne suffit pas :
c’est le mettre sur le papier qui est difficile.Voilà pourquoi une bonne

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Comment prendre des notes intelligentes

rédaction productive repose sur des notes bien prises. Mettre par écrit
ce qu’on a déjà écrit ailleurs est incomparablement plus facile que de
tout assembler dans sa tête puis d’essayer de l’en extraire.
Pour résumer, la qualité d’un texte et la facilité de son écriture
dépendent avant tout de ce qu’on a mis par écrit avant même de choisir un
sujet. Mais si cela est vrai (et je le crois très sincèrement), si la clé d’une
écriture réussie réside dans les préparatifs, il en résulte que la plupart
des livres pratiques et des guides pour étudiants ne peuvent vous aider
qu’à limiter les dégâts et à respecter les règles de présentation – mais
des mois après que le mal a été fait.
Si l’on y songe, il n’est pas étonnant que le plus important indica-
teur de réussite académique se trouve non pas dans le cerveau des
apprenants, mais dans leur manière de travailler au quotidien. En fait,
il n’y a pas de corrélation mesurable entre un quotient intellectuel
(QI) élevé et la réussite académique – du moins pas au-dessus de 120.
Certes, une certaine capacité intellectuelle aide à accéder au monde
universitaire et celui qui cale devant un test de QI aura sans doute du
mal aussi à résoudre des problèmes académiques. Mais un QI élevé ne
vous aidera ni à sortir du lot, ni à éviter les échecs. Ce qui fait vrai-
ment la différence sur tout le spectre de l’intelligence est autre chose :
le degré d’autodiscipline ou de maîtrise de soi déployé à l’égard des
tâches requises (Duckworth et Seligman, 2005 ; Tangney, Baumeister
et Boone, 2004).
L’important n’est pas tant qui vous êtes que ce que vous faites. Faire
le travail requis de manière intelligente conduit assez naturellement
au succès. À première vue, c’est à la fois une bonne nouvelle et une
mauvaise. La bonne est que si l’on ne peut guère modifier son QI,
on devrait pouvoir, avec un peu de volonté, améliorer son auto-
discipline. La mauvaise est qu’on ne possède pas ce genre de contrôle
sur soi-même. L’autodiscipline ou la maîtrise de soi n’est pas si facile
à acquérir par la seule force de la volonté. Celle-ci, autant qu’on le

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Introduction

sache à ce jour1, est une ressource limitée qui s’épuise vite et n’assure
guère d’améliorations durables (Baumeister et al., 1998 ; Muraven,
Tice et Baumeister, 1998 ; Schmeichel, Vohs et Baumeister, 2003 ;
Moller, 2006). Et en tout état de cause, qui voudrait se forcer au tra-
vail à coups de cravache ?
Heureusement, l’histoire ne s’arrête pas là. On sait aujourd’hui que
la maîtrise de soi et l’autodiscipline dépendent bien plus du contexte
que de soi-même (Thaler, 2019, chap. 2), et ce contexte, on peut le
modifier. Nul n’a besoin de volonté pour ne pas se bourrer de cho-
colat quand il n’y a pas de chocolat alentour. Et nul n’a besoin de
volonté pour faire ce qu’il a envie de faire en tout état de cause.Toute
tâche intéressante, utile et bien définie sera accomplie car les intérêts
à long et à court termes ne sont pas en conflit. Une tâche utile et bien
définie est toujours plus efficace que la volonté. L’absence de volonté
n’empêche pas de réussir quand on n’a pas besoin de volonté. C’est là
qu’intervient l’organisation de l’écriture et de la prise de notes.

1. Les recherches sur la volonté ou « l’épuisement du moi » sont un peu chao-


tiques pour le moment. Mais on peut dire sans risque que compter sur la volonté
pour effectuer des choses à long terme est une très mauvaise stratégie.Voir à ce
sujet Inzlicht et Friese, 2019.

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Chapitre 1

TOUT CE QUE
VOUS DEVEZ SAVOIR

Jusqu’à présent, les techniques d’écriture et de prise de notes étaient


en général enseignées sans grand souci du flux de tâches (workflow)
dans son ensemble. Ce livre vise à changer cela. Il vous présentera
les outils de prise de notes qui ont fait d’un fils de brasseur l’un des
sociologues les plus productifs et les plus respectés du xxe siècle. Il
décrit en outre comment ce savant les a mis en œuvre dans son flux
de tâches de manière à pouvoir dire honnêtement : « Je ne me force
jamais à faire quoi que ce soit dont je n’ai pas envie. Si jamais je me
trouve bloqué, je fais autre chose. » Une bonne structure vous permet
d’en faire autant, de passer en douceur d’une tâche à une autre – sans
menacer tout l’édifice ni perdre de vue l’ensemble.
Une bonne structure est une structure en laquelle vous pouvez avoir
confiance. Elle vous évite d’avoir à tout retenir et tout surveiller. Si
vous pouvez faire confiance au système, il n’est plus nécessaire de
chercher à faire tout tenir ensemble dans votre tête et vous pouvez vous
tourner vers ce qui importe : le contenu, l’argumentation et les idées.
Morceler en petites tâches distinctes le travail informe qui consiste à
« rédiger un texte » vous permet de vous concentrer sur une chose
à la fois, d’en venir à bout en un seul mouvement puis de passer à la

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Comment prendre des notes intelligentes

tâche suivante (chapitre 3, « La boîte à fiches »). Une bonne structure


rend possible le flux, état d’immersion si complète dans votre travail
que vous perdez la notion du temps et pouvez le poursuivre indéfi-
niment car il n’exige plus d’effort (Csikszentmihalyi, 1975). Ce genre
de phénomène ne survient pas par hasard.
Étudiants, chercheurs ou essayistes, nous sommes bien plus libres que
d’autres de choisir ce à quoi nous consacrons notre temps. Ceci ne
nous évite pas d’être souvent les plus exposés à la procrastination et
à la démotivation. Nous ne manquons assurément pas de sujets inté-
ressants, mais nous paraissons soumis à des habitudes de travail pro-
blématiques qui nous empêchent d’avancer dans la bonne direction.
Un flux de tâches bien structuré nous remet aux commandes et nous
laisse plus libres de faire la bonne chose au bon moment.
Avoir une structure claire au sein de laquelle travailler est tout autre
chose que d’établir des plans à propos de quelque chose. Établir un plan
revient à s’imposer une structure à soi-même, cela rend rigide. Pour
se conformer au plan, on se force, on fait appel à la volonté. C’est
non seulement démotivant, mais aussi inadapté à un processus ouvert
comme la recherche, la réflexion ou l’étude en général, qui impose
d’ajuster les étapes suivantes chaque fois qu’intervient une informa-
tion, une compréhension ou une réussite nouvelles – ce qui dans
l’idéal se produit régulièrement et non exceptionnellement. La pla-
nification contredit souvent l’idée même de recherche et d’appren-
tissage ; pourtant, la plupart des guides d’étude et des livres pratiques
sur l’écriture académique en font un leitmotiv. Comment se préparer
à des idées qui, par définition, ne sont pas prévisibles ? Croire que la
planification n’a pas d’autre alternative qu’un bricolage désordonné
est un énorme malentendu. Le défi est d’organiser son flux de tâches
de telle manière que les éclairages et les nouvelles idées deviennent
des forces motrices. Il n’est pas souhaitable de se rendre esclave d’un
plan menacé par un événement inattendu tel qu’une idée, une décou-
verte ou une illumination nouvelle.

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Tout ce que vous devez savoir

Hélas, les universités elles-mêmes cherchent à transformer leurs étu-


diants en planificateurs. Certes, la planification vous fera réussir vos
examens si vous vous y tenez et si vous faites votre travail. Mais elle
ne fera pas de vous un expert dans l’art de l’apprentissage/écriture/
prise de notes (il existe des études là-dessus, voir dans le chapitre 1,
« Mode d’emploi de la boîte à fiches »). Qui plus est, les planifica-
teurs ont peu de chances de poursuivre leurs études plus loin que
l’examen. Ils sont très contents d’en être venus à bout. Les experts, en
revanche, n’envisagent pas d’abandonner volontairement ce qui s’est
avéré gratifiant et plaisant : apprendre de manière à acquérir de vraies
connaissances, à les accumuler et à faire naître de nouvelles idées.
Puisque vous avez investi dans ce livre, sans doute êtes-vous expert
plutôt que planificateur.
Si vous êtes un étudiant en quête d’une aide dans votre rédaction, il
est probable que vous visez haut, car ce sont d’ordinaire les meilleurs
étudiants qui se donnent le plus de mal. Ils se bagarrent avec leurs
phrases car ils tiennent à trouver la bonne expression. Il leur faut plus
de temps pour trouver un bon sujet car ils savent d’expérience que la
première idée est rarement excellente et que les bonnes questions ne
viennent pas toutes seules. Ils passent plus de temps à la bibliothèque
pour éplucher la littérature, lisent donc davantage et doivent jongler
avec des informations plus abondantes. Avoir lu davantage ne signi-
fie pas automatiquement avoir plus d’idées. Surtout au début, cela
signifie en avoir moins sur lesquelles travailler, parce qu’on sait que
d’autres ont déjà réfléchi à la plupart d’entre elles.
Les bons étudiants ne se satisfont pas d’évidences. Ils jettent un œil
par-dessus les clôtures de leur discipline – après quoi, ils ne peuvent
plus revenir en arrière et faire comme tous les autres, même s’ils
doivent désormais affronter des idées hétérogènes pour lesquelles ils
n’ont aucun mode d’emploi. À cause de tout cela, il leur est indis-
pensable d’avoir un système pour suivre une masse d’informations
toujours croissante et pouvoir associer des idées différentes d’une
manière intelligente, afin d’en engendrer de nouvelles.

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Comment prendre des notes intelligentes

Les étudiants médiocres n’ont pas ces problèmes. Tant qu’ils restent
dans les limites de leur discipline et ne lisent que ce qu’on leur dit de
lire (voire moins), aucun système externe sérieux ne leur est indis-
pensable et ils peuvent s’en tenir pour leurs rédactions aux recettes
habituelles du genre « Comment rédiger un article scientifique ». En
fait, ils ont souvent l’impression de mieux réussir (jusqu’au moment
des examens) car ils ne doutent guère d’eux-mêmes. La psychologie
appelle cela l’effet Dunning-Kruger (Kruger et Dunning, 1999). En
effet, les étudiants médiocres ignorent leurs propres limites : il leur
faudrait distinguer l’immensité des connaissances pour voir combien
les leurs sont minces. En d’autres termes, ceux qui ne sont pas très
bons dans un domaine tendent à se sentir exagérément confiants, alors
que ceux qui ont fait un effort tendent à sous-estimer leurs com-
pétences. Les étudiants médiocres n’ont par ailleurs aucune peine à
trouver un sujet sur lequel écrire : ils ne manquent pas d’opinions
dont ils pensent avoir déjà fait le tour. Ils n’auront pas de peine non
plus à trouver sur quoi s’appuyer dans la littérature, car en général
ils ne sont ni désireux ni capables de détecter et ruminer les faits et
arguments qui ne vont pas dans leur sens.
Les bons étudiants, en revanche, ne cessent de relever la barre car ils
se concentrent sur ce qu’ils n’ont pas encore appris et ne maîtrisent
pas encore. Les meilleurs éléments, qui ont pu apprécier l’immensité
des connaissances existantes, se trouvent ainsi exposés à ce que les
psychologues appellent le syndrome de l’imposteur, le sentiment de
n’être pas vraiment à la hauteur de leur poste, même s’ils l’occupent
mieux que tout autre (Clance et Imes, 1978 ; Brems et al., 1994).
Ce livre vous est destiné, à vous les bons étudiants, les universitaires
ambitieux et les professionnels du savoir conscients qu’avoir des idées
n’est pas si simple et que l’écriture ne sert pas seulement à proclamer
des opinions mais constitue le principal moyen d’accès aux idées qui
méritent d’être partagées.

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Tout ce que vous devez savoir

LES BONNES SOLUTIONS


SONT SIMPLES – ET INATTENDUES

Il n’est pas nécessaire de bâtir un système complexe ni de réorga-


niser tout ce que vous avez déjà. Vous pouvez commencer à travail-
ler et développer des idées immédiatement en prenant des notes
intelligentes.
La complexité est néanmoins un problème. Sans même songer à éla-
borer une théorie grandiose, si vous désirez seulement garder trace
de vos lectures, organiser vos notes et développer vos pensées, vous
devrez faire face à un corpus de plus en plus complexe, en particulier
parce qu’il ne s’agit pas seulement de réunir des réflexions, mais aussi
d’établir des connexions et de faire jaillir de nouvelles idées. La plu-
part des gens tentent de réduire la complexité en répartissant ce qu’ils
détiennent entre des tas, des piles ou des classeurs plus petits. Ils trient
leurs notes par sujets et sous-sujets ; l’ensemble paraît alors moins
complexe mais devient vite très compliqué. De plus, la probabilité
d’établir et de trouver des connexions surprenantes entre les notes se
réduit : il faut arbitrer entre exploitabilité et utilité.
Heureusement, ce choix n’est pas inéluctable. Au contraire. Pour
affronter la complexité, le mieux est de maintenir les choses aussi
simples que possible et de suivre quelques principes de base. La sim-
plicité de la structure permet à la complexité de croître là où elle
est désirable : au niveau du contenu. Ce phénomène a fait l’objet de
recherches empiriques et logiques très étendues (voir le tableau brossé
par Sull et Eisenhardt, 2015). Prendre des notes intelligentes, c’est tout
simple.
Une autre bonne nouvelle concerne le temps et les efforts nécessaires
pour se lancer. Même si l’on est amené à modifier considérablement
sa manière de lire, de prendre des notes et de rédiger, les préparatifs
ne réclament presque pas de temps (sauf pour comprendre le principe
et installer un ou deux logiciels, si l’on utilise l’informatique). Il ne
s’agit pas de refaire ce qu’on a déjà fait, mais de changer sa manière de

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Comment prendre des notes intelligentes

travailler. Rien n’oblige à réorganiser ce dont on dispose déjà. Il suffit


de traiter les choses différemment au moment où l’on doit les traiter
en tout état de cause.
Les bonnes nouvelles ne s’arrêtent pas là. On n’a pas besoin de réin-
venter la roue. Il suffit d’additionner deux idées bien connues qui
ont fait leurs preuves. La première, qui est au cœur de ce livre, est la
technique de la simple boîte à fiches. J’en expliquerai le principe au
prochain chapitre, où l’on verra comment étudiants, universitaires et
autres professionnels du savoir peuvent l’appliquer dans leur quoti-
dien. Il existe des outils numériques pour les principaux systèmes
d’exploitation ; ils facilitent le travail, mais vous pouvez utiliser un
crayon et du papier si vous préférez. En termes de productivité et
de commodité, vous surpasserez quand même aisément ceux qui
prennent des notes « pas si intelligentes ».
La seconde idée est tout aussi importante. Le meilleur outil n’amélio-
rera pas beaucoup votre productivité si vous ne modifiez pas les rou-
tines quotidiennes qui l’emploient, de même que la plus rapide des
voitures n’est guère utile sans une route sur laquelle elle puisse rouler.
Comme tout changement de comportement, changer d’habitudes de
travail oblige à passer par une phase au cours de laquelle on est tenté
de revenir à ses anciennes méthodes. La nouvelle manière de travailler
peut paraître artificielle au début, et pas nécessairement conforme à
ce qu’on ferait intuitivement. C’est normal. Mais une fois qu’on s’est
habitué à prendre des notes intelligentes, elles semblent plus natu-
relles, au point qu’on se demande comment on a pu s’en passer. Les
routines supposent des tâches simples, répétitives, qui peuvent deve-
nir automatiques et s’enchaîner parfaitement (Mata, Todd et Lippke,
2010). Ce n’est qu’une fois tous les travaux connexes intégrés à un
processus d’ensemble, une fois tous les goulots d’étranglement sup-
primés, qu’un changement significatif peut intervenir (c’est pourquoi
les innombrables astuces proposées sur Internet, du genre « 10 outils
formidables pour améliorer votre productivité », ne sont jamais très
utiles).

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Tout ce que vous devez savoir

Il est important d’avoir un flux de tâches global : telle est la grande


idée exposée par David Allen dans S’organiser pour réussir : la méthode
GTD ou l’art de l’efficacité sans stress (Allen, 2021). Rares sont les profes-
sionnels du savoir sérieux qui n’ont pas entendu parler de la méthode
GTD1, et cela pour une bonne raison : elle marche. Son principe est
de réunir en un seul endroit tout ce dont on doit s’occuper et de le
traiter d’une manière standardisée. Cela ne signifie pas nécessaire-
ment mener à bien toutes les intentions qu’on a eues un jour, mais
cela oblige à faire des choix clairs et à vérifier régulièrement que
ce qu’on fait s’inscrit bien dans le tableau d’ensemble. C’est seule-
ment une fois qu’on sait que tout est géré, depuis l’important jusqu’au
subalterne, qu’on peut se détendre et se concentrer sur sa tâche du
moment. C’est seulement une fois qu’on n’a plus rien en attente dans
sa mémoire de travail, consommatrice de précieuses ressources men-
tales, qu’on peut atteindre le stade « calme comme l’eau d’un lac »,
selon l’expression d’Allen : un état dans lequel on peut se concentrer
sur le travail qu’on a devant soi sans se laisser distraire par des pensées
concurrentes. Le principe est simple mais holistique. Ce n’est pas un
remède express ni un outil fantastique. Il ne fait pas le travail à votre
place mais il apporte, pour le travail de tous les jours, une structure
adaptée au fait que la plupart des interruptions sont dues moins à ce
qui nous entoure qu’à ce qui est en nous.
Malheureusement, on ne peut pas transposer simplement la technique
d’Allen aux tâches d’écriture inspirée. D’abord parce que la méthode
GTD repose sur des objectifs clairement définis, alors que l’inspira-
tion, par définition, ne peut être prédéterminée. On part en général
d’idées assez vagues, qui évolueront nécessairement en se clarifiant au
fil des recherches (Ahrens, 2014, p. 134-135). Écrire en quête d’ins-
piration suppose donc une organisation beaucoup plus ouverte. La
seconde raison est que la méthode GTD oblige à morceler les pro-
jets en « étapes suivantes » concrètes et plus petites. Bien entendu,
l’écriture inspirée et le travail universitaire progressent aussi étape par

1. GTD ou Getting Things Done.

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Comment prendre des notes intelligentes

étape, mais ce sont des étapes le plus souvent trop petites pour qu’elles
nécessitent d’être spécifiées (consulter une note de bas de page, relire
un chapitre, écrire un paragraphe) ou trop grandes pour être fran-
chies d’un coup. Il est difficile aussi de prévoir quelle étape devra être
accomplie après la prochaine. Vous remarquez une note de bas de
page et vous y jetez un bref coup d’œil.Vous essayez de comprendre
un paragraphe et cela vous oblige à vérifier un détail. Vous rédigez
une note, vous revenez à votre lecture, puis vous vous empressez de
mettre par écrit une phrase qui s’est formée dans votre tête.

Écrire n’est pas un processus linéaire. On doit constamment alter-


ner entre différentes tâches. Il serait absurde de gérer ses actes en
détail à ce niveau. S’élever au niveau du tableau d’ensemble n’aide pas
beaucoup plus, car on y trouve des étapes suivantes du genre « rédi-
ger une page ». Ceci n’aide pas vraiment à s’orienter dans ce qu’on
doit faire pour écrire une page, c’est-à-dire souvent une multitude
de tâches susceptibles de demander un mois aussi bien qu’une heure.
On navigue surtout à vue. Telles sont probablement les raisons pour
lesquelles la méthode GTD n’a jamais vraiment pris dans le monde
universitaire, alors qu’elle est très bien utilisée dans les entreprises et a
une bonne réputation chez les travailleurs indépendants.

On peut cependant emprunter à Allen une idée importante : le secret


d’une organisation fructueuse réside dans une perspective holis-
tique. Il faut veiller à tout pour éviter que des morceaux négligés ne
deviennent dérangeants au point de rendre urgentes des tâches subal-
ternes. Les meilleurs outils sont inefficaces s’ils sont utilisés isolément.
Leur puissance n’entre en jeu que s’ils sont intégrés à un processus
de travail bien conçu. Rien ne sert d’avoir d’excellents outils s’ils ne
fonctionnent pas bien ensemble.

Écrire réclame des connexions étroites depuis les recherches docu-


mentaires jusqu’à la lecture des épreuves. Toutes les petites étapes
doivent être reliées de manière à permettre un passage en douceur
d’une tâche à une autre, tout en restant assez distinctes pour préserver
une liberté d’action selon les besoins de n’importe quelle situation.

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Tout ce que vous devez savoir

C’est l’autre intuition d’Allen : vous devez pouvoir vous fier à votre
système, savoir que tout est vraiment bordé, pour que votre cerveau se
laisse aller et vous permette de vous concentrer sur votre tâche.
D’où la nécessité d’un système de prise de notes aussi complet que
la méthode GTD mais adapté à un processus ouvert d’écriture, d’ap-
prentissage et de réflexion. Telle est la boîte à fiches.

LA BOÎTE À FICHES
La scène se déroule en Allemagne dans les années 1960. Parmi les
fonctionnaires d’une administration se trouve un certain Niklas
Luhmann. Fils de brasseur, il a fait des études de droit mais a opté pour
la fonction publique car l’idée de travailler pour des clients multiples
ne lui plaisait pas. Très conscient de ne pas être fait pour une carrière
administrative impliquant beaucoup de réseautage, il s’éclipse chaque
jour à 17 heures après sa journée de travail et rentre chez lui faire ce
qu’il aime le plus : lire et poursuivre ses différents centres d’intérêt en
philosophie, théorie organisationnelle et sociologie.
Chaque fois qu’il rencontre un fait remarquable ou qu’une lecture lui
inspire une idée, il établit une note. Bien sûr, beaucoup de personnes
lisent le soir, s’adonnent à leurs centres d’intérêt et certaines d’entre
elles prennent des notes, mais il est très rare que cela les mène à une
carrière aussi extraordinaire que celle de Luhmann.
Après avoir amassé des notes pendant un certain temps comme le font
la plupart des gens, par des commentaires en marge des textes ou des
billets manuscrits classés par sujet, Luhmann s’est dit que sa méthode
ne le menait nulle part. Il inversa donc sa façon de faire. Au lieu
d’ajouter ses notes à des catégories existantes ou aux textes concernés,
il se mit à les rédiger sur de petits morceaux de papier numérotés dans
un coin, qu’il amassait en un même lieu : sa boîte à fiches.
Bientôt, il imagina de nouvelles catégories de notes. Il se dit que le
principe « une idée, une note » n’avait d’intérêt qu’en fonction du

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Comment prendre des notes intelligentes

contexte de cette idée, qui n’était pas forcément le contexte auquel


elle était empruntée. Il se demanda donc comment une idée pourrait
être rattachée à différents contextes et les alimenter. Amasser des notes
dans un endroit ne mènerait à rien d’autre qu’à une masse de notes.
Il les réunirait donc dans sa boîte à fiches de manière à faire de l’en-
semble bien plus que la somme de ses parties. Cette boîte devint son
interlocutrice, sa principale source d’idées et son moteur de produc-
tivité. Elle l’aida à organiser et à développer ses réflexions. Et travailler
avec elle était agréable – parce que cela marchait.

C’est ainsi qu’il embrassa une carrière universitaire. Un jour, il réunit


quelques-unes de ces idées dans un manuscrit qu’il remit à Helmut
Schelsky, l’un des sociologues les plus influents d’Allemagne. Schelsky
lut l’essai de ce franc-tireur, puis contacta Luhmann. Il lui suggéra de
devenir professeur de sociologie à l’université de Bielefeld, qui venait
d’être fondée. Le poste était séduisant et prestigieux, mais Luhmann
n’était pas sociologue. Il ne possédait pas les qualifications officielles
requises pour devenir ne serait-ce que l’assistant d’un professeur de
sociologie en Allemagne. Il n’avait pas d’habilitation, plus haute qua-
lification universitaire dans beaucoup de pays européens, qui suppose
de rédiger une seconde œuvre après une thèse de doctorat. De fait, il
ne détenait pas de doctorat ni même le moindre diplôme en socio-
logie. Bien des gens auraient été flattés par cette proposition, mais en
auraient compris l’impossibilité et en seraient restés là.

Pas Luhmann. Il retourna à sa boîte à fiches et, avec son aide, parvint à
satisfaire toutes les conditions en moins d’un an. Il fut admis peu après
comme professeur de sociologie à l’université de Bielefeld, en 1968,
poste qu’il allait occuper le restant de sa vie.

En Allemagne, un professeur commence traditionnellement par pré-


senter ses projets au cours d’une séance publique. Luhmann fut donc
interrogé sur son projet de recherche principal. Sa réponse est res-
tée célèbre : « Mon projet : théorie de la société. Durée : trente ans.
Coûts : zéro » (Luhmann, 2021). En sociologie, la théorie de la société
est la mère de tous les projets.

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Tout ce que vous devez savoir

Vingt-neuf ans et demi plus tard, il achevait le dernier chapitre d’un


ouvrage en deux volumes intitulé Die Gesellschaft der Gesellschaft
(1997)1, qui agita la communauté scientifique2. Sa nouvelle théorie
radicale transforma la sociologie et souleva des controverses passion-
nées dans la philosophie, l’éducation, la théorie politique et la psycho-
logie. Ces débats n’étaient pas à la portée de tout le monde, cependant.
Ce qu’il avait fait était exceptionnellement élaboré, très différent et
d’une grande complexité. Les chapitres furent publiés séparément,
chaque livre traitant d’un seul système social. Il s’intéressa au droit, à
la politique, à l’économie, à la communication, à l’art, à l’éducation, à
l’épistémologie – et même à l’amour.
En trente ans, il publia cinquante-huit livres et des centaines d’articles,
sans compter les traductions. Beaucoup sont devenus des classiques
dans leur domaine. Y compris après sa mort, une demi-douzaine de
livres sur la religion, l’éducation ou la politique furent publiés sous sa
signature à partir de manuscrits inachevés trouvés dans son bureau. Je
connais plus d’un collègue qui aimerait bien être aussi productif dans
toute son existence que Luhmann après sa mort.
Certains universitaires carriéristes s’efforcent de tirer d’une seule idée
un maximum de publications. Luhmann faisait l’inverse. Il produisait
toujours plus d’idées qu’il ne pouvait en exposer. Ses textes donnent
l’impression qu’il tente de comprimer un maximum de connaissances
et d’idées dans une même publication.
On lui demanda un jour si quelque chose lui manquait dans la vie.
« Si je désire quelque chose, ce serait davantage de temps, répondit-il.
La seule chose vraiment pénible est le manque de temps » (Luhmann,

1. Traduction française : La Société de la société, trad. Flavien Le Bouter, Exils,


2021.
2. L’introduction à cette théorie a été publiée en 1987 dans un livre intitulé
Systèmes sociaux : esquisse d’une théorie générale (Soziale Systeme), avec
pour numéro de série 666. Ceux qui ne connaissaient pas son système de prise
de notes ont pu être tentés de croire que ce n’était pas une coïncidence : il fallait
bien un pacte avec le diable pour expliquer une telle productivité !

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Comment prendre des notes intelligentes

Baecker et Stanitzek, 1987, p. 139). Si certains universitaires laissent


leurs assistants faire l’essentiel du travail ou disposent d’une équipe pour
rédiger les articles qu’ils signent de leur nom, Luhmann se faisait rare-
ment aider. Le dernier assistant qui a travaillé pour lui jurait ses grands
dieux ne lui avoir apporté pour aide que la détection de quelques
fautes de frappe dans ses manuscrits. La seule vraie assistance dont il dis-
posait était celle de la gouvernante qui préparait ses repas et ceux de ses
enfants les jours ouvrables ; en effet, Luhmann dut élever lui-même ses
trois enfants après le décès prématuré de son épouse. Cinq repas chauds
par semaine ne suffisent évidemment pas à expliquer la production
d’une soixantaine de livres influents et d’innombrables articles.
Le sociologue allemand Johannes F. K. Schmidt a mené des recherches
approfondies sur le flux de tâches de Luhmann. La productivité de
celui-ci, a-t-il conclu, n’est explicable que par sa technique de travail
hors du commun (Schmidt, 2013, p. 168). Cette technique n’a jamais
été un secret – Luhmann en a toujours parlé ouvertement. Sa pro-
ductivité venait de sa boîte à fiches, disait-il régulièrement. À ceux
qui demandaient comment il était possible d’être aussi prolifique, dès
1985, il répondait systématiquement : « Bien entendu, tout ne vient
pas de ma propre réflexion. Cela se passe principalement à l’intérieur
de la boîte à fiches » (Luhmann et al., 1987, p. 142). Mais peu de gens
se sont intéressés à cette boîte et à sa manière de s’en servir ; on pré-
férait voir dans cette explication la modestie d’un génie.
Sa productivité est impressionnante, bien sûr. Mais plus remarquable
encore que le nombre de publications ou la qualité exceptionnelle
de ses écrits est le fait qu’il semblait en venir à bout presque sans vrai
effort. Il assurait ne s’être jamais forcé à faire quelque chose qui ne
lui convenait pas et disait même : « Je ne fais que ce qui est facile. Je
n’écris que lorsque je sais aussitôt comment m’y prendre. Si je sèche
un moment, je mets le sujet de côté et je fais autre chose » (Luhmann
et al., 1987, p. 154-155)1.

1. https://youtu.be/qRSCKSPMuDc?t=37m30s (tous les liens figurent sur


takesmartnotes.com).

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Tout ce que vous devez savoir

Récemment encore, personne ne semblait vraiment y croire. Habitués


à l’idée qu’un grand résultat requiert un grand effort, nous avons ten-
dance à douter qu’un simple changement dans nos routines de travail
puisse non seulement nous rendre plus productifs, mais mettre plus de
gaieté dans le travail. Pourtant, n’est-il pas plus logique de penser que
Luhmann a produit son œuvre impressionnante non malgré sa répu-
gnance à faire ce qui ne le motivait pas, mais grâce à celle-ci ? Même
un dur labeur peut être plaisant tant qu’il est en phase avec nos buts
intrinsèques et que nous avons le sentiment de le maîtriser. Les pro-
blèmes surviennent quand nous rendons notre travail rigide au point
de ne pouvoir l’adapter à des circonstances changeantes et de nous
trouver bloqués dans un processus qui semble animé d’une vie propre.
Pour conserver le sentiment de maîtriser une situation, il n’y a rien
de tel que d’en conserver la maîtrise. Et pour cela, de garder des
pistes ouvertes au cours du processus de rédaction, sans se limiter
à sa première idée. Lorsqu’on écrit, surtout à propos d’idées, il est
naturel que les questions évoluent, que les matériaux avec lesquels
on travaille s’avèrent très différents de ce qu’on imaginait ou que de
nouvelles idées viennent bouleverser nos perspectives. Seul un travail
mené avec assez de souplesse pour permettre ces petits ajustements
constants permet de conserver une harmonie entre son centre d’in-
térêt, sa motivation et son travail – ce qui est la condition d’un travail
sans effort ou presque.
Luhmann parvenait à se concentrer sur les choses importantes qui
se trouvaient devant lui, à reprendre vite là où il en était resté et à
conserver la maîtrise du processus entier parce que la structure de son
travail le lui permettait.Travailler dans un contexte assez flexible pour
s’adapter à son rythme de travail évite d’avoir à affronter une résis-
tance. Maintes études sur les gens très brillants ont montré que leur
réussite est le fruit non pas d’une volonté puissante et de la capacité
à surmonter les résistances, mais plutôt d’ambiances de travail intel-
ligentes qui évitent celles-ci (Neal et al., 2012 ; Painter et al., 2002 ;
Hearn et al., 1998). Au lieu de se bagarrer contre des dynamiques
adverses, les gens très productifs dévient les résistances, à la manière

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Comment prendre des notes intelligentes

des champions de judo. Cela suppose non seulement un état d’esprit


propice, mais aussi un flux de tâches propice. Son mode de collabo-
ration avec sa boîte à fiches permettait à Luhmann d’évoluer libre-
ment et en douceur entre différentes tâches et différents niveaux de
réflexion. Il s’agit d’avoir les bons outils et de savoir les utiliser. Or, très
peu de gens comprennent que les deux sont nécessaires.
Certains cherchent encore le « secret » de Luhmann, voyant dans sa
production remarquable le signe d’un génie ou pensant que sa boîte
à fiches suffirait à leur mettre le pied à l’étrier. Bien entendu, il faut
de l’intelligence pour réussir dans l’écriture et le travail académique,
mais si l’on n’a pas un système externe au sein duquel réfléchir et
organiser ses pensées, ses idées et les informations qu’on collecte, ou si
l’on ignore comment l’intégrer à ses routines quotidiennes, on souffre
d’un tel handicap qu’un QI élevé ne suffit pas à le compenser.
Quant à la technologie, il n’y a pas de secret. Tout est disponible
depuis maintenant plus de trois décennies. Alors, pourquoi tout le
monde n’utilise-t-il pas une boîte à fiches et n’avance-t-il pas sans
effort vers le succès ? Parce que c’est trop compliqué ? Certainement
pas, c’est étonnamment simple. Les raisons sont plus terre à terre :
1. Jusqu’à une période récente et la publication des premiers travaux
sur son système de fiches, certains malentendus cruciaux entou-
raient la manière réelle dont Luhmann travaillait. Ceux qui cher-
chaient à l’imiter ont souvent obtenu des résultats décevants. Le
principal malentendu consistait à tout miser sur la boîte à fiches
sans s’intéresser au flux de tâches effectif auquel elle était intégrée.
2. Les publications sur ce système n’étaient disponibles qu’en alle-
mand dans leur quasi-totalité, et commentées presque exclusive-
ment au sein d’un cénacle de sociologues spécialistes de la théorie
des systèmes sociaux selon Luhmann – mais pas assez nombreux
pour constituer une masse critique.

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Tout ce que vous devez savoir

3. La troisième raison, la plus importante peut-être, est la simplicité


même du système. Intuitivement, la plupart des gens n’attendent
pas beaucoup des idées simples. Pour eux, des résultats impres-
sionnants supposent des moyens d’une complexité non moins
impressionnante.
Les contemporains de Henry Ford ne comprenaient pas en quoi un
dispositif aussi simple qu’une bande transporteuse pouvait être révo-
lutionnaire. Est-il si différent de déplacer les automobiles d’un tra-
vailleur à un autre plutôt que les travailleurs d’une automobile à une
autre ? Je ne serais pas surpris que certains d’entre eux aient même
vu en Ford un esprit un peu simplet, exagérément enthousiasmé par
une modification mineure dans l’organisation du travail. Il a fallu le
recul du temps pour que les avantages apportés par cette petite varia-
tion s’imposent à tous. Je me demande combien de temps il faudra
pour que les avantages de la boîte à fiches et des routines de travail de
Luhmann atteignent un tel degré d’évidence. Mais ce jour-là, tout le
monde les connaîtra depuis longtemps.
Quelles qu’en soient les raisons, le message est public et se diffuse vite.

MODE D’EMPLOI DE LA BOÎTE À FICHES


Comment fonctionne la boîte à fiches, cœur de ce système ?
Stricto sensu, Luhmann avait deux boîtes à fiches, l’une bibliogra-
phique, qui contenait les références et de courtes notes sur le contenu
des documents, et une autre – la principale – dans laquelle il recueil-
lait et engendrait ses idées, surtout en réaction à ce qu’il lisait. Les
notes étaient rédigées sur des fiches en bristol et stockées dans des
boîtes en bois.
Chaque fois qu’il lisait quelque chose, il rédigeait une information
bibliographique au recto d’une fiche et portait de courtes indications
sur son contenu au verso (Schmidt, 2013, p. 170). Ces notes aboutis-
saient dans la boîte à fiches bibliographique.

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Comment prendre des notes intelligentes

Dans une seconde étape, peu après, il consultait ses notes brèves et
se demandait en quoi elles pourraient alimenter ses réflexions et ses
écrits personnels. Puis il se tournait vers sa boîte à fiches principale et
notait ses idées, commentaires et réflexions sur de nouvelles feuilles
de papier, à raison d’une par idée, en s’astreignant à n’en utiliser qu’un
côté pour pouvoir plus tard la lire aisément sans devoir la sortir de la
boîte. Il restait en général assez concis pour qu’une idée tienne sur un
seul feuillet, mais il lui arrivait de prolonger sa réflexion sur un autre.

Il rédigeait ses notes sans perdre de vue celles qui se trouvaient déjà
dans la boîte à fiches. Et même si ses fiches de lecture étaient brèves, il
les rédigeait avec grand soin, dans un style pas très différent de celui du
manuscrit final : avec des phrases complètes et des références explicites
à ses sources écrites. Le plus souvent, toute nouvelle note faisait direc-
tement suite à une autre et s’inscrivait dans une chaîne plus longue. Il
ajoutait ensuite des références à des notes placées ailleurs dans la boîte
à fiches, les unes proches, d’autres dans des domaines et des contextes
complètement différents. Certaines, en rapport direct, se présentaient
davantage comme des commentaires, d’autres contenaient des liens
moins évidents. Il était rare qu’une note demeure isolée.

Il ne se contentait pas de copier des idées ou des citations, mais effec-


tuait une transition d’un contexte à un autre. À la manière d’un tra-
ducteur, il utilisait un vocabulaire différent selon le contexte tout en
s’efforçant de conserver le sens d’origine le plus fidèlement possible.
Dire qu’un auteur a du mal à justifier sa méthode dans un chapitre
peut décrire bien mieux le contenu de ce chapitre que n’importe
quelle citation du texte lui-même (ce qui réclamerait une explication,
bien sûr).

Luhmann avait une astuce : il n’organisait pas ses notes par sujets
mais, d’une manière assez abstraite, leur attribuait des numéros fixes.
Ceux-ci n’avaient pas de signification et ne servaient qu’à identifier
chaque note de façon permanente. Si une nouvelle note concernait
une note existante ou s’y référait directement – un commentaire, une
correction ou une addition, par exemple –, il l’ajoutait directement

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Tout ce que vous devez savoir

derrière elle. Si la note existante portait le numéro 22, la nouvelle


note prendrait le numéro 23. Si la 23 existait déjà, la nouvelle note
serait notée 22a. En alternant nombres et lettres, avec quelques vir-
gules et barres obliques au passage, il pouvait foisonner vers autant de
pistes de réflexion qu’il le voulait. Par exemple, une note sur la cau-
salité et la théorie des systèmes portait le numéro 21/3d7a7 et suivait
la 21/3d7a6 (voir annexe).
Chaque fois qu’il ajoutait une note, il recherchait dans sa boîte à
fiches d’autres notes auxquelles il pourrait la relier. Ajouter une note
directement derrière une autre n’est que l’une des manières de pro-
céder. Il est possible aussi d’ajouter un lien sur cette note ou sur une
autre, susceptible de se trouver n’importe où dans le système. Cela
rappelle les hyperliens tels qu’on les utilise sur Internet. Mais, comme
je l’expliquerai plus tard, les différences sont grandes et l’on aurait
tort de considérer la boîte à fiches comme un Wikipédia personnel
ou une base de données sur papier. Les ressemblances sont évidentes
mais l’originalité du système tient à des différences subtiles.
Grâce à ces liens entre notes, Luhmann pouvait ajouter une même
note à des contextes différents. Alors que d’autres systèmes partent
d’un classement des sujets préconçu, Luhmann développait les sujets ex
nihilo. Il ajoutait alors une nouvelle fiche à sa boîte à fiches et y consti-
tuait un sujet par sélection de liens vers les autres notes pertinentes.
Le dernier élément de son système était un index, qui renvoyait à une
ou deux notes fonctionnant comme une sorte de point d’entrée vers
un sujet ou un fil de réflexion. Les notes comportant un ensemble de
liens triés sont évidemment de bons points d’entrée.
Voilà. En réalité, c’est même plus simple que cela, car on dispose à
présent de logiciels qui simplifient beaucoup le système : il n’est plus
nécessaire d’inscrire à la main des nombres sur les notes ou de décou-
per du papier comme Luhmann devait le faire1.

1. Au verso de ses notes, on trouve non seulement des brouillons manuscrits,


mais aussi de vieilles factures ou des dessins de ses enfants.

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Comment prendre des notes intelligentes

Maintenant que vous savez comment la boîte à fiches fonctionne, il


ne vous reste plus qu’à comprendre comment l’utiliser. Le meilleur
moyen pour cela est d’en savoir un peu plus sur la manière dont on
réfléchit, on apprend et on développe des idées.
Si je devais ramener tout cela à un seul point, ce serait celui-ci : nous
avons besoin d’une structure de pensée externe fiable et simple, qui
compense les limites de notre cerveau. Mais d’abord, permettez-moi
de vous montrer comment un article s’écrit avec la boîte à fiches.

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Chapitre 2

TOUT CE QUE VOUS


DEVEZ FAIRE

Imaginez que vous ne partez pas d’une page blanche. Imaginez plutôt
qu’un bon génie (ou un assistant bien payé) a préparé pour vous un
brouillon de votre article. L’argumentation est déjà entièrement déve-
loppée, avec toutes les références, les citations et quelques idées vrai-
ment intelligentes. Il ne reste plus qu’à mettre ce brouillon au propre
et à l’envoyer. Ne vous y trompez pas : il reste de quoi faire, et pas
seulement corriger quelques fautes de frappe. Le travail de relecture
demande de la concentration. Il faut reformuler certaines phrases, éli-
miner une ou deux redites et peut-être ajouter deux ou trois phrases,
voire des passages entiers, pour combler des lacunes résiduelles de
l’argumentation. Mais cette tâche est bien définie : rien qui ne puisse
être accompli en quelques jours et assurément rien qui puisse vous
décourager. Tout le monde se sent motivé quand la ligne d’arrivée est
proche. Jusque-là, pas de problème.
Imaginez à présent que, au lieu d’avoir à retoucher le brouillon pour
établir l’article final, il vous incombe de le préparer. Qu’est-ce qui
vous aiderait à le faire vite ? Ce serait certainement beaucoup plus
facile si vous aviez déjà devant vous tout ce dont vous avez besoin :
les idées, les arguments, les citations, de longs passages développés, le

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Comment prendre des notes intelligentes

tout assorti d’une bibliographie et de références. Et tout cela non seu-


lement disponible, mais aussi déjà en ordre, trié chapitre par chapitre
avec des titres descriptifs. Là aussi, la mission serait claire. Pas de souci
de la perfection des phrases (quelqu’un d’autre s’en occupera), pas de
souci de recherche de faits et d’idées (quelqu’un s’en est déjà chargé),
vous ne vous préoccupez que de transformer une suite d’idées en
un texte continu. Là encore, cela reste un travail sérieux auquel vous
devrez consacrer quelque effort si vous le voulez excellent. Peut-être
repérerez-vous une lacune dans une argumentation et devrez-vous la
combler, ou bien voudrez-vous réorganiser certaines notes ou lais-
ser de côté quelque chose qui vous paraît moins judicieux. Mais, là
encore, la tâche n’est pas insurmontable et, heureusement, il n’est pas
nécessaire qu’elle soit parfaite. Jusque-là, pas de problème.

