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13/11/2018 1.

La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

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1. La sportivisation : l’enjeu sportif comme modèle culturel

Christelle Marsault

Christelle Marsault est maître de conférences à l’Université de Strasbourg et y enseigne l’histoire et la


sociologie de l’ .

« L’ est malade parce qu’elle ressemble trop au sport. »


Andrieu, 1992.

Qu’est-ce que la « sportivisation » ? On pourrait répondre, de façon simple, que c’est 1

l’introduction du sport en ou, plus exactement, la mise en conformité de l’


avec le sport. Mais encore faut-il préciser à quel niveau de l’ a lieu cette adhésion :
l’entrée de certaines pratiques, la conformité éthique ou la référence à une pratique
culturelle ? De quel sport parle-t-on ? De la seule activité compétitive organisée en
fédération ou de l’ensemble des pratiques physiques possibles dans la société ? De la
définition de ces deux termes dépend le lien qui les unit.

Selon Jean-Marie Brohm (1986), ce néologisme est introduit en 1968 dans la revue 2

Quel corps ? pour rendre compte de l’imposition institutionnelle et idéologique du


sport en , entraînant une crise identitaire de la discipline. La sportivisation
représente donc un processus d’assujettissement idéologique de l’ aux valeurs du
sport. Pour Michaël Attali et Jean Saint-Martin (2004 c), la sportivisation relève
d’une généralisation des pratiques physiques et sportives comme enjeu éducatif
principal à partir des années 1960. Ce terme rend compte ici d’une valorisation par
l’ des pratiques sportives de la société. Dans les deux cas, il s’agit d’un processus
de mise en norme de l’éducation physique, dans une forme identique aux pratiques
sportives dominantes de la société. Pierre Parlebas (1999) parle plutôt de
« sportification » pour décrire le processus qui transforme les jeux en sport, le sport
se définissant comme un « ensemble fini et dénombrable de toutes les situations
motrices, codifiées sous formes de compétitions et institutionnalisées » (1981). Ainsi,
la sportification serait, dans ce cas, un processus de normalisation des pratiques
physiques dans la société sous une forme compétitive organisée. Dans ce cas, il n’y a
pas seulement eu « sportification de l’ », mais « sportification des pratiques de la
société », c’est-à-dire une mise en ordre sportive des pratiques corporelles. C’est
l’idée que l’on retrouve également dans la « sportification des loisirs » chez Norbert
Elias et Éric Dunning (1994). Ce néologisme renfermerait donc une mise en forme
particulière des pratiques corporelles, non seulement visible en , mais également
au sein de la société. La « sportification » marquerait la prédominance des pratiques
sportives compétitives, codifiées et organisées au sein de la société et de l’ . La
critique d’un tel processus trouve d’ailleurs son paroxysme au moment de la
constitution d’un service public des par l’État autour du système fédéral dans les
années 1960-1970.

Les pratiques sportives ayant évolué, que renferme ce processus de « sportivisation » 3

aujourd’hui ? Est-ce le maintien d’une limitation des pratiques de référence en


aux seules situations fédérales compétitives ? Autrement dit, le processus de
sportivisation serait la condition d’une conforme aux normes sportives
compétitives (Mérand, 1970). Ou, plus globalement, est-ce la persistance d’une

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correspondance entre pratiques sportives de la société et pratiques scolaires ? Dans


ce cas, la sportivisation de l’ rendrait compte d’un lien entre les pratiques de la
société et celles de l’ . Au contraire, n’avons-nous pas vu une évolution inverse
apparaître ?

S’il en est ainsi, que doit-on entendre par « désportivisation » ? La fin du monopole 4

des pratiques sportives instituées au sein de la société ? Autrement dit, la


désportivisation toucherait l’ensemble de la société, en proposant un modèle de
pratique différent de la norme compétitive (Loret, 1996). Est-ce plutôt la
revendication de pratiques scolaires qui privilégient le développement de pratiques
non compétitives à l’école (Faucon, 2004) ? La désportivisation n’est-elle pas
davantage, finalement, dans la manière d’enseigner le sport à l’école que dans le choix
des pratiques, comme le suggèrent Michaël Attali et Jean Saint-Martin ? Si,
aujourd’hui, il existe une prise de distance par rapport au sport, est-ce la pratique qui
est écartée, son éthique, ou la culture qu’elle symbolise ? Cet écart relève-t-il d’un
rejet ou seulement d’un modelage des pratiques sportives ? Michel Delaunay (2005)
parle, quant à lui, de resportivisation dans les années 1990. Quel lien existe-t-il
finalement entre l’ et le sport ?

