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UNIVERSITE PANTHEON ASSAS (PARIS II)

Année universitaire 2021-2022

TRAVAUX DIRIGES – 1ère année de Licence en droit


DROIT CIVIL – 1er semestre
Cours de Monsieur le Professeur Laurent Leveneur

CORRECTION – SIXIEME SEANCE


Loi civile et hiérarchie des normes (suite)

Cette séance a un double objet, pédagogique et substantiel. Sur le terrain pédagogique, vous vous
souvenez que la quatrième séance de TD, avec l’étude de la saga jurisprudentielle « Clément-
Bayard », avait pour objet de vous introduire et de vous familiariser avec l’exercice de la fiche
d’arrêt. Comme évoqué lors de cette séance, la fiche d’arrêt constitue en réalité le prélude –
précisément l’introduction – à un exercice plus substantiel : le commentaire d’arrêt. En se fondant
sur l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation du 11 mars 2016, vous
serez amenés à confectionner votre premier commentaire d’arrêt in extenso. Sur le plan
substantiel, cette séance nous conduira à approfondir et à clore les développements relatifs à la
hiérarchie des normes, et spécialement à son relatif ébranlement au cours des dernières décennies
– vous vous souviendrez à cet égard de la dissertation de la semaine passée, relative à La place de
la loi parlementaire dans la hiérarchie des normes, et à son évolution.

Document 1 : Civ. 1ère, 11 mars 2016, n°15-17185

L’arrêt de rejet sous examen a été rendu par la première chambre civile de la Cour de
cassation le 11 mars 2016. Il constitue une illustration d’espèce de la difficile question du nom de
l’enfant dont le lien de filiation paternelle est judiciairement établi - imposé, même, plus
exactement. Il illustre, par là même, le caractère extraordinairement casuistique de ces
contentieux, dont l’issue est largement commandée par l’appréciation des faits propres à chaque
espèce, ce qui semble justifier un véritable désengagement du juge de cassation qui se refuse à
apprécier la qualité du contrôle de conventionnalité in concreto réalisé par les juges du fond.

En l’espèce, une femme actionne un homme en établissement du lien de filiation à l’égard


de son enfant. Le juge de première instance, après qu’une expertise biologique ait été pratiquée,
accueille cette demande et décide en outre que l’autorité parentale sera exercée exclusivement par
la mère, que la résidence habituelle de l’enfant sera fixée au domicile de cette dernière et que son
état civil mentionnera le nom de sa mère suivi de celui de son père. Le juge d’appel revient sur ce
dernier point, et refuse que soit adjoint le nom du père de l’enfant à celui de sa mère. Cette
dernière se pourvoit en cassation.

Elle fait grief à l’arrêt d’appel de refuser l’adjonction du nom du père à l’état civil de
l’enfant, en se fondant sur un moyen unique divisé en trois branches. La troisième est fondée sur
un argument procédural, tiré de la méconnaissance prétendue par le juge d’appel de l’obligation
de motivation visée à l’article 455 du Code de procédure civile, excipant de ce que « le risque de
confronter en permanence l’enfant par le simple énoncé de son nom au rejet dont il est l’objet de
la part d’un père qui n’entend pas s’intéresser à lui » constitue un motif hypothétique, équivalent
à l’absence de motif. Les deux premières branches du moyen, qui sont l’occasion des
enseignements les plus intéressants de l’arrêt, s’articulent autour de la nécessité d’un contrôle de
conventionnalité in concreto de l’article 331 du Code civil, qui fonde la compétence du juge de la
filiation pour statuer sur l’attribution du nom, au regard de la convention de New York du 20
novembre 1989 relative aux droits de l’enfant. La première branche conteste ingénieusement
l’argumentation du juge d’appel, en avançant qu’en se fondant sur le désintérêt du père pour son
enfant, le juge ne s’est pas tant astreint à une appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’à
celui de son père et de son désengagement. La deuxième branche décline les manifestations de
l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment son « droit de préserver son identité » et la nécessité
donc de l’adjonction du patronyme paternel, dont l’accueil en l’espèce aurait, allègue-t-on, dû
découler des « liens familiaux et d’affection » noués entre l’enfant et son grand-père paternel, et
l’appartenance à la famille de son père qui en résultait.

