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Formation CNT 

: Histoire et valeurs

LA CNT : SON HISTOIRE ET SES VALEURS

I- NAISSANCE

I-1- Des origines cégétistes et trois chartes

La CNT, historiquement issue de la CGT en France, trouve ses origines dans plusieurs influences. À
Limoges, du 23 au 28 septembre 1895, a lieu le Congrès constitutif de la Confédération Générale du
Travail, la fameuse CGT. Les principaux piliers en sont la fédération du livre et celle des cheminots,
mais de nombreux métiers restent extérieur à la CGT. En 1906, la Charte d'Amiens, adoptée en
Congrès, donne au syndicalisme confédéral quelques-uns de ses traits spécifiques : la lutte des
classes, la lutte quotidienne pour des améliorations immédiates mais aussi la lutte pour la
disparition du salariat et du patronat, ainsi que son indépendance vis-à-vis des organisations
politiques. Cette Charte est reprise aujourd'hui comme référence par la plupart des syndicats, y
compris la CNT. L'organisation y définit ce qu'est sa vision du syndicalisme : « d'une part il prépare
l'émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste, et d'autre part, il
préconise comme moyen d'action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd'hui
groupement de résistance, doit devenir dans l'avenir, le groupe de production et de répartition, base
de réorganisation sociale ».

En 1909, Victor Griffuelhes, syndicaliste révolutionnaire et secrétaire général de la CGT depuis


1901, démissionne. En 1921, suite au congrès de Tours de la SFIO en 1920, survient une scission
entre celleux qui souhaitent adhérer à la Troisième Internationale, et celleux qui s'y opposent. Les
partisan·es de l'adhésion, majoritaires, créent la Section Française de l'Internationale Communiste
(SFIC). Le congrès de Lille, en juillet, évite la scission dans le syndicat, où majoritaires et
minoritaires sont au coude à coude, mais la division est consommée en décembre. À la suite de
l'exclusion de la Fédération des cheminots, les « révolutionnaires » quittent la CGT, et créent la
Confédération Générale du Travail Unitaire (CGTU). Dès son premier congrès en 1922, la CGTU
décide de rallier l'Internationale syndicale rouge. Finalement, en 1924, les très minoritaires
« syndicalistes révolutionnaires » quittent la CGTU et fondent la CGT-SR.

Cette nouvelle organisation adhère à l’Association Internationale des Travailleur·ses (AIT), et sa


charte constitutive dite Charte de Lyon en 1926, dépasse la Charte d'Amiens sur la question des
partis politiques. L’organe confédéral de la CGT-SR est « Le Combat Syndicaliste », ancêtre du
magazine mensuel toujours publié la CNT. Elle est aussi, dans les années 1930, le lieu de ralliement
en France de tous les compagnon·nes anarchistes fuyant la répression totalitaire. Malheureusement,
après l'échec de la révolution espagnole, elle ne survécut pas à son interdiction par le gouvernement
dès 1939. C’est ainsi que naquit la Confédération Nationale du Travail, notre syndicat, en décembre
1946. Parmi ses fondateurs, on retrouve beaucoup de militant·es de la CGT-SR. Lors de sa
constitution, la CNT reprend la position de la Charte de Lyon sur les partis politiques dans sa propre
Charte, dite Charte de Paris.

La CNT a pris son nom en référence à la CNT espagnole, bénéficiant d’un immense prestige. Le
mot « nationale » s’explique dans le contexte espagnol : le régionalisme étant utilisé par les forces
réactionnaires, ce terme affirmait l’unité de la classe ouvrière. Dans la situation française, il est

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moins pertinent, mais il renvoie à une organisation qui met en pratique le communisme libertaire. Il
est des héritages moins heureux.

I-2- La CNT et l’autonomie ouvrière

Malgré la forte répression subie après la première guerre mondiale, avec l’accession au pouvoir des
communistes autoritaires en Russie (accession au pouvoir qui deviendra pendant plusieurs
décennies le modèle imposé au prolétariat international), la tendance anti-autoritaire, même
affaiblie, a continué d’exister et a même donné à la mémoire sociale internationale des témoignages
vivants qu’il était possible de révolutionner une société sans aboutir au goulag. Par opposition à ce
système aberrant d’exploitation et d’asservissement qui a caractérisé le communisme autoritaire, la
CNT fait référence dans sa charte de 1946 au « communisme libre » et, dans des textes d’orientation
plus récents, au « communisme libertaire ». Au début du XXe siècle, des anarchistes fermement
opposé·es à l’autoritarisme et à l’étatisme ont compris que le syndicalisme était la forme
d’organisation qui permettait le mieux d’offrir à chacun·e la faculté de prendre en main son destin.
Ils/Elles ont donc tout d’abord adhéré en nombre à la CGT et contribué à son développement, avant
que cette confédération ne soit reprise en main par les communistes autoritaires. À cette même
époque, d’autres travailleur·ses qui ne portaient pas cette référence au mouvement anarchiste (à
savoir des syndicalistes révolutionnaires et des communistes non autoritaires) ont aussi apporté leur
pierre à la construction de notre confédération. Plus généralement, tous celles et ceux qui ont trouvé
au sein de la CNT un projet social proche de leurs intérêts de classe, de leurs préoccupations, un
mode d’organisation qu’ils/elles ont testé et pratiqué à l’épreuve de leurs luttes et des nécessités, un
outil quotidien et nécessaire pour résister, tout de suite, pour changer leur vie, pas simplement dans
l’idéal, dans le futur, mais dès demain matin ou au plus tard cet après midi, parce qu’il y a urgence,
ont enrichi notre expérience, affiné nos analyses et élargi nos horizons.

Si l’expression d’autonomie ouvrière a connu son heure de gloire dans les années 1970, la réalité
qu’elle recouvre est plus ancienne. Les syndicats de la CNT s’y réfèrent dans le sens où l’autonomie
ouvrière signifie l’organisation libre, indépendante et autonome des exploité·es. Tu auras reconnu
bien sûr la devise de la première Internationale : « L’émancipation des travailleur·es sera l’œuvre
des travailleur·ses elleux-mêmes ». Pour la CNT, si la classe des exploité·es ne doit rien à personne,
elle ne doit pas non plus attendre quoi que ce soit de l’État, de ses institutions ou rouages, y compris
des élections, du patronat, des organisations politiques ou des intellectuel·les qui parlent soi-disant
au nom de tou·tes. Puisque personne ne travaille à ta place, que personne ne décide pour toi, que
personne ne parle pour toi !

