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Analyse comparative

Un œil sur la reconstruction de Caen, de l’après-guerre à aujourd’hui.

Références :
Documentaire reconstruction de Caen 1950 / « Dans ma ville on traîne » de Orelsan

BRUN Tom (20012) ; CARNIAUX Fabien (20013)

UEL 314 B - Ville et société – Approches documentaires Le 17/01/202


Référence 1 :

Ce documentaire d’archive montre la ville de Caen après les bombardements


de la seconde guerre mondiale. Après le débarquement des Alliés sur les plages de la
Manche, l’un de leurs premiers objectifs majeurs était la prise de la ville de Caen. La
bataille de Caen dure 78 jours durant lesquels les Alliés détruisent environ 70% du
volume bâti de la ville. En 1936, la ville comptait 15 000 immeubles ; les
bombardements en ont détruit 9 000 totalement, 5 000 partiellement et causé environ
2 000 victimes. Sur les 268 monuments que comptait Caen, seuls 23 étaient encore
intacts à la fin de la guerre. Une partie du centre-ville, notamment l'Île Saint-Jean, est
en lambeaux, totalement inhabitable.

Ainsi, en 1950, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme s’attèle à


relever les ruines de cette ville et à construire de nouveaux quartiers. Le réalisateur
Raymond Bisch montre dans son documentaire les étapes de la reconstruction, du
déblaiement, au relogement des habitants et à l’édification de nouvelles habitations.
L’architecte en chef de la reconstruction de Caen est Marc Brillaud de Laujardière.
Durant près de 20 ans, le travail consiste à moderniser la ville, en l’aérant et en
l’adaptant aux vues de l’ère automobile, tout en mariant l’ancien et le neuf. Ainsi, 3500
bâtiments sont réparés et 1400 logements construits en 8 mois. En parallèle, 29 îlots
d'habitation sont à l'étude.

Ce film montre des images authentiques des ouvriers sur les chantiers, de la
population relogée et sert également de témoignage pour les générations à venir. De
nos jours, cette vidéo est disponible sur la plateforme Dailymotion, sous la chaîne
Cohésion territoires & Relations collectivités.

Référence 2 :

Orelsan, de son vrai nom Aurélien Cotentin, est un rappeur, compositeur,


acteur, réalisateur et scénariste français. Il naît le 1er août 1982 à Alençon, commune
à 100km au sud de Caen où il emménagera 16 ans plus tard avec sa famille (1998).
En 2009, il publie son premier album “Perdu d'avance" où il décrit son quotidien de
jeune Caennais avec un positionnement volontairement provocateur. En 2011, avec
la sortie de son deuxième album, Orelsan remporte plusieurs trophées, cela lui vaudra
une nomination aux NRJ Music Awards 2013 dans la catégorie « Révélation
francophone de l'année ». Il forme avec son ami d’enfance Gringe, le groupe Les
Casseurs Flowters basé à Caen.

A l'issue de son album, La fête est finie (2017), Orelsan écrit le titre Dans ma
ville, on traîne où il prend du recul et semble surplomber Caen pour y peindre une
description sincère et d’une justesse rare. Ce morceau montre la perception que
l’auteur à de sa ville en y analysant les différents endroits qu’il a pu fréquenter au cours
de sa jeunesse tout en y apportant un regard critique.
Pour donner suite aux bombardements de la Seconde Guerre Mondial, les villes
françaises ont dû rapidement se reconstruire et préparer le cadre de vie des habitants
pour un futur proche comme lointain. En effet, cette reconstruction a de grandes
conséquences sur nos villes et sur la façon de les habiter. De nos jours, les traces de
cette reconstruction sont toujours fortement présentes. Tout particulièrement dans les
villes grandement touchées en Bretagne et Normandie.

Un espace géographique, avant d'être un objet d'étude, reste surtout un lieu de


vie, que l'on habite. Afin de comprendre la façon dont la reconstruction d’une ville s’est
mise en place et la perception dont celle-ci évolue au cours des années, nous nous
pencherons sur le cas de la ville de Caen, dans le Calvados. A travers ces deux
références, le documentaire sur la reconstruction de Caen et la chanson d’Orelsan,
nous pouvons nous questionner sur l’évolution de la perception de la ville de Caen
depuis sa reconstruction de grande ampleur à nos jours. Dans un premier temps, nous
traiterons l’évolution de la ville d’après-guerre à aujourd’hui. Ensuite nous observerons
la manière dont la vision sur la ville est dépendante de son contexte. Pour finir, nous
nous attarderons sur le lien entre nostalgie et perception de la ville.

