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Denis RUELLAN (2014), Le journalisme défendu. Modèles de l’action syndicale

Article · January 2016

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Gilles Labarthe
Université de Neuchâtel
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Denis RUELLAN (2014), Le journalisme défendu. Modèles de l’action syndicale 14/11/2017 17:45

Communication
Information médias théories pratiques

vol. 33/2 | 2015


Lectures

Denis RUELLAN (2014), Le


journalisme défendu. Modèles
de l’action syndicale
Rennes, Presses universitaires de Rennes, Coll. « Res
Publica »

GILLES LABARTHE
Référence(s) :
Denis RUELLAN (2014), Le journalisme défendu. Modèles de l’action syndicale, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, Coll. « Res Publica »

Texte intégral
1 Ancien journaliste, professeur à l’Université de Rennes I et chercheur membre du
Centre de recherche sur l’action politique en Europe (CRAPE), dont il est directeur
adjoint, Denis Ruellan est particulièrement bien placé pour consacrer un nouvel
ouvrage aux différents modèles qui ont formé l’action syndicale des journalistes en
France. Il poursuit ici des analyses et réflexions entamées depuis 20 ans, qui ont fait
l’objet de plusieurs contributions marquantes (1993, 1997 et 2011). S’il a souvent
abordé par le passé le sujet des frontières journalistiques mouvantes de la profession,
leur fermeture et les points de rupture, il adopte dans la présente étude une nouvelle
perspective en se focalisant sur les éléments de continuité, les régularités observables,
les modèles négociés et récurrents de cinq grandes structures historiques consacrées à
la protection des journalistes salariés en France : elles auraient toutes tendu vers une

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certaine stabilité, malgré les aléas d’ordre politique, économique et social qui ont
traversé le pays, de la fin du XIXe siècle à la fin des Trente Glorieuses.
2 Ruellan retient d’abord un premier événement, et une première structure, la plus
ancienne et la moins connue : la création en 1895 d’une association de journalistes
chrétiens, qui se transforme rapidement en Syndicat des journalistes et des écrivains
français (SJEF). Dès l’origine, cette association se distinguait comme organisation
catholique, monarchiste, menant un combat professionnel et antirépublicain. Quel est
l’élément fondamental de continuité qui a permis au SJEF, devenu SJF en 1904, de
perdurer malgré une forte concurrence (il existait plus de 80 associations de
journalistes en 1914) ? De ressurgir après la Première Guerre mondiale, période de
déclin ? De se transformer au fil du temps en assimilant peu à peu un principe
dominant de l’époque, celui de la lutte des classes ? Parcourant ce segment historique,
l’auteur trouve cet élément dans le modèle de la corporation, basé sur une alliance
pacifique entre sphère du travail et sphère du capital (chapitre 1), soit un modèle
consensuel et peu revendicatif des gens de métier, sans distinction de condition, porté
sur la conciliation entre employés et patrons au sein de « la grande famille » de la
presse. Ce modèle s’inscrit en fait dans une tradition mutualiste et chrétienne déjà bien
ancrée en Europe. Il contribuera en 1919 à la fondation de la Confédération française
des travailleurs chrétiens (CFTC) ; puis, bien plus tard en 1964 et après divisions entre
journalistes, à la Confédération française démocratique du travail (CFDT).
3 Or, face à ce SJF du début du siècle, dès 1918, c’est l’action et les revendications d’une
autre structure qui se révèlent prépondérantes : le Syndicat national des journalistes
(SNJ). Déjà à la fin des années 1930, ce syndicat réunit les deux tiers du milieu
professionnel. Pour Ruellan, ce succès s’explique par le nouveau modèle adopté par
cette organisation : celui, rassembleur et apolitique, de la profession (chapitre 2). Ce
modèle sert un discours à vocation identitaire, affiche une conception offensive de son
rôle de défense des droits des journalistes salariés, en tant que travailleurs face à leurs
patrons. Le SNJ aurait eu pour avantages sur d’autres organisations similaires la clarté
et la cohérence de son projet définissant les rapports entre employés et employeurs,
plus encore que ses victoires effectives (loi de 1935 portant statut de journaliste
professionnel, instauration d’une commission arbitrale et d’un service juridique,
négociation d’indemnités en cas de conflit ou licenciement, convention cadre de
« contrat collectif », salaire minimum…). En somme, ce projet consiste à « construire
du collectif » en défendant les intérêts de chacun des membres. Il est essentiellement
au service de la profession et des individus qui la composent. L’apport original de
Ruellan est ici d’insister sur le fait que, pour saisir la pertinence et la portée de ce
modèle, il faut comprendre qu’il véhicule une conception de défense des droits de la
personne soutenue par d’autres organisations externes, dont la Ligue des droits de
l’Homme (LDH). D’où la nécessité d’appréhender ces réalités historiques et composites
à partir d’un large spectre, de les mettre en relation avec la transformation générale des
rapports entre individu et société touchant « tout le corps social et les institutions au
début du XXe siècle » (p. 13).
4 Le SNJ a d’ailleurs vite été confronté à la question de savoir s’il était judicieux ou non
de se joindre à une fédération, en l’occurrence la Confédération générale du travail
(CGT), pour faire bloc avec d’autres métiers — les ouvriers du secteur de la presse, par
exemple. Fallait-il désormais se caler sur le modèle de l’union, coalition des forces
laborieuses, sans distinction de secteur ni d’emploi ? Par vote, les journalistes
syndiqués du SNJ ont d’abord, par cinq fois, préféré conserver leur organisation
autonome, entre 1918 et 1947. Le modèle a toutefois fini par s’imposer avec la création,
au milieu des années 1960, d’une union nationale des syndicats de journalistes. Cette
union durera vingt ans ; elle ressemblera plus à une sorte d’intersyndicale, théâtre de