L’intégration du syndicalisme aidant, on a voulu faire passer « l’autonomie » pour un mouvement a-


syndical ou même anti-syndical. C’est à l’opposé de tout ce qui a constitué l’autonomie ouvrière à
ses origines, et même dans son renouveau dans l’Italie des années 1970. L’abandon de l’adjectif
« ouvrière » entérinant une dérive de l’autonomie est alors explicite aujourd’hui : c’est celle du repli
sur des militant·es « pur·es et dur·es », dénonçant toute forme d’organisation permanente. On est
donc bien plus du côté de l’autarcie que de l’autonomie, tout ce que n’est pas la CNT.

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II- ANNÉES 70 à 90 : UNE CNT GROUPUSCULAIRE

II-1- Un syndicalisme en berne

Bénéficiant d’un essor considérable au lendemain de la guerre (100 000 adhérent·es environ),
réunissant tou·tes celleux qui ne se reconnaissaient pas dans une CGT inféodée aux bolcheviks, elle
s’est écroulée aussi rapidement qu’elle a grandi, en raison d’affrontements idéologiques de
dogmatiques épris de pureté. Mais cette période est historiquement mal connue. Puis la CNT, si elle
n’a jamais disparu, a connu jusqu’au milieu des années 1990 une longue existence de groupuscule,
oscillant de quelques dizaines à quelques centaines d’adhérent·es. N’ayant plus de réalité syndicale,
hormis quelques expériences ponctuelles, elle s’est naturellement repliée sur des activités
propagandistes.

II-2- La première scission

La première scission de la CNT, dite de la « Tour d’Auvergne », du nom de la rue où se trouvait le


local, date de 1977. Les origines de cette scission sont assez floues et semblent relever
essentiellement de querelles personnelles et de motifs liés à l'évolution de la situation politique en
Espagne (mort de Franco, transition démocratique, ...etc.). Elle concernait essentiellement l'UR
parisienne. Cette scission vit naître un groupe appelé « CNT-Deuxième UR », qui a poursuivi son
existence jusqu’en mars 2006 (date à laquelle il fusionne avec la CNT-AIT). Ce syndicat réunissait
un très petit nombre d’adhérent·es, et sa principale activité semblait être l’animation d’un site
Internet et la propagande anarchiste. Après la fusion avec la CNT-AIT, les « ancien·nes » de la Tour
d’Auvergne et celleux du SIPN (Syndicat Interpro Paris-Nord de la CNT-AIT) ne parviennent pas à
trouver une pratique commune. Finalement les deux groupes se séparent. La CNT-Deuxième UR ne
se reconstitue pas et la plupart de ses ancien·nes membres cessent le militantisme, en tout cas le
militantisme anarcho-syndicaliste.

III- LA CNT DE 1993 À AUJOURD’HUI

III-1- La seconde scission

La seconde scission de la CNT date de 1993. Elle est fondée sur des différences de positions au sein
de l'organisation : une tendance est attachée au principe de non-participation aux élections
professionnelles et affirme son antipolitisme, c’est-à-dire le refus de collaborer ou même de
cosigner des tracts avec des organisations politiques, considérées comme ennemies des
travailleur·ses au même titre que les autres défenseur·ses du capitalisme que sont l'État ou les
Églises ; l'autre tendance ne conçoit pas cette position de non-participation aux élections
professionnelles comme absolue, notamment dans les entreprises où la lutte est difficile et pourrait
être vouée à l'échec sans l'acquisition d'un statut légal protégeant la section syndicale. Par ailleurs,
elle s'autorise à affronter les arguments des organisations politiques sur le terrain de la lutte sociale
en participant aux intersyndicales. Le congrès de l'AIT, réuni à Madrid en 1996, va exclure la
seconde tendance, (nous!), à deux voix contre une et trois abstentions, jugeant que sa position
constitue un manquement aux principes anarcho-syndicalistes qui régissent la Confédération.
Cependant, la section exclue de l'AIT considère que ce vote est non démocratique (faible nombre de
sections participant au vote et différence de voix trop faible). Le Congrès de Madrid adopte alors
une résolution appelant les anarcho-syndicalistes de France à rejoindre le bureau confédéral du
Mans (qui deviendra la CNT-AIT, aussi appelée CNT Le Mans). Celleux qui refusent restent au sein

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du bureau confédéral de la rue des Vignoles, qui va devenir la CNT-F, ton syndicat ! Une fois
encore, des oppositions de personnes ont joué un rôle déterminant dans cette scission. Pour notre
part, nous sommes resté·es sur une ligne cherchant à développer un syndicalisme de lutte, acceptant
la participation ponctuelle aux élections pour protéger nos sections syndicales, refusant la référence
idéologique unique à l’anarchisme. Depuis cette date, notre organisation est souvent appelée « CNT
Vignoles », du nom de la rue qui nous héberge à Paris. De son côté, la CNT-AIT ne rassemble plus
aujourd’hui qu’une poignée d’adhérent·es dispersé·es.

III-2- La FAU et novembre-décembre 1995

C’est une période de développement d’un syndicalisme étudiant CNT, légèrement antérieur aux
luttes contre le CIP, qui a contribué pour une bonne part au développement de la CNT dans le sens
d’une organisation syndicale. Dans un premier temps, l’activisme des sections universitaires (FAU
pour « Formation Action Universitaire ») a popularisé la CNT et a contribué à la faire apparaître
publiquement. Les grèves de novembre-décembre 1995 ont à cet égard été décisives. Fondée sur ses
quelques secteurs d’implantation syndicale (PTT, sections du nettoyage, éducation, militant·es
isolé·es dans d’autres secteurs, ...etc.), et bénéficiant de l’activisme tous azimuts des étudiant·es, la
CNT est apparue publiquement comme une organisation ayant un poids social indéniable. Loin
d’être éphémères, ces sections universitaires se sont pérennisées, avec des hauts et des bas, étendues
dans de nombreux campus, et les militant·es qui en étaient issu·es sont venu·es en grand nombre
renforcer les syndicats existants, voire en créer de nouveaux, dans toute la France. La fin des années
1990 a ainsi vu le renforcement des structures de la CNT.