La tâche de mise en ordre des notes existantes est également gérable,


surtout si la moitié d’entre elles sont déjà en ordre. Explorer un sys-
tème de fichiers avec des discussions, une foule de documents et
d’idées est, croyez-le ou non, plaisant. Cela n’exige pas le genre d’at-
tention concentrée dont on a besoin pour rédiger une phrase ou
comprendre un texte difficile. Votre attention est sans effort, un état
d’esprit ludique est même favorable. Pour distinguer des connexions
et des constantes, il ne faut pas être trop focalisé. On repère claire-
ment les longues discussions déjà accumulées – c’est un bon point
de départ. Si l’on recherche des notes spécifiques, on se rapporte à
l’index. Jusque-là, pas de problème.

À ce stade, il devrait être clair que vous n’avez pas besoin d’attendre
l’apparition d’un génie car chaque étape est non seulement à votre
portée, mais aussi simple et bien définie : assembler des notes et les
mettre en ordre, les transformer en un brouillon, mettre celui-ci au
propre.

Tout cela est beau et bien, pourriez-vous penser, mais que dire de la
rédaction des notes ? À l’évidence, rédiger un article est facile si l’es-
sentiel du travail d’écriture est déjà fait et qu’il suffit de le transformer
en un texte linéaire. Mais n’est-ce pas un peu comme dire : « Si vos

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Tout ce que vous devez faire

poches sont vides, puisez dans votre tirelire » ? Donner l’impression


que les choses sont faciles est à la portée de tous, il suffit de laisser le
plus dur de côté. Où est le génie là-dedans ?

Bien sûr, le gros travail est de rédiger les notes. Cela réclame énormé-
ment d’efforts, de temps, de patience et de volonté, et vous ploierez
probablement sous le poids de cette tâche. Je plaisante, là. C’est le plus
facile. Et puis, le gros travail n’est pas la rédaction des notes. C’est de
réfléchir. De lire. De comprendre et de trouver des idées. Et c’est ce
qu’on attend de vous. Les notes n’en sont que le résultat tangible. Il
vous suffit d’avoir un crayon en main (ou un clavier sous la main)
quand vous faites ce que vous faites de toute façon. La rédaction des
notes accompagne le travail et, si elle est bien faite, le facilite.

Rédiger est sans conteste le meilleur moyen pour faciliter la réflexion,


la lecture, l’apprentissage, la compréhension et la découverte d’idées.
Les notes se construisent pendant qu’on réfléchit, qu’on lit, qu’on
comprend et qu’on trouve des idées, car il faut en tout état de cause
avoir un crayon en main pour réfléchir, lire, comprendre et avoir des
idées correctement. Si l’on veut vraiment comprendre quelque chose,
il faut le transcrire avec ses propres mots. La réflexion prend place
autant sur le papier que dans la tête. « Les notes sur le papier, ou sur
un écran d’ordinateur […], ne rendent pas la physique contempo-
raine ou tout autre genre d’entreprise intellectuelle plus facile, elles
la rendent possible », assure le neurologue Neil Levy dans l’introduc-
tion de l’Oxford Handbook of Neuroethics, où il résume des décennies
de recherches. Neuroscientifiques, psychologues et autres experts en
réflexion ont des idées très différentes sur la manière dont notre cer-
veau fonctionne mais « quelle que soit la manière dont les processus
internes sont mis en œuvre, vous devez comprendre à quel point l’es-
prit dépend d’un échafaudage externe » (Levy, 2011, p. 270).

Toutefois, s’il y a un point sur lequel les experts s’accordent, c’est


celui-ci : on doit extérioriser ses idées, on doit écrire. Le physicien
Richard Feynman insiste sur ce point autant que Benjamin Franklin.
Écrire accroît ses chances de comprendre ce qu’on lit, de retenir ce

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Comment prendre des notes intelligentes

qu’on apprend et de mettre ses idées en ordre. Et si l’on doit écrire de


toute façon, pourquoi ne pas en profiter pour accumuler les sources
de publications futures ?
Réfléchir, lire, apprendre, comprendre et trouver des idées est le tra-
vail principal de quiconque étudie, cherche ou écrit. Si l’on écrit pour
améliorer ces activités, on bénéficie d’un fort vent arrière. Prendre des
notes habilement vous propulsera donc vers l’avant.

RÉDIGER UN ARTICLE PAS À PAS


1. Prenez des notes volantes. Ayez toujours sous la main de quoi écrire
afin de saisir la moindre idée qui vous passe par la tête. Ne vous
inquiétez pas de la forme ou du support. Les notes volantes sont de
simples rappels de ce que vous avez en tête. Elles ne devraient pas
causer la moindre diversion. Réunissez-les dans un endroit donné,
qui sera votre boîte de réception, et traitez-les plus tard. En général,
j’ai avec moi un simple calepin, mais une serviette en papier ou un
ticket de caisse font l’affaire si je n’ai rien d’autre sous la main. Il
m’arrive de laisser une note vocale sur mon téléphone. Si vos pen-
sées sont déjà ordonnées et que vous avez du temps, vous pouvez
sauter cette étape et rédiger directement une note au propre, per-
manente, pour votre boîte à fiches (voir ci-dessous).
2. Établissez des fiches de lecture. Chaque fois que vous lisez quelque
chose, prenez des notes. Notez ce que vous voulez retenir ou ce
que vous pensez pouvoir utiliser dans vos réflexions ou vos écrits
personnels. Faites très bref, soyez extrêmement sélectif et utilisez
votre propre vocabulaire. Soyez encore plus sélectif avec les cita-
tions – ne les copiez pas pour vous dispenser d’en comprendre le
sens. Conservez ces fiches, avec les détails bibliographiques, dans un
endroit unique : votre système de référence.
3. Établissez des fiches permanentes. Tournez-vous à présent vers
votre boîte à fiches. Parcourez les notes volantes et fiches de lecture
rédigées dans les étapes 1 ou 2 (dans l’idéal une fois par jour et

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Tout ce que vous devez faire

avant d’avoir oublié ce que vous vouliez dire) et demandez-vous


en quoi elles se rapportent à ce qui concerne vos recherches, vos
réflexions ou vos centres d’intérêt. Cela peut se faire rapidement : la
boîte à fiches ne contient que ce qui vous intéresse en tout état de
cause. L’idée n’est pas de rassembler des idées, arguments et expo-
sés, mais de les développer. Les nouvelles informations viennent-
elles contredire, soutenir ou augmenter ce que vous avez déjà (dans
la boîte à fiches ou dans votre esprit) ? Pouvez-vous associer des
idées pour parvenir à quelque chose de nouveau ? Quelles ques-
tions soulèvent-elles ? Établissez une seule note pour chaque idée
et rédigez-la comme si vous écriviez pour quelqu’un d’autre : faites
des phrases complètes, citez vos sources, indiquez des références et
essayez d’être aussi précis, clair et bref que possible. Jetez les notes
volantes de l’étape 1 et placez les fiches de lecture de l’étape 2 dans
votre système de référence. Puis oubliez-les. Tout ce qui est impor-
tant va dans la boîte à fiches.
4. À présent, ajoutez vos notes définitives à la boîte à fiches :
• en classant chacune d’elles derrière une ou plusieurs notes
apparentées (les logiciels permettent de classer une note don-
née « derrière » plusieurs notes ; si, comme Luhmann, vous
utilisez du papier et un crayon, vous devez déterminer quelle
place convient le mieux et ajouter des liens manuels vers les
autres notes). Regardez à quelle note la nouvelle note se rap-
porte directement ou, si elle ne se rapporte encore directement
à aucune note, classez-la après la dernière ;
• en ajoutant des liens aux notes apparentées ;
• en faisant en sorte de pouvoir retrouver cette note plus tard
grâce à un lien placé soit dans votre index soit dans une note qui
vous sert de point d’entrée vers un exposé ou un sujet et qui fait
l’objet d’un lien dans l’index.
5. Développez vos sujets, questions et projets de recherche du bas
vers le haut depuis l’intérieur du système. Voyez ce qui s’y trouve,
ce qui manque et quelles questions se posent. Lisez davantage

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Comment prendre des notes intelligentes

pour contester, renforcer, modifier et développer vos arguments en


fonction des nouvelles informations que vous découvrez. Prenez
davantage de notes, développez davantage vos idées et voyez où
cela vous mène. Contentez-vous de suivre vos centres d’intérêt et
empruntez toujours le chemin le plus inspirant. Bâtissez à partir de
ce que vous avez. Même si votre boîte à fiches est encore vide, vous
ne partez jamais de zéro – vous avez toujours dans votre esprit des
idées à tester, des opinions à contester et des questions à résoudre.
Ne vous creusez pas les méninges pour trouver un sujet. Regardez
plutôt dans la boîte à fiches pour voir quelles chaînes de notes
se sont développées et quelles idées se sont agglutinées. Ne vous
cramponnez pas à une idée si une autre, plus prometteuse, prend de
l’ampleur. Plus vous vous intéressez à une chose, plus vous accumu-
lerez de lectures et de réflexions à son sujet, plus vous collecterez
de notes et plus il sera probable que vous en tiriez des questions.
Ce sera peut-être ce à quoi vous vous intéressiez dès le début mais
il est plus probable que vos centres d’intérêt auront évolué : ainsi
fonctionnent les idées.
6. Au bout d’un moment, vous aurez mené des idées assez loin pour
choisir un sujet sur lequel écrire.Votre sujet repose à présent sur ce
que vous avez, pas sur une idée hypothétique de ce que vos lectures
pourraient vous apporter. Regardez où mènent les connexions
et rassemblez toutes les notes pertinentes sur le sujet (la plupart
d’entre elles seront déjà en partie classées), copiez-les dans un logi-
ciel de gestion d’idées1 et mettez-les en ordre. Recherchez ce qui
manque et ce qui fait double emploi. N’attendez pas d’avoir tout
rassemblé. Essayez plutôt d’en tirer des idées et prenez le temps de
revenir à la lecture et à la prise de notes pour améliorer vos idées,
vos arguments et leur structure.
7. Transformez vos notes en brouillon. Ne vous contentez pas
de les recopier pour en faire un manuscrit. Traduisez-les en quelque

1. Ou bien, si vous utilisez un crayon et du papier, contentez-vous de répartir les


notes existantes sur votre bureau.

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Tout ce que vous devez faire

chose de cohérent et intégrez-les dans le contexte de l’argumen-


tation tout en bâtissant celle-ci à partir de vos notes. Détectez les
failles de votre argumentaire, comblez-les ou changez d’argument.
8. Mettez en forme et corrigez votre texte. Félicitez-vous et
passez au projet suivant.
Telles sont les étapes, présentées comme si vous ne deviez écrire qu’un
texte/article à la fois. En réalité, on ne travaille jamais sur une idée
unique mais sur plusieurs, à différents stades. Et c’est là que le système
révèle ses véritables atouts. On ne peut s’empêcher de réfléchir à plus
d’une question à la fois et il est probable qu’on y réfléchira et qu’on
les détaillera dans l’avenir. Pas forcément dans un cadre universitaire
ou en vue d’une publication, mais assurément dans un but de progrès
intellectuel. Récoltez ce que vous rencontrez en chemin et ne laissez
aucune bonne idée se perdre. Supposons que vous lisiez un livre dans
l’espoir qu’il soit utile pour l’un des articles que vous écrivez. Peut-
être faites-vous erreur mais il pourrait quand même contenir des pen-
sées intéressantes qu’il serait bon de conserver et qui pourraient servir
à autre chose, à quoi vous n’avez pas encore pensé.
De fait, il est fort improbable que chaque texte que vous lisez
contienne exactement l’information que vous recherchiez, et rien
d’autre. Si tel était le cas, vous sauriez déjà ce qu’il contient et n’auriez
même pas besoin de le lire1. Le seul moyen de savoir s’il vaut d’être lu
étant de le lire (fût-ce seulement un résumé), autant utiliser au mieux
le temps dépensé. On rencontre constamment des idées intéressantes
en chemin et seule une fraction d’entre elles sont utiles pour l’article
particulier en vue duquel on lit. Pourquoi mettre les autres à la pou-
belle ? Faites une note et ajoutez-la à votre boîte à fiches. Elle l’amé-
liore. Chaque idée accroît ce qui pourrait devenir une masse critique,
faisant d’une simple collection d’idées un générateur d’idées.

1. Cette situation est connue sous le nom de paradoxe de Ménon (Platon,


Ménon, 80e, traduction Grube).

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Comment prendre des notes intelligentes

Une journée de travail normale couvrira plusieurs de ces étapes,


sinon toutes : vous lisez et vous prenez des notes. Vous établissez des
connexions à l’intérieur de la boîte à fiches, ce qui en soi fait éclore
de nouvelles idées.Vous les notez et les ajoutez à l’analyse.Vous rédi-
gez votre article, vous remarquez une lacune dans votre raisonnement
et vous revenez au système de fichier pour trouver le lien manquant.
Vous continuez par une note de bas de page, vous reprenez vos
recherches et vous ajoutez peut-être une citation judicieuse à l’un de
vos articles en préparation.
Le degré de spécialisation de vos lectures dépend de vos priorités.
Rien ne vous oblige à lire ce que vous ne considérez pas comme
absolument nécessaire pour achever votre article le plus urgent, mais
vous allez quand même rencontrer en chemin beaucoup d’autres
idées et informations. Prendre un peu de temps pour les ajouter à
votre système sera très positif car la plus grande partie de ce qu’on
apprend est faite de trouvailles accidentelles.
Imaginons que nous n’apprenions dans toute notre vie que ce que
nous avons prévu d’apprendre ou ce qu’on nous enseigne explicite-
ment. Chaque bribe d’information supplémentaire, filtrée en fonc-
tion de ce qui nous intéresse, contribue à notre compréhension, nos
réflexions et nos écrits à venir. Et les meilleures idées sont d’habitude
celles que nous n’avions pas prévues.
La plupart des gens suivent différents axes de réflexion en même temps.
Peut-être s’attacheront-ils à une idée pendant un bout de temps, puis
ils n’y penseront plus jusqu’à ce qu’ils voient comment la pousser plus
loin. Il est utile alors de se consacrer à une autre idée, avant de revenir
à la précédente. Il est bien plus réaliste de conserver cette souplesse
grâce à laquelle on n’a pas à s’inquiéter de repartir de zéro.

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Chapitre 3

TOUT CE QU’IL VOUS FAUT

On raconte que la NASA a voulu inventer un stylo à bille fonction-


nant dans l’espace. S’il vous est arrivé d’essayer d’écrire avec un stylo
à bille tenu vers le haut, vous avez sans doute compris que l’encre
s’écoule par gravité. Après une série de prototypes, plusieurs expéri-
mentations et de grosses dépenses, la NASA a mis au point un engin
dans lequel l’encre est poussée par de l’azote comprimé pour com-
penser l’absence de gravité. Quand les Russes ont rencontré le même
problème, ils ont utilisé des crayons (De Bono, 1998, p. 141). L’histoire
n’est hélas qu’une légende urbaine, mais sa leçon exprime l’idée cen-
trale de la boîte à fiches : concentrez-vous sur l’essentiel et ne com-
pliquez pas les choses inutilement.
L’écriture académique n’est pas en soi un processus compliqué qui
exigerait une panoplie d’outils non moins compliqués, mais elle est
toujours à la merci de dérangements inutiles. Malheureusement, la
plupart des étudiants rencontrent et adoptent au fil du temps diffé-
rentes techniques d’apprentissage et de prise de notes, toutes censées
faciliter quelque chose mais qui, ensemble, aboutissent à l’effet inverse.
Le flux de tâches se complique : au gré de ces techniques, on devra
souligner les phrases importantes (quelquefois avec des couleurs ou
des épaisseurs différentes), inscrire des commentaires en marge, copier

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Comment prendre des notes intelligentes

des extraits, utiliser des méthodes de lecture désignées par des sigles
du genre SQ3R1 ou SQ4R2, tenir un journal, effectuer un brain-
storming autour d’un sujet ou obéir à des questionnaires à plusieurs
étapes – sans parler des mille applications et programmes censés faci-
liter l’apprentissage et l’écriture. Rarement très complexes en soi,
ces techniques sont en général utilisées sans tenir compte du flux
de tâches réel, qui s’embrouille vite. Comme rien ne tient vraiment
ensemble, le travail devient très compliqué et l’on a du mal à accom-
plir quoi que ce soit.
Et si l’on met le doigt sur une idée qui pourrait se rattacher à une
autre, que faire de ces techniques différentes ? Parcourir ses livres
pour retrouver la bonne phrase soulignée ? Relire tous ses journaux
et extraits ? Et ensuite ? Rédiger un résumé ad hoc ? Où le ranger et
en quoi aide-t-il à établir de nouvelles connexions ? Chaque petit pas
devient soudain un projet à lui tout seul et l’ensemble ne progresse
guère. Ajouter une nouvelle technique prometteuse ne ferait qu’ag-
graver la situation.
C’est pourquoi la boîte à fiches ne se présente pas comme une
technique supplémentaire mais comme un élément crucial d’un flux
de tâches global, débarrassé de tout ce qui pourrait faire perdre de vue
l’important. Les bons outils n’ajoutent pas des fonctions et options
supplémentaires à ce qu’on possède déjà mais aident à réduire ce qui
détourne du travail principal, lequel consiste ici à réfléchir. La boîte à
fiches apporte un échafaudage externe à la réflexion et aide à gérer les
tâches pour lesquelles notre cerveau n’est pas très bon, à commencer
par le stockage objectif des informations.

1. SQ3R signifie « Survey, Question, Read, Recite, Review », méthode mise au


point par un professeur de psychologie, Francis Pleasant Robinson, pour l’armée
américaine au cours de la Seconde Guerre mondiale (Robinson, 1978).
2. « Survey, Question, Read, Reflect, Recite, Review ». Certaines institutions
d’enseignement promeuvent aujourd’hui la SQ5R, pour « Survey, Question,
Read, Respond, Record, Recite, Review ».

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Tout ce qu’il vous faut

De fait, nous n’avons besoin pour réfléchir que d’un cerveau non
dispersé et d’un ensemble de notes fiable. Tout le reste est superflu.

LA BOÎTE À FICHES

Quatre outils sont nécessaires :


• quelque chose avec quoi écrire et quelque chose sur quoi écrire
(un crayon et du papier feront l’affaire) ;
• un système de gestion de références (Zotero, Citavi ou tout autre
à votre convenance) ;
• la boîte à fiches (papier ou numérique) ;
• un traitement de texte (Word, LaTeX, Google Docs ou tout autre
à votre convenance).
Davantage est inutile, moins est impossible.
1. Il vous faut un moyen de saisir vos idées quels que soient le
moment et le lieu où elles éclosent dans votre tête. Il ne doit exiger
ni réflexion, ni attention, ni étapes multiples. Ce peut être un cale-
pin, une serviette en papier, une application sur votre téléphone
ou un iPad. Ces notes ne sont pas destinées à être stockées en
permanence. Elles seront effacées ou jetées assez rapidement. Elles
ne servent qu’à rappeler une pensée, non à l’exposer en prenant le
temps de formuler des phrases convenables et de vérifier les faits.
Je conseille d’avoir toujours avec soi un crayon et du papier. Côté
simplicité, il est difficile de faire mieux. Si vous utilisez d’autres
outils, veillez à ce que tout aboutisse à un seul endroit, une boîte
de réception centralisée ou quelque chose de ce genre, où vous
pourrez le traiter, de préférence dans la journée.
2. Le système de référence répond à deux objectifs : collecter les réfé-
rences (quelle surprise !) et les notes prises au cours de vos lec-
tures. Je conseille fortement d’utiliser un logiciel gratuit tel que
Zotero, qui permet de créer de nouveaux enregistrements via des

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Comment prendre des notes intelligentes

extensions de navigateur ou en saisissant simplement un numéro


d’ISBN ou un identificateur d’objet numérique (DOI). Zotero
peut aussi être intégré à Microsoft Word, Google Docs, LibreOffice
et d’autres traitements de texte, ce qui permet d’insérer des cita-
tions sans avoir à saisir la référence. Cela facilite le travail tout en
réduisant le risque de confusion lors de l’ajout, de la modification
ou de la suppression de références. Cela permet aussi de chan-
ger aisément de format selon les normes de vos professeurs ou
du journal pour lequel vous écrivez. Il est possible d’ajouter des
notes à chaque saisie mais vous pourriez tout aussi bien rédiger
vos notes à la main et les lier à la référence si vous préférez écrire
à la main à ce stade. En ce cas, contentez-vous de donner aux
notes un titre standardisé du genre « AuteurAnnée » et classez-les
par ordre alphabétique dans un endroit unique. Zotero peut être
téléchargé gratuitement depuis zotero.org (Windows, Mac, Linux
et iOS). Vous trouverez des liens vers tous les logiciels conseillés
sur takesmartnotes.com (en anglais). Si vous préférez ou si vous
travaillez déjà avec un autre logiciel aussi simple, vous n’avez pas de
raison d’y renoncer.
3. La boîte à fiches. Certains préfèrent la version papier-crayon dans
une boîte en bois, à l’ancienne. C’est très bien – en tout état de
cause, les ordinateurs ne peuvent accélérer qu’une partie relati-
vement mineure du travail, comme ajouter des liens et homogé-
néiser les références. Ils ne peuvent rien pour la partie principale,
c’est-à-dire la réflexion, la lecture et la compréhension.Vous n’au-
rez besoin que de fiches en papier à peu près de la taille d’une carte
postale (Luhmann utilisait le format DIN A6 de 148 × 105 mm)
et une boîte où les ranger. Cependant, même si la rédaction
manuelle présente des avantages évidents, je conseille d’utiliser la
version numérique, ne serait-ce que dans un but de mobilité. En
pratique, on peut remplacer la boîte à fiches par n’importe quel
logiciel permettant de créer des liens et des tags ou balises (comme
Evernote ou un Wiki), mais je conseille fortement d’en choisir un
qui autorise les rétroliens, comme Obsidian ou Roam Research,

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Tout ce qu’il vous faut

ou qui soit spécialement conçu pour ce système (comme Zettlr


ou ZKN3). On trouvera sur mon site web une liste actualisée de
logiciels conseillés.
4. Enfin, le traitement de texte : mon seul conseil est d’en
choisir un qui soit compatible avec votre gestionnaire de réfé-
rences (comme Zotero, qui fonctionne avec Microsoft Word,
LibreOffice, LaTex, entre autres). Ne pas avoir à saisir toutes les
références manuellement facilite la vie. Hormis cela, tout peut
convenir – aucun traitement de texte n’est capable d’améliorer une
argumentation.
Une fois que vous avez un crayon et du papier, un traitement de texte,
votre boîte à fiches et un système de références, vous êtes prêt.

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Chapitre 4

QUELQUES FAITS
À GARDER À L’ESPRIT

Préparer vos outils n’a pas dû vous prendre plus de cinq à dix minutes.
Toutefois, avoir les bons outils n’est qu’une partie de l’équation. Leur
simplicité est aisément trompeuse. Beaucoup les ont essayés sans com-
prendre vraiment comment les utiliser et ont évidemment été déçus
par les résultats. Les outils ne valent que ce que vous êtes capable
d’en faire. Tout le monde sait comment on se sert d’une flûte (on
souffle dedans en posant les doigts sur les trous en fonction des notes
à jouer1), mais nul ne jugerait l’instrument d’après ce qu’il entend lors
d’une unique tentative.
Pourtant, avec des outils comme la boîte à fiches, on oublie quelque-
fois que la manière de s’en servir compte autant que les possibilités
qu’elles offrent. Le meilleur des outils ne sera guère utile si l’on tente
de s’en servir sans s’être demandé quoi en faire. La boîte à fiches,
par exemple, deviendra très probablement une archive de notes – ou
pire, un cimetière d’idées (Hollier, 2005, p. 40, à propos des fiches
d’index de Mallarmé). Malheureusement, on trouve sur Internet bon
nombre d’exposés des techniques de Luhmann qui se focalisent sur

1. Voir Monty Python, How to Play the Flute.

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Comment prendre des notes intelligentes

les détails techniques de la boîte à fiches au détriment de ce qu’elle


peut véritablement offrir. Mais les temps changent : la boîte à fiches
de Luhmann fait actuellement l’objet d’un projet de recherche étendu
à l’université de Bielefeld, dont les premiers résultats expliquent en
détail comment Luhmann s’en servait réellement.Vous pouvez visua-
liser certaines de ses notes sur le site web ad hoc1. Bientôt, la totalité
de sa boîte à fiches numérisée pourra être consultée en ligne. Si l’on
y ajoute les récentes avancées de la psychologie à propos de l’appren-
tissage, de la créativité et de la réflexion, on obtient un tableau assez
clair des raisons pour lesquelles la boîte à fiches fonctionne. Et de fait,
il est capital non seulement de savoir comment elle fonctionne ou
comment s’en servir, mais aussi pourquoi elle fonctionne. Alors seule-
ment, on devient capable de l’adapter à ses propres besoins. Et tel est
le but de ce livre : vous donner toutes les ressources nécessaires pour
travailler le mieux possible avec la meilleure technique disponible.
Sous réserve de conserver à l’esprit quelques principes de base et de
comprendre la logique du système, tout le monde, j’en suis convaincu,
est capable d’imiter la formule de Luhmann pour bien apprendre,
écrire et chercher.

1. Principalement en allemand, hélas : http://ds.ub.uni-bielefeld.de/

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Partie 1

LES QUATRE
PRINCIPES DE BASE

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Chapitre 5

L’IMPORTANT EST D’ÉCRIRE

Pour les étudiants, l’obligation d’écrire prend surtout la forme des


examens. Dans ce contexte, le travail écrit représente une action anté-
rieure, à savoir l’apprentissage, la compréhension et la capacité à l’ana-
lyse critique d’autres textes. En écrivant, l’étudiant prouve ce qu’il a
appris et montre son aptitude à la réflexion critique et à la création
d’idées. Cette convention se rattache à l’idée que l’étudiant se prépare à
des travaux de recherche indépendants. Rédiger un devoir n’est alors
qu’une compétence à acquérir parmi d’autres. La tâche est distincte
– elle apparaît comme une tâche parmi d’autres. Les étudiants doivent
apprendre non seulement à rédiger des devoirs, mais aussi à cerner
des faits, à présenter leurs idées en séminaire et à suivre les cours
avec attention. Rédiger un devoir est considéré comme une tâche
en soi, avec un début et une fin. Presque tous les livres sur le travail
universitaire partent de cette hypothèse. Presque tous poursuivent sur
leur lancée en décrivant un processus idéalisé sous forme de certaines
étapes consécutives.
D’abord, une tâche d’écriture est imposée. Après quoi, il faut trou-
ver un sujet ou un angle particulier sur un problème, effectuer
une recherche, réunir ce qui a déjà été écrit sur la question, lire les
documents, les exploiter et parvenir à une conclusion. Vient ensuite

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Les quatre principes de base

l’écriture : la question à laquelle on répond est placée en tête, sui-


vie d’un survol de la littérature, d’une discussion et d’une conclu-
sion. Dans ce raisonnement, l’étudiant se prépare ainsi à un travail
de recherche indépendant. Hélas, il n’en est rien. S’il réussit comme
chercheur, ce n’est pas parce qu’il a appris à s’y prendre de cette
manière mais malgré cet apprentissage.

Ce livre repose sur une autre hypothèse : étudier ne prépare pas les
étudiants à la recherche. C’est une recherche indépendante. Personne
ne part de zéro et tout le monde est capable de réfléchir soi-même.
Étudier, si l’on s’y prend bien, est une recherche : il s’agit d’acquérir
des idées qui ne peuvent être anticipées et qui seront partagées au sein
de la communauté scientifique au su et au vu de tous. La connaissance
privée n’existe pas dans le monde académique. Garder une idée pour
soi équivaut à ne jamais l’avoir eue. Un fait que personne ne peut
reproduire n’est pas un fait. Publier signifie toujours mettre par écrit
pour permettre la lecture. L’histoire des idées non écrites n’existe pas.

L’école est différente. D’ordinaire, elle n’encourage pas les écoliers à


suivre leur propre chemin d’apprentissage, à contester et discuter tout
ce que le professeur enseigne et à changer de sujet si ce qu’on fait
ne semble pas mener à des éclairages intéressants. Le professeur est
là pour que les élèves apprennent. Mais, comme disait Wilhelm von
Humboldt, fondateur de l’université Humboldt (Berlin) et frère du
grand explorateur Alexander von Humboldt, le professeur n’est pas
là pour l’élève et l’élève n’est pas là pour le professeur. L’un et l’autre
ne sont là que pour la vérité. Et la vérité est toujours une matière
publique.

Tout, à l’université, tend vers une forme ou une autre de publication.


Il n’est pas nécessaire qu’un écrit soit accepté par un journal inter-
national pour devenir public. En fait, la grande majorité de ce qui est
écrit et débattu n’est pas publié dans ce sens étroit. Le processus de
révision lui-même est une manière de présenter une idée publique-
ment à ses pairs. Il en va de même de tout ce qu’un étudiant remet
à un professeur ou un assistant. Même le document distribué par un

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L’important est d’écrire

étudiant à ses condisciples lors d’un exposé est un écrit rendu public.
Il est public parce que, lorsqu’il est débattu, ce qui compte n’est plus
ce que l’auteur voulait dire mais ce qui figure par écrit.

À partir du moment où l’on peut faire abstraction de l’auteur, le


document écrit est une revendication publique de vérité. Les critères
d’un argument convaincant sont toujours les mêmes, quel que soit
l’auteur ou son statut : il doit être cohérent et reposer sur des faits.
La vérité n’appartient à personne ; elle résulte de l’échange scienti-
fique d’idées mises par écrit. C’est pourquoi la production du savoir
et sa présentation ne peuvent être séparées ; elles sont les deux faces
d’une même médaille (Peters et Schäfer, 2006, p. 9). Si l’écriture est
le médium de la recherche et l’étude rien d’autre que la recherche,
il n’y a aucune raison de ne pas travailler comme si rien d’autre ne
comptait que l’écriture.

Ce qui n’implique pas pour autant de passer plus de temps à écrire au


détriment de tout le reste. Donner la priorité à l’écriture ne semblera
mordre sur le temps consacré à d’autres tâches que si l’on compar-
timente le travail en tâches différentes, isolées. Cela ne veut pas dire
qu’on lit moins, puisque la lecture est la principale source de maté-
riaux en vue de l’écriture. Cela ne veut pas dire qu’on suit moins de
cours ou de séminaires, puisque les cours apportent des idées d’écri-
ture et des questions qui appellent des réponses. Assister aux cours est
aussi l’un des meilleurs moyens pour se faire une idée de l’état actuel
de la recherche, sans parler de la capacité à poser des questions et en
débattre. Donner la priorité à l’écriture ne signifie pas non plus ces-
ser de faire des exposés ou de trouver d’autres moyens pour rendre
publiques ses pensées. Où, sans cela, obtiendrait-on des retours sur ses
idées ?

Donner la priorité à l’écriture comme si rien d’autre ne comptait ne


signifie pas nécessairement faire tout le reste moins bien, mais mène
assurément à le faire différemment. Avoir un objectif clair, tangible,
quand vous abordez un cours, une discussion ou un séminaire, ren-
forcera votre motivation et aiguisera votre attention.Vous ne perdrez

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Les quatre principes de base

pas votre temps à vous demander ce que vous « devriez » apprendre.


En revanche, vous essaierez d’apprendre le plus efficacement possible
de manière à parvenir vite au point où se posent les vraies questions
ouvertes, les seules qui valent qu’on écrive à leur sujet. Vous appren-
drez vite à distinguer les arguments qui ont l’air bons de ceux qui le
sont vraiment, car vous devrez y réfléchir chaque fois que vous essayez
de les mettre par écrit et de les relier à vos connaissances antérieures.
Cela changera aussi votre manière de lire : sachant que vous ne pou-
vez tout noter, vous vous attacherez davantage aux aspects les plus
pertinents. Vous lirez d’une manière plus active, car vous ne serez
capable de tout reformuler avec vos propres mots que si vous com-
prenez de quoi il est question. Ce faisant, vous réfléchirez plus au
sens des mots, ce qui augmentera vos chances de vous en souvenir.
Votre réflexion devra aussi aller au-delà de vos lectures parce que
vous chercherez à les transformer en quelque chose de nouveau. En
agissant toujours dans l’objectif d’écrire, vous ferez délibérément tout
ce que vous ferez. Une pratique délibérée est le seul moyen sérieux de
s’améliorer dans ce qu’on fait (Ericsson, 2008). Si vous changez d’avis
sur l’importance de l’écriture, vous changerez d’avis sur tout le reste.
Même si vous décidez de ne jamais écrire une seule ligne de manus-
crit, le seul fait d’agir toujours comme si rien ne comptait hormis l’écriture
améliorera votre manière de lire, de réfléchir et autres compétences
intellectuelles.

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Chapitre 6

LA SIMPLICITÉ EST CAPITALE

Nous avons tendance à penser que les grandes transformations com-


mencent par une idée tout aussi grande. Mais le plus souvent, la force
d’une idée est dans sa simplicité (qui lui vaut d’être souvent négligée
au début).
Les boîtes, par exemple, c’est simple. Malcolm McLean, proprié-
taire d’une société de transports et ancien camionneur lui-même, se
trouvait régulièrement pris dans les embouteillages d’une autoroute
côtière. Il lui vint une idée simple pour éviter les routes congestion-
nées. Il n’aurait pas imaginé qu’avec elle, le monde allait changer
de cap. Comment aurait-il pu prévoir que cette idée simple allait
redessiner le paysage politique, propulser certains pays et en déclasser
d’autres, évincer des métiers séculaires, faire naître de nouvelles indus-
tries et toucher pratiquement tous les habitants de la Terre ? Je parle
bien sûr du conteneur maritime – lequel, à la base, n’est qu’une boîte.
Le 26 avril 1956, McLean mit en service l’Ideal X, ancien pétrolier
transformé afin de transporter cinquante-huit conteneurs. Il se disait
simplement qu’il était plus raisonnable de transporter une partie d’un
camion plutôt que le véhicule entier, ce qui en soi était déjà plus rai-
sonnable que de le laisser dans la circulation pendant des jours. Il ne
visait certainement pas à bouleverser les échanges mondiaux ni à faire

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Les quatre principes de base

de l’Asie le futur géant de l’économie. Il en avait juste assez d’être


coincé dans les bouchons.

Personne n’avait prévu l’effet d’un objet aussi simple. Mais ce n’était
pas tout. La plupart des armateurs avaient envisagé l’idée de placer dif-
férentes sortes de produits dans des boîtes de même taille et l’avaient
jugée idiote. Les dockers expérimentés savaient exploiter au mieux le
volume d’un cargo en rangeant au centimètre près des marchandises
livrées dans des emballages optimisés. Pourquoi remplacer ceux-ci par
une solution moins optimale ? Et, à propos de sous-optimal, qui aurait
l’idée de placer des boîtes cubiques dans le galbe d’une coque de
navire ? De plus, les armateurs n’avaient pas beaucoup de clients dési-
reux d’expédier exactement de quoi remplir un conteneur. Le risque
pour eux était de mécontenter leurs clients ou d’expédier des conte-
neurs soit à moitié vides, soit remplis des marchandises de différents
clients, ce qui aurait obligé à les vider et à réorganiser leur contenu
pour dissocier les différentes commandes dans chaque port. Les expé-
diteurs expérimentés ne trouvaient pas cela très efficient. Se posait
aussi le problème des boîtes elles-mêmes. Après les avoir débarquées
et chargées sur des camions, comment les faire revenir ? McLean per-
dit ainsi des centaines de conteneurs. C’était un cauchemar logistique.

McLean n’était pas le seul à avoir eu l’idée d’utiliser des conteneurs sur
les navires. Beaucoup d’autres avaient essayé et presque tous avaient
très vite renoncé – non parce qu’ils étaient trop obtus pour accepter
une grande idée, mais parce qu’elle leur faisait perdre trop d’argent
(Levinson, 2011, p. 45-46). L’idée était simple mais pas facile à mettre
en pratique efficacement.

Rétrospectivement, on sait pourquoi les armateurs ont échoué : ils


tentaient d’intégrer le conteneur dans leur manière de travailler habi-
tuelle sans modifier ni leurs procédures ni leurs infrastructures. Ils
auraient voulu bénéficier de l’évidente simplicité du chargement des
conteneurs sur les navires sans renoncer à leurs habitudes. Au début,
leur avis était conditionné par ce qui fonctionnait auparavant et seuls
les effets les plus immédiats étaient visibles. Ils recevaient des sacs et

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La simplicité est capitale

des caisses de marchandises : pourquoi les suremballer dans une autre


boîte ? Ils se contentaient de décharger les marchandises au port et ne
demandaient qu’à continuer. Ils ne voyaient pas pourquoi ils auraient
dû aller plutôt à la pêche au conteneur. Ils regardaient leur flotte telle
qu’elle était et se demandaient comment y faire tenir des conteneurs.
McLean avait compris mieux que les autres que l’important n’était
pas l’avis des armateurs, mais la mission de sa profession : apporter
les marchandises du producteur à leur destination finale. Le potentiel
réel du conteneur n’apparaissait qu’une fois harmonisées toutes les
parties de la chaîne logistique, du conditionnement à la livraison, de
la conception des navires à l’aménagement des ports.
Une fois ses avantages devenus évidents, des effets de second tour
entrèrent en jeu, formant un cercle vertueux qui se renforçait. Plus
les ports capables de traiter des conteneurs étaient nombreux, plus
il fallait construire de porte-conteneurs, ce qui abaissait le coût du
transport maritime, ce qui élargissait l’éventail des biens susceptibles
d’être expédiés, ce qui suscitait plus de trafic, ce qui rentabilisait des
navires plus grands, ce qui augmentait la demande d’équipements, etc.
Ce n’était pas seulement une autre manière de transporter des mar-
chandises. C’était une façon toute nouvelle d’exercer un métier.
Beaucoup d’étudiants et d’universitaires raisonnent comme les arma-
teurs d’autrefois à propos de la prise de notes. Ils manipulent leurs
idées et leurs découvertes comme il leur convient dans l’immédiat :
s’ils lisent une phrase intéressante, ils la soulignent. S’ils ont un com-
mentaire à ajouter, ils le rédigent en marge. S’ils ont une idée, ils la
notent dans leur calepin et si un article semble assez important, ils
font l’effort de rédiger un résumé.
À travailler ainsi, on se retrouve avec une foule de notes différentes
en différents endroits. Écrire signifiera alors compter lourdement
sur son cerveau pour se rappeler où et quand elles ont été rédigées.
Reste ensuite à conceptualiser un texte indépendamment d’elles,
ce qui explique pourquoi tant de gens font appel au brainstorming
pour arranger leurs documents après coup en fonction de cette idée

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Les quatre principes de base

préconçue. Dans cette infrastructure textuelle, ce flux de tâches si sou-


vent enseigné, il ne paraît pas très logique de réécrire les notes pour les
déposer dans une boîte afin de les en sortir le jour où, en écrivant ou
en réfléchissant, on aura besoin d’une citation ou référence particulière.
Dans l’ancien système, la question est : sous quel sujet vais-je ranger
cette note ? Dans le nouveau, elle est : dans quel contexte voudrai-je
tomber dessus à nouveau ? La plupart des étudiants classent leurs
documents par sujet, voire par séminaire et semestre. Du point de vue
de quelqu’un qui écrit, c’est aussi logique que de ranger ses affaires
par date d’achat et par magasin de provenance. Vous ne trouvez pas
votre pantalon ? Regardez à côté de l’eau de Javel achetée le même
jour au supermarché.
La boîte à fiches est le conteneur maritime du monde universitaire.
Au lieu d’avoir différents stockages pour différentes idées, on met tout
dans la même boîte et l’on standardise tout sous la même forme. Au
lieu de s’attacher aux étapes intermédiaires et d’inventer une science
faite de systèmes de soulignement, de techniques de lecture ou de
rédaction de résumés, on optimise tout dans un seul but : l’inspiration
qui fera publication.
Le plus gros avantage, en comparaison d’un système de stockage hié-
rarchique organisé par sujet, est que l’intérêt de la boîte à fiches croît
au fur et à mesure qu’elle grossit, au lieu de devenir chaotique et
déconcertante. Un tri par sujets vous place devant un dilemme : soit
accumuler de plus en plus de notes sur un sujet, ce qui les rend diffi-
ciles à retrouver, soit multiplier les sujets et sous-sujets, ce qui ne fait
que déplacer le désordre. Ce système sert à trouver des choses que
vous recherchez délibérément, ce qui fait peser toute la responsabilité
sur votre cerveau. La boîte à fiches est destinée à vous présenter des
idées que vous aviez oubliées, laissant votre cerveau réfléchir au lieu
de mémoriser.
Même si la boîte à fiches, organisée de manière ascendante, n’est pas
confrontée au problème de l’arbitrage entre trop de sujets et pas assez,
elle peut, elle aussi, perdre de son intérêt si l’on y accumule des notes

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La simplicité est capitale

indistinctement. Ses avantages n’apparaissent que si l’on cherche une


masse critique, qui dépend non seulement de la quantité de notes, mais
aussi de leur qualité et de la manière dont elles sont gérées.
Pour atteindre une masse critique, il est crucial de distinguer claire-
ment trois types de notes :
1. Les notes éphémères, simples rappels d’informations rédigés sans
souci de forme et qui finiront à la corbeille d’ici un jour ou deux.
2. Les notes permanentes, qui ne seront jamais jetées et qui contiennent
les informations nécessaires d’une manière perpétuellement com-
préhensible. Elles sont toujours rangées de la même manière au
même endroit, soit sous forme de fiches de lecture dans le système
de référence, soit sous forme de notes rédigées comme en vue
d’une publication dans la boîte à fiches.
3. Les notes de projet, qui ne se rapportent qu’à un projet particu-
lier. Elles sont conservées dans un classeur consacré à celui-ci et
peuvent être éliminées ou archivées après son achèvement.
Ces trois catégories doivent rester séparées pour qu’on puisse consti-
tuer une masse critique d’idées au sein de la boîte à fiches. La confusion
entre ces catégories est l’une des raisons qui empêchent de beaucoup
écrire ou publier.
Nombre d’étudiants appliqués qui tiennent un journal scientifique,
comme on le leur a conseillé, commettent une erreur classique. L’un
de mes amis ne laisse jamais passer une idée, une trouvaille intéressante
ou une citation : il écrit tout. Toujours muni d’un calepin, il prend
souvent quelques notes rapides pendant ses conversations. L’avantage
est évident : aucune idée ne se perd. Les inconvénients sont cependant
sérieux : toutes traitées comme si elles appartenaient à la catégorie
« permanente », les notes ne formeront jamais une masse critique. La
collection de bonnes idées est diluée jusqu’à l’insignifiance par toutes
les autres, qui ne concernent qu’un projet spécifique ou qui, à les
relire, ne sont pas si bonnes que cela. Qui plus est, leur ordre chrono-
logique strict n’aide aucunement à trouver, associer ou réorganiser

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Les quatre principes de base

des idées dans un sens productif. Mon ami a ainsi une pleine étagère
de calepins bourrés d’idées géniales, mais pas une seule publication à
son actif.

