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Dossier spécial
Christophe Martin
Le poids des PME n’a cessé de croître dans les pays – la particularité des relations sociales entre employeurs
développés à économie de marché depuis les années et salariés à l’origine d’une posture du chef d’entre-
1970 ; elles y représentent aujourd’hui 50 % de la prise qui déroge aux formes de management que
population active. Cependant, alors que ces organisa- l’on retrouve dans les grandes entreprises (Eakin,
tions semblent parées des vertus de la flexibilité et de 1992 ; Eakin et al., 2003) ;
l’innovation dans un contexte général de recherche de – une faiblesse en matière de représentation du per-
la performance, force est de constater qu’elles se dis- sonnel (Walters, 2001), particulièrement pour les
tinguent nettement des grandes entreprises en termes entreprises de moins de 50 salariés qui ne disposent
d’accidents du travail, de maladies professionnelles et pas de CHSCT ;
d’exposition des salariés aux risques liés à la santé et – une main-d’œuvre plus jeune, moins qualifiée et
la sécurité au travail (SST). Pour l’ensemble des pays sous contrat de travail précaire (Lamm et Walters,
européens en 2000 (European Commission, 2003), les 2002 ; Quinlan, 1997) ;
entreprises de moins de 250 salariés totalisaient 77,7 % – une fragilité financière et un manque de moyens
des accidents du travail et 81 % du nombre de morts d’information, les petites entreprises n’ont ni les
au travail. compétences ni les ressources pour assurer une
Paradoxalement, alors que la PME gagnait ses lettres veille juridique (Lamm et Walters, 2004) ;
de noblesse en tant qu’objet d’étude des sciences de – un isolement par rapport aux organismes de préven-
gestion dans les années 80, la problématique de la tion. Dans le cas de la France, Lanoë (ISAST, 2006)
sécurité et de la santé dans ces entreprises est jusqu’à a montré que lorsque le taux de couverture des
très récemment restée un sujet de recherche marginal services de la caisse régionale d’assurance maladie
et, il faut bien le dire, circonscrit à la littérature anglo- (CRAM) variait entre 20 et 25 % pour les établisse-
saxonne. Hasle et Limborg en 2006, dans un état de ments de plus de 100 salariés, celui-ci n’était que de
l’art sur ce thème, ne recensaient que 284 références 10 % pour les PME de 10 à 49 salariés et d’à peine
pertinentes dont 184 en langue anglaise, une large 1 % pour les très petites entreprises de moins de
10 salariés ;
majorité de ces références (71 %) ayant été publiée
– une vulnérabilité, conséquence du développement
entre 1995 et 2004. La question ne semble cependant
de la sous-traitance qui, en maintenant bon nombre
pas sans intérêt dans la mesure où quel que soit le sec-
de petites entreprises en situation de dépendance,
teur d’activité, on constate des différences significatives
aurait conduit les grandes entreprises donneuses
des indicateurs de la SST selon la taille des entreprises.
d’ordres à externaliser une partie de leurs risques
La recherche internationale met ainsi en évidence plu- professionnels (Mayhew et Quinlan, 1997 ; Mayhew
sieurs caractéristiques jouant un rôle non négligeable et Quinlan, 2001).
sur la performance SST de ces organisations : Les méthodes et outils de prévention conçus pour les
– le rôle fondamental du chef d’entreprise, qui imprime grandes entreprises ne peuvent donc pas être transfé-
un type de management fortement lié à sa person- rés aux PME et la réflexion engagée sur les actions à
nalité et à son niveau de formation (Lamm, 2001) ; mener dans ces entreprises a été à l’origine d’un certain
nombre d’actions de prévention, qui peuvent être sché- particularité des relations sociales dans les petites entre-
matiquement classées en deux grands groupes. Le pre- prises constitue un frein à l’information. Ce manque
mier groupe d’actions cible le chef d’entreprise consi- général d’information des salariés (que soulignent
déré comme un acteur essentiel du niveau de prévention d’ailleurs toutes les études internationales) plaide pour
des risques, mais défaillant en termes d’information et la mise en place de représentants du personnel et pour
de moyens, et a pour objectif de l’informer. C’est la un rôle plus actif des syndicats (Walters, 2001). C’est
raison pour laquelle les actions mises en place doivent l’objectif suivi par les études européennes qui s’inspirent
susciter l’intérêt du dirigeant en utilisant l’environne- largement du modèle suédois (Fricks et Walters, 1998).
ment de l’entreprise. L’environnement réglementaire, Quelle que soit la cible des actions à mener, les diffé-
quel que soit son degré de coercition, est une condition rentes études posent la question des acteurs à mobiliser
nécessaire mais non suffisante pour améliorer le niveau pour atteindre un niveau de prévention acceptable et
de prévention. Le dirigeant d’une petite entreprise est celle des outils de prévention à mettre en œuvre.
souvent peu au fait de ses obligations réglementaires.