III-3- Un développement syndical en constante progression

Sinon un développement fulgurant, la CNT a connu, au long des années 1990, un développement
significatif. En 1993, elle comptait à peine 200 adhérent·es. Presque vingt ans plus tard, la CNT
revendique environ 5 000 adhérent·es sur toute la France. La région parisienne, qui réunissait à
l’époque une dizaine d’adhérent·es, en compte aujourd’hui un millier, et parvient à composer des
cortèges de plusieurs milliers de personnes (5 000 le 1er Mai 2000, 8 000 en 2002 lors du 1er Mai
anti-FN, près de 5 000 le 1er Mai 2007 et 8 000 à 10 000 le 23 septembre 2010, pour une marche
vers le Medef contre la réforme des retraites). À Lyon, le rassemblement antifasciste unitaire du 10
avril 2010 initié par la CNT a rassemblé plus de 2 000 personnes ; le cortège syndical du 23
septembre comptait 1 000 personnes. Dans de nombreuses autres villes (Toulouse, Lille, Rennes,
Limoges, Bordeaux, Nîmes, Metz, etc.), les cortèges de la CNT rassemblent désormais largement.
Remarquons aussi que les mobilisations lors d’initiatives purement syndicales (retraites,
licenciements, etc.) ne cessent de progresser, alors qu’il y a dix ans, elles étaient anecdotiques. C’est
le signe d’un mûrissement syndical indéniable.

IV- LA CNT AU 21è SIÈCLE

IV-1- Mai 2000 : Un autre futur

Mai 2000 a été l’événement public symbolisant, en France, le renouveau de l’anarcho-syndicalisme


et du syndicalisme révolutionnaire. Durant une semaine, des concerts, des débats publics, des
conférences, des projections, des expositions, des pièces de théâtre, se sont inscrits dans un festival
baptisé « Un autre futur », organisé par la CNT. Divers livres, brochures et journaux furent publiés à
l’occasion. Avec 5 000 personnes dans la rue, le 1er Mai fut cette année-là rouge et noir, avec le

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plus grand cortège depuis des décennies, composé de camarades venant de toute la France et de
délégations du monde entier.

IV-2- 2001 – 2007 : Implantation syndicale et front social

Durant ces années, la CNT poursuit son évolution. Non sans heurts, elle continue sa mue, de groupe
de propagande en organisation syndicale. Sur le champ politique, elle est présente sur tous les
fronts : lutte contre la guerre, antipatriarcat, antifascisme, lutte contre les lois répressives, contre le
système carcéral, mobilisation lors des sommets internationaux, soutien aux sans-papiers… Sur le
champ syndical, elle élargit son implantation, la nouveauté étant le développement de contacts avec
des syndicalistes d’autres organisations sur des pratiques de lutte de classe. L’image de violence et
l’étiquette d’« anarchiste » s’estompent peu à peu, au fil des pratiques communes lors des luttes au
quotidien. En revanche, les rapports avec les hiérarchies syndicales sont alors plus mauvais que
jamais. De la CGT qui, en mai 2001, demande à la police de nous empêcher de manifester, à
l’intersyndicale CGT-CFDT-FO qui, en mai 2002, appelait à un cortège « unitaire »… sans nous !

Le large mouvement social du printemps 2003 a révélé l’immense chemin parcouru par la CNT
depuis novembre-décembre 1995. Nous émergions à peine, et c’est seulement dans les universités
que nous avions participé au mouvement de manière décisive. Nous étions présent·es sur d’autres
fronts, mais surtout de l’extérieur. Le mouvement du printemps 2003 a démarré sur la fronde de
l’Éducation nationale, qui durait déjà depuis plusieurs mois. La lutte des emplois-jeunes et des
surveillant·es, dans laquelle nous avons eu un rôle central dans plusieurs régions, a débuté dès la
rentrée scolaire 2002. Le développement du puissant mouvement de l’Éducation nationale, initié
dès avril, voire mars, s’est fondé sur les assemblées générales d’établissements en lutte et sur la
recherche d’une convergence interprofessionnelle, dès mai. Là encore, notre rôle fut essentiel dans
plusieurs régions, grâce à notre implantation construite ces dernières années. Dans la culture, c’est
également là où nous étions le mieux implantés (BNF, la Villette, la Cinémathèque…) que la
participation au mouvement a été la plus forte. Les camarades du spectacle (en particulier
intermittent·tes) ont mené des actions déterminantes, liées à la renégociation des annexes 8 et 10 de
l’indemnisation chômage.

IV-3- 2008 à nos jours : le développement dans le secteur privé

Depuis la loi du 20 août 2008 qui réforme le droit syndical dans le secteur privé, une ouverture est
apparue pour que notre organisation syndicale s’y implante enfin. En effet, la fin de la présomption
irréfragable de représentativité, qui réservait en grande partie le droit syndical dans le privé aux cinq
« grosses centrales » (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC), a permis à la CNT de créer un certain
nombre de sections syndicales, via la désignation de représentant·es de section syndicale (RSS), et
ce dans de nombreux secteurs d’industrie (automobile avec Sevelnord, bâtiment avec Lafarge,
presse avec Wolters Kluwer France, Lagardère et Impact médecine, petite enfance avec People &
Baby, commerce avec Baud, etc.). Avec, en conséquence, la décision en congrès de la CNT
d’accepter que ces sections syndicales se présentent aux élections de comité d’entreprise et
délégué·es du personnel, afin de devenir représentatives et d’avoir ainsi des délégué·es
syndicaux·ales (DS) qui bénéficient de la plénitude des droits. Le patronat a compris le danger, et
régulièrement, il conteste et/ou licencie nos RSS et DS. Mais la CNT défend farouchement ses
délégué·es en vertu du principe de solidarité : « Un coup contre l’un·e de nous est un coup contre
tou·tes ! » Contrairement à l’effet recherché par les patron·nes, les attaques contre la CNT
renforcent la cohésion de l’organisation.

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IV-4- La troisième scission

La troisième scission de la CNT intervient en novembre 2012, lors du Congrès Confédéral de Metz.
Elle naît d'un désaccord de longue date sur la question des permanent·es et de divergences sur la
stratégie syndicale. Les problématiques autour des permanent·es (question de fond) ne sont pas bien
vécues par les militant·es de la CNT qui ne comprennent pas pourquoi une motion d'orientation
n'est pas proposée pour venir débattre de la volonté d'en avoir. Au lieu de ça, à plusieurs reprises, le
pourrissement de la CNT a lieu. La question des permanent·es sera malgré tout abordée lors du
Congrès, et les syndicats à leur majorité ont voté contre le fait que la CNT y ait recours tout en les
utilisant. Le Syndicat du nettoyage de la région parisienne, qui avait déjà quitté quelques mois plus
tôt la CNT, est suivi par d'autres syndicats à Paris et dans les régions. Se constitue alors une autre
Confédération : la CNT-Solidarité ouvrière (CNT-SO).