La deuxième erreur classique est de ne collecter que des notes en


rapport avec des projets spécifiques. À première vue, c’est bien plus
raisonnable.Vous choisissez ce sur quoi vous allez écrire puis vous col-
lectez tout ce qui vous aide. L’inconvénient est que vous devez repar-
tir de zéro après chaque projet et interrompre tous les fils de réflexion
prometteurs. C’est-à-dire que tout ce que vous trouvez, pensez ou
rencontrez dans le temps d’un projet sera perdu. Si vous tentez d’at-
ténuer ce problème en ouvrant un nouveau dossier pour un nouveau
projet potentiel chaque fois que vous tombez sur quelque chose qui
pourrait être intéressant, vous vous retrouverez vite face à une masse
écrasante de projets inachevés. Si cela ne suffit pas à ruiner votre moti-
vation, le travail nécessaire pour vous y retrouver s’en chargera. Mais
surtout, sans un réservoir d’idées permanent, vous ne pourrez pas
développer d’idées majeures sur un temps plus long parce que vous
vous restreignez soit à la durée d’un projet unique, soit à la capacité
de votre mémoire. Les idées exceptionnelles exigent bien davantage.

La troisième erreur classique est bien sûr de traiter toutes les notes
comme des notes éphémères. On reconnaît souvent ce cas au désordre
qui en résulte, ou plutôt à un cycle d’accumulation lente de docu-
ments suivi par de grands ménages. Se borner à la collecte de notes
éphémères mène inévitablement au chaos. Même peu nombreuses,
des notes peu claires et sans lien entre elles dormant sur votre bureau
vous pousseront tôt ou tard à repartir de zéro.

Toutes ces approches où les catégories sont confondues ont le


même effet : plus les notes conservées sont nombreuses, moins elles
deviennent utiles. Avoir beaucoup de notes rend plus difficile d’en
extraire les bonnes et de réunir celles qui vont ensemble d’une
manière positive. Mais ce devrait justement être l’inverse : plus vous
apprenez et collectez, plus vos notes devraient devenir bénéfiques,
plus les idées peuvent se mélanger et en engendrer de nouvelles. Il

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La simplicité est capitale

devrait donc être plus facile d’écrire un texte intelligent avec moins
d’efforts.
Il est important de réfléchir à la vocation de ces différents types de
notes. Les notes éphémères servent à saisir des idées rapidement tan-
dis que vous êtes occupé à autre chose. Quand vous participez à une
conversation, que vous suivez un cours, que vous entendez quelque
chose de remarquable ou qu’une idée jaillit dans votre esprit pendant
que vous faites vos courses, griffonner quelques mots est le mieux
que vous puissiez faire sans interrompre vos occupations. Cela peut
aussi être le cas lors d’une lecture, si vous désirez vous concentrer sur
un texte sans perdre le fil. Dans ce cas, vous vous contenterez peut-
être de souligner des phrases ou de porter de brèves annotations en
marge. Il est important de comprendre, cependant, que ces souligne-
ments ou ces annotations ne sont en soi que des notes éphémères et
n’ajoutent rien au texte. Ils perdront vite toute utilité, à moins que
vous n’en fassiez usage. Si vous savez déjà que vous n’y reviendrez pas,
dispensez-vous d’établir ce genre de notes. Prenez plutôt des notes
au propre. Les notes éphémères ne sont utiles que si vous les relisez
sous vingt-quatre heures pour en faire des notes au propre utilisables
plus tard. Les fiches de lecture éphémères peuvent se justifier si vous
avez besoin d’une étape supplémentaire pour comprendre ou saisir
une idée mais elles ne vous serviront à rien dans les étapes ultérieures
du processus d’écriture, car aucune phrase soulignée ne se présentera
d’elle-même au moment où vous en aurez besoin dans le déroule-
ment d’une argumentation. De telles notes sont juste le rappel d’une
pensée que vous n’avez pas encore eu le temps de mûrir. Les notes
permanentes, en revanche, sont rédigées de manière à rester compré-
hensibles même quand vous aurez oublié leur origine.
La plupart des idées ne résisteront pas à l’épreuve du temps ; d’autres
pourraient être les germes d’un projet majeur. Hélas, il est difficile
de les distinguer a priori. C’est pourquoi le seuil des idées notées doit
être aussi bas que possible mais il est crucial de les développer sous 24
ou 48 heures. Si vous ne comprenez plus ce que vous vouliez dire ou
si l’idée vous semble banale, c’est le signe que la note est restée trop

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Les quatre principes de base

longtemps de côté. Dans le premier cas, vous avez oublié ce que vous
deviez vous rappeler grâce à elle. Dans le second, vous avez oublié le
contexte qui lui donnait du sens.

Seules sont stockées de façon permanente les fiches de lecture du sys-


tème de référence et les notes principales de la boîte à fiches. Les pre-
mières peuvent être très brèves puisque leur contexte est clairement
le texte auquel elles se réfèrent. Les secondes doivent être rédigées
avec plus de soin et de précision car elles doivent s’expliquer d’elles-
mêmes. Luhmann ne soulignait jamais de phrases dans les textes qu’il
lisait, il ne rédigeait jamais de commentaires en marge. Il se contentait
de noter brièvement sur une feuille de papier distincte les idées qui
avaient saisi son attention dans un texte : « Je rédige une note avec les
détails bibliographiques. Au verso, j’écris “à la page x il y a ceci, à la
page y cela”, puis je la range dans la boîte à fiches bibliographique, où
je garde trace de tout ce que je lis » (Hagen, 1997). Mais avant stoc-
kage, il lisait ce qu’il avait noté au cours de la journée, se demandait si
cela avait un intérêt pour ses propres pistes de réflexion puis rédigeait
un texte afin de remplir sa boîte à fiches principale avec des notes
permanentes. Rien de ce que contenait cette boîte ne serait jamais
jeté. Certaines notes disparaîtraient peut-être dans les profondeurs
sans plus jamais attirer son attention, tandis que d’autres deviendraient
des points de raccordement entre diverses pistes de réflexion et réap-
paraîtraient régulièrement dans des contextes variés.

Le développement de la boîte à fiches étant imprévisible, on n’a pas à


s’inquiéter du sort des notes. Au contraire des notes éphémères, toutes
les notes permanentes de la boîte à fiches sont suffisamment détaillées
pour être intégrées à un texte écrit final, ou l’inspirer, mais on ne peut
en décider a priori, car leur pertinence dépend de réflexions et de
développements à venir. Leur but n’est plus de rappeler des pensées
ou des idées : elles contiennent la pensée ou l’idée elle-même sous
forme écrite. La différence est capitale.

Leur forme standardisée permet aux notes de composer une masse


critique en un seul lieu. Elle est aussi capitale pour faciliter la réflexion

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La simplicité est capitale

et le processus d’écriture car elle évite les complications ou décisions


superflues imposées par des formes et des lieux de stockage dispa-
rates. C’est parce qu’elles se présentent toutes sous la même forme au
même endroit qu’on peut par la suite associer les notes et les assem-
bler en une composition nouvelle sans perdre de temps à se demander
où les placer ou comment les intituler.
Les notes qui se rapportent uniquement à un projet spécifique sont
conservées ensemble dans un dossier ad hoc par projet. Peu importe
leur forme car, une fois le projet achevé, elles finiront à la corbeille
(ou dans une archive, la corbeille des indécis).
Les notes relatives à un projet peuvent être :
• des commentaires sur un manuscrit ;
• des ensembles de textes en rapport avec le projet ;
• des schémas ;
• des fragments de brouillon ;
• des rappels ;
• des listes de choses à faire ;
• et bien sûr le brouillon lui-même.
Les solutions de boîte à fiches numériques permettent de créer des
pages propres à des projets. On peut non seulement y organiser ses
pensées et y conceptualiser les chapitres du brouillon, mais aussi col-
lecter et trier les notes destinées au projet sans craindre de diluer ou
de perturber la boîte à fiches elle-même. On peut même modifier les
notes en fonction de son projet sans toucher aux notes de la boîte à
fiches.
Il en va de même pour le système de référence. Zotero permet de
collecter des textes dans des dossiers spécifiques par projet sans les
extraire du système de référence lui-même. Les notes permanentes
sont ainsi séparées clairement des notes relatives à un projet. Il est
alors possible de jouer tant qu’on le veut à l’intérieur des limites de
chaque projet sans perturber la boîte à fiches elle-même. Je préconise

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Les quatre principes de base

de conserver pour chaque projet un classeur physique où les notes


manuscrites et les sorties imprimées seront rangées séparément du
reste et réunies en un endroit unique.
Le soir, quand vous refermez le dossier de votre projet en cours et
qu’il ne reste sur votre bureau qu’un crayon et du papier, vous savez
que vous avez clairement séparé les notes éphémères, les notes perma-
nentes et les notes liées à un projet.

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Chapitre 7

NUL NE PART JAMAIS DE ZÉRO

« La feuille de papier vierge – ou aujourd’hui l’écran


vierge – est un quiproquo fondamental. »
Nassehi, 2015, p. 185

Le processus rédactionnel est très mal compris. Saisissez n’importe


quel guide d’étude ou livre pratique sur l’écriture, feuilletez ses pre-
mières pages et vous aurez des chances de rencontrer une phrase de
ce genre : « Pour rendre vos recherches plus efficientes, commencez
par rétrécir l’aspect que vous allez privilégier et formulez une ques-
tion explicite à laquelle vos recherches et votre analyse répondront1. »
Presque toujours, le choix du sujet est présenté comme une première
étape nécessaire. Vient ensuite tout le reste, comme dans ce guide :
« Dès que vous aurez établi votre profil intellectuel par rapport au
sujet, il vous faudra apprécier les difficultés potentielles, le temps dis-
ponible, la nature et la qualité des documents à consulter au fur et à
mesure du travail2. » Ensuite, vous trouverez certainement un plan en

1. Guide to Academic Writing, English and American Studies, université de Bayreuth.


2. Guide de rédaction des travaux universitaires, première version préparée par
François-Pierre Gingras (1998), École d’études politiques, Faculté des sciences
sociales, université d’Ottawa.

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Les quatre principes de base

plusieurs étapes que vous êtes censé suivre. Qu’il en comporte huit
(Centre d’écriture de l’University of Wisconsin) ou douze (Centre de
compétences et d’apprentissage académiques de l’Australian National
University), l’ordre, en gros, est toujours le même : choisissez votre
sujet, préparez vos recherches, effectuez vos recherches, rédigez. Fait
intéressant, ces feuilles de route avouent d’ordinaire que ce plan n’est
qu’un idéal et qu’en réalité, le travail se déroule rarement ainsi. Ce
qui ne fait aucun doute. L’écriture ne peut être à ce point linéaire.
D’où cette question évidente : s’il en est ainsi, pourquoi ne pas plutôt
décrire le déroulement de l’action à partir de la réalité ?

Pour définir une bonne question à explorer ou trouver le meilleur


angle pour un devoir, il faut déjà avoir réfléchi à un sujet. Pour pou-
voir se décider sur un sujet, il faut déjà avoir pas mal lu, et sûrement
pas à propos d’un seul sujet. Et bien entendu, on décide de lire une
chose et pas une autre en fonction d’orientations préexistantes, qui
elles-mêmes ne viennent pas de nulle part. Toute entreprise intellec-
tuelle commence par quelque a priori, éventuellement transformé par
des recherches supplémentaires et pouvant servir de point de départ
pour les travaux suivants. C’est ce que Hans-Georg Gadamer appe-
lait le « cercle herméneutique » (Gadamer, 2004). Si ce dernier est
régulièrement expliqué à l’université, l’écriture reste enseignée comme
si l’on pouvait partir de zéro et avancer tout droit, comme s’il était
possible de trouver une bonne question ex nihilo et de ne commencer
à lire qu’une fois sa recherche bibliographique achevée. Le conseil à
première vue pragmatique et réaliste – choisir ce sur quoi on va écrire
avant de commencer à écrire – est donc soit insipide, soit illusoire.
Insipide s’il signifie seulement qu’il faut réfléchir avant de tracer des
mots sur le papier. Illusoire s’il signifie qu’on peut établir un plan rai-
sonnable de ce qu’on va écrire avant de s’être immergé dans le sujet,
ce qui suppose d’écrire. L’écriture est une compagne permanente : on
doit lire crayon en main, développer des idées sur le papier et consti-
tuer une masse de réflexions externalisées toujours plus vaste. On aura
pour guides non un plan établi à l’aveugle par un cerveau imprécis,
mais ses centres d’intérêt, sa curiosité et son intuition – une intuition

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Nul ne part jamais de zéro

formée et alimentée par un travail réel de lecture, de réflexion, de


discussion, d’écriture et d’idéation, sans cesse accru, qui extériorise ce
qu’on sait et ce qu’on comprend.

En s’attachant à ce qui est intéressant et en conservant une trace écrite


de sa propre évolution intellectuelle, on voit émerger de sa docu-
mentation, sans effort, des sujets, des questions et des argumentations.
Autrement dit, non seulement il deviendra plus facile de trouver un
sujet ou une matière à recherche, car il n’est plus nécessaire de l’ex-
traire de force des quelques idées qu’on a en tête, mais toute question
qu’on sortira de sa boîte à fiches sera naturellement et opportunément
accompagnée des documents sur lesquels travailler. En recherchant
dans sa boîte à fiches les grappes qui s’y sont formées, on distingue
non seulement des sujets possibles, mais des sujets sur lesquels on a déjà
travaillé – même si l’on n’était pas capable de les voir aussitôt. L’idée
selon laquelle nul ne part de zéro devient soudain très concrète. Si on
la prend à la lettre et qu’on travaille en conséquence, on n’a littérale-
ment plus jamais besoin de partir de zéro.

Bien entendu, ceux qui croient partir de zéro ne partent pas vraiment
de rien puisqu’ils ne peuvent partir, eux aussi, que de ce qu’ils ont
déjà appris ou rencontré. Mais ils n’ont pas agi en conséquence, ils ne
peuvent pas remonter aux origines des idées et n’ont ni documents
à l’appui, ni sources en ordre. Comme leurs travaux précédents n’ont
pas été accompagnés par des écrits, ils doivent soit partir d’une base
complètement neuve (ce qui est risqué) soit reconstituer leurs idées
(ce qui est fastidieux).

La prise de notes étant rarement enseignée ou présentée, on ne s’éton-


nera pas que la plupart des guides d’écriture conseillent de commencer
par un brainstorming (ou remue-méninges). Si l’on n’a rien mis par
écrit au passage, il ne reste bien sûr que le cerveau vers quoi se tour-
ner. Ce qui, en soi, laisse à désirer : le cerveau n’est ni objectif ni fiable
– deux aspects très importants des écrits académiques et des essais.
Il n’en est que plus surprenant de préconiser un remue-méninges
comme point de départ, car la plupart des idées ne viennent pas de

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Les quatre principes de base

là. Les choses qu’on est censé trouver dans sa tête grâce à un brain-
storming n’y ont généralement pas leur origine. Elles viennent plutôt
de l’extérieur : de lectures, de discussions, de l’écoute des autres, de
tout ce qui aurait pu être accompagné et souvent amélioré par un
écrit. Réfléchir avant d’écrire est un conseil qui vient à la fois trop tard
et trop tôt. Trop tard car, au moment où l’on se trouve devant la page
ou l’écran vierge, on a déjà laissé passer l’occasion d’accumuler des
ressources écrites. Trop tôt si l’on tente de différer tout travail sérieux
sur les contenus jusqu’au moment où l’on aura arrêté son sujet.
Une chose qui vient trop tôt et trop tard à la fois ne peut être corrigée
par une réorganisation de son déroulement, car sa fausse linéarité est
un problème en soi. Des notes intelligentes sont un préalable indis-
pensable pour rompre avec l’ordre linéaire. Un signe infaillible indique
qu’on a réussi à organiser son flux de tâches en fonction du processus
circulaire et non linéaire qu’est l’écriture : le problème n’est plus de
trouver un sujet à traiter mais d’en avoir trop. Avoir du mal à trouver
le bon sujet n’est pas un problème de démarrage inéluctable, comme
la plupart des guides d’étude l’insinuent, mais le symptôme qu’on en
demande trop au cerveau. Si, en revanche, on développe ses réflexions
par écrit, des questions ouvertes deviennent clairement visibles et
fournissent une abondance de sujets qu’il est possible de développer.
Après de nombreuses années de travail avec des étudiants, je suis
convaincu que la raison principale des problèmes et des frustrations
auxquels les guides promettent de remédier réside dans leur propre
tentative d’imposer un ordre linéaire au processus non linéaire de
l’écriture. Comment n’aurait-on pas de mal à trouver un sujet si l’on
croit devoir le choisir avant d’avoir cherché, lu et étudié ? Comment
ne pas redouter la page blanche si l’on n’a littéralement rien pour la
remplir ? Peut-on reprocher ses tergiversations à celui qui se trouve
bloqué face à un sujet choisi à l’aveugle et contraint de s’y tenir alors
que la date limite approche ? Comment s’étonner que des étudiants
se sentent débordés par leurs devoirs écrits quand on ne leur a pas
appris à transformer en matériaux vraiment utilisables des mois et des
années de lectures, de débats et de recherches ?

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Nul ne part jamais de zéro

Ces guides qui négligent tout ce qui se passe avant le devoir écrit sont
un peu comme les conseillers financiers qui expliquent à des gens
de 65 ans comment épargner pour leur retraite. À ce stade, il vaut
mieux tempérer son enthousiasme (comme le conseille d’ailleurs un
des guides d’étude les plus vendus en Allemagne : avant tout, soyez
moins exigeant sur la qualité et l’inspiration1).
Mais ceux qui ont déjà développé leurs réflexions par écrit peuvent
rester centrés sur ce qui est intéressant pour eux dans l’instant et
accumuler une documentation substantielle simplement en faisant ce
qu’ils ont le plus envie de faire. Cette documentation s’agglutinera
en grappes autour des questions sur lesquelles ils sont revenus le plus
souvent, de sorte que leur point de départ ne risquera pas d’être trop
éloigné de leurs centres d’intérêt. Le premier sujet que vous avez
choisi n’est finalement pas le plus intéressant ? Laissez-le tomber et
vos notes s’agglutineront autour d’autre chose. Peut-être noterez-
vous pourquoi la première question n’était pas intéressante et en
tirerez-vous un enseignement méritant publication. Au moment de
choisir enfin le sujet que vous allez traiter, votre choix sera déjà arrêté,
car vous l’aurez fait à chaque étape du chemin, encore et encore,
chaque jour, en l’améliorant graduellement. Au lieu de passer votre
temps à vous inquiéter de trouver le bon sujet, vous le consacrerez
à un travail réel autour de vos centres d’intérêt existants et à ce qui
prélude à des décisions éclairées : lire, réfléchir, écrire. Si vous faites ce
travail, ayez confiance : les questions intéressantes se révéleront. Vous
ne saurez peut-être pas où vous allez aboutir (et peu importe) mais
en tout état de cause, vous ne pouvez pas imposer à vos idées une
orientation préconçue. Vous limitez ainsi à la fois le risque de vous
désintéresser d’un sujet choisi un jour par inadvertance et celui de
devoir repartir de zéro.
L’écriture académique n’est pas un processus linéaire, mais cela ne
signifie pas que vous devez suivre une approche laxiste. Au contraire,
une structure claire et fiable est indispensable.

1. Et, bien entendu, il traite de « l’angoisse de la page blanche » (Kruse, 2005).

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Chapitre 8

LAISSEZ-VOUS PROPULSER
PAR LE TRAVAIL

Peut-être avez-vous appris à l’école la différence entre réaction


exergonique et réaction endergonique. La première oblige à dépen-
ser constamment de l’énergie pour que le processus se poursuive.
La seconde, une fois déclenchée, se poursuit d’elle-même et produit
même de l’énergie. La dynamique du travail n’est guère différente.
Parfois, nous avons l’impression que le travail pompe notre énergie
et qu’il faut en fournir toujours plus pour avancer. D’autres fois, c’est
l’inverse. Une fois entrés dans le flux de tâches, c’est comme si le tra-
vail prenait de la vitesse en nous entraînant et parfois même en nous
conférant de l’énergie. C’est le genre de dynamique à rechercher.
Un bon flux de tâches se transforme aisément en un cercle vertueux :
une expérience positive incite à passer sans heurt à la tâche suivante,
ce qui aide à s’améliorer dans son travail, et corrélativement à l’aimer
davantage, et ainsi de suite. Si, en revanche, on se sent constamment
bloqué, on se démotive et l’on risque beaucoup plus de temporiser,
donc de vivre moins d’expériences positives, voire d’en vivre de mau-
vaises – manquer une date de remise, par exemple. On risque alors de
tomber dans un cercle vicieux d’échec (Fishbach, Eyal et Finkelstein,
2010).

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Les quatre principes de base

Toute tentative pour se pousser à travailler au moyen de récom-


penses externes (faire quelque chose d’agréable une fois un chapitre
achevé…) n’est qu’une solution à court terme qui n’a aucune chance
d’instaurer un retour d’information positif. De telles constructions
motivationnelles sont très fragiles. Le travail lui-même doit devenir
gratifiant pour que la dynamique de motivation et de récompense
s’auto-alimente et fasse avancer l’ensemble du processus (DePasque
et Tricomi, 2015).
Michelle Segar, très célèbre coach en motivation, exploite cette dyna-
mique pour transformer les individus les plus léthargiques en aficio-
nados de la gymnastique (Segar, 2015). Elle les amène à une pratique
routinière soutenable en se concentrant sur une seule chose : faire
du sport une expérience satisfaisante, renouvelable. Peu importe ce
que ses clients font – course, marche, sport d’équipe, gymnastique ou
vélo pour aller au travail. Une seule chose compte : qu’ils y trouvent
quelque chose qui leur procure assez d’agrément pour leur donner
envie de recommencer. Une fois trouvé ce quelque chose, ils se sentent
incités à essayer aussi autre chose. Ils pénètrent dans un cercle ver-
tueux où la volonté n’est plus nécessaire parce qu’ils ont envie de
pratiquer en tout état de cause. S’ils tentaient un chipotage du genre
gymnastique récompensée par une soirée de détente sur le canapé
devant la télévision, ils ne tarderaient pas à aller directement sur le
canapé en s’épargnant l’étape exercice physique. Nous sommes faits
ainsi.
Les retours d’information ne sont pas seulement cruciaux pour la
dynamique de motivation, ils sont aussi l’élément clé de tout proces-
sus d’apprentissage. Rien ne nous motive davantage que le sentiment
de devenir meilleur dans ce que nous faisons. Et notre seule chance
de nous améliorer est d’obtenir un retour d’information concret au
bon moment. Quiconque désire apprendre doit rechercher le retour
d’information, pas l’éviter – grandir, selon l’expression de la psycho-
logue Carol Dweck. Cette dernière montre bien que l’indicateur le
plus fiable de la réussite à long terme est la « mentalité de croissance ».
Rechercher activement et apprécier les retours d’information, qu’ils

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Laissez-vous propulser par le travail

soient positifs ou négatifs, est l’un des facteurs de réussite (et de


bonheur) les plus importants dans la durée. Inversement, rien n’en-
trave plus le progrès personnel qu’une « mentalité fixe ». Ceux qui
craignent et évitent les retours d’information, susceptibles de nuire
à leur autosatisfaction, s’en sentent peut-être mieux dans l’immédiat,
mais leurs résultats réels en souffriront vite (Dweck, 2013 ; 2017).
Paradoxalement, ce sont souvent les étudiants très doués et talen-
tueux, couverts de louanges, qui risquent le plus d’acquérir une men-
talité fixe et de se trouver bloqués. À force d’être félicités pour ce
qu’ils sont (talentueux et doués) plutôt que pour ce qu’ils font, ils ont
tendance à rechercher le maintien de cette impression plutôt qu’à se
lancer de nouveaux défis et risquent d’apprendre par l’échec. Adopter
une mentalité de croissance signifie éprouver du plaisir à s’améliorer
(gratification surtout interne) plutôt qu’à recevoir des compliments
(gratifications externes). À préférer ces derniers, on se cantonne dans
les domaines sûrs, éprouvés. Si l’on préfère la croissance, on vise les
domaines réclamant le plus d’améliorations. La stratégie de croissance
à long terme la plus fiable consiste à rechercher un maximum d’occa-
sions d’apprendre. Et si la croissance et le succès ne suffisent pas, ajou-
tons que la peur de l’échec est la phobie la plus laidement nommée
de toutes : kakorraphiophobie.

Le désir de croître, d’apprendre est capital, mais seulement d’un côté


de l’équation. Il est important également d’avoir un système d’ap-
prentissage permettant des retours d’information pratiques. Être ouvert
aux retours d’information n’est pas d’une grande utilité si l’on n’en
reçoit que tous les quelques mois pour des travaux déjà achevés. Le
modèle linéaire de l’écriture académique n’offre que très peu d’occa-
sions, d’ordinaire étalées dans le temps (Fritzsche, Young et Hickson,
2003). Après avoir choisi un sujet d’article et travaillé selon le modèle
linéaire, vous saurez si votre choix était judicieux seulement après
de multiples phases de recherche. Il en est de même quant à votre
compréhension de vos lectures et la solidité de votre idée d’argumen-
tation. Une approche circulaire, en revanche, permet de nombreuses
boucles de retour d’information, et donc de possibilités d’améliorer

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Les quatre principes de base

votre travail tandis que vous êtes encore à l’œuvre. Elle accroît le
nombre d’occasions d’apprendre mais aussi de corriger d’inévitables
erreurs. Ces retours d’information – en général plus modestes qu’un
énorme ricochet venant d’un seul coup à la fin – sont aussi moins
redoutables et plus faciles à accepter.

Lire crayon en main, par exemple, oblige à réfléchir à ce qu’on lit et


à s’assurer qu’on le comprend. C’est le test le plus simple : on a ten-
dance à penser qu’on comprend ce qu’on lit – jusqu’au moment où
l’on tente de le reformuler dans ses propres termes. On mesure mieux
alors sa faculté de compréhension tout en améliorant sa capacité à
exprimer avec clarté et concision ce qu’on comprend – ce qui cor-
rélativement aide à saisir plus vite des idées. Si l’on essaie de tricher,
on écrit des mots incompréhensibles et l’on s’en aperçoit dès l’étape
suivante, quand on essaie de transformer ses fiches de lecture en notes
permanentes et de les lier à d’autres.

Parvenir à dire ce qu’on comprend avec ses propres mots est fon-
damental pour toute personne qui écrit – et seules les occasions de
constater qu’on a mal compris permettent de s’améliorer. Meilleur on
devient, plus vite et plus aisément on peut rédiger ses notes, et donc
multiplier les occasions d’apprendre. Il en va de même pour l’aptitude
cruciale à distinguer, dans un texte, l’important et l’accessoire : mieux
on y parvient, plus on lit efficacement, et plus on peut lire, plus on
apprend. On s’engage dans un magnifique cercle vertueux de compé-
tence. Il est impossible de ne pas s’en sentir motivé.

Cela vaut aussi pour la rédaction des notes permanentes, qui incluent
par nature un autre retour d’information : exprimer par écrit ses
propres pensées permet de se rendre compte si l’on y a vraiment
réfléchi ou pas. Dès qu’on essaie de les associer à des notes précé-
dentes, le système révèle sans ambiguïté les contradictions, les incohé-
rences et les répétitions. Sans rendre inutiles les avis des pairs ou des
superviseurs, ces retours d’information sont les seuls à être toujours
disponibles et peuvent aider à s’améliorer un peu de nombreuses fois
par jour. Encore mieux, pendant qu’on apprend et qu’on devient

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Laissez-vous propulser par le travail

meilleur, on enrichit les connaissances de sa boîte à fiches. Elle pro-


gresse et s’améliore. Et plus elle grandit, plus elle devient utile et per-
met d’établir plus facilement de nouvelles connexions.

La boîte à fiches n’est pas un tas de notes. Travailler avec elle ne


consiste pas tant à en extraire des fiches spécifiques qu’à être dirigé
vers des faits pertinents et à trouver des éclairages par le frottement
des idées. Ses possibilités augmentent avec sa taille, pas seulement de
façon linéaire mais exponentiellement. Quand on l’interroge, ses liens
internes ne fournissent pas seulement des faits isolés mais des pistes
de réflexion développées. De plus, du fait de sa complexité interne, les
recherches mettent en évidence des notes apparentées qu’on n’avait
pas recherchées. Cette différence, très significative, devient de plus en
plus pertinente avec le temps. Plus la boîte à fiches est garnie, plus elle
peut fournir de connexions et plus il devient facile d’ajouter intelli-
gemment de nouvelles entrées et de bénéficier de suggestions utiles.

Notre cerveau ne fonctionne pas très différemment quant à ses inter-


connexions. Naguère, les psychologues voyaient en lui un espace de
stockage limité qui se remplissait peu à peu, de sorte qu’il devenait
plus difficile d’apprendre avec l’âge. Mais on sait aujourd’hui que plus
on possède d’informations connectées, plus il est facile d’apprendre,
parce que de nouvelles informations peuvent se brancher dessus.
Certes, notre capacité à apprendre des faits isolés est bel et bien limitée
et décroît probablement avec l’âge. Mais si les faits, au lieu de rester
isolés ou d’être appris isolément, se trouvent ensemble dans un réseau
d’idées, ou un « treillage de modèles mentaux » (Munger, 1994), on
peut plus facilement donner un sens aux nouvelles informations.
Cela facilite non seulement l’apprentissage et la mémorisation, mais
aussi la récupération ultérieure d’informations, au moment et dans le
contexte où on en a besoin.

En tant qu’auteur de toutes les notes, on apprend au même rythme


que la boîte à fiches. C’est une autre grande différence avec l’utilisa-
tion d’une encyclopédie telle que Wikipédia. On organise ses pensées
dans son cerveau selon les mêmes modèles, les mêmes théories et les

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Les quatre principes de base

mêmes conditions que dans la boîte à fiches. L’abondance des possi-


bilités qu’elle ouvre surprend et incite à dégager de nouvelles idées et
à développer davantage ses théories. Ce qui rend le travail si productif
ne tient ni à la seule boîte à fiches ni au seul cerveau, mais à leur
dynamique réciproque.

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Partie 2

LES SIX ÉTAPES


D’UNE RÉDACTION
RÉUSSIE

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Chapitre 9

DISTINGUER ET ENTRELACER
LES TÂCHES

ACCORDER À CHAQUE TÂCHE


UNE ATTENTION EXCLUSIVE

Selon une étude souvent citée, les interruptions incessantes dues aux
courriers électroniques et aux messages textuels réduisent notre pro-
ductivité d’environ 40 % et nous font perdre au moins 10 points de
QI. Cette étude, jamais publiée, ne parle pas d’intelligence et est sta-
tistiquement bancale, mais elle semble confirmer ce que la plupart
d’entre nous croient en tout état de cause, d’où peut-être un défi-
cit d’attention. Même si son contenu n’en montre rien, le simple
fait qu’un malentendu puisse se répandre si rapidement, à travers des
titres du genre « Les courriers électroniques nuisent au QI plus que la
marijuana » (CNN), est révélateur. Il existe aussi des études sérieuses
sur le sujet. On sait par exemple que regarder la télévision réduit la
capacité d’attention des enfants (Swing et al., 2010), et que la durée
moyenne des extraits télévisés raccourcit constamment depuis plu-
sieurs décennies (Fehrman, 2011). Lors de l’élection présidentielle
américaines de 1968, la durée moyenne des soundbites – c’est-à-dire

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Les six étapes d’une rédaction réussie

des vidéos montrant des candidats s’exprimer sans interruption – était


un peu supérieure à 40 secondes, mais elle est tombée à moins de
10 secondes à la fin des années 1980 (Hallin, 1994) et à 7,8 secondes
en 2000 (Lichter, 2001). Les dernières élections n’ont sûrement pas
inversé la tendance. Reste à savoir si les médias s’adaptent ainsi à la
baisse de notre attention ou s’ils la provoquent1. Quoi qu’il en soit,
il est évident que les sources de dissipation se multiplient autour de
nous, tandis que les occasions d’exercer notre capacité d’attention se
réduisent.

LE MULTITÂCHE N’EST PAS UNE BONNE IDÉE


Si plus d’une chose sollicite votre attention, la tentation est grande d’en
considérer plus d’une à la fois – de pratiquer le multitâche. Beaucoup
de gens affirment y parvenir très bien. Certains y voient l’une des
qualités les plus importantes pour faire face à la surcharge d’informa-
tion contemporaine. On croit couramment que les jeunes générations
y parviennent mieux, que cela leur vient même naturellement car ils
ont grandi parmi les distractions toujours plus nombreuses d’Internet.
Des études montrent que ceux qui pratiquent beaucoup le multi-
tâche disent aussi le maîtriser très bien. Les personnes interrogées ne
considèrent pas que leur productivité en est altérée. Au contraire, elles
pensent qu’elle est améliorée. Mais d’ordinaire, elles ne se testent pas
par rapport à un groupe de contrôle.

1. Ryfe et Kemmelmeier montrent non seulement que cette évolution remonte


bien plus loin dans le passé et est apparue d’abord dans la presse écrite (les cita-
tions de personnages politiques ont été presque divisées par deux entre 1892
et 1968) mais se demandent si cela pourrait aussi dénoter un professionnalisme
accru des médias, qui ne laissent plus les politiques s’exprimer comme ils le
veulent (Ryfe et Kemmelmeier, 2011). Craig Fehrman a aussi souligné le para-
doxe de l’accueil fait à cette étude nuancée, elle-même réduite à un soundbite
dans les médias (Fehrman, 2011).

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Distinguer et entrelacer les tâches

Les psychologues qui ont interviewé les adeptes du multitâche ne


se sont pas contentés de les interroger, ils les ont testés. Ils leur ont
demandé d’accomplir différentes tâches et ont comparé leurs résultats
avec ceux d’un autre groupe chargé de faire une seule chose à la fois.
Le résultat est sans ambiguïté : alors que les adeptes du multitâche se
sentaient plus productifs, leur productivité, en réalité, baissait – beau-
coup (Wang et Tchernev, 2012 ; Rosen, 2008 ; Ophir, Nass et Wagner,
2009). Et pas seulement en quantité : leurs réalisations laissaient bien
plus à désirer que celles du groupe de contrôle.
Dans certains cas – par exemple envoyer des textos tout en condui-
sant –, les inconvénients du multitâche sont redoutablement évidents.
Mais le plus intéressant dans ces études n’est pas que la productivité et
la qualité du travail baissent avec le multitâche, c’est que celui-ci nuit
aussi à l’aptitude à s’occuper de plus d’une chose à la fois !
Il y a de quoi être surpris puisqu’on s’attend d’ordinaire à s’améliorer
dans ce qu’on pratique souvent. Mais à y regarder de plus près, c’est
normal. Le multitâche n’est pas ce qu’on croit. Il ne consiste pas à
concentrer son attention sur plus d’une chose à la fois. Personne ne
le peut. Quand on croit pratiquer le multitâche, en réalité, on déplace
son attention rapidement entre deux choses ou davantage. Or, chaque
déplacement réduit son aptitude à alterner et retarde le moment où
l’on retrouve sa concentration. La tentative de multitâche fatigue et
rend moins capable de traiter plus d’une tâche.
Pourquoi certains croient-ils néanmoins pouvoir mieux gérer le
multitâche et accroître leur productivité ? Deux facteurs l’expliquent
aisément. Le premier est l’absence d’un groupe de contrôle ou d’une
mesure externe objective qui fournirait le retour d’information
nécessaire pour apprendre. Le second est ce que les psychologues
appellent l’effet de simple exposition : accomplir une chose de nom-
breuses fois fait croire qu’on s’y prend bien – quel que soit le résultat
réel (Bornstein, 1989). On tend malheureusement à confondre fami-
liarité et compétence.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Ce rappel serait fort banal s’il visait seulement à vous conseiller de ne


pas rédiger thèses ou livres tout en conduisant (ce qui reste un bon
conseil). Mais il a des conséquences pratiques sur la manière de tra-
vailler si l’on réfléchit à ce que signifie vraiment « écrire » : de nom-
breuses tâches différentes qu’on risquerait d’essayer d’accomplir en
même temps si on ne les séparait pas consciemment et pratiquement.
Rédiger un article réclame bien plus que de le dactylographier sur un
clavier. Cela signifie aussi lire, comprendre, réfléchir, trouver des idées,
établir des rapprochements, distinguer des conditions, trouver les bons
mots, structurer, organiser, modifier, corriger et réécrire. Ce ne sont
pas seulement des tâches différentes, mais des tâches qui requièrent
un type d’attention différent. Il est impossible non seulement de se
concentrer sur plus d’une chose à la fois, mais aussi d’exercer un type
d’attention différent sur plus d’une chose à la fois.
D’ordinaire, si l’on réfléchit à l’attention, on ne pense qu’à l’atten-
tion focalisée – dont le maintien réclame de la volonté. Ce n’est pas
très étonnant puisque c’est elle que la plupart des psychologues, phi-
losophes et chercheurs en neurosciences avaient naguère à l’esprit
quand ils parlaient d’attention (Bruya, 2010, p. 5). Aujourd’hui, les
chercheurs distinguent de multiples formes d’attention. Depuis que,
dans les années 1970, Mihaly Csikszentmihalyi a décrit le « flux »,
l’état dans lequel on parvient sans effort à une grande concentra-
tion (Csikszentmihalyi, 1975)1, d’autres formes d’attention, beaucoup
moins dépendantes de la volonté et de l’effort, ont retenu l’intérêt des
chercheurs.

1. Bien que le concept de flux selon Csikszentmihalyi soit entré dans le lan-
gage de tous les jours, il n’a jamais été examiné en détail. Dans les années 1960,
quelques études réalisées en Union soviétique se sont intéressées à une « atten-
tion postvolontaire », qui signifie au fond la même chose – une attention sans
effort qui n’est ni involontaire ni volontaire. Mais les résultats de ces études,
presque tous disponibles uniquement en russe, ne sont jamais entrés dans le
discours psychologique international (Bruya, 2010, p. 4, avec renvoi à Dobrynin,
1966).

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Distinguer et entrelacer les tâches

L’attention focalisée consiste à se concentrer uniquement sur une


chose et ne peut être soutenue que pendant quelques secondes. Sa
durée maximale ne semble pas avoir évolué dans le temps (Doyle
et Zakrajsek, 2013, p. 91). Elle ne se confond pas avec l’attention
soutenue nécessaire pour rester concentré sur une tâche pendant une
plus longue période et pour apprendre, comprendre ou faire quelque
chose. C’est très certainement ce type d’attention qui est menacé
par l’augmentation des distractions. Sa durée moyenne semble avoir
considérablement rétréci dans le temps – nous pratiquons l’attention
focalisée bien moins qu’autrefois (ibid.).
Rien n’est perdu : on peut s’exercer à rester focalisé plus longtemps
sur une tâche à condition d’éviter le multitâche, d’éliminer les dis-
tractions éventuelles et de séparer autant que possible les différents
types de tâches afin qu’elles n’interfèrent pas. Là encore, il ne suffit
pas d’une bonne mentalité : la manière d’organiser son flux de tâches
est tout aussi importante. En l’absence d’une structure, il est bien plus
difficile de rester focalisé pendant longtemps. La boîte à fiches apporte
non seulement une structure claire au sein de laquelle travailler, mais
oblige en outre à orienter consciemment son attention pour achever
une tâche dans un délai raisonnable avant de passer à la suivante. Si
l’on ajoute que chaque tâche est accompagnée d’une écriture, qui en
soi requiert une attention sans distraction, la boîte à fiches peut deve-
nir un refuge pour des esprits sans repos.