Dans ce dossier spécial sur la gestion des risques dans
Une étude française à caractère monographique por-
les petites entreprises, l’accent est mis à la fois sur les
tant sur 22 entreprises de moins de 20 salariés a fait
contraintes pesant sur les modes de gestion de ces orga-
apparaître que sur le total d’entreprises, 7 seulement
nisations et sur la pression économique qu’elles subis-
avaient entrepris une démarche d’évaluation des risques
sent de leur environnement. En effet, dans un modèle
(ISAST, 2006). Pour être efficace l’information doit donc
économique marqué dans le même temps par une forte
être relayée par des partenaires de l’entreprise tels que
interdépendance des entreprises et un contexte accru de
les experts-comptables, les clients, les fournisseurs et
compétitivité, la prévention des risques professionnels
les donneurs d’ordres lorsqu’il y en a (Lamm, 1998 ; ne peut être indépendante de ces facteurs. La recherche
Walters, 2001). d’une gestion globale des risques adaptée aux niveaux
Un second groupe d’actions de prévention s’intéresse de développement de l’organisation peut alors être une
aux salariés. Le niveau de prévention des risques est en des réponses possibles aux défis qui sont lancés aux
effet très largement lié à une co-construction des risques dirigeants des petites entreprises pour pérenniser leurs
et de la prévention par le dirigeant et le salarié ; or, la activités en garantissant la sécurité de leurs salariés.
La plupart des débats d’experts portant sur la SST dans de sous-traitants et de fournisseurs de plus en plus com-
les petites entreprises considèrent que la variable déter- plexe. Les pratiques commerciales modernes, particuliè-
minante pour les distinguer des autres est leur effectif rement au sein des firmes multinationales, dépendent
salarié. Ce faisant, ils ignorent souvent leur position de fortement de la sous-traitance de biens de services à
subordination dans des réseaux de contrats destinés à d’autres entreprises, au niveau national et internatio-
assurer la production de biens et de services. En effet nal. Celle-ci apparaît au travers d’une grande variété de
alors que beaucoup de petites entreprises produisent contrats de fourniture de main-d’œuvre, maintenance,
de manière autonome pour une large variété de clients, production partielle ou totale de biens et de services.
un grand nombre (le plus souvent en bout de chaîne) Comme indiqué, la sous-traitance en cascade peut impli-
produit dans un réseau de sous-traitance dans lequel le quer de nombreux niveaux entre le producteur de biens
travail est apporté par un donneur d’ordres (un grossiste, et de services et le client final.
une grande industrie ou une agence gouvernementale). Cette tendance est préoccupante, dans la mesure où un
La sous-traitance en cascade dans laquelle il existe une nombre croissant de recherches internationales ont mon-
série de niveaux de sous-traitance des tâches et des tré que la sous-traitance conduit à une détérioration de la
contrats commerciaux n’est pas un phénomène nou- SST, mesurée par les taux de fréquence d’accidents du tra-
veau. Cela est depuis longtemps une caractéristique du vail, l’exposition aux substances dangereuses, la confor-
secteur du BTP dans lequel il est fréquent de constater mité aux règles de sécurité et d’autres indicateurs (Quinlan,
que la construction d’un pont ou d’un immeuble est à 2001). Ces études couvrent un grand éventail d’industries
l’origine d’un réseau complexe de spécialistes et de four- qui va du secteur du BTP et du transport par route, à la
nisseurs de biens et de services. Les firmes sous-traitantes production de biens et de services y compris la fabrication
peuvent être grandes, mais beaucoup sont petites voire de vêtements à domicile jusqu’à la maintenance dans les
micro, composées d’un entrepreneur individuel et d’un centrales nucléaires françaises (Thébaud-Mony, 1999).
petit groupe de salariés. Les mêmes risques apparaissent quand le travail est sous-
Dans le secteur du transport par route, un schéma simi- traité auprès d’entreprises intérimaires (grandes et petites).
laire a été constaté avec des entreprises qui sous-traitent Un certain nombre d’études mettent en relation les
souvent à des entreprises plus petites ou à des chauffeurs risques liés à la taille des entreprises et les contrats de
en entreprise individuelle. Il semble que cette pratique 1. Michael Quinaln est professeur à la School of Organisation and
soit amenée à croître. En effet, la production dans un Management, University of New South Wales (Sydney, Australie).
Annie Thébaud Mony est directrice de recherche à l’INSERM.
monde globalisé est aujourd’hui composée d’un réseau
Felicity Lamm explore ici les raisons pour lesquelles les petites entreprises éprouvent des
difficultés à se conformer à la réglementation en matière de SST. D’autre part, elle invite à mieux
comprendre le concept d’observance1 en comparant les initiatives des employeurs en matière de
SST et les typologies de comportements d’observance des chefs d’entreprise en général.
