Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Le métier de sociologue
Préalables épistémologiques
quatrième édition
Septembre 1972
Sommaire
CONCLUSION. SOCIOLOGIE D E L A C O N N A I S S A N C E E T É P I S T É M O L O G I E p. 95
La sociologie, une science comme les autres mais où la rupture avec le sens
commun est plus difficile qu'ailleurs — Les mondanités de la sociologie et le
champ social des productions sociologiques
Épistémologie et méthodologie
La pédagogie de la recherche
I. Cf. infra.
1m logique de l'invention 17
i. Les auteurs d'une longue étude consacrée aux fonctions de la méthode statis-
tique en sociologie avouent in fine que « leurs indications concernant les possi-
bilités d'appliquer la statistique théorique à la recherche empirique caractérisent
seulement l'état actuel de la discussion méthodologique, la pratique restant en
arrière » (E. K . Scheuch et D. Röschmeyer, « Soziologie und Statistik, Uber
den Einfluss der modernen Wissenschaftslehre auf ihr gegenseitiges Verhält-
nis », Kölner Zeitschrift für Soziologie und So^ial-Psycbologie, VIII, 1956, p. 272-
291).
22 ÎLpistémologie et méthodologie
1. L'intérêt anxieux pour les maladies de l'esprit scientifique peut avoir un effet
aussi dépressif que les inquiétudes hypocondriaques des habitués du Larousse
médical.
2. Certaines dissertations théoriques sur toutes choses connues ou connaissables
remplissent sans nul doute une fonction d'annexion anticipée analogue à celle
des prophéties astrologiques toujours aptes à digérer rétrospectivement l'événe-
ment : « Il y a, dit Claude Bernard, des gens qui, à propos d'une question,
disent tout ce qu'on peut dire afin de réclamer quand plus tard on fera quelque
expérience là-dessus. C'est comme ceux qui tracent des planètes dans tout le
ciel afin de réclamer que c'est la planète qu'ils avaient prévue. » (Principes de
médecine expérimentale, P.U.F., Paris, 1947, p. 255.)
24 Épistémologie et méthodologie
La rupture
guère de doute que les raisons pour lesquelles on pratique une coutume, on
partage une croyance, sont fort éloignées de celles qu'on invoque pour la
justifier » (Anthropologie structurale, Pion, Paris, 1958, p. 25).
1 . Tel est le sens de la critique que Durkheim adressait à Spencer : « Les faits
sociaux ne sont pas le simple développement des faits psychiques, mais les
seconds ne sont en grande partie que le prolongement des premiers à l'intérieur
des consciences. Cette proposition est fort importante car le point de vue
contraire expose à chaque instant le sociologue à prendre la cause pour l'effet
et réciproquement. » (De la division du travail social, 7 e éd., P.U.F., Paris, i960,
p. 341 •)
Le primat des relations objectives 33
1. Pour établir que l'humeur critique contre le capitalisme ne saurait être inspirée
que par le ressentiment propre à des individus frustrés dans leur ambition
sociale, Von Mises doit se donner, indépendamment de toute spécification
sociologique, la propension à l'auto-justification doublée de l'aspiration à
l'ascension sociale. C'est parce qu'ils auraient manqué leur chance d'ascension,
par suite de quelque infériorité naturelle (« les qualités biologiques dont un
homme est pourvu limitent très strictement le champ à l'intérieur duquel il
peut rendre des services aux autres ») que nombre de gens tourneraient contre
le capitalisme le ressentiment né de leur ambition frustrée. Bref, comme, selon
Leibniz, il est inscrit de toute éternité dans l'essence de César qu'il passera le
Rubicon, le destin de chaque sujet social serait enfermé dans sa nature (définie
dans ce qu'elle a de psychologique et parfois de biologique). L'essentialisme
conduit logiquement à une « sociodicée » (L. Von Mises, The Anti-capitalistic
Mentality, Van Nostrand, Princeton (N.J.), Toronto, London, New York,
1956, p. 1-33.)
Langage commun et sociologie spontanée 37
logique et linguistique à laquelle M. Chastaing soumet le mot ' jeu ' s'applique-
rait à peu près intégralement à la notion de ' loisir aux usages qui en sont faits
communément et aux définitions ' essentielles ' qu'en donnent certains socio-
logues : « Substituez au vieux mot ' jeux ', le néologisme ' loisir '. Remplacez
donc dans quelques descriptions classiques des jeux, ' la volonté de jouer ' ou
' l'activité libre ' du joueur par un loisir qualifié de voulu ou taxé d'option de
l'individu sans vous soucier des loisirs dirigés et des congés payés ni de l'ancienne
opposition, licet-libet. Remplacez le ' plaisir de jouer ' par la visée hédonistique des
loisirs en prenant garde de ne pas chantonner Sombre dimanche puis Je hais les
dimanches. Remplacez enfin quelques jeux gratuits par des loisirs se déployant en
dehors de toutefinalitéutilitaire, si vous pouvez oublier le jardinage des ouvriers
et employés, voire le ' bricolage ' » (ibid.).
i . Ainsi, la plupart des usage du terme d'inconscient tombent dans le paralo-
gisme des « essences cachées » qui consiste, selon Wittgenstein, à arracher les
mots à leurs contextes d'usage et à les doter par là d'une signification substan-
tielle (cf. infra, L. Wittgenstein, texte n° 9, p. 152-153).
Les pièges de la métaphore 39
i . A. N. Whitehead, Science andthe Modem World, Mentor Book, New York, 1925,
P- 34-
Classification et théorie 47
1. La définition sociale des rapports entre la théorie et la pratique, qui est en affinité
avec l'opposition traditionnelle entre les tâches nobles du savant et les patiences
minutieuses de l'artisan et, du moins en France, avec l'opposition scolaire
entre le brillant et le sérieux, se trahit tant dans la réticence à reconnaître la
théorie lorsqu'elle s'incarne dans une recherche partielle que dans la difficulté
à l'actualiser dans la recherche.
2. M. Polanyi, Personal Knowledge, Routledge and Kegan Paul, London, 1958,
P- 344-
4
DEUXIÈME PARTIE
La construction de l'objet
construits qui n'ont plus rien de commun avec les unités décou-
pées par la perception naïve. On verrait les liens qui rattachent
encore la sociologie savante aux catégories de la sociologie
spontanée dans le fait qu'elle sacrifie souvent aux classifications
par domaines apparents, sociologie de la famille ou sociologie du
loisir, sociologie rurale ou sociologie urbaine, sociologie des
jeunes ou sociologie de la vieillesse. Plus généralement, c'est
parce qu'elle se représente la division scientifique du travail
comme partition réelle du réel que l'épistémologie empiriste
conçoit les rapports entre sciences voisines, psychologie et
sociologie par exemple, comme conflits de frontière.
On est en droit de voir dans le principe durkheimien selon
lequel « il faut traiter les faits sociaux comme des choses »
(l'accent devant être mis sur « traiter comme ») l'équivalent
spécifique du coup d'état théorique par lequel Galilée constitue
l'objet de la physique moderne comme système de relations
quantifiables, ou de la décision de méthode par laquelle Saussure
donne à la linguistique son existence et son objet en distinguant
la langue et la parole : c'est en effet une distinction semblable
que formule Durkheim lorsque, explicitant complètement la
signification épistémologique de la règle cardinale de sa méthode,
il affirme qu'aucune des règles implicites qui contraignent les
sujets sociaux « ne se retrouve tout entière dans les applications
qui en sont faites par les particuliers, puisqu'elles peuvent même
être sans être actuellement appliquées La seconde préface des
Règ/es dit assez qu'il s'agit de définir une attitude mentale, et
non d'assigner à l'objet un statut ontologique [É. Durkheim,
texte n° 22]. Et si cette sorte de tautologie par laquelle la science
se constitue en construisant son objet contre le sens commun,
conformément aux principes de construction qui la définissent,
ne s'impose pas par sa seule évidence, c'est que rien ne s'oppose
plus aux évidences du sens commun que la distinction entre
l'objet « réel », préconstruit par la perception, et l'objet de
science, comme système de relations construites expressément2.
On ne peut faire l'économie de la tâche de construction de
l'objet sans abandonner la recherche à ces objets préconstruits,
discours les plus irréels, mais à condition d'y voir, non l'explica-
tion du comportement, mais un aspect du comportement à expli-
quer. Toutes les fois qu'il croit éluder la tâche de construire les
faits en fonction d'une problématique théorique, le sociologue
se soumet à une construction qui s'ignore et qu'il ignore comme
telle, ne recueillant à la limite que les discours fictifs que forgent
les sujets pour faire face à la situation d'enquête et pour répondre
à des questions artificielles, ou encore à l'artifice par excellence
de l'absence de questions. C'est donc toujours pour sanctionner
une sociologie spontanée que le sociologue renonce à son pri-
vilège épistémologique.
1. Si l'analyse secondaire des documents fournis par l'enquête la plus naïve reste
à peu près toujours possible, et légitime, c'est qu'il est rare que les sujets
interrogés répondent vraiment n'importe quoi et qu'ils ne révèlent rien dans
leurs réponses de ce qu'ils sont : on sait par exemple que les non-réponses et
les refus de répondre peuvent eux-mêmes être interprétés. Toutefois, la récupé-
ration du sens qu'ils livrent malgré tout suppose un travail de rectification, ne
serait-ce que pour savoir la question à laquelle ils ont vraiment répondu et qui
n'est pas nécessairement celle qui leur a été posée.
2. D. Lerner, The Passing of Traditional Society, The Free Press of Glencoe,
New York, 1958. Sans entrer dans une critique systématique des présupposés
idéologiques engages par un questionnaire qui sur 1 1 7 questions en compte
seulement deux portant sur le travail et le statut socio-économique (contre 87
sur les mass média, cinéma, journal, radio, télévision), on peut observer qu'une
théorie qui prend en compte les conditions objectives d'existence du sous-
prolétaire et, en particulier, l'instabilité généralisée qui les définit, peut rendre
compte de l'aptitude du sous-prolétaire à s'imaginer épicier ou journaliste, et
même de la modalité particulière de ces « projections », alors que la « théorie
de la modernisation » que propose Lerner est impuissante à rendre raison du
rapport que le sous-prolétaire entretient avec le travail ou l'avenir. Bien que
brutal et grossier, ce critère permet de distinguer, semble-t-il, un instrument
idéologique, condamné à produire un simple artefact, d'un instrument
scientifique.
64 La construction de l'objet
1. M. Maget, Guide d'étude directe des comportements culturels, C.N.R.S., Paris, 1950,
p . XXXI.
2. On trouvera un exposé systématique de cette méthodologie dans l'ouvrage de
Marcel Maget cité ci-dessus.
5
66 1M construction de l'objet
de cette technique (que l'on pense aux enquêtes sur les budgets
ou sur les budgets-temps comme quasi-observation), soit encore
par l'observation directe. On est donc conduit à inverser la rela-
tion que certains méthodologues établissent entre le question-
naire, simple inventaire de propos, et l'observation de type
ethnographique comme inventaire systématique d'actes et d'ob-
jets culturels1 : le questionnaire n'est qu'un des instruments de
l'observation, dont les avantages méthodologiques, comme par
exemple l'aptitude à recueillir des données homogènes également
justiciables d'un traitement statistique, ne doivent pas dissimuler
les limites épistémologiques ; ainsi, non seulement il n'est pas
la technique la plus économique pour appréhender les conduites
normalisées, dont les processus rigoureusement « réglés » sont
hautement prévisibles et qui peuvent être par conséquent
appréhendées grâce à l'observation ou à l'interrogation avertie
de quelques informateurs, mais encore il risque de conduire,
dans ses usages les plus ritualisés, à ignorer cet aspect des
conduites et même, par un effet de déplacement, à dévaloriser le
projet même de les saisir2.
Il arrive aux méthodologues de recommander le recours aux
techniques classiques de l'ethnologie, mais, faisant de la mesure
la mesure de toutes choses et des techniques de mesure la
mesure de toute technique, ils ne peuvent y voir que des adju-
vants subalternes ou des expédients pour « trouver des idées »
dans les premières phases d'une recherche3, et excluent par là
la question proprement épistémologique des rapports entre les
1. J. Dewey, Logic : The Theory of Inquiry, Holt, New York, 1938, p. 431, n. 1.
2. V. Pareto, Cours d'Économie politique, t. II, Droz, Genève, p. 385. Les techniques
les plus abstraites de découpage du matériel ont justement pour effet d'annuler
des unités concrètes comme la génération, la biographie et la carrière.
Théorie et instruments d'analyse 69
1. E . Durkheim, ibid.
2. Dans l'ensemble de ce paragraphe, le mot de théorie sera pris au sens de théorie
partielle du social (cf. supra, § 1.7, p. 47-49).
76 La construction de l'objet
1 . Parmi les modèles incontrôlés qui font obstacle à la saisie des analogies pro-
fondes, il faut aussi compter ceux que véhicule le langage dans ses métaphores,
même les plus mortes (cf. supra, § 1.4, p. 36-41).
2. G. Canguilhem, « Analogies and Models in Biological Discovery », Scientific
Change, Historical Studies in the Intelleclual, Social and Technical Conditions for
Scientific Discovery and Technical Invention, from Antiquity to the Present, Symposium
on the History of Science, Heinemann, London, 1963, p. 507-520.
Formalisation et construction 77
1. A. Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la
critique philosophique, Hachette, Paris, 1912, p. 68.