CONSACRER À CHAQUE TÂCHE


LE BON TYPE D’ATTENTION

À y regarder de plus près, il est évident que les tâches rangées d’ordi-
naire sous l’appellation « écriture » sont très différentes, tout comme
l’attention qu’elles réclament.
La relecture, par exemple, en fait bien sûr partie mais n’appelle pas
du tout le même état d’esprit que le travail sur le vocabulaire. Pour
lire le dernier état d’un manuscrit, on se met à la place d’un critique

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Les six étapes d’une rédaction réussie

qui prend du recul afin de voir le texte avec les yeux d’un lecteur
dépassionné. On pourchasse les fautes de frappe, on tente d’optimiser
les corrections, on vérifie la construction. On s’astreint à prendre ses
distances avec le texte pour voir ce qu’il y a vraiment sur le papier et
non dans sa tête. On essaie d’oublier ce qu’on voulait dire pour être
capable de voir ce qu’on a écrit.
Il ne faut pas confondre jouer le rôle d’un critique et être un lecteur
impartial. Il suffit de repérer l’essentiel de ce qu’on a laissé passer pré-
cédemment : les lacunes de l’argumentation, les passages non expli-
qués parce qu’on n’avait pas besoin de se les expliquer à soi-même.
Alterner entre le rôle du critique et celui de l’auteur exige une sépa-
ration claire entre les deux tâches, séparation qui devient plus facile
avec l’expérience. Si on lit le texte final sans parvenir à se distancier
suffisamment de son rôle d’auteur, on ne voit que ses pensées et non
ce qui est vraiment écrit. C’est un classique des discussions avec les
étudiants : si je leur signale une argumentation imparfaite, un terme
mal défini ou un passage ambigu, ils commencent d’ordinaire par
invoquer ce qu’ils veulent dire. Ils ne font attention à ce qu’ils ont
écrit que lorsqu’ils comprennent pleinement que leur intention n’a
aucune importance pour la communauté scientifique.
Le critique intérieur ne doit pas non plus marcher sur les plates-
bandes de l’auteur. Il doit focaliser son attention sur ses pensées. S’il
intervient constamment et prématurément chaque fois qu’une phrase
n’est pas encore parfaite, on n’arrivera jamais à rien écrire. Il faut
commencer par mettre ses pensées sur le papier avant de les améliorer
sur place, là où l’on peut les regarder. Il est difficile de transformer des
idées complexes en un texte linéaire uniquement dans sa tête. Si l’on
tente de satisfaire tout de suite le lecteur critique, le flux de tâches
s’interrompt. On a tendance à traiter de perfectionnistes les scripteurs
très lents, ceux qui essaient toujours de rédiger une version prête pour
l’impression. On pourrait y voir un professionnalisme extrême, mais il
n’en est rien. Un vrai professionnel attendra le moment de la dernière
lecture, de manière à se concentrer sur une seule chose à la fois. Alors

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Distinguer et entrelacer les tâches

que cette mise au net requiert une attention plus focalisée, trouver les
bons mots lors de l’écriture suppose une attention bien plus flottante.
En outre, il est plus facile de se concentrer sur la recherche du mot
exact si l’on ne doit pas réfléchir en même temps à la structure du
texte. C’est pourquoi on devrait toujours avoir devant soi un canevas
du manuscrit. On doit savoir ce sur quoi on n’a pas besoin d’écrire à
ce moment, car on sait qu’on s’en occupera dans une autre partie du
texte.
Établir ou modifier le canevas est aussi une tâche très différente, qui
requiert une concentration très différente : non pas sur une seule
pensée mais sur l’argumentation entière. Cependant, il est important
d’y voir non pas un préparatif de l’écriture, voire une planification,
mais une tâche distincte à laquelle on doit revenir régulièrement tout
au long du processus rédactionnel. On doit avoir une structure en
permanence mais, au cours du travail mené sur un mode ascendant,
inévitablement, elle évoluera souvent. Et chaque fois qu’elle doit être
actualisée, il faut prendre un peu de recul, considérer le tableau d’en-
semble et le modifier en conséquence.
La relecture, la formulation et le canevas diffèrent aussi de la tâche
d’association et de développement des pensées.Travailler avec la boîte
à fiches signifie jouer avec les idées et rechercher des rapprochements
et des comparaisons intéressants. Cela signifie constituer des grappes,
les réunir à d’autres et préparer l’ordre des notes destinées à un projet.
Ici, il faut s’interroger sur les notes et trouver le meilleur enchaîne-
ment. Bien plus associative, ludique et créative que les autres, cette
tâche réclame aussi un genre d’attention très différent.
La lecture aussi est différente, bien entendu. Lire, en soi, requiert des
genres d’attention fort différents selon les textes. Certains doivent être
lus lentement et précautionneusement, d’autres n’appellent qu’un
survol rapide. Il serait ridicule de s’imposer une formule générale
et de les lire tous de la même manière, même si beaucoup de guides
d’étude ou de cours de lecture rapide tentent de nous en convaincre.
Maîtriser une seule technique et s’y tenir inconditionnellement n’est

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Les six étapes d’une rédaction réussie

pas un signe de professionnalisme. Il faut au contraire être souple et


adapter sa lecture à la vitesse ou à la méthode exigée par le texte.
En bref, l’écriture académique fait appel à tout le spectre de l’atten-
tion. Pour maîtriser l’art de l’écriture, il faut être capable de recourir
au genre d’attention et de concentration nécessaire, quel qu’il soit.
Naguère, les psychologues associaient le travail scientifique à l’at-
tention focalisée et le travail créatif, l’art par exemple, à des types
d’attention plus flottants. On sait aujourd’hui que ces deux genres
d’attention sont nécessaires, pour l’art comme pour la science. Il n’est
donc pas surprenant de rencontrer cette flexibilité chez la plupart des
savants exceptionnels, si ce n’est chez tous. Oshin Vartanian a comparé
et analysé le flux de tâches quotidien de lauréats du prix Nobel et
d’autres savants éminents et a conclu qu’ils se distinguaient non par
une focalisation constante, mais par une attention souple. « Plus pré-
cisément le comportement des savants éminents en train de résoudre
des problèmes peut alterner des niveaux extraordinaires de concen-
tration sur des concepts spécifiques et de la fantaisie dans l’explora-
tion des idées. Ce qui laisse penser que la réussite dans la résolution de
problèmes pourrait découler de l’application d’une stratégie souple
en relation avec les exigences des tâches » (Vartanian, 2009, p. 57).
Ces études aident aussi à résoudre une énigme qui taraudait les psycho-
logues observant les personnes créatives. « D’un côté, les personnes les
plus créatives paraissent être celles qui ont l’esprit vagabond, dispersé,
enfantin, de l’autre on dirait que l’important réside dans l’analyse et
l’application. La réponse à ce paradoxe est que les créatifs ont besoin
des deux… La clé de la créativité est dans la capacité à alterner entre
un esprit joueur largement ouvert et un schéma analytique strict »
(Dean, 2013, p. 152).
Ce que les psychologues n’étudient pas, cependant, ce sont les condi-
tions externes qui autorisent à se montrer souple. La souplesse men-
tale qui permet d’être extrêmement focalisé à un moment puis de
jouer avec les idées l’instant d’après n’est qu’un côté de l’équation.
Elle réclame une structure de travail souple elle aussi, qui ne rompt

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Distinguer et entrelacer les tâches

pas chaque fois qu’on s’écarte d’un plan préconçu. On a beau être
le meilleur conducteur, celui qui réagit le plus vite, qui est capable
de s’adapter en souplesse aux différents états de la chaussée et de la
météo, cela ne servira à rien si l’on est bloqué sur des rails. Et il ne sert
à rien d’avoir d’excellentes idées sur l’impératif de souplesse au travail
si l’on est coincé dans une organisation rigide.
Hélas, le moyen le plus couramment utilisé pour s’organiser afin
d’écrire est de faire des plans. La planification a beau être presque
universellement conseillée par les guides d’étude, elle revient à se pla-
cer sur des rails.
Ne faites pas de plans. Devenez expert.

DEVENIR EXPERT PLUTÔT QUE PLANIFICATEUR


« Un usage exclusif de la rationalité académique tend à
faire obstacle à l’amélioration des performances humaines
parce qu’elle ralentit le raisonnement et privilégie les
règles, les principes et les solutions universelles.
Deuxièmement, l’implication physique, la rapidité et une
connaissance intime de cas concrets sous forme de bons
exemples est un préalable à une vraie compétence. »

Flyvbjerg, 2001, p. 15

On commence à apprendre à partir du moment où l’on cesse de faire


des plans. Il faut de la pratique pour devenir bon dans la création
d’idées et écrire des textes efficaces en choisissant et en alternant en
souplesse les tâches les plus importantes et les plus prometteuses, sans
juger autrement que d’après les circonstances d’une situation donnée.
Cela rappelle le moment où l’on nous a enlevé les petites roues et où
nous avons commencé à apprendre à faire du vélo tout seul. Nous
avons sans doute été un peu décontenancés au début, mais il a vite été
évident que nous n’aurions jamais appris à pratiquer la bicyclette si
nous avions gardé les roulettes d’entraînement. Nous n’aurions appris
qu’une chose : pédaler avec des roulettes.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

De même, personne n’apprendrait jamais l’art de la rédaction acadé-


mique productive en se contentant de suivre des plans ou prescrip-
tions linéaires à plusieurs étapes – ce qui n’enseigne qu’à suivre des
plans ou prescriptions. L’engouement général en faveur de la planifi-
cation repose sur l’idée fausse qu’un processus tel que l’écriture d’un
texte académique, très dépendant de la cognition et de la réflexion,
peut ne reposer que sur une décision consciente. Mais l’écriture aca-
démique est aussi un art, ce qui signifie qu’on peut s’améliorer par
l’expérience et la pratique délibérée.
Les experts s’appuient sur une expérience incarnée, qui leur permet
d’accéder à la virtuosité. Un expert en rédaction académique est
empreint d’un sentiment du processus, il sait intuitivement quelles
tâches le rapprochent du manuscrit fini et lesquelles ne sont que
diversion. Aucune règle universellement valable ne peut dire quelle
étape doit être accomplie à quel moment. Chaque nouveau projet
est différent et, à chaque phase du projet, la priorité peut être de lire
un texte, de revoir un passage, de discuter une idée ou de modifier le
découpage du manuscrit. Nulle règle universelle ne permet de dire
d’emblée à quel stade il serait absurde de s’emparer d’une idée, d’une
contradiction possible ou d’une note de bas de page.
Pour devenir expert, il faut être libre de prendre ses propres décisions et
de commettre toutes les erreurs qui aident à apprendre. Comme la bicy-
clette, cela ne s’apprend qu’en pratiquant. La plupart des guides d’étude
et des professeurs de rédaction académique font de leur mieux pour
vous épargner ces expériences en vous disant quoi, quand et comment
écrire. Mais ils vous empêchent d’apprendre ce qui est essentiel dans la
rédaction à l’université : trouver des idées et les rendre publiques.
C’est pour cela qu’on ne doit jamais appeler à l’aide les professeurs de
premiers secours si l’on a besoin d’une réanimation cardiopulmonaire
et qu’on peut choisir – hypothèse improbable, certes – la personne
qui la pratiquera.
Lors d’une expérience, on a montré à des ambulanciers débutants
et experts ainsi qu’à leurs professeurs des vidéos de réanimations

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Distinguer et entrelacer les tâches

pratiquées soit par des ambulanciers expérimentés, soit par des per-
sonnels en fin de formation (Flyvbjerg, 20011). Comme vous vous
y attendez, les ambulanciers expérimentés ont repéré correctement
leurs pairs dans presque tous les cas (environ 90 %) alors que les débu-
tants cherchaient plus ou moins à deviner (environ 50 %). Mais quand
les professeurs ont regardé les vidéos, ils ont systématiquement pris
les débutants pour des experts, et vice versa. Ils se trompaient dans la
plupart des cas (ils ne voyaient juste que dans environ un tiers des cas).
Hubert et Stuart Dreyfus, chercheurs en expertise, proposent une expli-
cation simple : les enseignants ont tendance à confondre la capacité à
suivre le(ur)s règles avec la capacité à faire les bons choix en situation
réelle. À la différence des ambulanciers experts, ils ne s’interrogeaient
pas sur les circonstances particulières en se demandant si les ambulan-
ciers des vidéos agissaient au mieux au cas par cas. Ils se demandaient
plutôt si les ambulanciers agissaient selon les règles qu’ils enseignaient.
Faute d’une expérience suffisante pour juger les situations correcte-
ment et en confiance, les personnes en formation s’en tiennent aux
règles qu’on leur a enseignées, ce qui réjouit leurs professeurs. Selon
Hubert et Stuart Dreyfus, bien appliquer les règles transmissibles
permet de devenir un praticien compétent (noté 3 sur leur échelle
de l’expertise à cinq niveaux) mais ne fait pas de vous un maître
(niveau 4) et assurément pas un expert (niveau 5).
Les experts, en revanche, ont intériorisé les connaissances nécessaires,
de sorte qu’ils n’ont pas à retenir les règles activement ni à réfléchir
consciemment à leurs choix. Ils ont acquis assez d’expérience dans
des situations variées pour compter que leur intuition sait quoi faire
dans telle ou telle situation. En situation complexe, explicitement,
ils prennent leurs décisions d’instinct plutôt qu’au terme de longues
considérations analytico-rationnelles (Gigerenzer, 2009).

1. Flyvbjerg décrit cette expérience et cet exemple non seulement par référence
au livre d’Hubert et Stuart Dreyfus, mais aussi à la suite de longues conversations
avec eux. Je m’en tiens donc à la description figurant dans Flyvbjerg, 2001.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Ici, l’instinct n’est pas une force mystérieuse mais un historique d’ex-
périences intégrées. C’est la sédimentation de pratiques apprises en
profondeur via de nombreux retours d’information sur des succès
ou des échecs1. Même l’entreprise rationnelle et analytique qu’est la
science ne fonctionne pas sans autorité, intuition et expérience – ce
qui est l’un des résultats les plus intéressants des recherches empi-
riques sur les spécialistes des sciences naturelles dans leurs laboratoires
(Rheinberger, 1997).
Les joueurs d’échecs, par exemple, réfléchissent apparemment moins
que les débutants. En fait, ils voient des configurations et se laissent
guider par leur expérience au lieu de tenter de calculer des coups
lointains. À l’instar des joueurs d’échecs professionnels, universitaires
et essayistes professionnels ne peuvent acquérir leur intuition qu’en
s’exposant systématiquement à l’expérience et aux retours d’informa-
tion. Dans la rédaction académique, la réussite dépend dans une large
mesure de l’organisation des aspects pratiques.
Le flux de tâches autour de la boîte à fiches n’est pas une prescription
qui vous dit quoi faire à tel ou tel stade de l’écriture. Au contraire :
il vous donne une structure de tâches clairement dissociables, pou-
vant être achevées dans un délai raisonnable, et vous assure un retour
d’information instantané grâce à des tâches d’écriture interconnec-
tées. Il vous permet de vous améliorer en vous donnant l’occasion
d’une pratique délibérée. Plus vous acquerrez d’expérience, plus vous
serez capable de compter sur votre intuition pour vous dire que faire
ensuite.
Au lieu de vous conduire « de l’intuition aux stratégies d’écriture
professionnelle », comme le promet un guide d’étude typique, il s’agit
de devenir professionnel en acquérant assez de compétences et d’ex-
périence pour juger les situations correctement et intuitivement, et
pouvoir vous débarrasser pour de bon des guides qui vous égarent.

1. Cela est vrai même pour des chirurgiens hautement spécialisés (Gawande,
2002).

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Distinguer et entrelacer les tâches

Les vrais experts, écrit Flyvbjerg sans ambiguïté, ne font pas de plans
(Flyvbjerg, 2001, 19).

TOURNER LA PAGE

L’attention n’est pas notre seule ressource limitée. Notre mémoire à


court terme l’est aussi. Nous avons besoin de stratégies pour ne pas
la gaspiller avec des pensées que nous ferions mieux de déléguer à un
système externe.

Sa capacité fait l’objet d’estimations très diverses et spéculatives. Les


psychologues s’accordaient autrefois sur un nombre très précis : nous
pourrions garder en tête au maximum sept choses à la fois, plus ou
moins deux (Miller, 1956).

On ne sauvegarde pas des informations dans sa mémoire à court terme


comme dans une clé USB. En quelque sorte, elles flottent dans notre
tête, sollicitant notre attention et occupant de précieuses ressources
mentales jusqu’à ce qu’elles soient oubliées, remplacées par quelque
chose de plus important (de l’avis de notre cerveau) ou transférées
dans la mémoire à long terme. Quand nous essayons de nous souve-
nir d’une chose, par exemple de notre liste de courses, nous nous la
répétons mentalement au lieu de la stocker temporairement dans un
coin de notre cerveau où nous pourrons la récupérer plus tard et de
réfléchir à des sujets plus intéressants dans l’intervalle.

Mais que dire des champions de la mémoire ? Il semble que des tech-
niques de mémorisation permettent d’augmenter sensiblement le
nombre de choses dont nous parvenons à nous souvenir. Mais elles
consistent en fait à composer des paquets d’objets significatifs et à
nous en souvenir – dans la limite de sept environ (Levin et Levin,
1990). Et, à en croire les études récentes et si les participants aux tests
antérieurs composaient déjà des paquets d’objets, la capacité maxi-
male de notre mémoire de travail n’est pas de sept plus ou moins
deux, mais plutôt de quatre tout au plus (Cowan, 2001).

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Regardez, une fois seulement, la séquence de nombres suivante et


essayez de la retenir immédiatement : 11 95 82 19 62 31 96 64 19 70
51 97 4.
C’est difficile car elle comporte manifestement plus de sept nombres.
Mais c’est très facile quand vous avez compris qu’il s’agit de cinq
années de la Coupe du monde numérotées consécutivement. Le
nombre d’objets à retenir est donc bien inférieur à sept. Il vous suffit
d’en retenir deux – la règle et l’année de départ1.
C’est pourquoi ce que nous comprenons est bien plus facile à retenir
que ce que nous ne comprenons pas. Ce n’est pas que nous ayons le
choix de nous concentrer soit sur l’apprentissage, soit sur la compré-
hension. La compréhension prime toujours – ne serait-ce que pour
apprendre. Les choses que nous comprenons sont connectées, par des
règles, des théories, des narrations, la pure logique, des modèles men-
taux ou des explications. Le but même de la boîte à fiches est de
construire ce genre de connexions significatives.
Chaque étape s’accompagne de questions telles que : Comment
ce fait s’accorde-t-il avec mon idée de… ? Comment ma théorie
explique-t-elle ce phénomène ? Ces deux idées sont-elles contradic-
toires ou se complètent-elles mutuellement ? Cet argument n’est-il
pas similaire à cet autre ? N’ai-je pas déjà entendu cela ? Et par-dessus
tout : Que signifie x pour y ? Non seulement ces questions amé-
liorent la compréhension, mais elles facilitent l’apprentissage. Une fois
une connexion significative établie avec un fait ou une idée, il est
difficile de ne pas s’en souvenir quand on pense à ce à quoi ils sont
connectés.
Tout en désirant se souvenir de certaines choses le plus longtemps
possible, on ne veut pas encombrer son cerveau d’informations sté-
riles. Et sa manière d’organiser les informations de tous les jours fait

1. Ici, 11 95 82 19 62 31 96 64 19 70 51 97 4 devient 1. 1958 ; 2. 1962 ; 3. 1966 ;


4. 1970 ; 5. 1974.

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Distinguer et entrelacer les tâches

une grande différence non seulement pour les souvenirs à long terme,
mais aussi pour ceux à court terme.

Ici, il faut rendre hommage à la psychologue soviétique Bluma


Zeigarnik pour sa perspicacité et ses talents d’observation. Un jour
où elle déjeunait avec ses collègues, dit-on, elle fut frappée par la
capacité du serveur à retenir exactement les commandes de chacun
sans rien noter. Elle dut retourner au restaurant pour récupérer une
veste oubliée. À sa grande surprise, le serveur dont elle avait admiré la
mémoire quelques minutes plus tôt ne la reconnut pas. Elle l’inter-
rogea sur cette contradiction apparente. Il expliqua que se souvenir
des commandes et les associer aux convives d’une table n’était pas un
problème pour les serveurs. Mais, à la seconde même où les clients
quittaient le restaurant, ils les oubliaient et se concentraient sur le
groupe suivant.

La psychologue reproduisit avec succès ce qu’on appelle aujourd’hui


l’effet Zeigarnik : les tâches ouvertes tendent à occuper notre
mémoire à court terme – jusqu’à leur achèvement. C’est pourquoi
nous sommes si aisément distraits par des pensées relatives à des
tâches inachevées, quelle que soit leur importance. Mais grâce aux
recherches complémentaires de Bluma Zeigarnik, nous savons qu’il
n’est pas nécessaire d’achever les tâches pour convaincre notre cer-
veau de ne plus y penser. Il nous suffit de les décrire par écrit de
manière à nous convaincre qu’elles seront assurées.

En effet, le cerveau ne distingue pas la tâche réellement achevée de


celle qui est remise à plus tard en prenant une note. Rédiger celle-ci
nous sort littéralement le travail de la tête. C’est pourquoi le système
Getting Things Done d’Allen fonctionne : pour avoir l’esprit « calme
comme l’eau d’un lac », le secret est de sortir tous les petits détails de
notre mémoire à court terme. Et comme nous ne pouvons pas tout
traiter tout de suite, le seul moyen est d’avoir un système externe dans
lequel conserver toutes nos pensées lancinantes sur les nombreuses
choses à faire et d’avoir confiance dans le fait qu’elles seront prises
en charge.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Il en va de même du travail avec la boîte à fiches. Pour pouvoir nous


concentrer sur la tâche en cours, nous devons faire en sorte que les
autres tâches, inachevées, ne s’agitent pas dans notre tête en nous fai-
sant perdre de précieuses ressources mentales.
La première étape consiste à morceler la tâche informe qu’est écrire
en tâches différentes et plus petites pouvant être achevées en une seule
fois. La deuxième étape est de toujours mettre par écrit le produit
de nos réflexions, y compris leurs connexions possibles avec des
recherches futures. Une fois le résultat de chaque tâche couché par
écrit et les connexions éventuelles rendues visibles, il est facile de
récupérer le travail à tout moment là où nous l’avions laissé, sans
devoir le garder à l’esprit tout le temps1. Viennent ensuite, éventuel-
lement, les questions ouvertes ou les connexions à d’autres notes, que
nous pouvons ou non détailler davantage. Elles se présentent aussi
comme des rappels explicites du style « relire ce chapitre et veiller
aux redites », qui vont dans le dossier du projet. Reste une troisième
option : le simple suspens laissé dans la corbeille de courrier arrivé
en attendant de faire une note permanente – une note rapide et pas
encore rayée dans notre calepin, ou bien des fiches de lecture pas
encore archivées dans notre système de référence.
Tout cela permet de reprendre une tâche plus tard exactement là où
nous l’avions laissée sans devoir « garder à l’esprit » qu’il reste quelque
chose à faire. C’est l’un des principaux avantages de la réflexion par
écrit : tout est extériorisé d’une manière ou d’une autre.

1. On ne saurait trop souligner combien il est important de veiller à ces petites


choses. Non seulement nous sommes aisément distraits par des pensées terre à
terre mais, faute de les extérioriser, nous oublions classiquement de petites choses
importantes. C’est pourquoi les listes de contrôle (checklists) sont si importantes
chaque fois que l’enjeu est sérieux (Gawande, 2010).

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Distinguer et entrelacer les tâches

Inversement, nous pouvons utiliser l’effet Zeigarnik à notre avantage


en gardant délibérément à l’esprit les questions non résolues. Nous
pouvons alors les ruminer, même quand ce que nous faisons n’a rien
à voir avec elles et, dans l’idéal, ne requiert pas notre pleine attention.

Laisser des pensées en suspens sans se concentrer sur elles donne au


cerveau la possibilité d’aborder les problèmes d’une manière diffé-
rente, souvent étonnamment productive. Pendant qu’on se promène,
qu’on prend sa douche ou qu’on fait le ménage, le cerveau ne peut
s’empêcher de jouer avec le dernier problème non résolu qu’il a ren-
contré. C’est pourquoi les réponses viennent si souvent dans des situa-
tions tout à fait fortuites.

En tenant compte de ces brefs éclairages sur la manière de fonctionner


du cerveau, nous pouvons faire en sorte de ne pas être distraits, pen-
dant que nous sommes assis à notre bureau, par ce que nous devons
acheter au supermarché. En revanche, il est possible de résoudre un
problème crucial tout en faisant ses courses.

RÉDUIRE LE NOMBRE DE DÉCISIONS

Après l’attention, qui ne peut être consacrée qu’à un sujet à la fois, et


la mémoire à court terme, qui ne peut contenir que sept choses à la
fois, la troisième ressource limitée est la motivation ou la volonté. Une
fois de plus, tout dépend de ce qui entoure notre flux de tâches. Cela
ne devrait étonner personne : une coopération étroite avec la boîte à
fiches s’avère très préférable à n’importe quelle planification élaborée.

Pendant longtemps, on a considéré la volonté comme un trait de


caractère plus que comme une ressource. Plus maintenant. À présent,
on la compare aux muscles : une ressource limitée qui s’épuise vite
et réclame un temps de récupération. Une certaine amélioration par
l’entraînement est possible mais réclame du temps et des efforts. Le
phénomène est présenté d’ordinaire sous le terme « épuisement du
moi » (ego depletion). « L’expression épuisement du moi désigne une

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Les six étapes d’une rédaction réussie

réduction temporaire de la capacité du moi ou de la volonté d’en-


treprendre un acte de volition (maîtriser son environnement, se maî-
triser soi-même, exercer un choix et engager une action) provoquée
par un effort de volonté antérieur » (Baumeister et al., 1998, p. 1253).
L’une des découvertes les plus intéressantes sur l’épuisement du moi
est la grande diversité de ses causes possibles.

« D’après nos résultats, les actions qui exploitent cette


même ressource sont très diverses. Les actes de maîtrise
de soi, de prise de décision responsable et de choix actif
semblent avoir un effet sur les autres actes du même type
qui les suivent à bref délai. C’est-à-dire que ces actes de
volonté épuisent une certaine ressource vitale du moi. Bien
entendu, on suppose que cette ressource est couramment
reconstituée, quoique les facteurs susceptibles d’accélérer
ou de retarder cette reconstitution demeurent inconnus,
ainsi que la nature précise de la ressource. »
Baumeister et al., 1998, p. 1263 et s.

Même un fait apparemment sans rapport, comme être victime de


préjugés, peut avoir un effet significatif (Inzlicht, McKay et Aronson,
2006), car « maîtriser l’influence des stéréotypes [peut faire appel à la
même] ressource limitée qu’on utilise pour s’autoréguler » (Govorun
et Payne, 2006, 112).
La manière la plus habile d’affronter ce type de limite est de tricher.
Au lieu de nous forcer à agir d’une manière qui nous rebute, nous
devons trouver comment nous donner envie de faire en sorte que
notre projet avance. Il faut de la technique, de la ruse, pour y parvenir
sans y investir trop de volonté.
Les résultats de ces études sont aujourd’hui très discutés et doivent
être pris avec des pincettes (Carter et McCullough, 2014 ; Engber et
Cauterucci, 2016 ; Job, Dweck et Walton, 2010). Néanmoins, on peut
affirmer à coup sûr qu’une ambiance de travail fiable et standardi-
sée est moins exigeante pour notre attention, notre concentration et

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Distinguer et entrelacer les tâches

notre volonté ou, si vous préférez, notre moi. Prendre une décision est
notoirement l’une des tâches les plus fatigantes et les plus lassantes, ce
qui explique pourquoi Barack Obama ou Bill Gates portent toujours
des costumes bleu foncé ou gris foncé. Cela leur fait une décision de
moins à prendre le matin, et donc plus de ressources pour les décisions
vraiment importantes. Notre manière d’organiser nos recherches et nos
écrits permet aussi de réduire sensiblement le nombre de décisions à
prendre. Si les contenus réclament des décisions (sur ce qui est plus ou
moins important dans un article, les liens entre les notes, le plan d’un
texte, etc.), la plupart des décisions d’organisation peuvent être prises
tout de suite, une fois pour toutes, en optant pour un seul système.
Utiliser toujours le même calepin pour prendre des notes rapides,
extraire toujours de la même manière les idées principales d’un texte
et les transformer toujours en un même type de notes permanentes,
traitées toujours de la même manière, sont autant de moyens pour
réduire le nombre de décisions à prendre au cours d’une séance de
travail. On conserve ainsi beaucoup plus d’énergie mentale, qui peut
être consacrée à des tâches plus utiles, comme d’essayer de résoudre
les problèmes abordés.
Être capable de terminer une tâche en temps voulu et de reprendre le
travail exactement où on l’a laissé présente un autre avantage appré-
ciable qui contribue à revigorer son attention : on peut alors faire des
pauses sans craindre de perdre le fil. Les pauses sont bien plus que de
simples occasions de récupérer. Elles sont cruciales pour l’apprentis-
sage. Elles permettent au cerveau de traiter des informations, de les
transférer dans la mémoire à long terme et de se préparer à recevoir de
nouvelles informations (Doyle et Zakrajsek, 2013, p. 69)1. Se refuser

1. Sans être une découverte, ce fait est aujourd’hui confirmé par les chercheurs
en neurosciences et en psychologie expérimentale (Doyle et Zakrajsek, 2013,
qui font référence à Tambini, A., Ketz, N. et Davachi, L., The new science of lear-
ning: how to learn in harmony with your brain, Stylus publishing, 2010, consulté
le 15 février 2023 sur https://text.123docz.net/document/1677019-the-new-
science-of-learning.htm).

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Les six étapes d’une rédaction réussie

une pause entre deux sessions de travail, que ce soit par enthousiasme
ou par peur d’oublier ce qu’on faisait, risque de nuire aux efforts en
cours. Une promenade (Ratey, 2008) ou même une sieste1 favorisent
l’apprentissage et la réflexion2.

1. Les neurosciences parlent de « potentialisation à long terme » (Bliss,


Collingridge et Morris, 2004).
2. Il est amplement prouvé que le sommeil favorise la mémorisation (voir par
exemple Wagner et al., 2004) et peut aider à résoudre des problèmes (Wamsley
et al., 2010).

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Chapitre 10

LIRE POUR COMPRENDRE

« Je vous conseille de lire avec une plume à la main, et


d’inscrire dans un carnet de courtes allusions à ce qui vous
paraît curieux, ou susceptible d’être utile ; car ce sera la
meilleure méthode pour imprimer ces renseignements
dans votre mémoire. »

Benjamin Franklin

LIRE STYLO EN MAIN

Pour écrire un bon article, il suffit de réécrire un bon brouillon ; pour


écrire un bon brouillon, il suffit de transformer une série de notes en
un texte continu. Et comme une série de notes n’est qu’un réarran-
gement de notes déjà présentes dans la boîte à fiches, tout ce que vous
avez à faire vraiment est de lire crayon en main.
Si vous comprenez ce que vous lisez et que vous le traduisez dans
un contexte différent, celui de votre propre pensée matérialisée dans
la boîte à fiches, inévitablement, vous transformez les découvertes et
réflexions d’autres personnes en quelque chose de nouveau qui vous
appartient. Cela fonctionne dans les deux sens : la série de notes dans

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Les six étapes d’une rédaction réussie

la boîte à fiches se transforme en arguments, façonnés par les théories,


idées et modèles mentaux que vous avez en tête. Et ces théories, idées
et modèles mentaux sont aussi façonnés par vos lectures. Ils évoluent
sans cesse et sont remis en question par les rapprochements surpre-
nants auxquels la boîte à fiches vous confronte. Plus cette dernière
s’enrichit, plus vos réflexions en font autant.
La boîte à fiches est un générateur d’idées qui progresse au même
rythme que votre développement intellectuel. Ensemble, vous pouvez
transformer des faits auparavant séparés, voire isolés, en une masse
critique d’idées interconnectées.
Passer de la boîte à fiches au texte final est assez simple. Son contenu
est déjà significatif, réfléchi et, pour une part importante, déjà orga-
nisé en séquences bien raccordées. Il ne reste qu’à placer les notes
dans un ordre linéaire. Formulées de manière à être compréhensibles
isolément, elles sont en même temps incluses dans un ou plusieurs
contextes qui enrichissent leur sens. Puiser dans la boîte à fiches pour
rédiger un brouillon s’apparente plus à un dialogue qu’à un acte
mécanique. Par conséquent, le résultat n’est jamais une copie d’un
travail antérieur, mais réserve toujours des surprises. Il y aura toujours
quelque chose que vous n’auriez pas pu prévoir. Il en va de même,
évidemment, pour toutes les étapes précédentes.
On ne peut pas non plus prévoir ce que donnera la lecture crayon en
main ; là aussi, l’idée n’est pas de copier mais d’entretenir un dialogue
riche avec les textes lus.
Les idées qu’on extrait du contexte spécifique d’un texte répondent
à un objectif donné dans une situation particulière, soutiennent un
argument spécifique, s’inscrivent dans une théorie qui n’est pas la
sienne ou sont exprimées dans un langage qu’on n’utiliserait pas. C’est
pourquoi on doit les traduire dans son propre langage pour préparer
leur intégration aux nouveaux contextes de sa propre pensée, le(s)
contexte(s) différent(s) de la boîte à fiches. Traduire signifie rendre
compte le plus fidèlement possible de l’œuvre originale en utilisant
d’autres mots – ce n’est pas avoir la liberté de pratiquer des ajustements.

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Lire pour comprendre

De même, le simple fait de copier des citations modifie presque tou-


jours leur sens, car on les arrache à leur contexte, même si les mots ne
sont pas modifiés. Cette erreur classique de débutant ne peut aboutir
qu’à un patchwork d’idées, jamais à une pensée cohérente.
Les fiches de lecture seront stockées dans le système de référence
avec les détails bibliographiques, hors de la boîte à fiches mais tout
de même près du contexte du texte original puisqu’elles sont déjà
rédigées en tenant compte des axes de réflexion de la boîte à fiches.
Luhmann décrit ainsi cette étape : « J’ai toujours une feuille de papier
à portée de main, pour y noter les idées de certaines pages. Au dos, je
note les détails bibliographiques. Le livre terminé, je passe mes notes
en revue et je me demande quel intérêt elles pourraient avoir pour
des notes déjà rédigées dans la boîte à fiches. C’est-à-dire que je lis
toujours en m’interrogeant sur des rapprochements possibles dans la
boîte à fiches » (Luhmann et al., 1987, p. 150).
Quelle doit être la longueur des fiches de lecture ? Cela dépend vrai-
ment du texte et de ce qu’on en fait. Elle dépend également de son
aptitude à la concision, de la complexité du texte et de sa difficulté
de compréhension. Comme les fiches de lecture servent aussi à com-
prendre et saisir le texte, des notes plus élaborées se justifient dans les
cas plus difficiles ; dans les cas plus faciles, quelques mots-clés pour-
ront suffire. Luhmann, qui se situe certainement aux confins les plus
lointains du spectre de la compétence, se contentait de notes assez
courtes et réussissait quand même à en faire des textes très utiles pour
sa boîte à fiches sans dénaturer le sens des textes originaux. Il s’agit
principalement d’avoir en tête un vaste réseau de modèles mentaux
ou de théories mentales permettant de repérer et de décrire rapide-
ment les idées principales (Rickheit et Sichelschmidt, 1999).
Chaque fois qu’on explore un sujet nouveau et peu familier, on aura
tendance à établir des notes plus fournies ; il ne faut pas s’en inquiéter
car cette pratique délibérée de compréhension est un passage obligé.
Parfois, on doit se frayer lentement un chemin à travers un texte dif-
ficile ; d’autres fois, quelques phrases suffisent à résumer un livre. La

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Les six étapes d’une rédaction réussie

seule chose qui importe est que ces notes constituent le meilleur sup-
port possible pour l’étape suivante, à savoir la rédaction des notes de
la boîte à fiches. Et le plus utile est de réfléchir au cadre, au contexte
théorique, à l’approche méthodologique ou à la perspective du texte
lu. Cela signifie souvent réfléchir autant à ce qui n’est pas mentionné
qu’à ce qui l’est.

Cette manière de rédiger des fiches de lecture s’écarte beaucoup de


celle pratiquée par la plupart des étudiants, tantôt trop systématique,
tantôt pas assez. Ou, le plus souvent, systématique à mauvais escient :
l’emploi de techniques de lecture souvent recommandées, comme
SQ3R ou SQ4R, les conduit à traiter tous les textes de la même
façon, quel que soit leur contenu. Ils ne choisissent pas clairement la
forme et l’organisation de leurs notes et ne prévoient pas ce qu’ils en
feront par la suite. Sans un objectif clair, établir des notes évoquera
une corvée plus qu’une étape importante d’un projet plus vaste. Il
arrive que de longs textes soient rédigés avec de bonnes intentions,
mais cela ne dure pas. Parfois, on se contente de souligner des phrases
et d’inscrire quelques commentaires dans les marges d’un livre, ce
qui revient quasiment à ne pas prendre de notes du tout. Et le plus
souvent, la lecture ne s’accompagne pas d’une prise de notes, ce qui,
quant aux besoins de l’écriture, est à peu près aussi utile que de ne pas
avoir lu du tout.

Mais avec la boîte à fiches, tout concourt à constituer une masse cri-
tique de notes utiles, ce qui donne une idée claire de la manière de
lire et d’établir des fiches de lecture.

Quoique l’objectif de ces fiches soit aussi clair que la procédure, libre
à vous d’utiliser la technique qui vous aide le mieux à comprendre ce
que vous lisez et à prendre des notes utiles – quand bien même vous
emploieriez dix couleurs de soulignement différentes et une méthode
de lecture SQ8R. Tout cela ne serait qu’une étape supplémentaire
avant la seule qui compte vraiment : la note permanente qui enrichira
la boîte à fiches. Quelle que soit sa forme, votre fiche de lecture doit
indiquer ce que vous avez compris du texte. Vous aurez ainsi de la

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Lire pour comprendre

matière sous les yeux quand vous rédigerez la note destinée à la boîte
à fiches. Mais n’en faites pas un projet en soi. Les fiches de lecture
sont courtes et ont pour but de vous aider dans la rédaction des notes
pour la boîte à fiches. Tout ce qui ne vous aidera pas à y parvenir sera
une perte de temps.
Vous pouvez saisir une fiche de lecture directement dans Zotero, où
elle sera stockée avec les détails bibliographiques. Vous pouvez aussi
l’écrire à la main. Différentes études indépendantes assurent que l’écri-
ture manuelle facilite la compréhension. Dans une étude brève mais
passionnante, deux psychologues ont tenté de déterminer si les notes
prises en cours par des étudiants diffèrent selon qu’elles sont écrites à la
main ou saisies sur un ordinateur portable (Mueller et Oppenheimer,
2014). Ils n’ont pas trouvé de différence dans le nombre de faits que
les étudiants parviennent à retenir. En revanche, ceux qui prennent
leurs notes à la main comprennent beaucoup mieux le contenu du
cours. Cette différence de compréhension demeure clairement mesu-
rable au bout d’une semaine.
Il n’y a pas de mystère et l’explication est assez simple : l’écriture
manuscrite est plus lente et ne peut être corrigée aussi rapidement que
les notes électroniques. Faute de pouvoir écrire assez vite pour suivre
tout ce qui se dit en cours, les étudiants sont obligés de se concentrer
sur l’essentiel, non sur les détails. Mais pour être capable de noter
l’essentiel d’un cours, il faut déjà le comprendre. Ainsi, si vous écrivez
à la main, vous êtes obligé de réfléchir à ce que vous entendez (ou lisez)
– sinon vous ne parviendriez pas à saisir le principe sous-jacent, l’idée,
la structure d’un argument. L’écriture manuscrite rend impossible la
copie pure et simple, mais facilite la traduction avec ses mots de ce qui
est dit ou écrit. Les étudiants dactylographiant sur ordinateur portable
étaient beaucoup plus rapides et pouvaient ainsi copier le cours plus
fidèlement, mais se dispensaient de vraiment le comprendre. Ils s’atta-
chaient à tout écrire. Un verbatim n’impose presque aucune réflexion,
comme si les mots empruntaient un raccourci de l’oreille à la main
sans passer par le cerveau.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Si vous choisissez d’écrire vos notes à la main, contentez-vous de les conser-


ver en un même endroit et classez-les par ordre alphabétique de la manière
habituelle : « Nom de familleAnnée ». Vous pourrez ensuite les rapprocher
facilement des détails bibliographiques de votre système de référence. Mais que
vous les écriviez à la main ou non, gardez à l’esprit qu’il s’agit d’aller à l’es-
sentiel, de comprendre et de préparer l’étape suivante : le transfert d’idées vers
vos propres axes de réflexion dans la boîte à fiches.

GARDER L’ESPRIT OUVERT


La sélectivité est la clé d’une prise de notes intelligente, mais il est tout
aussi important d’être sélectif de manière intelligente. Hélas, notre
cerveau n’est pas très doué pour sélectionner des informations par
défaut. Alors que nous devrions rechercher les faits et arguments réfu-
tant notre façon de penser, nous inclinons par nature vers tout ce qui
nous est agréable, c’est-à-dire ce qui confirme ce que nous croyons
déjà savoir.
À l’instant même où nous arrêtons une hypothèse, notre cerveau se
met automatiquement en mode recherche, il scrute les alentours en
quête de données confirmatives, ce qui n’est pas une bonne façon
d’apprendre ni de chercher. Pire, nous ne sommes généralement pas
conscients de ce biais de confirmation1 qui s’immisce subrepticement.
Il se trouve apparemment que tous les gens qui nous entourent sont
du même avis2. Il se trouve que nos lectures vont dans le sens de ce
que nous savons déjà3. Nous regardons autour de nous en occultant
simplement les faits qui nous contredisent, sans même remarquer ce

1. Voir Wolfe et Britt, 2008.


2. Pas intentionnellement, bien sûr. C’est juste que nous passons notre temps
avec des personnes qui nous plaisent. Et pourquoi nous plaisent-elles ? Parce
qu’elles pensent comme nous.
3. Pas intentionnellement, bien sûr. C’est juste que nous préférons les bons
textes intelligents. Et pourquoi considérons-nous ces textes comme bons et
intelligents ? Parce qu’ils le sont pour nous.

