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Lorenzo de Médicis est un personnage emblématique du Mal du siècle.

Homme
romantique, à la fois exalté et désabusé, il essaye de combattre en vain la
corruption du monde. Mais comme de nombreux autres hommes, il fera le constat
amer de l’incompatibilité entre son moi profond et les exigences de la société.

Présentation et rapport avec le thème au programme


« le monde »
La pièce d’Alfred de Musset écrite en 1834 compte cinq actes, divisés en
scènes selon le lieu (cadres intimes, intérieurs de palais, espaces ouverts
comme la rue ou encore des places publiques). C’est une pièce qui n’est pas
destinée à la scène mais à la lecture, et qui s’affranchit ainsi de toutes les
règles scéniques (Musset parle par ailleurs de « spectacle dans un fauteuil »).

On peut tirer de cette pièce deux axes majeurs :

1. Le premier axe concerne l’intériorité de Lorenzo, sa conscience


individuelle, sa quête d’identité.
2. Le deuxième axe concerne la situation politique de Florence, qui
représente un monde de corruption et de vice, où il n’existe plus de
liberté et où le meurtre du duc semble nécessaire pour retrouver une vie
meilleure.

Cette pièce peut donc être mobilisée pour les sujets qui
concernent l’appartenance au monde ou la volonté de changer le monde,
mais aussi pour de nombreux sujets de CSH qui tombent plus ou moins
régulièrement (comme « le romantisme », « le masque »…)

Résumé
En 1537, le jeune Lorenzo de Médicis organise les débauches de son cousin,
le duc Alexandre, qui règne en tyran sur Florence, ville complètement
corrompue. Les républicains et leur chef, Strozzi, militent pour le retour de la
république et veulent se venger du duc, mais ils n’agissent pas. Étonnamment,
c’est finalement Lorenzo (que le peuple a nommé par mépris Lorenzaccio) qui
assassine le duc, comme il l’avait prévu depuis son enfance (c’est pour cette
raison qu’il est entré dans l’intimité d’Alexandre, y sacrifiant sa sagesse et sa
bonté). Mais ceci ne changera rien : un autre duc, Côme de Médicis, est
nommé et Lorenzo, désespéré, se laisse tuer par les forces de l’ordre à sa
poursuite. Son corps sera lâchement jeté par le peuple, dans la lagune.
Cette fin décevante fait écho aux déceptions et aux désillusions que vivait
Alfred de Musset et la jeune génération du début du XIXème siècle : en
France, lorsque Louis-Philippe, roi bourgeois, remplace Charles X, les
potentiels espoirs d’une vie meilleure s’effondrent, et la société reste dans une
torpeur ennuyeuse et mélancolique.

Un être multiple qui n’arrive pas à trouver sa place


dans le monde

Lorenzo, un individu en contradiction avec lui-même…

Ce qui caractérise avant tout la personnalité de Lorenzaccio, c’est son


obscurité, son ambiguïté et son inconstance. Il ne cesse d’offrir de lui-même
une image brouillée et changeante, témoignant de son désir de se faire une
place dans le monde. En quête d’identité mais aussi de reconnaissance, il ne
parvient pas à trouver son équilibre psychique. Ce caractère trouble est
concrétisé par les différents noms ou surnoms qu’il porte au cours de la pièce.
Certains, comme le duc, l’appellent « Lorenzo de Médicis » (son nom civil) ;
d’autres l’appellent « Renzino » (c’est le surnom familier du compagnon de
débauche, et qui est donné par le duc), Lorenzetta (surnom qui correspond à
l’être efféminé qu’est Lorenzo et qui est donné par certains proches), ou
encore Lorenzaccio (qui est un nom péjoratif que donne le peuple). On voit
ainsi qu’il se munit de masques multiples, qu’il endosse des personnalités très
diverses.

De plus, Lorenzo a l’ambiguïté du héros romantique : c’est un être qui


incarne les aspirations, mais également les inquiétudes d’un héros romantique
typique. Il est fragile, lâche, frêle, mais aussi passionné, désabusé et exalté. Il
est à la fois caractérisé par le dégoût profond du monde dans lequel il
vit, tout en essayant d’y faire sa place. Et pour y faire sa place, il transforme
sa nature-même : alors qu’il était puritain, il organise et participe aux
débauches du duc Alexandre, qui ont insinué le vice en lui, et il devient
fortement attiré par les plaisirs, tout en gardant au fond la nostalgie de
l’innocence. Il est tiraillé entre deux pôles qui ne lui conviennent pas. Cette
dualité entre la sagesse et l’exaltation est un thème récurrent de la pièce, qui
ne tranche finalement pas entre les deux, posant davantage de questions
qu’elle n’apporte de réponses.

Enfin, cette ambiguïté s’exprime également par les différentes relations qu’il
noue. Il semble être le compagnon du duc, mais il passe une partie de son
temps avec les Strozzi, famille qui souhaite renverser ce dernier, en
prétendant être l’espion du duc auprès de l’ennemi.