La troisième branche est écartée par la Haute juridiction sans véritable effort justificatif,
celle-ci se contentant d’affirmer que « la cour d’appel […] ne s’est pas déterminée par un motif
d’ordre général ou par un motif hypothétique ». On saura gré au juge du droit d’avoir lui-même
été moins général ou hypothétique… Il n’est pas moins lapidaire dans son rejet des deux
premières branches du moyen de cassation porté par la mère de l’enfant, se contentant d’un
contrôle purement formel du raisonnement de l’arrêt d’appel, dont il reprend simplement la lettre
pour en approuver l’issue. Il n’est pas même à l’abri d’une certaine veulerie lorsqu’il excipe du
pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond pour se refuser à un examen substantiel de la
qualité du contrôle de conventionnalité in concreto opéré par le juge d’appel.

La décision, dont le caractère d’espèce est indéniable, est à confronter à l’arrêt rendu par la
même chambre le 8 juillet 2015 (Civ. 1ère, 8 juillet 2015, n°14-20.417) qui, bien que présentant
un contexte factuel similaire, consacre une solution exactement inverse à celle de l’arrêt examiné.
Le rapprochement de ces décisions peut être l’occasion d’une discussion des limites, voire des
dangers, du contrôle de proportionnalité commandé par l’appréciation concrète de la
conventionnalité des lois, dont le juge judiciaire, dans le silence des textes et face au retrait du
Conseil constitutionnel en son arrêt IVG de 1975, s’est arrogé le pouvoir en 1975, par l’arrêt
Cafés Jacques Vabre rendu par la Cour de cassation en formation de chambre mixte.

Dans quelle mesure l’intérêt supérieur de l’enfant, et le droit de préservation de son identité
qui s’en déduit, que protègent la convention de New York de 1989, limitent-ils la discrétion du
juge dans la mise en œuvre de son pouvoir de statuer sur l’attribution de son nom? Dans quelle
mesure la Cour de cassation encadre-t-elle la discrétion du juge dans la mise en œuvre de son
contrôle concret de conventionnalité de la loi, en l’espèce de l’article 331 du Code civil?

Il est possible de répondre à ces questions en deux mouvements, en commentant d’abord le


résultat en l’espèce de la mise en œuvre de l’article 331 du Code civil (I), avant d’étudier sa
conformité concrète aux dispositions de la convention de New York de 1989 relative aux droits
de l’enfant (II).
I- Le pouvoir discrétionnaire du juge pour l’attribution du nom

Après avoir présenté la règle de droit applicable au litige d’espèce (A), et les directives
dégagées par la Cour de cassation pour la mise en œuvre de celle-ci, nous nous intéresserons à la
discrétion qu’elle offre au juge, et aux dangers de celle-ci (B).

A- Le pouvoir du juge

L’article 331 du Code civil n’est pas visé par l’arrêt qui, comme tout arrêt de rejet, fait
l’économie d’un visa. Il s’agit là pourtant de la disposition centrale de l’affaire et de l’arrêt
commentés. Celui-ci dispose que, dans le cadre des actions aux fins d’établissement de la
filiation, le tribunal statue, s’il y a lieu, « sur l'exercice de l'autorité parentale, la contribution à
l'entretien et à l'éducation de l'enfant et l'attribution du nom ». En l’espèce, à hauteur d’appel,
l’unique enjeu de l’arrêt devient la possibilité d’adjoindre, à l’état civil de l’enfant, le nom du
père, dont la filiation vient d’être judiciairement établie, à celui de sa mère.

Afin de dissiper les brumes d’une disposition très générale, ouvrant au juge une discrétion
non moins importante, la Cour de cassation avait précisé, en 2010, dans un avis, que « le tribunal
de grande instance est compétent sur le fondement de l'article 331 du Code civil pour statuer sur
l'attribution du nom de l'enfant en cas de désaccord entre les parents et peut décider, en
considération de l'ensemble des intérêts en présence et plus particulièrement de celui supérieur de
l'enfant, soit de la substitution du nom du parent à l'égard duquel la filiation est établie
judiciairement en second lieu, au nom jusque-là porté par l'enfant, soit de l'adjonction de l'un des
noms à l'autre » (Avis, 13 sept. 2010, n°10-00.004).

