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Le socialisme juridique d'Emmanuel Lévy

Article in Droit et Societe · January 2004


DOI: 10.3917/drs.056.0111

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Carlos Herrera
Université de Cergy-Pontoise
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LE SOCIALISME JURIDIQUE D'EMMANUEL LÉVY

Carlos Miguel Herrera

Éditions juridiques associées | « Droit et société »

2004/1 n°56-57 | pages 111 à 128


ISSN 0769-3362
ISBN 2275024417
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2004-1-page-111.htm
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Le socialisme juridique d’Emmanuel Lévy

Carlos Miguel Herrera *

Résumé L’auteur

L’œuvre d’Emmanuel Lévy représente l’une des tentatives les plus sys- Membre junior de l’Institut Uni-
tématiques pour construire une théorie du socialisme juridique. En ef- versitaire de France. Professeur
fet, cet auteur est le seul représentant de ce courant à faire œuvre de à l’Université de Cergy-Pontoise
et directeur du Centre de Philo-
doctrine dans les Facultés de droit, qui plus est, en droit privé. Toute-
sophie Juridique et Politique.
fois, il s’agit d’une pensée qui s’inscrit dans une histoire à la fois du Ses travaux de recherche
socialisme juridique et de la politique réformiste du socialisme fran- portent sur l’entre-deux des
çais autour de 1900. C’est ainsi que d’autres visions socialistes du concepts juridiques et de la
droit se développent, ceci entre deux pôles extrêmes : l’éthique et politique.
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l’instrumental. Dans cet article, deux objectifs sont poursuivis : d’une Parmi ses publications :
part, cerner les principaux traits du mouvement ; d’autre part, souli- – Les juristes de gauche sous la
gner l’apport original d’Emmanuel Lévy à l’intérieur de ce mouvement. République de Weimar (sous la
dir.), Paris, Kimé, 2002 ;
– Droit et gauche. Pour une iden-
Créance – Croyance – Emmanuel Lévy – Philosophie du droit – tification, Québec, Presses de
Réformisme – Socialisme juridique. l’Université Laval, 2003 ;
– Les juristes face au politique.
Le droit, la gauche, la doctrine
Summary sous la IIIe République (sous la
dir.), Paris, Kimé, 2003 ;
– Par le droit, au-delà du droit.
Emmanuel Lévy’s Legal Socialism Textes sur le socialisme juridique
Emmanuel Lévy’s oeuvre represents one of the most systematic at- (sélection et introduction), Paris,
Kimé, 2003.
tempts to construct a theory of legal socialism. Indeed, he is the only
author to create a work of doctrine in the Law Schools, what is more,
in private law. This conceptualization is inscribed, however, in the his-
tory of legal socialism and in the reformist project of French socialism
around 1900. Thus, other socialist visions of law develop between two
extreme poles : the ethical and the instrumental. This paper seeks, on
the one hand, to analyze the main features of this movement and, on
the other hand, to explain the originality of Emmanuel Lévy’s thinking
* Université de Cergy-Pontoise,
inside it. Faculté de Droit,
Centre de Philosophie Juridique
Belief – Credence – Emmanuel Lévy – Legal socialism – Philosophy of et Politique,
law – Reformism. 33 boulevard du Port,
F-95011 Cergy-Pontoise cedex.
<carlos.herrera@droit.u-cergy.fr>

Droit et Société 56-57/2004 – 111


C. M. HERRERA Tout cela n’est que du droit et je ne peux
pas me mettre dans l’idée que j’aurai nié
le mouvement en marchant et marché
pour le nier.
Emmanuel LÉVY

Il est de tradition d’identifier le socialisme juridique avec l’œuvre


d’Emmanuel Lévy, et même de le présenter comme le « fondateur du socia-
lisme juridique en France » 1. Une telle démarche a cependant quelque
chose de réducteur, tant du point de vue historique que du point de vue
conceptuel. Car la réception des idées juridiques chez les socialistes fran-
çais précède les travaux de Lévy et donne lieu à d’autres élaborations. Plus
important encore, une telle lecture privilégie un aspect du socialisme juri-
dique, le plus spéculatif, au détriment de sa face plus directement politique,
instrumental et ses projections institutionnelles dans le programme socia-
liste. Avec, en retour, le risque de couper la pensée de Lévy de ses attaches
socialistes, et même de son engagement dans la politique municipale lyon-
naise, l’inscrivant dans un vague « fidéisme » 2.
Si ce jugement reçu n’est donc pas exact, il est toutefois symptomatique
d’un fait : Lévy est le seul agrégé de droit entré en socialisme juridique en
ce début du XXe siècle, le seul, en tout cas, qui essaye de faire œuvre de doc-
trine en tant que juriste socialiste 3. Qui plus est, il enseigne non pas
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l’économie politique ou l’histoire du droit, mais dans le saint des saints des
disciplines juridiques : le droit civil. Son statut universitaire explique
d’ailleurs la permanence de son labeur dans la construction d’une doctrine,
en comparaison à d’autres juristes socialistes qui donneront des contribu-
tions plus occasionnelles. Lévy se signale, en effet, par sa prétention
d’élaborer une véritable théorie du droit, avec des notions proprement juri-
diques, intrasystématiques, en commençant par celle de créance. Une dé-

1. Appellation consacrée déjà par Julien BONNECASE, La pensée juridique française de 1804 à
l’heure présente : ses variations et ses traits essentiels, Bordeaux, Delmas, 1933, tome 2, p. 236.
2. Comme c’est le cas chez Paul ROUBIER, « Emmanuel Lévy, professeur honoraire à la Faculté de
droit de Lyon (1871-1944) », Annales de l’Université de Lyon, 1943-1944, p. 62. Lévy, militant actif
de la SFIO du Rhône, est élu conseiller municipal en 1912, et devient plus tard premier adjoint au
maire de Lyon, chargé de l’Assistance publique (jusqu’en 1924). Il abandonne son mandat munici-
pal à la fin des années 1920.
3. Même au XIXe siècle, le seul membre des facultés de droit ayant eu des sympathies explicites
pour le socialisme semble avoir été Émile Acollas ; voir Nicole et André-Jean ARNAUD, « Le socia-
lisme juridique à la “Belle Époque” : visages d’une aberration », Quaderni fiorentini per la storia
del pensiero giuridico moderne, 3-4, 1974-1975 (« Il “Socialismo giuridico”. Ipotesi e letture »),
p. 25-54 (on peut voir aussi, des mêmes auteurs, « Une doctrine de l’État tranquillisante : le soli-
darisme juridique », Archives de philosophie du droit, tome 21, 1976, p. 131-151. L’un et l’autre
article ont été repris dans André-Jean ARNAUD [avec Nicole ARNAUD-DUC], Le droit trahi par la phi-
losophie, Rouen, CESPJ, 1977, chapitre 3 : « De quelques alternatives historiques et de leurs sui-
tes », p. 113-166) ; Carlos Miguel HERRERA « Par le droit, au-delà du droit ? Sur les origines du so-
cialisme juridique en France », in ID. (sélection et introduction), Par le droit, au-delà du droit. Tex-
tes sur le socialisme juridique, Paris, Kimé, 2003, texte auquel nous empruntons quelques passa-
ges en première partie.

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marche interne, en somme, à la science juridique, en dépit de l’influence af- Le socialisme
juridique
fichée de la sociologie durkheimienne et du positionnement politique de
d’Emmanuel Lévy
son auteur, et qui explique l’application qu’il fera de sa vision juridique à
des différentes institutions du droit privé (responsabilité, crédit, mariage…).
Si la pensée de Lévy s’inscrit bien dans le mouvement du socialisme ju-
ridique, elle le fait en exprimant des vues propres. Ce qui montre, à la fois,
le caractère complexe du courant (I) et l’originalité de Lévy comme philoso-
phe du droit (II).