Contrairement à la grammaire qui apparaît comme une construction scolaire de la 5

langue (Chervel, 1998), l’ ne s’appuie pas sur un corpus de pratiques corporelles


spécifiquement scolaires. Bien que certains auteurs comme Jean Le Boulch (1971) ou
Pierre Parlebas (1999) aient défendu l’idée d’une construction spécifique de l’exercice
corporel scolaire, la discipline se fonde sur certaines pratiques sociales. Ainsi,
l’extension et la définition plus floue des pratiques physiques, sportives et corporelles
dans la société vont complexifier les rapports entre le sport et l’école. Dans ce cas, l’
obéirait à une définition sociale et culturelle du sport, elle-même évolutive.

Pour autant, il n’y a pas seulement une mise en norme sociale différente des 6

pratiques corporelles. L’école et l’ doivent redéfinir leurs missions dans des


contextes sociaux et politiques divers. Ainsi, la mise en forme scolaire des pratiques
physiques conduit à une prise de distance par rapport aux pratiques sociales de
référence (Martinand, 1983). Ce décalage semble résulter d’une redéfinition des
contenus d’enseignement de l’ selon des objectifs scolaires. Peut-on pour autant
parler de « désportivisation » ?

L’EPS : entre modèle social et forme scolaire

L’ s’apparente-t-elle plus au modèle social des pratiques sportives ou se définit- 7

elle plutôt par sa forme scolaire ? Les enjeux identitaires de l’ se situent à deux
niveaux, c’est-à-dire dans la mise en norme de la pratique corporelle scolaire et dans
la mise en forme du sport. Nous allons montrer que le choix des pratiques de
référence est plus vaste et suit ainsi l’évolution des pratiques sociales. Cependant, si
la norme sportive domine l’ , la distance au sport doit se comprendre par une triple
mise en forme : éducative, didactique et pédagogique.

Tout d’abord, les sont traitées au niveau éducatif. Pourquoi, selon les périodes, 8

seulement certaines activités sont-elles pensées comme éducatives ? De plus, la place


occupée par les activités physiques varie à l’école en fonction des indicateurs. Elle
rend compte de logiques éducatives diverses qui donnent un rôle différent à la
pratique sociale. Enfin, malgré le développement de nouvelles formes de cultures
sportives, la référence fédérale reste dominante en éducation physique.

Lorsque ces activités sont traitées au niveau didactique, l’enseignant peut choisir 9

certains contenus au détriment d’autres, et peut modifier la nature sociale de


l’activité pour servir des finalités différentes (Leziart, 1997). Les conditions scolaires
de présentation de l’activité physique évoluent en fonction des objectifs de la
discipline. Cependant, on peut se demander si la didactique n’a pas pour fonction de

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mettre les activités sociales dans une forme proche de la tradition scolaire, c’est-à-
dire finalement les faire admettre comme éducatives.

Quant au traitement pédagogique de l’activité, il s’attache plus à présenter les 10

contenus d’enseignement sous des formes différentes en fonction des caractéristiques


des élèves. Les différences de niveau ou de besoin des élèves justifient, dans ce cas,
une présentation distincte de la pratique sociale. Mais le traitement trouve ses limites
dans la conservation d’une nécessaire conformité à la référence sportive.

Ainsi, chaque niveau de mise en forme est susceptible de créer une distance par 11

rapport à la forme sportive. Nous verrons que, si ces trois niveaux de mise en forme
varient au cours du temps, ils varient également en fonction de la pratique scolaire
étudiée, c’est-à-dire l’ ou les pratiques sportives scolaires. Il n’est donc pas
possible de répondre de façon globale à la question de la sportivisation.

Les textes : entre confusion légale et distance corporatiste

Si l’on en croit les discours (notamment syndicaux [1]


), la place accordée à l’ ne 12

cesserait de diminuer [2]


. Cependant, au regard des trente dernières années, il semble
au contraire que la pratique de l’ et du sport à l’école ait augmenté. En effet,
pratiquement toutes les formations scolaires et universitaires offrent aujourd’hui de
l’éducation physique et du sport aux élèves, sous forme volontaire ou obligatoire. Seul
le volume horaire dans le système scolaire secondaire semble baisser par rapport aux
cinq heures d’ préconisées dans les années 1960 [3]
. Cette réduction d’heures est en
revanche compensée par une place plus grande accordée au sport sous des modalités
différentes, et surtout optionnelles. Ainsi, le volume horaire est différent si l’on prend
en compte seulement la pratique de l’ obligatoire ou l’ensemble des pratiques
sportives proposées au cours du cursus d’un élève.