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Lire pour comprendre

que nous ne voyons pas, tout comme une même ville peut se trouver
un jour pleine de gens heureux et le lendemain pleine de gens mal-
heureux, selon notre humeur.
Le biais de confirmation est une force subtile mais puissante. Comme
le dit le psychologue Raymond Nickerson, « s’il fallait désigner un
seul aspect problématique du raisonnement humain à observer de
préférence à tous les autres, le biais de confirmation serait un candidat
à considérer » (Nickerson, 1998, p. 175).
Savants et penseurs, fussent-ils les meilleurs, n’en sont pas exempts. Ils
se distinguent cependant par le fait qu’ils sont conscients du problème
et agissent en conséquence. Le modèle classique pourrait être Charles
Darwin. Il s’est astreint à noter (et donc à développer) les arguments
les plus critiques envers ses théories. « Pendant bien des années, j’ai
obéi à une règle d’or : chaque fois que je rencontrais un fait publié,
une observation ou une pensée nouvelle qui s’opposait à mes résultats
généraux, j’en faisais un mémorandum fidèle et immédiat ; car j’avais
constaté par expérience que de tels faits et pensées risquent d’échap-
per à la mémoire beaucoup plus que ceux qui sont favorables. Grâce
à cette habitude, très rares ont été les objections soulevées contre mes
vues, que je n’aurais pas au moins remarquées et auxquelles je n’aurais
pas tenté de répondre » (Darwin, 1887, p. 123).
C’est là une bonne technique (surtout mentale) pour faire face au
biais de confirmation. Mais nous cherchons comment mettre en
œuvre dans un système externe ce que nous savons de nos limites
psychologiques. Nous voudrions prendre les bonnes décisions sans
trop d’effort mental – tel Ulysse se faisant attacher au mât de son
bateau pour ne pouvoir céder au chant des Sirènes. Avec un bon sys-
tème, les simples nécessités du flux de tâches nous forceront à agir plus
vertueusement sans avoir à devenir vraiment plus vertueux. Le biais
de confirmation est affronté ici en deux mouvements. Premièrement,
on inverse le processus d’écriture entier. Deuxièmement, on modifie
les incitations : il ne s’agit plus de rechercher des confirmations mais

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Les six étapes d’une rédaction réussie

de collecter indistinctement toutes les informations pertinentes quel


que soit l’argument qu’elles appuient.
Le processus linéaire proposé par de nombreux guides d’étude com-
mence par le choix de l’hypothèse ou du sujet à traiter. C’est absurde
car cela favorise inévitablement le biais de confirmation. On com-
mence par poser comme résultat ce qu’on croit savoir à ce moment
au lieu d’en faire un point de départ, ce qui prépare à ne voir que d’un
œil. Puis on crée artificiellement un conflit d’intérêts entre l’avance-
ment du travail (trouver de quoi soutenir un argument préconçu) et la
découverte d’idées ; tout écart par rapport au plan préconçu devient
une mutinerie contre son projet. Voici une bonne règle empirique :
si les idées deviennent une menace pour votre travail d’écriture ou
universitaire, vous n’êtes pas sur la bonne voie.
Le premier pas vers la clairvoyance, et le plus important, consiste à
développer ses idées et arguments de manière ascendante et non des-
cendante. On devrait parvenir à s’attacher aux idées les plus éclai-
rantes et à se réjouir des rebondissements les plus surprenants sans
qu’ils compromettent le projet ou, mieux encore, parce qu’ils le font
avancer. Remettre à plus tard la décision sur ce qu’on va écrire au
juste et chercher à constituer une masse critique au sein de la boîte
à fiches. Au lieu de garder en permanence l’hypothèse à l’esprit, il
s’agit de :
• confirmer qu’on sépare les tâches et s’attacher à comprendre le
texte qu’on lit ;
• rendre compte fidèlement de son contenu ;
• trouver en quoi il est pertinent et établir des liens.
Ensuite seulement, on prend du recul pour examiner ce qui s’est
développé, puis on décide quelles conclusions en tirer.
La boîte à fiches oblige à être sélectif dans la lecture et la prise de
notes, mais un seul critère s’impose : y a-t-il de quoi alimenter le débat au
sein de la boîte à fiches ? Seul importe ce qui s’y raccroche ou se prête à des
rapprochements. Tout peut contribuer au développement des pensées

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Lire pour comprendre

dans la boîte à idées : un ajout autant qu’une contradiction, la remise


en question d’une idée apparemment évidente comme la différencia-
tion d’un argument. Ce qu’on recherche, ce sont les faits et informa-
tions susceptibles d’apporter quelque chose et donc d’enrichir la boîte.
Pour qui commence à travailler avec une boîte à fiches, l’un des chan-
gements habituels les plus importants est que l’attention se déplace du
projet individuel avec ses idées préconçues vers les rapprochements
ouverts au sein de la boîte à fiches.
Une fois ses centres d’intérêt harmonisés, on peut aller un peu plus loin
et se mettre en quête de faits discordants. Ne recueillir que des idées à
sens unique ne serait pas très enrichissant. Oui, il faut être sélectif, mais
en termes de pertinence ou non-pertinence et non en termes de pour
ou contre. Et dès qu’on se penche sur le contenu de la boîte à idées, les
données discordantes s’avèrent soudain séduisantes car elles ouvrent
davantage de connexions et de discussions possibles au sein de la boîte
à fiches, contrairement aux simples données concordantes. Avec de la
pratique, la recherche de données discordantes devient plus facile et
peut même devenir addictive. Il est passionnant de s’apercevoir qu’une
information peut bouleverser toute une perspective sur un problème
donné. Et plus le contenu de la boîte à fiches est varié, plus il peut
faire avancer la réflexion – à condition que son orientation n’ait pas
été fixée dès le départ. Les contradictions au sein de la boîte à fiches
peuvent être étudiées dans des notes de suivi, voire au sein du docu-
ment final. Il est bien plus facile de rédiger un texte intéressant en
partant d’une discussion animée remplie de pour et de contre plutôt
que d’un tas de notes non contradictoires et de citations apparemment
conformes. En fait, il est presque impossible d’écrire le moindre texte
intéressant et méritant publication (donc motivant) si l’on ne se fonde
que sur une idée trouvée d’emblée avant d’avoir creusé le problème.
La boîte à fiches est assez agnostique quant au contenu qui l’alimente.
Simplement, elle préfère les notes pertinentes. C’est après avoir lu et
rassemblé les données pertinentes, relié des réflexions et débattu de
leur articulation qu’on peut passer aux conclusions et mettre au point
une argumentation linéaire.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

PARVENIR À L’ESSENTIEL
Être capable de distinguer les informations pertinentes de celles qui
le sont moins est une compétence qui ne s’acquiert que par la pra-
tique. Celle-ci consiste à rechercher l’essentiel et à le discriminer des
simples détails. La lecture crayon en main et la rédaction de notes
permanentes en font davantage qu’une simple pratique : c’est une
pratique délibérée, répétée plusieurs fois par jour. Extraire l’essentiel
d’un texte ou d’une idée et en rendre compte par écrit est pour les
universitaires ce que la pratique quotidienne du piano est pour les
pianistes : plus souvent on le fait et plus on se concentre, plus on
devient virtuose.
Pour naviguer dans les textes et les discours, on s’aide non seulement
des théories, des concepts ou des terminologies ad hoc, mais aussi des
erreurs classiques automatiquement pourchassées dans une argumen-
tation, des catégories générales, des styles d’écriture dénotant une cer-
taine école de pensée ou des modèles mentaux acquis ou développés à
partir de différents éclairages et qu’on peut réunir comme une excel-
lente boîte à outils de réflexion toujours plus fournie. Aucune lecture
ou interprétation professionnelle ne serait possible sans ces outils et
références. On lirait chaque texte de la même manière : comme un
roman. Mais une fois qu’on a appris à repérer des constantes, on peut
entrer dans le cercle de la virtuosité : la lecture devient plus facile,
on saisit plus vite l’essentiel, on parvient à lire davantage en moins
de temps, on détecte plus vite les grandes lignes et l’on en acquiert
une meilleure compréhension. Au passage, on améliore ses outils de
réflexion, ce qui est bon non seulement pour le travail académique,
mais pour la réflexion et la compréhension en général. C’est pour-
quoi Charlie Munger, vice-président de la société d’investissement
Berkshire Hathaway, considère comme un grand sage celui qui pos-
sède un large éventail de ces outils et sait s’en servir.

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Lire pour comprendre

Mais cette dynamique ne peut s’enclencher que si l’on décide soi-


même, délibérément, d’entreprendre des lectures, de manière sélective,
en ne se fiant à rien d’autre qu’à son propre jugement quant à ce
qui est important et ce qui ne l’est pas. Les manuels scolaires ou la
littérature secondaire en général ne suffisent pas à se libérer de cette
tâche et les étudiants qui s’en remettent uniquement à eux n’ont
aucune chance de devenir de « grands sages ». Là, on n’est pas loin
de ce qu’écrivait le philosophe Emmanuel Kant dans son fameux
texte sur les Lumières : « La minorité, c’est l’incapacité de se servir
de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seul qu’est
imputable cette minorité dès lors qu’elle ne procède pas du manque
d’entendement, mais du manque de résolution et de courage néces-
saires pour se servir de son entendement sans la tutelle d’autrui. Sapere
aude ! “Aie le courage de te servir de ton propre entendement”, telle
est donc la devise des Lumieres » (Kant, 1784).
Je suggère de prendre ces mots au pied de la lettre. La capacité d’utili-
ser son propre entendement est un défi, pas un acquis. D’où l’impor-
tance des notes permanentes, soulignée par Luhmann :
« Le problème que pose la lecture des textes académiques
est apparemment qu’il nous faut utiliser non pas la mémoire
à court terme mais la mémoire à long terme pour
développer des points de référence permettant de
distinguer l’important et le moins important, les
informations nouvelles et les simples répétitions. Mais il
est bien sûr impossible de se souvenir de tout. Ce serait
apprendre par cœur. Autrement dit, il faut lire de manière
extrêmement sélective et extraire des références étendues
et connectées. Il faut être capable de suivre les récurrences.
Mais comment apprendre si le guidage est impossible ?
[…] La meilleure méthode, probablement, consiste à
prendre des notes – non pas des extraits, mais des comptes
rendus condensés et reformulés du texte. Réécrire ce qui
est déjà écrit exerce presque automatiquement à déplacer
son attention vers des cadres, modèles et catégories dans

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Les six étapes d’une rédaction réussie

les observations, ou les conditions/hypothèses, ce qui


permet certaines descriptions, mais pas d’autres. Il est bon
de toujours se poser la question : Qu’est-ce qui n’est pas
signifié, qu’est-ce qui est exclu si une certaine affirmation
est posée ? Si quelqu’un parle de “droits de l’homme”,
quelle distinction fait-il ? Une distinction par rapport aux
“droits du non-humain” ? Aux “devoirs de l’homme” ?
S’agit-il d’une comparaison culturelle ou portant sur
certains peuples historiques dépourvus du concept de
droits de l’homme, mais qui vivaient bien ensemble malgré
tout ? Souvent, le texte ne donne pas de réponse à cette
question, ou pas de réponse claire. Il faut alors faire appel
à sa propre imagination. »
Luhmann, 2000, p. 154 et s.

Meilleur vous devenez en la matière, plus vite vous pourrez prendre


des notes à la volée, qui restent utiles. Les notes de Luhmann sont
très condensées (Schmidt, 2015). Avec la pratique vient la capacité
de trouver les bons mots pour exprimer au mieux ce qu’on veut
dire, c’est-à-dire de façon simple mais non simplifiée. La clarté de vos
explications sera appréciée non seulement des lecteurs de vos textes
mais aussi de vos interlocuteurs, car elle ne se limite pas à l’écriture.
Elle s’étend à la parole et à la réflexion. Il est prouvé que les lecteurs
ou les auditeurs considèrent un auteur ou un orateur comme d’autant
plus intelligent que ses expressions sont plus claires et plus précises
(Oppenheimer, 2006).
Être capable de repérer des constantes, de remettre en question les
cadres utilisés et de détecter les distinctions opérées par d’autres est
la condition préalable d’une réflexion critique, non limitée par les
assertions d’un texte ou d’un discours. La capacité de recadrer les
questions, affirmations et informations est encore plus importante
que le fait d’avoir des connaissances approfondies car sans elle on ne
pourrait mettre à profit ses connaissances. Heureusement, ces compé-
tences peuvent être apprises. Cela nécessite cependant une pratique

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Lire pour comprendre

délibérée (Ericsson, Krampe et Tesch-Römer, 1993 ; Ericsson, 2008).


Prendre des notes intelligentes revient à pratiquer délibérément ces
compétences. Mais non lire simplement, souligner des phrases et
espérer se souvenir du contenu.

APPRENDRE À LIRE
« Ce que vous ne pouvez pas dire clairement, vous ne le
comprenez pas vous-même. »
John Searle

Le prix Nobel de physique Richard Feynman disait un jour qu’il


n’était sûr de comprendre une chose que s’il pouvait la présenter dans
un cours d’initiation. Lire crayon en main est l’équivalent à petite
échelle d’un tel cours. Les notes permanentes, elles aussi, s’adressent
à un public qui ignore les pensées contenues dans le texte et leur
contexte d’origine, un public qui ne connaît le domaine que de
manière générale. Seule différence : le public, ici, c’est nous dans l’ave-
nir, bientôt parvenus au même état d’ignorance que quelqu’un qui
n’a jamais rien su de ce sur quoi nous avons écrit. Bien entendu, il
serait utile d’impliquer d’autres personnes à tous les stades du proces-
sus d’écriture. Nous pourrions lire sur leur visage à quel point notre
formulation est juste ou nos arguments convaincants, mais ce ne serait
guère pratique.
Il ne faut pas non plus sous-estimer les avantages de l’écriture. À l’oral,
on peut aisément faire l’impasse sur des affirmations non fondées.
On peut dissimuler les lacunes d’une argumentation en surjouant la
confiance ou lâcher un « vous voyez ce que je veux dire » même si on
ne le voit pas bien soi-même. À l’écrit, de telles manœuvres sont un
peu trop voyantes. Une affirmation du genre « Mais c’est ce que j’ai
dit ! » est aisément vérifiable. Le principal avantage de l’écriture est
qu’elle aide à s’avouer qu’on ne comprend pas quelque chose aussi
bien qu’on aimerait le croire.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

« Le principe est que vous ne devez pas vous leurrer vous-même, or


vous êtes la personne la plus facile à leurrer », soulignait Feynman dans
un discours adressé aux jeunes chercheurs (Feynman, 1985). Quand
on lit un texte, et plus encore quand on le relit, il est facile de croire
qu’on le comprend. Le danger de la relecture tient à l’effet de simple
exposition : dès qu’on devient familier d’une chose, on commence à
croire qu’on la comprend. Et, en outre, on tend à l’aimer davantage
(Bornstein, 1989).
Familiarité ne signifie pas compréhension, bien entendu, mais il est
impossible de savoir si l’on comprend une chose ou si l’on croit seu-
lement la comprendre tant qu’on ne s’est pas testé d’une manière ou
d’une autre. Si on n’essaie pas de vérifier ce qu’on comprend au cours
de ses études, on baignera béatement dans le sentiment de devenir plus
intelligent et plus éclairé sans être devenu moins bête. Ce sentiment
lénifiant disparaît vite quand on essaie d’expliquer par écrit, avec ses
propres mots, ce qu’on a lu. Soudain, on voit le problème. Tenter de
reformuler une argumentation avec ses propres mots révèle impitoya-
blement tout ce qu’on n’a pas bien compris. C’est moins gratifiant,
assurément, mais c’est sa seule chance de mieux comprendre, d’ap-
prendre et d’avancer (voir plus bas). Là encore, il s’agit d’une pratique
délibérée. Le choix est clair : se sentir plus intelligent ou devenir plus
intelligent. Et si mettre une idée par écrit ressemble à un méandre, à
une perte de temps, la vraie perte de temps serait de ne pas la mettre
par écrit, car cela rendrait inopérant l’essentiel de ce qu’on lit.
Comprendre n’est pas seulement un préalable à l’apprentissage. Dans
une certaine mesure, apprendre, c’est comprendre. Les mécanismes ne
sont d’ailleurs pas si différents : on ne peut apprendre mieux qu’en
testant ses progrès. Là encore, la relecture ou la révision ne révèlent
pas ce qu’on n’a pas appris tout en ayant l’impression de l’avoir appris.
Seule une vraie tentative pour retrouver l’information montrera clai-
rement si l’on a ou non appris quelque chose. Là aussi, l’effet de
simple exposition est trompeur : voir une chose déjà vue provoque la
même réaction psychologique que si l’on avait retrouvé l’information
dans sa mémoire. Relire donne donc l’impression d’avoir appris ce

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Lire pour comprendre

qu’on lit : « Je le savais déjà ! » Le cerveau est un très mauvais pro-


fesseur à cet égard. On retrouve ici le choix entre des méthodes qui
donnent l’impression d’avoir appris quelque chose et des méthodes
qui font vraiment apprendre quelque chose.
Si vous vous dites à présent : « C’est ridicule. Qui voudrait lire et
faire semblant d’apprendre juste pour avoir l’illusion d’apprendre et
de comprendre ? », vous feriez bien de consulter les statistiques : la
majorité des étudiants choisissent tous les jours de ne pas se tester
d’une manière ou d’une autre. Ils préfèrent appliquer cette méthode
même dont la recherche a montré maintes et maintes fois (Karpicke,
Butler et Roediger, 2009 ; Brown, Roediger III et McDaniel, 2014,
chap. 1) qu’elle est presque inutile : relire et souligner les phrases pour
relire plus tard. Et la plupart d’entre eux font ce choix même si on leur
enseigne que cela ne fonctionne pas. Consciemment, nous ferions proba-
blement tous le même choix, mais ce qui compte vraiment, ce sont
tous les petits choix implicites accomplis chaque jour, le plus souvent
inconsciemment.
C’est pourquoi il est intelligent d’opter pour un système externe qui
nous oblige à une pratique délibérée et nous mette autant que pos-
sible en face de ce que nous n’avons pas compris ou pas encore appris.
Il suffit de faire ce choix conscient une seule fois.

APPRENDRE PAR LA LECTURE


Apprendre demande en soi une pratique délibérée, et je parle de l’ap-
prentissage véritable, celui qui aide à mieux comprendre le monde,
pas seulement de celui qui permet de passer un examen. Or la pra-
tique délibérée est exigeante, elle réclame des efforts. Essayer de sauter
cette étape serait comme aller à la salle de gym pour faire de l’exercice
avec le moins d’efforts possible. Ce serait absurde, tout aussi absurde
que de faire lever ses haltères par un moniteur. Le moniteur n’est pas
là pour faire le travail à notre place mais pour nous montrer comment
utiliser notre temps et nos efforts de la manière la plus efficace. Cela

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Les six étapes d’une rédaction réussie

va de soi dans le sport et l’on commence à peine à comprendre qu’il


en va de même pour l’apprentissage. « Celui qui apprend est celui qui
fait le travail », écrit Doyle (2008, p. 63). On a du mal à le croire, mais
cette idée demeure révolutionnaire en matière d’éducation.
Apprendre réclame des efforts, car on doit réfléchir pour comprendre
et se remémorer activement des savoirs anciens afin de convaincre son
cerveau d’y voir des repères pour rattacher des idées nouvelles. Pour
comprendre le caractère révolutionnaire de cette idée, on songera
aux grands efforts faits par les enseignants qui, dans l’espoir d’aider
leurs étudiants à apprendre plus facilement, préarrangent les infor-
mations en les triant par modèles, catégories et thèmes. Ce faisant,
ils obtiennent l’effet inverse de celui recherché. En organisant tout
comme à la parade, ils rendent l’apprentissage plus difficile pour leurs
étudiants car ils les privent de l’occasion d’établir des connexions
significatives et de comprendre des choses en les traduisant dans leur
propre langage. C’est comme la restauration rapide : ni très nourris-
sante ni très savoureuse, elle est juste commode.
On serait surpris de voir des enseignants changer de sujet au milieu
d’un cours, passer au chapitre suivant avant que quiconque ait pu
comprendre le premier, puis revenir plus tard au sujet précédent. On
ne s’attend pas à ce que des examens soient sans cesse infligés par sur-
prise aux étudiants, dont la moitié sur des sujets qui n’ont pas encore
été abordés. Cela perturberait probablement les étudiants, habitués à
disposer de documents organisés par catégories bien distinctes, mais
en même temps cela les obligerait à comprendre ce qu’ils rencontrent
– et donc à l’apprendre réellement.
« Les manipulations telles que variations, espacements,
ajouts d’informations contextuelles et examens, par
opposition aux présentations que sont les événements
d’apprentissage, ont toutes en commun cette
caractéristique : elles paraissent entraver l’apprentissage

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Lire pour comprendre

au cours du processus d’apprentissage mais le renforcent


souvent, tel que le mesurent les tests de mémorisation et
de transfert après formation. Inversement, des
manipulations comme le maintien de conditions constantes
et prédictibles et le regroupement d’épreuves sur une
tâche donnée paraissent souvent améliorer le taux
d’apprentissage au cours de l’instruction ou de la formation,
mais ne sont généralement pas propices à une
mémorisation et un transfert durables. »

Bjork, 2011, p. 8

Quand on essaie de répondre à une question avant de savoir com-


ment faire, on se rappelle mieux la réponse plus tard, même si l’on
n’a pas su la trouver (Arnold et McDermott, 2013). Si l’on fait un
effort à tenter de se remémorer une information, on a bien plus de
chances de la retenir durablement, même si finalement on a besoin
d’aide pour la retrouver (Roediger et Karpicke, 2006). Même sans
retour d’information, il est profitable d’essayer de se souvenir de
quelque chose soi-même (Jang et al., 2012). Les données empiriques
ne laissent guère de doute, et pourtant on n’a pas forcément l’im-
pression que ces stratégies d’apprentissage sont bonnes. Intuitivement,
la plupart des étudiants optent pour le bachotage, autrement dit ils
relisent à de nombreuses reprises un texte qu’ils tentent sans succès
de retenir (Dunlosky et al., 2013). Et la relecture n’aide certainement
pas à comprendre plus qu’elle n’aide à apprendre. Certes, le bachotage
fait entrer des informations dans votre tête pour un temps – suffisant
en général pour passer un examen. Mais il n’aide pas à apprendre.
Comme le disent Terry Doyle et Todd Zakrajsek, « si votre but est
d’apprendre, bachoter est un acte irrationnel » (Doyle et Zakrajsek,
2013)1.

1. Ils attribuent cette citation à Jang et al. (2012), mais je ne parviens pas à la
retrouver. Peu importe : la formule est percutante.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Au lieu de réviser un texte, on pourrait tout aussi bien disputer une


partie de tennis de table. En fait, cela pourrait même être plus utile car
l’exercice physique aide à transférer des informations dans la mémoire
à long terme (Ratey, 2008). De plus, il réduit le stress, ce qui est bon
puisque le stress inonde le cerveau d’hormones qui bloquent le pro-
cessus d’apprentissage (Baram et al., 2008).
En bref : la pure ré-vision ne sert à rien, ni à comprendre ni à
apprendre. Peut-on même parler d’apprendre ? Cela se discute.
Il n’est donc pas surprenant que la méthode d’apprentissage la plus
étudiée et la plus fructueuse soit l’élaboration. Elle rappelle beau-
coup ce qu’on fait en prenant des notes intelligentes et en les asso-
ciant à d’autres, soit l’inverse de la simple révision (Stein et al., 1984).
Élaboration ne signifie rien d’autre que réfléchir réellement au sens
de ce qu’on lit, à ce qui en découle pour différents sujets et ques-
tions et à la manière de l’associer à d’autres savoirs. Il existe d’ailleurs
une méthode d’élaboration appelée Writing for Learning (écrire pour
apprendre – Gunel, Hand et Prain, 2007). Une mise en garde s’impose
néanmoins. Même s’il est prouvé que l’élaboration est efficace pour
une compréhension en profondeur, elle n’est peut-être pas le meilleur
choix quand on veut seulement apprendre des faits encyclopédiques
isolés (Rivard, 1994). Mais à quoi bon, tant qu’on n’a pas pour ambi-
tion de faire carrière dans les jeux télévisés de culture générale ? La
boîte à fiches se charge de stocker des faits et des informations. Elle
n’épargne pas en revanche la réflexion ni la compréhension, et c’est
pourquoi il est logique de se concentrer sur cette partie du travail.
Qu’elle facilite aussi l’apprentissage est un sous-produit appréciable.
Luhmann ne lisait presque jamais un texte deux fois (Hagen, 1997) et
était quand même considéré comme un interlocuteur remarquable :
dans une conversation, on aurait dit qu’il disposait de toutes les infor-
mations, selon différents témoins.
Travailler avec une boîte à fiches ne signifie donc pas y stocker des
informations au lieu de les stocker dans sa tête, autrement dit ne pas
apprendre. Au contraire, c’est faciliter un véritable apprentissage

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Lire pour comprendre

durable. Cela signifie simplement ne pas se bourrer le cerveau de faits


isolés – ce qu’on ne désire sans doute pas en tout état de cause. On
aurait donc tort d’objecter que prendre des notes et les classer dans
la boîte à fiches demande trop de temps. Écrire, prendre des notes
et réfléchir aux connexions entre ses idées est exactement le genre
d’élaboration nécessaire pour apprendre. La véritable perte de temps
serait de ne rien retenir d’une lecture, faute d’avoir pris le temps de
l’élaborer.
Entre le cerveau et la boîte à fiches, la division du travail est claire :
la seconde se charge des détails et des références, c’est une mémoire
durable qui conserve les informations objectivement, sans altération.
Le cerveau peut ainsi se concentrer sur l’essentiel : la compréhension
en profondeur et le tableau d’ensemble. Et il se trouve libéré pour
créer. Le cerveau comme la boîte à fiches peuvent se consacrer à ce
qu’ils font le mieux.

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Chapitre 11

PRENDRE DES NOTES


INTELLIGENTES

La psychopédagogue Kirsti Lonka a comparé la manière de lire


d’étudiants et de doctorants exceptionnellement brillants et celle
d’éléments plus médiocres. Une différence capitale était manifeste :
la capacité à réfléchir au-delà des cadres assignés à un texte (Lonka,
2003, p. 155-156).
Quand ils lisent un texte, les universitaires expérimentés ont en géné-
ral des questions en tête. Ils essaient de le relier à d’autres approches
possibles. Les lecteurs inexpérimentés, eux, ont tendance à adopter
le questionnement et le cadre argumentaire du texte, qu’ils consi-
dèrent comme un acquis. Les bons lecteurs sont capables de repérer
les limites d’une approche donnée et voient ce qui n’est pas men-
tionné dans le texte.
Encore plus problématique que le fait de rester dans le cadre fixe
d’un texte ou d’une argumentation est l’incapacité à interpréter une
information particulière du texte considérée dans le cadre ou l’argu-
mentation d’ensemble de celui-ci. Même les doctorants se contentent
parfois de prélever dans un texte des citations décontextualisées – ce
qui est probablement la pire approche possible pour un chercheur.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Comprendre la signification réelle des informations devient alors


presque impossible. Si l’on ne comprend pas une information dans
son contexte, il est presque impossible d’aller au-delà, de la recadrer
et de réfléchir à ce qu’elle pourrait signifier pour une autre question.
Le psychologue Jerome Bruner, auquel renvoie Kirsti Lonka, va un
pas plus loin. Selon lui, aucune pensée scientifique n’est possible si
l’on ne parvient pas à dépasser un contexte donné et qu’on se foca-
lise sur l’information telle qu’elle est fournie (Bruner, 1973, cité par
Lonka). Il n’est donc pas surprenant que Kirsti Lonka donne le même
conseil que Luhmann : ne pas se contenter de prélever des citations
dans un texte mais rendre compte brièvement de ses idées princi-
pales. Et, insiste-t-elle, en faire quelque chose : bien réfléchir à leurs
liens avec d’autres idées issues de contextes différents et à l’éclairage
qu’elles pourraient apporter à des questions qui ne sont pas déjà celles
de l’auteur du texte.
C’est exactement ce qui se passe à l’étape suivante, au cours de
laquelle on rédige des notes permanentes, qu’on ajoute à la boîte à
fiches. Au-delà du jeu intellectuel, on utilise les idées de manière très
concrète : on réfléchit à ce qu’elles signifient pour d’autres axes de
réflexion, puis on l’indique explicitement sur le papier et l’on établit
une connexion littérale avec les notes.

UNE CARRIÈRE BÂTIE NOTE À NOTE


La première fois qu’on se trouve confronté au défi de l’écriture d’un
texte long, une thèse par exemple, la perspective de noircir quelques
centaines de pages avec des idées bien formées, des études sourcées et
des références correctes à toutes les pages a de quoi intimider. C’est
normal. Si vous n’éprouvez pas une certaine forme de respect pour
cette tâche, quelque chose cloche chez vous. Cependant, la plupart
des gens ont l’impression qu’écrire une page par jour six jours par
semaine est tout à fait gérable ; ils ne se rendent pas compte que cela

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Prendre des notes intelligentes

signifierait achever une thèse de doctorat en moins d’un an – ce qui


n’est pas fréquent en réalité.
La technique consistant à rédiger un certain volume de texte chaque
jour a été perfectionnée par Anthony Trollope, l’un des écrivains les
plus célèbres et les plus prolifiques du xixe siècle. Il commençait
chaque matin à 5 h 30 avec une tasse de café et une horloge devant
lui. Puis il rédigeait au moins 250 mots toutes les quinze minutes.
Un rythme qui, note-t-il dans son autobiographie, lui permettait
« de produire plus de dix pages d’un roman normal par jour, et qui,
conservé pendant dix mois, donnerait comme résultat trois romans de
trois volumes chacun dans l’année » (Trollope, 2008, p. 272). Et cela
se passait, notez-le bien, avant le petit déjeuner.
Les textes universitaires ou de non-fiction ne s’écrivent pas ainsi : à
l’écriture s’ajoutent la lecture, les études, la réflexion et le jeu avec
les idées. Ce qui prend presque toujours plus de temps que prévu. Si
l’on interroge des essayistes, auteurs universitaires, étudiants ou pro-
fesseurs sur le délai qu’ils pensent nécessaire pour achever un texte, ils
le sous-estiment systématiquement – même quand on les invite à se
situer dans le pire cas de figure et que les conditions réelles s’avèrent
finalement très favorables (Kahneman, 2016). Qui plus est, la moitié
des thèses de doctorat demeurent à jamais inachevées (Lonka, 2003,
p. 113). La rédaction d’essais académiques ou d’œuvres de non-fiction
n’est pas aussi prévisible que celle d’un roman de Trollope et le travail
nécessaire ne se prête assurément pas à un découpage du genre « une
page par jour ».
Il est logique de découper le travail en étapes gérables et mesurables,
mais le nombre de pages par jour n’est pas une unité commode
quand il faut aussi des lectures, des recherches et de la réflexion. Mais
même si la rédaction d’essais et d’ouvrages universitaires fait appel à
d’autres types de travaux que celle d’œuvres de fiction, la productivité
de Luhmann surpassait celle de Trollope en tenant compte de ses
articles en plus de ses livres. Luhmann a écrit cinquante-huit livres
et des centaines d’articles, tandis que Trollope a écrit quarante-sept

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Les six étapes d’une rédaction réussie

romans plus seize autres livres. Certes, Luhmann travaillait aussi après
le petit déjeuner, ce qui a pu jouer. Mais la raison principale est la
boîte à fiches, aussi comparable à la technique de Trollope qu’un pla-
cement à intérêts composés l’est à une tirelire. Trollope est comme
un épargnant diligent qui met quelques sous de côté chaque jour, ce
qui finit à la longue par faire une somme considérable. Trois dollars
économisés chaque jour (disons, la valeur d’un café) représentent le
budget nécessaire à de petites vacances (1 000 dollars) au bout d’un
an et à l’apport personnel pour acheter une résidence secondaire au
bout d’une carrière entière1. Ranger des notes dans la boîte à fiches,
en revanche, se compare à un investissement bénéficiant d’un intérêt
composé (qui dans cet exemple aboutirait presque au prix entier de
la résidence secondaire)2.
Et, corrélativement, le contenu de la boîte à fiches vaut au total
bien plus que la somme de ses notes. Plus de notes signifie plus de
connexions possibles, plus d’idées, plus de synergies entre différents
projets et donc un degré de productivité bien supérieur. La boîte à
fiches de Luhmann contient environ 90 000 notes, un nombre qui
paraît incroyablement élevé. Mais il ne représente que six notes rédi-
gées chaque jour entre le début de son travail avec la boîte à fiches et
son décès.
Si vous n’avez pas l’ambition de lui faire concurrence en termes de
nombre de livres par an, vous pourriez vous contenter de trois notes
par jour et composer quand même une masse d’idées significative
dans un délai très raisonnable. Et vous pourriez vous contenter de
moins d’un livre tous les douze mois. Contrairement à un nombre
de pages de manuscrit par jour, un nombre de notes par jour est un
but raisonnable pour l’écriture universitaire. En effet, établir une note
et la classer dans la boîte à fiches est faisable d’un même mouve-
ment, tandis que rédiger une page de manuscrit peut impliquer des

1. Environ 30 000 dollars, inflation déduite.


2. Environ 200 000 dollars si l’on prend les 7 %, inflation déduite, réalisés par le
S & P 500 dans le passé.

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Prendre des notes intelligentes

semaines et des mois de préparation comportant aussi d’autres tâches.


Vous pourriez donc mesurer votre productivité journalière d’après le
nombre de notes rédigées.

RÉFLÉCHIR HORS DE SON CERVEAU

Établir des fiches de lecture est une pratique délibérée qui apporte
un retour d’information sur ce qu’on comprend ou pas, tandis que
l’effort accompli pour formuler dans ses propres mots l’essentiel d’un
texte est le meilleur moyen pour le comprendre.

Noter en permanence ses propres pensées est aussi une forme d’auto-
test : restent-elles cohérentes une fois mises par écrit ? Est-on même
capable de les coucher sur le papier ? A-t-on les références, les faits et
les bonnes sources sous la main ? En même temps, écrire est le meil-
leur moyen pour mettre ses pensées en ordre. Écrire, là aussi, n’est pas
copier mais traduire (depuis un contexte et un support vers un autre).
Aucun écrit n’est jamais une copie d’une pensée.

Les notes permanentes sont une forme de réflexion par écrit et un


dialogue avec les notes déjà présentes dans la boîte à fiches bien plus
qu’un protocole d’idées préconçues. Toute pensée d’une certaine
complexité requiert une écriture. Une argumentation cohérente
exige un langage fixe, et seul ce qui est rédigé est assez fixe pour
être débattu indépendamment de l’auteur. Le cerveau seul recherche
trop les sentiments de satisfaction – fût-ce en ignorant poliment les
incohérences d’un raisonnement. Seule la forme écrite permet de
considérer une argumentation avec un peu de recul, littéralement.
Cette prise de distance est nécessaire à la réflexion – sans quoi l’argu-
mentation elle-même occupera les ressources mentales dont on aurait
besoin pour l’analyser.

Quand on rédige des notes en gardant l’œil sur celles qui existent
déjà, ce qu’on prend en compte va au-delà des informations déjà dis-
ponibles dans sa mémoire interne. C’est extrêmement important car

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Les six étapes d’une rédaction réussie

cette dernière retrouve les informations non d’une manière ration-


nelle ou logique mais selon des règles psychologiques. Et le cerveau
ne stocke pas les informations d’une manière objective ou neuronale.
On réinvente et l’on réécrit sa mémoire chaque fois qu’on en retire
des informations. Le cerveau fonctionne avec des règles empiriques et
fait en sorte que les choses aient l’air de coller, même s’il n’en est rien.
Il se souvient d’événements qui n’ont jamais eu lieu, rattache à des
récits convaincants des épisodes qui ne les concernent pas et complète
des images parcellaires. Il ne peut s’empêcher de voir des formes et du
sens partout, même dans les faits les plus aléatoires (Byrne, 2008). Le
cerveau, écrit Kahneman, est une « machine pour sauter aux conclu-
sions » (Kahneman, 2016). Ce qui n’en fait pas le genre de machine à
laquelle on ferait confiance en matière de faits et de rationalité – au
minimum, il est souhaitable de la contrebalancer. Luhmann le dit avec
la plus grande clarté : sans écriture, pas de réflexion systématique pos-
sible (Luhmann, 1992, p. 53). La plupart des gens considèrent néan-
moins la réflexion comme un processus purement interne et croient
qu’un crayon sert seulement à mettre sur le papier des pensées ache-
vées. Richard Feynman recevait un jour, dans son bureau, un histo-
rien désireux de l’interroger. Apercevant ses calepins, le visiteur dit
combien il était heureux de voir ces « merveilleux enregistrements
des réflexions de Feynman ».
« Non, non, protesta Feynman. Ce ne sont pas des enregistrements de
mon processus de réflexion. Ils sont mon processus de réflexion. En
réalité, j’ai fait le travail sur le papier.
— Eh bien, dit l’historien, le travail s’est fait dans votre tête, mais il est
tout de même enregistré là.
— Non, ce n’est pas un enregistrement, pas vraiment. C’est le tra-
vail. On doit travailler sur le papier, et voilà le papier » (Gleick, 1992,
p. 409).
De toute évidence, cette distinction était très importante pour
Feynman, bien plus qu’une simple différence linguistique – et pour
une bonne raison : elle fait toute la différence en matière de réflexion.

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Prendre des notes intelligentes

Philosophes, neuroscientifiques, éducateurs et psychologues adorent


se disputer à propos de nombreux aspects du fonctionnement du cer-
veau. Mais en ce qui concerne le besoin d’un échafaudage externe,
ils ont fini par tomber d’accord. Presque tous conviennent de nos
jours qu’une vraie réflexion requiert une forme ou une autre d’ex-
ternalisation, en particulier sous la forme de l’écriture. « Des notes sur
papier, ou sur écran d’ordinateur, […] ne rendent pas plus faciles la
physique contemporaine ou d’autres types d’aventures intellectuelles,
elles les rendent possibles », résume un manuel contemporain de neu-
rosciences (Levy, 2011, p. 290). En conclusion de son livre, Levy écrit :
« quoi qu’il en soit, indépendamment de la manière dont les processus
internes sont mis en œuvre, les penseurs qui s’intéressent authen-
tiquement à ce qui permet aux humains les exploits intellectuels
spectaculaires de la science et des autres domaines d’interrogation sys-
tématique, ainsi que ceux des arts, doivent comprendre à quel point
l’esprit s’appuie sur un échafaudage externe » (ibid.). Dans notre sys-
tème, on réalise l’échafaudage explicitement en reliant les pensées au
sein de la mémoire externe qu’est la boîte à fiches. « D’une manière
ou d’une autre, on doit marquer des différences, garder trace de dis-
tinctions, soit explicitement soit implicitement par des concepts »,
écrit Luhmann. En effet, pour que les connexions puissent fonction-
ner comme des modèles ou théories et apporter du sens et de la
continuité en vue de réflexions ultérieures, elles doivent être fixées de
manière externe par un moyen quelconque (Luhmann, 1992, p. 53).

Couramment, pour inscrire une idée dans le contexte de la boîte


à fiches, on indique par écrit en quoi elle est importante pour ses
propres axes de réflexion. Par exemple, j’ai récemment lu Scarcity:Why
Having Too Little Means So Much (2003). Mullainathan et Shafir y étu-
dient les effets cognitifs et les modifications des processus décisionnels
dus à l’expérience de la rareté. Ils aident le lecteur à comprendre
comment des gens presque privés de temps ou d’argent commettent
quelquefois des actes insensés aux yeux des observateurs extérieurs.
On en voit qui, à l’approche d’une date butoir, se dispersent avec fré-
nésie entre toutes sortes de tâches. On voit des personnes désargentées

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Les six étapes d’une rédaction réussie

se livrer à des achats apparemment somptuaires, par exemple des plats


préparés. De l’extérieur, on se dit qu’il serait plus raisonnable de faire
une seule chose à la fois, ou de cuisiner soi-même des aliments ache-
tés en vrac. Le livre est intéressant car, sans le contester rhétorique-
ment ni même moralement, les auteurs étudient ce comportement
comme un phénomène humain universel.
J’ai rédigé quelques fiches de lecture sur les raisons et les moyens de
comportements humains aussi différents en situation de rareté. Ce fut
la première étape, accomplie au vu de l’argumentation du livre. J’avais
en tête des questions comme : Est-ce convaincant ? Quelles sont leurs
méthodes ? Leurs références sont-elles familières ?
Mais la première question que je me suis posée au moment de rédi-
ger une première note permanente pour la boîte à fiches a été : Que
signifie tout ceci pour mes propres recherches et pour les questions
auxquelles je réfléchis dans ma boîte à fiches ? Ce qui est au fond une
autre manière de demander : Pourquoi les aspects sur lesquels j’ai écrit
retiennent-ils mon intérêt ?
Si j’étais psychologue, ce livre m’intéresserait pour des raisons entière-
ment différentes de celles d’un responsable politique ou d’un conseil-
ler financier, ou d’un lecteur intéressé à titre personnel. Moi-même, je
jette un regard de sociologue sur les questions politiques et mes tra-
vaux portent sur la théorie de la société, c’est pourquoi ma première
note dit tout simplement : « Toute analyse complète de l’inégalité
sociale doit inclure les effets cognitifs de la rareté. Cf. Mullainathan
et Shafir, 2013. » Cela soulève immédiatement des questions supplé-
mentaires, que je peux étudier dans les notes suivantes, en commen-
çant par : « Pourquoi ? »
Et voilà, j’ai déjà deux notes dans ma boîte à fiches ; elles reposent sur
des notes de lecture saisies tout en lisant le livre, mais sont rédigées
selon les axes de mes propres réflexions. L’une expose pourquoi le
livre est important pour mon raisonnement, l’autre explique mon
idée plus en détail. Ici, je peux exploiter mes fiches de lecture comme
une source de faits et d’idées utiles. Pourquoi la rareté concerne-t-elle

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Prendre des notes intelligentes

l’étude des inégalités sociales ? Les réponses se trouvent toutes dans


le livre, mais il ne suffit pas de les copier. Il faut les rendre explicites.
Et donc réfléchir à ce que les observations sur les effets cognitifs de la
rareté impliquent pour l’analyse de l’inégalité sociale.
Tandis que je rédige ces notes, il devient évident que la réponse à
mon « pourquoi » déclenche déjà des questions en cascade, telles que :
N’est-ce pas déjà étudié par les théories de l’inégalité sociale ? Si oui :
Qui l’a étudié ? Sinon : Pourquoi ? Et où aller chercher les réponses
à ces questions ? Bien entendu, le premier endroit où chercher est la
boîte à fiches. Peut-être contient-elle déjà quelque chose sur l’iné-
galité sociale qui m’aidera à répondre à ces questions, ou du moins à
savoir de quel côté me tourner.
En écumant la boîte à fiches, je découvrirai peut-être que ces idées
pourraient également alimenter un autre sujet auquel je n’ai pas
encore songé. Par exemple la question de la responsabilité person-
nelle, abordée à travers le cas de l’obésité et de l’influence des hor-
mones, en sous-produit d’un débat philosophique sur la libre volonté.
Rien de cela n’a besoin d’être discuté tout de suite, en particulier
parce que la plupart de ces idées réclameraient des recherches et des
lectures supplémentaires. Mais il n’y a pas non plus de raison de ne
pas noter ces connexions possibles et d’y revenir plus tard, si mes
recherches m’y renvoient. Plus la boîte à fiches contient de notes, plus
cette étape deviendra intéressante et prolifique, et plus elle suscitera
de sujets à étudier.
Le simple fait de mettre ces questions par écrit en indiquant des
connexions possibles revient à explorer les concepts et théories. Leurs
limites deviennent aussi visibles que leur angle particulier sur un pro-
blème. Expliciter en quoi une chose se rattache ou conduit à une
autre oblige à clarifier ses idées et à les distinguer les unes des autres.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

APPRENDRE EN N’ESSAYANT PAS


« La sélection est la quille même sur laquelle notre navire
mental est bâti. Et dans le cas de la mémoire, son utilité
est évidente. Si nous nous rappelions tout, nous devrions
dans la plupart des cas nous sentir aussi mal que si nous
ne nous rappelions rien. Il nous faudrait aussi longtemps
pour nous souvenir d’un espace temporel que le temps
originel n’en a mis à s’écouler, et nous n’avancerions jamais
dans nos réflexions. »

William James, 1890, p. 680

Nous avons vu dans la première étape que l’élaboration par rédaction


de fiches de lecture intelligentes accroît la probabilité de se souvenir
durablement de ce que nous lisons. Mais ce n’était que la première
étape. Transférer ces idées dans le réseau de nos pensées, le treillis de
nos théories, concepts et modèles mentaux au sein de la boîte à fiches,
porte nos réflexions au degré supérieur. À présent, nous élaborons
ces idées au sein de contextes différents et nous les relions à d’autres
idées de manière durable. Les fiches de lecture seront archivées, ce qui
signifie que les idées seraient perdues dans le système de référence si
nous n’en faisions pas quelque chose. C’est pourquoi nous les transfé-
rons dans notre mémoire externe, la boîte à fiches, avec laquelle nous
entretenons un dialogue permanent et où elles peuvent devenir une
partie de notre panoplie d’idées actives.