Les enseignements de cet avis sont multiples. Tout d’abord, en cas d’accord des parents,
l’avis semble impliquer que le juge a compétence liée et doit accueillir l’articulation des noms sur
laquelle les parents se sont entendus. Hors contexte judiciaire - et donc contentieux -, c’est
d’ailleurs la solution de droit commun en matière de dévolution du nom de famille, posée à
l’article 311-23 alinéa deuxième du Code civil. En cas de désaccord, à l’inverse, l’avis prévoit
que le juge est libre de prononcer, alternativement, une substitution de nom ou une adjonction.

La décision du juge, précise cet avis interprétatif de l’article 331 du Code civil, est
commandée par la « considération de l’ensemble des intérêts en présence et plus particulièrement
de celui supérieur de l’enfant ». Apparaît l’immensité du champ discrétionnaire ainsi ouvert au
juge qui, se fondant sur son appréciation subjective de la galaxie des faits de l’espèce, et des
intérêts en présence, impose à l’enfant la teneur définitive de son état civil, précisément de son
nom. L’avis ne fait pas mention de la nature, législative ou conventionnelle, de l’instrument
protecteur de l’intérêt de l’enfant, de sorte que la solution finalement retenue par le juge d’appel,
confirmée par le juge de cassation, peut être commentée pour elle-même, nonobstant à ce stade
les conséquences du contrôle concret de conventionnalité (B).

B- La mise en œuvre du pouvoir discrétionnaire du juge

En l’espèce, plusieurs intérêts s’opposent, qui peuvent être essentialisés et réduits à deux
intérêts bien identifiés. Celui du père d’abord, qui justifie la non-adjonction de son nom à celui de
la mère de son enfant, pour l’établissement du nom de ce dernier, conséquemment au désintérêt
qu’il lui manifeste, même postérieurement à l’établissement judiciaire de sa paternité. Celui de
l’enfant, ensuite, qui est convergent de celui de sa mère et de son grand-père paternel, favorables,
nous enseigne l’arrêt, à l’adjonction du patronyme paternel. En faveur de cette dernière solution,
la demanderesse au pourvoi invoque les « liens familiaux et d’affection » noués entre l’enfant et
son grand-père paternel, son appartenance à la famille de son père faisant donc « partie intégrante
de son identité ». En défaveur de cette solution, la cour d’appel confirmée en cela par la Cour de
cassation, excipe du désintérêt du père pour son enfant, et précisément du « risque de confronter
en permanence l’enfant par le simple énoncé de son nom au rejet dont il est l’objet de la part d’un
père qui n’entend pas s’intéresser à lui ».

La solution du problème d’attribution du nom doit être commandée, comme l’écrit le juge
de cassation rappelant en cela son avis de 2010, par la mise en balance de « l’ensemble des
intérêts en présence, dont celui supérieur de l’enfant » (Nous soulignons). L’application de cette
consigne à l’espèce semble commander l’adjonction du nom du père à celui de la mère, dans la
mesure où une telle solution contenterait l’enfant, sa mère, et le père de son père. C’est bien la
solution arrêtée par la même première chambre civile de la Cour de cassation, le 8 juillet 2015
(arrêt précité), quelques mois à peine avant l’arrêt commenté. Précisément, dans cet arrêt de rejet,
le juge était même allé plus loin en admettant la nécessité d’une substitution au nom de la mère
de celui du père de l’enfant dont la paternité avait été judiciairement établie, qui « était de nature
à rattacher de manière apparente et symbolique l'enfant à un père qui refusait toute relation avec
lui et persistait à nier sa paternité alors qu'il s'était abstenu de se soumettre à une mesure propre à
l'établir ou à l'écarter avec certitude ».

La seule véritable distinction factuelle pouvant être faite entre les deux arrêts tient à l’âge
des enfants au cœur de ces contentieux : dans le premier arrêt, en date de 2015, l’enfant a dix ans
au moment où le juge d’appel statue, ce qui justifie que son audition ait été admise et son avis
recueilli ; dans l’arrêt examiné, en date de 2016, l’enfant n’a que quatre ans au moment où le juge
d’appel statue, de sorte que l’audition de l’enfant semblait inadéquate. Cette différence factuelle
peut-elle justifier le grand écart opéré par la Cour de cassation? Nous en doutons. Faut-il déduire
de ce que l’arrêt de 2015 était demeuré inédit, contrairement à l’arrêt examiné, publié au Bulletin,
que ce dernier présente le dernier état de la jurisprudence en la matière, après une décision de
2015 qui n’aurait été qu’une étape d’une construction prétorienne désormais achevée? Nous en
doutons là aussi.