La corporation et le système politique ne s’accordent pas sur ce que recouvre 13

l’éducation physique à l’école car le système politique français et européen globalise


sport et , tandis que la corporation des enseignants d’ marque une nette
différence. Cette confusion perdure dans les textes. La loi assimile l’ au sport, les
textes professionnels (comme les instructions officielles) les distinguent. En effet,
légalement, l’ se définit comme l’enseignement des . La définition juridique
rejoint une définition sociale qui assimile l’enseignant d’ au « prof de sport ». À ce
modèle sportif, la corporation s’attache, dès les années 1960, à marquer la différence.
Dans la circulaire du 19 octobre 1967 (BOEN no 41 du 2 novembre 1967), cette
différence entre et est clairement soulignée. Ainsi, « l’ ne doit plus être
confondue avec certains des moyens qu’elle utilise ; lorsqu’elle se constitue en
matière d’enseignement, il y a lieu de parler, pour désigner l’ensemble de ces moyens,
d’activités physiques et sportives » (programmation des , 1977). Dans la loi no 75-
988 dite loi Mazeaud du 29 octobre 1975 relative à l’organisation de l’ et des sports,
la discipline s’inscrit dans le service public des (Langlois, 1976) : « Les font
partie intégrante de l’éducation. Dans l’enseignement du premier et du deuxième
degré, tout élève bénéficie d’une initiation sportive. » Malgré le changement de tutelle
ministérielle, la loi no 84-610 dite Avice du 16 juillet 1984 sur la promotion des
réitère la mission de l’ comme l’ « apprentissage des ». La place des pratiques
sportives est aussitôt reformulée : « Les pratiques sociales constitutives du champ des
sont des pratiques de référence et non des moyens de l’ » (Pineau, 1984).
L’arrêté du 14 novembre 1985 entérine de même la distance entre sport et . Alors
qu’un glissement d’une définition politique et sportive vers une définition
professionnelle et scolaire semble se réaliser dans les années 1990, la remise en
question des textes de 1993 (arrêté du 24 mars 1993) et de 1999 (arrêté du 12 août
1999) au motif qu’ils s’éloignent trop de la référence sportive semble révéler un
mouvement inverse de la corporation. La pratique sportive doit rester une référence
culturelle incontournable de l’ (Rouyer, 1995 d). La différence entre et
semble encore difficile à trouver pour Claude Pineau et Henri Sérandour (1994). Si

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l’on en croit le doyen de l’Inspection générale de l’ et le président du , ce ne


serait pas la forme mais les motifs qui différencieraient les pratiques.

Ainsi, au modèle sportif prôné par le système politique dans les textes législatifs, 14

répond celui de la corporation qui revendique une certaine distance éducative, tout
en reconnaissant sa valeur culturelle. On comprend dès lors combien le rôle tenu par
les pratiques sportives en va être ambigu. Tout se passe comme si la corporation
profitait de son importance politique et culturelle et cherchait à convertir l’intérêt
social pour le sport en intérêt corporatif pour une spécifique.

Le sport à l’école : entre sport éducatif et éducation sportive

Les pratiques sportives ne jouent pas un rôle identique selon les différentes modalités 15

volontaires ou optionnelles qui accompagnent l’enseignement obligatoire en .


Parallèlement à une pratique d’éducation physique, des modalités sportives se
développent à l’école : le sport à l’ , le sport optionnel ou les sections sport-
études. Il est alors difficile de parler du sport à l’école tant sa place et sa fonction sont
variables selon les modalités. Si les différentes modalités semblent marquées par la
diversification sociale des pratiques, les modèles du sport scolaire se différencient de
ceux du sport optionnel. Tout se passe comme si le traitement éducatif de la pratique
sportive dans le cadre optionnel était d’autant plus marqué par la corporation que
l’option sportive se présente comme une compensation de la pratique obligatoire
imposée par le système politique à des fins d’économie. En revanche, la pratique
sportive à l’ défendue par la corporation (et souvent remise en cause par le
système politique) se présente comme le maintien d’un lien avec le monde sportif.
Sport optionnel et sport scolaire ne relèvent pas des mêmes enjeux politiques.