V- LES VALEURS DE LA CNT

V-1- La Charte d’Amiens

La charte adoptée en octobre 1906 par le 1 er congrès de la CGT et connue à partir de 1912 sous le
nom de Charte d'Amiens reste une référence théorique du syndicalisme en France, en particulier du
syndicalisme révolutionnaire et du syndicalisme de lutte. Reconnaissant la lutte de classe, la charte
assigne au syndicalisme un double objectif et une exigence : la défense des revendications
immédiates et quotidiennes des travailleur·ses, et la lutte pour une transformation d'ensemble de la
société « par l'expropriation capitaliste », en toute indépendance des partis politiques et de l'État, le
syndicalisme se suffisant à lui-même. Par ailleurs, elle « préconise comme moyen d'action la grève
générale et [...] considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de résistance, sera, dans l'avenir,
le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale ». La CNT adhère à la
Charte d’Amiens.

V-2- La Charte de Lyon

On a déjà dit plus haut que cette charte, rédigée en 1926 par la CGT-SR dépassait la Charte
d’Amiens sur la question des partis politiques. En effet, la Charte de Lyon s'oppose radicalement à
l'apolitisme (c'est-à-dire sa neutralité envers les partis politiques) de la Charte d'Amiens. Au
contraire, nous sommes sur une réelle base anti-politique : le syndicat ne doit plus être « neutre »
envers les partis politiques, mais au contraire lutter activement contre eux, car ils font partie
intégrante du problème et non de sa solution, et doivent être combattus à ce titre. La Charte de Lyon
affirme son antipolitisme, c’est-à-dire le refus de collaborer avec des organisations politiques,
considérées comme ennemies des travailleur·ses au même titre que les autres défenseur·ses du
capitalisme que sont l'État ou les Églises. La CNT adhère également à la Charte de Lyon.

V-3- La Charte de Paris

La Charte de Paris est constitutive de la CNT, et en l’un des textes fondateurs depuis sa création en
1946. Cette charte reprend les bases de la Charte d’Amiens et de la Charte de Lyon. Elle réaffirme
son appartenance à la lutte des classes et son opposition ferme aux partis et organisations politiques,
en précisant même leur incompatibilité avec l’action du syndicalisme révolutionnaire qui est le
nôtre. Elle prône également la destruction des privilèges, du patronat et du salariat. Les moyens
d’action préconisés sont la grève générale (expropriatrice de préférence), le remplacement du

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pouvoir étatique par une organisation fédéraliste et rationnelle de la production, de l’échange et de


la répartition, et une lutte révolutionnaire. Le syndicalisme s’affirme comme le seul mouvement de
classe des travailleur·ses. Il est considéré comme capable de réaliser, par lui-même, aux différents
stades de l’évolution humaine, aussi bien le communisme organisé que le communisme libre. La
Charte de Paris est aussi appelée Charte du Syndicalisme Révolutionnaire.

Notre organisation se revendique de l’anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire.


Cela signifie qu’elle perpétue la forme de syndicalisme fondatrice de la CGT en France. Avant
d’être déchirée puis asservie par des partis politiques tenant du communisme autoritaire ou de la
social-démocratie, la CGT s’est développée sur des principes que, nous, nous n’avons pas reniés
(autonomie des syndicats, fédéralisme, indépendance du mouvement social vis à vis des partis,
participation de tou·tes les syndiqué·es à la conduite de l’organisation, gestion directe des luttes par
les travailleurs-ses elleux-mêmes...). La CNT garde une stricte indépendance et autonomie vis à vis
de tous ces mouvements politiques. Si chacun·e à la CNT est libre d’adhérer (ou non) à une
organisation politique, personne ne peut se prévaloir de ce type d’adhésion pour ce qui concerne son
activité syndicale.

V-4- Le syndicalisme révolutionnaire

Le syndicalisme révolutionnaire de la CGT d’avant 1914-1918 a été bâti en grande partie par des
militant·es issu·es de l’anarchisme (Pouget, Griffuelhes, Pelloutier) avec certains principes hérités
de cet anarchisme (la démocratie directe), mais en rupture avec l’organisation politique. Il a
développé des modes d’action propres, notamment la grève générale expropriatrice. Le
syndicalisme révolutionnaire est né face au développement d’un anarchisme individualiste exaltant
la valeur de l’individu·e au détriment de la société humaine, et usant paradoxalement de l’arme
terroriste instrumentalisant la vie humaine. Le syndicalisme révolutionnaire, s’il a interprété
l’analyse économique marxiste, s’est également construit contre les partis politiques. Le premier
combat de la CGT naissante a été d’empêcher son instrumentalisation par les partis. Sa défaite,
après 1918, sera concrétisée par la victoire du courant social-démocrate puis léniniste. En 1926, la
CGT-SR reprend le flambeau du syndicalisme révolutionnaire jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

V-5- L’anarcho-syndicalisme

La seconde référence de la CNT, c’est l’anarcho-syndicalisme de la Confederación Nacional del


Trabajo (CNT espagnole), qui s’affirme, de 1910 à 1936, comme la principale organisation
révolutionnaire espagnole. Contrairement à la plupart des États industriels occidentaux, la
bolchevisation des courants révolutionnaires (qui fait suite à la création de la IIIè Internationale) est
un échec en Espagne. Le syndicalisme espagnol invente le projet de société communiste libertaire :
la reconnaissance du groupe humain – et non de l’individu·e – comme base d’organisation sociale,
mais selon des principes autogestionnaires, sans délégation de pouvoir. Les collectivités d’Aragon
et d’ailleurs ont été la réalisation historique de la CNT hégémonique (2 millions d’adhérent·es) dans
la période révolutionnaire et antifranquiste de 1936-1939.

C’est pour ces deux raisons précédents que tu verras souvent les cénétistes signer leurs messages
par « Salutations ASSR ».