Il est plus probable que le rapprochement de ces arrêts illustre le caractère


irrémédiablement casuistique de ces contentieux, et l’impossible prévision des résultats de la
mise en balance des intérêts en présence nécessaire, conformément à l’avis de 2010, à
l’application de l’article 331 du Code civil. Il eût été souhaitable, à cet égard, que le juge de
cassation - dont on sait la mission d’uniformisation en France du droit et de son interprétation -
soit plus généreux dans la justification de la mise à l’écart de la troisième branche du moyen de
cassation soulevé, fondé sur une violation par l’arrêt d’appel de l’article 455 du Code de
procédure pour défaut de motivation. Le motif hypothétique fondant cet arrêt (le risque de
confronter l’enfant par le simple énoncé de son nom au rejet dont il est l’objet par son père)
pouvait en effet sembler insuffisant à le justifier pleinement. Par sa sourde approbation, le juge de
cassation prive le juge de directives claires encadrant le caractère discrétionnaire de l’attribution
du nom sur le fondement de l’article 331 du Code civil, et ouvre une véritable boîte de Pandore,
celle de l’imprévisibilité, donc de l’insécurité juridique.

Il était légitime d’espérer que le contrôle du caractère proportionné de l’atteinte ainsi


portée, dans la mise en oeuvre de l’article 331 du Code civil, aux droits protégés par la
convention de New York de 1989, puisse constituer une limite aux pouvoirs discrétionnaires du
juge. Mais parce que ce contrôle est lui-même mis en oeuvre de manière discrétionnaire par ledit
juge, il manque sa vocation, ce que la Cour de cassation admet sans pleinement mesurer les
dangers potentiels de son désengagement (II).

II- Le contrôle concret de conventionnalité

Nous commenterons d’abord l’issue en l’espèce du contrôle de conventionnalité opéré (A),


avant de nous efforcer à esquisser toutes les conséquences potentielles des positions exprimées ici
par la Cour de cassation (B).

A- La solution d’espèce

L’article 55 de la Constitution pose le principe de la supériorité des traités sur les lois, sous
la double condition que lesdits traités aient été régulièrement ratifiés ou approuvés, et de
l’application réciproque de ceux-ci par les autres Etats parties. Une telle profession de foi serait
demeurée sans grande portée si la Cour de cassation, par son arrêt Café Jacques Vabre, rendu en
formation de chambre mixte le 24 mai 1975, n’avait admis la compétence du juge judiciaire pour
contrôler la conformité des lois aux conventions internationales, pour opérer donc un contrôle de
conventionnalité des lois.

Le juge, quittant l’office d’une simple « bouche de la loi », devient ainsi le juge de celle-ci.
L’espèce commentée en fournit l’illustration, où est examinée la conformité de l’article 331 du
Code civil à la convention onusienne relative aux droits de l’enfant de 1989, d’applicabilité
directe dans l’ordre juridique français. D’un mot, on dira notre étonnement à la lecture de cet
arrêt, face à l’absence d’invocation du droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant,
protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, bien qu’on doute que
sa mobilisation eût altéré l’issue du litige.

L’enjeu est de déterminer si le contrôle de conventionnalité est susceptible d’altérer la


solution retenue sur le fondement de l’article 331 du Code civil. L’intérêt supérieur de l’enfant,
visé et protégé par l’article 3 de la convention, doit-il commander au cas d’espèce l’adjonction du
patronyme paternel? Plus encore, et c’est l’objet de la deuxième branche du moyen du pourvoi,
une telle solution est-elle commandée par l’article 8 § 1 de la convention qui prévoit « le droit de
l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels
qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale »? L’importance des droits en cause, eu
égard à leur source, semblait appeler une réponse positive, et justifier une mise à l’écart de
l’article 331 du Code civil, et la nécessité d’accéder à la demande d’adjonction du patronyme
paternel.