Le sport scolaire : entre finalité sportive et scolaire

Le sport scolaire offre une certaine manière de pratiquer le sport à l’école, qui repose 16

sur un choix volontaire de l’élève. Son histoire se présente comme un objet de luttes
politiques pour la conservation d’une pratique sportive volontaire de la part des
enseignants, quand le système politique cherche à faire des économies de moyens. Le
résultat de cette lutte offre une multitude de facettes au sport scolaire, lui permettant
d’asseoir une légitimité institutionnelle, mais ne facilitant pas son identité. Comme le
souligne Jean-Michel Delaplace (1987), « la spécificité du sport scolaire tient à cette
double situation, celle de l’ancrage dans le monde éducatif et celle de l’appartenance
potentielle au monde sportif ». Jacky Bordet (1999) propose des étapes dans l’histoire
de l’association sportive révélant différents modèles : formation de l’élite sportive,
formation associative ou formation de gestionnaire.

Dans les années 1970, le sport scolaire se présente comme un système compétitif 17

parallèle au monde sportif prônant une concurrence entre les établissements


scolaires. Ce modèle proche du système fédéral subit de plein fouet les restrictions
budgétaires qui touchent également le milieu sportif. Un combat entre gouvernement
et syndicats s’ouvre avec le décret du 7 septembre 1973 qui supprime les trois heures
forfaitaires d’encadrement. Le gouvernement renouvelle ses attaques par le décret du
31 août 1978 qui stipule que son encadrement n’est pas obligatoire pour l’enseignant,
ce dernier doit en faire la demande. La circulaire du 10 janvier 1980 porte encore
atteinte à l’ , l’enseignant doit justifier de 30 licenciés pour animer son association.
Cependant, le changement de gouvernement en 1981 va suspendre les mesures contre
le sport scolaire. Alain Savary rétablit le forfait de trois heures consacré à l’ dans le
service des enseignants, par la note de service du 6 juillet 1981.

L’imitation du modèle sportif fédéral offre une impasse. Le sport scolaire bascule vers 18

une identité plus scolaire. L’association sportive se rapproche des objectifs de l’ .


Son organisation imite celle de l’ (décret des 13 et 14 mars 1986 portant création
des projet d’ ). La programmation officielle des activités de l’ pour la période
1994-1997 s’est attachée à présenter les activités dans la même configuration que les
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groupements proposés en « afin de permettre aux enseignants d’articuler leur


projet d’ avec leur projet d’ »( , 1993). Ainsi, la politique scolaire du projet
redéfinit les pratiques sportives de l’ pour répondre à des fins éducatives
spécifiques de l’école. L’association sportive n’est plus le maillon intermédiaire qui
sélectionne les meilleurs en pour alimenter le sport fédéral. Elle se présente
comme un complément de formation de l’ . La présentation à travers un projet
éducatif montre une continuité de la pratique entre et . En s’appuyant sur le
caractère éducatif du sport, l’ et l’ partagent des finalités communes, des
pratiques souvent identiques, mais revendiquent des moyens pédagogiques différents
(apprentissage et développement contre animation et entraînement). L’ se
positionne également en complément de la pratique fédérale en favorisant la pratique
des plus faibles et le développement de la vie associative. L’ quitte le modèle
fédéral élitiste pour une multipratique sportive. C’est sur l’engagement dans le
fonctionnement associatif que l’association sportive se différencie du milieu sportif.
« L’ a pour but de développer l’apprentissage de la vie associative par les élèves
(décrets 13 et 14 mars 1986). » Même si ce versant de la prise de responsabilité et de
la citoyenneté est peu répercuté au sein des où les élèves se comportent encore
majoritairement comme des consommateurs de sport, des initiatives émergent dans
différents établissements et districts pour faire participer les élèves à la gestion et à
l’arbitrage. L’ offre en réalité deux images en créant un championnat de
« masse » aux côtés du championnat « élite ». Les calendriers des deux compétitions
ne s’organisent pas de la même façon. Pour l’ « élite », la même pratique s’étend sur
toute l’année, comme un championnat fédéral. Pour la « masse », les pratiques se
suivent en différents cycles à l’image de l’ .