Transférer des idées dans la mémoire externe permet aussi de les oublier.
Et même si cela semble paradoxal, oublier facilite l’apprentissage à
long terme. Il est important de comprendre pourquoi car il y a encore
beaucoup d’étudiants qui n’osent pas utiliser une mémoire externe.
Ils craignent d’avoir à choisir entre mémoriser des choses dans leur
tête (en se passant donc de mémoire externe) et les mémoriser dans
la mémoire externe (où elles seraient oubliées de la mémoire interne).
On voit à l’évidence que ce choix n’en est pas un, c’est évident dès
qu’on comprend comment la mémoire fonctionne vraiment.

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Prendre des notes intelligentes

Pouvoir tout se rappeler sans avoir besoin d’aucune mémoire externe


paraît enviable a priori. Mais vous changeriez sans doute d’avis si
vous connaissiez l’histoire d’un homme qui était bel et bien capable
de mémoriser presque tout. Le journaliste Solomon Shereshevsky
(Lurija, 1987) est l’un des personnages les plus célèbres de l’histoire
de la psychologie. Quand son supérieur hiérarchique s’aperçut qu’il
ne prenait aucune note pendant les réunions, il douta de sa motiva-
tion professionnelle ; il n’allait pas tarder à douter de sa propre santé
mentale.
Il crut à de la paresse et en fit le reproche à Shereshevsky. Celui-ci se
mit à réciter jusqu’au moindre mot prononcé en réunion, et poursui-
vit son verbatim en remontant toutes leurs réunions précédentes. Ses
collègues furent étonnés, mais le plus étonné fut Shereshevsky lui-
même. Pour la première fois, il se rendit compte que tous les autres
paraissaient avoir presque tout oublié. Même ceux qui avaient pris des
notes étaient incapables de se rappeler ne fût-ce qu’une partie de ce
qui lui semblait normal.
Le psychologue Aleksandr Romanovich Luria lui fit passer tous les
tests imaginables sans trouver chez lui aucune des limites habituelles
de la mémoire humaine. Mais il devint clair que les avantages de son
hypermnésie avaient pour contrepartie un coût énorme : non seule-
ment Shereshevsky parvenait à mémoriser énormément, mais il avait
du mal à oublier quoi que ce soit. L’important disparaissait sous les
masses de détails inutiles qui lui venaient involontairement à l’esprit.
Il se souvenait très bien des faits mais était presque incapable d’aller
à l’essentiel, aux concepts dissimulés derrière les précisions, et de dis-
tinguer les broutilles des renseignements utiles. Il avait beaucoup de
mal à évoquer la littérature ou la poésie. Il était capable de répéter
un roman mot pour mot mais ne comprenait pas son message d’en-
semble. Pour la plupart d’entre nous, Roméo et Juliette est une histoire
d’amour tragique : pour lui, c’était « dans la belle Vérone, où nous
plaçons notre scène, l’antique haine de deux maisons égales en dignité
vient d’éclater par de nouveaux troubles, où le sang des citoyens a

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Les six étapes d’une rédaction réussie

souillé les mains des citoyens1 ». À l’évidence, du point de vue de la


réflexion et de l’écriture académiques, être capable de tout retenir est
moins un don qu’un sérieux handicap.
Peut-être sommes-nous tous aussi capables que Shereshevsky de
mémoriser à peu près tout et meilleurs seulement pour nous en débar-
rasser. La science de l’apprentissage ne s’est pas encore prononcée sur
ce point. Après tout, il nous arrive de nous rappeler soudain tous les
détails d’une scène passée sous l’effet d’un indice comme la saveur
d’une petite madeleine dans la Recherche de Proust. Ces moments de
souvenance involontaire pourraient être comme de petites fissures
dans une palissade mentale, qui nous laissent apercevoir tous les sou-
venirs collectés tout au long de notre vie mais auxquels nous n’aurons
sans doute jamais accès.
Oublier, alors, ne serait pas perdre un souvenir mais ériger cette palis-
sade mentale entre l’esprit conscient et la mémoire à long terme. Un
mécanisme que les psychologues appellent inhibition active (MacLeod,
2007). On comprend aisément son utilité : sans un filtre très rigou-
reux, notre cerveau serait constamment inondé de souvenirs et nous
ne pourrions pas nous concentrer sur quoi que ce soit. Tel était le
problème de Shereshevsky : un jour où il voulut acheter un cornet
de glace, un mot quelconque du vendeur déclencha en lui tant de
souvenirs et d’associations qu’il dut sortir de la boutique, épuisé par
l’expérience.
Nous sommes tributaires d’un mécanisme inconscient qui, en perma-
nence, inhibe sans faillir presque tous les souvenirs, hormis ceux, très
peu nombreux, qui sont vraiment utiles dans une situation donnée.
Il est hélas impossible de prélever consciemment ce dont nous avons
besoin dans notre mémoire comme nous le ferions dans un classeur
d’une salle d’archives. Cela supposerait que les souvenirs parmi lesquels
nous pouvons choisir se trouvent déjà dans notre esprit conscient, ce
qui doublonnerait le mécanisme du souvenir. Ce mécanisme sert à

1. Traduction de Didier Guizot, 1862.

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Prendre des notes intelligentes

ramener un souvenir dans notre esprit conscient. C’est pourquoi il


se pourrait que Shereshevsky n’ait pas été doté d’une capacité que la
plupart d’entre nous ne possèdent pas, mais dépourvu d’une capacité
que nous possédons tous : la capacité à oublier systématiquement – à
s’empêcher de retenir la plupart des informations insignifiantes.
Shereshevsky était quand même capable d’inhiber des informations,
mais de simples approximations peuvent déjà avoir des conséquences
graves. Trop souvent submergé de souvenirs, d’associations et d’expé-
riences synesthésiques, il avait du mal à conserver ses emplois et à pro-
fiter de beaucoup des plaisirs de la vie. Surtout, il se trouvait presque
incapable de penser en termes abstraits.
Robert et Elizabeth Ligon Bjork, de l’University of California, dis-
tinguent capacité de stockage et capacité d’extraction (Bjork, 2011).
D’après eux, malgré la sévère limitation de notre aptitude à récupérer
des informations, notre capacité de stockage, l’aptitude de notre cer-
veau à stocker des souvenirs, pourrait être virtuellement illimitée. Si
l’on examine sa capacité physique, on constate qu’il est probablement
possible d’y stocker plus d’une vie entière d’expériences détaillées
(Carey, 2014, p. 42).
Il est difficile, voire impossible, de vérifier cette hypothèse mais, au lieu
de se demander comment prévenir la disparition ou la dégradation
d’une information dans le temps, il serait légitime de se demander
plutôt comment la garder accessible. Le degré de son « accessibilité à
un moment donné » dépend du « degré d’intégration ou d’associa-
tion de cette représentation avec des représentations corrélatives dans
la mémoire » (Bjork, 2011, p. 2). Apprendre ne consisterait pas tant à
sauvegarder des informations, comme sur un disque dur, qu’à bâtir
des connexions et des ponts entre des informations afin de contour-
ner le mécanisme d’inhibition au bon moment. Il s’agit de s’assu-
rer que les bons « indices » déclenchent les bons souvenirs, de savoir
comment penser stratégiquement pour se souvenir des informations
les plus utiles quand on en a besoin.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

C’est loin d’être facile. Si l’on considère l’état actuel de l’éducation,


on voit en particulier que les stratégies d’apprentissage de la plu-
part des étudiants visent encore très majoritairement à prévenir la
perte des souvenirs, même si on ne peut probablement rien y faire.
Leur but reste la mémorisation de faits isolés plus que la création de
connexions. Les psychologues de l’apprentissage parlent péjorative-
ment de « bachotage » (cramming) pour désigner une tentative visant à
renforcer et solidifier des informations à l’intérieur du cerveau par la
répétition. Autrement dit, à marteler les faits dans le cerveau comme
on aurait gravé une tablette de pierre dans l’Antiquité. Des expressions
ronflantes comme « renforcer les connexions entre les neurones » ne
changent rien à la futilité de la tentative.
Si l’on se demande plutôt comment contourner le mécanisme d’in-
hibition, on commence aussitôt à réfléchir stratégiquement au genre
d’indice qui devrait déclencher la récupération d’un souvenir et à la
manière d’accroître les connexions entre informations. Il n’existe pas
d’indices naturels : toute information peut en déclencher une autre.
Il peut s’agir d’associations comme le goût d’un bonbon, de même
que la madeleine éveillait chez Proust des souvenirs d’enfance, mais
une telle réminiscence est appelée « mémoire involontaire » car on ne
peut la rappeler à volonté. Il y a aussi les indices accidentels attachés
à des informations apprises dans un contexte particulier. Par exemple,
on se souvient plus facilement d’une chose apprise à l’école si l’on
est interrogé dans la même pièce avec le même bruit de fond (Bjork,
2011, p. 14). De même, il est parfois difficile de retrouver un souvenir
scolaire si l’on n’est pas assis dans la salle de classe où on l’a acquis.
Évidemment, on ne peut se fier seulement à des indices contextuels.
Ce serait non seulement malcommode mais hautement trompeur : à
se tester répétitivement dans le contexte et le cadre où l’on l’a apprise,
on pourrait croire avoir réussi à retenir une chose, mais on aurait tort
car on ne pourrait faire la part des indices contextuels, qui seront
probablement absents quand on cherchera à en retrouver le souvenir.

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Prendre des notes intelligentes

Ce qui facilite le véritable apprentissage utile est de relier toute infor-


mation à autant de contextes significatifs que possible, ainsi qu’on le
fait en connectant ses notes à d’autres au sein de la boîte à fiches.
Établir délibérément ces connexions revient à constituer un réseau
auto-alimenté d’idées et de faits interconnectés fonctionnant récipro-
quement comme des indices les uns pour les autres.
La confusion entre apprentissage et bachotage reste largement ins-
crite dans notre culture pédagogique. Quand Hermann Ebbinghaus,
parrain de la théorie de l’apprentissage, a voulu comprendre les bases
et mesurer les progrès de l’apprentissage, il a délibérément utilisé des
parcelles d’information telles que des combinaisons aléatoires de
lettres, en veillant à ce qu’elles n’aient pas de signification accidentelle.
Celle-ci, pensait-il, aurait dérangé le processus d’apprentissage effec-
tif. Mais, sans s’en rendre compte, il privait ainsi le processus d’ap-
prentissage de ce qui est son essence même : établir des connexions
significatives.
Du point de vue de l’évolution, il est logique que notre cerveau
éprouve une préférence innée pour l’apprentissage d’informations
significatives et qu’il méprise les combinaisons de lettres dépourvues
de sens. Mais Ebbinghaus a posé les bases d’un courant ancien et
influent de théories pédagogiques qui séparent compréhension et
apprentissage.
Ce courant peut expliquer la fascination qu’inspirent les champions
de la mémoire. Une personne normale se souvient durablement de
milliers de mots, de faits, de sujets, de noms de personnages célèbres,
d’amis, de parents et de collègues, et cela n’a rien d’intéressant. Mais
on est fasciné par celle qui retient presque instantanément une série
de vingt ou trente parcelles d’information sans signification appa-
rente, et l’on se souvient du mal qu’on s’est donné à l’école.
Le truc, bien entendu, est de ne pas apprendre selon l’idée d’Ebbing-
haus, en se martelant les informations dans la tête. En fait, les cham-
pions de la mémoire attachent des significations aux informations et
les raccordent d’une manière significative à des réseaux de connexion

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Les six étapes d’une rédaction réussie

déjà connus. Une information devenant un indice pour une autre,


on peut construire des chaînes ou des réseaux d’indices. De telles
techniques de mémorisation sont excellentes pour retenir des infor-
mations dépourvues de signification intrinsèque ou de connexion
logique ou sémantique avec d’autres choses qu’on connaît déjà. Mais
à quoi bon apprendre ce genre de choses – si ce n’est pour faire car-
rière comme champion de la mémoire ?
Les techniques de mémorisation sont un remède pour une situation
plutôt artificielle. Elles n’ont pas d’utilité pour les écrits universi-
taires, qui permettent de bâtir et de réfléchir exclusivement au sein
de contextes significatifs. Des informations abstraites comme les réfé-
rences bibliographiques peuvent être stockées en externe – il n’y a
pas d’avantage à les connaître par cœur. Tout le reste devrait avoir une
signification.
Le défi de l’écriture, comme de l’apprentissage, n’est donc pas tant
d’apprendre que de comprendre, car ce qu’on comprend, on l’aura
déjà appris. Le problème est que la signification d’une chose n’est pas
toujours évidente : il faut l’explorer. C’est pourquoi on doit élaborer
à partir d’elle. Ce qui ne signifie rien de plus que de relier des infor-
mations à d’autres informations de manière significative. La première
étape consiste à réfléchir à l’information assez pour pouvoir écrire
à son sujet. La seconde étape, à réfléchir à ce qu’elle signifie pour
d’autres contextes.
Ce n’est pas très différent de l’élaboration conseillée comme méthode
d’apprentissage. À ce titre, elle s’est avérée plus fructueuse que toute
autre (McDaniel et Donnelly, 1996). L’idée n’est pas nouvelle. Au vu
de différentes études conduites entre les années 1960 et le début des
années 1980, Barry S. Stein et al. résument : « Les résultats de plusieurs
travaux récents soutiennent l’hypothèse selon laquelle la mémorisa-
tion est facilitée par des conditions d’acquisition conduisant les gens
à approfondir l’information d’une manière qui accroît le caractère
distinctif de leurs représentations mémorielles » (Stein et al., 1984,
p. 522).

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Prendre des notes intelligentes

Stein et al. illustrent ce constat élémentaire avec l’exemple d’un


novice en biologie qui apprend la différence entre veines et artères :
« Au début, il peut avoir des difficultés à comprendre et retenir que
les artères ont des parois épaisses, sont élastiques et n’ont pas de valves,
alors que les veines sont moins élastiques, ont des parois plus fines
et ont des valves » (ibid.). Mais en réfléchissant un peu plus à cette
différence et en posant les bonnes questions, comme « pourquoi ? »,
les élèves peuvent relier cette connaissance à ce qu’ils savent déjà, par
exemple à propos de la pression artérielle et de la fonction du cœur.
Un simple rapprochement avec un savoir banal (le cœur envoie le sang
dans les artères) leur indique aussitôt que les parois qui supportent
plus de pression doivent être plus épaisses que celles des veines, dans
lesquelles le sang revient vers le cœur avec moins de pression. Et, bien
entendu, cela rend les valves indispensables pour éviter que le sang
ne reflue. Dès lors qu’ils ont compris cela, les attributs et les diffé-
rences sont presque indissociables de ce qu’ils savent des veines et des
artères. Bien acquises, c’est-à-dire comprises, c’est-à-dire reliées de
façon significative à des savoirs antérieurs, ces informations ne sont
presque plus oubliées et seront récupérées de façon fiable à partir des
bons indices. De plus, cette connaissance nouvellement acquise peut
apporter davantage de connexions possibles avec de nouvelles infor-
mations. Si vous consacrez votre temps et votre énergie à apprendre
sans essayer de comprendre, non seulement vous ne comprendrez pas,
mais probablement vous n’apprendrez pas non plus. Et les effets sont
cumulatifs.

Ce n’est pas un hasard si les meilleurs savants sont souvent de très bons
professeurs. Pour quelqu’un comme Richard Feynman, comprendre
était tout, dans la recherche comme dans l’enseignement. Les célèbres
diagrammes de Feynman sont avant tout des outils facilitant la com-
préhension et ses cours sont renommés car ils aident les étudiants à
comprendre vraiment la physique. Il n’est donc pas surprenant qu’il
ait vivement contesté les méthodes d’éducation traditionnelles. Il ne
supportait pas les manuels pleins de pseudo-explications (Feynman,
1985) et les enseignants qui tentaient de rendre l’apprentissage plus

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Les six étapes d’une rédaction réussie

facile pour les étudiants à l’aide d’exemples artificiels « tirés de la vraie


vie » au lieu d’utiliser comme points de connexion ce qu’ils avaient
déjà compris (Feynman, 1963).
Rédiger des notes et les ranger dans la boîte à fiches, c’est tout simple-
ment essayer de comprendre ce qu’une chose signifie plus largement.
La boîte à fiches oblige à se poser de nombreuses questions pour aller
plus loin. Que signifie ceci ? Comment le relier à… ? Quelle est la
différence entre… ? À quoi cela ressemble-t-il ? L’instauration active
de connexions entre les notes suppose que la boîte à fiches ne soit pas
triée par sujets. On peut établir des connexions entre des notes hété-
rogènes pour autant qu’elles obéissent à une logique. C’est le meilleur
antidote à la manière handicapante dont la plupart de nos institutions
d’enseignement dispensent la plupart des informations. Le plus sou-
vent, les notes se présentent sous forme modulaire, classées par sujet,
séparées par disciplines et plus généralement isolées des autres infor-
mations. La boîte à fiches oblige à faire l’exact inverse. À approfondir,
à comprendre, à connecter et donc à apprendre sérieusement.
On sait de mieux en mieux qu’un excès d’ordre peut entraver l’ap-
prentissage (Carey, 2014). Inversement, on sait qu’il est possible de
faciliter l’apprentissage en suscitant délibérément des variations et
des contrastes. Kornell et Bjork l’ont montré avec une expérience
d’initiation d’étudiants à différentes écoles artistiques. Ils employèrent
d’abord l’approche traditionnelle en présentant aux étudiants une
seule école à la fois à travers différents tableaux. Puis, ils mélangèrent
délibérément les écoles et les tableaux. Confrontés à des peintures
d’écoles différentes sans ordre particulier, les étudiants apprirent plus
vite à distinguer les écoles et réussirent mieux à attribuer des œuvres à
des écoles et à des artistes qu’ils n’avaient jamais vus auparavant. Cela
montre qu’approfondir les différences et les ressemblances des notes
au lieu de les trier par sujet facilite non seulement l’apprentissage,
mais aussi l’aptitude à trier et à créer des classifications raisonnées !

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Prendre des notes intelligentes

AJOUTER DES NOTES PERMANENTES


À LA BOÎTE À FICHES

Une fois les notes permanentes rédigées, l’étape suivante consiste à les
ajouter à la boîte à fiches.
1. Déposez une note dans la boîte à fiches soit derrière la note à
laquelle vous vous référez directement soit, si vous ne faites pas
suite à une note particulière, juste après la dernière note de la boîte
à fiches. Numérotez-la consécutivement, en créant une subdivision
si nécessaire. Avec un système numérique, il est toujours possible
d’ajouter des notes « derrière » d’autres notes à n’importe quel
moment puisque chaque note fait suite à de multiples autres notes
et s’inscrit donc dans différentes séquences de notes.
2. Ajoutez à votre nouvelle note des liens vers d’autres notes ou
depuis d’autres notes.
3. Veillez à ce qu’on puisse la trouver dans l’index ; ajoutez une
entrée d’index si nécessaire, ou faites-y référence à partir d’une
note connectée à l’index.
4. Construisez un treillis d’idées, de faits et de modèles mentaux
généralisés.

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Chapitre 12

DÉVELOPPER DES IDÉES

« Chaque note n’est qu’un élément du réseau de références


et de rétro-références au sein du système, dont il tient sa
qualité. »
Luhmann, 1992

Dans l’idéal, les nouvelles notes font explicitement référence à des


notes existantes. Ce n’est pas toujours possible, évidemment, surtout
quand la boîte à fiches n’en est qu’à ses débuts, mais cela devien-
dra vite le choix privilégié dans la plupart des cas. La nouvelle note
peut alors être placée immédiatement « derrière » une note existante
à laquelle elle est reliée. Luhmann, qui travaillait avec du papier et un
crayon, l’aurait glissée derrière une note existante et l’aurait numé-
rotée en conséquence. Si la note existante portait le numéro 21, il
aurait attribué à la nouvelle note le numéro 22. S’il existait déjà une
note 22, il aurait quand même placé la nouvelle note derrière la 21
mais en la numérotant 21a. En alternant nombres et lettres, il par-
venait à bifurquer vers un nombre infini de séquences et de sous-
séquences internes sans ordre hiérarchique.
À la longue, une sous-séquence qui attire de plus en plus de notes
de suivi peut aisément devenir un sujet principal avec de nombreux
sous-sujets (Schmidt, 2013, p. 172). Un Zettelkasten numérique facilite

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Les six étapes d’une rédaction réussie

le travail : des numéros ou des rétroliens, selon les logiciels, sont attri-
bués automatiquement, des séquences de notes peuvent être consti-
tuées à tout moment par la suite et une note peut devenir la note de
suivi de plusieurs notes différentes en même temps.
Ces séquences de notes sont la colonne vertébrale de la création de
textes. Elles associent les avantages d’un ordre abstrait et ceux d’un
ordre thématique. Un ordre purement thématique serait organisé du
haut vers le bas, réclamant ainsi un ordre hiérarchique dès le départ.
Un ordre purement abstrait ne permettrait pas de construire des sujets
et des groupes d’idées à partir du bas. Les notes individuelles reste-
raient pour l’essentiel indépendantes et isolées, avec seulement des
références unidimensionnelles – comme une sorte de Wikipédia indi-
viduel qui n’aurait pas les connaissances et les capacités de vérification
des faits d’une communauté.
Un ordre de séquences lâche laisse la liberté de changer de trajet au
besoin et fournit une structure suffisante pour gérer la complexité.
Les notes ne valent que ce que valent les réseaux de notes et de réfé-
rences auxquels elles sont intégrées.
La boîte à fiches ne prétend pas être une encyclopédie mais un outil
avec lequel penser. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter de sa complé-
tude. Il est inutile d’écrire quoi que ce soit dans le seul but de combler
un trou dans une séquence de notes. Il suffit d’écrire ce qu’on trouve
utile à sa réflexion. Les seuls trous dont il faut s’inquiéter sont ceux
de l’argumentation dans le manuscrit final – mais ils ne deviendront
évidents qu’à l’étape suivante, quand on sortira du réseau de la boîte
à fiches des notes pouvant servir à une argumentation, et qu’on les
classera en ordre linéaire pour composer un premier brouillon.
La boîte à fiches n’est pas un livre consacré à un sujet unique ; il est
donc inutile d’en établir une synthèse.Au contraire, on s’en sort mieux
en admettant le plus tôt possible qu’une telle synthèse est aussi impos-
sible que de synthétiser ses propres réflexions pendant qu’on réfléchit.
Extension de la mémoire, la boîte à fiches est le médium dans lequel
on réfléchit et non un objet à quoi on réfléchit. Les séquences de notes

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Développer des idées

sont des groupements où l’ordre émerge de la complexité. Extraites


de différentes sources linéaires, les informations y sont mélangées et
secouées jusqu’à ce que de nouvelles configurations apparaissent. Puis,
de ces configurations, on tire de nouveaux textes linéaires.

DÉVELOPPER DES SUJETS

Une fois qu’on a ajouté une note à la boîte à fiches, reste à s’assurer
qu’on pourra la retrouver. C’est le rôle de l’index. Luhmann rédi-
geait un index dactylographié sur des fiches d’index. Dans un système
numérique, il est facile d’ajouter aux notes des mots-clés qui apparaî-
tront ensuite sur l’index comme autant d’étiquettes. Ils doivent être
choisis avec soin et parcimonie. À côté des mots-clés de son index,
Luhmann indiquait le numéro d’une note ou deux, rarement plus
(Schmidt, 2013, p. 171). Cette parcimonie, qui doit aussi nous inciter
à une grande sélectivité, s’explique par sa manière d’utiliser la boîte
à fiches. Elle ne doit pas être une archive, où l’on n’irait chercher
que ce qu’on y a mis, mais un système avec lequel réfléchir, dans
lequel les références de note à note ont bien plus d’importance que
les références de l’index à telle ou telle note. Tout miser sur l’index
signifierait en somme qu’on sait d’emblée ce qu’on cherche – ce qui
supposerait d’avoir en tête un plan entièrement développé. Or la boîte
à fiches sert d’abord et avant tout à libérer le cerveau du travail d’or-
ganisation des notes.

La boîte à fiches peut faire bien davantage que de fournir ce qu’on lui
demande. Elle peut surprendre son utilisateur, lui rappeler des idées
oubliées depuis longtemps et en déclencher de nouvelles. Crucial, cet
élément de surprise entre en jeu au niveau des notes interconnec-
tées et non au vu d’une entrée d’index quelconque. La plupart des
notes sont trouvées via d’autres notes. Leur organisation réside dans
le réseau de références de la boîte à fiches, l’index ne servant qu’à
fournir des points d’entrée. Quelques notes bien choisies suffisent
pour chaque point d’entrée. Plus vite on passe de l’index aux notes

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Les six étapes d’une rédaction réussie

concrètes, plus vite on déplace son attention des idées mentalement


préconçues vers le niveau riche en faits des contenus interconnectés,
où l’on peut conduire un dialogue factuel avec la boîte à fiches.

Malgré l’absence d’une synthèse de toute sa boîte à fiches (car on


n’aura certainement jamais une synthèse de toute sa mémoire
interne), il est possible d’obtenir une synthèse d’un sujet spécifique.
Cependant, comme la structure des sujets et sous-sujets n’est pas don-
née mais résulte de nos réflexions, elle aussi est soumise en perma-
nence à des réexamens et des altérations. Le réexamen de la manière
d’organiser un sujet fait donc aussi partie des notes – et pas à un
niveau méta-hiérarchique. On peut effectuer soi-même une synthèse
(à validité temporaire) d’un sujet ou d’un sous-sujet simplement en
rédigeant une autre note. Il suffit ensuite d’établir un lien de l’index
à cette note pour disposer d’un bon point d’entrée. Si cette note de
synthèse cesse de bien représenter l’état d’un groupe ou d’un sujet,
ou si l’on décide de l’organiser différemment, il suffit de rédiger une
nouvelle note mieux structurée et de mettre à jour le lien correspon-
dant de l’index. Le point est important : tout réexamen de la structure
d’un sujet n’est qu’un réexamen parmi d’autres d’une note destinée à
évoluer et tributaire des progrès de la pensée de son auteur.

La manière dont les gens choisissent leurs mots-clés montre claire-


ment s’ils raisonnent en archivistes ou en écrivains. Se demandent-
ils où stocker une note ou bien comment la récupérer ? L’archiviste
demande : « Quel est le mot-clé qui convient le mieux ? » L’écrivain
demande : « Dans quelles circonstances voudrai-je tomber sur cette
note, même si je l’oublie ? » C’est une différence cruciale.

Supposons que je désire ajouter cette note brève : « Tversky/


Kahneman (1973) ont montré dans une expérience que les gens ont
davantage tendance à surestimer la probabilité d’un événement s’ils
sont capables de le concevoir bien et en détail que s’il est abstrait. »
Pensant en termes d’archivage, vous pourriez envisager des mots-clés
comme « erreurs d’appréciation », « psychologie expérimentale » ou
« expérimentation ».Vous raisonneriez en catégories générales comme

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Développer des idées

« sujet », « discipline » ou « méthode ». Il est très improbable que vous


vienne l’idée d’écrire un article reposant sur toutes les notes de « psy-
chologie expérimentale » ou que vous ayez besoin de retrouver toutes
les notes classées sous « expérimentation ». Peut-être songerez-vous
à un livre réunissant des « erreurs d’appréciation », mais vous auriez
peu de chances de parvenir à transformer ces piles de notes en une
argumentation structurée.

L’écrivain aborde différemment la question des mots-clés. Il recherche


dans sa boîte à fiches des axes de réflexion déjà présents, il réfléchit
aux questions et problèmes qu’il a déjà à l’esprit et qu’une nouvelle
note devrait alimenter.

Un économiste spécialiste de la prise de décision pensera peut-être


à la préférence souvent manifestée par les dirigeants pour les projets
dont le résultat est facile à visualiser, au détriment des plus rentables.
« Problèmes d’allocation de capitaux » pourrait alors être un mot-clé
approprié. En lui attribuant ce mot-clé seul, on place déjà la note dans
un certain contexte qui lui donne une signification particulière et sus-
cite des questions spécifiques telles que : Si cet effet est systématique,
est-il mesurable ? Quelqu’un l’a-t-il déjà mesuré ? Est-il visible dans
les données disponibles comme la capitalisation des sociétés cotées
en bourse et, si c’est le cas, les sociétés dont les produits sont faciles
à visualiser sont-elles mieux capitalisées que celles qui proposent des
services ou des produits difficiles à cerner ? Et dans le cas contraire :
Est-ce parce que les constats expérimentaux ne peuvent être extrapo-
lés ou parce que le fait est déjà publiquement connu et donc intégré
dans le cours ? Sinon, est-ce un argument supplémentaire contre l’hy-
pothèse du marché efficient ou bien est-ce juste un bon moyen pour
mettre les chances de son côté à la bourse ?

En attribuant ce mot-clé, on tombera peut-être sur des notes déjà rédi-


gées à propos de l’allocation des capitaux, qui aideraient à répondre
à ces questions ou en soulèveraient de nouvelles. Mais si vous êtes
politologue, vous lisez peut-être cette note en cherchant à savoir
pourquoi certains sujets sont débattus lors d’une élection et d’autres

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Les six étapes d’une rédaction réussie

pas, ou pourquoi il pourrait être politiquement plus raisonnable de


mettre en avant des solutions faciles à visualiser plutôt que des solu-
tions qui fonctionnent vraiment. Les mots-clés appropriés pourraient
être cette fois « stratégies politiques », « élections » ou « dysfonction-
nalités, politique ».
On devrait toujours attribuer les mots-clés en fonction des sujets sur
lesquels on travaille ou par lesquels on est intéressé, jamais en considé-
rant une note isolément. C’est pour cela que ce processus ne peut être
automatisé ni délégué à une machine ou un logiciel : il réclame de la
réflexion. Le logiciel ZKN3, par exemple, fait des suggestions repo-
sant sur les mots-clés existants et recherche des mots-clés dans le texte
qu’on vient d’écrire. Mais il est raisonnable de considérer ces sugges-
tions comme des avertissements plutôt que comme des invitations :
ce sont les idées les plus évidentes et probablement pas les meilleures.
Les bons mots-clés ne sont généralement pas présents dans la note en
tant que mots. Supposons une note intitulée « Un soudain afflux de
théories ad hoc est selon Kuhn un signe probable de crise dans une
phase de science normale (Kuhn, 1967, p. 96) ». « Changement de
paradigme » pourrait être un mot-clé approprié, mais cette expression
ne figure pas dans la note et ne sera donc pas proposée par un logiciel
ni trouvée par une recherche sur le texte entier.
Choisir des mots-clés est bien plus qu’un acte bureaucratique. C’est
une partie cruciale du processus de réflexion, qui mène souvent à
enrichir la note elle-même et sa connexion à d’autres notes.

ÉTABLIR DES CONNEXIONS INTELLIGENTES


Dans les versions numériques du Zettelkasten, créer des liens est on
ne peut plus simple. Même si le logiciel peut faire des suggestions,
fondées par exemple sur des références bibliographiques communes,
établir de bonnes références croisées mérite une sérieuse réflexion.
C’est une partie cruciale du développement des pensées.

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Développer des idées

Luhmann utilisait quatre types élémentaires de références croisées


(Schmidt, 2013, p. 173 et s. ; Schmidt, 2015, p. 165-166). Seuls le pre-
mier et le dernier sont pertinents pour les versions numériques de la
boîte à fiches ; les deux autres ne font que compenser les limites de
la version papier-crayon analogique. Si l’on utilise un logiciel, il est
inutile d’en tenir compte.
1. Les liens du premier type sont ceux portés sur des notes présen-
tant la synthèse d’un sujet. Ces notes sont directement signalées
par l’index et servent en général de point d’entrée vers un sujet
déjà développé à tel point qu’une synthèse est sinon nécessaire,
du moins utile. Dans une note de ce genre, on peut réunir des
liens vers d’autres notes concernant le sujet ou la question, avec de
préférence une brève indication de ce qui s’y trouve (un ou deux
mots suffisent, ou une courte phrase). Les notes de ce type aident à
organiser les pensées et peuvent être considérées comme une étape
intermédiaire vers la rédaction d’un manuscrit. Par-dessus tout,
elles aident à s’orienter dans la boîte à fiches. Il y a lieu d’en rédiger
une quand on en ressent le besoin. Sur ce genre de notes d’entrée,
Luhmann réunissait jusqu’à vingt-cinq liens vers d’autres notes. Il
n’est pas nécessaire de les inscrire tous en une seule fois puisqu’il
est possible d’en ajouter par la suite : on constate une fois de plus la
croissance organique des sujets. Ce qu’on pense pertinent ou non
pour un sujet dépend de la perception qu’on en a présentement
et doit être pris très au sérieux : cela définit une idée autant que
les faits sur lesquels elle repose. Ce qu’on considère comme per-
tinent pour un sujet et la manière dont on le structure évoluera
dans le temps. Cette évolution peut mener à une autre note avec
une structure du sujet plus adéquate, qu’on peut alors considérer
comme un commentaire sur la note précédente. Heureusement,
elle ne rendra pas inutiles toutes les autres notes. Comme indiqué
plus haut, il suffit de rediriger l’entrée d’index vers cette nouvelle
note et/ou d’indiquer sur l’ancienne note qu’on a opté pour une
nouvelle structure plus adaptée.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

2. Comparables mais moins cruciaux sont les liens réunis sur les notes
donnant une synthèse d’une grappe locale, physique, de la boîte à
fiches. Ils ne sont nécessaires que si l’on travaille avec du papier et
un crayon, comme le faisait Luhmann. Alors que le premier type de
notes fournit une synthèse d’un sujet, quel que soit l’emplacement
des notes dans la boîte à fiches, le second est un moyen pragma-
tique pour garder trace des différents sujets étudiés dans les notes
matériellement proches les unes des autres. Comme Luhmann
insérait des notes parmi d’autres pour bifurquer en interne vers
des sous-sujets et sous-sous-sujets, ses axes de réflexion originels
se trouvaient souvent interrompus par des centaines de notes dif-
férentes. Ce second type de notes garde trace des axes de réflexion
originels. Évidemment, il n’est pas nécessaire de s’en soucier si l’on
travaille avec la version numérique.
3. Également moins pertinents pour la version numérique sont
les liens qui indiquent à quelle note la note en cours fait suite et
ceux qui indiquent quelle note vient après elle. Là encore, cela sert
seulement à montrer la succession des notes, même si matérielle-
ment elles ne sont plus situées les unes derrière les autres.
4. La forme de référence la plus courante est le simple lien
de note à note. Il n’a pas d’autre fonction que d’indiquer une
connexion pertinente entre deux notes distinctes. En les reliant
indépendamment de l’endroit où elles se trouvent dans la boîte à
fiches ou dans différents contextes, on peut établir de nouveaux
axes de réflexion surprenants. Ces liens de notes à note sont comme
les « liens faibles » (Granovetter, 1973) des relations sociales qu’on
entretient avec ses connaissances : bien qu’elles ne soient pas d’ha-
bitude les personnes vers lesquelles on se tourne en premier, elles
peuvent souvent apporter des points de vue nouveaux et différents.
Ces liens peuvent aider à trouver des connexions et des ressemblances
surprenantes entre des sujets qu’on aurait dits indépendants. Pas for-
cément visibles dans l’instant, elles se révèlent éventuellement après
création de multiples liens de note à note entre sujets. Ce n’est pas

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Développer des idées

une coïncidence si l’un des principaux aspects de la théorie des sys-


tèmes sociaux de Luhmann est la découverte de constantes structu-
relles dans des parties très différentes de la société. Il a montré, par
exemple, que des choses extrêmement différentes, comme l’argent,
le pouvoir, l’amour, la vérité et la justice, peuvent apparaître comme
des inventions sociales résolvant des problèmes structurellement simi-
laires : elles peuvent être considérées comme autant de médias qui
rendent plus probable l’acceptation de certaines offres de communi-
cation (Luhmann, 2021, chap. 9-12). De telles observations n’auraient
pu être faites ni expliquées avec un système pratiquant des séparations
nettes et prédéfinies entre sujets et thèmes.
Il est important de toujours garder à l’esprit que créer ces liens n’est
pas une corvée, une maintenance de la boîte à fiches. Rechercher
des connexions significatives est une partie cruciale du processus de
réflexion qui conduira au manuscrit achevé. Un processus abordé
ici de manière très concrète. Au lieu d’explorer figurativement sa
mémoire interne, on parcourt littéralement la boîte à fiches et l’on y
recherche des connexions. Face à des notes réelles, on est aussi moins
tenté d’imaginer des connexions là où il n’y en a pas, car on voit noir
sur blanc ce qui se justifie ou pas.
En établissant ces connexions, on bâtit la structure interne de la boîte
à fiches : sa forme naît de ce qu’on pense. Bâtie à l’extérieur et indé-
pendamment d’une mémoire humaine limitée, cette structure, réci-
proquement, façonne aussi les réflexions et aide à penser de manière
plus organisée. Les idées prendront racine dans un réseau de faits,
de raisonnements et de références vérifiables. La boîte à fiches est
comme un interlocuteur à l’esprit pratique qui oblige à garder les
pieds sur terre. Si l’on tente de lui faire avaler de grandes idées, elle
oblige à les vérifier d’abord : Quelle est la référence ? Quel rapport
avec les faits et idées dont on dispose déjà ?

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Les six étapes d’une rédaction réussie

COMPARER, CORRIGER, CONTRASTER

Au bout d’un certain temps intervient inévitablement un constat qui


donne à réfléchir : la grande idée nouvelle qu’on s’apprête à déposer
dans la boîte à fiches s’y trouve déjà. Pire encore, il y a des chances
pour qu’elle vienne de quelqu’un d’autre. Avoir la même idée deux
fois ou prendre pour sienne l’idée d’un autre n’a rien exceptionnel.
Malheureusement, cette triste vérité reste inaperçue de la plupart des
gens faute d’un système qui les confronterait aux idées déjà nées.
Avoir de nouveau une idée oubliée excite le cerveau autant que si
c’était la première fois. Ainsi, travailler avec la boîte à fiches est source
de désillusions, mais accroît en même temps ses chances de progresser
vraiment en direction de territoires non balisés au lieu d’avoir juste
l’impression d’avancer.
Parfois, être confronté à des notes anciennes aide à détecter des diffé-
rences qu’on n’aurait pas remarquées sans cela. Deux idées qui sem-
blaient identiques révèlent parfois une différence légère mais capitale,
qu’on peut alors étudier explicitement dans une autre note. Le cas se
présente en particulier quand deux auteurs utilisent le même concept
de manière un peu différente. Clarifier les différences dans l’emploi
des mots et des concepts est en tout état de cause une partie impor-
tante du moindre travail académique sérieux – mais c’est bien plus
facile avec une partenaire aussi pointilleuse que la boîte à fiches. Si
l’on n’avait que des citations ou des notes conservées séparément, il
faudrait les garder toutes à l’esprit en même temps pour que les dif-
férences deviennent évidentes. Il est plus facile de détecter des écarts
ténus mais cruciaux quand on a littéralement ses notes sous les yeux
et qu’on les compare tout en essayant de les relier. Le cerveau s’en-
tend très bien à établir des associations et à détecter des tendances et
des similarités entre des choses différentes à première vue. Il est très
bon aussi pour repérer des différences entre des choses similaires à
première vue, sous réserve qu’elles lui soient présentées de manière
externe et objective. Il est bien plus facile de voir des différences et des
ressemblances que de les détecter par un simple raisonnement.

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Développer des idées

Comparer des notes aide aussi à détecter des contradictions, paradoxes


ou oppositions – importantes facilitatrices d’idées. Quand on s’aper-
çoit qu’on acceptait comme également vraies deux idées contradic-
toires, on sait qu’on a un problème – et c’est très bien car on a alors
quelque chose à résoudre. Un paradoxe peut être le signe qu’on n’a
pas assez complètement réfléchi à un problème, ou inversement qu’on
a épuisé les possibilités d’un paradigme donné. Enfin, les oppositions
aident à moduler les idées en apportant un contraste. D’après Albert
Rothenberg, construire des oppositions est le moyen le plus sûr pour
engendrer de nouvelles idées (Rothenberg, 1971 ; 1996 ; 2015).
Comparer des notes en permanence sert aussi à examiner les anciennes
notes sous un nouveau jour. Je suis surpris de la fréquence avec laquelle
l’ajout d’une note amène à corriger, compléter ou améliorer une
ancienne idée. Quelquefois, on s’aperçoit que la source mentionnée
dans un texte n’est pas la bonne. Ou encore que deux interprétations
d’une étude se contredisent, et l’on comprend alors qu’elle est si vague
que toutes deux peuvent la revendiquer comme preuve. Ou bien, on
constate que deux études sans rapport l’une avec l’autre démontrent
le même point, ce qui n’est pas une correction mais l’indication qu’on
a mis le doigt sur quelque chose. Ajouter de nouvelles notes aux
anciennes oblige à les comparer, ce qui non seulement entraîne une
amélioration constante de son travail, mais révèle souvent des faiblesses
dans les textes lus. On doit les compenser par une lecture extra-cri-
tique, en ne tirant d’informations des textes qu’avec précaution et en
vérifiant toujours la source première des allégations1.
La boîte à fiches n’oblige pas seulement à voir les informations dis-
cordantes : elle est utile aussi par rapport à ce qu’on appelle l’effet
feature-positive (Allison et Messick, 1988 ; Newman, Wolff et Hearst,
1980 ; Sainsbury, 1971). Celui-ci consiste à surestimer l’importance
des informations aisément accessibles (mentalement) et à orienter ses

1. À titre de curiosité, contrôlez quelques références dans le livre de Doyle et


Zakrajsek mentionné plus haut. Je parie que vous n’aurez pas à chercher long-
temps pour trouver des résultats surprenants (Doyle et Zakrajsek, 2013).

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Les six étapes d’une rédaction réussie

réflexions vers les faits les plus récemment appris mais pas nécessai-
rement les plus pertinents. Sans aide externe, on tiendrait compte
exclusivement de ce qu’on connaît et qu’en outre on a le plus présent
à l’esprit1. La boîte à fiches rappelle constamment des informations
oubliées depuis longtemps et dont on ne se souviendrait pas sans elle
– au point qu’on ne les rechercherait même pas.