2. C. Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, Pion, Paris, 1956, p. 49.
7« La construction de l'objet
rend les choses difficiles. Nous voulons savoir ' quoi peut être
déduit de quoi Or, au commencement, tout est évident par soi;
et il est très difficile de voir si une proposition évidente découle
d'une autre ou non. L'évidence est toujours l'ennemie de la
rigueur. Aussi inventons-nous un symbolisme difficile tel que
rien n'y paraît plus évident. Puis nous inventons des règles pour
opérer sur les symboles et tout devient mécanique. » 1 Mais les
mathématiciens avaient moins de raisons que les sociologues de
rappeler que la formalisation peut consacrer les évidences du
sens commun au lieu de les condamner. On peut, disait Leibniz,
mettre en équation la courbe qui passe par tous les points d'un
visage. L'objet perçu ne devient pas un objet construit par un
simple coup de baguette mathématique : pis, dans la mesure où
il symbolise la rupture avec les apparences, le symbolisme donne
à l'objet pré-construit une respectabilité usurpée, qui le met à
l'abri de la critique théorique. S'il faut mettre en garde contre les
faux prestiges et les faux prodiges de la formalisation sans
contrôle épistémologique, c'est qu'en donnant les dehors de
l'abstraction à des propositions ' qui peuvent être empruntées
aveuglément à la sociologie spontanée ou à l'idéologie, elle risque
de suggérer que l'on peut faire l'économie du travail d'abstrac-
tion, seul capable de briser les ressemblances apparentes pour
construire les analogies cachées.
La saisie des homologies structurales n'a pas toujours besoin
de recourir au formalisme pour se fonder et pour faire la preuve
de sa rigueur. Il suffit de suivre la démarche qui conduit Panofsky
à comparer la Somme de Thomas d'Aquin et la cathédrale
gothique pour apercevoir les conditions qui rendent possible,
légitime et féconde une telle opération : pour accéder à l'analogie
cachée tout en échappant à ce curieux mélange de dogmatisme
et d'empirisme, de mysticisme et de positivisme qui caractérise
l'intuitionnisme, il faut renoncer à trouver dans les données de
l'inuition sensible le principe capable de les unifier réellement et
soumettre les réalités comparées à un traitement qui les rende
identiquement disponibles pour la comparaison. L'analogie ne
s'établit pas entre la Somme et la Cathédrale prises, si l'on peut
dire, à leur valeur faciale, mais entre deux systèmes de relations
intelligibles, non pas entre des « choses » qui se livreraient à la
perception naïve mais entre des objets conquis contre les appa-
i. B. Russell, Mysticism and Logic, and Other Essays, Doubleday, Anchor Books,
New York, 1957, p. 73 (ist publ., PhilosophicalEssays, George Allen & Unwin,
London, 1910, 2nd éd., Mysticism and Logic, 1917).
Le modèle théorique 79
Le rationalisme appliqué
1. M. Planck, L'image du monde dans la physique moderne, Gonthier, Paris, 1965, p. 58.
2. Si le propre de l'épistémologie positiviste consiste à séparer l'épreuve des
faits de l'élaboration théorique d'où les faits scientifiques tirent leur sens, il va
de soi que la règle comtienne prescrivant de « ne jamais imaginer que des
hypothèses susceptibles, par leur nature, d'une vérification positive, plus ou
moins éloignée, mais toujours clairement inévitable » (A. Comte, Cours de
philosophie positive, Bachelier, Paris, 1835, t. II, leçon 28), distingue, au moins
négativement, le discours scientifique de tous les autres. On pourrait trouver
chez Schuster qui affirmait qu' « une théorie ne vaut rien quand on ne peut
pas démontrer qu'elle est fausse » (cité par L. Brunschvicg, L, 'expérience humaine
et la causalité physique, P.U.F., Paris, 1949, 3 e éd., p. 432), et surtout chez
K . R. Popper, qui fait de la « falsifiabilité » d'une théorie le principe de « démar-
cation » de la science, l'argumentation logique qui conduit à préférer l'infirma-
tion à la confirmation comme forme de contrôle expérimental (cf. « Falsifia-
bility as a Criterion of Démarcation », The Logic of Scientific Discovery, op. cit.,
p. 40-42 et 86-87).
3. G . Canguilhem, Leçons sur la méthode, données à la Faculté des Lettres de
Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand en 1941-42 (inédit). Nous remercions
M. G . Canguilhem de nous avoir autorisés à reproduire ce texte.
86 Le rationalisme appliqué
i. Il arrive même que les adversaires les plus méthodiques de l'intuition accordent
la consécration suprême d'un nom de baptême méthodologique aux démarches
les plus hasardeuses de l'intuitionnisme, par exemple celle qui conduit Ruth
Benedict à résumer un certain nombre de notations impressionnistes sur le
style global d'une culture par le « schème apollinien » : « Pareille formule,
capable de résumer en un seul concept descriptif une grande richesse d'obser-
vations particulières peut être appelée une formule mère (matrix formula).
Cette définition recouvre les notions de schème fondamental d'une culture
(basic pattern), de thème, â'etbos, d'esprit du temps, de caractère national et,
au niveau d'un individu, de type de personnalité » (A. H. Barton et P. F. Lazars-
feld, « Some Fimctions of Qualitative Analysis in Social Research », loc. cit.).
CONCLUSION
Sociologie de la connaissance
et épistémologie
1. L'organisation de la vie universitaire américaine, qui fait une large part aux
mécanismes de la compétition ouverte, ne détient pas par soi le pouvoir exem-
plaire de favoriser la recherche comme on le suppose volontiers en France.
Ainsi, parce que la sociologie doit répondre à une demande extrinsèque (com-
manditaires, fondations, etc.), et parce que le jugement sur les œuvres, qui
décide des carrières, appartient plus à des gestionnaires de la recherche qu'au
groupe des pairs, les critères d'appréciation de la recherche scientifique qui se
trouvent portés au premier plan sont empruntés à une image publique des
sciences de la nature et ne sont finalement pas tellement plus appropriés à la
spécificité de la recherche que les critères traditionnels sur lesquels reposent les
carrières universitaires dans le système français : l'émiettement de la recherche
en petites unités fragmentaires et la multiplication des sujets fictifs, ou l'abandon
aveugle à l'appareil statistique et la course à la publication témoignent que
l'organisation bureaucratique de la production ne suffit pas à garantir la qualité
du travail scientifique.
W. Mills a montré le processus par lequel se trouvent intériorisées en ethos
bureaucratique les exigences institutionnelles des organisations de recherche, les
critères extrinsèques d'appréciation qui sont requis par l'exercice bureaucra-
tiquement contrôlé de la sociologie conduisant à valoriser les délimitations
strictes de compétence et l'intérêt exclusif pour des techniques routinisées.
2. Cf. la présentation énumérative des phases de l'enquête telle que la pratiquent
la plupart des manuels, par exemple, A. A. Campbell et G. Katona, « L'enquête
sur échantillon : technique de recherches socio-psychologiques », in L . Festinger
et D. Katz, Les méthodes de recherche dans les sciences sociales (trad. H. Lesage),
P.U.F., Paris, 196}, p. 51-53.
La surenchère positiviste 99
de ces lois une représentation théorique; il faut encore que les pensées habi-
tuelles à ceux au milieu desquels il vit, que les tendances imprimées à son
propre esprit par ses études antérieures, viennent le guider et restreindre la
latitude trop grande que les règles de la logique laissent à ses démarches. »
(P. Duhem, L a théorie physique, op. cit., p. 588.)
1. O n trouverait un exemple de ce genre d'analyses qui rattachent le misonéisme
des communautés savantes à des facteurs aussi génériques que l'esprit de corps
ou l'inertie des organisations académiques, dans les travaux de B. Barber
(cf. par exemple « Résistance by Scientists to Scientific Discovery », Science,
vol. 34, n° 3479, i sept. 1961, p. 596-602).
2. Pour faire voir combien les chances individuelles de découvertes dépendent
des chances attachées à la collectivité dont le savant fait partie, il suffit de
mentionner des phénomènes aussi connus que les inventions prématurées ou
104 Sociologie de la connaissance et épistémologie
i. G. Canguilhem
de foi nous semble plus sincère dans ce qu'elle refuse que dans
ce qu'elle retient. Très résolument hostile à l'idée de continuité,
mais assez modérément bergsonien, M. Bachelard n'admet pas
que la perception et la science soient des fonctions pragmatiques
en continuité. Mais c'est la continuité qui lui déplaît ici plus
encore que le pragmatisme, car il n'admet pas davantage, avec
Émile Meyerson, que perception et science soient des fonctions
spéculatives en continuité d'effort pour l'identification du
divers1. Il est assurément plus près d'une position qu'on pourrait
dire, avec précaution, cartésienne — en pensant à la distinction
de l'entendement et de l'imagination — position commune,
sous certains rapports, à Alain et à Léon Brunschvicg, selon
laquelle la science se constitue en rupture d'avec la perception
et comme critique de celle-ci. Mais plus proche de Brunschvicg
que d'Alain en ceci qu'il se sent tenu d'accepter et de célébrer,
comme le premier, la subordination de la raison à la science,
l'instruction de la raison par la science2, M. Bachelard s'en
sépare pourtant en mettant l'accent sur la forme polémique, sur
l'allure dialectique du dépassement constitutif du savoir, dans
lequel Léon Brunschvicg voyait plutôt l'effet d'un progrès
continu, de correction sans doute, mais qui, à tout prendre, ne
requiert de l'intelligence qu'une prise de conscience de sa
norme propre, qu'une « capacité de se transformer par l'atten-
tion même qu'elle porte à soi »3 [...]
Situer la position épistémologique de M. Bachelard par sa
relation à quelques autres ne doit pas détourner de l'essentiel,
qui est de faire saisir à ceux qui n'ont pas vécu l'événement quel
événement précisément a été l'apparition, en 1927, dans la sphère
de la philosophie française, d'un style insolite, parce que pas du
tout mondain, d'un style à la fois dru, carré et subtil, mûri dans
le travail solitaire, loin des modes et des modèles universitaires
ou académiques, d'un style philosophique rural. Or le premier
impératif de ce style c'est d'énoncer les choses comme on les
voit ou comme on les sait, sans souci de se faire approuver par
l'emploi de l'atténuation, de la concession, du « si l'on veut » et
du « à la rigueur ». Avec le « à la rigueur » cède aussitôt toute
rigueur et c'est là-dessus que M. Bachelard ne veut pas céder.
C'est pourquoi en affirmant que « la science n'est pas le pléo-
nasme de l'expérience »4, qu'elle se fait contre l'expérience,
cesse les thèmes primitifs, travaille sans cesse comme une âme
primitive, en dépit des succès de la pensée élaborée, contre
l'instruction même des expériences scientifiques. » l
On pouvait espérer en la réduction définitive des images
sensibles par l'office de la raison insensible, tant qu'on n'avait
pas soupçonné à quel point l'imagination sensualiste peut avoir
la vivacité profonde et renaissante de la sensualité. [...]
Les sens, à tous les sens du mot, fabulent. Qu'on relise à ce
sujet, et à propos des premières recherches sur l'électricité, les
réflexions de notre philosophe sur le caractère sensuel de la
connaissance concrète2 et sa conclusion concernant l'immuabilité
des valeurs inconscientes3. On n'est donc pas rationaliste à si peu
de frais que l'ont pensé les hommes de ^Aufklärung. Le rationa-
lisme est une philosophie coûteuse, une philosophie qui n'en
finit pas, pour cette raison que c'est « une philosophie qui n'a
pas eu de commencement »4.
En décrivant les subtilités dialectiques de la raison comme
réplique à la foison foisonnante des obstacles épistémologiques,
M. Bachelard a réussi ce que tant d'autres épistémologues ont
manqué : comprendre l'anti-science. Émile Meyerson, en somme,
se tirait à bon compte des difficultés posées à l'intelligence philo-
sophique par la résistance que l'expérience qualifiée, que l'uni-
vers du vivant opposent à l'effort rationnel pour l'identité du
réel. En nommant « irrationnel » ce noyau rebelle, Meyerson
cherchait à le déprécier; mais en justifiant la raison d'en faire le
« sacrifice », il lui reconnaissait, implicitement, quelque valeur
qu'il n'hésitait pas à nommer aussi réalité. Mais c'est trop de
deux réalités ! En fait l'épistémologie meyersonienne restait à
base de manichéisme, faute de savoir distinguer entre le négatif
et le néant. Tel est le sort inévitable de toute épistémologie qui
importe dans la philosophie elle-même les valeurs propres exclu-
sivement à la science, et qui tient l'anti-science comme disqua-
lifiée absolument parce que disqualifiée par et pour la science.
M. Bachelard, également quoique différemment attaché à la
science et à la poésie, à la raison et à l'imagination, n'a rien d'un
manichéen. Il s'est décidé à assumer le rôle et le risque d'un
« philosophe concordataire »5. Quand il produit au jour les
archétypes latents de l'imagination imageante, fomentant pour
GEORGES CANGUILHEM
2. G. Bachelard
GASTON BACHELARD
Le rationalisme appliqué
INTRODUCTION
Épistémologie et méthodologie
3. A.. Kaplan
ABRAHAM K A P L A N
Tbe Conduct of Inquiry :
Methodology for Behavioral Science
1. L a rupture
4. É. Durkheim
ÉMILE DURKHEIM
Les règles de la méthode sociologique
9
IJO Épistémologie et méthodologie
5. M. Mauss
que nous avons à faire au début ne peut être que provisoire. Elle
est seulement destinée à engager la recherche, à déterminer la
chose à étudier, sans anticiper sur les résultats de l'étude. Il s'agit
de savoir quels sont les faits qui méritent d'être appelés prières.