Mais l’ est de nouveau menacée par des économies d’heures, suite au rapport 19

Leblanc (2001) qui l’accable. Pour justifier son rôle, elle inscrit ses missions dans le
modèle du sport intégrateur. « Investie d’une mission de service public à finalité
éducative et sociale, l’ contribue à aider chaque élève à élaborer son projet
personnel, à lui permettre de vivre en harmonie avec l’école et de s’insérer dans le
tissu social de la cité » (Programmes sportifs, 2001-2004, Paris, , 2000). La
prise en compte des projets personnels de l’élève va conduire à une ouverture aux
différentes formes de pratiques sociales et amplifier l’identité multiple de l’ . De
nouvelles pratiques se diffusent comme le badminton ou l’escalade. L’ marque sa
différence avec le sport fédéral par le maintien d’une pratique multiple et d’une
pratique collective (les championnats scolaires n’opposent que des équipes). La
représentation de l’établissement et ses résultats sportifs diminuent au profit d’une
convivialité qui se renforce dans les rencontres interétablissements (comme dans les
Jeux de l’ , puis les Jeux de l’avenir). L’identité de l’ passe de plus en plus par
l’engagement des élèves dans une conduite citoyenne et responsable (Charte du sport
scolaire, 1998) et participe à la construction d’une ambiance conviviale au sein de
l’établissement. L’identité sportive de l’ éclate ainsi en différents modèles de
pratiques dépendants des acteurs locaux (Riehl, 2001) : pratiques sportives
compétitives, rencontre interhumaine ou découverte de soi. L’existence même de
l’ se joue aujourd’hui au niveau local. En effet, il revient à chaque établissement
de justifier l’intérêt de la pratique de l’ pour conserver son encadrement. Le
décret de Robien du 13 février 2007 assujettit l’existence du forfait enseignant pour
l’encadrement de la pratique à la justification de son utilité au sein de chaque
établissement. L’ devient un élément de l’identité de l’établissement.

Ainsi, l’ a diversifié ses pratiques en intégrant de nouvelles modalités sociales et 20

en tenant compte des nouvelles finalités scolaires. Elle est passée d’une mission de
sélection de l’élite sportive à des missions éducatives, notamment citoyennes.
Instrument de politique sportive, l’ est devenue un instrument de politique
d’établissement. Cependant, la définition d’une identité propre reste difficile à
trouver entre les enjeux sportifs, scolaires et économiques (Gougeon, 2000). Ainsi, au
niveau politique, la remise en cause permanente du sport scolaire est aussi tenace que
le maintien systématique du sport optionnel.

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Le sport optionnel : entre enjeux politiques et éducatifs

Le sport optionnel ne se présente pas dans un même contexte politique que le sport 21

scolaire. Il bénéficie d’un appui politique renouvelé dans le but de compenser le


déficit horaire institué par les textes au sortir de la guerre. Malgré cette différence
politique, il va subir les mêmes transformations sociales – à savoir, la même
extension des modes d’entrée dans la pratique. En revanche, sa place va se trouver
transformée : d’une pratique extérieure prise en compte au moment de l’évaluation à
une pratique valorisée dans un parcours scolaire différencié. Le sport optionnel qui se
présente comme l’ombre de la privatisation planant sur la corporation va
progressivement retrouver une fonction éducative à part entière dans le cursus de
l’élève volontaire. Il se présente sous différents modèles de politiques scolaires.

Alors que l’ et le sport se partageaient dans les années 1960 la pratique physique à 22

l’école (deux heures d’ et la demi-journée de sport, circulaire du 21 août 1962), la


massification scolaire va avoir pour conséquence une réduction des moyens
(circulaire du 9 septembre 1971). Le sport optionnel se perçoit moins comme une
activité complémentaire que comme une atteinte aux prérogatives de l’enseignant
d’ à l’école. La création des (circulaire du 1er juillet 1972) va poser un
problème à la corporation (Combeau-Mari, 1995). Cette réforme propose
l’introduction d’intervenants extérieurs pour combler le déficit d’enseignants, la prise
en compte de compétences acquises en dehors de l’ et validées par le chef
d’établissement, et, enfin, la mise en place de pôles d’organisations intégrées à partir
des installations sportives entre les différents utilisateurs. Elle avait clairement pour
objectif de concentrer les moyens octroyés au sport en rassemblant l’ et le sport
dans une même organisation. Une telle mesure a enflammé la corporation qui voyait,
en elle, la fin de leur monopole sur la pratique scolaire et le renvoi de son
encadrement vers des organismes privés. La loi Mazeaud de 1975 apporte une
nouvelle définition des pratiques sportives à l’école et notamment du sport optionnel
qui sera défini par la circulaire du 10 mai 1977. La création des par la circulaire du
24 mars 1977 sera de nouveau considérée par les enseignants comme une atteinte à
leurs prérogatives. Ainsi, le modèle d’un sport optionnel se confondant au sport
fédéral est ressenti comme une menace pour les enseignants.