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V-6- Le communisme libertaire

« Les anarchistes de la CNT » était, jusqu’à la fin des années 1990, la dénomination la plus courante
utilisée par les médias pour nous désigner. On est passé ensuite au « syndicat anarchiste CNT »,
puis enfin aux « anarcho-syndicalistes ». Se référant à la fois à l’anarcho-syndicalisme et au
syndicalisme révolutionnaire, la CNT d’aujourd’hui oscille entre la reconnaissance d’un projet
communiste libertaire et le refus de toute étiquette spécifiquement idéologique : pas d’organisation
politique, de quelque obédience qu’elle soit, comme tutrice de l’organisation syndicale. La logique
d’adhésion à la CNT est fondée sur l’appartenance de classe : celle des prolétaires. Dans le même
temps, on peut noter une proximité indéniable avec un certain courant du mouvement libertaire,
s’expliquant par le mode de fonctionnement et les grands principes fondamentaux de la CNT : le
contrôle des négociations par la base, des assemblées générales souveraines, le refus des
permanent·es syndicaux·ales et des hiérarchies salariales, des délégué·es élu·es et révocables,
l’autogestion des luttes…

Celles et ceux qui aujourd’hui dans les médias qualifient la CNT de « syndicat anarchiste » sont
quelques fois des ignorant·es, des paresseux·ses (un raccourci ou un lieu commun reste plus facile à
écrire qu’une information), la plupart du temps des faussaires. Comment, quand on est soi-disant
spécialiste de l’histoire du mouvement syndical, social et politique en France, peut-on ignorer à ce
point la réalité, à savoir que les organisations politiques anarchistes sont très divisées sur l’intérêt
pour leurs adhérent·es de se syndiquer ou non, et que parmi les anarchistes qui choisissent de se
syndiquer, certain·es le font à la CGT, d’autres à FO, d’autres encore à la FSU, à SUD ou à la CNT.
Depuis de nombreuses années, les salarié·es qui adhérent à la CNT le font sur la base de
l’originalité de son projet syndical et de sa pratique autogestionnaire, et non pas sur la proximité
avec une quelconque organisation politique (y compris anarchiste). On voit donc que le surnom de
« CNT, syndicat anarchiste », est assez fantaisiste et un peu court comme description de la réalité de
notre organisation.

V-7- L’action comme idéologie

C’est dans l’action bien plus que dans les dogmes que la CNT se construit. Parfois accusée
d’activisme, soupçonnée d’oublier la réflexion et d’étouffer les débats internes dans un mouvement
perpétuel, elle assume ces critiques en considérant la réflexion comme fruit de l’action, l’idéologie
issue de la pratique, et non l’inverse. La force de cet état de fait, c’est de permettre de réunir des
militant·es ayant des opinions parfois différentes, de ne pas paralyser l’organisation par
d’interminables querelles. C’est un des piliers de notre développement. La faiblesse est le risque de
détournement progressif du projet révolutionnaire, soit dans une fuite en avant activiste, soit dans
un ramollissement réformiste.

V-8- L’action directe

Il est révélateur que l’un de nos principes primordiaux soit un principe d’action, « l’action directe ».
Que faut-il entendre par ce terme ? Souvent, il est détourné de sa signification subversive, en ne
renvoyant qu’à une idée erronée de violence. En réalité, si une action directe peut être violente, le
plus souvent, elle ne l’est pas. L’action directe, c’est une forme de lutte, décidée, mise en œuvre et
gérée directement par les personnes concernées. Grèves, boycott, piquets de grève, occupations,
manifestations devant les sièges des entreprises qui licencient sont des formes d’action directe que
nous pratiquons régulièrement dans notre travail syndical.

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VI- IDÉES PRÉCONÇUES SUR LA CNT

VI-1- La CNT, une organisation spontanéiste ? Basiste ? Assembléiste ?

Tous ces qualificatifs recouvrent en partie le mode de fonctionnement de la CNT, mais aucun n’est
suffisant.

Spontanéiste ? Oui, s’il s’agit de la liberté de décider sans subir la pression d’une organisation
politique ou d’un quelconque groupe constitué extérieur à la CNT. Certainement pas si cela doit
signifier que nous décidons individuellement, sans réflexion collective préalable, sans recherche
d’une identité de vue ou d’un accord sur les décisions à prendre. Primauté de l’individu ou du
collectif ? À l’intérieur du syndicat, la voix et l’opinion de n’importe quel·le adhérent·e vaut la voix
de n’importe quel·le autre. Le principe est simple : pas de membres d’honneur, pas de voix
prépondérante, un·e individu·e = une voix. Par contre, dès lors qu’il s’agit de l’activité confédérale
et à tous les niveaux d’organisation de cette Confédération (UR de syndicats, UL de syndicats,
Fédération de syndicats de branche, Confédération de syndicats), le principe est collectif (un
syndicat = une voix).

La CNT est une confédération de syndicats et non une simple association d’individu·es. Les débats
qui la traversent sont toujours issus de la réflexion collective des syndicats. Le Congrès Confédéral
de la CNT, qui se tient tous les deux ans, n’est pas une sorte de grande assemblée générale
d’individu·es où chacun·e pourrait parler et décider en son nom propre. Il en est de même pour les
congrès régionaux de syndicats. L’un et l’autre réunissent des délégué·es mandaté·es par leur
syndicat qui débattent et décident au nom de leur syndicat et sous le contrôle de celui-ci. Ces
délégué·es sont révocables à tout moment. Il n’y a pas de représentant·e permanent·e d’un syndicat.
La rotation des tâches et des responsabilités est un principe de fonctionnement de notre organisation
syndicale. Personne ne peut passer par dessus l’avis donné par son syndicat pour faire prévaloir un
avis personnel qui n’aurait pas été retenu par son organisation de base, le syndicat. Outre qu’il
habitue chacun·e à débattre de ses choix avec les autres membres de son syndicat (ce qui est le
moins que l’on puisse demander dans une organisation censée aboutir à des prises de décision
collective), ralliant le plus grand nombre d’individu·es, ce mode de fonctionnement empêche que
l’organisation syndicale ne devienne un terrain propice pour les ambitions ou les volontés de
pouvoir de quelques individu·es. On ne fait pas de carrière à la CNT. Il n’y a pas de pouvoir à
prendre. Il est consternant (ou comique) de voir que d’autres confédérations tolèrent ou s’habituent
au fait que tel ou tel de leur responsable, généralement leur Secrétaire Confédéral·e, soit appelé·e
par les médias « le/la patron·ne » de leur organisation.