Mais cette définition pour être provisoire ne saurait être établie
avec trop de soin, car elle dominera toute la suite du travail. Elle
facilite en effet la recherche parce qu'elle limite le champ de
l'observation. En même temps elle rend méthodique la vérifica-
tion des hypothèses. Grâce à elle on échappe à l'arbitraire, on est
obligé de considérer tous les faits de prière et de ne considérer
qu'eux. La critique peut alors se faire d'après des règles précises.
Pour discuter une proposition, il faut faire voir : ou que la
définition était mauvaise et viciait toute la suite du raisonnement,
ou qu'on a négligé tel fait qui rentrait dans la définition, ou bien
enfin qu'on a fait entrer en ligne de compte des faits qui n'y
rentraient pas.
Au contraire, quand la nomenclature n'est pas arrêtée, l'au-
teur passe insensiblement d'un ordre de faits à l'autre, ou un
même ordre de faits porte différents noms chez différents auteurs.
Les inconvénients qui résultent de l'absence de définition sont
particulièrement sensibles dans la science des religions où l'on
s'est peu préoccupé de définir. C'est ainsi que des ethnographes
après avoir dit que la prière est inconnue de telle ou telle société,
nous citent des « chants religieux », de nombreux textes rituels
qu'ils y ont observés. Une définition préalable nous épargnera
ces déplorables flottements et ces interminables débats entre
auteurs qui, sur le même sujet, ne parlent pas des mêmes choses.
Puisque cette définition vient au début de la recherche, c'est-
à-dire à un moment où les faits sont seulement connus du dehors,
elle ne peut être faite que d'après des signes extérieurs. Il s'agit
exclusivement de délimiter l'objet de l'étude et par conséquent
d'en marquer les contours. Ce qu'il faut trouver c'est quelques
caractères apparents, suffisamment sensibles qui permettent de
reconnaître, presque à première vue, tout ce qui est prière. Mais
d'un autre côté ces mêmes caractères doivent être objectifs. Il
ne faut s'en fier ni à nos impressions ni à nos prénotions, ni
à celles des milieux observés. Nous ne dirons pas d'un acte
religieux qu'il est une prière parce que nous le sentons tel, ni
parce que les fidèles de telle ou telle religion le nomment ainsi.
De même que le physicien définit la chaleur par la dilatation des
corps et non par l'impression du chaud, c'est dans les choses
elles-mêmes que nous irons chercher le caractère en fonction
duquel la prière doit être exprimée. Définir d'après des impres-
I}2 Épistémologie et méthodologie
sions revient à ne pas définir du tout; car rien n'est plus mobile
qu'une impression : elle change d'un individu à l'autre, d'un
peuple à l'autre; elle change, dans un individu comme dans un
peuple suivant l'état d'esprit où ils se trouvent. Aussi lorsqu'au
lieu de constituer — arbitrairement, mettons, mais avec le souci
de la logique et le sens du concret — la notion scientifique de la
prière on la compose à l'aide d'éléments aussi inconsistants que le
sentiment des individus, on la voit ballottée entre les contraires,
au détriment du travail. Les choses les plus différentes sont
appelées prières soit au cours d'un même travail, par un même
auteur, soit suivant les auteurs qui donnent au mot des sens
divers, soit suivant les civilisations étudiées. De cette manière
on en vient à opposer comme contradictoires des faits qui res-
sortissent à un même genre, ou à confondre des faits qui doivent
être distingués. De même que l'ancienne physique faisait du
chaud et du froid deux natures différentes, de même, un idéaliste,
aujourd'hui encore, se refusera à admettre qu'il y ait quelque
parenté entre la prière et la grossière incantation magique. Le
seul moyen d'échapper à des distinctions, aussi arbitraires que
certaines confusions, c'est d'écarter, une bonne fois, toutes ces
pré-notions subjectives pour atteindre l'institution elle-même.
A cette condition, cette définition initiale sera déjà un premier
gain pour la recherche. [...]
Lorsque nous disons « la prière », nous n'entendons pas qu'il
existe quelque part une entité sociale qui mériterait ce nom et
sur laquelle nous pourrions immédiatement spéculer. Une insti-
tution n'est pas une unité indivisible, distincte des faits qui la
manifestent, elle n'est que leur système. Non seulement « la
religion » n'existe pas et il n'y a que des religions particulières
mais encore chacune de celles-ci n'est rien autre chose qu'un
ensemble plus ou moins organisé de croyances et de pratiques
religieuses. De même le mot de prière n'est qu'un substantif par
lequel nous dénotons un ensemble de phénomènes dont chacun
est individuellement une prière. Seulement tous ont en commun
certains caractères propres qu'une abstraction peut dégager.
Nous pouvons donc les rassembler sous un même nom qui les
désigne tous et ne désigne qu'eux.
Mais si, pour constituer cette notion, nous ne sommes aucune-
ment liés par les idées courantes, nous ne devons pas leur faire
inutilement violence. Il ne s'agit pas du tout d'employer dans
un sens entièrement nouveau un mot dont tout le monde se sert,
mais de mettre à la place de la conception usuelle, qui est
confuse, une conception plus claire et plus distincte. Le physi-
Prénotion s et techniques de rupture 133
cien n'a pas défiguré le sens du mot chaleur quand il l'a définie
par la dilatation. De même le sociologue ne défigurera pas le sens
du mot prière quand il en délimitera l'extension et la compréhen-
sion. Son seul but est de substituer à des impressions personnelles
un signe objectif qui dissipe les amphibologies et les confusions
et, tout en évitant les néologismes, prévienne les jeux de mots.
MARCEL MAUSS
« La Prière »
134 Épistémologie et méthodologie
6. J. H. Goldthorpe et D. Lockivood
Groupe de référence
Moyens privilégiés
IO
1.2. L'ILLUSION DE LA TRANSPARENCE
ET LE PRINCIPE DE LA NON-CONSCIENCE
LA PHILOSOPHIE ARTIFICIALISTE
COMME FONDEMENT DE L'ILLUSION
DE LA RÉFLEXIVITÉ
7. É. Durkheim
Si l'on commence par se demander ainsi quelle doit être l'éduca-
tion idéale, abstraction faite de toute condition de temps et de
lieu, c'est qu'on admet implicitement qu'un système éducatif
n'a rien de réel par lui-même. On n'y voit pas un ensemble de
pratiques et d'institutions qui se sont organisées lentement au
cours du temps, qui sont solidaires de toutes les autres institu-
tions sociales et qui les expriment, qui, par conséquent, ne
peuvent pas plus être changées à volonté que la structure même
de la société. Mais il semble que ce soit un pur système de
L'IGNORANCE MÉTHODIQUE
8. Ê. Durkheim
Nous ne disons pas, en effet, que les faits sociaux sont des choses
matérielles, mais sont des choses au même titre que les choses
matérielles, quoique d'une autre manière.
Qu'est-ce en effet qu'une chose ? La chose s'oppose à l'idée
comme ce que l'on connaît du dehors à ce que l'on connaît du
dedans. Est chose tout objet de connaissance qui n'est pas natu-
rellement compénétrable à l'intelligence, tout ce dont nous ne
pouvons nous faire une notion adéquate par un simple procédé
d'analyse mentale, tout ce que l'esprit ne peut arriver à com-
prendre qu'à condition de sortir de lui-même, par voie d'obser-
vations et d'expérimentations, en passant progressivement des
caractères les plus extérieurs et les plus immédiatement acces-
sibles aux moins visibles et aux plus profonds. Traiter des faits
d'un certain ordre comme des choses, ce n'est donc pas les
classer dans telle ou telle catégorie du réel; c'est observer vis-
à-vis d'eux une certaine attitude mentale. C'est en aborder
l'étude en prenant pour principe qu'on ignore absolument ce
qu'ils sont, et que leurs propriétés caractéristiques, comme les
causes inconnues dont elles dépendent, ne peuvent être décou-
vertes par l'introspection même la plus attentive.
Les termes ainsi définis, notre proposition, loin d'être un para-
doxe, pourrait presque passer pour un truisme si elle n'était
encore trop souvent méconnue dans les sciences qui traitent de
l'homme, et surtout en sociologie. En effet, on peut dire en ce
Épistémologie et méthodologie
sens que tout objet de science est une chose, sauf, peut-être,
les objets mathématiques; car, pour ce qui est de ces derniers,
comme nous les construisons nous-mêmes depuis les plus simples
jusqu'aux plus complexes, il suffit, pour savoir ce qu'ils sont,
de regarder au-dedans de nous et d'analyser intérieurement le
processus mental d'où ils résultent. Mais dès qu'il s'agit de faits
proprement dits, ils sont nécessairement pour nous, au moment
où nous entreprenons d'en faire la science, des inconnus, des
choses ignorées car les représentations qu'on a pu s'en faire au
cours de la vie, ayant été faites sans méthode et sans critique,
sont dénuées de valeur scientifique et doivent être tenues à
l'écart. Les faits de la psychologie individuelle eux-mêmes pré-
sentent ce caractère et doivent être considérés sous cet aspect.
En effet, quoiqu'ils nous soient intérieurs par définition, la
conscience que nous en avons ne nous en révèle ni la nature
interne ni la genèse. Elle nous les fait bien connaître jusqu'à un
certain point, mais seulement comme les sensations nous font
connaître la chaleur ou la lumière, le son ou l'électricité; elle
nous en donne des impressions confuses, passagères, subjectives,
mais non des notions claires et distinctes, des concepts explica-
tifs. Et c'est précisément pour cette raison qu'il s'est fondé au
cours de ce siècle une psychologie objective dont la règle fon-
damentale est d'étudier les faits mentaux du dehors, c'est-à-dire
comme des choses. A plus forte raison en doit-il être ainsi des
faits sociaux; car la conscience ne saurait être plus compétente
pour en connaître que pour connaître de sa vie propre. On
objectera que comme ils sont notre œuvre, nous n'avons qu'à
prendre conscience de nous-mêmes pour savoir ce que nous
y avons mis et comment nous les avons formés. Mais, d'abord,
la majeure partie des institutions sociales nous sont léguées
toutes faites par les générations antérieures; nous n'avons pris
aucune part à leur formation et, par conséquent, ce n'est pas en
nous interrogeant que nous pourrons découvrir les causes qui
leur ont donné naissance. De plus, alors même que nous avons
collaboré à leur genèse, c'est à peine si nous entrevoyons de la
manière la plus confuse, et souvent même la plus inexacte, les
véritables raisons qui nous ont déterminé à agir et la nature de
notre action. Déjà, alors qu'il s'agit simplement de nos démarches
privées, nous savons bien mal les mobiles relativement simples
qui nous guident; nous nous croyons désintéressés alors que
nous agissons en égoïstes, nous croyons obéir à la haine alors
que nous cédons à l'amour, à la raison alors que nous sommes
les esclaves de préjugés irraisonnés, etc. Comment donc aurions-
L'illusion de la transparence
ÉMILE DURKHEIM
L'INCONSCIENT : DU SUBSTANTIF
A LA SUBSTANCE
9. L. Wittgenstein
LUDWIG WITTGENSTEIN
Le cahier bleu et le cahier brun,
études préliminaires aux investigations philosophiques
154 Épistêmologie et méthodologie
LE PRINCIPE DU DÉTERMINISME
COMME NÉGATION DE L'ILLUSION
DE LA TRANSPARENCE
« Pour qu'il pût y avoir une science véritable des faits sociaux, il
fallait qu'on fût arrivé à voir dans les sociétés des réalités comparables
à celles qui constituent les autres régies ; à comprendre qu'elles ont une
nature que nous ne pouvons changer arbitrairement et des lois qui
dérivent nécessairement de cette nature. En d'autres termes, la sociologie
ne pouvait naître que si l'idée déterministe, fortement établie dans les
sciences physiques et naturelles, était enfin étendue à l'ordre social. »*
Il a fallu, sans doute, l'exemple des autres sciences pour que pût être
vaincu le préjugé tenace qui portait à accorder au monde social un traite-
ment d'exception : ainsi, l'organicisme apparaît comme un effort pour
étendre le déterminisme, admis en biologie, au « règne social » où il était
contesté et pour « combler le vide qu'on avait si longtemps admis entre
les sociétés et le reste de l'univers »**. Ce rappel historique de la difficulté
avec laquelle le principe du déterminisme s'est imposé dans l'étude du
« règne social » doit faciliter l'analyse et la liquidation des formes
subtiles sous lesquelles survit encore l'illusion de la transparence en
faisant voir, sous la forme simple et brutale qu'ils revêtaient à d'autres
époques, lesfondements véritables de cette illusion récurrente.
10. É. Durkheim
entrevoir que le règne social a ses lois propres, comme les autres
règnes de la nature. Montesquieu, en déclarant que « les lois sont
les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses »,
entendait bien que cette excellente définition de la loi naturelle
s'appliquait aux choses sociales comme aux autres et son Esprit
des Lois a précisément pour objet de montrer comment les
institutions juridiques sont fondées dans la nature des hommes
et de leurs milieux. Peu après, Condorcet entreprenait de retrou-
ver l'ordre suivant lequel s'étaient faits les progrès de l'humanité;
ce qui était la meilleure manière de faire voir qu'ils n'avaient
rien de fortuit, de capricieux, mais dépendaient de causes déter-
minées. En même temps, les économistes enseignaient que les
faits de la vie industrielle et commerciale sont gouvernés par des
lois qu'ils croyaient même avoir découvertes.
Cependant, et bien que ces différents penseurs aient préparé la
voie à la conception sur laquelle repose la sociologie, ils n'avaient
encore qu'une notion assez ambiguë et flottante de ce que sont
les lois de la vie sociale. Ils ne voulaient pas dire, en effet, que
les faits sociaux s'enchaînent les uns aux autres suivant des rela-
tions de cause à effet, définies et invariables, que le savant cherche
à observer par des procédés analogues à ceux qui sont employés
dans les sciences de la nature. Mais ils entendaient seulement que,
étant donné la nature de l'homme, une voie se trouvait par cela
même tracée qui seule était naturelle et que l'humanité devait
suivre si elle voulait être d'accord avec elle-même et remplir ses desti-
nées ; mais il restait possible qu'elle s'en écartât [...]