I. De la lutte pour le socialisme…


Lorsque Lévy lui-même tracera la genèse intellectuelle de sa théorie ju-
ridique socialiste, toute référence au socialisme juridique est absente. Pour-
tant, la présence de ce courant dans les débats socialistes était déjà impor-
tante au moment où Lévy publie ses idées.
Si, à vrai dire, « socialisme juridique » est plutôt une appellation doctri-
nale donnée par les critiques, on peut distinguer sous ce syntagme deux si-
gnifications voisines mais dont l’étendue diffère. Dans une optique géné-
rale, le socialisme juridique a pu faire référence, notamment chez les com-
mentateurs, à un mouvement insistant sur les aspects juridiques du socia-
lisme (y compris marxiste) ; sous un angle plus serré, on retrouve les traits
d’une théorisation juridique spécifique. Bien entendu, ces deux perspectives
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sont toujours en interrelation, atteignant souvent des points de confluence,
mais aussi d’opposition. Dans sa signification plus générale, le socialisme
juridique traverse plusieurs penseurs autour de 1900, notamment un Geor-
ges Sorel sur l’un des extrêmes, mais peut également montrer des contacts,
à l’extrême opposé, avec les thèses solidaristes, comme, par exemple, chez
Charles Andler. Ces préoccupations juridiques des socialistes confluent
avec un moment de renouvellement de la science juridique française, pré-
senté parfois sous le terme de « socialisation du droit », né de la conscience
des insuffisances du Code Napoléon et de la méthode exégétique devant des
réalités sociales plus complexes. C’est au croisement de cette double préoc-
cupation – pour le droit, de la part des socialistes, pour la méthode et la
question sociale, de la part des juristes – que se détache ce courant spécifi-
que, plus systématique, qu’on peut considérer comme étant le socialisme
juridique au sens strict. Nous retrouvons ici un groupe de juristes socialis-
tes qui vont s’attacher à donner une signification politique précise à un en-
semble de propositions théoriques sur le droit. En fait, cette « théorie »
peut à son tour privilégier une approche instrumentale (le socialisme juridi-
que comme moyen) ou en termes d’idéal (le socialisme juridique comme vi-
sion sociale).
Étant donné les liens consubstantiels qui existent entre capitalisme et
propriété privée, on comprendra que l’attention juridique des socialistes se
cristallise sur le droit privé – Lévy verra dans le droit civil « le centre de
tout droit ». Cependant, et contrairement à une vue erronée assez répandue
aujourd’hui, le socialisme juridique ne se limite pas à une méthode de droit

Droit et Société 56-57/2004 – 113


C. M. HERRERA privé. Même le privatiste Anton Menger voyait dans le droit public le modèle
de ce « droit réfléchi » qui devait se substituer au « droit spontané » qu’est
le droit privé, car il n’était pas le produit du jeu arbitraire des forces indivi-
duelles mais un dessein conscient sur la base de théories. Et cela d’autant
plus que, du point de vue politique, le socialisme juridique au sens strict
apparaît sous les traits d’un réformisme qui entend épouser le mouvement
de l’évolution sociale. Comme l’écrit un commentateur avisé : « En fait, si le
socialisme doit aboutir, il sera parlementaire, parce qu’il aura la loi pour
instrument et que sa méthode est juridique […]. Le jour où l’économie de
crédit aura dématérialisé tous les droits, la réforme socialiste ne sera pas
difficile 4. » Si l’on écarte explicitement la voie révolutionnaire, c’est parce
que l’organisation actuelle contient déjà des institutions susceptibles
d’inspirer la nouvelle organisation sociale – le juriste socialiste travaille au
profit de la paix sociale, dira Lévy.
En ce sens, et à la différence d’autres courants socialistes, le socialisme
juridique au sens strict se caractérise par l’affirmation du rôle de l’État
dans la transformation sociale. En effet, l’État apparaît comme l’institution
démocratique par excellence, en tout cas la seule qui peut allier pouvoir et
participation sociale. Le caractère démocratique de l’État passe pour affir-
mer, et affiner, le rôle des institutions juridiques, qui lui font perdre son
caractère souverain, arbitraire. Ces trois axes – rôle central de l’État, puis-
sance réformiste du droit, affirmation démocratique – forment comme les
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présupposés politiques de la doctrine du socialisme juridique : une concep-
tion qui prétend construire à travers le droit les fondements du socialisme
et, en même temps, la voie (réformiste) de sa réalisation 5.
Mais la préoccupation pour le droit est ancienne dans la tradition socia-
liste française, y compris dans les courants non-étatistes. On soulignera ici
une conception du XIXe siècle revendiquée parfois par Lévy, celle de Proud-
hon, qui est aussi une référence commune à Sorel et Andler. Pour Proudhon,
en effet, « la Justice seule peut […] être dite progressiste, puisqu’elle sup-
pose un amendement continuel de la législation, d’après l’expérience des
rapports quotidiens, partant un système de plus en plus fécond des garan-
ties ». Après avoir placé la justice comme le principe régulateur des socié-
tés, il défend le caractère irréductible du droit. En effet, Proudhon soutient
que toute idée prise pour base de constitution sociale « ne peut se passer,
pas même s’abstraire du droit, tandis que le droit subsiste par lui-même, et
n’a rigoureusement besoin de secours de rien d’autre ». Il parle, en particu-
lier, d’un « droit économique » qui serait l’application de la justice à
l’économie politique, c’est-à-dire le mutuellisme. Cette « suprême et fonda-
mentale catégorie » juridique crée l’unité de la science juridique et permet

4. Charles BROUILHET, Précis d’économie politique, Paris, P. Roger, 1912, p. 735.


5. Sur cette question, voir Carlos Miguel HERRERA, « Socialisme juridique et droit administratif »
[2000], in ID., Droit et gauche. Pour une identification, Québec, Presses de l’Université de Laval,
2003, p. 29-64.

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la réforme, le renouvellement de toutes les branches du droit, du droit civil Le socialisme
juridique
au droit administratif, du droit pénal au droit international. Déjà dans le
d’Emmanuel Lévy
prologue à De la Justice dans la Révolution et dans l’Église, Proudhon reven-
diquait une « foi juridique », qu’on rattache au respect, le principe d’innéité
du droit et de la justice, et qui établit la confiance que les hommes, tous les
hommes, doivent se témoigner mutuellement, parce que sans elle il ne peut
exister de société. C’est un pacte social, loin des conceptions rousseauistes,
qui fixe la reconnaissance mutuelle de la dignité et des intérêts des indivi-
dus. Le droit se retrouve comme étant « pour chacun la faculté d’exiger des
autres le respect de la dignité humaine dans sa personne » 6.
Mais la réflexion qui engage d’un pas plus ferme une théorie du socia-
lisme juridique vient d’Outre-Rhin. On la retrouve déjà chez un Ferdinand
Lassalle et son Système des droits acquis, un auteur qui, d’après Andler et
Marcel Mauss, sera à l’origine de certaines préoccupations de Lévy. Le socia-
liste allemand se propose de « dégager de la science juridique l’idée politi-
que et sociale qui domine notre époque tout entière », avec une méthode
qui consiste déjà à « pénétrer dans la matière juridique positive, dans la ré-
alité des institutions de droit privé ». Les analyses de Lassalle contiennent
un ensemble de propositions sur le droit, notamment l’idée que tout droit
est relatif, qu’il n’y a pas un contenu immuable. Même un contrat entre des
individus inclut une clause tacite selon laquelle « le droit ne devra être va-
lide qu’aussi longtemps que la législation considérera un semblable droit
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comme admissible » ; autrement dit, la loi, comme expression de la cons-
cience collective, peut toujours intervenir sur les droits acquis. D’ailleurs,
toujours dans cette optique, Lassalle considère que « l’évolution du droit à
travers l’histoire représente une limitation de plus en plus grande de la
propriété privée » 7. D’un point de vue qu’on pourrait appeler « méthodo-
logique », le travail de Lassalle montre que des notions juridiques comme
« droit acquis » ou « rétroactivité » permettent de comprendre le social. En
définitive, il montre la valeur politique d’une méthode d’appropriation du
droit positif, de la doctrine juridique, de leurs concepts.
Si Lassalle en construit les bases premières, ce seront les œuvres de
l’autrichien Menger qui serviront à identifier le socialisme juridique comme
courant. L’importance de ses idées en France tiendra moins à leur contenu
propre qu’à l’impulsion réformiste que sa vision juridique explicite. Ce n’est
pas un hasard si Jaurès se montre très tôt marqué par la conceptualisation
mengérienne et Andler sera l’un de ceux à la promouvoir en soulignant sa
portée politique pour le socialisme « qui ne peut plus rester la pensée d’un

6. Pierre-Joseph PROUDHON, De la capacité politique des classes ouvrières [1865], Paris, éd. du
Monde libertaire, 1977, tome 1, p. 91, 180, 199 ; I D., De la justice dans la Révolution et dans l’Église
[1858], Paris, Fayard, 1988, tome 1, p. 89, 150-152, 299.
7. Ferdinand LASSALLE, Théorie systématique des droits acquis [1861], Paris, Giard et Brière, 1904,
tome 1, p. 198, 212.