Or, parce qu’un tel contrôle de conventionnalité s’opère nécessairement in concreto, en


contemplation de l’ensemble des intérêts en présence, son issue là encore devient incertaine, et
commandée par l’appréciation discrétionnaire des faits et intérêts pertinents par le juge saisi. De
sorte que le contrôle de conventionnalité, dont on pourrait légitimement anticiper qu’il constitue
une limite à la discrétion du juge, est lui-même discrétionnaire : en ce sens, il nous semble permis
d’évoquer une « limite discrétionnaire à la discrétion du juge ». Plutôt que de restaurer la sécurité
par la prévisibilité, ce contrôle aggrave donc finalement le caractère imprévisible du résultat de
l’application au cas d’espèce de la règle de droit. Le juge d’appel rejette finalement les arguments
tirés de l’incompatibilité concrète de l’article 331 du Code civil aux standards conventionnels. La
Cour de cassation y agrée, et renonce même à contrôler la qualité du contrôle de conventionnalité
opéré par le juge du fond (B).

B- Les conséquences

L’adoption d’un contrôle de proportionnalité aux fins de l’appréciation de la conformité des


lois aux conventions internationales, méthode dont l’arrêt de la première chambre civile du 4
décembre 2013 (n°12-26.006 - document 8 de la fiche de TD n°5) est généralement considéré
comme l’arrêt fondateur, a marqué l’abandon du raisonnement syllogistique abstrait et l’érection
d’une « mise en balance des intérêts en présence » inspirée de la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’Homme. Le contrôle de conventionnalité se veut concret, non plus
abstrait.

Son implication la plus fondamentale est la relativisation du contrôle de conventionnalité :


son résultat n’est plus absolu, ou certain, il devient impossible d’anticiper le caractère conforme
ou non d’une disposition législative à une convention internationale identifiée, dans la mesure où
l’issue de ce contrôle est condamnée à varier, pour chaque litige, en fonction de l’appréciation par
le juge de la galaxie factuelle de l’espèce. La hiérarchie des normes s’en trouve
fondamentalement ébranlée - voire niée -, et relativisée là aussi, dès lors que sa stratification
dépend donc du contexte factuel de chaque espèce.

Initialement envisagé comme un facteur d’humanisation, de progrès, de sécurisation, le


contrôle de conventionnalité signe au contraire la victoire du fait sur le droit, inversant le
paradigme traditionnel aux termes duquel il appartient au droit de dominer, de discipliner les
faits.

Très singulièrement, le juge de cassation, auquel l’article L411-2 du Code de l’organisation


judiciaire fait en principe interdiction de connaître du fait, du fond des affaires, semble tirer les
conséquences les plus extrêmes du caractère désormais casuistique du contrôle de
conventionnalité, affirmant que le juge d’appel « a souverainement estimé qu’au regard du
contexte familial, il n’était pas de l’intérêt de l’enfant de porter le nom de son père ». Faut-il en
déduire que, le contrôle de conventionnalité in concreto, dans la mesure où sa mise en oeuvre
suppose une appréciation du contexte factuel du litige, relève du seul pouvoir d’appréciation
souveraine des juges du fond? Et que le juge de cassation, juge du droit, se trouve donc empêché
d’apprécier le résultat du contrôle de conventionnalité, instrument pourtant fondamental de la
préservation effective de la structure hiérarchique de notre système juridique, dont la Cour de
cassation est censément le gardien de l’uniformité (art. L411-1 et -2 du Code de l’organisation
judiciaire)? Parce que la Cour de cassation se contente en l’espèce d’un contrôle formel du
raisonnement du juge d’appel, elle autorise les craintes les plus grandes. Un tel désengagement
du juge du droit acterait une progression sans précédent du champ de discrétion réservé aux juges
du fond, dans leur pouvoir souverain d’appréciation des faits, et donc désormais du droit, du
moins du résultat du contrôle casuistique de la conventionnalité des règles de droit de source
législative, et marquerait le déclin du droit et la crainte, légitime de l’arbitraire.