C'est seulement au début du xix e siècle, avec Saint-Simon
d'abord, et surtout Auguste Comte son disciple, qu'une concep-
tion nouvelle s'est définitivement fait jour.
Procédant, dans son Cours de philosophie positive, à la revue
synthétique de toutes les sciences constituées de son temps, il
constata qu'elles reposaient toutes sur cet axiome que les faits
dont elles traitent sont liés suivant des rapports nécessaires,
c'est-à-dire sur le principe déterministe; d'où il conclut que ce
principe, qui avait été ainsi vérifié dans tous les autres règnes de
la nature, depuis le règne des grandeurs mathématiques jusqu'à
celui de la vie, devait être également vrai du règne social. Les
résistances mêmes qui s'opposent aujourd'hui à cette extension
nouvelle de l'idée déterministe ne doivent pas arrêter le philo-
sophe; car elles se sont régulièrement produites chaque fois
qu'il a été question d'étendre à un règne nouveau ce postulat
fondamental, et elles ont toujours été vaincues. Il fut un temps
où l'on se refusait à l'admettre même dans le monde des corps
IJ6 Épistêmologie et mêthodologù
bruts; il s'y est établi. On l'a nié ensuite des êtres vivants et
pensants; il y est maintenant incontesté.
On peut donc être assuré que les mêmes préjugés auxquels il
vient se heurter, quand il s'agit de l'appliquer au monde social,
ne dureront eux-mêmes qu'un temps. D'ailleurs, puisque Comte
posait comme une vérité d'évidence — vérité, au reste, qui est
maintenant incontestée — que la vie mentale de l'individu est
soumise à des lois nécessaires, comment les actions et les réac-
tions qui s'échangent entre les consciences individuelles, quand
elles sont associées, ne seraient-elles pas soumises à la même
nécessité ?
De ce point de vue, les sociétés cessaient d'apparaître comme
une sorte de matière indéfiniment malléable et plastique, que les
hommes peuvent, pour ainsi dire, pétrir à volonté; il fallait
désormais y voir des réalités, dont la nature s'impose à nous et
qui ne peuvent être modifiées, comme toutes choses naturelles,
que conformément aux lois qui les régissent. Les institutions
des peuples ne pouvaient plus être considérées comme le produit
de la volonté, plus ou moins bien éclairée, des princes, des
hommes d'État, des législateurs, mais comme les résultantes
nécessaires de causes déterminées qui les impliquaient physique-
ment. Étant donné la manière dont un peuple est composé à un
moment de son histoire, l'état de sa civilisation à cette même
époque, il en résulte une organisation sociale, caractérisée de
telle ou telle façon, tout comme les propriétés d'un corps
résultent de sa constitution moléculaire. On se trouve donc en
face d'un ordre de choses stable, immuable, et une science pure
devient, à la fois, possible et nécessaire pour le décrire et l'expli-
quer, pour dire quels en sont les caractères et de quelles causes
ils dépendent [...]
Jusqu'à hier, on croyait que tout y était arbitraire, contingent,
que les législateurs ou les rois pouvaient, tout comme les
alchimistes d'autrefois, changer à leur guise la face des sociétés,
les faire passer d'un type dans un autre. En réalité, ces prétendus
miracles étaient illusoires; et à combien de graves méprises
a donné lieu cette illusion encore trop répandue [...]
Les sciences, en même temps qu'elles proclament la nécessité
des choses, nous mettent entre les mains les moyens de la domi-
ner. Comte fait même remarquer avec insistance que, de tous les
phénomènes naturels, les phénomènes sociaux sont les plus
malléables, les plus accessibles aux variations, aux changements,
parce qu'ils sont les plus complexes. La sociologie n'impose
donc nullement à l'homme une attitude passivement conserva-
L'illusion de la transparence 157
ÉMILE DURKHEIM
« Sociologie et sciences sociales »
IJ8 Épistémologie et méthodologie
LE CODE ET LE DOCUMENT
II. F. Simiand
A ce que [la sociologie] se constitue sur le modèle des autres
[sciences], reste une dernière opposition, tirée des conditions
mêmes de la connaissance en la matière étudiée. — a) Le document,
cet intermédiaire entre l'esprit qui étudie et le fait étudié, est, on
l'a vu, fort différent d'une observation scientifique : il est fait
sans méthode définie et à d'autres fins que la fin scientifique;
il a donc, dit-on, un caractère subjectif — La science sociale
assurément est, par là, en condition d'infériorité; mais il est
important de noter qu'ici, comme dans la question de la contin-
gence, l'objection tire sa force de la direction d'esprit de l'histo-
rien plus encore que de la nature des choses. Si au document
* Cette définition du fait social compte parmi les principes de Durkheim qui ont
le plus marqué ses émules ou ses disciples et qui ont autorisé, chez la plupart
d'entre eux, les acquis scientifiques les plus positifs. Ainsi Granet s'est attaché
à surmonter, dans son œuvre de sinologue, la distinction entre le document
« authentique » et le document « inauthentique » ou réinterprété; Granet a pu
sortir de cette querelle, historiquement « désespérée » dans le cas de la tradition
chinoise, en prenant pour objet (objet au deuxième degré, c'est-à-dire objet
construit), les « schèmes » et les « stéréotypes » selon lesquels le matériel rituel
ou historique se trouve mis en forme dans les œuvres chinoises classiques, et il
fait hommage de cette intention de méthode à l'enseignement de Durkheim
(M. Granet, Danses et légendes de la Chine ancienne, 1.1, Paris, P.U.F., 1959, intro-
duction, p. 25-57).
L'illusion de la transparence !59
FRANÇOIS SIMIAND
« Méthode historique et science sociale »
1.3. NATURE ET CULTURE :
SUBSTANCE ET SYSTÈME DE RELATIONS
NATURE ET HISTOIRE
12. K. Marx
ii
i6z Épistêmologie et méthodologie
KARL MARX
Introduction générale à la critique de l'économie politique
Nature et culture 165
13. É. Durkheim
Émile Durkheim
Les règles de la méthode sociologique
Nature et culture 169
LA STÉRILITÉ DE L'EXPLICATION
DES SPÉCIFICITÉS HISTORIQUES
PAR DES TENDANCES UNIVERSELLES
14. M. Weber
La « soif d'acquérir », la « recherche du profit », de l'argent,
de la plus grande quantité d'argent possible, n'ont en eux-
i . M. Weber vient de citer des textes qu'il considère comme une expression de
1' « esprit du capitalisme » : B. Franklin y prêche une morale ascétique pour
qui le but suprême est de produire toujours plus d'argent au prix d'une vie
dominée par le calcul et le souci de faire rapporter l'argent, « par nature géné-
rateur et prolifique ».
Nature et culture
travail forcé. Ils ont pris à ferme domaines et charges, avec une
préférence pour le recouvrement des impôts. Ils ont financé les
chefs de partis en période d'élections et les condottieri en temps
de guerres civiles. En fin de compte, ils ont été des spéculateurs
à la recherche de toutes les occasions de réaliser un gain
pécuniaire. Cette variété d'entrepreneurs, les aventuriers capita-
listes, a existé partout. A l'exception du commerce ou des opéra-
tions de crédit et de banque, leurs activités ont revêtu un carac-
tère irrationnel et spéculatif, ou bien elles se sont orientées vers
l'acquisition par la violence, avant tout par des prélèvements de
butin : soit directement, par la guerre, soit indirectement, sous la
forme permanente du butin fiscal, c'est-à-dire par l'exploitation
des sujets. Autant de caractéristiques que l'on retrouve souvent
encore dans le capitalisme de l'Occident moderne : capitalisme
des flibustiers de la finance, des grands spéculateurs, des pour-
chasseurs de concessions coloniales, des grands financiers. Et
surtout dans celui qui s'attache plus spécialement à l'exploita-
tion des guerres auquel se trouve liée, aujourd'hui comme tou-
jours, une partie, mais une partie seulement, du grand commerce
international.
Mais, dans les temps modernes, l'Occident a connu en propre
une autre forme de capitalisme : l'organisation rationnelle capi-
taliste du travail (formellement) libre, dont on ne rencontre
ailleurs que de vagues ébauches. Dans l'Antiquité, l'organisation
du travail servile n'a atteint un certain niveau de rationalisation
que dans les plantations et, à un moindre degré, dans les erga-
steria. Au début des temps modernes, la rationalisation a encore
été plus restreinte dans les fermes et les ateliers seigneuriaux,
ainsi que dans les industries domestiques des domaines seigneu-
riaux utilisant le travail servile. De véritables industries domes-
tiques, ayant recours au travail libre, n'ont existé hors de l'Occi-
dent — le fait est avéré — qu'à l'état isolé. L'emploi pourtant
très répandu de journaliers n'a conduit qu'exceptionnellement
à la mise sur pied de manufactures — et cela sous des formes très
différentes de l'organisation industrielle (monopoles d'État) —,
jamais en tout cas à une organisation de l'apprentissage du métier
à la manière de notre Moyen Age.
Mais l'organisation rationnelle de l'entreprise, liée aux prévi-
sions d'un marché régulier et non aux occasions irrationnelles
ou politiques de spéculer, n'est pas la seule particularité du
capitalisme occidental. Elle n'aurait pas été possible sans deux
autres facteurs importants : la séparation du ménage [Haussait] et
de l'entreprise [.Betrieb], qui domine toute la vie économique
Nature et culture 173
M A X WEBER
L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme
1.4. LA SOCIOLOGIE SPONTANÉE
ET LES POUVOIRS DU LANGUAGE
LA NOSOGRAPHIE DU LANGAGE
Nous croyons, disait à peu près Bacon, que nous gouvernons nos mots
quand ce sont eux qui nous gouvernent à notre insu et nous empêtrent
insidieusement dans les tromperies de leurs fausses apparences. Il ne
suffit pas, comme le veut la tradition rationaliste de la Lingua uni-
versalis ou de la Characteristica generalis, de substituer aux incer-
titudes du langage commun, cet idolum fori, la logique parfaite d'un
langage construit : il faut analyser la logique du langage ordinaire qui,
parce qu'ordinaire, passe inaperçue. Pareille critique peut seule porter
au jour les fausses problématiques et les catégories fallacieuses que
véhicule le langage et qui menacent toujours de se réintroduire sous les
travestis savants de la langue la plus formalisée.
15. M. Chastaing
1. Quand nous philosophons, nous ressemblons aux sauvages, aux primitifs qui entendent
parler des civilisés, interprètent mal les paroles de ceux-ci et tirent d'étranges conclusions
de leur interprétation [79]. M. MacDonald traduit : les philosophes « emploient
des mots ordinaires tout en privant ceux-ci de leur fonction ordinaire » (« The
Philosopher's Use of Analogy », Logic and Language, Oxford, 1955,1, p. 82).
2. Wittgenstein utilise l'expression Sprachspiel (language-game) pour désigner
parfois le système (I, 6) d'une langue, parfois l'usage de cette langue, c'est-
à-dire la parole, parfois enfin la parole et les actes auxquels celle-ci est mêlée [5].
Il illustre cette expression en comparant, comme Saussure, le langage au jeu
d'échecs.
3. Formule de M. Schlick que ce dernier attribue à Wittgenstein (« Meaning and
Vérification », Phi. Rev., 1936, p. 341).
4. Cf. B. A. Farrell, « An Appraisal of Therapeutic Positivism », Mind, 1946.
5. Ein philosophisches Vroblem bat die Form : « Ich kenne micb nicht aus » [49].
6. Je ne puis que dans un langage signifier quelque chose par quelque chose [18]. Formule
très « saussurienne ».
7. Exemples de Wittgenstein (J. Wisdom, « OtherMinds », Mind, 1940, p. 370).
176 Épistémologie et méthodologie
1. Cf. R . Wells, « Meaning and Use », Word, août 1951, p. 24. Dans ce numéro de
Word, la philosophie de Wittgenstein conflue avec la linguistique structurale
(cf. S. Ullmann, « T h e Concept of Meaning in Linguistics », Archivum hing.,
1956, p. 18-29). Mais confluence n'est pas influence. Wittgenstein a-t-il été
influencé par des linguistes ? A-t-il influé sur la linguistique ?
2. Einseitige Diät.
12
I78 Épistêmologie et méthodologie
MAXIME CHASTAING
« Wittgenstein et le problème de la connaissance d'autrui »
16. G. Canguilhem
GEORGES CANGUILHEM
IM Connaissance de la vie
GEORGES CANGUILHEM
« Le tout et la partie dans la pensée biologique »
1.5. LA TENTATION DU PROPHÉTISME
LE PROPHÉTISME DU PROFESSEUR
ET DE L'INTELLECTUEL
17. M. Weber
MAX WEBER
Essais sur la théorie de la science
18. B. M. Berger
Spécialisation
Les intellectuels sont des critiques, libéraux ou conservateurs,
radicaux ou réactionnaires, de la vie de l'époque. Leur compé-
tence est illimitée ; elle ne s'étend pas à moins qu'à l'ensemble de
la vie culturelle d'un peuple. [...] Pour qui étudie les humanités,
et particulièrement l'histoire littéraire, être spécialiste c'est avoir
une compétence particulière à propos d'une période historique
donnée et à propos des personnages importants, qui y sont asso-
ciés : le D r Johnson devant la littérature anglaise du xvin e siècle,
la signification de Gide dans la littérature française du xx® siècle,
le prince Metternich et l'histoire de l'Europe après 1815 ; Kant,
Hegel et l'idéalisme allemand entre 1750 et 1820. Être spécialiste
de pareils sujets n'interdit pas de jouer le rôle d'intellectuel,
puisque la tradition des études humanistes porte aux vues d'en-
semble; elle encourage à discuter et interpréter l'arrière-plan
social, culturel, intellectuel, spirituel du domaine dont on pré-
tend être « connaisseur ». Les humanités — et particulièrement
l'histoire de la littérature — offrent ainsi aux intellectuels un
statut professionnel qui ne saurait les empêcher de remplir leur
fonction d'intellectuels. [...]