Cette peur sera atténuée par le changement de tutelle ministérielle en 1981. Toutefois, 23

les pratiques sportives à l’école en dehors de l’ ne disparaîtront pas pour autant. La


mise en place des activités sportives spécialisées en lycée (note de service du 13 juillet
1982) est un exemple. De plus, la loi du 16 juillet 1984 confirme l’organisation du
sport de haut niveau dans le second degré. Comme les sections « sport-études »
créées par la circulaire du 15 novembre 1973 (BOEN no 45 du 6 décembre 1973), l’
« option sportive » est à l’effigie du sport fédéral. Ce sont des pratiques sportives
enseignées dans un objectif compétitif et encadrées par un personnel reconnu dans le
milieu fédéral. Le baccalauréat ouvrira même une option sport. Ainsi, dans les années
1980, si l’ marque sa distance au milieu sportif, l’organisation d’un sport compétitif
sur le modèle fédéral perdure à l’école. Les deux modalités coexistent aux examens,
mais l’une est obligatoire et l’autre facultative.

La véritable preuve de l’intégration du sport dans le cursus scolaire se réalise par 24

l’incorporation du sport optionnel dans les parcours différenciés des élèves au même
titre que les autres matières. Il ne s’agit plus de faire reconnaître un investissement
extérieur ou de poursuivre un objectif sportif extrascolaire, mais de développer de
véritables compétences dans le domaine des ou à partir de ce domaine. C’est par
exemple le cas des ateliers de pratiques (note de service du 30 mars 1992). L’accès
n’est plus assujetti à un niveau de pratique préalable et la mise en œuvre pédagogique
est différente d’un entraînement sportif. C’est une nouvelle formule qui renvoie à une
politique scolaire décentralisée. Cette idée se retrouve dans les « classes sport » en
collège ou l’option au baccalauréat (arrêté du 17 février 1995). Les pratiques
sportives occupent une place plus importante et se diversifient. Les programmes de
seconde du 6 août 2000 offrent une multiplication des manières de faire du sport à
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l’école en proposant un enseignement de détermination, un enseignement optionnel,


en plus de l’ et de l’ . Le sport à l’école s’organise selon des manières
différentes comme l’entretien, l’initiation ou l’entraînement. Ces différentes
modalités tendent toutes vers une spécialisation sportive, mais dans plusieurs (au
moins deux).

Ainsi, il est difficile de parler globalement de la place du sport à l’école. Sa place 25

ambiguë et complexe révèle une multiplication de ses fonctions sociales : politique,


ludique, culturelle, éducative (Pociello, 1999). Si « le sport, c’est la motricité ludique
approuvée et consacrée par l’institution » (Parlebas, 1995), alors l’institution scolaire
consacre une part au sport variable selon les modalités et le retraite en fonction
d’usages différents. La multiplication de ces modalités sportives à l’école rend confuse
la définition d’une éducation physique scolaire. Non seulement la part de l’éducation
corporelle est délicate à calculer, mais encore les pratiques et ses intérêts éducatifs
sont difficiles à circonscrire. Les limites du sport à l’école varient d’un élève à l’autre,
d’un établissement à l’autre et d’un enseignant à l’autre.

Les classifications : entre logiques culturelles et éducatives

Si l’on s’intéresse à l’ proprement dite (c’est-à-dire aux heures d’enseignement 26

obligatoires), nous avons montré que les instructions comme les discours de la
corporation revendiquent une distance à la pratique sportive. Pourtant, si l’évolution
des classifications met en évidence des logiques différentes de classement des ,
elle révèle également une référence sportive constante dans les programmations en
. En effet, ces logiques ont glissé de logiques internes aux vers des logiques
centrées sur l’individu, ce qui peut laisser croire à une prise de distance avec la
référence sportive. Toutefois, le rejet des classifications ne faisant pas directement
appel à une logique sportive (comme celles de 1993 ou de 1999) dévoile un
attachement de la corporation au modèle culturel sportif. Par ce qu’elles incluent et
ce qu’elles excluent (Defrance, 2006), les classifications offrent un éclairage des
frontières de l’ . Certaines activités accèdent à une dignité scolaire quand d’autres
disparaissent. L’analyse des classifications montre une certaine perméabilité sociale.
Tout se passe comme si l’intérêt éducatif des activités changeait selon des modèles
différents de culture corporelle.