Le nombre de petites entreprises a considérablement Observance réglementaire et pratiques
crû dans la plupart des pays ces vingt dernières années. SST dans les petites entreprises
Cette tendance n’est pas sans répercussions en matière
Les facteurs clés influençant les pratiques de la SST et
de SST : de plus en plus d’éléments attestent que les
le niveau d’observance peuvent être regroupés en trois
salariés des PME sont plus fréquemment exposés à des
grandes catégories, qui dépendent des pratiques de
situations dangereuses et souffrent plus d’accidents du
management du chef d’entreprise, de la gestion des res-
travail et de maladies professionnelles que les autres
sources humaines et de sa relation avec la réglementa-
salariés (Dawson et al., 1988 ; Nichols et al., 1995 ;
tion. Chacune représente les fonctions de direction d’une
Mayhew et Quinlan, 1998 ; Quinlan, 1998 ; Stevens,
petite entreprise.
1999 ; Eakin et al., 2000 ; Walters, 2001 ; Okun, 2001 ;
Morse et al., 2004 ; Walters, 2004 ; Hasle et Limborg, Diriger une petite entreprise diffère indubitablement
2006). Le problème est d’autant plus difficile à circons- de la direction d’une moyenne ou d’une grande entre-
crire que les PME sont hétérogènes, qu’elles ont un prise. Comme Dawson et al. (1988, p. 113) l’écrivent, « le
cycle de vie court et qu’elles manquent d’instances de management dans les plus petites entreprises prend un
représentation des salariés. sens différent. Les circuits de communication sont plus
Cet article explore donc d’une part les raisons pour les- courts, la structure est plus simple et souvent la pression
quelles les petites entreprises éprouvent des difficultés commerciale est ressentie de manière plus immédiate et
à se conformer à la réglementation en matière de SST ; plus claire ».
d’autre part, il intègre les données d’une enquête récente La principale caractéristique des petites entreprises est
afin de mieux comprendre le concept d’observance en l’intégration des connaissances et de l’expérience du
mettant en relation les initiatives des employeurs en chef d’entreprise à la production et au développement
matière de SST et les typologies de comportements de son entreprise. Il ne doit pas seulement dévelop-
d’observance des chefs d’entreprise en général (Massey per des compétences de gestion qui englobent tous
et al., 2006). Nous définissons ici la petite entreprise les aspects de l’entreprise, mais il doit aussi perpétuel-
comme une entreprise employant moins de 20 per- lement rechercher un équilibre entre administration,
sonnes dans le secteur non manufacturier et moins de production et recherche de clients. Sa capacité à gérer
100 dans le secteur manufacturier. toutes ces fonctions, en y incluant la santé et la sécurité
1. NDLR : Nous inspirant de la terminologie médicale définie par au travail, est vitale pour la survie de son entreprise.
l’Organisation mondiale de la santé, nous traduisons, dans cet
article, le terme anglais compliance, « se conformer à », et ses Or, manager la SST dans ces organisations est une tâche
dérivés, par le français « observance ». qui dépasse l’identification et la réduction des risques.
La pression que subissent les entreprises pour être l’utilisation des ressources et de faciliter les possibilités
compétitives dans un environnement mondialisé de financement externe à des conditions avantageuses.
impose un rythme d’adaptation et d’innovation sans Ce dernier élément est particulièrement critique chez
précédent. Diminutions de prix dues à une plus grande les PME qui, pour différentes raisons, n’ont pas un libre
productivité et à une vive concurrence venant de pays accès aux ressources offertes par les marchés financiers.
émergents, réduction de la durée de vie des produits Cette situation est encore plus probante chez les PME
attribuable à une remise en question de la fidélité de en forte croissance et innovantes, qui attirent particu-
la clientèle et à l’accélération des changements tech- lièrement l’attention étant donné que l’innovation n’est
nologiques, accroissement du nombre de compétiteurs désormais plus un simple choix de stratégie de crois-
grâce à l’amélioration des technologies de communi- sance et d’expansion, mais bien une question de survie
cation et à l’abolition des frontières… tous ces chan- sur laquelle doivent s’attarder tous les dirigeants d’en-
gements imposent aux entreprises d’adopter un pro- treprise. D’ailleurs, aucune entreprise ne peut survivre
cessus d’innovation en continu et de revoir sans cesse et prospérer dans l’environnement actuel sans prendre
leurs façons de faire, leurs pratiques d’affaires, leur des risques, parfois importants compte tenu des objec-
mode d’organisation. Or, ces situations les obligent tifs visés par la direction. Malgré ceci, les PME inno-
également, notamment les PME, à travailler dans des vantes ont d’importants déficits de financement (Freel,
contextes de changements fréquents, les exposant 2007) qui nuisent à leur dynamisme mais aussi à celui
ainsi à des risques dont la variété et l’incidence méri- de l’économie des pays dans lesquels elles se trouvent.