Jugements de valeur
Dans leurs commentaires de la culture contemporaine, dans leurs
interprétations de l'expérience contemporaine, les intellectuels
ne sont pas étroitement soumis à l'obligation du « détachement »
et de 1'« objectivité ». A la différence du sociologue, soumis à la
règle d'une stricte séparation entre les faits et les valeurs, on
attend de l'intellectuel qu'il juge et évalue, qu'il loue et qu'il
blâme, qu'il essaie de gagner des gens à son point de vue et qu'il
défende sa position contre ses adversaires.
Cette fonction qui prend la forme de la polémique dans les
libres débats entre intellectuels, s'accomplit, dans le milieu uni-
versitaire, par l'opposition d'« écoles de pensée » divergentes.
Alors qu'en sociologie l'existence d'écoles de pensée déconcerte
chacun, puisqu'elle rappelle l'insuffisance des connaissances
(dans le domaine scientifique, les conjectures ne sont tolérées
que sur les sujets où l'on ne dispose pas de faits bien établis),
dans le domaine des humanités on admet et on attend l'existence
d'écoles de pensée divergentes parce que les normes de ces disci-
plines veulent que l'on porte des jugements de valeur, que l'on
développe des points de vue personnels, que l'on propose des
interprétations divergentes.
IM tentation du prophétisme 189
Les hommes de lettres ont su, plus que les membres d'autres
professions intellectuelles, résister au mouvement de bureaucra-
tisation de la vie intellectuelle, cela grâce à l'existence aux États-
Unis d'un large marché pour la littérature de fiction, et grâce aux
possibilités de vendre commentaires et articles critiques et à des
magazines de haute ou de moyenne tenue. [...]
Les écrivains indépendants qui peuvent subsister sans dépendre
du salaire assuré par une université ou une autre grande organi-
sation se voient assurer la plus grande liberté dans la critique de
la vie de l'époque. Pareilles possibilités ne sont pas offertes aux
sociologues en tant que tels. De plus, la recherche sociologique
importante se fait, de plus en plus, au sein d'équipes, alors que
la recherche en histoire littéraire ou dans le domaine des huma-
nités est encore largement le fait de chercheurs travaillant indi-
viduellement. Il est évident que le travail collectif impose des
limites aux commentaires et aux interprétations personnelles des
auteurs, alors que le chercheur individuel, spécialiste des disci-
plines humanistes, responsable seulement devant lui-même, est
affranchi des contraintes imposées par la recherche collective.
[...] Bien que la sociologie se soit attribué une sorte de droit
d'expertise en ce qui concerne la société et la culture, les tradi-
tions de la science (spécialisation étroite, objectivité, recherche
en équipes) s'opposent à ce que les sociologues jouent le rôle
d'intellectuels. [...] Quand le sociologue prétend connaître en
spécialiste la situation de ses contemporains, on croit qu'il
affirme, en fait, connaître mieux que l'intellectuel la situation
contemporaine. De ce seul fait, cette prétention implicite s'offre
aux intellectuels comme un nouvel objet sur lequel exercer leur
critique — et cela d'autant plus volontiers que cette affirmation
semble une contestation de leur droit à occuper la position
qu'ils occupent en tant qu'intellectuels.
[Même les intellectuels favorables à la sociologie attendent
que les sociologues « s'attaquent aux grands problèmes ». A cette
attente s'opposent les impératifs du travail scientifique et les
exigences des institutions de recherche. « Car exhorter le socio-
logue, comme le fait l'intellectuel à ' s'attaquer aux grands pro-
blèmes ', c'est en réalité lui demander de ne pas être un scienti-
fique, mais d'être un humaniste, un intellectuel. »]
L'accueil sinon tout à fait favorable, du moins plein de consi-
dération, que les intellectuels ont fait aux travaux de Riesman et
de Mills (qui sont les moins encombrés par l'appareil de la
190 Épistêmologie et méthodologie
BENNET M . BERGER
Sociology and the Intellectuals : An Analysis of a Stéréotypé
19. G. Bachelard
Essayons cependant de saisir des principes de cohérence dans
l'activité de la philosophie du non.
Nul mieux qu'Eddington n'a compris la valeur des rectifica-
tions successives des divers schémas atomiques. Après avoir
rappelé le schéma proposé par Bohr qui assimilait le système
atomique à un système planétaire en miniature, Eddington pré-
vient qu'on ne doit pas prendre cette description trop à la lettre1 :
« Les orbites peuvent difficilement se rapporter à un mouvement
réel dans l'espace, car on admet généralement que la notion
ordinaire d'espace cesse de s'appliquer à l'intérieur de l'atome;
et l'on n'a pas non plus, de nos jours, le moindre désir d'insister
sur le caractère de soudaineté ou de discontinuité qu'implique
le mot saut. On constate également que l'électron ne peut pas
être localisé de la manière qu'entraînerait cette image. En résumé,
le physicien dresse un plan soigné de l'atome, puis le jeu de son
esprit critique le conduit à supprimer l'un après l'autre chaque
détail. Ce qui subsiste est l'atome de la physique moderne ! ».
Nous exprimerions les mêmes pensées autrement. Il ne nous
GASTON BACHELARD
La philosophie du non
2. La construction de l'objet
20. K. Marx
Quand nous considérons un pays donné sous l'angle de l'éco-
nomie politique, nous commençons par sa population : sa répar-
tition dans les classes, dans les villes, la campagne, les mers, les
différentes branches de production, l'exportation et l'importa-
tion, la production et la consommation annuelles, les prix des
marchandises, etc.
Il est apparemment de bonne méthode de commencer par le
réel et le concret, la supposition véritable; donc, dans l'économie,
par la population qui est la base et le sujet de l'acte social de la
production dans son ensemble. Toutefois, à y regarder de près,
cette méthode est fausse. La population est une abstraction si je
laisse de côté, par exemple, les classes dont elle se compose. Ces
classes sont à leur tour un mot vide de sens, si j'ignore les élé-
194 1M construction de l'objet
KARL MARX
Introduction générale à la critique de l'économie politique
196 La construction de l'objet
21. M. Weber
MAX WEBER
Essais sur la théorie de la science
204 1M construction de l'objet
22. É. Durkheim
Émile Durkheim
Les règles de la méthode sociologique
ÉMILE DURKHEIM
Ibid., préface de la 2 e éd.
2.1. LES ABDICATIONS DE L'EMPIRISME
LE VECTEUR ÉPISTÉMOLOGIQUE
23. G. Bachelard
Depuis William James, on a souvent répété que tout homme
cultivé suivait fatalement une métaphysique. Il nous paraît plus
exact de dire que tout homme, dans son effort de culture scien-
tifique, s'appuie non pas sur une, mais bien sur deux métaphy-
siques et que ces deux métaphysiques naturelles et convain-
cantes, implicites et tenaces, sont contradictoires. Pour leur
donner rapidement un nom provisoire, désignons c6s deux
attitudes philosophiques fondamentales, tranquillement asso-
ciées dans un esprit scientifique moderne, sous les étiquettes
classiques de rationalisme et de réalisme. Veut-on tout de suite
une preuve de ce paisible éclectisme ? Qu'on médite ce postulat
de philosophie scientifique : « La science est un produit de
l'esprit humain, produit conforme aux lois de notre pensée et
adapté au monde extérieur. Elle offre donc deux aspects, l'un
2O8 La construction de l'objet
GASTON BACHELARD
Le nouvel esprit scientifique
14
2.2. HYPOTHÈSES OU PRÉSUPPOSÉS
24. E. Kat%
ELIHU KATZ
« The Two-Step Flow of Communication :
An Up-to-Date Report on an Hypothesis »
218 La construction de l'objet
25. F. Simiand
Transposons dans le domaine statistique [les] conditions de
bonne abstraction enseignées par la méthodologie des sciences
positives; et nous apercevrons que la première précaution à
prendre pour ne pas tromper et ne pas nous tromper nous-
mêmes avec nos abstractions statistiques est de nous inquiéter
que nos expressions de faits complexes, nos moyennes, nos
indices, nos coefficients, ne soient pas des résultats de comptages
quelconques, de combinaisons arbitraires entre des chiffres et
des chiffres, mais qu'elles aussi se modèlent sur la complexité
concrète, respectent les articulations du réel, expriment quelque
chose à la fois de distinct et de vrai par rapport à la multiplicité
des cas individuels à laquelle elles correspondent. Observons, au
contraire, que ce qui peut nous égarer, ce qui, en fait, nous égare
bien souvent dans l'emploi des abstractions statistiques, ce n'est
pas qu'elles soient des abstractions, mais c'est qu'elles sont de tnau-
vaises abstractions.
Nous ne voyons aucun physicien déterminer la densité d'un
groupement quelconque d'objets hérétoclites ; car manifeste-
ment, ce groupement n'ayant aucune identité physique, la donnée
n'aurait aucun intérêt scientifique. Nous ne voyons aucun bota-
niste grouper ses observations sur des plantes cinq mois par
cinq mois, dix mois par dix mois, parce que manifestement la
végétation marche selon le cycle de l'année ou de douze mois.
Plus près encore et déjà dans le domaine statistique, nous ne
voyons pas de biologiste déterminer et étudier une moyenne
des tailles de tous les animaux divers d'une ménagerie.
Mais, par contre, est-il sans exemple, même dans des travaux
d'une certaine qualification, de trouver des indices de prix établis
entre des prix de toutes catégories confondues pêle-mêle et sans
aucune discrimination, des prix de matières premières avec des
prix de produits fabriqués, des prix de marchandises avec des
prix de services, des salaires, des loyers, alors que les mouve-
ments de ces divers groupes sont souvent assez différents soit
de sens, soit d'allure, soit de date, pour qu'une expression
commune, brouillant tout, ne puisse être que dépourvue de sens
ou trompeuse, s'il n'est pris garde à ces différences ?
Bien moins encore n'est-il pas sans exemple de voir grouper
et étudier par moyennes quinquennales, décennales, telles don-
nées de statistique économique sur des éléments dont les varia-
tions caractéristiques se présentent en cycles ou plus courts ou
plus longs que le lustre ou le décennat, et souvent irréguliers.
La représentation que de telles moyennes nous donnent nous
dissimulera donc le trait essentiel de l'élément étudié, au lieu de
le mettre en évidence, et elle ne peut que nous égarer. — Et
combien d'autres exemples pourraient s'ajouter à ces quelques
indications.
Elles suffiront toutefois à nous faire apercevoir, d'abord, où
doit être reconnue la vraie différence, à ce point de vue, entre
l'expérience ordinaire des sciences positives et l'expérience sta-
tistique, et ensuite où nous pouvons chercher un remède à l'in-
fériorité de celle-ci à ce même point de vue.
La différence entre les deux sortes de recherches n'est pas que
l'une opère sur des réalités et l'autre sur des abstractions, mais
que, dans l'expérimentation matérielle des sciences positives,
l'abstraction mauvaise, sans correspondance suffisante avec la
réalité, sans fondement objectif, s'avère le plus souvent aussitôt
telle par une évidence physique, matérielle; en recherche sta-
tistique, au contraire, des chiffres comme tels ne refusent jamais
d'être combinés avec d'autres chiffres, la correspondance ou la
non-correspondance avec quelque réalité objective n'est pas ici,
en général, un fait qui, comme on dit, « saute aux yeux ».
Dans l'expérience matérielle, le savant isole bien, au milieu de
la complexité présentée par la nature, certains éléments en rela-
tion reconnue ou soupçonnée avec de certains autres; mais, s'il
zzo La construction de l'objet
des moyennes qui ont un sens et d'autres qui n'en ont aucun,
défions-nous des moyennes, contrôlons, recoupons les indications
de moyennes d'un type par celles d'un autre type, par d'autres
indices, par des données complémentaires; et ne retenons que
celles qui, après ces épreuves, nous apparaissent avoir une
consistance véritable et répondre à quelque réalité collective.
Et de même pour les autres modes d'expression statistique.
Aujourd'hui, par exemple, en raison du mouvement considérable
des prix et de ses conséquences, qui ne parle, qui ne raisonne,
qui ne discute des « index numbers » ? Qui n'en tire preuve et
argument pour les thèses les plus diverses et parfois les plus
opposées ? — Mais, avant un tel usage, combien de personnes
se sont avisées ou souciées de savoir comment ces index numbers
sont établis, sur quelles bases, par quelles méthodes, ce qu'ils
signifient, ce qu'ils ne signifient pas ? M. Irving Fisher a signalé
que pour représenter un ensemble de prix ou de quantités, il
peut être établi un nombre indéfini de formules de nombres
indices, qui sont loin d'avoir le même sens ou les mêmes usages;
il s'est borné, du point de vue de son étude, à dégager seulement
quarante-quatre de ces formules possibles, en indiquant les caracté-
ristiques de chacune par rapport à telle ou telle condition. Stanley
Jevons avait employé une moyenne géométrique pour de cer-
taines raisons et pour un certain problème. M. Wesley C. Mitchell
a employé, par contre, pour de certaines raisons autres et égale-
ment avec succès pour le problème étudié par lui, une médiane,
accompagnée des quartiles et déciles. Les divers index numbers les
plus souvent cités et invoqués aujourd'hui sont établis souvent
dans des conditions et sur des bases assez différentes. —• Tout
cela est-il sans importance ? Ou, au contraire, tout cela n'est-il
pas à considérer, selon les questions étudiées, et en vue même
des conclusions qu'on cherche à en tirer ? Ou encore, justement
à cause de ces différences, ne sont-ils pas à utiliser en complé-
ment réciproque ou en recoupement utile, pour telles ou telles
questions, et pour faire apparaître les limites de leur valeur et de
leur légitime emploi ?