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C. M. HERRERA simple parti d’opposition » 8. Chez Menger, le socialisme juridique prendra
rapidement la forme d’une réflexion sur le futur État socialiste, construit à
partir des systèmes des droits économiques fondamentaux, qu’il dégage de
l’histoire de la pensée socialiste : le droit au produit intégral du travail, le
droit à l’existence et le droit au travail. Mais seul le premier a d’après lui
une véritable base socialiste : chaque ouvrier doit retirer de l’ensemble de la
production autant de valeur qu’il a produit, ce qui conduit à la suppression
de la propriété privée 9. Si les représentants français critiquent beaucoup
Menger sur les détails de son système, notamment à propos de cette catégo-
rie ou sur les solutions pratiques qu’il propose, c’est son œuvre qui char-
pente le travail systématique sur le socialisme juridique.
Mais une tradition théorique favorable ne suffit pas à expliquer l’am-
pleur des échos : si quelque chose peut accélérer cette réception, c’est bien
l’avancée du réformisme dans les rangs socialistes, consacrée par l’entrée
d’un ministre socialiste du commerce et de l’industrie, Alexandre Millerand,
au Gouvernement de défense et action républicaine de Waldeck-Rousseau,
en 1899. Ainsi, on soulignera deux éléments convergents dans le dévelop-
pement du socialisme juridique : la rénovation des méthodes de la science
juridique, mais aussi celle des méthodes politiques du parti socialiste 10.
C’est pourquoi, avant que le socialisme juridique entre dans les débats aca-
démiques, les analyses juridiques parsèment les revues socialistes dès la fin
du XIXe siècle 11.
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Ce n’est qu’après l’impulsion donnée par les réflexions juridico-poli-
tiques d’un Jaurès, désormais placé au centre de l’action socialiste, notam-
ment dans ses Études socialistes, et la traduction en français des livres de
Menger et Lassalle que le corpus du socialisme juridique se fait plus systé-
matique, notamment grâce à l’action d’Andler, qui sera, entre 1900 et 1904,
le préfacier des ouvrages des principaux représentants du courant : Menger,
Lassalle et… Lévy. Bien qu’Andler ne produise pas des développements ori-
ginaux, ses analyses des autres conceptions permettront de reconstruire
dans un premier moment la cohérence de l’objet « socialisme juridique ».
Ses lectures de Lassalle et Menger ont en commun une méfiance caractéris-
tique à l’égard de la pente étatique, qui s’exprimerait chez les auteurs ger-
maniques par « le principe abstrait qui abolit tout régime de droit privé au
profit du droit public ». Par sa critique de l’étatisme, Andler se rapproche
des idées solidaristes : la république sociale naîtrait d’un libre contrat et il

8. Charles ANDLER, « Introduction », in Anton M ENGER, L’État socialiste [1902], Paris, SNLE, 1904,
p. I-II. Sur la problématique juridique chez Jaurès, voir Carlos Miguel HERRERA, « Jaurès et l’idée de
droit social », Cahiers Jean Jaurès, 2000.
9. Anton MENGER, Le droit au produit intégral du travail [1886], Paris, Giard et Brière, 1900, p. 14
et suiv.
10. Joseph HITIER, « La dernière évolution doctrinale du socialisme. Le socialisme juridique », Re-
vue d’économie politique, 1906 ; Edmond LASKINE, « Die Entwicklung des juristischen Sozialis-
mus », Archiv für die Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung, 1913.
11. Cf. Carlos Miguel HERRERA, « Par le droit, au-delà du droit ? », op. cit., p. 13 et suiv.

116 – Droit et Société 56-57/2004


place au centre de sa réflexion l’idée de la solidarité. Pour lui, en effet, Le socialisme
juridique
même la part d’assignation autoritaire nécessaire pour la réalisation du
d’Emmanuel Lévy
droit fondamental de vivre « doit être consentie et être ainsi l’objet d’un
contrat tacite ». Ce tropisme contractualiste est répandu dans les études ju-
ridiques des socialistes, ce sont les formes contractuelles du droit qui en
définissent sa valeur. Le contrat, dans la lignée proudhonienne l’opposant à
l’autorité, est avant tout « acte et constatation » de la solidarité, moins l’ori-
gine de la société que la caractéristique de son complet épanouissement,
comme l’écrira E. Fournière en 1889 – plus tard, il définira le socialisme ju-
ridique comme « un retour au contrat permettant une théorie du droit col-
lectif ».
Si, dans la seconde partie de la décennie 1900, l’université prête un cer-
tain intérêt au socialisme juridique, ce sera avant comme le dernier fonde-
ment théorique du réformisme. C’est le moment où Lévy publie ses pre-
miers travaux, mais celui aussi où « le droit » est fortement revendiqué par
un acteur révolutionnaire (le syndicalisme) et par une puissante construc-
tion intellectuelle (celle de Sorel). Moment clé, où les grèves se généralisent
avec une ampleur jamais atteinte auparavant et où la CGT, dans sa charte
approuvée au Congrès d’Amiens en octobre 1906, affirme son attachement
à la grève générale comme moyen d’action et au syndicat comme base de
réorganisation sociale. L’un de ces leaders syndicalistes, A. Merrheim, dans
le même discours où il rejette des alliances avec le parti socialiste, affirme
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que le syndicat est un « groupement de lutte intégrale, révolutionnaire et
qu’il a pour fonction de briser la légalité qui nous étouffe, pour enfanter le
“droit nouveau” que nous voulons voir sortir de nos luttes » 12.
Mais pour devenir un objet académique, avec quelques articles et une
première thèse consacrés, il faudra que le socialisme juridique soit systéma-
tisé quant à la méthode et quant aux fondements. C’est le moment où des
juristes (socialistes) de métier s’emparent du socialisme juridique. Le plus
énergique est André Mater, avocat lié aux milieux dreyfusards et écrivain
prolifique. Si son intérêt pour le socialisme juridique semble tomber assez
rapidement, il a le temps de publier entre 1903 et 1905 une série d’articles
qui se détachent par la volonté de systématiser une méthode, et de l’appli-
quer notamment au droit administratif 13. Mater présente le rapport au
droit en des termes très utilitaires : l’intérêt pour le droit s’explique car il
est un moyen « commode » pour modifier l’ordre existant. Toutefois, sa mé-
thode comporte une démarche spécifique, qui passe d’abord par « recueillir

12. Cf. INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE, 1906. Le Congrès de la Charte d’Amiens, Paris, éd. de
l’Institut CGT d’histoire sociale, 1983, p. 279.
13. Voir en particulier André M ATER, « L’État socialiste et la théorie de la gestion » [1903] et
« Sources et origines juridiques du socialisme » [1903], in Par le droit, au-delà du droit. Textes sur
le socialisme juridique, op. cit., p. 101-163. Les idées de Mater, bien qu’elles soient placées au cen-
tre du socialisme juridique par ses premiers commentateurs, n’auront d’écho que chez des socia-
listes du même cercle. Sur Mater, cf. Carlos Miguel HERRERA, « Socialisme juridique et droit admi-
nistratif », in ID., Droit et gauche. Pour une identification, op. cit.

Droit et Société 56-57/2004 – 117


C. M. HERRERA avec soin tous les faits qui autorisent cet emploi paradoxal du droit contre
le droit ». Rompant avec l’approche, jugée trop philosophique, d’un Menger,
le socialisme juridique devient « cette recherche méthodique, dans notre
appareil juridique, des moyens propres, non pas à rendre tolérable le ré-
gime capitaliste, mais à justifier et réaliser un programme socialiste ». Dans
ce dessein, Mater repère une alliée, la jurisprudence, car c’est par elle que
les juristes opèrent les changements : « Par la jurisprudence, ils transfor-
ment la loi, et le font sans méfiance, parce que c’est une transformation in-
sensible et inconsciente. » Cette méthode peut s’appliquer tout de suite au
droit administratif, notamment au niveau municipal, ce qui revient à « cher-
cher par quels artifices de raisonnement on pourrait appliquer les modes
actuels d’administration, exploitation et jouissance communales, à tous les
biens et à tous les services qu’on voudrait municipaliser ». Il croit même
trouver une fêlure dans la notion de « gestion » telle qu’elle est développée
par la jurisprudence du Conseil d’État et dans la doctrine administrativiste,
et qui permet de comprendre l’État comme une institution coopérative, plu-
tôt que de contrainte.
Du coup, l’opposition entre socialistes réformistes et révolutionnaires
passe aussi par le droit. Pour les théoriciens du syndicalisme, le droit est
aussi un enjeu qui devient central en ce début des années 1900, comme en
témoignent les lettres de Georges Sorel à Hubert Lagardelle, directeur du
Mouvement socialiste et… docteur en droit 14. Sorel, qui suivait les débats
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juridiques en Italie et en France (et non seulement sur l’œuvre de Menger),
avait déjà soutenu que la classe ouvrière devait se créer un système juridi-
que pour acquérir l’idée de sa mission révolutionnaire 15. Son principal dis-
ciple, E. Berth, dans une série des textes parus dans la revue en réaction aux
études de Menger et Mater, développe les idées de son maître en défendant
l’existence d’un droit inhérent à la lutte de classes, qui est objectif, et indé-
pendant de l’arbitraire des consciences individuelles. D’ailleurs, imposer un
autre système de droit n’implique pas pour les ouvriers de nier un droit à
l’adversaire de classe : la lutte de classes, comme la guerre, « est juste des
deux côtés, et le jugement qu’elle prononcera fera voir seulement de quel