Basiste, assembléiste ? Oui, quand cela fait référence au choix des assemblées générales
décisionnelles comme mode d’organisation dans les luttes, dans les grèves. Oui, quand il s’agit de
faire en sorte qu’aucune direction politique, qu’aucun mot d’ordre parachuté de l’extérieur ne
viennent parasiter les décisions qu’ont à prendre les travailleur·ses elleux-mêmes. Non évidemment,
quand il s’agit de court-circuiter l’organisation collective de base de la CNT qu’est le syndicat.

VI-2- La CNT, un syndicat d’extrême gauche ?

Pour qui connaît un tant soit peu l’histoire des organisations d’extrême gauche, il est facile de voir
que presque toutes sont issues d’un tronc commun, le courant marxiste autoritaire (léniniste,
trotskyste ou quelques fois stalinien). Toutes les actuelles organisations politiques d’extrême-gauche

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Formation CNT : Histoire et valeurs

ont en commun d’avoir le même objet et la même stratégie : la dictature du prolétariat en passant
par la conquête du pouvoir politique par le biais de la présentation de listes aux élections
législatives, présidentielles, départementales, régionales, européennes, municipales.

L’objet de la CNT – la transformation de la société par les acteur·ices elleux-mêmes de cette société
(grâce à l’action directe et l’autogestion) – n’a donc aucun rapport avec les choix de l’extrême-
gauche. Ce que nous partageons avec ces organisations (pour celles qui n’ont pas encore jeté aux
orties la notion de lutte des classes), c’est cette analyse que la société est divisée en classes
antagonistes et que la lutte des classes est une réalité.

La Charte du syndicalisme révolutionnaire, adoptée au congrès constitutif de la CNT en 1946,


résume clairement que la lutte révolutionnaire du syndicalisme se déroule « sans confondre son
action avec celles des partis qui prétendent, eux aussi, transformer l’ordre politique et social et
préconisent pour cela la dictature prolétarienne et la constitution d’un État soi-disant provisoire ».
Cette Charte précise même l’incompatibilité entre l’action de ces partis et celle du syndicalisme
révolutionnaire : « [...] partis politiques ouvriers qui, tous, sans exception, veulent - et c’est leur
raison d’être - instaurer un politique dont ils auraient la direction. État dont le syndicalisme
révolutionnaire proclame la nocivité et nie la nécessité ». Les partis veulent prendre le pouvoir et,
de là, « faire le bien de tou·tes ». Nous, anarcho-syndicalistes et syndicalistes révolutionnaires,
pensons que le bien commun ne peut être l’œuvre que des travailleur·ses elleux-mêmes qui s’auto-
organisent dans l’association syndicale. Nul besoin d’une quelconque avant-garde.

Quant aux groupuscules d’ultra-gauche qualifiés de terroristes qui ont épisodiquement marqué
l’actualité des années 1970-1980, repliés sur eux-mêmes, choisissant le repli sur soi et la violence
de voies sans issues, loin de l’adhésion et des préoccupations des acteur·ices du mouvement social,
ils tiennent aussi, pour la plupart, leurs racines dans la nébuleuse de la gauche marxiste autoritaire.

En politique politicienne, extrême-gauche reste un qualificatif qui situe la position « géographique »


des député·es sur les bancs de l’Assemblée nationale (le PCF a d’ailleurs longtemps été qualifié de
parti d’extrême-gauche). Comme nous n’avons pas pour projet de siéger à cette assemblée, ce
qualificatif « d’extrême-gauche » ne s’applique pas à la CNT. On notera que lorsqu’ils/elles se
syndiquent, les militant·es des partis d’extrême-gauche le font (comme les militant·es anarchistes)
dans toutes les organisations syndicales : CGT, FO, SUD, FSU et quelques fois CNT.

VI-3- La CNT, un syndicat d’extrémistes ?

Le projet de justice sociale, de gestion directe des travailleur·ses, ce communisme libertaire auquel
fait référence la CNT n’est évidemment pas compatible avec l’organisation actuelle de la société
basée sur l’exploitation du plus grand nombre par une minorité de nanti·es. La révolution sociale ne
peut donc se suffire d’un simple coup de peinture sur un édifice fondé sur l’injustice permanente.
En ce sens, la CNT est un syndicat révolutionnaire qui veut mettre en place un changement radical
de société. Elle n’est tout simplement pas réformiste.

Si « extrémiste » signifie surenchère démagogique, jusqu’auboutisme, refus de toutes avancées


sociales, refus de toutes améliorations des conditions de travail ou d’existence, alors il est clair que
la CNT n’est pas extrémiste. En revanche, elle est « radicale », en ce sens qu’elle s’oppose aux
fondements à la « racine » du système d’exploitation capitaliste. Toute avancée sociale, tout
nouveau droit acquis par les travailleur·ses sont bons à prendre, même s’ils ne changent pas

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Formation CNT : Histoire et valeurs

complètement et immédiatement le désordre établi. Ceux et celles qui qualifient la CNT de


« syndicat extrémiste » préfèrent la facilité du lieu commun à l’analyse des faits. L’examen
rigoureux des terrains de luttes dans lesquels les syndicats et les adhérent·es de la CNT sont
engagé·es le montre. Amélioration des conditions de travail, lutte contre la précarité, le chômage,
pour l’augmentation des plus bas salaires, tout ce qui a pu être obtenu, tout ce qui a été tenté ne
saurait suffire à remettre en cause complètement la société actuelle. Pourtant, chaque fois qu’ils-
elles l’ont pu, les cénétistes ont pris leur part dans ces luttes.

De plus, chaque fois que des travailleur·ses obtiennent quelque chose par elleux-mêmes, grâce à
leur détermination, leur solidarité et leur unité, c’est un peu de confiance qu’ils reprennent en
elleux-mêmes, un pas en avant vers la prise de conscience de la nécessité de l’action commune, de
la force de la solidarité.

VI-4- La CNT, un syndicat illégaliste ?