FRANÇOIS SIMIAND
Statistique et expérience — Remarques de méthode
2.3. LA FAUSSE NEUTRALITÉ DES TECHNIQUES
OBJET CONSTRUIT O U ARTEFACT
Étant donné que l'on s'interroge rarement sur l ' e f f e t différentiel des
techniques d'enquête en fonction de l'appartenance sociale des sujets, il
n'est pas inutile de reproduire ici une analyse de sociologie de la commu-
nication qui vise à constituer comme objet d'étude ce qui est d'ordinaire
traité comme instrument d'étude, et parfois comme instrument de
mesure absolu de certaines « aptitudes » (que l'on songe, par exemple,
à Lerner,faisant de l'aptitude des sujets à maîtriser la situation d'en-
tretien l'indice de leur aptitude à la novation)*. L. Schairman et
A.. Strauss montrent que l'entretien fait intervenir des techniques de
communication et des formes d'organisation de l'expérience qui opposent
point par point les classes moyennes et les classes populaires ; tirer
toutes les conséquences de ces analyses obligerait à renoncer à l'illusion
de la neutralité des techniques et, en l'occurrence, à se donner les moyens
de contrôler, pour en tenir compte, les e f f e t s de la situation d'entretien.
Les membres des classes moyennes sont tout aussi capables que
les membres des classes populaires de communiquer d'une
manière détaillée une description au premier degré, mais celle-ci
15
226 IM construction de l'objet
rôles que l'on prend peuvent être inadaptés dans bien des cas,
mais ils sont toujours le résultat d'une attitude active. Accou-
tumé à estimer et à anticiper les réactions de l'auditeur à ses
paroles, le locuteur acquiert la maîtrise de procédés ingénieux et
souples qui lui donnent les moyens de corriger, de nuancer, de
rendre plus plausible, d'expliquer et de reformuler son discours
—- bref, il se place dans de multiples perspectives et établit sa
communication en fonction de chacune d'elles. La possibilité de
choisir entre plusieurs perspectives implique qu'on puisse choisir
entre différents moyens d'ordonner et de structurer les parties
du discours. De plus, le locuteur est capable de catégoriser et de
relier entre elles les classes logiques qu'il emploie, ce qui revient
à dire que son éducation lui permet d'adopter de multiples
perspectives de portée assez vaste. Si les membres des classes
moyennes n'ont pas toujours un discours aussi subtil, la commu-
nication étant souvent ritualisée et, pour une large part, faite de
sous-entendus, comme il va de soi entre gens qui se connaissent
bien et qui ont tant de choses en commun qu'ils n'ont pas besoin
de raffiner pour se comprendre, on peut dire cependant que ces
sujets sont capables, quand on les sollicite, de conduire un récit
complexe et consciemment organisé. Cette forme de discours
requiert du locuteur outre de l'habileté et de la perspicacité, la
faculté de tenir subtilement l'auditeur à distance tout en lui
livrant une certaine part d'information. Pour les membres des
classes populaires, l'enquêteur appartient à une classe sociale
plus élevée que l'informateur, si bien que l'entretien constitue
une « conversation d'une classe sociale à l'autre ». Une telle
conversation réclame sans doute plus d'efforts et d'habileté que
celle qui s'établit entre un informateur et un enquêteur appar-
tenant tous deux aux classes moyennes, de sorte qu'il ne faut
pas s'étonner si l'enquêteur est souvent dérouté, ni si l'informa-
teur de son côté répond fréquemment à côté de la question [...].
Un membre des classes populaires qui, dans ces villes de l'Arkan-
sas, n'a que rarement l'occasion de se trouver en face d'un inter-
locuteur appartenant aux classes moyennes, surtout dans une
situation du type de la situation d'entretien, doit ici parler lon-
guement à un inconnu de ses expériences personnelles et se
remémorer pour le compte de son auditeur un nombre considé-
rable de détails. Il n'a vraisemblablement l'habitude de parler de
ce genre de sujets et avec autant de détails qu'à des auditeurs qui
ont en commun avec lui une expérience et un matériel symbo-
lique, et en face desquels il ne ressent guère le besoin de s'inter-
roger consciemment sur les techniques de la communication. Si,
236 La construction de l'objet
. C. Lévi-Strauss
Ne sommes-nous pas ici devant un de ces cas (qui ne sont pas si
rares) où l'ethnologue se laisse mystifier par l'indigène ? Non
certes par l'indigène en général, qui n'existe pas, mais par un
groupe indigène déterminé, où des spécialistes se sont déjà pen-
chés sur des problèmes, se sont posé des questions et ont essayé
d'y répondre. En l'occurrence, et au lieu de suivre jusqu'au bout
l'application de ses principes, Mauss y renonce en faveur d'une
théorie néo-zélandaise, qui a une immense valeur comme
document ethnographique, mais qui n'est pas autre chose qu'une
théorie. Or, ce n'est pas une raison parce que des sages maori se
sont posé les premiers certains problèmes et les ont résolus de
façon infiniment intéressante, mais fort peu satisfaisante, pour
s'incliner devant leur interprétation. Le hau n'est pas la raison
dernière de l'échange : c'est la forme consciente sous laquelle des
hommes d'une société déterminée, où le problème avait une
importance particulière, ont appréhendé une nécessité incons-
ciente dont la raison est ailleurs.
A l'instant le plus décisif, Mauss est donc pris d'une hésita-
tion et d'un scrupule. Il ne sait plus exactement s'il doit faire le
tableau de la théorie, ou la théorie de la réalité, indigènes. En
quoi il a raison dans une très large mesure : la théorie indigène
est dans une relation beaucoup plus directe avec la réalité indi-
gène que ne le serait une théorie élaborée à partir de nos caté-
gories et de nos problèmes. C'était donc un très grand progrès,
au moment où il écrivait, que d'attaquer un problème ethno-
16
242 La construction de l'objet
CLAUDE LÉVI-STRAUSS
« Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss »
. M. Mauss
Il n'est pas indispensable qu'un phénomène social arrive à son
expression verbale pour qu'il soit. Ce qu'une langue dit en un
mot, d'autres le disent en plusieurs. Il n'est même pas du tout
nécessaire qu'elles l'expriment : la notion de cause n'est pas
explicite dans le verbe transitif, elle y est pourtant.
Pour que l'existence d'un certain principe d'opérations men-
tales soit sûre, il faut et il suffit que ces opérations ne puissent
s'expliquer que par lui. On ne s'est pas avisé de contester l'uni-
versalité de la notion de sacré et pourtant, il serait bien difficile
de citer en sanskrit ou en grec un mot qui correspondît au (sacer)
des Latins. On dira : ici, pur (medhya), sacrificiel (yajniya),
divin (devya), terrible (ghora) ; là, saint (ispôç ou àyioç), véné-
rable (<re[iv6ç), juste (0é<T[i.o<;), respectable (aîSé<n[Aoç). Et pour-
tant les Grecs et les Hindous n'ont-ils pas eu une conscience
très juste et très forte du sacré ?
MARCEL MAUSS
« Introduction à l'analyse de quelques phénomènes religieux »
B. Malinomki
31 .M. WEBER
La sociologie forme — ainsi que je l'ai plusieurs fois postulé
comme vérité d'évidence — des concepts typiques et cherche les
règles génériques de l'événement. Au rebours de l'histoire qui
aspire à l'analyse et à l'imputation causale d'actions, de constella-
tions, de personnalités individuelles d'importance culturelle, la
Analogie et hypothèse 247
MAX WEBER
Essais sur la théorie de la science
2.5. MODÈLE ET THÉORIE
LA SOMME ET LA CATHÉDRALE :
LES ANALOGIES PROFONDES COMME PRODUIT
D'UNE HABITUDE MENTALE
32. E. Panofsky
Erwin Panofsky
Architecture gothique et pensée scolastique
33. P. Duhem
PIERRE DUHEM
La théorie physique, son objet, sa structure
z6o La construction de l'objet
34. N. R. Campbell
Tous ceux qui ont écrit sur les principes de la science ont parlé
de la relation étroite qui unit l'analogie et les théories ou les
hypothèses. Il me semble néanmoins que la plupart d'entre eux
ont interprété à faux la manière dont le problème se pose. Ils
présentent les analogies comme des « auxiliaires » au service de
la formation des hypothèses (terme par lequel ils ont accoutumé
de désigner ce que je préfère appeler des théories) et du progrès
des sciences. Mais, de mon point de vue, les analogies ne sont pas
de simples « auxiliaires » pour l'établissement des théories, elles
sont partie intégrante des théories qui, sans elles, seraient com-
plètement dépourvues de valeur et indignes de ce nom. On dit
souvent que l'analogie guide la formulation de la théorie, mais
qu'une fois la théorie formulée, l'analogie a joué son rôle et qu'on
peut en conséquence la laisser de côté ou l'oublier. Pareille
description du processus est radicalement fausse et souvent
dangereuse. Si la physique était une science purement logique,
* Il faudrait ajouter que, même dans son rôle d'instrument d'invention des
hypothèses, le recours à l'analogie n'est fécond que s'il s'appuie sur l'effort pour
généraliser ou transposer des théories déjà établies : comme le remarquent
M. Cohen et E . Nagel, « le sentiment confus de ressemblance » par lequel
débute psychologiquement une démarche scientifique ne conduit à « l'hypo-
thèse d'une analogie explicite de structure ou de fonction » que lorsque, par
le détour d'une démarche discursive, l'hypothèse envisagée présente « certaines
analogies structurales avec d'autres théories déjà solidement constituées »
(M. R. Cohen et E . Nagel, An Introduction to Logic and Scientific Method, Rout-
Iedge & Kegan Paul, London, 1964, p. 221-222).
Modèle et théorie 261
NORMAN R . CAMPBELL
Physics : the 'Elements
3. Le rationalisme appliqué
THÉORIE ET EXPÉRIMENTATION
35. G. Canguilhem
La théorie cellulaire est très bien faite pour porter l'esprit philo-
sophique à hésiter sur le caractère de la science biologique : est-
GEORGES CANGUILHEM
1M connaissance de la vie
Donc on admettra :
Contre l'empirisme : qu'il n'y a pas à proprement parler de méthode
inductive. Ce qui est induction, c'est-à-dire invention d'hypothèses
dans la science expérimentale, est le signe le plus net de l'insuffi-
sance de la méthode à expliquer le progrès du savoir.
Contre le positivisme : qu'il n'y a pas une différence de certitude
relativement aux lois et aux théories explicatives. Pas de fait qui ne
soit pénétré de théorie, pas de loi qui ne soit de l'hypothèse
momentanément stabilisée, donc la recherche des rapports de
structure est aussi légitime que la recherche des rapports de
succession ou de similitude.
Nous ne pouvons considérer l'hypothèse comme une insuffi-
sance de la connaissance, ce n'est pas un pis-aller auquel l'in-
telligence se confie en l'absence de principes catégoriques. L'hy-
pothèse c'est l'anticipation d'un rapport capable à la fois de
définir le concept impliqué dans la perception du phénomène et
de l'expliquer. (Exemple, l'hypothèse de Torricelli propose, pour
le phénomène observé, le concept de pression et l'explication par
Y équilibre des fluides.) Si les savants font des hypothèses c'est afin
de trouver par elles les faits qui permettront de les contrôler.
L'hypothèse c'est un jugement de valeur sur la réalité1. Mais quelles
sont les conditions logiques de contrôle d'une hypothèse ?
i. Cf. Planck : « La grande question n'est pas de savoir si telle idée est vraie ou
fausse, pas même de savoir si elle a un sens nettement énonçable mais bien
plutôt de savoir si l'idée sera la source d'un travail fécond » (Initiations à la
physique, p. 272).
L'implication réciproque des opérations 269
GEORGES CANGUILHEM
36. C. W. Mills
i. Bernard Berelson, « The Study of Public Opinion », The State of the Social
Sciences publié par Léonard D. White, University of Chicago Press, Chicago,
Illinois, 1956, p. 299.
L'implication réciproque des opérations 275
CHARLES W . MILLS
L'imagination sociologique
3.2. SYSTÈME DE PROPOSITIONS
ET VÉRIFICATION SYSTÉMATIQUE
37. L. Hjemslev
*ei : *<>i : */
*eu : *ou : *u
^ *eA : *oA : *A]
mater, grec mater, lithuanien : môte mote, ancien slave mati, arménien mayr,
ancien indien màtà. On exprime cette fonction par un signe unique, appelé
« formule », qui est donc une abstraction désignant la série d'éléments qui,
dans les différentes langues d'une même famille, sont liés par une correspondance
constante.