14. Ainsi, dans une lettre du 12 juin 1903, Sorel insiste sur le fait que l’École de droit et
l’approche sociale des juristes proches des radicaux ou de catholiques sociaux sont des ennemis
« infiniment plus dangereux que les réactionnaires décidés ». Deux mois plus tard, par le même
biais, il dénonce les analyses socialistes qui soutiennent une jurisprudence en faveur des faibles,
et notamment Jaurès, dont l’idéal est de « forcer les juges à marcher comme des tambours (lettre
du 10 août 1903). En ce sens, il soutient que le droit ouvrier n’est pas celui qui règle les rapports
entre ouvriers et patrons, une terminologie « fondée sur l’idée de la fusion des classes » et qui
place les ouvriers dans une situation de minorité sociale ; le droit ouvrier « est celui qui a rapport
aux relations des prolétaires entre eux » (lettre du 30 mai 1905). Cf. « Lettere di Giorgio Sorel a
Uberto Lagardelle », Educazione fascista, 1933, p. 334, 507-508, 761. Sur ce courant, voir notre
communication à la Journée « Georges Sorel, le droit et la postérité juridique du syndicalisme » (à
paraître). Sur Lagardelle, voir Christine BONEAU, Hubert Lagardelle, un bourgeois révolutionnaire et
son temps, Saint-Pierre du Mont, Eurédit, 2000.
15. Georges SOREL, « Grèves et droit au travail », in ID., Matériaux d’une théorie du prolétariat
[1919], Paris, Rivière, 1929, p. 407.

118 – Droit et Société 56-57/2004


côté se trouve le droit supérieur ». La lutte de classes apparaît comme une Le socialisme
juridique
lutte pour la conquête de droits, et le socialisme comme la philosophie juri-
d’Emmanuel Lévy
dique du prolétariat industriel. Les conséquences politiques de cette créa-
tion sont tout aussi importantes chez les théoriciens syndicalistes : la classe
ouvrière arrive à élaborer un nouveau droit en son sein et à le transformer
en droit général ; la force ne serait qu’accidentelle pour le passage du capi-
talisme au socialisme. En revanche, le socialisme « légalitaire, réformiste et
juridique aboutit à souder ensemble ouvriers et capitalistes ». Ainsi, le
contrat de travail n’est pas un contrat d’association, comme le prétendent
les socialistes juridiques, mais une vente. Si Sorel et ses disciples attaquent
le socialisme juridique, notamment dans la version qu’en donne Mater, c’est
parce qu’ils se refusent à voir dénaturer la valeur du droit par une vision
instrumentaliste, procédurière, qui, en définitive, n’aboutirait qu’à renforcer
la domination de l’État par le droit. L’enjeu est d’autant plus grand que So-
rel pense que « le peuple a sur le droit des sentiments enfantins » et que
l’on obtient toujours du succès en attisant les instincts de philanthropie so-
ciale par la dénonciation des « gens qui ne sont pas gentils envers les fai-
bles ». C’est pourquoi il continue à affirmer qu’il faut « donner une forme
juridique [aux thèses socialistes] et les grouper en un système juridique qui
traduise les manifestations de la révolte prolétarienne ». Il se montre prêt à
reconnaître même une certaine paternité dans les idées de Lévy telles
qu’elles s’expriment dans L’affirmation du droit collectif, bien qu’il attaque
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celui-ci violemment peu après 16.
Le syndicat ouvrier est le lieu où surgissent les nouvelles notions juri-
diques. Un juriste de métier se revendiquant des pratiques syndicalistes
(mais refusant Sorel…), Maxime Leroy, juge de paix, reprendra cette idée
pour construire une théorie du droit ouvrier. Leroy reproche au socialisme
juridique de croire à « la Révolution par la loi » – si une déformation des
textes est possible, il s’agit de « prétorianisme juridique », mais pas de
droit 17. En effet, dans l’État tout « tend au maintien des règles et des droits
acquis, qui le constituent »; même les juges y sont toujours conservateurs,
« car les litiges soumis à leur examen roulent sur des droits acquis : ceux
qui n’ont pas des droits ne s’adressent pas aux tribunaux. Leur fonction
consiste donc à départager des possédants, à secourir des droits acquis, ils
ne peuvent pas ne pas être conservateurs ». En revanche, le droit prolétarien
apparaît comme une pratique sociale en dehors de la loi, du droit positif ;

16. Les difficultés avec le style de Lévy se muent alors en basse attaque antisémite : « J’ai lu une
brochure d’Emmanuel Lévy : “Capital et travail”, dont L’Humanité a fait un éloge monumental. Je
me demande si Lévy comprend bien ce qu’il écrit. Je crois avoir observé que, très souvent, les
juifs ne comprenaient évidemment pas leurs théories ; ils ajoutent de lambeaux de phrases sans
penser [...]. Les raisonnements juifs sont, bien plus souvent qu’on ne croît, des raisonnements
d’hémiplégiques » (lettre de Georges Sorel à Hubert Lagardelle du 18 septembre 1909, publiée
dans Educazione fascista, op. cit., p. 972). À noter que Albert Thomas, l’auteur du compte rendu,
dédie le dernier paragraphe de son analyse à regretter les obscurités du style de Lévy.
17. Maxime LEROY, La loi. Essai sur la théorie de l’autorité dans la démocratie, Paris, Giard et
Brière, 1909, p. 258-261. Sur Leroy, voir ma communication à la Journée « Georges Sorel », op. cit.

Droit et Société 56-57/2004 – 119


C. M. HERRERA un « droit spontané, œuvre directe et originale du prolétariat », en dehors
de la contrainte publique. On a ainsi un « droit coutumier de la vie, qui n’est
que l’ensemble des règles de l’équilibre social établies en dehors de tout
procès ». En effet, le droit nouveau ne se réduit pas aux lois ouvrières, mais
c’est l’usine qui donne son unité, comme le faisait jadis la propriété fon-
cière, et la solidarité ouvrière apparaît comme le mouvement d’agrégation
spécifique. Le prolétariat fait son droit dans ses groupements profession-
nels, le rendant plus puissant, plus efficace 18. Une idée que nous trouvons
radicalisée dans La coutume ouvrière, où Leroy soutient que, si ce droit
n’est pas officiel, il n’en forme pas moins un système juridique. Il s’agit
d’un « riche et mobile système de coutumes dont le caractère obligatoire
vient, non pas de l’autorité publique, mais de la nécessité où se trouvent les
hommes de vivre en commun ». En ce sens, elles forment plusieurs codes
(constitutionnel, pénal, de travail, de procédure). Ce nouveau droit se fonde
sur les individus et rejette l’État ; c’est pourquoi Leroy revendique l’action
directe, qui est au prolétariat ce que l’économie politique fut pour la bour-
geoisie.
Lorsque Leroy écrit que « la grève, en l’obligeant à une très étroite soli-
darité, fait acquérir à l’ouvrier sa plus haute capacité morale et économi-
que » 19, Lévy ne le désavouerait pas, lui qui écrivait : « Par la grève, les
rapports entre capital et travail, bien loin de sortir du domaine du droit, de-
viennent davantage juridiques 20. » D’ailleurs, il arrive à Lévy de dénoncer
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comme fausse la conception de son camarade Mater voulant adapter par
une série de stratagèmes la loi bourgeoise aux besoins révolutionnaires 21.
Lévy verra même dans le livre de Leroy une illustration de sa propre
conception, au moment où il préface avec une certaine précaution une thèse
sur la grève la plus importante qu’ait connue les services publics à l’époque,
celle des postiers en 1909 22. Et si l’agrégé des facultés de droit essaye de
modérer sa sympathie pour le syndicalisme ouvrier par un certain œcumé-
nisme social, affirmant : « Il est très important que notre technique s’enri-
chisse de tout le droit qui, chaque jour, s’élabore dans la bourgeoisie et

18. Maxime LEROY, Le code civil et le droit nouveau, Paris, SNLE, 1904, p. 59, 114, 117.
19. Maxime LEROY, La coutume ouvrière, Paris, Giard et Brière, 1913, tome 1, p. 28, 42 ; tome 2,
p. 603, 684.
20. Emmanuel LÉVY, « La grève et l’entente », Questions pratiques de législation ouvrière, 1911,
p. 19.
21. Emmanuel LÉVY, « Sur la constitution juridique du parti », La Revue socialiste, 1912, p. 428.
22. Les rapports entre et Leroy et Lévy ne semblent pas avoir été simples. Ce dernier, dans sa
correspondance avec Mauss, laisse entrevoir une certaine antipathie, du moins « une concur-
rence », comme l’écrit Lévy lui-même. Au début des années 1910, ils seront associés, sous l’égide
de Lagardelle, dans l’éphémère revue Questions pratiques de droit international privé, où Leroy
figure parmi les éditeurs et Lévy parmi les principaux collaborateurs. Pour les directeurs, le droit
international privé « est peut-être, de tous les droits, le plus près de la vie », analyse validée par
Lévy qui considère qu’il apparaît « comme la discipline la plus conforme au développement du
droit privé et aussi du droit public, dans un milieu où l’État et les rapports entre les États sont
dominés par l’économie » (cf. Emmanuel LÉVY, « Sur le droit international privé », Questions prati-
ques de droit international privé, 1913, p. 360).