Concluons avec ces mots d’Alain Bénabent, professeur de droit et avocat aux conseils, qui
éclairent crûment l’imprévisibilité et donc l’insécurité juridique inhérente au dogme de la
proportionnalité charrié par le contrôle concret de conventionnalité : « Si, au-delà des simples
soupapes exceptionnelles classiques (abus de droit, fraus omnia corrumpit, etc), on devait ériger
en système que tout juge peut lever toute loi et écarter tout délai, selon la pesée du jour, alors tout
deviendrait plaidable et rien ne serait jamais acquis qu’après un jugement au cas par cas : ce
serait délibérément sacrifier la recherche du prévisible cohérent sur l’autel d’une quête
romantique de justice faite d’un bouillonnement permanent d’incertitudes et d’une effervescence
de prétoires encombrés, donc brouillés, lents et coûteux. Ne serait-ce pas la négation même du
droit? » (A. Bénabent, « Un culte de la proportionnalité… un brin disproportionné », D. 2016.
137).

Document 2 : Civ. 1ère, 10 mars 1993, Bull. civ. I, n°103, p. 69

Faits : Un enfant issu d'une union libre est reconnu par son père et sa mère. À la séparation des
concubins, son père saisit le juge aux affaires matrimoniales afin d’obtenir un droit de visite et
d’hébergement.

Procédure : Le juge de première instance comme la cour d'appel (Rennes, 7 décembre 1990)
rejettent la demande du père suite à des enquêtes sociales chargées de déterminer les causes de
l'absence de relations de l'enfant à son père et d'estimer l'intérêt de l’enfant à court ou moyen
terme au vu de cette relation.

Moyen du pourvoi : Le père reproche à la mère de faire pression sur l'enfant dans ses déclarations
recueillies lors de l'examen psychologique auquel elle était présente. Il estime que sa fille ne peut
s'exprimer librement que dans le cadre d'une audition libre devant les travailleurs sociaux, sans la
mère. Les conditions de l'audition contreviendraient selon lui aux articles 1, 3, 9 et 12 de la
convention relative aux droits de l’enfant et à l’article 374 du Code civil.

Question de droit : La Convention internationale relative aux droits de l’enfant est-elle d'effet
direct concernant les conditions procédurales de recueil de la parole de l'enfant ?

Solution : La Cour de cassation estime que le traité international qui ne crée d'obligations qu'à la
charge des Etats parties n'est pas directement applicable en droit interne et ne permet donc pas un
contrôle de conventionnalité des conditions d'audition contestées.

Document 3 : Civ. 1ère, 18 mai 2005, Bull. civ. I, n°212, p. 180

Faits : Un père engage une action judiciaire pour voir modifier la résidence de sa fille qui réside
aux Etats-Unis d’Amérique avec sa mère.

Procédure : Au cours de la procédure, plus précisément en cours de délibéré d'appel, par lettre
transmise aux magistrats, l'enfant demande à être entendu pour voir modifier sa résidence.

La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 20 septembre 2002, ne se prononce pas sur la
demande de l’enfant, et rejette ainsi la recevabilité de la demande selon le motif que cette
demande est nouvelle.

Question de droit : Les juges d'appel sont-ils tenus d'examiner la demande spontanée de résidence
d'un enfant au cours d'une procédure engagée en ce sens par son père alors qu'une telle demande
n'avait pas été faite en première instance ?

Solution : Au visa des dispositions internationales de la Convention relative aux droits de l'enfant
qu'elle estime d'effet direct, la Cour de cassation estime que la considération primordiale de
l'intérêt de l'enfant impose aux magistrats de prendre en compte toute demande de l'enfant sur sa
résidence, même pour la première fois en cause d'appel. Elle casse donc l’arrêt rendu par la cour
d’appel.

Document 4 : CE Ass, 11 avril 2012, n°322326, GISTI

Faits : Un décret n°2008-908 du 8 septembre 2008 fixant les conditions de permanence du séjour
pour les personnes étrangères impose d’être titulaire d’un titre de séjour de 10 ans (pour les
européens, d’avoir un droit au séjour), ou de justifier d’au moins deux années de résidence
ininterrompue en France sous couvert d’un titre de séjour temporaire, renouvelé au moins deux
fois. Sont exclues de cette liste les cartes de séjour temporaire comportant la mention étudiant,
salarié en mission ou séjour compétences et talents.