La vérification systématique 279
Saussure n'est pas motivée par les fonctions des éléments exis-
tant entre les langues indo-européennes, mais par une fonction
interne de la langue originelle : si l'on s'en tenait seulement aux
fonctions des éléments existant entre les différentes langues
indo-européennes, il n'y aurait pas de raison de faire une distinc-
tion entre ô dans dônum et ô dans rhétôr. Si ô de dônum, mais non
pas ô de rhétôr, se laisse réinterpréter en *oA, cela ne tient pas
à une fonction reliant des langues différentes, mais à une fonction
reliant les éléments d'un même état linguistique. Ce qui est
arrivé ici, c'est qu'on a établi l'égalité entre une grandeur algé-
brique et le produit des deux autres, et cette opération rappelle
l'analyse par laquelle le chimiste identifie l'eau à un produit
d'oxygène et d'hydrogène. C'est une opération à faire sur tout
état linguistique en vue d'en obtenir la description la plus
simple.
Pour comprendre ce qu'il y a d'essentiel et d'intéressant
au point de vue de la méthode dans ces réductions, il faut se
rendre compte qu'elles constituent une sorte de décomposition
des grandeurs indo-européennes en produits algébriques ou
chimiques ; et que cette décomposition, loin de ressortir directe-
ment d'une comparaison entre les différentes langues indo-euro-
péennes, est obtenue en opérant sur le résultat même de cette
comparaison, elle vient d'une analyse de ce résultat. Plus tard,
longtemps après que cette analyse ait été faite, on a trouvé qu'il
existe une langue indo-européenne, à savoir le hittite, qui dis-
tingue entre un *o alternant avec *5 et un *o alternant avec
un *A : le linguiste polonais Kurylowicz a pu en effet montrer
que hitt. h correspond parfois à i.-e. *A. En outre, Herman
Moller a pu confirmer sa théorie en se référant au chamito-
sémitique : la pierre angulaire de la démonstration, faite par
Herman Moller, de la parenté génétique entre l'indo-européen
et le chamito-sémitique est en effet que le chamito-sémitique
possède des consonnes particulières qui correspondent aux diffé-
rents coefficients indo-européens. Ces confirmations, obtenues
en considérant des fonctions des éléments jusqu'alors inconnues,
sont très intéressantes sans doute, surtout en ce qu'elles montrent
que l'analyse interne d'une structure linguistique, comme celle
de la langue originelle indo-européenne, est chargée de réalité.
Alors qu'on pourrait craindre, avec de telles analyses, de se
perdre dans les sphères de l'abstraction, c'est tout le contraire :
on se prépare à pouvoir mieux reconnaître les fonctions des
éléments découvertes par la suite : l'analyse de l'état linguistique
a vraiment permis d'approfondir la connaissance de la structure.
28O Le rationalisme appliqué
Louis HJEMSLEV
Le langage
La vérification systématique 281
L'ARGUMENTATION CIRCULAIRE
E. Wind
Document et instrument
Au mépris des règles de la logique traditionnelle, la méthode
normale pour obtenir des documents probants suppose une
sorte de cercle logique.
L'historien qui consulte ses documents pour interpréter un
événement politique donné ne peut juger de la valeur de ces
documents que s'il connaît la place qu'ils occupent dans la
séquence d'événements pour lesquels justement il les consulte.
De la même façon l'historien de l'art qui, de l'observation d'une
œuvre donnée, parvient à une conclusion sur l'évolution de son
auteur, se transforme en un amateur éclairé qui examine les
raisons conduisant à attribuer cette œuvre à tel artiste : dans cette
optique il lui faut poser a priori l'évolution de l'artiste, ce qui
était justement ce qu'il cherchait à déduire.
Pareil déplacement du centre d'intérêt, de l'objet de la
recherche à ses moyens, et l'inversion du but et des moyens qui
l'accompagne est caractéristique de la plupart des travaux histo-
riques, et les exemples peuvent être multipliés. Une étude sur le
Baroque, qui s'appuie sur les écrits théoriques du Bernin, se
transforme en une analyse du rôle de la théorie dans l'évolution
créatrice du Bernin. Une étude sur la prise du pouvoir par César,
et sur le proconsulat de Pompée qui utilise comme source prin-
cipale les écrits de Cicéron devient une analyse du rôle de
Cicéron dans le conflit entre le Sénat et les usurpateurs.
D'une façon générale on pourrait désigner cela comme la dia-
lectique du document : l'information que l'on cherche à acquérir
à l'aide du document doit être posée a priori si l'on veut saisir
tout le sens de ce document.
Le savant des sciences de la nature est affronté au même para-
La vérification systématique 283
L'intrusion de l'observateur
Il est étrange que Dilthey ait vu dans cette participation un des
traits distinctifs de l'étude historique opposée à celle des sciences
de la nature. Dans Einleitung in die Geisteswissenschaften il admet
que l'étude des « corps sociaux » est moins précise que celle des
« corps naturels ». « Et pourtant », écrit-il plus loin, « ce handi-
cap est compensé, et au-delà, par les chances que donnent à cette
étude la situation privilégiée où je suis, étant partie intégrante de
ce corps social et pouvant d'autre part m'étudier et me connaître
de l'intérieur... Certes l'individu est un élément dans les interac-
tions sociales, ... réagissant à leurs effets de façon consciente
par la volonté et par l'action, mais il est aussi l'intelligence qui
observe et étudie les interactions sociales en même temps que sa
réaction personnelle ».
Que les hommes, qui forment la substance de ce que Dilthey
appelle « la réalité socio-historique », parviennent à s'analyser
et à se connaître de l'intérieur, voilà qui me paraît une affir-
mation bien téméraire. Elle fait du difficile précepte moral,
« connais-toi toi-même », une évidence prosaïque qui est en fait
contredite par toute l'expérience présente et passée. Quelles que
284 Le rationalisme appliqué
. C. Darwin
Quelque considérable que soit la différence qu'on observe
entre les diverses races de pigeons, je me range pleinement à
l'opinion commune des naturalistes qui les font toutes descendre
du Biset (Columba livia), en comprenant sous ce terme plusieurs
races géographiques, ou sous-espèces qui ne diffèrent les unes
des autres que par des points insignifiants. J'exposerai succincte-
ment plusieurs des raisons qui m'ont conduit à adopter cette
opinion, car elles sont, dans une certaine mesure, applicables à
d'autres cas. Si nos diverses races de pigeons ne sont pas des
variétés, si, en un mot, elles ne descendent pas du Biset, elles
doivent descendre de sept ou huit types originels au moins, car
il serait impossible de produire nos races domestiques actuelles
par les croisements réciproques d'un nombre moindre. Com-
ment, par exemple, produire un Grosse-gorge en croisant deux
races, à moins que l'une des races ascendantes ne possède son
énorme jabot caractéristique ? Les types originels supposés
doivent tous avoir été habitants des rochers comme le Biset,
c'est-à-dire des espèces qui ne perchaient ou ne nichaient pas
volontiers sur les arbres. Mais, outre le Columba livia et ses sous-
espèces géographiques, on ne connaît que deux ou trois autres
espèces de pigeons de roche et elles ne présentent aucun des
caractères propres aux races domestiques. Les espèces primitives
doivent donc, ou bien exister encore dans les pays où elles ont
été originellement réduites en domesticité, auquel cas elles
auraient échappé à l'attention des ornithologistes, ce qui, consi-
dérant leur taille, leurs habitudes et leur remarquable caractère,
semble très improbable; ou bien être éteintes à l'état sauvage.
Mais il est difficile d'exterminer des oiseaux nichant au bord des
précipices et doués d'un vol puissant. Le Biset commun,
d'ailleurs, qui a les mêmes habitudes que les races domestiques,
n'a été exterminé ni sur les petites îles qui entourent la Grande-
Bretagne, ni sur les côtes de la Méditerranée. Ce serait donc faire
une supposition bien hardie que d'admettre l'extinction d'un
aussi grand nombre d'espèces ayant des habitudes semblables
à celles du Biset. En outre, les races domestiques dont nous
avons parlé plus haut ont été transportées dans toutes les parties
du monde; quelques-unes, par conséquent, ont dû être ramenées
dans leur pays d'origine; aucune d'elles, cependant, n'est
retournée à l'état sauvage, bien que le pigeon de colombier, qui
n'est autre que le Biset sous une forme très peu modifiée, soit
redevenu sauvage en plusieurs endroits. Enfin, l'expérience nous
prouve combien il est difficile d'amener un animal sauvage à se
reproduire régulièrement en captivité; cependant, si l'on admet
l'hypothèse de l'origine multiple de nos pigeons, il faut admettre
aussi que sept ou huit espèces au moins ont été autrefois assez
complètement apprivoisées par l'homme à demi sauvage pour
devenir parfaitement fécondes en captivité.
Il est un autre argument qui me semble avoir un grand poids
et qui peut s'appliquer à plusieurs autres cas : c'est que les races
dont nous avons parlé plus haut, bien que ressemblant de
manière générale au Biset sauvage par leur constitution, leurs
habitudes, leur voix, leur couleur, et par la plus grande partie
de leur conformation, présentent cependant avec lui de grandes
anomalies sur d'autres points. On chercherait en vain, dans toute
la grande famille des colombidés, un bec semblable à celui du
Messager anglais, du Culbutant courte-face ou du Barbe; des
plumes retroussées analogues à celles du Jacobin; un jabot
pareil à celui du Grosse-gorge; des plumes caudales comparables
à celles du pigeon Paon. Il faudrait donc admettre, non seulement
que des hommes à demi sauvages ont réussi à apprivoiser com-
plètement plusieurs espèces, mais que, par hasard ou avec inten-
z88 Le rationalisme appliqué
tion, ils ont choisi les espèces les plus extraordinaires et les plus
anormales; il faudrait admettre, en outre, que toutes ces espèces
se sont éteintes depuis ou sont restées inconnues. Un tel
concours de circonstances extraordinaires est improbable au
plus haut degré.
Quelques faits relatifs à la couleur des pigeons méritent d'être
signalés. Le Biset est bleu-ardoise avec les reins blancs ; chez la
sous-espèce indienne, le Columba intermedia de Strickland, les
reins sont bleuâtres; la queue porte une barre foncée terminale
et les plumes des côtés sont extérieurement bordées de blanc à
leur base; les ailes ont deux barres noires. Chez quelques races à
demi domestiques, ainsi que chez quelques autres absolument
sauvages, les ailes, outre les deux barres noires, sont tachetées
de noir. Ces divers signes ne se trouvent réunis chez aucune
autre espèce de la famille. Or, tous les signes que nous venons
d'indiquer sont parfois réunis et parfaitement développés, jus-
qu'au bord blanc des plumes extérieures de la queue, chez les
oiseaux de race pure appartenant à toutes nos races domestiques.
En outre, lorsque l'on croise des pigeons, appartenant à deux ou
plusieurs races distinctes, n'offrant ni la coloration bleue, ni
aucune des marques dont nous venons de parler, les produits
de ces croisements se montrent très disposés à acquérir soudaine-
ment ces caractères. Je me bornerai à citer un exemple que j'ai
moi-même observé au milieu de tant d'autres. J'ai croisé quelques
pigeons Paons blancs de race très pure avec quelques Barbes
noirs — les variétés bleues du Barbe sont si rares, que je n'en
connais pas un seul cas en Angleterre — : les oiseaux que
j'obtins étaient noirs, bruns et tachetés. Je croisai de même un
Barbe avec un pigeon Sport, qui est un oiseau blanc avec la queue
rouge et une tache rouge sur le haut de la tête, et qui se reproduit
fidèlement; j'obtins des métis brunâtres et tachetés. Je croisai
alors un des métis Barbe-Paon avec un métis Barbe-Spot et
j'obtins un oiseau d'un aussi beau bleu qu'aucun pigeon de race
sauvage, ayant les reins blancs, portant la double barre noire des
ailes et les plumes externes de la queue barrées de noir et bordées
de blanc ! Si toutes les races de pigeons domestiques descendent
du Biset, ces faits s'expliquent facilement par le principe bien
connu du retour au caractère des ancêtres; mais si on conteste
cette descendance, il faut forcément faire une des deux supposi-
tions suivantes, suppositions improbables au plus haut degré :
ou bien tous les divers types originels étaient colorés et marqués
comme le Biset, bien qu'aucune autre espèce existante ne pré-
sente ces mêmes caractères, de telle sorte que, dans chaque
LM vérification systématique 289
CHARLES DARWIN
L'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle,
ou la lutte pour l'existence dans la nature
3.3. LES COUPLES ÈPISTÉMOLOGIQUES
LA PHILOSOPHIE DIALOGUÉE
. G. Bachelard
GASTON BACHELARD
Le rationalisme appliqué
296 Le rationalisme appliqué
LE NÉO-POSITIVISME, ACCOUPLEMENT
DU SENSUALISME ET DU FORMALISME
41. G. Canguilhem
1. Cf. p. 210.
2. Planck, p. 2io.
3. Cours de Philosophie positive, 33e leçon, Schleicher II, p. 338.
Les couples êpistémologiques 301
. É. Durkheim
ÉMILE DURKHEIM
« La sociologie et son domaine scientifique »
Conclusion
S o c i o l o g i e de la c o n n a i s s a n c e
et é p i s t é m o l o g i e
G. Bachelard
GASTON BACHELARD
La formation de l'esprit scientifique
Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective
3 I6 Sociologie de la connaissance et épistémologie
DE LA RÉFORME DE L'ENTENDEMENT
SOCIOLOGIQUE
. M. Maget
MARCEL M A G E T
Guide d'étude directe des comportements culturels
21
322 Sociologie de la connaissance et épistêmologie
45. M. Polanyi
MICHAEL POLANYI
Personal Knowledge, Towards a Post-Critical Pbilosophj
LISTE DES TEXTES
CONCLUSION. S O C I O L O G I E D E L A C O N N A I S S A N C E E T ÉPISTÉMOLOGLE
R . ARON. — *L,a sociologie allemande contemporaine, F. Alcan, Paris, 1935 ; nouv. éd.,
P.U.F., Paris, 1950.