…qui ne semble pas appartenir au monde dans lequel il vit


Ainsi, Lorenzo, en se cherchant lui-même, joue un double rôle, difficile à
réaliser. Jusqu’à l’acte II, Lorenzo semble être un personnage débauché, plein
de vice, et qui se complait dans cette dépravation. Son entretien avec
Tebaldeo (un peintre) pendant la scène 2 de l’acte II, transforme cette image :
le désenchantement du personnage face à l’enthousiasme de Tebaldeo se fait
ressentir.

Ce désenchantement est renforcé lors de l’aveu fait à Marie, la mère de


Lorenzo (scène 4) : “je vous estime vous et elle [sa soeur], hors de là, le
monde me fait horreur.” Cette réplique montre que Lorenzaccio exècre le
monde débauché de Florence, alors qu’il en reste, aux yeux de tous, le
meilleur exemple. De plus, lorsqu’il annonce en frappant aux portes qu’il veut
tuer le duc, personne ne le croit : il est ignoré et moqué de tous.

De ce fait, cette ambiguïté et cet écart par rapport aux autres témoignent
parfaitement de la vie de nombreux hommes du XIXème siècle, comme
Musset. Ce sont des individus qui nagent entre deux rives, et qui ne
parviennent pas à se faire une place dans la société. Ils expriment tous un
certain désenchantement au sein et à cause d’un monde corrompu et
inguérissable.

Lorenzo : l’homme qui voulait changer le monde

Un rêve de grandeur…

C’est à l’acte III, scène 3, que se révèle la personnalité de Lorenzo, lors de sa


confession à Philippe Strozzi. Lorenzo, durant ses jeunes années, était un
homme pur : « ma jeunesse a été pure comme l’or ». Il étudie, il est brillant et
promis à un grand avenir : il est destiné à monter sur le trône de Florence.
Aussi, Lorenzo est fasciné par Brutus, qui s’est fait passé pour fou afin de
renverser les Tarquin et instaurer la démocratie. Il veut l’imiter, avoir la même
vie, il rêve de grandeur : « Il faut que je sois un Brutus ». Idéaliste et
exalté, Lorenzo croit à la possibilité de changer l’Histoire et le monde. En
effet, il affirme que «les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma
volonté» : Lorenzo se joue donc en héros romantique accusateur, qui veut
laisser sa marque dans le monde.

De plus, il ne comprend pas les comportements de ses semblables. C’est pour


cela que lui seul va agir pour tenter de changer le monde. En effet, Strozzi
se complait dans de belles paroles républicaines mais ne fait rien, et c’est
Lorenzo qui s’accomplit et agit en se salissant les mains par l’action sanglante.
Le style traduit par ailleurs cette opposition : les multiples monologues et les
interminables tirades témoignent de cette absence d’action de la part des
autres personnages. Ils sont le symbole d’une société dans laquelle les
hommes politiques pérorent à n’en plus finir, sans jamais rien accomplirk
société dans laquelle Lorenzo ne peut pas vivre heureux. Il dit ainsi « J’en ai
assez d’entendre brailler en plein vent le bavardage humain, il faut que le
monde sache un peu qui je suis, et qui il est. »

Pour ce faire, il se promet de tuer Alexandre de Médicis et de bouleverser la


situation politique florentine, le seul fil qui le raccroche à son idéal de
jeunesse. Et c’est la mort de Louise Strozzi, manifestation concrète de la
violence de la société dont il a horreur, qui le pousse à aller jusqu’au bout,
car il est attaché à Philippe Strozzi et veut en quelque sorte le venger.
Pour se rapprocher de son paradis perdu, il adopte alors la même méthode
que Brutus : c’est pour cela qu’il se métamorphose en débauché, pour se
rapprocher du duc.

… qui tourne au cauchemar

Cependant, cette métamorphose devient irréversible : il entre dans une vie et


dans un monde qu’il abhorre, bien qu’il s’y complaise de plus en plus, en
même temps qu’il aime le duc (on parle ici aussi de la dualité du personnage).
Lorenzo perd son âme en jouant avec les apparences : « Le vice a été pour
moi un vêtement, maintenant il est collé à ma peau ». Lorenzo est alors
déchiré entre le bien et le mal : « Suis-je un Satan ? », « Suis-je le bras de
Dieu ? ».

En fréquentant tous les vices de la société, il découvre son horreur, mais


il se rend également compte de l’inutilité de son acte. Cela va le conduire
au désespoir, puisqu’il a perdu toute foi, même dans son projet de meurtre. Il
ne peut revenir en arrière et retrouver sa pureté initiale.

Lorenzo connaît alors la désillusion : il se rend compte que ses rêves de


jeunesse s’éloignent, et qu’il ne pourra jamais les rattraper. Même le meurtre
ne peut recomposer son unité manquante. Seule la mort peut alors le
délivrer de son malheur.

Conclusion
Ainsi, la désillusion devant la société et la perte de son idéal font de Lorenzo
un être énigmatique. Le jeu de masque l’amène à perdre son identité. Cette
pièce représente le drame d’un jeune homme à l’âme pure, qui conserve la
nostalgie de sa pureté, tout en voulant combattre un monde corrompu et
vicieux, dans lequel il ne semble pas avoir une place.

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