Les lois et particulièrement les lois dites « sociales » ne sont qu’une réglementation des rapports
sociaux à un moment donné. Une photographie d’un rapport de force actuel dans la lutte des
classes. Les lois évoluent au fur et à mesure et au gré du poids des forces antagonistes en présence.
Quand le patronat et ses allié·es sont fort·es, des lois antisociales sont votées. Quand le mouvement
social a su se mobiliser pour faire valoir ses intérêts, la loi ne vient alors qu’enregistrer un droit que
ce mouvement social a, en fait, imposé. La lutte contre une loi et la pratique de l’illégalité peuvent
donc être une nécessité pour faire avancer les droits du plus grand nombre. Les cénétistes ne sont
d’ailleurs pas les seul·es à avoir choisi, en certaines circonstances, de lutter contre une loi ou de la
transgresser. De la désobéissance civile prônée par Gandhi en Inde à la résistance « illégale »
pratiquée pendant les années noires de l’État français, des réquisitions de logements vides à la
revendication publique d’avoir avorté (quand c’était encore un délit), les exemples sont nombreux
d’actions illégales, mais combien légitimes, qui ont conduit à des libérations. Érigée en simple
principe absolu, vide de sens, en dehors de tout contexte, la lutte contre les lois pour elle-même,
comme fin en soi, n’a pas d’intérêt pour nous anarcho-syndicalistes et syndicalistes
révolutionnaires. Encore une fois, celleux qui ne veulent voir dans la CNT qu’une organisation
« d’illégalistes » feraient mieux de constater que la plus grande partie de notre activité syndicale
quotidienne consiste à essayer de faire respecter des lois, notamment les lois du travail et que l’on
verra plus certainement les syndicalistes de la CNT plongé·es dans le Code du Travail (dont ils/elles
connaissent aussi les limites) que dans un quelconque bréviaire anarchiste fantasmatique.

VI-5- La CNT, un syndicat violent ou non-violent ?

La CNT organise les travailleur·ses victimes de l’extrême violence des rapports économiques et
sociaux générée par la société capitaliste. Les premières violences et la véritable insécurité, ce sont
l’exploitation, le licenciement, le chômage, la précarité, la misère, la faim, la perte du logement..,
bref le quotidien de millions d’entre nous.

Quand, dans l’Histoire, celles et ceux qui étaient asservi·es se sont dressé·es pour se faire respecter,
pour faire valoir leurs droits, ils/elles ont eu à faire non à des interlocuteur·ices bienveillant·es, des
« hommes et femmes de dialogue », mais à des forces de répression. C’est bien plus souvent la
matraque (ou le fusil) qui sert d’argument aux classes possédantes. La réplique violente et collective
à la répression, à l’asservissement, est bien évidemment légitime. C’est même un réflexe naturel, à
moins de prôner le masochisme ou la soumission comme forme de réponse à la violence étatique ou

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Formation CNT : Histoire et valeurs

patronale. On peut feindre de le regretter, on peut faire semblant de l’ignorer, mais si les serf·fes
d’autrefois s’étaient contenté·es de chanter des Carmagnoles, nous vivrions sans doute encore sous
le règne de la féodalité. L’utilisation de la violence par les exploité·es n’est donc pas un choix moral
fait par des individu·es en dehors de tout contexte économique ou politique. C’est souvent la
réponse imposée par l’intransigeance des exploiteur·ices.

Ce recours obligé à la violence n’a rien à voir avec le terrorisme, qui n’est que l’utilisation
individuelle, aveugle, d’actions violentes au service des intérêts ou des délires politiques de
groupuscules qui s’autoproclament révolutionnaires ou d’avant-garde. Pour autant, l’amalgame
entre actions violentes et actions terroristes est depuis toujours une spécialité des médias quand ils
sont au service des forces réactionnaires. À en lire la presse française des années 1940-1944,
l’histoire de la Résistance n’est que la litanie des actions violentes menées par celleux que le
pouvoir qualifiait alors de « terroristes ».

La CNT, on l’aura compris, n’est ni « violente » ni « non- violente ». Elle tente d’organiser les
travailleur·ses pour leur émancipation et n’a donc pas pour projet de les désarmer face à des
adversaires qui n’ont, elleux, aucun scrupule pour les réprimer. Elle n’est évidemment pas non plus
le réceptacle naturel de tous celles et ceux pour qui l’usage des armes ou de la violence tient lieu de
réflexion et de pratique émancipatrice. Pour ce qui est des actions menées par la CNT, nos
détracteur·ices feraient bien de comparer la nature des actions menées par des groupements
d’agriculteur·ices, d’artisan·es ou de commerçant·es, ou simplement par des ouvrier·ères de telle ou
telle corporation, à celles dans lesquelles nos syndicats sont impliquées et que l’on pourrait
qualifier, en rapport, de paisibles.

VI-6- La CNT, un groupement d’utopistes ?

Une utopie sociale pourrait être définie comme une théorie, un ensemble de constructions
intellectuelles visant à organiser la société et qui n’a jamais été mis en pratique nulle part dans le
passé ou dont la mise en application pour le présent ou le futur est jugée impossible, irréaliste,
irréalisable. D’un autre point de vue, ce peut être une vision même lointaine vers laquelle tend le
combat humain et qui sert à la fois d’aiguillon, et « d’étoile du berger » qui, même inaccessible, est
utile et utilisée pour garder un cap.

« Jamais, nulle part ? » Vraiment ? Occultées, ignorées par l’Histoire officielle, toujours refoulées
par celleux qui ont participé à leur anéantissement (l’alliance des réactionnaires nanti·es, des
conservateur·ices, des socio-démocrates et des communistes autoritaires), des mises en pratique du
communisme libertaire ont jalonné l’histoire contemporaine (de la Commune de Paris à la révolte
de Cronstadt, des combats des partisan·es de Makhno aux soulèvements de Hongrie en 1956).
L’exemple le plus consistant de ces utopies vivantes reste, pour nous, la révolution sociale
espagnole de 1936 à 1939, mais elle n’est pas la seule.

Pendant cette période, des millions de prolétaires espagnols, levé·es contre le coup d’État fasciste
de Franco, ont su trouver les énergies, l’imagination, les compétences et la générosité pour se battre,
même abandonné·es du reste de l’Europe, contre le fascisme et le nazisme. Malgré les pires
conditions d’une situation de guerre, ils/elles ont su mettre en œuvre et organiser une société de
type communiste libertaire, démontrant que ce projet d’organisation économique et politique
pourtant complexe, pourtant exigeant en termes de participation de tou·tes au bien commun, était
réalisable. Nous sommes là loin de théories fumeuses, d’idéalismes généreux mais sans aucun lien

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Formation CNT : Histoire et valeurs

avec la réalité quotidienne, de projets inapplicables, bref d’une utopie telle qu’on la définit
habituellement dans son sens le plus réducteur. Oui, là, des milliers d’expériences ont vu jour,
collectivisant les terres dans un pays appartenant aux seul·es grand·es propriétaires agraires,
socialisant les entreprises et les fabriques, associant chaque producteur·ice qui le souhaitait à la
gestion de son travail et au partage collectif des richesses qui en sont le fruit, autogérant (avant la
lettre) les communautés humaines, villes et villages et trouvant encore les ressources pour se battre
sur tous les fronts contre les armées fascistes (espagnoles, allemandes ou italiennes).