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disputes incessantes, notamment celles entre pro- et anticommunistes, mais aussi


celles de journalistes préférant adhérer à un type de structure plus autonome et
identitaire, se reconnaissant davantage dans une définition restrictive du métier
(chapitre 3).
5 Existait-il une autre voie, non partisane et garante d’autonomie ? Un quatrième
événement sert la réflexion, celui de la création en 1967 de la Fédération française des
sociétés de journalistes (FFSJ). Sa vocation est de promouvoir la participation, sur le
modèle de ce que le grand quotidien Le Monde expérimentait depuis 1951 avec sa
Société des rédacteurs, ou Sud-Ouest dès 1947 : une société par actions détenues par les
journalistes, se profilant comme cogestionnaires de leur média. Ce modèle original de
sociétés de rédacteurs bousculait à la fois la tradition des milieux syndicaux et les
patrons de presse, qui y étaient fermement opposés. Il connut en France, entre 1967 et
1972, « une fulgurante popularité, et une dégringolade tout aussi rapide, que l’on peine
à expliquer » (chapitre 4, p. 95 sqq.). Remarquons qu’au sens plus large de sociétés de
journalistes, sociétés de personnels et apparentés (associations ou collectifs de
journalistes), ce modèle a essaimé en une multitude de structures dont il est souvent
difficile de cerner les contours et les moyens d’action réels. Comme base commune, on
trouve l’idée déjà ancienne que la qualité du travail des journalistes, et par conséquent
l’information d’intérêt public, seraient mieux garanties par des rédactions libérées des
pressions et du contrôle exclusif de l’argent, du pouvoir… voire de la publicité, pourrait-
on ajouter en se référant au credo soutenu avec acharnement au moyen de différentes
formules par un cas singulier de l’histoire de la presse, Le Canard enchaîné, et ce, dès
sa création en 1915. Ce modèle de la participation a suscité et suscite encore bien des
engouements — depuis le lancement de Libération en 1973, jusqu’à celui du pure
player Mediapart, en 20081.
6 L’attention se porte enfin sur la Commission arbitrale, prévue par la loi de 1935. Il
agit comme un tribunal des prud’hommes concernant le montant des indemnités dues
par l’employeur en cas de rupture ou de fin de contrat de travail — également
compétent pour ce qui est des fautes professionnelles du salarié. Il y avait plusieurs
raisons de s’arrêter sur ce choix comme cinquième modèle, soit celui du paritarisme
(chapitre 5), principe de coresponsabilité que l’on trouve aussi dans la Commission de
la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP). En introduction, Ruellan le
considère comme « tout à fait central car il révèle l’importance du travail concret,
quotidien, besogneux même de l’action syndicale » (p. 16). Ce dispositif particulier (car
dérogatoire au droit commun) de gestion du périmètre professionnel a été ardemment
voulu par les syndicats de journalistes. Il est devenu la règle depuis 1936, avec
l’obligation faite de signer des conventions collectives. Il est défendu avec constance,
aujourd’hui encore : comme le souligne l’auteur, l’activité de la Commission est même
exponentielle par ces temps de crise qui secouent la presse, avec les vagues de
licenciements et les restructurations liées aux phénomènes de fusion, d’acquisition et
de marchandisation de titres.
7 Au-delà de ces cinq modèles ainsi catégorisés, Ruellan publie ici une recherche très
fouillée, tout en strates et en nuances, fondée sur l’analyse de discours extraits de
quantité d’archives, consultées sur des périodes bien délimitées. Il a suivi la proposition
de Michel Foucault, celle de débusquer les régularités non pas en se limitant à étudier
ce qui représenterait le cœur des organisations syndicales à un moment donné, mais en
allant vers les « conditions externes de possibilité, vers ce qui donne lieu à la série
aléatoire de ces événements et qui en fixe les bornes » (1971 : 55). Le pari n’est pas des
moindres : aborder la pluralité historique et des discours et y dénicher (malgré tout)
des cohérences. Le résultat est un travail d’érudition, particulièrement riche, dense, et
forcément sinueux. L’analyse renvoie en conclusion à des « conditions externes » qui