G. BACHELARD. — Essai sur la connaissance approchée, Librairie philosophique
J . Vrin, Paris, 1927.
— *Le nouvel esprit scientifique, 8e éd., P.U.F., Paris, 196} (i r e éd., F. Alcan, Paris,
1954)-
— **La formation de l'esprit scientifique, contribution à une psychanalyse de la connais-
sance objective, 4 e éd., Librairie philosophique J . Vrin, Paris, 1965 (i r e éd., J . Vrin,
Paris, 1938).
— *Laphilosophie du non, P.U.F., Paris, 1940.
— *Le rationalisme appliqué, 3e éd., P.U.F., Paris, 1966 (i r e éd., Paris, 1949).
— L« matérialisme rationnel, P.U.F., Paris, 1953.
C. BERNARD. — introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Hachette, Paris,
1943 (i r e éd., J . B. Baillière et Fils, Paris, 1865).
R . BIERSTEDT. — « The Limitation of Anthropological Methods in Sociology »,
American Journal of Sociology, 1948, 54, p. 22,-30.
E . BOREL. — Probabilité et certitude, P.U.F., Paris, 1950.
R . BOUDON et P. F . LAZARSFELD. — *Le vocabulaire des sciences sociales, Concepts et
Indices, Mouton, Paris, La Haye, 1965.
— *L 'analyse empirique de la causalité, Mouton, Paris, La Haye, 1966.
L. BRUNSCHVICG. — Les étapes de la philosophie mathématique, F. Alcan, Paris, 1912.
N. R . CAMPBELL. — What is Science ?, Dover, New York, 1952 (ist pubi. 1921).
G . CANGUILHEM. — Le normal et le pathologique, 2 e éd., P.U.F., Paris, 1966 ( I R E éd.,
Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, Clermont-Ferrand,
1943)-
— La formation du concept de réflexe aux XVIIe et XVIIIe siècles, P.U.F., Paris, 1955.
— *La connaissance de la vie, 2 e éd. rev. et augm., Librairie philosophique J . Vrin,
Paris, 1965.
— « Le problème des régulations dans l'organisme et dans la société », Les cahiers
de l'alliance israélite universelle, 1955, n° 92, p. 64-81.
— « The Role of Analogies and Models in Biological Discovery », in A. C. Crombie
(ed.), Scientific Change, Historical Studies in the Intellectual, Social and Technical Condi-
tions for Scientific Discovery and Technical Invention from Antiquity to the Present,
Symposium on the History of Science, Heinemann, London, 1963, p. 507-520.
— « Le tout et la partie dans la pensée biologique », Les études philosophiques, 1966,
nouv. série, 21 e année, n° 1, p. 13-16.
R . CARNAP. — *Le problème de la logique de la science, science formelle et science du réel
(trad. Vouillemin), Hermann & Cie, Paris, 1935.
— « Les concepts psychologiques et les concepts physiques sont-ils foncièrement
différents ? », Revue de synthèse, 1935, t. X , n° V, p. 43-53.
— « Empirism, Semantics and Ontology », Revue Internationale de Philosophie,
1950, IV.
— « Testability and Meaning », Philosophy of Science, 1936, 3 et 1937, 4.
Indications de lectures 331
K . R . POPPER. — The Logic of Scientific Discovery, Harper and Row, Harper Torch-
books, New York, 1965 (ist ed., Hutchinson and C°, London, 1959).
E . SAPIR. — Anthropologie (trad. C. Baudelot), Éd. de Minuit, Paris, 1967, 2 vol.
F. de SAUSSURE. — Cours de Linguistique générale, 5 e éd., Payot, Paris, 1962 (i r c éd.,
Payot, Lausanne, 1916).
F. SIMIAND. — *Statistique et expérience. Remarques de méthode, Rivière et Cie, Paris,
1922.
— Le salaire, l'évolution sociale et la monnaie, F. Alcan, Paris, 1932, 2 vol.
M. WEBER. — Essays in Sociologa (trad. H. H. Gerth et C. W. Mills), Oxford
University Press, New York, 1958.
— **Essais sur la théorie de la science (trad. J . Freund), Pion, Paris, 1965.
— L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme (trad. J . Chavy), Pion, Paris, 1964.
— Wirtschaft und Gesellschaft, J . C. B. Mohr, Tübingen, 1922.
A. N. WHITEHEAD. — Science et monde moderne, Payot, Paris, 1930.
L . WITTGENSTEIN. — Tractatus Logico-philosophicus, suivi de Investigations philoso-
phiques, Gallimard, Paris, 1961.
H. L. ZETTERBERG. — On Theory and Verification in Sociology, Almqvist and Wiksell
Stockholm, Tressler Press, New York, 1954.
Index des noms*
• Les indications de pages en italiques renvoient aux textes des auteurs cités dans la 2« partie
de l'ouvrage.
3j6 Le métier de sociologue
* Xfis pages auxquelles renvoie cet index peuvent traiter du thème sans contenir le mot même
qui le désigne ici.
22
33« Le métier de sociologue
Besoin, 34, 167, 168; le — comme principe explicatif non sociologisé, 36,
v. nature.
Bévue, 63, 88.
Biographie (comme technique ethnographique), 65, 68 n. 2, v. méthodes ethno-
graphiques.
Biologie, 35, 265-267, v. nature; analogies biologiques, 38, 39 n. 1, 180-184,
v. analogie.
Bureaucratisation (de la recherche sociologique) et dangers épistémologiques,
83 n. 1 , 97-99, v. pump handle research, méthodologie, routine;
division bureaucratique du travail de recherche et cycle expérimen-
tal, 81 ; division bureaucratique du travail de recherche et hié-
rarchie des actes épistémologiques, 81, 82, v. actes épistémologiques.
instituts de recherche et —, 98, 99; ethos bureaucratique, 98 n. 1 ,
v. sociologie de la sociologie.
Fait, —s et données, 55, 56, 84, 158, 296; — perçu et —• construit, 269, 270;
— général, 267; —s et théorie, 55, 56, 85, 86, 265-272, 277; les
techniques et la construction des —s, 86, v. technique; l'applica-
tion automatique des techniques et la construction de —s sans
signification théorique, 86, 88, v. aertefact ; ritualisme technique et
destruction des —s, 88.
v. construction, objet.
Faits sociaux (spécificité des), 204-206.
344 Le métier de sociologue
« Falsifiabilité », 85 n. 2, v. infirmation.
Familiarité, la — avec l'univers social comme obstacle épistémologique, 27, 28,
149-151, 1 8 1 , v. prénotions, sociologie spontanée, illusion de la
transparence.
Famille, la — comme institution et l'explication par la psychologie, 165, 166,
v. explication par la psychologie.
Fermeture (effet de — prématurée), 21, v. méthodologie.
Finalisme, — et explication sociologique, 167, 168, v. artificialisme.
— naïf et fonctionnalisme, 40.
Fixisme, — sémantique, 20, 21 ; rationalisme fixiste, 20, v. méthodologie.
Flux (en deux temps), 58, 210-217, v. diffusion.
Fonction, —s sociales et « raisons » des sujets, 52, v. illusion de la transparence,
principe de non-conscience; — des prénotions, v. prénotions.
Fonctionnalisme, 54, 40.
Formalisation, 21, 77, 78, 82; — et contrôle épistémologique, 21, 77, 78; — et
construction, 77; — et invention, 77, — et rupture, 37, 77, 78;
fonction clarificatrice de la —, 77; fonction critique de la —, 77;
valeur de la — et satisfaction des préalables épistémologiques, 82;
— et langage commun, v. langage commun,
v. formalisme, modèles, symbolisme.
Formalisme, 72, 81, 86, 99, 291-295.
— et dissociation réelle des opérations de la recherche, 81-83.
— et intuitionnisme, 291, 302-306; — et sensualisme, 296, 299,
v. couples épistémologigiques.
v. formalisation, symbolisme, critique du langage.
Frustration (et explication psychologique), 36 n. 1 , v. explication par la psycho-
logie.
Jeu, 38.
Jugements de valeur, v. neutralité éthique.
Index des themes 547
Magie, 132, 165, pensée magique et étude des moyens modernes de communica-
tion, 39.
Manipulations (aveugles), v. artefact.
Masse, 5 8 ; la notion de — et le choix des techniques d'enquête, 60 ; société de —,
v. société.
Mass-media, v. moyens modernes de communication.
Matérialisme technique, 291-295, v. rationalisme appliqué.
Mathématique, v. symbolisme mathématique.
Mécanique, les images —s en sociologie, 38; les paradigmes —s en physique, 40,
v. schèmes d'interprétation.
« Méme-pas-faux », 89, v. prophétisme.
Message (de presse), 69, v. analyse structurale.
Mesure, — et théorie, 81, 300; les exigences de la —, 12, 16; souci exclusif de
la — et vigilance épistémologique, 22; objet mesurable et objet
scientifique, 71, 273, v. constat.
Métaphores, 38, 133, 180, v. schèmes d'interprétation; analogie et —, v. analogie;
schèmes métaphoriques, v. schèmes d'interprétation.
Méthode, absolu de la —, 1 3 , 1 4 , 1 1 7 ; autonomisation de la —, 1 1 , 97; dissociation
de la — et des opérations de la recherche, 12 ; surveillance de la —,
1 1 7 - 1 2 0 ; grands prêtres de la —, 12; — expérimentale, 67, 69,
v. expérimentation.
— comparative, v. comparaison; —s ethnographiques, v. ethno-
graphie.
cercle méthodique, v. cercle.
Méthodologie, la — comme logique reconstruite, 121-123.
— et épistémologie, 13, 14; — et vigilance épistémologique, 20-23.
— et technologie, 59; exercices méthodologiques, 21.
l'éthique du devoir méthodologique, 22, 23; manie méthodolo-
348 Le métier de sociologue
Savoir immédiat (illusion du), 27-49, 149-151, 300; l'illusion du — comme carac-
téristique de l'esprit prescientifique, 3 1 1 , 312, v. intuition, sen-
sualisme.
Schèmes (d'interprétation), transfert de —, 66, 67, 79, 320, v. analogie; transfert
de — et invention, 39, 40, v. ethnologie, invention; transfert de —
et rupture, v. rupture.
— métaphoriques, 36-40, 180, 1 8 1 ; — fonctionnalistes, 40; —
savants et — communs, 39-41, 180-184.
usage méthodique des —, 40, 66, 67, v. ethnologie et sociologie,
v. modèle.
Science, — et perception, 27, 109-11; — et sensation, 299, 300, v. physicalisme;
— et méta-science, 49; la sociologie comme — expérimentale et
non comme — reflexive, 31, v. principe de la non-conscience,
histoire de la —, 96, 97; sociologie de la —, 95, 103, 103 n. 1 , 1 2 1 .
Science de la nature, — et sciences de l'homme, v. sciences de l'homme; représen-
tation commune des —, 122, 123.
Sciences de l'homme, 42; — et sciences de la nature, 84, 97, 99, 108, 123, 154-
157, 281-285, 319-321, v. acculturation.
le stéréotype de l'irréductibilité des — aux sciences de la nature,
13, 123, v. dualisme diltheyen, humanisme.
la dissimilation comme forme du rapport des — aux sciences de la
nature, 218, 281, 282.
l'imitation servile des sciences de la nature, 281, v. positivisme,
la transposition des acquis de la réflexion épistémologique sur les
sciences de la nature aux —, 13, 281; comparaison des méthodes
des sciences de la nature et des méthodes des —, 218, 281.
Scientificité, les conditions sociales de la —, 103 ; l'inquiétude de la — en socio-
logie, 97-99 ; les signes extérieurs de la •— dans les sciences humaines,
97-
Scolastique, 45, 84; — et tradition théorique en sociologie, 44, 45, v. théorie.
Secondaire (analyse), v. analyse.
Sens, — commun, 33, 302; science et — commun, 193, 307; — commun et —
— commun savant, 33, v. tradition théorique; formalisation et
rupture avec le — commun, 78, v. formalisation.
— vécu, 246; — subjectif et — supposé, 246, 248, 249, v. socio-
logie compréhensive, principe de non-conscience.
Sensualisme, 296-300.
Serendipity, 29, v. invention.
Série, la — et le sens des observations particulières, 90.
Sexe (traité comme donnée naturelle), 35, v. nature.
23
354 Le métier de sociologue
Valeurs, rapport aux — et référence aux — , 69, 70; rôle épistémologique des — ,
196.
Validation, v. preuve.
Variables, 68, 69, 79 n. 1 ; découpage des — , v. codage, homogénéisation,
v. analyse multivariée.
Variation (imaginaire), 72-74.
Verbalisme (mondain), v. schèmes métaphoriques.
Vérification, — expérimentale, 12, 85 n. 2; impératif épistémologique de la — et
impératif technologique de la — , 86 n. 1 ; — et infirmation,
v. infirmation.
Vigilance (épistémologique), 14, 1 5 , 24, 25, 27, 55, 95-106, 1 1 7 - 1 2 0 , 1 2 1 , 134, 3 1 9 ;
— et analyse sociologique, 316-321 ; — et sociologie de la connais-
sance, v. sociologie de la connaissance; méthodologie et déplace-
ment de la — , 20-25 ; raisonnement analogique et — , 72; — métho-
dique, 1 1 7 - 1 2 0 .
Vocabulaire, v. langage, métaphore; — ethnologique, v . ethnologie.
Vulgarisation, 307.
Vulnérabilité, la — d'un système d'hypothèses, fonction de sa cohérence, 90,
v. système.
SOMMAIRE 7
Textes d'illustration
AVANT-PROPOS 109
L I S T E DES T E X T E S 325