I. Evolution de la ville d'après-guerre à celle d’aujourd’hui

À la suite des multiples bombardements subi lors de la Seconde Guerre


Mondiale, la ville de Caen a dû être reconstruite rapidement. Comme pour de
nombreuses villes, une possibilité de reconstruire à l’identique est évoquée, mais la
reconstruction entreprise est tout autre. Dans un premier temps, il fallait remplacer ce
qui avait été détruit, en relogeant à la hâte la population. Par la même occasion,
l’objectif était de rendre la ville plus moderne, agréable mais aussi confortable. Cela
passe notamment par l’élargissement des voies, la distribution de l’eau courante, et
l’amélioration globale de l’hygiène. C’est l'architecte-urbaniste Marc Brillaud de
Laujardière qui, à la suite de sa nomination par le ministère de la Reconstruction et de
l’Urbanisme sera chargé d’élaborer le plan de reconstruction et d’aménagement de
Caen en 1947, avec l'approbation du conseil municipal et le maire Yves Guillou.

La réédification de la ville est urgente, “3


personnes sur 4 sans-abris” et “ la population
de l'agglomération de Caen dépasse celle
d’avant-guerre”. Pour cela, dans un premier
temps, “il faut édifier à la hâte des baraques
de bois ou de taule pour abriter les sans-
abris”. Plus de 2000 baraquements se placent
dans les champs aux alentours de la ville et
forment de nouveaux quartiers dès
1945. Certaines de ces constructions existent
encore aujourd’hui dans des jardins en
périphérie de la ville.
Figure 1 : Construction de nouvelles habitations
Outre ces petites habitations provisoires, il
fallait voir à long terme et toujours dans une
optique de rapidement reloger la population.
Pour cela, “un peu partout, grimpe des
maisons préfabriquées.” Ces maisons
définitives de différents styles constituent en 2
ans, un nouveau quartier cosmopolite du nom
de Saint-Paul. La pierre utilisée lors de
l’édification de ce quartier provient du
déblaiement des ruines de la guerre. Le
documentaire résume ce fait en expliquant
que “naissaient dans cette cité normande, des Figure 2 : Nouveaux quartiers pavillonnaire de maisons
quartiers américains, suédois ou finlandais”. préfabriquées

Finalement, ce processus de
reconstruction s'étend sur plusieurs décennies,
de 1948 jusqu’en 1963. Pendant toutes ces
années le visage de Caen va se transformer en
profondeur et largement se moderniser tout en
préservant les monuments anciens, éléments
structurant du tissu urbain moderne. La ville
s’est adaptée aux commodités modernes sans
pour autant bouleverser l’allure globale de
cette dernière. De fait, la trame ancienne de la
ville est globalement reprise. Caen ne renie
pas son passé mais prévoit pour autant son
Figure 3 : Structure préfabriqué avenir. Pour cela, les sinistrés s’organisent en
coopératives de reconstruction qui leur permettent d’avoir une grande autonomie dans
leurs décisions. C’est une façon de prendre en considération les volontés et les
besoins des habitants. En parallèle, les responsables municipaux s’attèlent au
développement périphérique et s’intéressent à la construction des grands ensembles
de logements sociaux et à l’aménagement de zones d’activités périphériques.

Les préoccupations générales se concentrent vers la capacité à prévoir l’avenir.


Avenir où les futures générations fouleront les rues de la ville de Caen. La ville devra
répondre aux attentes de ses nouveaux habitants et fonctionner dans son temps.

Orelsan vit quant à lui dans un Caen apaisé autour des années 2000, ou la ville
à grandement évolué et la population s’est diversifiée. Elle est passée de 51 000 en
1945 à 103 469 habitants en 2020, mais ce chiffre tend à baisser ces dernières
années. Caen est aussi la première ville du Calvados, son aire d'attraction concentre
67,6 % de la population départementale. Beaucoup de nouveaux quartiers comme
celui du Chemin Vert ou de la communauté urbaine de Caen la mer se
développent. Ces quartiers sont composés de “grandes tours” ou “des pavillons
rectilignes” et ont divisé les classes sociales. Orelsan explique cette division par son
vécu “où tu peux voir les grandes tours des quartiers où l’architecte a cru faire un truc
bien, si je rappais pas j’y serais jamais allé, parce qu’on se mélange pas tant que ça
là d’où je viens”.
Le centre-ville autrefois très animé
voit ces magasins fermés au profit des
grand centre commerciaux en périphérie
comme le souligne orelsan,”Dans les rues
pavées du centre, tous les magasins
ferment [...] tu te réveilleras sur les bords de
la ville, là où les centres commerciaux sont
énormes”. Les traits de la reconstruction
sont presque invisibles même s'il est
possible de reconnaître certains quartiers
comme celui de Saint-Paul. Dû à une forte
présence de maison pavillonnaire, Caen
subit un étalement urbain important en Figure 4 : Quartier Saint-Paul
reliant les communes alentour.