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doivent aussi être cherchées hors du champ journalistique lui-même, du côté de la


sociologie des organisations, des mouvements politiques et sociaux, parfois propres à
l’histoire d’un pays. Le fait que ces mouvements, pris sur des décennies, subissent des
fluctuations, s’accommodent de coexistences et s’orientent vers des syncrétismes, ne
facilite pas leur lecture : Ruellan le dit très bien des cinq régularités ainsi
définies : « […] ces matrices sont à la fois distinctes et s’interpénètrent constamment »
(p. 132).
8 Malgré cette double difficulté ou double limite (celle des conditions externes,
différentes d’une époque, d’une région et d’un pays à l’autre ; celle de catégories
désignant des modes d’organisation fluctuants et des structures perméables), cette
contribution sur le cas français s’avère fort éclairante. Au vu des enjeux et des
changements profonds qui touchent depuis une vingtaine d’années le secteur de la
presse, le lecteur sera tout au long habité par des questions tenaces. Que reste-t-il de
l’héritage de ces cinq modèles aujourd’hui ? De leur pertinence, de leur capacité à
résoudre les conflits actuels ? Des dernières réussites à mettre à leur actif, comme de
leurs échecs les plus patents ? Quel modèle a désormais la préférence des journalistes,
et pourquoi ? Il resterait à écrire un chapitre complémentaire en ce sens, au moins sous
la forme de pistes relatives aux prolongements possibles des cinq moments historiques
et catégories abordés ici.
9 On peut supposer que depuis la chute du mur de Berlin, les modèles de la
corporation et de l’union, imprégnés d’idéologie, sont moins en phase avec la nouvelle
génération, qui se reconnaîtrait davantage dans ceux, plus identitaires, de la profession
et de la participation. Les nombreux renouvellements et réorganisations de façade des
unions syndicales, observables sur cette dernière décennie, semblent confirmer cette
hypothèse, tout comme la vitalité des trois autres modèles. La participation serait ainsi
réinvestie comme réaction stratégique possible face à des contextes de crises —
structurelles, conjoncturelles — permettant à un collectif de journalistes de s’opposer à
certaines injonctions de patrons de presse et des capitaines d’industrie qui les ont
remplacés, voire de faire scission pour créer de nouveaux titres, notamment sur
Internet. L’émergence en 2003 du Forum permanent des sociétés de journalistes —
prolongation dans l’esprit de la FFSJ de 1967 — en serait un signe et le site
d’information indépendant Rue89, lancé en 2007 par d’anciens rédacteurs du journal
Libération (et racheté en 2011 par un une filiale du groupe Nouvel Observateur) un cas
d’école, parmi d’autres.
10 Dans l’immédiat, et par résonance, cette étude de Ruellan stimulera l’analyse et la
compréhension de mouvements syndicaux similaires, identifiables en parallèle et à
l’étranger. En Suisse, par exemple, les modèles bien distincts de la profession et de
l’union s’appliquent respectivement à la Fédération suisse des journalistes (fondée en
1883, aujourd’hui rebaptisée Impressum) et à l’ex-syndicat Comedia. Les deux
structures à l’histoire et aux profils divergents devaient fusionner en 1998 pour
compenser la perte de vitesse de la première, et élargir encore les bases de la seconde,
politiquement marquée à gauche et rattachée à l’Union syndicale suisse. Ce fut un
véritable fiasco.
11 En postface de cet ouvrage, François Demers, professeur à l’Université Laval, reprend
les cinq segments historiques et cinq modèles, dans un texte intitulé « Quelques
éléments de comparaison avec le Canada-français/Québec », précisant qu’aucune
synthèse analogue à celle de Ruellan n’a été conduite jusqu’à présent avec la même
approche pour le Canada dans son ensemble. Il signale lui aussi des éléments de
continuité, malgré des « conditions externes de possibilité » fort différentes, dont la
condition de colonisés/colonisateurs, le poids du catholicisme, l’épouvantail
communiste brandi par une Amérique « hostile à l’interventionnisme d’État en