Procédure : Le GISTI (Groupement d'information et de soutien des immigrés) engage un recours


contre ce décret. Deux moyens appuient cette prétention.

Moyen n°1 : Selon le demandeur le décret méconnaît l’article 6-1 de la Convention internationale
du travail du 1er juillet 1949, qui prévoit que les Etats parties ne peuvent réserver un traitement
moins favorable aux travailleurs étrangers qu’aux travailleurs ressortissants du for.

Question de droit : L’absence de conformité du décret n°2008-908 à l’article 6-1 de la convention


internationale du travail du 1er juillet 1949 peut-elle entraîner son annulation ?

Solution : Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord les règles constitutionnelles relatives au
contrôle de conventionalité d’un acte administratif ou d’une loi (l’article 55 C), faisant appel à la
notion d’effet direct du traité. Cet effet direct est révélé par l’intention des Etats parties et
l’économie générale du traité invoqué.
La Haute juridiction administrative vérifie ensuite que la convention internationale du travail du
1er juillet 1949 a vocation à s’appliquer directement, notamment son article 6-1. Elle retient
finalement que le décret est contraire à cette Convention internationale en ce qu’il subordonne le
droit au logement opposable à une condition de résidence de deux ans ne s’appliquant pas aux
ressortissants français, et que certains titres de séjours sont exclus de son champ d’application,
excluant que certains travailleurs puissent en bénéficier.

Moyen n°2 : Le GISTI invoque la non-conformité du décret attaqué au principe de légalité.

Question de droit : Le décret attaqué est-il conforme au principe d’égalité ?

Solution : Selon le Conseil d’Etat, le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que des situations
différentes soient réglées de manière différente. Ce principe d’égalité peut également être écarté
pour des raisons d’intérêt général. Néanmoins dans ces deux situations les mesures prises doivent
être proportionnées.
Le décret examiné en l’espèce ne relève d’aucun cas d’exception au principe d’égalité.

Conclusion : Le décret est entaché d’illégalité, et doit donc être annulé. Le décret est donc annulé
au terme d'un contrôle de conventionnalité réalisé par le juge ordinaire. Le conseil d’État module
toutefois les effets de cette annulation dans le temps. L’annulation du décret ne prend en effet
qu'à compter du 1er octobre 2012.

D'une manière générale, cet arrêt poursuit le mouvement jurisprudentiel reconnaissant l’effet
direct des traités internationaux ou de certaines de leurs dispositions. Néanmoins, il ne va pas
jusqu'à reconnaître l’invocabilité automatique en droit interne de toute stipulation
conventionnelle d'un traité international.

Le principal apport de cette décision réside donc dans les précisions apportées à la notion «
d’effet direct » des stipulations des conventions internationales, en-dehors du champ du droit de
l’Union européenne. Cette notion conditionne la possibilité d’invoquer de telles stipulations à
l’appui d’une demande tendant, par voie d'action, à ce que soit annulé un acte administratif
(individuel ou réglementaire) ou, par voie d'exception, à ce que soit écartée l’application d’une
loi ou d’un acte administratif incompatible avec la norme juridique qu’elle contient (CE, Section,
23 avril 1997, Groupement d’information et de soutien des immigrés, n° 163043, Rec.).
Redéfinissant la notion, l’assemblée du contentieux juge que, sous réserve des cas où est en cause
un traité pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence
exclusive pour déterminer s’il est ou non d’effet direct, une stipulation doit être reconnue d’effet
direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l’intention exprimée des parties et à
l’économie générale du traité, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elle n’a pas pour objet
exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l’intervention d’aucun acte
complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers. Cette décision précise, en
outre, que l’absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la
stipulation désigne les États parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit. L’assemblée
confirme ainsi, par ailleurs, que l’effet direct d’une convention internationale s’apprécie
stipulation par stipulation, comme cela résultait déjà de sa jurisprudence (CE, 22 septembre 1997,
Mlle X., n° 161364, Rec.).

N.B : À l’appui de leurs requêtes, les associations invoquaient la méconnaissance de l’ensemble


des conventions internationales ratifiées par la France qui garantissent directement le droit au
logement. Outre la convention internationale du travail au visa de l'arrêt, l’article 11 du Pacte
International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) était visé.
Toutefois, le Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur cette disposition.

