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TRADUCTION :

Les hommes, sachant qu'ils percevaient plusieurs idées dont ils n'étaient pas les auteurs,
n'étant pas suscités de l'intérieur et ne dépendant pas de l'opération de leur volonté, en sont
venus à soutenir que ces idées ou objets de perception existaient indépendamment de l'esprit,
sans jamais rêver qu'une contradiction était impliquée dans ces paroles. Mais les philosophes,
ayant clairement vu que les objets immédiats de la perception n'existent pas sans l'esprit, ont
corrigé en quelque sorte l'erreur du commun, mais en même temps ont commis une autre qui
semble tout aussi absurde, à savoir qu'il existe certains objets réellement existants en dehors
de l'esprit, ou ayant une subsistance distincte de leur perception, dont nos idées ne seraient
que des images ou des ressemblances, imprimées par ces objets dans l'esprit. Et cette notion
des philosophes trouve son origine dans la même cause que la précédente, à savoir qu'ils
étaient conscients de ne pas être les auteurs de leurs propres sensations, qu'ils savaient
évidemment être imprimées de l'extérieur et qui doivent donc avoir une cause distincte des
esprits sur lesquels elles sont imprimées.

COMMENTAIRE :

Il est communément admis que la formation d’une idée requiert deux choses : un sujet
percevant et un objet censé être perçu.
Si pour le sujet l’idée exprime et décrit une réalité extérieure à lui il serait naturel de penser
que l’objet est la cause de cette idée, mais il est aussi difficile de penser une idée sans un
quelconque rapport avec une perception, car on ne pourrait pas connaitre une idée sans la
percevoir ni admettre son existence.
Cependant n’est-il pas contradictoire d’attribuer aux idées une indépendance vis-à-vis de la
perception lorsque la nature de ces idées-là ont justement un lien étroit avec la perception ?
C’est en raison de cette problématique apparente que Berkeley dans ce texte tiré d’un extrait
des « principes de la connaissance humaine » exposera de manière sous-jacente sa thèse de
l’irréalisme à travers les contradictions de ses adversaires qui sont les matérialistes.
En effet par ses arguments pour les contredire, Berkeley affirme une dépendance incontestable
entre les idées et l’esprit, il ne peut y avoir d’autre substance que l’esprit car si les idées
dépendent de la perception alors les objets eux-mêmes dépendent de la perception.
Dans cet extrait l’auteur suivra successivement deux points. Dans un premier temps il
reviendra sur la première contradiction « vulgaire » de considérer les idées indépendamment
de l’esprit. Dans un second temps l’auteur abordera une deuxième contradiction cette fois des
philosophes matérialistes considérant une substance matérielle extérieur à l’esprit. Notre
commentaire suivra l’ordre de l’argumentation développé par Berkeley.
Il est commun de penser que la perception fait parti de l’expérience sensible, percevoir une
chose manifeste une expérience du monde réel mais cette perception n’implique pas
nécessairement un sentiment actif, selon les termes de Berkeley « n'étant pas suscités de
l'intérieur et ne dépendant pas de l'opération de leur volonté ».
Cela voudrait dire qu’une perception passive existe, le mouvement de la perception ne
viendrait pas de l’intérieur mais de l’extérieur. Le rôle de l’esprit est quasiment nul si la
perception aurait comme faculté de recevoir seulement passivement les idées extérieures.
Cette réduction à l’extrême de l’esprit implique donc un rôle plus important à l’opposé cette
fois qui sont les objets extérieurs.
Ce qui est indéniable est l’existence des idées mais toute la question tourne autour de « la
localisation » de l’idée, La réalité extérieur doit être nécessairement dans ce sens distinct de
l’esprit si celle-ci se retrouve être réduite à une réception passive.
On comprend mieux pourquoi toujours selon Berkeley « en sont venus à soutenir que ces
idées ou objets de perception existaient indépendamment de l'esprit »
Cependant on voit bien que cette position est absurde car la contradiction réside dans le fait
que les personnes reconnaissent qu'elles perçoivent plusieurs idées, mais elles affirment en
même temps que ces idées ou objets de perception existent indépendamment de l'esprit, sans
être créés par eux-mêmes. C'est une contradiction parce que reconnaître que l'on perçoit
quelque chose implique une certaine relation avec l'esprit ou la conscience de la personne.
La reconnaissance de la perception devrait logiquement conduire à la conclusion que ces idées
dépendent de l'esprit qui les perçoit, plutôt que d'avoir une existence autonome. C'est ce
paradoxe que Berkeley souligne pour remettre en question la conception commune de
l'existence indépendante des idées ou objets de perception.

Maintenant que la question de la relation de l’esprit et de l’idée à été traité il reste toujours
l’interrogation sur la relation des idées à leurs objets extérieurs. Il semble cohérent de
supposer que les idées sont formées à partir de la perception des objets extérieurs, dans le sens
ou les objets extérieurs existent indépendamment de l’esprit.
Cependant Berkeley s’oppose aussi à cette perception « à savoir qu'il existe certains objets
réellement existants en dehors de l'esprit », si les idées nous renseignent sur les qualités
sensibles de l’objets mais que ces idées sont à l’intérieur de l’esprit alors rien ne prouve un
substrat matériel dans le sens aristotélicien de la matière comme support de la forme.
C’est une critique directe envers la conception d’idée abstraite de Locke, admettre une
substance matérielle implique une méthode d’abstraction des qualités premières dans leur
essences réelles. Rien ne justifie dans l’expérience sensible une prédominance d’une cause
extérieure dans la formation d’une idée.
En réalité Berkeley pointe ces deux contradictions de la même manière par une différence de
perspective dans le rôle que joue l’idée dans la relation esprit et objet. Berkeley substitue
simplement l’objet par l’idée, c’est-à-dire que l’esprit en tant que substance considère les
idées comme des objets.
Si comme Berkeley l’a affirmé en disant « ou ayant une subsistance distincte de leur
perception » cela voudrait dire qu’il n’y a aucune différence entre l’objet et son idée, ou
encore plus loin : qu’il n’y a pas de distinction entre une idée et la perception d’une idée ;
c’est bien un rapport purement phénoménal.
C’est pourquoi la première contradiction dite vulgaire n’est pas tellement différente de la
deuxième car dans tous les cas percevoir implique un rapport phénoménal entre l’esprit et
l’idée. C’est pourquoi dans ces deux cas la cause de la contradiction est la même, « à savoir
qu'ils étaient conscients de ne pas être les auteurs de leurs propres sensations » en d’autres
termes le fait de distinguer l’acte de percevoir de son objet avait contribuer à attribuer une
cause extérieure aux idées.

Pour conclure, on voit qu’à travers ces deux contradictions Berkeley expose de manière
verticale sa thèse, d’une part il montre comment les idées sont dépendantes de leurs
perceptions et d’autre part il assimile l’idée d’une chose à la chose lui-même, si on considère
ces deux points alors on arrive à la conclusion que la perception ne se distingue en rien de la
chose qui est l’idée. Cependant cette conception phénoménal peut se retrouver en difficulté si
Berkeley considère l’esprit différent de ses idées.

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