tent une attention toute particulière. Ceci met dès lors Ces constats ont été confirmés par plusieurs enquêtes
à l’avant-plan des bonnes pratiques d’affaires, celle de où l’on reconnaît que le financement de l’innovation
la gestion des risques. La gestion de la performance et pose d’importants défis, constitue un réel obstacle aux
de la compétitivité, stars des années 1970 à 2000, ne PME et a comme source possible les difficultés d’établir,
suffisent plus : il faut désormais « garantir » ou sécuri- de façon objective, les risques de leurs projets ou activi-
ser cette performance en intégrant les nombreux fac- tés (St-Pierre, 2004).
teurs de risque susceptibles de la compromettre.
Les bénéfices attendus de l’implantation d’un proces-
sus de gestion des risques sont évidemment, en pre- 1. Josée St-Pierre est professeure titulaire à l’Université du Qué-
bec à Trois-Rivières, dont elle dirige le laboratoire de recherche
mier lieu, d’accroître le taux de succès des projets des
sur la performance des entreprises de l’Institut de recherche sur
entreprises, mais aussi d’améliorer l’efficacité dans les PME.
Dans les PME innovantes, se limiter aux données financières pour mesurer leur risque s’avère une erreur dès le départ…
Une fois l’évaluation terminée, l’ensemble de l’expé- basse que ceux ayant une formation en ingénierie (test
rience était décrite aux participants afin de les amener T, toutes les paires sont significativement différentes).
à comprendre les difficultés à procéder à une évalua- La dernière colonne du tableau peut être un indicateur
tion collective d’une part, les écarts entre les résultats du degré d’homogénéité des comportements où on
d’une évaluation individuelle et d’une évaluation col- voit que le groupe dont la variance est la plus élevée
lective d’autre part et, finalement, l’influence des per- est celui des étudiants en comptabilité. Il est intéres-
ceptions des individus et de leur personnalité sur les sant de souligner que les étudiants en comptabilité
résultats de l’évaluation. (Étudiants MBA – Comptabilité) affichent une cote de
Près de 140 personnes ont participé à l’expérimenta- risque supérieure à celle de leurs confrères consultants
tion. La distribution des participants ainsi que leur cote qui sont nettement plus âgés et plus expérimentés
d’attitude face au risque respective, allant de 0 à 20, (groupe Conseillers senior en gestion), mais aussi un
selon divers regroupements, sont présentés dans le écart-type beaucoup plus élevé. On peut supposer que
tableau 1. Plus la cote est élevée, plus l’individu a une l’exercice de la profession finit par atténuer les diffé-
attitude favorable au risque. rences d’attitude et rendre ainsi les groupes plus homo-
On observe que les hommes ont une attitude plus ris- gènes, ce qui serait le cas des conseillers seniors qui
quée que les femmes (confirmé par un test T), ce qui a ont, en moyenne, plus de quinze ans d’expérience dans
été démontré dans la littérature en entrepreneuriat, les leur domaine. Appliqué à l’analyse d’une demande de
femmes prenant habituellement des risques plus modé- financement, le résultat d’une évaluation d’entreprise
rés (Brindley, 2005). Par ailleurs, parce qu’ils assument serait plus difficilement prévisible si elle était confiée à
souvent moins de responsabilités, les jeunes étudiants des analystes juniors où le profil de l’individu pourrait
sans expérience ont une attitude plus risquée que leurs jouer un rôle significatif.
homologues plus âgés, ce qui est confirmé dans le Nous avons voulu mesurer à quel point l’attitude se
dernier bloc d’information où l’on constate une cote reflétait dans l’évaluation du risque de l’entreprise. Des
moyenne de 6,96 pour les conseillers seniors en ges- analyses de corrélation ont montré, tel qu’attendu, la
tion contre 9,08 pour les futurs conseillers. De plus, la présence d’une relation significative inverse pour l’en-
formation antérieure qui modèle le jugement des par- semble des répondants. Ce sont les étudiants en comp-
ticipants est également un facteur distinctif des répon- tabilité qui affichent le comportement le plus « cohé-
dants. Les participants ayant une formation en compta- rent » et présentent la plus forte corrélation négative
bilité semblent plus « réfractaires » au risque que ceux entre la cote d’attitude et l’évaluation du risque (– 0,51,
ayant étudié en gestion, en finance ou en ingénierie. De significative à 0,01), alors que pour l’ensemble de
même, les participants formés en gestion ou en finance l’échantillon, la corrélation est de – 0,19 (significative
obtiennent une cote de risque significativement plus à 0,05). Ainsi, le regroupement d’individus ayant une