120 – Droit et Société 56-57/2004


dans le peuple. Sachons ce qui se dit dans le Conseil d’administration, dans Le socialisme
juridique
le meeting, dans la rue. Soyons curieux, indiscrets, n’ayons pas une manière
d’Emmanuel Lévy
conventionnelle de connaître le contrat social », il donnera une série de
contributions, presque des consultations juridiques (sur le droit des locatai-
res, sur le syndicat d’instituteurs) au Mouvement socialiste (à un moment où
Sorel et son groupe sont déjà partis). Mais il considère la grève générale
comme inconstitutionnelle, bien que, après la tuerie des ouvriers à Ville-
neuve-Saint-Georges, à l’été 1908, Lévy accepte de prendre la parole sous
cette consigne, en représentation de la SFIO 23.
On entrevoit le positionnement particulier de Lévy à l’intérieur de ces
débats : si sa conception générale est celle d’un socialiste réformiste, il
donne une place théorico-politique centrale à l’action syndicale. En ce sens,
sa conception exprime une sorte de synthèse des deux modalités du socia-
lisme juridique 24.

II. … à la lutte pour le droit ?


L’originalité de la pensée de Lévy est plus ou moins reconnue dès la pa-
rution de sa thèse sur la preuve de la propriété immobilière. Mais contrai-
rement à une légende qu’il entretient parfois, ces pages de 1896 sont encore
loin de former une conceptualisation du socialisme juridique 25. En revan-
che, y sont présentes les idées générales de sa doctrine propre : le caractère
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social de la propriété et, surtout, la propriété individuelle comprise comme
« un droit qui repose sur une croyance légitime ».
Le lien avec sa conférence sur L’affirmation du droit collectif – qui lui
donne en 1903 le titre de docteur ès socialisme juridique – est consolidé par
une même revendication de la méthode juridique qui prétend « décrire les
institutions [...], les constater, renoncer à les légitimer » 26, en se servant
des instruments du droit privé. Il s’agit pour lui de donner une justification

23. L’affiche, qui se trouve aux Archives nationales, est reproduite dans Jacques JULLIARD, Clémen-
ceau, briseur de grèves, Paris, Julliard, 1965.
24. Et même du syndicalisme, ce qui n’avait pas échappé à Albert Thomas : « Ce qui
m’apparaissait, au vrai, à la lecture de ces pages, c’est qu’au moment même où tant de camarades
se soucient de la conciliation nécessaire entre militants syndicalistes “réformistes” ou “ révolu-
tionnaires”, Emmanuel Lévy donnait, pour ainsi dire, au syndicalisme la doctrine cohérente, où se
trouvent justifiés supérieurement et indissolublement unis les principes révolutionnaires et les
pratiques réformatrices qui doivent s’imposer à tous » (Albert THOMAS « Capital et Travail »,
L’Humanité, le 7 septembre 1909).
25. Dans le même sens, Ludovic Frobert fait une périodisation de l’œuvre de Lévy en trois mo-
ments, dont le premier, 1896-1899, n’inclut pas l’élaboration du socialisme juridique. Cf. Ludovic
FROBERT, « Emmanuel Lévy (1870-1944) », in Ludovic F ROBERT, André TIRAN et Jean-Pierre POTIER
(sous la dir.), Économistes en Lyonnais, en Dauphiné et en Forez, Lyon, Institut des sciences de
l’homme, 2000, p. 198 et suiv.
26. Emmanuel LÉVY, « L’affirmation du droit collectif » [1903], in Par le droit, au-delà du droit.
Textes sur le socialisme juridique, op. cit., p. 171. Dans sa thèse déjà, Lévy affirmait que « ce sont
les faits qu’il faut observer, c’est sur les principes qu’il faut raisonner », incluant dans ces faits
les besoins, les idées, les croyances ; cf. Emmanuel LÉVY, Sur l’idée de transmission de droits (À
propos de la preuve de la propriété immobilière), Paris, A. Pedone, 1896, p. 165.

Droit et Société 56-57/2004 – 121


C. M. HERRERA – il corrige plus tard par « explication » – juridique du socialisme ; il com-
mence par souligner que « la forme que prend actuellement le capitalisme
est celle du droit de créance ». On pourrait penser que cette optique juridi-
que s’estompe dès que Lévy soutient que « ce qui fait la créance, c’est, à dé-
faut de tous autres éléments, la croyance de la collectivité », croyances
s’élaborant « autour des situations que les individus ont su prendre et qui
les consacrent » 27. Mais on n’abandonne pas le terrain juridique, car la
croyance devient créance par le droit : « les droits sont les croyances réali-
sées en créances (croyances mesurées) par des procédures » ; autrement dit,
la créance est un rapport, le rapport de confiance légitime, c’est-à-dire sanc-
tionnée 28. En effet, pour Lévy, le principe méthodologique général est que
« les principes du droit privé [...] n’ont [...] d’autre réalité que celle que leur
donnera la pratique ; obligation, responsabilité, contrat nous sont connus
par ce que nous en savons en fait et leurs règles générales ne sont que le
langage de la justice, ou équité, ou arbitraire, ou autorité ; ils n’expliquent
ni ne définissent plus que le langage religieux, mais détournent des vérita-
bles règles de l’étude, proprement sociologique, de la psychologie sociale
par les pratiques juridiques » 29.
Partageant le postulat général du socialisme juridique selon lequel le
socialisme peut naître des institutions juridiques que la propre bourgeoisie
s’est données 30, il s’agit pour Lévy de rendre la lutte de classes en des ter-
mes (concepts) juridiques. On notera cependant un premier déplacement,
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car il s’agit des concepts juridiques de sa doctrine, en commençant par celui
de « croyance ». N’empêche : Lévy entend analyser toujours le droit réel, po-
sitif.
Or, dans le régime de propriété, « c’est la loi qui donne, c’est la loi qui
ôte, la loi, c’est-à-dire la volonté de l’État (législateurs, administrateurs, ju-
ges) » 31. Cette affirmation n’implique pas la simple promotion d’un éta-
tisme, d’autant moins que Lévy place son analyse dans une société capita-
liste en transformation, où la valeur remplace la possession, où le travail
prend la place de la propriété, et où l’État, enfin, exerce un pouvoir tout dif-
férent. En effet, les vieilles croyances de l’État sont remplacées par « les
croyances de tous », qui peuvent être sanctionnées par l’État ou pas 32. Lévy
précise cependant qu’il n’y aurait pas lieu d’opposer l’étatisme au socia-
lisme dans une démocratie où le principe de représentation exprime réelle-

27. Emmanuel LÉVY, « Le droit du locataire et sa réalité », Le Mouvement socialiste, 1912, p. 83.
28. Emmanuel LÉVY, « Construction sociale du droit » [1931], in ID., Les fondements du droit, Paris,
Alcan, 2e éd., 1939, p. 152 ; ID., Sur l’idée de transmission de droits (À propos de la preuve de la
propriété immobilière), op. cit., p. 107 ; ID., « La grève et l’entente », op. cit., p. 20.
29. Emmanuel LÉVY, « Sur le droit international privé », op. cit., p. 361.
30. Voir Carlos Miguel HERRERA, « Socialisme juridique et droit naturel. À propos d’Emmanuel Lé-
vy », in ID. (sous la dir.), Les juristes face au politique. Le droit, la gauche, la doctrine sous la IIIe
République, Paris, Kimé, 2002, p. 69-70, auquel nous empruntons souvent dans cette deuxième
partie.
31. Emmanuel LÉVY, Capital et Travail, Paris, Les Cahiers du socialiste, 1909, p. 9.
32. Ibid., p. 13.