Les instructions officielles de 1967 (circulaire du 19 octobre 1967) distribuent les 27

sports selon les qualités et les capacités nécessaires à leurs pratiques. La gymnastique
contribue à la prise de conscience du corps ; les jeux sportifs collectifs, au
développement de l’initiative et du sens de leur responsabilité dans le groupe. Une
planification des activités est définie pour chaque niveau d’étude et différenciée par
sexe. Par exemple, la programmation propose plus de danse et de gymnastique non
sportives pour les filles (en 6e et 5e, 34 heures contre 8 heures 30) et plus de sport de
combat pour les garçons (8 heures 30 contre aucune pour les filles). Pour la même
pratique, les objectifs diffèrent : le rendement musculaire en gymnastique non
sportive est réservé aux garçons tandis que les filles vont y développer plutôt la
souplesse articulaire. Ainsi, le choix des pratiques est défini en fonction de leur valeur
éducative, entendue ici comme le développement des capacités spécifiques de l’élève.
Chaque activité contribue naturellement pour une part importante, moyenne ou nulle
au développement de certaines qualités physiques. Les enseignants programment des
objectifs visant le développement de l’élève et planifient des sports, mais également
des pratiques plus traditionnelles comme des jeux présportifs, les gymnastiques non
sportives ou l’ . Ainsi, les pratiques sportives et non sportives sont programmées
en fonction des qualités supposées être développées par ces activités en vue
d’atteindre des objectifs socialement définis (différents d’un sexe à l’autre). Les
instructions de 1967 consacrent les activités sportives compétitives (Parlebas, 1976)
comme représentatives des activités de loisir aux côtés de formes plus traditionnelles
de la pratique.

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Le modèle sportif fédéral est devenu le modèle culturel des instructions officielles du 28

12 décembre 1985 pour le collège. La nécessité de programmer des cycles d’activités


provenant de sept familles différentes correspond à une volonté d’offrir une diversité
culturelle parmi les pratiques institutionnalisées. Les groupements répartissent les
selon des équivalences techniques et réglementaires propres au mouvement
sportif. Les pratiques sont regroupées en fonction de caractéristiques communes liées
à leur lieu de pratique (athlétisme, gymnastique, natation, plein air) et leur logique
interne (sports collectifs, sport de combat ou ). La logique interne des
constitue l’essence de l’activité et se définit à partir de ses traits culturels typiques
(Parlebas, 1991 a). Peut-on alors parler d’une désportivisation dans les années 1980 ?
La distance au sport n’est pas dans la représentation des activités, ni dans leur choix.
De ce fait, lorsque la mise en forme scolaire est la plus importante (Arnaud, 1983), la
mise en norme sportive l’est également (Brohm, 1986). La logique culturelle se
poursuit dans l’arrêté du 14 mars 1986 (instructions pour les lycées), par
l’introduction de nouvelles modalités de pratiques. Ainsi, l’ « fonde son
enseignement sur des pratiques s’inscrivant dans l’organisation sociale d’activités de
compétition, de loisir, d’entretien et d’expression ». La programmation des dans
les années 1980 marque une phase sportive clairement identifiable relevant de la
culture sportive instituée. Cette logique culturelle se poursuit dans l’arrêté du 18 juin
1996 qui propose huit groupements d’activités en distinguant les sports de raquette
des sports de combat. Chaque catégorie regroupe une diversité de modalités. Par
exemple, les activités gymniques comprennent la gymnastique sportive, la
gymnastique rythmique, l’acrogym, l’aérobic… toutes les activités postulant une
motricité gymnique (Goirand, 1987 a). La diversification des modalités sociales
modifie la référence culturelle. « Devant ce phénomène de création de formes
nouvelles, les schémas anciens définissant les ne fonctionnent plus. Nous devons
redéfinir à la fois ce qu’est la gymnastique et le périmètre des relevant de cette
définition plus extensive » (Goirand, 1987 b). La musculation (disparue depuis 1985)
refait son apparition dans les classifications en même temps qu’est reconnu le champ
des « activités physiques d’entretien » (arrêté du 25 septembre 2002, programme
pour les , et baccalauréats professionnels). Cette nouvelle répartition en
« neuf champs de pratique » répond à l’objectif d’ « accès au patrimoine culturel ».
Dans ce modèle, l’intérêt éducatif de la pratique est lié à sa valeur culturelle. Mais
qu’est-ce qui lui donne cette valeur culturelle ?

