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Gilles Labarthe
Université de Neuchâtel
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All content following this page was uploaded by Gilles Labarthe on 14 November 2017.
Communication
Information médias théories pratiques
GILLES LABARTHE
Référence(s) :
Denis RUELLAN (2014), Le journalisme défendu. Modèles de l’action syndicale, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, Coll. « Res Publica »
Texte intégral
1 Ancien journaliste, professeur à l’Université de Rennes I et chercheur membre du
Centre de recherche sur l’action politique en Europe (CRAPE), dont il est directeur
adjoint, Denis Ruellan est particulièrement bien placé pour consacrer un nouvel
ouvrage aux différents modèles qui ont formé l’action syndicale des journalistes en
France. Il poursuit ici des analyses et réflexions entamées depuis 20 ans, qui ont fait
l’objet de plusieurs contributions marquantes (1993, 1997 et 2011). S’il a souvent
abordé par le passé le sujet des frontières journalistiques mouvantes de la profession,
leur fermeture et les points de rupture, il adopte dans la présente étude une nouvelle
perspective en se focalisant sur les éléments de continuité, les régularités observables,
les modèles négociés et récurrents de cinq grandes structures historiques consacrées à
la protection des journalistes salariés en France : elles auraient toutes tendu vers une
certaine stabilité, malgré les aléas d’ordre politique, économique et social qui ont
traversé le pays, de la fin du XIXe siècle à la fin des Trente Glorieuses.
2 Ruellan retient d’abord un premier événement, et une première structure, la plus
ancienne et la moins connue : la création en 1895 d’une association de journalistes
chrétiens, qui se transforme rapidement en Syndicat des journalistes et des écrivains
français (SJEF). Dès l’origine, cette association se distinguait comme organisation
catholique, monarchiste, menant un combat professionnel et antirépublicain. Quel est
l’élément fondamental de continuité qui a permis au SJEF, devenu SJF en 1904, de
perdurer malgré une forte concurrence (il existait plus de 80 associations de
journalistes en 1914) ? De ressurgir après la Première Guerre mondiale, période de
déclin ? De se transformer au fil du temps en assimilant peu à peu un principe
dominant de l’époque, celui de la lutte des classes ? Parcourant ce segment historique,
l’auteur trouve cet élément dans le modèle de la corporation, basé sur une alliance
pacifique entre sphère du travail et sphère du capital (chapitre 1), soit un modèle
consensuel et peu revendicatif des gens de métier, sans distinction de condition, porté
sur la conciliation entre employés et patrons au sein de « la grande famille » de la
presse. Ce modèle s’inscrit en fait dans une tradition mutualiste et chrétienne déjà bien
ancrée en Europe. Il contribuera en 1919 à la fondation de la Confédération française
des travailleurs chrétiens (CFTC) ; puis, bien plus tard en 1964 et après divisions entre
journalistes, à la Confédération française démocratique du travail (CFDT).
3 Or, face à ce SJF du début du siècle, dès 1918, c’est l’action et les revendications d’une
autre structure qui se révèlent prépondérantes : le Syndicat national des journalistes
(SNJ). Déjà à la fin des années 1930, ce syndicat réunit les deux tiers du milieu
professionnel. Pour Ruellan, ce succès s’explique par le nouveau modèle adopté par
cette organisation : celui, rassembleur et apolitique, de la profession (chapitre 2). Ce
modèle sert un discours à vocation identitaire, affiche une conception offensive de son
rôle de défense des droits des journalistes salariés, en tant que travailleurs face à leurs
patrons. Le SNJ aurait eu pour avantages sur d’autres organisations similaires la clarté
et la cohérence de son projet définissant les rapports entre employés et employeurs,
plus encore que ses victoires effectives (loi de 1935 portant statut de journaliste
professionnel, instauration d’une commission arbitrale et d’un service juridique,
négociation d’indemnités en cas de conflit ou licenciement, convention cadre de
« contrat collectif », salaire minimum…). En somme, ce projet consiste à « construire
du collectif » en défendant les intérêts de chacun des membres. Il est essentiellement
au service de la profession et des individus qui la composent. L’apport original de
Ruellan est ici d’insister sur le fait que, pour saisir la pertinence et la portée de ce
modèle, il faut comprendre qu’il véhicule une conception de défense des droits de la
personne soutenue par d’autres organisations externes, dont la Ligue des droits de
l’Homme (LDH). D’où la nécessité d’appréhender ces réalités historiques et composites
à partir d’un large spectre, de les mettre en relation avec la transformation générale des
rapports entre individu et société touchant « tout le corps social et les institutions au
début du XXe siècle » (p. 13).
4 Le SNJ a d’ailleurs vite été confronté à la question de savoir s’il était judicieux ou non
de se joindre à une fédération, en l’occurrence la Confédération générale du travail
(CGT), pour faire bloc avec d’autres métiers — les ouvriers du secteur de la presse, par
exemple. Fallait-il désormais se caler sur le modèle de l’union, coalition des forces
laborieuses, sans distinction de secteur ni d’emploi ? Par vote, les journalistes
syndiqués du SNJ ont d’abord, par cinq fois, préféré conserver leur organisation
autonome, entre 1918 et 1947. Le modèle a toutefois fini par s’imposer avec la création,
au milieu des années 1960, d’une union nationale des syndicats de journalistes. Cette
union durera vingt ans ; elle ressemblera plus à une sorte d’intersyndicale, théâtre de
général ». En conclusion, il fait part de ses inquiétudes dans le contexte présent : « […]
en Amérique du Nord, les dispositifs acquis depuis la seconde guerre mondiale par les
journalistes tiennent à peine encore en place, car les discours qui les fondent paraissent
enlisés » (p. 147). Les transformations économiques et technologiques du secteur des
médias, mais aussi la menace de nouvelles lois fédérales contraignantes pour les
syndicats confirment qu’une réflexion profonde sur les modèles de défense du
journalisme est une œuvre nécessaire et utile — même au prix d’un long détour
historique.
Bibliographie
FOUCAULT, MICHEL (1971), L’ordre du discours. Leçon inaugurale au Collège de France
prononcée le 2 décembre 1970, Paris, NRF Gallimard.
RUELLAN, Denis (1993), Le professionnalisme du flou. Identité et savoir-faire des
journalistes français, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
RUELLAN, Denis (1997), Les « pro » du journalisme. De l’état au statut, la construction d’un
espace professionnel, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
RUELLAN, Denis (2010), Nous, journalistes. Déontologie et identité, Grenoble, Presses
universitaires de Grenoble
SCHWARZ, Francis (1991), Les sociétés de rédacteurs en France : actions et pensées d’un
mouvement démocratique pour la presse quotidienne (des origines à nos jours). Thèse,
Bordeaux, Université de Bordeaux III.
VERFAILLIE, Bertrand (2008), Sociétés de rédacteurs, sociétés de journalistes. Les
rédactions ont-elles une âme ?, Paris, Alliance internationale de journalistes, Coll.
« Journalisme responsable ».
Notes
1 Sur les sociétés de rédacteurs, voir Schwarz (1991) et Verfaillie (2008).
Auteur
Gilles Labarthe
Gilles Labarthe est chercheur et assistant-doctorant à l’Académie du journalisme et des
médias, de l’Université de Neuchâtel. Courriel : gilles.labarthe@unine.ch
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