122 – Droit et Société 56-57/2004


ment la réalité sociale. On parle de « politique réformiste » quand l’État est Le socialisme
juridique
mis en œuvre pour créer une conscience collective 33. Comme d’autres so-
d’Emmanuel Lévy
cialistes réformistes, il assume la valeur de la loi positive dans des sociétés
évoluant sous des formes démocratiques, revendiquant sa mobilité, sa
flexibilité, sa force souple. La loi bourgeoise « peut être telle qu’elle permet
aux ouvriers de conquérir eux-mêmes leurs droits et leurs libertés », en les
incitant notamment à s’organiser dans des collectivités « où se développera
en eux une conscience sociale différente de celle que leur impose encore la
domination capitaliste » 34.
Au fond, la forme démocratique est secondaire dans une situation de
transformation sociale qui dépasse les formes politiques. Déjà dans ses
premiers travaux, Lévy soutient que « en matière délictuelle comme en ma-
tière contractuelle, en matière réelle comme en matière personnelle, la loi
sanctionne la confiance légitime [...]. Elle le fait parce que, pour qu’il y ait
liberté, il faut que, dans la mesure où il y a confiance nécessaire, où nous
avons le sentiment légitime de bien agir, il y ait pour nous droit et pour au-
trui responsabilité » 35. De même, la volonté du propriétaire ne devient effi-
cace que « parce qu’elle est en harmonie avec la volonté commune ». Si le
propriétaire détient sa propriété, écrit-il déjà dans sa thèse, il la détient de
soi-même, de sa croyance, qui est limitée par la croyance de la collectivité ;
en dernière instance, il ne tient son droit que de « la société qui renonce à
son profit [...] au droit qu’elle aurait de jouir en commun du fonds, à la pos-
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sibilité qui lui appartient de l’en exclure » 36. Autrement dit, la propriété
privée dépend de la confiance qu’elle inspire dans la société. C’est le carac-
tère relatif de tout droit. Les croyances collectives sont donc à l’origine de
la création et la suppression des droits, le juge se faisant son interprète.
On peut exprimer cette idée à un niveau plus abstrait en affirmant que
les droits sont des relations – le droit « est un monde de représentations ac-
tives » 37. Encore faut-il déterminer ce type de relation. Elle est sociale et
s’inscrit dans un double processus de transformation à l’œuvre dans les so-
ciétés capitalistes, représentant une évolution. Ce processus est essentiel
dans le raisonnement de Lévy, mais il est également très présent dans la
conception juridico-politique de Jaurès, dont notre juriste s’inspire de ma-
nière explicite.
Le premier aspect, nous le connaissons déjà : la propriété des choses, sa
possession, perd sa matérialité pour se transformer en valeur, en capital, ce

33. Emmanuel LÉVY, « L’affirmation du droit collectif », in Par le droit, au-delà du droit. Textes sur
le socialisme juridique, op. cit., p. 176.
34. Emmanuel LÉVY, « Le socialisme réformiste (à propos du Congrès de Dresde) », Questions pra-
tiques de législation ouvrière, 1905, p. 371.
35. Emmanuel LÉVY, « Responsabilité et contrat » [1899], in ID., La vision socialiste du droit, Paris,
Giard, 1926, p. 82.
36. Emmanuel LÉVY, Sur l’idée de transmission de droits (À propos de la preuve de la propriété im-
mobilière), op. cit., p. 112.
37. Emmanuel LÉVY, Introduction au droit naturel, Paris, éd. de la Sirène, 1922, p. 6-7.

Droit et Société 56-57/2004 – 123


C. M. HERRERA qui exprime un passage du régime de propriété au régime des valeurs 38, où
les biens ne sont pas considérés en eux-mêmes ou par la jouissance qu’ils
donnent, mais par les bénéfices qu’ils procurent. Comme Lévy le dit joli-
ment « les choses n’y sont plus ce qu’elles sont, mais ce qu’elles valent ». Et
cette valeur repose, encore plus que sous le régime de propriété, sur
l’opinion, sur des croyances : « Ici la croyance crée l’objet même de son
droit et les croyances des uns ont influence sur l’objet du droit de tous. »
Surtout, la valeur ne constitue jamais, contrairement à la propriété des
biens, un droit acquis. Pour Lévy, ce nouveau droit, indépendant de toute
possession, « n’est plus la propriété, c’est la créance, le droit à des valeurs,
le droit qui crée la croyance » 39.
Parallèlement à cette première évolution, une nouvelle catégorie de
créanciers apparaît dans l’histoire : les ouvriers, c’est-à-dire des non-pro-
priétaires, réunis dans des syndicats. Le syndicat est « le milieu de la
confiance, du crédit, du patrimoine, du capital ouvrier » 40. C’est l’organi-
sation syndicale et ce qu’elle entraîne sur le champ de l’action – la possibili-
té de contracter collectivement ou de faire grève – qui enlève la fragilité à la
valeur des ouvriers, le travail. La conscience de cette valeur passe par la
croyance que la collectivité ouvrière a des droits, des créances à faire valoir
face au capital. Cette créance est bien le travail, avant qu’il ne devienne
propriété du bourgeois. Le travail est devenu une valeur (et un droit donc)
parce que la collectivité ouvrière croit en elle-même, par cette croyance col-
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lective 41. Mais le travail n’a ni obligations ni dettes, car il n’a rien, seul le
capital en a, de par ses biens. Ainsi, les ouvriers, en contractant avec le pa-
tron, « acquièrent un droit qui est une créance collective du travail sur le
capital » 42. De même que la valeur est mise à la place de la possession, par
la même évolution économique le travail se trouve à la place de la proprié-
té 43.
Dans ces conditions, l’État « n’exprime plus les croyances stables que
créent les possessions, il participe à l’instabilité des valeurs » 44. La société
est alors en présence d’une lutte des croyances, qui équivaut, en des termes
de Lévy, à la lutte des classes. La croyance ouvrière s’affirme contre le capi-
tal comme « créance sur le capital », qui se manifeste par le travail (ou plu-
tôt sa valeur dans la production), et c’est la grève qui exprime de la manière
la plus puissante l’affirmation du travail comme créance collective. Comme

38. Emmanuel LÉVY, « Le lien juridique », Revue de métaphysique et de morale, 1910, p. 825-826.
39. Emmanuel LÉVY, Capital et Travail, op. cit., p. 10-11.
40. Emmanuel LÉVY, « La personne et le patrimoine », La Revue socialiste, 1911, p. 549. Son droit,
dit-il, se manifeste négativement par la grève. C’est elle qui affirme le caractère collectif du
contrat de travail.
41. Emmanuel LÉVY, Capital et Travail, op. cit., p. 27.
42. Emmanuel LÉVY, « L’affirmation du droit collectif », in Par le droit, au-delà du droit. Textes sur
le socialisme juridique, op. cit., p. 168.
43. Emmanuel LÉVY, Capital et Travail, op. cit., p. 9.
44. Emmanuel LÉVY, « Le lien juridique », op. cit., p. 826.

124 – Droit et Société 56-57/2004


telle, la grève est créatrice de nouvelles croyances, c’est-à-dire de nouveaux Le socialisme
juridique
droits.
d’Emmanuel Lévy
Lévy avait distingué, dans la lutte socialiste, organisation politique et
organisation économique, et son raisonnement semble donner une priorité à
cette dernière. L’organisation politique apparaît comme la « conquête de
l’État, c’est-à-dire la conquête de la violence, l’organisation légale contre les
possesseurs et monopoleurs ». L’organisation économique, elle, est la
« conquête des valeurs, c’est-à-dire l’organisation du travail, la transforma-
tion du travail-marchandise en travail-capital, le prolétariat acquérant ainsi,
dans la lutte, le crédit, la confiance légitime, la personnalité que détient au-
jourd’hui le capitalisme » 45.
La bourse exprime aussi bien cette évolution juridique que l’usine. Les
nouvelles formes juridiques qui émergent dans ce contexte ne se limitent
pas à la transformation du droit de propriété. L’action ouvrière des syndi-
cats – notamment par la grève qui aboutit à un arbitrage ou à un nouveau
contrat – fait que de manière évolutive le contrat (collectif) remplace la loi.
C’est le contrat collectif qui exprime pour Lévy l’obtention d’un droit, d’une
créance collective du travail sur le capital. Le contrat collectif « n’est pas un
contrat qui lie, mais un contrat qui délie » 46. Ce passage du contrat indivi-
duel du travail au contrat collectif est essentiel dans son raisonnement, car
c’est le passage d’une dette à une créance (bien que dans le contrat indivi-
duel, de bonne foi, il trouve déjà la manifestation des croyances commu-
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nes). Ainsi, le travail dans le contrat collectif acquiert un droit de créance
qui va jusqu’à la réclamation d’un maximum correspondant à sa part dans
la production. Ce qui n’est pas possible tant que le travail n’est pas devenu
une véritable valeur sociale, grâce, comme on l’a vu, à la croyance collective
des ouvriers en la valeur de leur activité, qui s’exprime par l’organisation
syndicale. Car « le créancier est celui qui croit être créancier, qui croit en
son droit à une valeur, à un prix ».
Mais la créance présente également une autre dimension chez Lévy : elle
est un « phénomène d’attente, but : on vise où on voit ; ici la description est
une vision » 47. Cette notion, qu’il déclare emprunter à Mauss 48, qui se se-
rait inspiré de ses propres travaux, a peut-être un fondement moins méta-
physique que ne le pensait Gurvitch, plus politico-réformiste, que nous
avons privilégié. Car, pour utiliser les mots d’Andler, la croyance exprime

