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Recours contre le rejet du regroupement familial :


irrecevabilité de la majorité acquise au cours de la
procédure
le 1 septembre 2020
ADMINISTRATIF | Droit fondamental et liberté publique
EUROPÉEN | Citoyenneté - Nationalité - Étranger | Convention - Traité - Acte

Dans un arrêt du 16 juillet (aff. jtes C‑133/19, C‑136/19 et C‑137/19), la CJUE a précisé les
conséquences procédurales de l’acquisition de la majorité en cours d’instance par un mineur auteur
d’une demande de regroupement familial. Elle a en particulier considéré que le recours contre le
rejet d’une telle demande ne peut pas être déclaré irrecevable au seul motif que l’enfant est
devenu majeur au cours de la procédure juridictionnelle.

CJUE 16 juill. 2020, aff. jtes C‑133/19, C‑136/19 et C‑137/19

En l’espèce, un bénéficiaire du statut de réfugié en Belgique a introduit des demandes


d’autorisation de séjour au titre du regroupement familial pour ses trois enfants mineurs auprès de
l’ambassade de Belgique à Conakry (Guinée). Ses demandes ayant été rejetées, il a décidé
d’introduire de nouvelles demandes similaires l’année suivante auprès de l’ambassade de Belgique
à Dakar (Sénégal). Celles-ci, considérées comme fondées sur des informations frauduleuses et
trompeuses, ont toutefois également été rejetées par les autorités belges.

Saisi de recours contre ces décisions, le Conseil du contentieux des étrangers de Belgique les a
déclarés irrecevables, en raison du défaut d’intérêt à agir du requérant. En effet, selon la
jurisprudence belge, l’intérêt à agir doit exister au moment de l’introduction d’un recours et
subsister tout au long de la procédure. Or, les enfants étaient tous devenus majeurs au jour du
prononcé de la décision du Conseil. Ces derniers ne satisfaisaient donc plus à la condition de
minorité exigée au titre de la procédure de regroupement familial.

Les trois enfants concernés ont alors formé des pourvois en cassation devant le Conseil d’État de
Belgique au motif que la décision du Conseil du contentieux des étrangers méconnaît le principe
d’effectivité du droit de l’Union car elle les empêche de bénéficier du droit au regroupement familial
garanti par la Directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au
regroupement familial (JOUE 2003, n° L 251, p. 12, art. 4, v. H. Labayle, Le droit des étrangers au
regroupement familial, regards croisés du droit interne et du droit européen, RFDA 2007. 101). Les
requérant invoquaient par ailleurs la violation du droit à un recours effectif (art. 47 de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne).

Interrogée par le Conseil d’État belge, la Cour devait d’une part répondre à la question de savoir
quelle était la date de la détermination de l’âge de l’auteur d’une demande de regroupement
familial et d’autre part à la question des conséquences procédurales de l’acquisition de la majorité
en cours d’instance.

Concernant d’abord, la question de la date de détermination de l’âge de l’auteur d’une demande de


regroupement familial, la Cour répond que la date à laquelle il convient de se référer pour
déterminer si l’on est en présence d’un « enfant mineur » est celle à laquelle est présentée la
demande d’entrée et de séjour aux fins du regroupement familial, et non celle à laquelle il est
statué sur cette demande par les autorités compétentes de cet État membre. Il en est de même si
cette date a lieu à la suite d’un recours dirigé contre la décision de rejet d’une telle demande. Pour
justifier une telle interprétation, d’ailleurs conforme à sa jurisprudence antérieure (CJUE 12 avr.
2019, aff. C-550/16, A. et S., AJDA 2018. 828 ; D. 2018. 850 ; ibid. 2019. 347, obs. O. Boskovic, S.
Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; AJ fam. 2018. 352, obs. J. Houssier ; RDSS
2018. 457, note F. Monéger ; RTD eur. 2019. 195, obs. S. Barbou des Places ), la Cour se fonde

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sur les objectifs poursuivis par la Directive 2003/86, c’est-à-dire de favoriser le regroupement
familial et d’accorder une protection aux ressortissants de pays tiers, notamment aux mineurs. Or
les dispositions de la directive doivent, selon la Cour, être interprétées et appliquées à la lumière du
droit au respect de la vie privée ou familiale (art. 24, §§ 2 et 3, de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne) et de l’intérêt supérieur de l’enfant. Or, selon le juge de
Luxembourg, retenir la date à laquelle l’autorité compétente statue sur la demande de
regroupement familial comme date de référence pour apprécier l’âge du demandeur n’inciterait pas
les autorités nationales à traiter prioritairement les requêtes des mineurs avec l’urgence nécessaire
pour tenir compte de leur vulnérabilité. En l’espèce, la Cour constate d’ailleurs que les requérants
ont dû attendre plus de trois ans pour obtenir une décision du Conseil du contentieux des
étrangers.

Sur ce point, l’apport de l’arrêt en droit français est principalement confirmatif. En effet, en raison
de la longueur des délais qui s’écoulent entre la date de la demande de regroupement familial et la
date de la décision de l’autorité administrative, le juge administratif français considère déjà, sur le
fondement de l’article R. 411-3 du CESEDA, que l’âge de l’enfant doit être apprécié à la date du
dépôt de la demande (CAA Bordeaux, 27 déc. 2006, n° 06BX02105 ; CAA Marseille, 10 nov. 2015,
n° 14MA01701).

La seconde réponse apportée par la Cour est plus instructive. Elle ajoute en effet que le recours
contre le rejet d’une demande de regroupement familial d’un enfant mineur ne peut pas être jugé
irrecevable au seul motif que l’enfant est devenu majeur au cours de la procédure juridictionnelle.
Selon la Cour, les recours nationaux permettant au regroupant et aux membres de sa famille
d’exercer leur droit de contester en justice les décisions de rejet d’une demande de regroupement
familial doivent être effectifs et réels. Par ailleurs, le rejet, comme irrecevable, d’un recours ne
pourrait être fondé sur le constat que les personnes concernées ne justifient plus d’un intérêt à
obtenir une décision de la part de la juridiction saisie. En effet, un ressortissant d’un pays tiers dont
la demande de regroupement familial a été rejetée pourrait très bien conserver, même après être
devenu majeur, un intérêt à ce que la juridiction se prononce sur le fond. En ce sens, dans certains
États membres, une telle décision juridictionnelle est nécessaire afin de permettre au demandeur
d’introduire une action en dommages-intérêts à l’encontre de cet État membre.

En adoptant une telle interprétation, la Cour de justice ajoute une précision relative aux
conséquences procédurales de l’acquisition de la majorité d’un candidat au regroupement familial
en cours d’instance. Celle-ci coïncide par ailleurs avec la publication, le 2 juillet, par le Conseil de
l’Europe, d’un manuel sur le regroupement familial pour les enfants réfugiés et migrants (réf. DC
100(2020)) qui encourage fortement la réunification des familles. La décision de la Cour de justice
de l’Union européenne va donc dans ce sens en permettant aux demandeurs de poursuivre leurs
recours contre le rejet de leur demande de regroupement familial une fois adultes.

par Charlotte Collin

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