De nos jours, en ce moment-même, des milliers de personnes s’organisent et luttent selon des
principes libertaires et auto-gestionnaires au Kurdistan, plus précisément au Rojava.

Nous, anarcho-syndicalistes et syndicalistes révolutionnaires de la CNT, sommes armé·es de ces


expériences, de cette mémoire, pour répondre à toutes celles et ceux qui ont prétendu, ou prétendent
encore, que la révolution sociale est une chimère dont personne n’aurait jamais vu l’ombre du
commencement, d’une mise en pratique. Mais nous ne sommes pas pour autant les héritier·ères de
cette vivante utopie sociale. D’abord parce qu’un projet social pour un autre futur ne se met pas en
place avec un patrimoine et des expériences historiques, même riches de leurs avancées et de leurs
erreurs. Sans passéisme ni nostalgie révolutionnaire romantique, conscient·es que l’histoire ne
repasse jamais les mêmes plats, que les sociétés ont changé et que notre effort ne sera couronné de
succès qu’à partir de nos luttes actuelles, de nos capacités à nous organiser aujourd’hui, nous
restons indécrottablement des « partageux·ses », certain·es qu’il n’y a pas de plus actuelle, de plus
raisonnable, de plus exaltante modernité.

Qu’on tente de nous démontrer que cette aspiration est irréalisable et nous nous attachons
quotidiennement à prouver le contraire. Les plus acharné·es de nos détracteur·ices savent bien que
la révolution sociale est du domaine du possible. On comprend que pour protéger leurs coffres-forts,
leurs actions, leurs pouvoirs et leurs privilèges, ils/elles n’aient de cesse de faire croire qu’il s’agit
d’une chimère. De peur que grossisse le nombre de celleux qui réalisent qu’on peut et qu’on doit se
passer de leur caste.

VII- MAIS POURQUOI « CONFÉDÉRATION NATIONALE DU TRAVAIL »


ET UN CHAT ?

VII-1- « Confédération »

Ce terme signifie que notre organisation confédère, c’est à dire regroupe, des syndicats de différents
secteurs, de différentes régions. À l’origine, la CGT d’avant 1914 (l’organisation syndicale dont
nous nous réclamons sur le plan historique) s’est constituée en confédération par la fusion des
Bourses du Travail (organisation des producteur·ices en fonction de leur lieu d’habitation) et des
syndicats (organisation économique sur le lieu de travail).

VII-2- « Nationale »

À sa création en 1946, les militant·es ont choisi de nommer leur organisation « Confédération
Nationale du Travail » en hommage bien sûr à la CNT espagnole et l’action qu’elle a menée entre
1936 et 1939. La présence de certain·es réfugié·es espagnol·es en exil n’y est pas non plus pour
rien. Plutôt que de reprendre le sigle CGT-SR, ils/elles ont opté pour celui de CNT. L’adjectif
« nationale » recouvrait en fait une réalité spécifique à l’Espagne où le découpage en régions était

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Formation CNT : Histoire et valeurs

très fort. En créant la CNT espagnole, les ouvrier·ères de ce pays entendaient signifier leur refus des
régionalismes, synonymes à l’époque de réaction, les ouvrier·ères se sentant membres d’une
communauté plus vaste. Nous sommes donc loin de l’exaltation d’un sentiment national. Pour nous,
nul relent de nationalisme ou de patriotisme. Ce n’est pas à la CNT que l’on chantera la
Marseillaise. « Nationale » décrit simplement notre champ d’action géographique. Par ailleurs, la
CNT se réclame de l’esprit de l’AIT, plus connue sous le nom de « Première Internationale ». La
CNT œuvre activement au niveau international (actions de solidarité, échange d’infos, luttes et
manifestations internationales...) pour démontrer que les travailleur·ses n’ont ni patrie ni pays.

VII-3- « du Travail »

Autre source d’étonnement pour certaines personnes ne nous connaissant pas ou peu. Le mot
« travail » ne signifie pas que nous ne syndiquons pas les chômeur·ses, les retraité·es, les
lycéen·nes, les étudiant·es. Au contraire, ce sont pour nous des travailleur·ses soit en formation, soit
au repos, soit à la recherche d’un emploi. Le mot « travail » ne correspond pas non plus à une mise
en avant du travail comme valeur morale (au sens où d’autres, aux antipodes de nos conceptions,
l’ont fait avec leur « Travail, Famille, Patrie »). En fait le terme « Travail » a été choisi à la place du
mot « Travailleur·ses » parce qu’il marque notre appartenance à un camp : celui du Travail, par
opposition à l’autre camp, celui du Capital. En revanche, nous ne syndiquons pas les forces de
police, considérées comme le bras armé de l’État et du Capital, et donc comme des ennemi·es de la
classe des travailleur·ses.

VII-4- Un chat ?

Avec le drapeau rouge et noir (inventé par la CNT espagnole à l’occasion du 1er mai 1931 à
Barcelone), le dessin représentant un chat noir – hérissé et toutes griffes dehors – est l’un des deux
principaux symboles de l'anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire.
Les origines de ce symbole ne sont pas claires mais, selon une anecdote, il proviendrait d'une grève
menée aux USA au début du XXè siècle par les IWW (Industrial Workers of the World). Alors que
plusieurs militant·es étaient tabassé·es et conduit·es à l'hôpital, un chat noir maigrelet s'installa dans
le campement des grévistes. Ces dernier·ères nourrirent le chat qui reprit force à mesure que la
grève tournait en faveur des travailleur·ses. Finalement, les travailleur·ses virent quelques-unes de
leurs demandes satisfaites et adoptèrent le chat comme mascotte. Le chat noir a été dessiné pour la
première fois par Ralph Chaplin, militant des IWW. Comme sa position le suggère, il symbolise le
combat et par extension le syndicalisme de lutte. De plus, dans l’imaginaire collectif, le chat est
souvent associé aux idées de liberté et d’indépendance.

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