45. Emmanuel LÉVY, « Coopératives et syndicats », Le Mouvement socialiste, 1911, p. 153.


46. Emmanuel LÉVY, « Le contrat collectif à la bourse et à l’usine », La Revue socialiste, 1906, p. 41.
47. Emmanuel LÉVY, « Les droits sont des mesures » [1933], in ID., Les fondements du droit, op. cit.,
p. 169.
48. Mauss soutient que l’attente, forme de la pensée collective, est génératrice de droit et forme
essentielle de la communauté. Il défend aussi l’idée que les attentes se quantifient. Voir Marcel
MAUSS, « Débat sur les fonctions sociales de la monnaie » [1934], in ID., Œuvres, tome 2, Paris, Mi-
nuit, 1969, p. 117-118. Ce commentaire à une communication de F. Simiand sur « La monnaie, ré-
alité sociale » donne lieu à la réaction acrimonieuse de Lévy, qui se sent ignoré dans son rôle de
précurseur du concept. Cf. Ji-Hyun JÉON (éd.), « Lettres d’Emmanuel Lévy à Marcel Mauss (1896-
1937) », Cahiers Jean Jaurès, 156, 2000.

Droit et Société 56-57/2004 – 125


C. M. HERRERA cette « mentalité optimiste nouvelle [qui] se résout à attendre, sachant que
le régime socialiste s’élabore insensiblement et visiblement par les trans-
formations du droit présent » 49. L’attente signifie non seulement qu’on voit
le but, c’est aussi la croyance que le but arrivera. Le socialisme réformiste
de Lévy est un optimisme social. Et c’est le droit, « ce présent fluide qui est
déjà du futur », qui l’exprime.
C’est au croisement de la science (sociologique) et du politique que se
dessine cet optimisme, ce qui n’avait pas échappé à la critique de François
Gény. Lévy avait affirmé : « Je crois à une science du droit, ou, ce qui revient
au même, à une science de la paix ; pour construire cette science, il faut que
le monde y travaille ; le droit n’est pas un formulaire obscur ; il est la
science de nos relations sociales, la connaissance de nous-mêmes vivant et
ne pouvant vivre qu’en société, l’art d’y vivre raisonnablement. » Cet opti-
misme social, on le voit, n’est nullement coupé de sa vision du droit. Une
certaine idée de consensus, d’harmonie sociale, exprimée par des notions
comme « confiance » ou encore « bonne foi », se dégage de la conception de
Lévy dès sa thèse. Pour lui, en effet, « les principes juridiques sont des rè-
gles de conduite répondant à cette question, qui est la question juridique,
qui est le problème du droit : “Sur quoi puis-je compter ?” » 50.
On le savait déjà au niveau de la transmission des droits de propriété,
où « la bonne foi est la cause prouvée, présumée ou preuve du droit ». Mais
cela apparaît particulièrement bien dans ses écrits proprement socialistes.
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Ainsi, il définit la liberté syndicale comme l’introduction « d’un autre ordre,
d’un ordre rationnel, arbitral, contractuel, d’un ordre où on compte dans les
relations entre employeurs et employés ». Le syndicat mais également la
coopérative apparaissent comme « des instruments de la paix du monde
parce qu’ils sont des instruments de la justice ». Droit et socialisme sem-
blent se confondre dans une même vision : « Une analyse sans fiction ra-
mène au droit collectif actuel, au socialisme avec prélèvements capitalistes
(le collectivisme étant en définitive le capitalisme sans les droits acquis) 51. »
En dehors de l’évolutionnisme de cette conception, le socialisme devient en
quelque sorte la vérité du droit : « Le passé ne fait plus peser sur le présent
son poids mort ; la situation est toujours présente, statutaire, avec un statut
toujours modifiable, sans autre souci que celui des possibilités, de l’équi-
libre, de la justice ; c’est le vrai milieu de la loi ou du contrat puisque les si-
tuations de droit ne sont plus faussées par les situations antérieures, puis-
que les jugements des valeurs ne sont plus limités par les possessions ; le
beati possidentes a disparu ; non plus : heureux les possédants, mais : heu-
reux ceux qui agissent. » Ce qui fait de la lutte des ouvriers pour le socia-
lisme en même temps une lutte sociale pour le droit : « Le régime des pos-

49. Cf. Charles ANDLER, « Préface », in Emmanuel LÉVY, L’affirmation du droit collectif, Paris, SNLE,
1903, p. 4.
50. Emmanuel LÉVY, La paix par la justice. Éléments d’une doctrine du droit, Paris, Giard, 1929,
p. 4, 13.
51. Emmanuel LÉVY, « Analyse sociale du change », Le Mouvement socialiste, 1912, p. 165.

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sessions fait que le mouvement au lieu de se continuer, que la confiance au Le socialisme
juridique
lieu de se répandre, que la créance au lieu de se perpétrer, que la personne
d’Emmanuel Lévy
au lieu de rayonner sont arrêtés par l’argent, par la possession qui sans tra-
vail excite au travail, par le crédit en métal, par le travail épargné 52. »
« Nous, socialistes, écrit-il, nous voulons la créance de tous les hommes. »
Le rapport entre droit et socialisme est cimenté par l’optimisme social :
« La politique du droit, la politique de la paix, est la politique des comptes
exacts, des créances qui s’opposent, puis se concilient 53. » Si la justice est
abordable, dit-il, c’est parce que les droits sont des faits sociaux mesurés,
pensés. C’est cette mesure qui permet justement de distinguer, selon Lévy,
la croyance religieuse de la croyance en droit en tant que formes différentes
de la croyance collective : les croyances du droit sont donc mesurées 54.
Mais la légitimité de la croyance sociale qu’est le droit ne se comprend
pas sans le lien explicite qui se noue entre créance et contrat (collectif).
Pour Lévy, en effet, « le contrat est contradiction, contraction. Il est créance
à quoi on aspire et créance qu’on inspire, la personne active et passive » 55.
Le contrat est justement « la procédure de la confiance devenant procédure
des échanges » 56, ce qui revient à dire pour lui que le contrat est social. En
effet, en amplifiant le sens de l’article 1134 du Code civil, Lévy insiste sur le
fait que le contrat tient lieu de loi pour les parties, mais aussi pour tous les
membres de la communauté 57.
Véhiculée par cette valorisation du contrat, qui, comme nous l’avons vu,
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est très présente dans la tradition socialiste, l’explication juridique du so-
cialisme chez Lévy semble prendre alors la forme d’un jusnaturalisme, qu’il
explicitera dans une brochure de 1922. Non pas au sens général, selon le-
quel toute révolution « aboutit à une violation du droit acquis », mais dans
celui qui établit une sorte d’immanence entre la normativité juridique et
une normativité sociale (postulée comme coopérative), que Lévy lie à la
« pratique ». Ce qui lui fait présenter le projet juridique socialiste déjà en
1903 comme une adaptation « de l’individu à son milieu et à lui-même », ou
le définir, encore de manière plus explicite, comme un « droit à la vie heu-
reuse » qui « mettra fin à cette tragédie perpétuelle et discrète qu’est l’exis-
tence de l’homme conscient » 58. L’ordre apparaît alors comme le lieu où
« on se possède ». S’il est aussi le lieu où l’on reconnaît son ennemi, son
maître, c’est bien pour se réconcilier : c’est ce qu’il appelle le contrat so-

52. Emmanuel LÉVY, « Capital-travail », Le Mouvement socialiste, 1911, p. 379-380.


53. Emmanuel LÉVY, La paix par la justice. Éléments d’une doctrine du droit, op. cit., p. 21-22.
54. Emmanuel LÉVY, « Construction sociale du droit », in ID., Les fondements du droit, op. cit.,
p. 152.
55. Emmanuel LÉVY, Introduction au droit naturel, op. cit., p. 9.
56. Emmanuel LÉVY, « Définition du contrat » [1930], in ID., Les fondements du droit, op. cit.,
p. 145.
57. Emmanuel LÉVY, Introduction au droit naturel, op. cit., p. 9-10.
58. Emmanuel LÉVY, « L’affirmation du droit collectif », in Par le droit, au-delà du droit. Textes sur
le socialisme juridique, op. cit., p. 175.