De manière générale, le Conseil d’État considère toutefois que les dispositions du PIDESC sont
imprécises et refuse par une jurisprudence constante (Voir CE Ass., 5 mars 1999, req. 194658,
196116, Rouquette, RFDA, 1999, p.357, concl. C. Maugüe ; Ce, 26 janvier 2000, req. 170579 ;
CE, 23 décembre 2010, req. 335738) tant son application directe que son effet direct.

La Cour de Cassation, dont la position était antérieurement similaire à celle du Conseil d’État a
toutefois reconnu l’applicabilité directe de l’article 6 § 1 du PIDESC dans une décision de la
Chambre sociale (Cass. Soc., 16 décembre 2008, Eichenlaubc/ Axia France). Le juge judiciaire
énonce ainsi que l’article 6 § 1 du PIDESC est « directement applicable en droit interne […], et
garantit le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail
librement choisi ou accepté ». Il aurait été possible de la même façon d'imaginer la
reconnaissance par la Cour du droit pour toute personne de disposer d’un logement convenable
au regard de l’article 11 du PIDESC du fait de son effet direct au terme d'un contrôle de
conventionnalité du décret.

Document 5 : Civ. 1ère, 27 janv. 2021, n°19-15921

Faits : Une enfant naît sous X, et est adopté par un couple. Quelques jours après la décision de
placement, le père de naissance de l’enfant entreprend des démarches auprès du procureur de la
République afin de la reconnaître. De son côté, le couple dépose une requête afin de voir
prononcer l’adoption plénière de l’enfant. Le père de naissance intervient volontairement à cette
instance.

Procédure : La cour d’appel de Riom, dans des arrêts du 5 mars, 5 novembre et 17 décembre
2019, annule la reconnaissance de paternité et déclare l’irrecevabilité de l’action du père de
naissance. Celui-ci forme donc un pourvoi en cassation.

Motif de la cour d’appel : La cour d’appel motive sa décision en se fondant sur l’article 352 du
Code civil, qui fait obstacle à la restitution de l’enfant placé à sa famille d’origine. Le lien de
filiation entre le père et l’enfant ne pouvant être établi, celui-ci ne peut intervenir au litige et faire
valoir ses droits et ne peut donc pas se prévaloir de l’application de l’article 8 CEDH.

Moyen du pourvoi : Le pourvoi se fonde sur le moyen que selon la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme interprétant l’article 8 CEDH, la protection de la vie privée et
familiale est étendue aux relations entre l’enfant et son père biologique et inclut un droit de
regroupement entre ces deux personnes.
Toute ingérence dans le droit au respect de la vie privée doit donc être justifiée par la
démonstration de sa nécessité dans une société démocratique, ainsi que son adéquation et son
caractère proportionné. Or la cour d’appel n’a pas recherché si les autorités nationales avaient
pris les mesures nécessaires et adéquates afin de garantir l’effectivité du droit à l’établissement
du lien entre le père biologique et l’enfant, et n’a pas pris en considération les effets à long terme
d’une séparation entre ces deux personnes.
Question de droit : L’irrecevabilité de l’action d’un père de naissance dans une procédure
d’adoption plénière est-elle conforme à l’article 8 CEDH ?

Solution : La Cour de cassation admet d’abord la recevabilité du moyen, bien qu’il soit nouveau.
Selon la Cour la protection de l’article 8 CEDH exige que le moyen puisse être examiné.
Sur le bien-fondé du moyen, la Haute juridiction judiciaire reconnaît le but légitime de protection
des droits d’autrui associé à l’article 352 du Code civil. L’ingérence provoquée par cette
disposition dans le droit au respect de la vie privée et familiale doit donc faire l’objet d’une mise
en balance des intérêts en présence, en prenant en compte la primauté de l’intérêt de l’enfant.
Au terme de cette balance des intérêts, la cour d’appel aurait dû admettre que l’irrecevabilité de
l’action du père, qui n’avait pas pu faire valoir ses droits au cours de la phase administrative du
litige, porte une atteinte disproportionnée à l’article 8 CEDH.
Par voie de conséquence la juridiction du Quai de l’Horloge casse l’arrêt rendu par la cour
d’appel.

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