CONSTITUER UNE BOÎTE À OUTILS DE RÉFLEXION


Le simple fait de travailler avec une boîte à fiches conduit à retrou-
ver de temps en temps des idées et des faits anciens et à les relier à
d’autres éléments d’information – soit une manière d’apprendre très
conseillée par les experts (Bjork, 2011, p. 8 ; Kornell et Bjork, 2008).
C’est aussi l’idée des cartes éducatives, ou « cartes flash ». Mais bien
que ces dernières soient beaucoup plus efficaces que le bachotage
ou les révisions dans un manuel, elles ont aussi leur point faible : les
informations présentées ne sont ni développées ni intégrées dans
un contexte quelconque. Chaque carte reste isolée, sans être reliée
au réseau de schémas théoriques, aux expériences ou à la grille de
modèles mentaux de l’utilisateur. Il est ainsi bien plus difficile non
seulement d’apprendre, mais de comprendre ce qu’impliquent et
signifient les informations (Birnbaum et al., 2013). Un terme ou un
concept scientifique n’a de signification que dans le contexte d’une
théorie – sans quoi, c’est juste un mot.
Il en va de même pour les situations de tous les jours. Notre aptitude
à déchiffrer une situation ou à interpréter une information dépend
de l’ensemble de nos savoirs et de la logique que nous en tirons. La
science et la vie quotidienne ne sont pas si différentes à cet égard ;
elles sont toutes deux intriquées. Le travail scientifique est bien plus
pragmatique et moins déterminé par la théorie que les non-initiés le

1. Vous risquez moins de commettre cette erreur de jugement si vous en êtes


conscient (Rassin, 2014).

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Développer des idées

croiraient (Latour et Woolgar, 1979). En même temps, nous utilisons


le savoir et les théories scientifiques pour comprendre au quotidien le
monde environnant. Et certaines théories ou certains modèles théo-
riques montrent une polyvalence étonnante, ce qui justifie la consti-
tution d’une boîte à outils de modèles mentaux utiles (Manktelow et
Craik, 2004), susceptibles de nous aider à relever les défis du quoti-
dien et à trouver une logique à ce que nous apprenons et rencontrons.
Charlie Munger, associé de Warren Buffett et vice-président de
Berkshire Hathaway, assure qu’il est important de posséder une vaste
boîte à outils théorique – pas pour être un bon universitaire, mais
pour avoir une bonne appréhension pragmatique de la réalité. Il
explique régulièrement à des étudiants les modèles mentaux qui l’ont
le plus aidé à comprendre les marchés et le comportement humain.
Il préconise de rechercher les concepts les plus forts de chaque dis-
cipline et d’essayer de les comprendre assez complètement pour les
intégrer à ses raisonnements. Dès lors qu’on commence à associer ces
modèles mentaux et à leur attacher ses propres expériences, on ne
peut s’empêcher d’acquérir ce qu’il appelle une « sagesse matérielle ».
L’important est d’avoir en tête non seulement quelques modèles
mentaux mais une large gamme. Sinon, on risque de trop s’attacher
à un ou deux d’entre eux et de ne voir que ce qui leur correspond.
On devient le fameux homme au marteau qui voit des clous partout
(Maslow, 1966, p. 15).
« La première règle est que vous ne pouvez rien savoir vraiment si
vous ne vous souvenez que de faits isolés et que vous tentez de les
reproduire », écrit Munger. « Si les faits ne tiennent pas ensemble au
sein d’un treillis de théories, vous ne pouvez rien en faire.Vous devez
avoir des modèles dans votre tête. Et vous devez déployer votre expé-
rience, tant directe qu’indirecte, sur ce treillis de modèles. Vous avez
pu remarquer des étudiants qui tentent seulement de se souvenir puis
de régurgiter ce qu’ils ont retenu. Eh bien, ils échouent à l’école et dans
la vie. Vous devez accrocher votre vécu à un treillis de modèles dans
votre tête » (Munger, 1994).

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Le vrai sage n’est pas celui qui sait tout mais celui qui parvient à
donner un sens aux choses en puisant parmi un vaste répertoire de
schémas d’interprétation. Cela contredit la croyance répandue mais
irréfléchie selon laquelle ce qu’on sait doit venir de son expérience. Il
vaut bien mieux tirer les leçons de l’expérience des autres – surtout si
elle est analysée et transformée en « modèles mentaux » polyvalents,
utilisables dans des situations différentes.
Or, c’est exactement ce qu’on fait quand on délègue le stockage
d’une connaissance à la boîte à fiches tout en se concentrant sur les
principes directeurs de son idée : à rédiger, ajouter et relier des notes,
à rechercher des constantes et à réfléchir au-delà de l’interprétation la
plus évidente des notes, à tenter de tirer la logique des faits, d’associer
des idées différentes et de développer des axes de réflexion, on bâtit
un treillis de modèles mentaux au lieu de simplement retenir des faits
isolés qu’on tentera de régurgiter.
La beauté de cette approche est qu’on évolue en même temps que
sa boîte à fiches : les connexions qu’on y crée délibérément, on les
établit aussi dans sa tête – et se souvenir des faits devient plus facile
puisqu’on peut désormais les attacher à un treillis. Pratiquer l’appren-
tissage non comme une pure accumulation de savoirs mais comme
une tentative visant à construire un treillis de théories et de modèles
mentaux auxquels les informations pourront s’attacher, c’est entrer
dans un cercle vertueux où l’apprentissage facilite l’apprentissage.
Helmut D. Sachs l’exprime ainsi :
« En apprenant, en retenant et en bâtissant en fonction
des éléments retenus, nous créons un réseau abondant
d’informations associées. Plus nous en savons, plus nous
avons d’informations (de livres) à quoi relier de nouvelles
informations, plus nous pouvons aisément former des
souvenirs durables. […] Apprendre devient un plaisir. Nous
sommes entrés dans un cercle vertueux d’apprentissage
et l’on dirait que la capacité et la vitesse de notre mémoire
à long terme progressent réellement. Si au contraire nous

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Développer des idées

ne parvenons pas à retenir ce que nous avons appris, faute


d’utiliser des stratégies efficaces par exemple, il devient
de plus en plus difficile de se souvenir de nouvelles
informations fondées sur un apprentissage antérieur. Des
lacunes de plus en plus nombreuses se révèlent dans nos
connaissances. Comme il est impossible de rattacher
vraiment de nouvelles informations à des lacunes,
l’apprentissage devient un parcours du combattant qui
nous épuise et nous prive du plaisir d’apprendre. La limite
de capacité de notre cerveau et de notre mémoire paraît
atteinte. Et c’est le cercle vicieux. Assurément, un cercle
vertueux d’apprentissage est bien préférable ; c’est
pourquoi, afin de retenir ce que vous avez appris, vous
devez bâtir des structures efficaces de mémoire à long
terme. »
Sachs, 2013, p. 26

Ses conseils pour apprendre ressemblent beaucoup à un mode d’em-


ploi de la boîte à fiches :
1. Prêtez attention à ce dont vous voulez vous souvenir.
2. Codez correctement les informations que vous désirez conserver.
(En particulier, réfléchissez à des indices adéquats.)
3. Pratiquez la remémorisation (Sachs, 2013, p. 31).
On apprend une chose non seulement en la raccordant à une connais-
sance antérieure et en cherchant à comprendre ses implications plus
larges (élaboration) mais aussi en essayant de la retrouver à différents
moments (espacement) dans différents contextes (variation), idéale-
ment par hasard (interférence contextuelle) et moyennant un effort
délibéré (récupération).
La boîte à fiches ne fournit pas seulement l’occasion d’apprendre de
cette manière éprouvée ; du simple fait de son utilisation, on se trouve
obligé de suivre exactement ces prescriptions. On doit élaborer à par-
tir de ce qu’on lit, simplement pour pouvoir le décrire par écrit et le

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Les six étapes d’une rédaction réussie

traduire dans des contextes différents. On récupère l’information dans


la boîte à fiches chaque fois qu’on essaie de relier de nouvelles notes
à des notes anciennes. Par ce simple fait, on mélange les contextes,
on redistribue les notes et l’on récupère les informations à intervalles
irréguliers. Et pendant ce temps-là, on élabore encore plus les infor-
mations, toujours retrouvées délibérément.

UTILISER LA BOÎTE À FICHES COMME MACHINE À CRÉER


« La créativité, c’est juste relier des objets. Quand vous
demandez à des créatifs comment ils ont fait quelque
chose, ils se sentent un peu coupables parce qu’ils ne l’ont
pas vraiment fait, ils ont juste vu quelque chose. »
Steve Jobs

Maintes anecdotes passionnantes de l’histoire des sciences donnent


l’impression que les grandes idées arrivent en un éclair. Ce sont
Watson et Crick qui imaginent soudain que l’ADN prend la forme
d’une double hélice, c’est Friedrich August Kekulé qui voit tout à
coup devant lui la structure du benzène en rêvant d’un serpent qui
se mord la queue.
Mais si ces révélations sont venues à Watson et Crick ou à Kekulé, et
non à quelque passant lambda, c’est qu’ils avaient déjà longuement
réfléchi à leurs problèmes, joué avec d’autres solutions possibles et
essayé d’innombrables manières de considérer le sujet. Fasciné par ces
histoires, on perd de vue que toutes les bonnes idées réclament du
temps. Même les découvertes soudaines sont en général précédées par
un long et intense processus de préparation.
Il faut l’expérience d’un problème et une familiarité intime avec ses
outils et instruments de travail, à un point de virtuosité si possible,
pour découvrir leurs possibilités intrinsèques, écrit l’historien des
sciences Ludwik Fleck (Fleck, 2012, p. 126). C’est vrai même pour
une œuvre purement théorique. Là aussi, il faut de l’expérience pour

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Développer des idées

« flairer » la solution des problèmes et questions à résoudre, même si


l’on travaille avec des mots, des concepts et des notes dans un système
de fichiers. Ce qu’on apprend en pratique est toujours bien plus com-
plet et complexe que ce qu’on pourrait exposer par des mots. C’est
pourquoi même un travail purement théorique n’est pas réductible
à une connaissance explicite, donc disponible consciemment. Cela
s’applique spécialement à l’usage d’une boîte à fiches. C’est l’intuition
née de la connaissance intime d’une pratique qui peut mener à de
nouvelles révélations. On n’est peut-être pas capable de dire explici-
tement pourquoi une idée est plus prometteuse qu’une autre, mais à
force d’expérience, d’une manière ou d’une autre, on le sait – et cela
suffit.
Les chercheurs en sciences expérimentales disent régulièrement que
leur processus décisionnel repose sur l’intuition (Rheinberger, 1997)
et il n’y a pas de raison pour qu’il en aille autrement dans les sciences
sociales. Peut-être est-ce simplement plus difficile à admettre dans les
sciences sociales, si désireuses de ressembler aux sciences naturelles
qui semblent se passer de quelque chose d’aussi vague que l’intui-
tion. Mais l’intuition n’est pas le contraire de la rationalité et de la
connaissance, c’est plutôt le côté immanent, pratique, des entreprises
intellectuelles, l’expérience sédimentée sur laquelle se construit une
connaissance consciente, explicite (Ahrens, 2014).
Steven Johnson, auteur d’un livre pénétrant sur la genèse des nou-
velles idées authentiques, dans les sciences et en général, parle d’une
« intuition lente ». Pour pouvoir l’utiliser, souligne-t-il, il faut disposer
d’espaces expérimentaux où les idées puissent se mélanger librement
(Johnson, 2011). Il peut s’agir d’un laboratoire avec des collègues à
l’esprit ouvert, à la manière des cafés parisiens d’autrefois, où intel-
lectuels et artistes discutaient librement leurs idées. J’ajouterais qu’on
peut en dire autant de la boîte à fiches, où les idées peuvent se mêler
librement afin d’en engendrer de nouvelles.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Le plus souvent, de toute façon, l’innovation n’est pas le fruit d’une


découverte soudaine mais d’une succession de progrès vers une amé-
lioration. Les renversements de paradigme eux-mêmes résultent le
plus souvent de nombreux petits pas dans la bonne direction plutôt
que d’une seule grande idée. C’est pourquoi il est capital de rechercher
de petites différences. Apercevoir des différences entre des concepts
apparemment similaires, ou des relations entre des idées apparemment
différentes, est un talent important. C’était même jadis le sens du mot
« nouveau ». Novus, en latin, signifie « différent », « inhabituel », plutôt
que « vraiment nouveau » au sens de « sans précédent » (Luhmann,
2005, p. 210). Avoir des notes concrètes sous les yeux et pouvoir les
comparer directement facilite beaucoup la détection des différences,
même minces. (La boîte à fiches papier initiale conserve ici un avan-
tage : elle permet d’étaler de multiples notes sur un bureau au lieu de
les afficher seulement sur un écran d’ordinateur.) Comparer est notre
forme de perception naturelle, note le neurobiologiste James Zull, car
notre interprétation cognitive va de pair avec les mouvements réels
de nos yeux. C’est pourquoi le mot « comparer » est à prendre très
littéralement.
On compare même quand on se concentre sur une seule chose.
« Prêter attention ne signifie pas consacrer toute son attention à un
seul point focal. Notre cerveau tel que forgé par l’évolution remarque
des détails par déplacement de son attention d’un domaine à un autre,
en balayant répétitivement les alentours. […] Le cerveau a plus de
chances de remarquer des détails par balayage que par focalisation »
(Zull, 2002, p. 142-143). C’est pour cela, entre autres, qu’on réfléchit
beaucoup mieux quand on a sous les yeux les choses auxquelles on
pense. C’est dans notre nature.

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Développer des idées

PENSER À L’INTÉRIEUR DE LA BOÎTE


« Les personnes créatives savent mieux distinguer des
relations, effectuer des associations et des connexions et
voir les choses de manière originale – elles voient des
choses que les autres ne peuvent voir. »
Andreasen, 2014

Comparer des notes, les distinguer, les connecter sont les bases des
bons écrits académiques, mais ce qui conduit à des idées et des textes
exceptionnels est de jouer et de bricoler avec les idées.
Avant de jouer avec les idées, il faut les libérer de leur contexte ori-
ginel par l’abstraction et la respécification. C’est exactement ce que
l’on fait en rédigeant des fiches de lecture et en les traduisant dans les
différents contextes de la boîte à fiches.
L’abstraction n’a pas bonne réputation en cette époque où l’on
encense le tangible, le concret. Elle ne doit évidemment pas être l’ob-
jectif final de la réflexion, mais elle est une étape intermédiaire, indis-
pensable pour rendre compatibles des idées hétérogènes. Si Darwin
n’était pas passé à l’abstraction après avoir observé les moineaux sur
le vif, il n’aurait jamais découvert un principe général et abstrait de
l’évolution de différentes espèces, ni le fonctionnement de l’évolution
aussi chez d’autres espèces. L’abstraction n’est pas non plus destinée
aux seuls processus théorico-académiques de spéculation intellec-
tuelle. Chaque jour, on doit s’abstraire de situations concrètes. Seules
l’abstraction et la respécification permettent d’appliquer des idées aux
situations singulières et toujours différentes de la réalité (Loewenstein,
2010).
Même des expériences très personnelles, intimes, comme un vécu
artistique, requièrent de l’abstraction. Si l’histoire de Roméo et
Juliette nous touche, ce n’est pas parce que nous appartenons à
l’une des familles ennemies de Vérone. Nous faisons abstraction du
moment et du lieu, des circonstances particulières, pour rencontrer

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Les six étapes d’une rédaction réussie

les protagonistes à un niveau général où notre propre vie psycholo-


gique peut entrer en résonance avec ce que nous voyons sur scène.
Juxtaposer l’abstraction et le concret, ou l’associer à l’intellectualisme
tout en étant orienté solution est une tentation très trompeuse.
Les études sur la créativité chez les ingénieurs montrent que l’aptitude
à trouver des solutions non seulement originales mais fonctionnelles
et pratiques à des problèmes techniques est égale à la capacité d’abs-
traction. Mieux un ingénieur parvient à s’abstraire d’un problème
spécifique, meilleures et plus pragmatiques seront ses solutions – y
compris pour le problème même dont il s’est abstrait (Gassmann et
Zeschky, 2008, p. 103). L’abstraction est capitale aussi pour analyser et
comparer des concepts, composer des analogies et associer des idées ;
c’est spécialement vrai dans les travaux pluridisciplinaires (Goldstone
et Wilensky, 2008).
La capacité d’abstraction et de respécification des idées n’est,
redisons-le, que l’un des côtés de l’équation. Elle ne sert à rien sans
un système permettant de la mettre en pratique. Là, c’est la standardi-
sation concrète des notes dans un format unique qui permet littérale-
ment de les redistribuer, d’ajouter une idée à des contextes multiples,
de les comparer et de les associer de manière créative sans perdre de
vue leur contenu véritable.
La créativité ne s’enseigne pas. On ne peut l’aborder comme un plan.
Mais on peut se ménager un environnement de travail permettant
d’être créatif avec les idées. Cela aide aussi à garder à l’esprit certaines
idées sur la résolution de problèmes qui sont propices à la créativité
mais pourraient être contre-intuitives. Il est bon de s’attarder un peu
sur ce sujet avant de passer à l’étape suivante : la préparation d’un
brouillon.
La véritable ennemie de la réflexion indépendante n’est pas une auto-
rité extérieure mais notre propre inertie. La capacité à engendrer de
nouvelles idées tient davantage à la rupture de vieilles habitudes de
pensée qu’à la découverte du maximum d’idées possible.

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Développer des idées

Pour des raisons évidentes, je ne conseille pas de « penser à l’extérieur


de la boîte ». Au contraire, on peut faire de la boîte à fiches un outil
pour briser ses propres habitudes de pensée.
Notre cerveau adore la routine. Avant d’être obligé de changer d’idée
sur tel ou tel sujet, il s’arrange pour que les nouvelles informations
concordent avec ce qu’il sait déjà ou qu’elles disparaissent totalement
de sa perception. Quand il modifie notre environnement afin qu’il
épouse ses attentes, en général, nous ne nous en apercevons même
pas. Il nous faut donc ruser un peu pour briser le pouvoir des routines
de pensée.
Dans Penser efficacement en 5 étapes, les mathématiciens Edward Burger
et Michael Starbird (2013) ont réuni différentes stratégies à cet effet.
Certaines sont déjà mises en œuvre dans la boîte à fiches, d’autres
valent d’être gardées à l’esprit. Par exemple, ils soulignent que les
retours d’information sont importants et que nous devons trouver des
moyens d’être mis face à nos erreurs, nos fautes et nos méprises. Ce
qui est une fonction intégrée à la boîte à fiches. Ils mettent aussi en
lumière une autre habitude des penseurs efficaces : leur aptitude à se
concentrer sur les idées principales cachées derrière les détails, à saisir
l’essentiel d’une situation. Là encore, la boîte à fiches nous pousse
dans ce sens.
Ils donnent un autre conseil crucial, même s’il peut paraître banal
et n’est pas une fonction de la boîte à fiches : assurez-vous que vous
voyez vraiment ce que vous pensez voir et décrivez-le aussi simple-
ment et factuellement que possible.Vérifiez si nécessaire. Ce n’est pas
aussi évident qu’on le pense. L’aptitude à voir vraiment ce qu’on a
sous les yeux est souvent citée comme l’un des traits des experts. Et
cela s’explique aisément : notre perception ne fonctionne pas selon
une séquence « voir d’abord, interpréter ensuite ». Elle fait les deux
à la fois. Nous percevons toujours une chose comme une chose :
notre interprétation est instantanée. C’est pourquoi il est si diffi-
cile de résister aux illusions d’optique : si nous regardons un des-
sin en trois dimensions, nous ne parvenons pas à le voir comme un

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Les six étapes d’une rédaction réussie

simple arrangement de traits et de formes – à moins d’y être très bien


entraîné. Nous ne remarquons même pas les parties objectivement
manquantes de notre perception, comme le point aveugle présent au
milieu de tout ce que nous voyons. Il nous faut une astuce pour voir
ce que nous ne voyons pas. Comme nous voyons immédiatement une
image globale, tout le reste, y compris sa réinterprétation ou la détec-
tion de ce qui y manque, est toujours une étape suivante.
Il en va de même lors de la lecture. On ne commence pas par voir des
lignes sur le papier avant de se rendre compte qu’elles forment des
mots dont on se servira pour construire des phrases et enfin déchiffrer
ce qu’elles signifient. On lit immédiatement au niveau de la compré-
hension significative. Comprendre vraiment un texte consiste à réviser
sans cesse sa première interprétation. On doit s’habituer à voir cette
différence et refréner sa tentation innée de sauter aux conclusions.
Être capable de voir ce qui est plutôt que ce qu’on s’attend à voir
est une compétence en soi, à la différence d’un trait de caractère tel
qu’avoir l’esprit ouvert. Souvent, ceux qui se targuent d’avoir l’esprit
ouvert n’en ont que davantage tendance à se cramponner à ce qu’ils
comprennent d’abord : persuadés de ne pas avoir de préjugés naturels,
ils ne voient pas pourquoi ils devraient les combattre. Quiconque
croit pouvoir « se retenir » d’une interprétation se fait des illusions.
Comparer des notes en permanence peut aider à détecter des diffé-
rences, mais aucune technique ne peut aider à voir ce qui manque.
On peut en revanche s’habituer à se demander toujours ce qui ne
figure pas dans le tableau mais pourrait le concerner. Cela non plus
ne vient pas naturellement.
Pour illustrer cette compétence, voici un exemple fameux (Mangel et
Samaniego, 1984). Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Royal
Air Force avait demandé au mathématicien Abraham Wald de l’aider
à déterminer quelles parties de ses avions étaient le plus souvent tou-
chées par des projectiles, afin de renforcer leur blindage. Or, au lieu
de compter les trous sur les avions revenant de mission, il conseilla
de blinder les parties sur lesquelles aucun d’eux n’avait été frappé. La

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Développer des idées

RAF avait oublié de tenir compte de ce qu’elle ne pouvait pas voir :


les avions qui n’étaient pas rentrés.
La RAF avait été victime d’une erreur de raisonnement courante
appelée le biais du survivant (Taleb, 2020). Les autres avions n’avaient
pu rentrer parce qu’ils avaient été frappés là où il aurait fallu mieux les
protéger, par exemple sur le réservoir de carburant. Ce que les avions
rentrés de mission pouvaient montrer était moins important.
Les concepteurs de produits commettent la même erreur avec une
telle régularité qu’on en vient à se demander si ce n’est pas inten-
tionnel. Robert McMath, expert en marketing, avait entrepris de
réunir la plus grande collection de produits de supermarché jamais
constituée. Au bout d’un moment, il constata qu’elle était en train
de devenir presque exclusivement une collection de produits ratés,
car ces derniers sont très majoritaires parmi les produits qui ont un
jour été proposés. Il songea à en faire un musée qui passionnerait les
concepteurs de produits : ils pourraient y voir ce qui n’a pas marché
et éviteraient ainsi de refaire la même erreur. Hélas, il est rare qu’un
concepteur de produits s’intéresse le moins du monde aux leçons de
l’expérience d’autrui. Souvent, les entreprises ne gardent même pas
trace de leurs essais ratés. McMath a ainsi trouvé des séries entières
d’erreurs commises avec de multiples variantes, quelquefois par toutes
les générations de développeurs d’une même entreprise (McMath et
Forbes, 1999).
Dans un livre au titre superbe, The Antidote: Happiness for People Who
Can’t Stand Positive Thinking (L’Antidote : le bonheur pour les gens
incapables de supporter la pensée positive), Oliver Burkeman décrit
à quel point notre culture est obnubilée par la réussite et néglige les
leçons des échecs (Burkeman, 2013). Les biographies de dirigeants en
sont un bon exemple : même si toutes contiennent quelques anec-
dotes sur les revers qu’ils ont subis, elles s’inscrivent toujours dans le
récit plus vaste de leurs succès (malheureusement, les dirigeants en
échec écrivent rarement leurs mémoires). Si l’on tente de tirer une
leçon de tous ces livres, on risque de croire que les principales raisons

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Les six étapes d’une rédaction réussie

du succès sont en fin de compte la persévérance et le charisme alors


que ce sont aussi des ingrédients des grands désastres (ici, Burkeman
renvoie au professeur de sciences comportementales Jerker Denrell).
Évidemment, c’est vrai aussi dans la recherche : savoir ce qui a prouvé
son non-fonctionnement est fort utile à qui cherche de nouvelles
idées qui fonctionnent.
Face à cette tendance, on peut en particulier se poser des questions
contrefactuelles du genre « et si ? » (Markman et al., 2007). On étu-
die mieux les fonctions de l’argent en se demandant comment des
gens qui ne se connaissent pas feraient pour échanger des biens s’il
n’existait pas plutôt qu’en se braquant sur les problèmes évidents
d’une société fondée sur l’échange monétaire. Quelquefois, il est plus
important de redécouvrir les problèmes pour lesquels on a déjà une
solution que de penser seulement aux problèmes qu’on a devant soi.
De toute façon, il est rare qu’un problème soit résolu directement.
Le pas en avant capital consiste très souvent à le redéfinir de manière
à pouvoir employer une solution existante. La première question
devrait toujours porter sur la question elle-même : Quel genre de
réponse pouvez-vous attendre en posant la question de cette façon-là ?
Qu’est-ce qui manque ?
Une autre astuce apparemment banale rappelle une caractéristique
distinctive des penseurs extraordinaires : prendre au sérieux les idées
simples. Par exemple, l’idée d’acheter des actions quand leur cours
est bas et de les vendre quand il est haut. Tout le monde la saisit, j’en
suis sûr. Mais saisir une idée n’est pas synonyme de la comprendre. Si
après cette « révélation », vous foncez acheter des actions, vous pouvez
seulement espérer que leur cours montera par la suite ; cette connais-
sance vous est à peu près aussi utile qu’une martingale pour choisir de
miser rouge ou noir à la roulette.
Votre compréhension progresse d’un cran quand vous vous rendez
compte de ce que vous achetez en achetant une action : un morceau
d’une entreprise. Personne ne signerait le contrat d’achat d’une mai-
son pour devenir propriétaire d’un contrat. Mais beaucoup de gens

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Développer des idées

traitent les actions exactement de cette façon. Ils ne réfléchissent pas


vraiment à ce qu’ils obtiennent en contrepartie du prix payé. Ils se
disent seulement qu’ils ont fait une bonne affaire si le cours était plus
bas que la veille.
Warren Buffett, lui, ne pense qu’à une chose : la relation entre cours
et valeur. Il ne regarde même pas le cours de la veille. Il sait que simple
n’est pas synonyme de facile et qu’il n’y a rien de pire que de com-
pliquer inutilement une tâche simple.
Une action est une part d’une société. Son prix est fixé par le marché,
c’est-à-dire par l’offre et la demande, qui dépend de la rationalité des
acteurs du marché ainsi que de la question de l’évaluation. Autrement
dit, il faut comprendre un peu l’entreprise dans laquelle on envisage
d’investir, y compris sa concurrence, ses avantages concurrentiels, ses
développements technologiques, etc.
Compliquer les choses peut être un moyen d’éviter la complexité
sous-jacente des idées simples. C’est ce qui s’est passé pendant la crise
financière de 2008 : des économistes avaient mis au point des pro-
duits extrêmement complexes sans tenir compte du simple fait que
le prix et la valeur ne sont pas nécessairement identiques. Ce n’est
pas un hasard si Buffett est non seulement un grand investisseur, mais
aussi un excellent professeur : en plus de sa vaste connaissance de tout
ce qui concerne son métier, il est capable de l’expliquer en termes
simples.
Il arrive qu’une grande avancée scientifique soit due à la découverte
d’un principe simple régissant un processus apparemment très com-
pliqué. L’être humain a longtemps essayé de voler, rappellent Burger
et Starbird (2013). Après avoir cherché à imiter les oiseaux en agitant
des appareils en forme d’aile avec des plumes, nous avons fini par
comprendre qu’il ne fallait pas se laisser distraire par les détails et nous
avons découvert que tout résidait dans la subtile courbure de l’aile.
Il est possible de lier ensemble des idées simples pour en faire des
théories cohérentes et parvenir à une complexité énorme. Cela ne

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Les six étapes d’une rédaction réussie

fonctionne simplement pas avec les idées compliquées. Utiliser au


quotidien la boîte à fiches revient à exercer délibérément des compé-
tences intellectuelles importantes : en plaçant sous ses yeux, par écrit,
ce qu’on a compris d’un texte, on s’assure que cela y figure réelle-
ment. En s’interdisant de faire long, on apprend à se concentrer sur
l’essentiel. En couchant par écrit ses propres idées, on peut s’habituer
à toujours se demander ce qui y manque. En triant les notes dans
la boîte à fiches et en les connectant à d’autres notes, on s’astreint à
poser de bonnes questions.

FACILITER LA CRÉATIVITÉ GRÂCE À DES RESTRICTIONS


La boîte à fiches impose bon nombre de restrictions à son utilisateur.
Qu’on ne compte pas avoir le choix entre toutes sortes de jolis cale-
pins, de papiers ou de formes d’écriture, ni pouvoir utiliser toute la
palette des outils de productivité pour la prise de notes, l’apprentis-
sage et la rédaction de textes académiques ou d’essais : tout se réduit
à un unique format de texte pur, recueilli dans un unique système de
simple boîte à fiches, sans fioritures ni fanfreluches.
Les logiciels n’imposent pas de restrictions matérielles sur la longueur
des notes. Cependant, je conseille vivement de traiter les notes numé-
riques comme si l’espace était compté. En se restreignant à un seul
format, on se restreint aussi à une seule idée par note et l’on s’oblige
à être aussi bref et précis que possible. Se limiter à une seule idée par
note permet de recombiner librement ses notes ensuite. Luhmann
rédigeait les siennes sur des feuilles de papier A6 (105 × 148 mm).
Si l’on travaille avec un logiciel, voici une bonne règle empirique :
chaque note devrait tenir sur l’écran sans défilement.
La standardisation vaut aussi pour la bibliographie et pour nos
propres pensées : renonçant à utiliser différentes sortes de notes ou de
techniques pour différentes sortes de textes ou d’idées, on suivra une
approche simple et toujours identique. Une lecture est condensée sur
une note disant « page x, il est écrit y », puis stockée avec sa référence

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Développer des idées

en un seul endroit. Les idées et pensées sont saisies sur les notes de la
boîte à fiches et connectées à d’autres, toujours de la même façon au
même endroit. Ces standardisations permettent d’automatiser le côté
technique de la prise de notes. Ne pas avoir à réfléchir à l’organisation
est vraiment une bonne chose pour un cerveau comme le nôtre. Nos
maigres ressources mentales disponibles sont mieux utilisées à réflé-
chir aux bonnes questions : celles qui portent sur les contenus.
De telles restrictions volontaires sont contre-intuitives dans une
culture pour laquelle, en général, l’abondance des choix est positive et
une multitude d’outils préférable à un petit nombre. Pourtant, ne pas
avoir à prendre de décision peut être très libérateur. Dans Le Paradoxe
du choix, Barry Schwartz montre à l’aide de nombreux exemples,
du shopping aux relations amoureuses en passant par les choix pro-
fessionnels, qu’avoir moins de choix peut non seulement améliorer
notre productivité, mais aussi notre liberté, tout en permettant de
mieux apprécier le moment présent (Schwartz, 2009). Ne pas avoir
à choisir peut libérer un grand potentiel qui sans cela serait gaspillé.
La littérature académique aurait décidément sa place dans la liste des
exemples donnés par Schwartz pour montrer qu’il vaut mieux avoir
moins de choix.
La standardisation formelle de la boîte à fiches peut sembler en contra-
diction avec la recherche de créativité. Mais là aussi, la vérité est proba-
blement à l’opposé. La réflexion et la créativité peuvent s’épanouir en
conditions restreintes, de nombreuses études en sont témoins (Stokes,
2001 ; Rheinberger, 1997). La révolution scientifique a commencé
par la standardisation et le contrôle des expérimentations, qui ont
rendu celles-ci comparables et renouvelables (Shapin, 1998). Songez
aussi à la poésie, qui impose des contraintes de métrique, de syllabes
ou de rimes. Les haïkus laissent très peu de place aux variations for-
melles, ce qui ne signifie pas que leur expressivité poétique soit limi-
tée. Au contraire : leur strict formalisme leur permet de transcender
époques et cultures.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Le langage lui-même est extrêmement standardisé et limité de nom-


breuses manières. L’alphabet latin ne compte que vingt-six lettres,
mais que de possibilités elles ouvrent ! Rien qu’en les réarrangeant,
on peut écrire des romans, des théories, des lettres d’amour ou des
jugements. Assurément, ces possibilités ne sont pas ouvertes malgré
la limitation à vingt-six lettres mais grâce à elle. Personne n’ouvre un
livre en souhaitant y trouver des types de lettres plus nombreux, per-
sonne n’est déçu de n’y voir que des variantes du même alphabet1.
Une structure claire permet d’explorer les possibilités internes d’un
objet. Elle est nécessaire même pour rompre avec les conventions. Les
limites de la toile ne paraissent pas brider l’expression picturale, mais
ouvrent à un artiste comme Lucio Fontana la possibilité de tailler dans
la toile au lieu de peindre dessus. Il n’est pas vrai qu’une structure plus
complexe apporte plus de possibilités. Au contraire. Le code binaire,
radicalement plus limité que l’alphabet puisqu’il ne connaît que deux
états, 0 ou 1, a ouvert des possibilités créatives sans précédent.
La plus grande menace qui pèse sur la créativité et le progrès scienti-
fique est donc à l’opposé : un manque de structure et de restrictions.
Sans structure, on ne peut différencier, comparer ou expérimenter
des idées. Sans restrictions, on ne serait jamais forcé de décider ce qui
vaut ou non d’être poursuivi. L’indifférence est le pire contexte pour les
idées. Et la boîte à fiches est, par-dessus tout, un outil pour imposer
des distinctions, des décisions, et rendre visibles les différences. Une
chose est sûre : l’idée courante selon laquelle il faudrait se libérer de
toute restriction et « s’ouvrir » pour être plus créatif est fallacieuse
(Dean, 2013, p. 201).

1. L’auteur de mon commentaire TripAdvisor favori fait exception. À propos


d’un musée que j’ai visité (et adoré), il écrivait : « Il n’y a vraiment pas grand-
chose à voir dans ce musée. Seulement plusieurs bâtiments avec des peintures
accrochées aux murs. »

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Chapitre 13

PARTAGER SES IDÉES

« Le simple fait d’écrire vous fait pointer du doigt les


endroits où il y a des trous dans les choses. Je ne suis
jamais certaine de ce que je pense avant de voir ce que
j’écris. Aussi, je crois que, même si vous êtes optimiste,
votre côté analytique entre en jeu quand vous vous asseyez
pour construire une théorie, un paragraphe ou une phrase.
“Oh ! ça n’est pas bon”, vous dites-vous. Alors, il faut
revenir en arrière et tout repenser. »
Carol Loomis1

Écrire n’étant rien de plus que réviser un brouillon, qui n’est rien
de plus que la transformation en texte continu d’une série de notes
écrites au jour le jour, reliées et indexées au sein de la boîte à fiches,
il est inutile de s’inquiéter de trouver un sujet à propos duquel écrire.
Contentez-vous de regarder dans votre boîte à fiches et de chercher
les grappes qui s’y sont formées. Elles sont faites de ce qui a accroché
votre intérêt à de nombreuses reprises ; ainsi, vous savez déjà que vous
avez trouvé un matériau avec lequel travailler. À présent, vous pou-
vez étaler ces notes sur votre bureau, cerner votre argumentation et

1. http://longform.org/posts/longform-podcast-152-carol-loomis

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Les six étapes d’une rédaction réussie

construire un plan préliminaire avec sections, chapitres ou paragraphes.


Les questions non traitées deviendront alors évidentes, tout comme
les lacunes argumentaires à combler et les passages à retravailler.
La perspective change à nouveau : à présent, il ne s’agit plus de com-
prendre quelque chose dans le contexte de l’argumentation d’un
autre auteur, ni de rechercher de multiples connexions au sein de la
boîte à fiches, mais de développer une argumentation et de l’exposer
sous la forme linéaire d’un manuscrit. Au lieu d’élargir la perspective
pour trouver un maximum d’axes de réflexion qu’une idée pour-
rait alimenter, on doit à présent la rétrécir, arrêter un sujet unique et
écarter tout ce qui ne contribue pas directement à la construction du
texte et au soutien de l’argument principal.

DU BRAINSTORMING
AU « BOÎTE À FICHES-STORMING »
« Retenez cette leçon : qu’une idée ou un fait vous soit
aisément accessible ne suffit pas à lui donner plus de
valeur. »
Charles T. Munger

Chaque fois que quelqu’un a du mal à trouver un bon sujet à traiter,


quelqu’un lui conseillera un brainstorming. Le remue-méninges pos-
sède encore un vernis de modernité. Il a pourtant été décrit en 1919
par Alex Osborn et présenté à un public plus large en 1958 par Charles
Hutchison Clark dans Brainstorming: The Dynamic New Way to Create
Successful Ideas. Beaucoup de gens y voient encore la meilleure méthode
pour engendrer de nouvelles idées. Je propose d’y voir plutôt l’expres-
sion d’une fixation obsolète sur le cerveau, qui se traduit par la fixation
de notre système éducatif sur l’apprentissage par cœur – lequel signifie
penser sans outils externes. Contrôler les connaissances mémorisées
par des étudiants n’indique guère à quel point ils les comprennent et le
fait qu’une personne ait émis beaucoup d’idées au cours d’une séance
de brainstorming ne préjuge guère de leur qualité.

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Partager ses idées

On recherche des sujets importants, intéressants et susceptibles d’être


traités avec les matériaux dont on dispose, mais le cerveau donne
la priorité aux idées aisément disponibles dans l’instant. Ce qui n’est
pas synonyme de pertinentes, bien entendu. Le cerveau se souvient
plus facilement des informations qui ont été rencontrées récemment,
auxquelles des émotions sont attachées et qui sont vivantes, concrètes
ou spécifiques. Dans l’idéal, en plus, elles riment (Schacter, 2003 ;
Schacter, Chiao et Mitchell, 2003). Tout ce qui est abstrait, vague,
psychologiquement neutre, ou même ne paraît pas bon, se retrouve
en bas de sa liste de priorités – ce qui n’est pas exactement un bon
départ pour une entreprise intellectuelle.
Pire, nous avons tendance à préférer nos premières idées et nous répu-
gnons à les abandonner, quelle que soit leur pertinence réelle (Strack
et Mussweiler, 1997). Et inutile de songer à remédier aux limites du
brainstorming en convoquant des amis pour brainstormer en chœur :
augmenter le nombre de participants aboutit souvent à diminuer le
nombre de bonnes idées, involontairement rétrécies à une palette de
sujets plus étroite (Mullen, Johnson et Salas, 1991)1.
Mais trouver le bon sujet sur lequel écrire pose problème surtout à
ceux qui traitent l’écriture comme une tâche à part – pas à ceux qui
travaillent avec une boîte à fiches. Ceux qui s’en remettent à leur cer-
veau commencent par se demander, et demander à leur supérieur : J’ai
beaucoup lu, mais à propos de quoi devrais-je écrire ? En revanche,
ceux qui accompagnent déjà leurs travaux par la rédaction et la collecte
de notes intelligentes n’ont simplement plus besoin de brainstorming.
Il leur suffit de regarder dans leur boîte à fiches. S’ils ont eu une bonne
idée (et, bien sûr, on a plus de chances d’en trouver une en plusieurs
mois qu’en quelques minutes), elle s’y trouvera. Peut-être même aura-
t-elle déjà démontré son caractère prometteur et sera-t-elle déjà reliée
à une documentation qui l’appuie. Il est bien plus facile de constater
ce qui a fonctionné que de prédire ce qui pourrait fonctionner.

1. Vous pouvez cependant y remédier en demandant à tous les participants de


pratiquer un brainstorming individuel et en réunissant ensuite les résultats.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Il est inutile de s’inquiéter quant à ce qu’on pourrait traiter puisqu’on


a déjà résolu la question de nombreuses fois au quotidien. À chacune
de ses lectures, on décide de ce qui vaut d’être noté ou pas. Chaque
fois qu’on rédige une note permanente, on détermine quels aspects
d’un texte ont un intérêt pour ses réflexions à long terme et le déve-
loppement de ses idées. On explicite constamment les liens mutuels
entre idées et informations et l’on établit des connexions littérales
entre les notes. Ce faisant, on constitue des grappes d’idées visibles,
désormais prêtes à devenir manuscrits.

Le processus se renforce de lui-même. Une grappe visiblement déve-


loppée attire plus d’idées et fournit plus de connexions possibles, qui
poussent corrélativement vers certains choix de lectures et de cogita-
tions. Elles deviennent des panneaux indicateurs pour le travail quotidien
et orientent vers des réflexions utiles. Les sujets font boule de neige et
prennent de la force en chemin. Dès que la boîte à fiches a un peu grossi,
on peut remplacer ce qu’on pense intéressant et ce qu’on juge pertinent
par une observation pragmatique : dans la boîte à fiches, on voit sans fard ce
qui s’est vraiment avéré intéressant et où trouver des documents de travail.

La recherche de sujet a été bouleversée par une unique décision ini-


tiale : faire de l’écriture le moyen et la fin de toute l’entreprise intel-
lectuelle. Désormais, il s’agit moins de trouver un sujet sur lequel on
écrira que de travailler les questions dégagées par l’écriture.

Soulever des questions dans le cours de son travail de tous les jours,
c’est mettre de son côté la loi des grands nombres. En vérité, les ques-
tions réclamant une réponse sous forme d’un article, d’une thèse ou
d’un livre sont peu nombreuses. Il en est de trop larges, de trop étroites,
d’insolubles avec les connaissances raisonnablement accessibles mais,
dans la plupart des cas, on manque tout simplement de documents
sur lesquels travailler. Ceux qui dès le départ ont un plan et une idée
de ce qu’ils vont écrire ont toutes les chances de se heurter à cette
vérité quelque part en chemin. Peut-être parviendront-ils une fois ou
deux à corriger un choix malheureux, mais viendra un moment où ils
devront s’y tenir, sans quoi ils n’achèveront jamais leur projet.

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Partager ses idées

Si, en revanche, on laisse les questions émerger de la boîte à fiches,


on sait qu’elles ont été éprouvées et testées parmi des dizaines ou
même des centaines d’autres questions possibles. La grande majorité
de celles-ci ont sans doute reçu une réponse rapide ou ont disparu
parce qu’aucune note ne leur a été consacrée, soit par manque d’inté-
rêt, soit par manque de documents. Ainsi fonctionne l’évolution : par
essais et erreurs et non selon un plan.
Les bonnes questions se situent dans une zone idéale : elles sont per-
tinentes et intéressantes, pas trop faciles à résoudre mais susceptibles
d’être traitées avec les documents disponibles, ou du moins acces-
sibles. Pour trouver de bonnes questions, il ne suffit donc pas d’y
réfléchir. Il faut agir, faire quelque chose d’une idée avant d’en savoir
assez pour bien la juger. Il faut travailler, écrire, connecter, différencier,
compléter et approfondir des questions. C’est ce qu’on fait en prenant
des notes intelligentes.