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général ». En conclusion, il fait part de ses inquiétudes dans le contexte présent : « […]
en Amérique du Nord, les dispositifs acquis depuis la seconde guerre mondiale par les
journalistes tiennent à peine encore en place, car les discours qui les fondent paraissent
enlisés » (p. 147). Les transformations économiques et technologiques du secteur des
médias, mais aussi la menace de nouvelles lois fédérales contraignantes pour les
syndicats confirment qu’une réflexion profonde sur les modèles de défense du
journalisme est une œuvre nécessaire et utile — même au prix d’un long détour
historique.

Bibliographie
FOUCAULT, MICHEL (1971), L’ordre du discours. Leçon inaugurale au Collège de France
prononcée le 2 décembre 1970, Paris, NRF Gallimard.
RUELLAN, Denis (1993), Le professionnalisme du flou. Identité et savoir-faire des
journalistes français, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
RUELLAN, Denis (1997), Les « pro » du journalisme. De l’état au statut, la construction d’un
espace professionnel, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
RUELLAN, Denis (2010), Nous, journalistes. Déontologie et identité, Grenoble, Presses
universitaires de Grenoble
SCHWARZ, Francis (1991), Les sociétés de rédacteurs en France : actions et pensées d’un
mouvement démocratique pour la presse quotidienne (des origines à nos jours). Thèse,
Bordeaux, Université de Bordeaux III.
VERFAILLIE, Bertrand (2008), Sociétés de rédacteurs, sociétés de journalistes. Les
rédactions ont-elles une âme ?, Paris, Alliance internationale de journalistes, Coll.
« Journalisme responsable ».

Notes
1 Sur les sociétés de rédacteurs, voir Schwarz (1991) et Verfaillie (2008).

Pour citer cet article


Référence électronique
Gilles Labarthe, « Denis RUELLAN (2014), Le journalisme défendu. Modèles de l’action
syndicale », Communication [En ligne], vol. 33/2 | 2015, mis en ligne le 28 janvier 2016,
consulté le 14 novembre 2017. URL : http://communication.revues.org/6135

Auteur
Gilles Labarthe
Gilles Labarthe est chercheur et assistant-doctorant à l’Académie du journalisme et des
médias, de l’Université de Neuchâtel. Courriel : gilles.labarthe@unine.ch

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