II. Une vision de la ville dépendante de son contexte

La perception que l’on peut avoir sur une ville peut dépendre de multiples
facteurs. Le contexte historique influence la vision, une ville d’après-guerre, remplie
de bâtiments détruits, développe un sentiment de chaos, une atmosphère lourde et
perturbée. “Après 22h tu croises plus de gens, comme si on était encore sous les
bombardements”, ici, Orelsan fait référence aux couvre-feux instaurés à la population
durant le Seconde Guerre Mondiale qui fait synonyme avec une peur générale des
habitants cloîtrés chez eux à la tombée de la nuit. La ville durant la guerre est perçue
comme un danger, sous la menace des bombardements. Vivre sous un toit, c’était
vivre sous une cible.

Au lendemain de la guerre, la peur de


l'ennemi a disparu, mais l’empressement de
reconstruire la ville voit le jour. Les esprits
encore traumatisés, la ville se lance dans un
vaste chantier, au milieu des ruines qui
évoquait la terreur de la guerre.

La perception de la ville s'améliore une


fois que les ruines ont été relevées. La guerre
ne se matérialise plus directement dans les
rues aux yeux des caennais. L’entièreté de la
Figure 5 : Habitants dans leurs nouveaux logements
population est relogée, et le documentaire
explique que “la maîtresse de maison, étonnée et heureuse de retrouver un vrai
appartement, constate que des aménagements rationnels lui simplifient l'existence. On
a cherché à lui rendre la vie plus agréable, à elle, sa famille, ses enfants”. Le
documentaire fait met en valeur la réaction positive des familles à retrouver leurs
nouveaux logements, notamment en filmant cette femme qui a le sourire en cuisinant
pour son enfant qui fait ses devoirs sereinement.
En comparaison, la ville au début du
XXIème siècle fait ressortir une perception
différente, plus calme, plus saine. Le rythme
des constructions s’est largement atténué, la
ville n'apparaît plus en chantier. Même si une
grande partie de l’activité portuaire s'est arrêtée
et à changer le fonctionnement de la ville,
l'économie se porte toujours bien, et le taux de
chômage reste dans la moyenne française. Les
services qu’offre la ville rendent le cadre de vie
plus agréable où les habitants vivent sans être
Figure 6 : Centre-ville actuel de Caen
impactés négativement par celle-ci.

On peut également dire que l’aspect de la ville est modifié durant la grande crise
sanitaire que nous vivons. Les rues désertes, la distanciation sociale contribue à une
vision spécifique de la ville.

La vision dépend du contexte, pas seulement de la situation concrète de la ville


mais aussi de l’environnement d’une personne, son âge, sa situation sociale, son
humeur. La façon de vivre et la vision de voir la ville évoluent pour chaque époque et
chaque personne. Une de ces vues subjectives est racontée par le chanteur Orelsan.
Il a une vision propre à lui-même, puisque chaque personne est différente et a alors
une vision personnelle sur la ville. En tant que jeune caennais désintéressé, il résume
et décrit sa ville comme il la vit. Avec des connotations souvent négatives mais qui
apparaissent comme le reflet de sa propre vie, “Je la déteste autant que je l’aime
surement parce qu’on est pareils.”. Il nous laisse entrevoir son quotidien d’adolescent,
“On a traîné dans les rues,tagguer sur les murs, skater dans les parcs, dormi dans les
squares…”, il associe une action avec le lieu où elle s’est déroulé, ce qui laisse penser
que de nombreuses petites histoires indépendantes ont forgé son vécu dans sa ville.

On retrouve aussi les situations sur


l’instant qui sont des facteurs comme la
météo, la température, la luminosité, les
bruits, la foule… qui peuvent influencer la
perception que l’on a d’un lieu. Comme
exemple, nous pouvons prendre les crachins
qui caractérisent et identifient fortement le
territoire normand. Orelsan explique sa
perception de Caen “Sous un crachin
normand, elle est même pas foutue de
pleuvoir correctement”. Une ville sous la
pluie ne la met pas en valeur mais favorise
Figure 7 : Centre-ville actuel de Caen
l’humeur maussade et triste.