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C. M. HERRERA cial 59. Un pacte de créances sans obligations, de droits sans devoirs, au-
trement dit, une forme de coopération, d’idéal commun. Chez Lévy, le
contrat n’est pas le producteur de lien social : ce sont les pratiques que la
société établit et qui créent des rapports de confiance légitime, c’est-à-dire
de confiance sanctionnée. Le contrat est « la confiance légitime que crée
l’activité » 60. Cette idée aussi lui permet d’établir entre le droit et l’État une
relation de subordination typiquement jusnaturaliste : il y a seulement État
« quand il y a contact social qui cause et protège le droit » 61.
Ce jusnaturalisme sociologique qui pointe dans la théorie de Lévy est
renforcé en quelque sorte par l’évolutionnisme propre au socialisme réfor-
miste 62. En effet, si l’émancipation est l’œuvre de la volonté ouvrière, elle
n’en est pas moins aussi la « conséquence naturelle, dans l’économie d’au-
jourd’hui, du développement du capital et de l’État » 63. Dès lors, « il est
donc naturel que la créance collective du travail absorbe celle du capital, et
elle l’absorbera forcément » 64. Il ne s’agit pas d’une affirmation péremp-
toire, mais scientifique : Lévy voit dans le socialisme, non pas le cri de dou-
leur de Durkheim, mais « l’esprit sociologique », la « politique scientifi-
que », ou encore une « sociologie passionnée ». En ce sens, il semble s’ins-
crire dans l’analyse de la solidarité comme fait (moral) que l’on peut établir
scientifiquement, et plus encore dans l’optique durkheimienne de la solida-
rité organique et son droit coopératif à sanction restitutive propre aux so-
ciétés industrielles. Pour Lévy, le contrat, l’arbitrage, implique la lutte car,
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comme chez Durkheim, la solidarité ne supprime pas la rivalité des intérêts.
Mais « la division du travail donne naissance à des règles qui assurent le
concours pacifique et régulier des fonctions divisées ». Un consensus spon-
tané des parties, cette solidarité interne fait l’unité des sociétés 65. Dans ce
cadre, la contrainte « sort des entrailles de la réalité sociale », la force qui

59. Emmanuel LÉVY, Introduction au droit naturel, op. cit., p. 18.


60. Emmanuel LÉVY, « La grève et l’entente », op. cit., p. 20.
61. Emmanuel LÉVY, « Construction sociale du droit », in ID., Les fondements du droit, op. cit.,
p. 152.
62. Pour Mauss, Lévy, qu’il mettait ici à côté de S. et B. Webb, avait « beaucoup fait pour instaurer
les formes nouvelles du contrat collectif » (voir « Divisions et proportions des divisions de la so-
ciologie » [1927], in Marcel M AUSS, Œuvres, op. cit., tome 3, p. 241-242).
63. Emmanuel LÉVY, Capital et Travail, op. cit., p. 3.
64. Emmanuel LÉVY, « L’affirmation du droit collectif », in Par le droit, au-delà du droit. Textes sur
le socialisme juridique, op. cit., p. 174.
65. Cf. Émile DURKHEIM, De la division du travail social [1893], Paris, PUF, 1998, notamment p. 403,
351. Gurvitch avait cru voir dans l’abandon, par Lévy, du concept de croyance au bénéfice de celui
de contrat, la preuve de l’éloignement de la pensée de Durkheim, mais des travaux récents ont
montré la place centrale du contrat même dans l’œuvre tardive du sociologue. Voir Roger COTTER-
RELL, Émile Durkheim : Law in a Moral Domain, Edimbourg, Edinburgh University Press, 1999, no-
tamment p. 119-133. En revanche, Gurvitch nous semble plus juste lorsqu’il signale une sorte
d’identification entre droit positif et droit naturel chez Lévy. Cf. Georges GURVITCH, « Les fonde-
ments et l’évolution du droit d’après Emmanuel Lévy », in ID., L’expérience juridique et la philoso-
phie pluraliste du droit, Paris, A. Pedone, 1935.

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domine l’homme est naturelle 66. Ce qui permet à Lévy de dire que « ce qui Le socialisme
juridique
caractérise le rapport de droit, ce n’est donc pas la sanction violente, mais
d’Emmanuel Lévy
c’est la sanction sociale » 67.
Lévy inscrit l’action ouvrière dans ce fait social. C’est pourquoi il pou-
vait parler de « lutte contractuelle des classes » ; et même d’un patrimoine
patronal devenant commun « à tous ceux qui, par leur capital ou leur tra-
vail, participent à la production » 68. Ce qui explique aussi l’importance ac-
cordée à l’arbitrage pour résoudre de manière révolutionnaire les conflits
du travail, car l’État n’intervient en cas de grève que « comme arbitre pro-
posant de nouvelles conditions » contractuelles, et surtout la confiance de
Lévy dans le juge comme interprète des croyances collectives, comprise
comme « la conscience de tous les milieux sociaux ». L’individu, à travers le
juge, « fait appel à la garantie sociale ». Pour pouvoir fonder cette légitimité
du juge judiciaire, comme juge de la conformité aux croyances collectives, il
faut supposer, comme il le dit dans sa thèse, que « le droit accorde à chacun
non ce qu’il veut mais ce qu’il croit pouvoir, mais ce qu’il veut légitime-
ment ; il le respecte en tant que citoyen, qui veut agir conformément à ses
droits : cette volonté de se conduire en membre solidaire de la cité, en col-
laborateur de la société, il la respecte tout entière » ; ou encore, en termes
proudhoniens, « le respect du prochain, cette idée que pour l’homme son
semblable est une fin en soi, voilà la base du droit » 69. C’est un autre socio-
logue juriste durkheimien, Georges Davy, qui se chargera de tirer les consé-
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quences de cette analyse sur un plan plus explicite : la conscience collective
est le foyer de cet idéal qui donnera les règles supérieures et extérieures.
Mais cela suppose que « collectif et objectif, ces deux caractères de l’idéal
sont solidaires » 70. Lévy, quant à lui, se contente d’affirmer un droit natu-
rel « réel, exercé, pratiqué » 71.
Mais par ce biais, le projet du socialisme juridique semble se trouver re-
légué, sinon renversé. Désormais, le juriste socialiste travaille « à dégager,
derrière les formes légales, la réalité sociale qu’elles recouvrent » 72. Lévy
cherche alors à exprimer en langage juridique les croyances sociales – à
l’instar de la croyance religieuse chez Durkheim, le droit devient l’expres-
sion symbolisée de la vie sociale, « le monde social calculé ». Mais le droit

66. Émile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique [1895], Paris, Alcan, 1938, p. 150. Lévy
cite l’ouvrage dès sa thèse ; plus tard, dans un texte occasionnel, il écrit : « Sa méthode est, parti-
culièrement pour un juriste, une méthode libératrice de tout dogme réactionnaire. »
67. Emmanuel LÉVY, « La grève et l’entente », op. cit., p. 20.
68. Emmanuel LÉVY, « La grève et le contrat », La Revue socialiste, 1911, p. 126. Le patrimoine est
alors « un ensemble de biens qui sont l’objet et les gages des mêmes rapports de confiance ».
69. Emmanuel LÉVY, Sur l’idée de transmission de droits (À propos de la preuve de la propriété im-
mobilière), op. cit., p. 106, p. 90.
70. Georges DAVY, Le droit, l’idéalisme et l’expérience, Paris, Alcan, 1922, p. 161-163. Pour Davy, en
effet, « il suffit de croire à la réalité de la conscience collective pour rendre compte objectivement
de ce que le droit contient d’idéal ».
71. Emmanuel LÉVY, Introduction au droit naturel, op. cit., p. 20.
72. Emmanuel LÉVY, « Sur la constitution juridique du parti », op. cit., p. 428.

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C. M. HERRERA reproduit les formes d’un social solidarisé, où, s’il n’est point nié, le conflit
perd toutefois toute positivité radicale, en dehors des droits à conquérir, du
droit à transformer. On le voit : par son ouverture sociologique Lévy n’est
pas moins juriste, au contraire ; même avec l’idée du « droit contenant du
physique », il touche à l’impossibilité propre au juriste de penser des anta-
gonismes sociaux qui ne seraient pas résolubles par une évolution du droit.
Mais cela entraîne un risque important pour un socialiste : la relativisation
de la question de la transformation sociale. Comme l’affirme Lévy devant
une critique de G. Ripert qui lui reproche de vouloir changer l’ordre social :
« Ces formules sont du droit que nous vivons. » Certes, il pense que « ce
sont les conservateurs qui font les révolutions ». Mais un socialiste, même
réformiste, ne saurait pas ne pas le regretter.
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