RÉFLEXIONS DESCENDANTES OU ASCENDANTES


Développer des sujets et des questions à partir de ce qu’on a en main
présente un énorme avantage. Les idées qu’on choisit ne sortent pas de
nulle part, elles sont déjà intégrées dans un contexte riche en contenus
et accompagnées de documents prêts à l’emploi. Commencer par ce
qu’on détient apporte aussi un avantage inattendu : on devient plus
ouvert aux nouvelles idées.
Devenir d’autant plus ouvert aux idées nouvelles qu’on est plus fami-
lier d’idées déjà rencontrées semble paradoxal. Pourtant, les histo-
riens des sciences le confirment volontiers (Rheinberger, 1997). On
comprend vite pourquoi : sans une réflexion intense autour de ce
qu’on connaît déjà, on distinguerait mal ses limites, ses lacunes ou ses
erreurs éventuelles. Une grande intimité avec une chose permet de
jouer avec elle, de la modifier, de détecter des idées nouvelles et diffé-
rentes sans risque de répéter simplement de vieilles idées en les croyant
neuves. C’est pourquoi, au début, on dirait que la familiarité rend plus

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Les six étapes d’une rédaction réussie

difficile la découverte de nouvelles idées. On ignore tout simplement


que la plupart des idées ne sont pas si innovantes en réalité. Mais tout
en perdant de sa foi en sa propre inventivité au fur et à mesure qu’on
gagne en compétence, on devient davantage capable d’apporter de
nouveaux savoirs authentiques.
Jacob Warren Getzels et Mihaly Csikszentmihalyi ont montré que
c’est vrai aussi chez les artistes : une œuvre nouvelle, révolutionnaire,
est rarement créée en un éclair par quelque artiste de hasard per-
suadé de sa grande inventivité. Au contraire : plus un artiste consacre
de temps à étudier un « problème » esthétique, plus sa solution sera
considérée comme inattendue et originale par la critique (Getzels et
Csikszentmihalyi, 1976).
Si seule l’ouverture d’esprit était indispensable, les meilleurs artistes
et les meilleurs savants seraient des amateurs passionnés. Jeremy Dean,
qui a beaucoup écrit sur les routines et les rituels et propose de consi-
dérer les vieilles manières de penser comme des routines intellec-
tuelles, le dit bien : on ne peut rompre avec une certaine manière de
penser si l’on n’est même pas conscient que c’est une certaine manière
de penser (Dean, 2013).

CONCRÉTISER EN SUIVANT SES INTÉRÊTS


La motivation, on le sait, est l’un des indicateurs les plus importants
de la réussite chez les étudiants – derrière le sentiment d’être maître
de son parcours d’apprentissage. Ce n’est pas étonnant. Quand des
étudiants très intelligents échouent dans leurs études, c’est très sou-
vent parce qu’ils ne trouvent plus de sens à ce qu’ils sont supposés
apprendre (Balduf, 2009), qu’ils ne parviennent pas à faire le lien avec
leurs objectifs personnels (Glynn et al., 2009) ou qu’ils ne peuvent pas
gérer leurs études de manière autonome et selon leurs propres termes
(Reeve et Jang, 2006 ; Reeve, 2009).

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Partager ses idées

Ces constats sont un argument important en faveur de la liberté


académique. Rien ne motive plus que de voir progresser un projet
auquel on peut s’identifier, et rien n’est plus démotivant que d’être
scotché à un projet qui ne paraît pas en valoir la peine.
Le risque de se désintéresser de ce qu’on fait est élevé quand on se
décide tout de suite pour un projet de longue durée sans trop savoir
à quoi s’attendre. Un schéma d’organisation souple, permettant de
changer de trajet chaque fois que nécessaire, atténue grandement ce
risque.
Si à chaque étape de son travail, on se demande : « En quoi est-ce
intéressant ? », et à chaque lecture : « Qu’y a-t-il là qui vaille d’être
noté ? », on fait plus que choisir des informations selon ses centres
d’intérêt. On développe ceux-ci en explorant davantage ce qu’on
trouve, découvrant au passage des territoires dont on ne connaissait
rien auparavant. Il serait dommage de ne pas modifier ses centres d’in-
térêt au cours de ses recherches.
Pouvoir infléchir l’orientation de son travail en fonction des occa-
sions est une forme de maîtrise toute différente de celle qui consiste
à tenter de dominer les circonstances conformément à un plan. Les
recherches qui ont abouti à la découverte de la structure de l’ADN
sont parties d’une demande de subvention. Son but ne concernait
pas l’ADN mais un traitement anticancéreux. Si les chercheurs s’en
étaient tenus à leurs promesses, non seulement ils n’auraient probable-
ment pas trouvé de remède contre le cancer, mais ils n’auraient certai-
nement pas découvert la structure de l’ADN. Selon toute probabilité,
ils auraient laissé tomber.
Heureusement, au lieu de rester enchaînés à leur plan, ils ont suivi leur
intuition et leur curiosité : chaque fois qu’une voie prometteuse vers
la connaissance s’est ouverte, ils l’ont empruntée. Le programme de
recherche effectif s’est développé chemin faisant (Rheinberger, 1997).
On pourrait dire que le plan de ce qu’ils allaient faire a été achevé au
moment même où ils ont fini leur projet.

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Pour pouvoir garder la maîtrise de son travail et changer d’orientation


si nécessaire, il convient de morceler la grande tâche qu’est l’écriture
d’un texte en petites tâches concrètes. En pratique, on peut alors faire
exactement ce qui est nécessaire à un certain moment, puis à partir de
là accomplir le pas suivant.
Le but n’est pas seulement d’éprouver le sentiment qu’on maîtrise la
situation, mais d’arranger le travail de manière à le maîtriser réelle-
ment. Et plus on est à même de le diriger vers ce qu’on juge intéres-
sant et pertinent, moins il faudra investir de volonté dans sa réalisation.
Alors seulement la motivation pourra venir du travail lui-même, ce
qui est essentiel pour qu’elle dure.
« Quand les gens éprouvaient le sentiment d’être
autonomes dans leur choix, leur énergie au service des
tâches subséquentes n’en était pas diminuée. L’autonomie
du choix pouvait-elle vivifier ou renforcer la force
d’autorégulation dans ces tâches ? Cette question
importante méritait une attention empirique. Dans quelles
conditions, par exemple, une telle autonomie renforcera-
t-elle la motivation des gens pour de nouvelles tâches ?
Selon nous, l’un des facteurs qui devraient affecter l’effet
vivifiant ou non du choix est la nature des options
proposées. Si l’on propose à quelqu’un de choisir entre
des options inintéressantes, mineures ou hors sujet, le
choix n’aura probablement rien de vivifiant et risque d’être
démoralisant, même en l’absence de toute pression en
faveur de l’une des options. En revanche, bénéficier d’une
autonomie de choix entre des options présentant un intérêt
personnel peut certes être très dynamisant. »
Moller, 2006, p. 1034

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Partager ses idées

Organiser le travail de manière à pouvoir diriger les projets dans


la direction la plus prometteuse permet non seulement de rester
concentré plus longtemps, mais aussi de s’y plaire davantage – c’est
un fait (Gilbert, 2007)1.

TERMINER ET RÉVISER
Il ne reste pas grand-chose à dire des deux dernières étapes, car l’es-
sentiel du travail est déjà fait.
Un point clé : structurez le texte en gardant de la souplesse. Bien que la
boîte à fiches vise pour beaucoup à expérimenter et engendrer de
nouvelles idées, il convient à présent d’arranger ses pensées dans un
ordre linéaire. L’essentiel est d’organiser le brouillon visiblement. Il ne
s’agit pas tant de décider une fois pour toutes ce qu’on va écrire
dans tel chapitre ou tel paragraphe que de déterminer ce qui n’a pas
à être écrit dans une partie donnée du manuscrit. Au vu de la struc-
ture (toujours préliminaire), on sait si l’information sera mentionnée
ailleurs.
Le problème à ce stade est l’inverse de la page blanche. Loin de se
demander comment remplir les pages, on a tant de matière sous la
main qu’on doit refréner sa tentation de tout dire en même temps.
Il est vital d’avoir un lieu distinct, réservé au projet, où trier les notes
le concernant. Un processeur d’idées informatique (ou outliner) aide à
composer une structure approximative tout en gardant de la souplesse.
La structure d’une argumentation fait partie de celle-ci et évoluera
donc au cours de sa mise au point – ce n’est pas un récipient qu’on
remplit d’un contenu. Une fois qu’elle n’évolue plus beaucoup, on
peut, soulagé, la qualifier de « table des matières ». Mais même alors, il

1. Si vous n’êtes pas convaincu, vous le serez peut-être par le fait que le senti-
ment d’autonomie prolonge votre vie (Langer et Rodin, 1976 ; Rodin et Langer,
1977). À l’inverse, la perte d’autonomie nuit à la santé (Marmot et al., 1997).
Pour une courte présentation, voir Marmot (2006).

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Les six étapes d’une rédaction réussie

est bon de la considérer comme une ligne de conduite structurelle et


pas comme une prescription. Il n’est pas rare de modifier l’ordre des
chapitres tout à la fin.
Autre point clé : essayez de travailler sur différents manuscrits en même temps.
La boîte à fiches est déjà utile pour la réalisation d’un projet, mais
sa vraie puissance s’exprime quand on se met à travailler simulta-
nément sur des projets multiples. La boîte à fiches est en quelque
sorte ce que l’industrie chimique appelle verbund, un dispositif dans
lequel le sous-produit inévitable d’une ligne de production sert de
ressource à une autre, qui à son tour donne des sous-produits uti-
lisables, de manière à former un réseau de lignes de production si
efficacement entrelacées qu’une usine isolée n’a aucune chance de les
concurrencer1.
La lecture et l’écriture donnent inévitablement beaucoup de sous-
produits imprévus. Les idées ne peuvent pas toutes tenir dans le même
article, et une fraction seulement des informations rencontrées sont
utiles à un projet donné.
Les lectures intéressantes mais sans lien direct avec le travail en cours
peuvent être utiles pour un autre projet entrepris ou envisageable.
Tout ce qui enrichit la boîte à fiches est susceptible de se retrouver
dans un texte qu’on pourrait écrire. En prenant des notes intelli-
gentes, on réunit au passage, en un même lieu, des matériaux pour
de futurs écrits. Les projets sur lesquels on travaille peuvent se trouver
à des stades d’achèvement très différents. Certains même n’ont pas
encore attiré notre attention. L’avantage est, d’une part, qu’on avance
sur des articles ou livres futurs tout en travaillant à celui du moment,
d’autre part, qu’on peut changer de projet chaque fois qu’on ressent
un blocage ou de la lassitude.

1. Le premier verbund, et le plus développé, se trouve en Allemagne, à


Ludwigshafen. Il appartient à BASF, plus grand chimiste mondial et l’un des plus
rentables, bien qu’il soit situé dans un pays très développé avec des salaires et des
charges sociales élevés.

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Partager ses idées

Rappelez-vous la réponse de Luhmann à ceux qui s’étonnaient de


sa productivité : il ne se forçait jamais à faire quoi que ce soit et ne
travaillait que si l’inspiration lui venait aisément. « Si je suis bloqué
pendant un moment, je laisse le travail en cours et je fais autre chose. »
Quoi d’autre ? lui demandait-on. « Eh bien, j’écris d’autres livres. Je
travaille toujours sur différents manuscrits en même temps. En ayant
ainsi plusieurs fers au feu, je ne rencontre jamais le moindre blocage
mental » (Luhmann et al., 1987, p. 125-155). C’est comme dans les
arts martiaux : si l’on rencontre une résistance ou une force d’opposi-
tion, il ne faut pas riposter mais la rediriger vers un autre but produc-
tif. La boîte à fiches vous fournira toujours de multiples possibilités.

DEVENIR EXPERT EN RENONÇANT À PLANIFIER


Pour finir, une vérité dérangeante : les étudiants sont de piètres
planificateurs.
Les psychologues Roger Buehler, Dale Griffin et Michael Ross ont
demandé à un groupe d’étudiants :
• d’estimer avec réalisme le temps qu’il leur faudrait pour achever la
rédaction d’un devoir ;
• d’estimer en outre le temps qu’il leur faudrait :
– si tout se passait aussi bien que possible,
– si tout ce qui pouvait rater ratait.
Fait intéressant, les estimations « réalistes » fournies par les étudiants,
dans leur majorité, n’étaient pas très différentes de leur estimation du
temps jugé nécessaire en conditions idéales. Cela seul devrait inci-
ter à la réflexion. Mais les chercheurs constatèrent que les étudiants
avaient besoin en réalité de beaucoup, beaucoup plus de temps qu’ils
ne l’avaient pensé. Moins de la moitié parvenait à achever leur devoir
dans le délai qui leur avait paru nécessaire dans les pires circonstances
(Buehler, Griffin et Ross, 1994). Les chercheurs ne retinrent pas

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Les six étapes d’une rédaction réussie

l’hypothèse de calamités inimaginables frappant soudain la moitié des


étudiants.
Lors d’une autre étude, l’année suivante, les psychologues étudièrent
de plus près ce phénomène, qui continuait à les intriguer car les étu-
diants avaient pu répondre à leur gré – sans rien gagner à une réponse
franchement optimiste. Ils leur demandèrent d’indiquer des four-
chettes de temps dans lesquelles ils seraient sûrs à 50 %, 70 % ou 99 %
d’achever leur devoir.
Là encore, les étudiants étaient libres de donner n’importe quelle
réponse. Et pourtant, seuls 45 % d’entre eux parvinrent à terminer
leur devoir dans le délai qui leur paraissait suffisant à 99 % en toute
hypothèse (Buehler, Griffin et Ross, 1995). Le rappel des estimations
médiocres de l’épisode précédent modifierait-il les réponses ? Les
chercheurs le pensaient mais constatèrent qu’il n’en était rien : appa-
remment, l’expérience n’apprend rien aux étudiants.
On peut se consoler en se disant que cela n’a rien à voir avec le fait
d’être étudiant. Cela a à voir avec le fait d’être humain. Les gens qui
étudient ce phénomène, appelé biais d’excès de confiance, admettent
en être victimes eux-mêmes (Kahneman, 2016).
La leçon à en tirer est qu’il faut en général rester sceptique envers les
plannings, surtout quand ils sont concentrés sur le résultat et non sur
le travail réel et les étapes nécessaires pour atteindre un but. S’imaginer
en auteur excellent d’un texte remarquable et rendu à temps ne sert à
rien ; ce qui change le résultat, en revanche, est d’avoir une idée réa-
liste de la manière d’y arriver. On sait qu’il est inutile pour les athlètes
de s’imaginer en vainqueurs d’une course, mais qu’il est très utile
d’imaginer la quantité d’entraînements nécessaire pour en arriver là.
Avoir à l’esprit une idée plus réaliste ne les aide pas seulement à courir
plus vite mais renforce aussi leur motivation (Singer et al., 2001). Ce
qui est vrai pour les athlètes l’est aussi pour tout travail qui demande
des efforts et de l’endurance (Pham et Taylor, 1999). L’écriture relève
assurément de cette catégorie.

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Partager ses idées

L’autre leçon n’est pas que l’expérience n’apprend rien mais qu’elle
n’apprend que si on reprend l’information assez rapidement après
l’avoir découverte – et peut-être plus que de temps en temps.
Décomposer en petites tâches gérables le grand défi qu’est l’écriture
d’un devoir aide à fixer des buts réalistes qu’on peut vérifier réguliè-
rement. Si l’on part de l’hypothèse irréaliste qu’il est possible d’écrire
un texte en suivant un ordre de marche linéaire – choisir d’abord un
sujet, puis étudier la littérature, se plonger dans des lectures, réfléchir,
rédiger et relire –, il ne faut pas s’étonner que la planification qui en
découle soit elle-même irréaliste. En creusant son sujet, on risque de
se rendre compte que l’idée initiale n’était pas aussi bonne qu’on le
croyait ; une lecture a toutes les chances de mener à une autre, car c’est
ainsi qu’on établit sa bibliographie. En commençant à mettre ses argu-
ments par écrit, on se rendra probablement compte qu’il faut tenir
compte d’un autre élément, modifier ses idées initiales ou revenir à
un article qu’on pourrait avoir mal compris. Aucun de ces méandres
n’est exceptionnel, mais tous dérangent les plans les plus ambitieux.
Si l’on se fixe plutôt pour une journée, par exemple, d’écrire trois
notes, de revoir un paragraphe rédigé la veille ou d’examiner toute
la bibliographie découverte en lisant un article, on sait exactement
le soir ce qu’on a accompli et l’on peut ajuster ses attentes pour le
lendemain. Des centaines de retours d’information de ce genre au
cours d’une année permettent bien mieux de tirer des enseignements
et d’apprécier sa propre productivité qu’un délai manqué de temps en
temps – ce qui bien sûr ne se reproduira pas, jusqu’à la prochaine fois.
Le problème du modèle linéaire n’est pas seulement qu’une phase
peut demander plus de temps que prévu, mais qu’il est hautement
improbable qu’on l’achève plus tôt que prévu. Si le problème n’était
qu’une erreur de jugement, on surestimerait le temps nécessaire
aussi souvent qu’on le sous-estimerait. Hélas, ce n’est pas ainsi que
cela fonctionne. Selon la célèbre loi de Parkinson, tout travail tend
à remplir le temps qu’on lui destinait, de même que l’air remplit les
moindres recoins d’une pièce (Parkinson, 1958).

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Les six étapes d’une rédaction réussie

Si cette loi est presque universelle pour des cadres temporels longs,
l’inverse est vrai pour les tâches pouvant être achevées en une seule
fois. Cela tient en partie à l’effet Zeigarnik, déjà évoqué plus haut
(Zeigarnik, 1927) : le cerveau a tendance à rester occupé par une
tâche jusqu’à ce qu’elle soit accomplie (ou abandonnée). Si la ligne
d’arrivée est en vue, on a tendance à accélérer, comme le sait qui-
conque a un jour disputé un marathon. Autrement dit, l’étape la plus
importante est de se lancer. Des rituels sont utiles aussi (Currey, 2015).
Mais la différence principale réside dans la tâche à laquelle on est
confronté pour commencer. Une étape aussi accessible que rédiger
une note, prélever ce qui est intéressant dans ce devoir ou transformer
cette série de notes en un paragraphe rend le démarrage bien plus
facile que si l’on décidait de consacrer les journées à venir à quelque
tâche vague et mal définie comme continuer à travailler sur ce devoir
en retard.

LA RÉDACTION PROPREMENT DITE


Quelqu’un demandait un jour à Ernest Hemingway combien de fois
il réécrivait un premier jet.
« Ça dépend, répondit-il. J’ai réécrit la fin de L’Adieu aux armes, sa
dernière page, trente-neuf fois avant d’être satisfait.
— Posait-elle un problème technique ? insista son interlocuteur.
Qu’est-ce qui vous arrêtait ?
— Bien arranger les mots », répondit Hemingway (La Revue de Paris,
1956).
S’il y a un conseil qui mérite d’être donné, c’est de garder à l’esprit
que le premier brouillon n’est qu’un premier brouillon. Slavoj Žyžek
disait1 qu’il aurait été incapable d’écrire la moindre phrase s’il ne

1. Dans le film Žyžek! (États-Unis, 2005, réalisé par Astra Taylor).

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Partager ses idées

commençait par se convaincre qu’il ne faisait que jeter sur le papier


quelques idées pour lui-même et que, peut-être, il y aurait moyen
d’en faire quelque chose de publiable plus tard. Au moment où il
finissait d’écrire, il était toujours surpris de constater qu’une seule
chose restait à faire : réviser le brouillon qu’il avait déjà entre les mains.
L’une des tâches les plus difficiles est d’« assassiner ses chéries1 »
– c’est-à-dire effacer impitoyablement ce qui n’a pas d’utilité dans
une argumentation. Cela devient beaucoup plus facile si l’on déplace
les passages contestables vers un autre document en se disant qu’on
pourrait les utiliser plus tard. Pour tout document que j’écris, j’en
ai un autre appelé « xy-reste.doc » dans lequel je recopie tout pas-
sage coupé en me persuadant que j’y reviendrai plus tard et que je
pourrai le réintroduire là où il aura sa place. Ce qui n’arrive jamais,
bien entendu, mais le truc fonctionne quand même. D’autres, qui en
connaissent un bout sur la psychologie, font de même (Thaler, 2019).

1. La formule est notamment attribuée à William Faulkner, Allen Ginsberg,


Oscar Wilde et Stephen King. Le premier à l’avoir mentionnée serait le critique
Arthur Quiller-Couch, en 1914, devant ses étudiants de Cambridge : « Si vous
attendez de moi une règle pratique, je vous proposerai celle-ci : chaque fois que
vous éprouvez la tentation de commettre une prose d’exceptionnelle qualité,
cédez-y – de tout cœur – et effacez-la avant d’envoyer votre manuscrit à l’im-
pression. Assassinez vos chéries » (Quiller-Couch, 2006, p. 203).

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Chapitre 14

EN FAIRE UNE HABITUDE

« Selon un truisme profondément erroné, répété dans tous


les manuels et les discours de gens éminents, nous
devrions cultiver l’habitude de réfléchir à ce que nous
faisons. La vérité est à l’inverse. La civilisation progresse
par élargissement du nombre d’activités importantes que
nous pouvons accomplir sans y penser. »

Alfred North Whitehead, 1911, p. 61

Ce qui prédit le plus sûrement notre comportement dans l’avenir


immédiat est – surprise, surprise – l’intention que nous en avons. Si
nous décidons d’aller à la salle de gymnastique maintenant, il y a des
chances pour que nous y allions vraiment. Hélas, cela ne vaut que
pour un futur très immédiat. S’agissant du temps long, les chercheurs
peinent à trouver la moindre connexion mesurable entre nos inten-
tions et notre comportement effectif (Ji et Wood, 2007 ; Neal et al.,
2012). Avec une exception cependant : nous sommes assurément
fidèles à notre intention si celle-ci est de continuer à faire comme
avant.
Prédire le comportement des gens sur une longue durée est vraiment
facile. Selon toute probabilité, nous ferons dans un mois, dans un
an, dans deux ans, exactement comme auparavant : nous mangerons

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Les six étapes d’une rédaction réussie

autant de chocolat, nous fréquenterons aussi souvent la salle de gym


et nous nous lancerons dans le même genre de disputes conjugales. En
d’autres termes, les bonnes intentions ne durent pas très longtemps,
en général.

Notre meilleure chance de changer de comportement dans la durée


est de nous faire dès le début une idée réaliste sur les difficultés d’un
tel changement (Dean, 2013). Or ce n’est pas si facile, car plus nous
sommes habitués à faire une chose de telle ou telle manière, plus nous
pensons la maîtriser, alors même que nous la maîtrisons moins. (Ce
qui est dû aussi en partie à l’erreur de simple exposition mentionnée
plus haut.)

« Ceux qui avaient le plus confiance dans leurs prédictions


étaient aussi ceux qui avaient les habitudes les plus solides
et qui réussissaient le moins bien à prédire leur
comportement de la semaine suivante. Ce constat est
frappant car il pointe vers un côté obscur des habitudes.
La familiarité d’une action accomplie de manière répétitive
semble déteindre sur nos jugements à son sujet. En fin de
compte, nous avons l’impression de mieux maîtriser
précisément les comportements que nous maîtrisons le
moins. Voilà un cas de plus où nos processus intellectuels
fonctionnent à l’inverse de nos attentes intuitives. »

Dean, 2013, p. 22

Le truc n’est pas d’essayer de rompre avec ses vieilles habitudes ni


de s’obliger à agir autrement par la force de la volonté, mais de bâtir
stratégiquement de nouvelles habitudes qui aient une chance de rem-
placer les anciennes. L’objectif, ici, est de prendre l’habitude de sortir
du papier et un crayon chaque fois qu’on lit quelque chose afin d’en
noter les aspects les plus importants et les plus intéressants. Si l’on
réussit à transformer cette première étape en routine, il devient bien
plus facile d’acquérir le désir de transformer ces trouvailles en notes
permanentes et de relier celles-ci à d’autres dans la boîte à fiches.

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En faire une habitude

S’habituer à raisonner à l’intérieur d’une mémoire extérieure faite de


notes n’est pas si difficile, car ses avantages deviennent vite évidents.
Dès qu’on a acquis une nouvelle routine, on peut suivre son intui-
tion, ce qui ne requiert aucun effort.Voir des gens lire des livres et se
contenter de souligner quelques phrases ou de prendre de-ci de-là des
notes sans avenir deviendra vite un spectacle pénible.

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ÉPILOGUE

Le principe des notes intelligentes fonctionne. Beaucoup d’auteurs,


d’artistes et d’universitaires à succès utilisent une forme ou une autre
de boîte à fiches. Le présent livre a lui aussi été écrit à l’aide d’une
boîte à fiches. Ce fut, par exemple, une note sur « technologie, pro-
blèmes d’acceptation » qui, alors que je me demandais pourquoi
certains peinaient à utiliser la boîte à fiches, m’indiqua une réponse
issue d’un livre sur l’histoire du conteneur maritime. Un livre que je
n’aurais certainement pas recherché spontanément en me documen-
tant pour un ouvrage sur l’écriture efficace ! Ce n’est là que l’une
des nombreuses idées et connexions signalées par ma boîte à fiches.
Celle-ci n’est pas seulement un outil pour écrire plus efficacement,
mais aussi un appareil d’exercice en vue d’un apprentissage solide et
durable ; j’aurais dû m’en apercevoir depuis longtemps, mais je l’igno-
rais. Enfin, un jour où je prenais des notes intelligentes sur de récentes
expérimentations d’apprentissage, une révélation m’est venue : j’étais
en train de mettre en pratique exactement le moyen qui avait prouvé
son efficacité. Je tiens cependant à dire qu’il m’arrive d’avoir des idées
moi-même.

La technique présentée dans ce livre a permis à Niklas Luhmann


de devenir l’un des théoriciens des sciences sociales les plus proli-
fiques et les plus originaux du siècle dernier. Un nombre croissant
d’universitaires et d’essayistes en prennent conscience. Mais la majo-
rité des étudiants et des écrivains restent difficiles à convaincre. Il y

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Comment prendre des notes intelligentes

a différentes raisons à cela. D’abord, une organisation des notes sur


le long terme, croisant les sujets, guidée seulement par des concep-
tions et des préoccupations personnelles, ne correspond pas du tout
à l’approche modulaire, compartimentée et hiérarchique à laquelle
obéissent les programmes des universités et des écoles supérieures.
L’enseignement reste organisé en vue des révisions et l’on n’incite
pas vraiment les étudiants à construire eux-mêmes un réseau de
liens entre des informations hétérogènes – en dépit des bouleverse-
ments intervenus dans notre connaissance du fonctionnement de la
mémoire et de l’apprentissage. Il est souvent question d’approches
innovantes. Mais elles ne sont que verbiage tant que le flux de tâches
réel ne change pas. Certaines idées apparemment innovantes, comme
l’approche centrée sur l’apprenant, font souvent plus de mal que de
bien car elles négligent encore la nécessité d’un échafaudage externe
pour la réflexion. Ce n’est pas sur l’apprenant qu’il convient de foca-
liser l’attention.
La boîte à fiches ne place pas l’apprenant au centre. Au contraire :
elle lui permet de décentraliser ses réflexions dans un réseau d’autres
idées. Apprendre, penser et écrire devraient aboutir non à accumuler
des connaissances mais à devenir une personne différente avec une
manière de penser différente. On y parvient en s’interrogeant sur ses
propres routines intellectuelles à la lumière de faits et d’expériences
nouveaux.
La prévalence des approches linéaires et centrées sur l’apprenant
engendre un malentendu fréquent : la boîte à fiches pourrait être
utilisable sans modifier les routines de travail qui l’entourent. Cela
explique qu’on l’emploie souvent comme une simple archive dans
laquelle on ne puise que ce qu’on y a mis précédemment. D’où des
déceptions, bien entendu. Si l’on se contente de stocker des infor-
mations, point n’est besoin d’une boîte à fiches. Pour bénéficier des
avantages de celle-ci, il faut changer ses routines de travail. Ce qui
suppose de bien comprendre pourquoi et comment elle fonctionne
et comment les différentes tâches et étapes de l’écriture s’articulent.

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Épilogue

C’est pourquoi il faut un livre et pas un simple mode d’emploi pour


expliquer le principe et ses bases intellectuelles.
Une autre cause de réticence envers cette technique est que la plupart
des étudiants ne s’aperçoivent de la nécessité d’un bon système qu’à
partir du moment où ils rencontrent des difficultés dans leurs écrits,
classiquement vers la fin de leur programme universitaire, quand ils
doivent rédiger un mémoire de licence ou de maîtrise ou une thèse
de doctorat. La boîte à fiches reste alors utile, certainement, mais
elle l’aurait été bien davantage s’ils s’y étaient pris plus tôt – c’est
comme l’épargne-retraite. Il est difficile aussi de modifier son com-
portement en période de stress. Plus on ressent de pression, plus on
tend à se cramponner à ses vieilles habitudes – même si elles sont
la cause des problèmes, à commencer par le stress lui-même. C’est
ce qu’on appelle l’effet tunnel (Mullainathan et Shafir, 2013). Mais
Mullainathan et Shafir, qui ont examiné le phénomène en détail, ont
aussi trouvé comment en sortir : changer est possible quand la solu-
tion paraît simple.
Telle est la très bonne nouvelle en définitive. La boîte à fiches est aussi
simple qu’elle en a l’air. Lisez crayon en main, prenez des notes intel-
ligentes et établissez des connexions entre elles. Les idées viendront
toutes seules et vos écrits prendront forme à partir de là. Il n’est pas
nécessaire de partir de zéro. Continuez à faire ce que vous auriez fait
en tout état de cause : lisez, réfléchissez, écrivez. Contentez-vous de
prendre des notes intelligentes au passage.
On trouvera des informations supplémentaires (en anglais et en alle-
mand) sur le site takesmartnotes.com.

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ANNEXE
Un coup d’œil sur le Zettelkasten
de Luhmann et quelques mots
sur les logiciels

Jetons un coup d’œil sur la partie de son Zettelkasten dans laquelle


Luhmann a préparé un court article (huit pages) sur ce système. Elle
contient dix-sept notes numérotées à partir de 9/8, suivies directe-
ment par une bifurcation vers deux séquences de notes. L’une de ces
séquences contient dix notes consécutives (de 9/8a à 9/8j), l’autre
trois notes consécutives (9/8,1, 9/8,2 et 9/8,3). Un autre court
embranchement commence à la note 9/8a, qui est suivie par 9/8a1
et 9/8a2, et une branche également brève commence à 9/8b, suivi
par 9/8b1 et 9/8b2. Les notes précédentes et suivantes (les séquences
débutant à 9/7 ou 9/9) sont consacrées à des thèmes sans rapport.
Cette section comporte peu de références à une bibliographie exté-
rieure et peu de références croisées en comparaison d’autres sections
sur des sujets plus complexes.

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Comment prendre des notes intelligentes

Dans la boîte à fiches, cette section se présente comme suit :

Figure 1

Visuellement, les branches se présentent ainsi :

Figure 2

Bien que certaines parties du Zettelkasten de Luhmann soient déjà


très proches du manuscrit final, les notes et séquences de notes ne
sont pas toujours compréhensibles pour un œil non exercé. Les lire
est un peu comme espionner une conversation entre deux vieux amis
qui, avec le temps, ont créé leur propre langage et se comprennent
à demi-mot. L’observateur extérieur a donc parfois un peu de mal à

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Annexe

saisir pleinement ce qui se passe entre les notes et l’utilisateur. La note


9/8,3 parle ainsi des visiteurs désireux d’observer le Zettelkasten :

Geist im Kasten? Esprit dans la boîte ?


Zuschauer kommen. Sie bekommen Les spectateurs passent. Ils peuvent
alles zu sehen, und nichts als tout voir et rien de plus que cela,
das – wie beim Pornofilm. Und comme dans un film porno. Et la
entsprechend ist die Enttäuschung. déception est la même.

La note 9/8, première de cette séquence, penche davantage vers


l’abstrait :

Zettelkasten als kybernetisches Le Zettelkasten en tant que système


System cybernétique
Kombination von Unordnung und Association d’ordre et de désordre,
Ordnung, von Klumpenbildung und d’agglutination et de combinaisons
unvorhersehbarer, im ad hoc Zugriff inattendues, réalisées dans un accès
realisierter Kombination. ad hoc.
Vorbedingung: Verzicht auf festgelegte Préalable : renoncer à l’ordre fixe.
Ordnung.
Die vorgeschaltete Differenzierung: Différenciation en amont : aides à
Suchhilfen vs. Inhalt; Register, la recherche vs contenus ; registres,
Fragestellungen, Einfälle vs. questions, idées vs formes existantes et
Vorhandenes überformt und macht rend parfois superflu ce qui doit être
z.T. entbehrlich, das, was an innerer assumé en termes d’ordre intérieur.
Ordnung vorausgesetzt werden muss.

La note qui suit (numéro 9/8,1) est davantage une question.

Thema: Kommunikation mit dem Sujet : Communication avec la boîte


Zettelkasten: Wie kommt man zu à fiches : Comment former un bon
einem adaequaten Partner, Junior- associé, associé-junior ?
Partner?
– wichtig, nachdem das Arbeiten mit – important quand travailler avec du
Personal immer schwieriger und immer personnel devient de plus en plus cher
teurer wird. et difficile.
Zettels Wirklichkeit Réalité d’une fiche

Cette séquence contient deux autres notes (9/8,2 et 9/8,3), que je


laisse de côté ici.

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Comment prendre des notes intelligentes

La note qui vient après dans la boîte est une bifurcation de la première
et porte le numéro 9/8a.

Das Produktivitätsproblem muss in Le problème de productivité doit être


bezug auf eine Relation gestellt posé en relation avec une relation, en
werden, nämlich in bezug auf l’occurrence la relation entre la boîte
die Relation von Zettelkasten und à fiches et l’utilisateur.
Benutzer.

Elle est suivie par les notes 9/8a1 et 9/8a2 avant que la séquence
d’origine ne continue avec la 9/8b.

Der Zettelkasten ist unaufhörlich La boîte à fiches a crû sans cesse et


gewachsen, und ich habe versucht, j’ai essayé d’en tirer parti du mieux
so gut ich konnte und soweit meine que je pouvais et aussi loin que mes
Fähigkeiten reichen, davon zu capacités pouvaient aller.
profitieren.

Zettelkasten als Klärgrube– nicht La boîte à fiches comme fosse


nur abgeklärte Notizen hineintun. septique – ne pas y mettre seulement
Aufschieben des Prüfens und des notes clarifiées. Remettre à plus
Entscheidens tard les tests et les décisions
– auch eine Tempofrage. – aussi une question de rapidité.

La note 9/8b contient une référence qui figure aussi en note de bas
de page dans l’article final.

Zur allg. Struktur von Gedächtnissen Sur la structure générale des


vgl. Ashby 1967, S. 103. souvenirs, voir Ashby 1967, p. 103.
Es ist danach wichtig, dass man nicht Il est important alors de ne pas devoir
auf eine Unmenge von Punkt-für-Punkt s’en remettre à un grand nombre
Zugriffe angewiesen ist, sondern auf d’accès ponctuels, mais de pouvoir
Relationen zwischen Notizen, also auf s’appuyer sur des relations entre
Verweisungen zurückgreifen kann, die notes, c’est-à-dire des références qui
mehr auf einmal verfügbar machen, renvoient à plus de matière que si
als man bei einem Suchimpuls oder l’on effectuait une recherche donnée
auch bei einer Gedankenfixierung im ou que si l’on avait en tête une idée
Sinn hat. arrêtée.

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Annexe

Voici un passage de l’article publié où l’on peut trouver les mêmes


informations, inscrites dans un autre contexte et clarifiées pour le
lecteur1.

„Jedenfalls gewinnt die Kommunikation « Dans tous les cas, la communication


an Fruchtbarkeit, wenn es gelingt, devient plus fructueuse quand on
aus Anlaß von Eintragungen réussit à activer le réseau interne
oder von Abfragen das interne de références à l’occasion de la
Verweisungsnetz in Betrieb zu setzen. rédaction de notes ou lorsqu’on
Auch ein Gedächtnis funktioniert ja effectue des recherches. La mémoire
nicht als Summe von Punkt-für-Punkt ne fonctionne pas comme une somme
Zugriffen, sondern benutzt interne d’accès point par point, mais exploite
Relationierungen und wird erst auf des relations internes et ne devient
dieser Ebene der Reduktion eigener féconde qu’à ce niveau de réduction
Komplexität fruchtbar. [3] Auf diese de sa propre complexité. [3] Ainsi,
Weise wird– durchaus punktuell, in au moment consacré à la recherche,
diesem Moment, aus Anlaß eines on dispose de plus d’informations
Suchimpulses – mehr an Information qu’on ne pensait. Il y a aussi plus
verfügbar, als man bei der Anfrage d’informations qu’on n’en avait stocké
im Sinne hatte; und vor allem mehr sous forme de notes.
an Information, als jemals in der Form
von Notizen gespeichert worden
waren.
Der Zettelkasten gibt aus gegebenen La boîte à fiches offre des possibilités
Anlässen kombinatorische combinatoires jamais planifiées,
Möglichkeiten her, die so nie geplant, jamais prévues ni conçues de cette
nie vorgedacht, nie konzipiert worden manière. »
waren.“
Fn 3: Vgl. W. Ross Ashby, The Place Note 3 : cf. W. Ross Ashby, « The
of the Brain in the Natural World, Place of the Brain in the Natural
in: Currents in Modern Biology 1 World », Currents in Modern
(1967), S. 95 –104, besonders Biology 1, 1967, p. 95-104,
auch im Hinblick auf die Inadäquität notamment en ce qui concerne
der Computer-Technologie in speziell l’insuffisance de la technologie
dieser Hinsicht. informatique à cet égard.

1. Une traduction de l’article (Luhmann, 1992) en anglais par Manfred Kuehn


est disponible sur http://luhmann.surge.sh/communicating-with-slip-boxes

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Comment prendre des notes intelligentes

La plupart d’entre vous appliqueront l’idée de la boîte à fiches à l’aide


d’un logiciel et n’auront pas à utiliser le curieux système de numé-
rotation de Luhmann. Cependant, il est important de réaliser le geste
crucial qu’il nous fait accomplir : rechercher au sein du système des
axes existants qu’on pourra prolonger. Il incite à poursuivre un dia-
logue en prolongeant des séquences de notes existantes, et pas seule-
ment en amassant des aperçus isolés. Les séquences de notes se situent
au point idéal entre les idées/faits isolés et le texte continu. Elles sont
la vocation même du Zettelkasten. Conclusion : afin de prolonger le
dialogue, veillez à ce que les nouvelles notes, chaque fois que possible,
soient des réactions directes à une note existante.
Si votre logiciel permet d’établir des liens vers des blocs individuels à
l’intérieur d’une page, n’hésitez pas à rédiger des séquences de notes
entières sur une seule page, chaque bloc (ou paragraphe) compo-
sant une seule note. Dans la mesure où vous traitez chaque bloc (ou
paragraphe) comme une note isolée, joignable de n’importe où, vous
conservez la granularité de vos notes tout en bénéficiant d’une meil-
leure vue d’ensemble sur un axe existant.
Si le logiciel que vous avez choisi vous satisfait vraiment, vous désire-
rez peut-être l’utiliser pour rédiger à la fois des fiches de lecture et des
notes permanentes, peut-être même des notes de projet. C’est tout à
fait possible et limite les désagréments du passage d’une application à
une autre. Mais attention à préserver au sein du logiciel une distinc-
tion claire entre les différents types de notes ; rédigez des séquences
de notes et ne composez votre masse critique d’idées qu’à l’intérieur
du réseau des notes permanentes.
Tous nos outils et logiciels influencent notre manière de travailler.
Les meilleures applications pour la prise de notes se caractérisent par
leur ouverture et leur souplesse. Mais avec cette liberté vient aussi
la nécessité d’une structuration. Créer une page avec un survol très
général des grands thèmes et sujets sur lesquels vous travaillez peut être
très utile, surtout au début. Mais au contraire d’un plan de classeur,
c’est en soi une idée parmi d’autres. C’est une idée sur la structure

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Annexe

d’une note, donc susceptible de changer. C’est vrai aussi des notes
d’entrée de niveau intermédiaire vers des sujets particuliers ou des
cartes de contenus. Chaque fois qu’un sujet atteint un certain niveau
de complexité, il est judicieux d’établir pour soi-même une vision
générale de ses différents aspects à l’aide d’une note de ce type. Là
encore, il ne s’agit pas d’imposer une structure au système, mais d’ex-
pliciter sa structure implicite, et donc de l’ouvrir à des modifications.
Répétons-le : notre manière de réfléchir à un sujet détermine notre
manière de le structurer et constitue donc une pensée en soi. Elle
relève de la boîte à fiches en tant que note et devient donc quelque
chose à tester, remettre en cause et discuter.
Mais surtout, quel que soit l’outil que vous utilisez, n’en faites pas
trop, suivez vos impressions, ajustez le flux de tâches au fur et à mesure.
Tentez différents cheminements, faites des expériences, amusez-vous.
Il n’y a ni vrai ni faux pour autant que vous respectiez les principes. Et
ne les prenez pas trop au sérieux. Les bonnes idées éclosent dans une
ambiance détendue. Le Zettelkasten est un interlocuteur avec lequel
on doit avoir plaisir à travailler. À ce sujet, jetons un dernier coup
d’œil à la boîte à fiches de Luhmann. La dernière note écrite dans sa
séquence relative au Zettelkasten porte le numéro 9/8j :

Im Zettelkasten ist ein Zettel, der Dans le Zettelkasten se trouve une


das Argument enthält, das die fiche (Zettel) contenant un argument
Behauptungen auf allen anderen qui réfute ce que disent toutes les
Zetteln widerlegt. autres fiches.
Aber dieser Zettel verschwindet, Mais cette note disparaît dès qu’on
sobald man den Zettelkasten aufzieht. ouvre la boîte.
D.h. er nimmt eine andere Nummer C’est-à-dire qu’elle prend un autre
an, verstellt sich und ist dann nicht zu numéro, change de place et devient
finden. introuvable.
Ein Joker. Un joker.

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