L’environnement influence le ressenti que l’on a, mais ici Orelsan ne décrit pas
la ville sous un aspect négatif. En effet, son vécu et son expérience sur la ville
influencent son rapport avec cette dernière.
III. Une vision nostalgique de la ville

Tout d’abord, Orelsan fait des liens directs avec le passé de Caen, notamment
en faisant référence aux bombardements, qui ont grandement marqué les esprits des
habitants, répété plusieurs générations plus tard dans son texte. Orelsan conclut en
disant “à chaque fois qu’ils détruisent un bâtiment, ils effacent une partie de mon
passé”. Chacune de ces disparitions le dépossède des vestiges de son passé, basé
sur ces expériences. Ce passage peut également faire lien avec les bombardements,
qui ont détruit énormément de bâtiments et leurs histoires avec. Le documentaire
explique les destructions de la guerre comme “sacrifices pour beaucoup de nos vieilles
cités “. Ces termes prouvent l’amour que peuvent avoir les habitants de leur ville en
faisant ressortir les qualités de “Caen, ville musée, Caen, un des centres les plus riches
en souvenir d'art.” Un sentiment de nostalgie se fait ressentir “Les vieilles maisons, les
hôtels particuliers qui faisaient le charme et la réputation sont presque tous rasés.”
Cette perception se retrouve dans le texte de Orelsan, qui se remémore avec
tendresse des événements marquants dans la ville de Caen. “Pas loin du magasin de
jouets où je tirais des chevaliers, près du pont où ma grand-mère m’emmenait lancer
des avions en papier”. La perception nostalgique de la ville se retrouve à ces deux
époques.

Pour Orelsan, la nostalgie est due à la remémoration de ses souvenirs


d’adolescent et d’étudiant. Tout au long de son texte, il énumère des éléments de son
passé : "J'ai fait des mariages, des enterrements, dans les mosquées, les églises et
les temples”. Il raconte ses expériences et ses moments forts avec une certaine
mélancolie et montre son appartenance à sa ville “Ma ville au cent clochers”. En effet,
cette nostalgie crée un lien d’attachement à la ville. “Je peux pas la quitter pourtant je
passe mon temps à cracher dessus”. Il est tellement attaché à sa ville et la connaît si
bien qu’il peut se permettre de la critiquer. Le fait d’être attaché à une ville modifie les
perceptions qu’on a sur elle. Orelsan rend hommage à la cité où il a grandi.

Nous retrouvons aussi une certaine fierté personnelle ainsi que collective dans
la perception qu'entretient la population avec leur ville. Dans un premier temps, nous
comprenons au travers du documentaire, que ces événements tragiques ont soudé la
population de Caen autour de ces moments forts. Ils vont s’entraider et participer avec
fierté à la reconstruction de leur ville car “la vie ne perd jamais ses droits”. Orelsan
ressent aussi cette fierté d'appartenance à Caen, où il a évolué, forgé sa personnalité,
mais surtout passer beaucoup de temps, “ J’ai tellement traîné dans les rues de Caen
[...] criminelle la façon dont je tuais le temps”. Le fait de passer beaucoup de temps
dans un lieu modifie la perception et le lien que l’on entretient avec celui-ci. On apprend
à l’appréhender, à le connaître et à se l’approprier.

Figure 8 : Panorama de la ville de Caen


Conclusion :

Nous n’avons pas évoqué le sujet de l’influence des techniques


cinématographiques utilisées dans le documentaire. Le choix des images, des
cadrages et des musiques participe à la création d’une ambiance particulière qui
impacte directement la perception que l’on a de la ville à cette époque. Pour finir, au
travers de ces documents relatant des visions de la ville de Caen, on peut constater
que la perception de la ville diffère selon les époques. Les préoccupations ne sont pas
les mêmes, d’un côté la ville est marquée par le tourment de la guerre, de l’autre, la
ville est représentée par les souvenirs d’un jeune au début du siècle. De multiples
facteurs affectent la perception que l’on a d’un lieu. Le contexte historique, la
physionomie de la ville, le lien qu’on possède avec elle et notre situation personnelle
peuvent modifier l’impression que l’on a d’un espace.

Références bibliographiques et sources :

Références :

- Chanson « Dans ma ville on traîne » de Orelsan

Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=QaMol3Y3be8

Paroles : https://genius.com/Orelsan-dans-ma-ville-on-traine-lyrics

- Documentaire sur la reconstruction de Caen – 1950

Vidéo : https://www.dailymotion.com/video/x15g1z9

Informations :

https://www.caenlamer-tourisme.fr/decouvrir-caen-la-mer/caen-une-ville-aux-mille-
facettes/architecture-et-reconstruction/

https://books.openedition.org/purh/5350?lang=fr

https://storymaps.arcgis.com/stories/bac09fc654864904a056fc9e5c2ddf6a

Images :
Page de garde : Photo de gauche (Ouest-France / DR) ; Photo de droite (Ville de
Caen)
Figure 1, 2, 3 et 5 : Photographies issues du documentaire «reconstruction de Caen»
Figure 4 : Photographie aérienne par cerf-volant de François Levalet
Figure 6 : Image d'illustration. Photo © GILE Michel/SIPA
Figure 7 : Journal Ouest-France

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