En effet, l’ouverture vers les différentes formes culturelles de la pratique dans la 29

société est cependant limitée. Toutes les pratiques n’y figurent pas. Si « l’ au
collège met l’élève en contact avec un grand nombre d’ », on peut alors se
demander pourquoi, par exemple, les sports de rue ne figurent pas dans les dernières
classifications alors même que la sécurité est un objectif important en . Certaines
pratiques tardent à être reconnues (comme les activités de bien-être). Tout se passe
comme si la logique culturelle s’appuyait sur la reconnaissance d’une culture sportive
à l’école de type fédéral, en décalage par rapport au développement d’une culture
physique différente dans la société. Malgré les revendications culturelles, les
pratiques en sont en décalage avec celles de la société. Comme le soulignait déjà
Jean-Paul Puyo en 1982, « le prof de gym devient de plus en plus le gardien de
pratiques aujourd’hui dépassées et les gymnases se transforment en musées du sport.
Que représente le grimper de corde face à l’audience des sports californiens » ? La
valeur culturelle des pratiques résiderait dans leur caractère traditionnel, c’est-à-dire
être traditionnellement enseignées en . Alain Derlon (1989) observe ainsi une
« suprématie sans partage des traditionnelles ». Claude Pineau reconnaît
d’ailleurs la « place fondamentale en de l’athlétisme, de la natation et de la
gymnastique » (1984). En outre, l’extension des pratiques en ne fonctionne pas
de façon parallèle au champ social des pratiques corporelles. Alain Derlon (1989)
parle même d’inversion du social lorsqu’il montre que la hiérarchie des pratiques
sociales est différente de celle de l’ . Tout se passe comme si l’intérêt éducatif des
activités physiques porté par le modèle culturel trouvait sa légitimité dans le
traditionalisme institué du monde fédéral sans pour autant le reproduire strictement.

https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_MARSA_2009_01_0005 8/26
13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

À cette première rupture entre les pratiques de la société et celles de l’ (Bessy, 30

1991), s’ajoute une présentation différente des activités, plus centrées sur l’activité du
sujet. Cette deuxième rupture va s’observer dans les nouvelles logiques de
classification qui émergent en 1993 et 1999. Le « schéma directeur des programmes »
(Hébrard, Pineau, 1994) est un exemple de classification faisant appel à une logique
non sportive (Pineau, 1992) qualifiée de « développementaliste » car centrée sur le
développement de l’enfant. Cette classification en cinq domaines d’action ne se
réalise plus en termes de caractéristiques d’ , mais en termes d’effets recherchés :
les pouvant entrer dans différentes catégories selon le traitement didactique. Par
exemple, la natation peut être considérée comme une activité de production de
performance lorsqu’il s’agit d’améliorer sa vitesse sur 50 m (domaine 1). Elle peut
également se concevoir comme une activité de création de forme lorsqu’elle fait
référence à des gestuels de natation synchronisée (domaine 2). Elle permet de
développer des activités de coopération ou d’opposition s’agissant du water-polo ou
du relais (domaine 3). Enfin, la natation en rivière (hydrospeed) nécessite
l’adaptation à un milieu changeant (domaine 4). Il est possible de décliner ainsi les
différentes activités selon la finalité poursuivie par le pratiquant. « L’attention est
portée sur les déterminants du geste et non sur le geste lui-même » (Dufor, 1998).
Cependant, cette nouvelle classification va faire l’objet de nombreuses critiques. Si
l’effet produit sur l’élève constitue la logique éducative, certains effets n’apparaissent
pourtant pas comme le plaisir, la convivialité ou l’hygiène en oubliant, entre autres,
les activités de bien-être ou celles produisant du vertige (benji ou acrobatie). La
logique des domaines est en fait centrée sur le mode d’investissement de l’activité (en
termes de conduites socialement signifiantes pour le pratiquant, c’est-à-dire les
conduites socio-motrices selon Pierre Parlebas). Mais s’agit-il d’effets produits par
l’activité elle-même (une fois l’individu formé comme en 1967) ou d’effets produits
par l’apprentissage de cette activité (la manière dont l’activité est apprise) ? Par
exemple, la natation pour un débutant relève-t-elle d’un milieu stable (sans
incertitude sur la production de la performance) ou d’un milieu plutôt instable (d’un
point de vue moteur, par la fuite des appuis) ? Bien qu’organisé sur la logique du
sujet, les activités motrices proposées aux élèves se réfèrent cependant aux formes
sportives comme le souligne Gil Mons (1996) : « Le texte veut dégager l’ de la
référence aux pratiques sportives de haut niveau, mais les domaines d’action
s’illustrent par l’exercice des pratiques d’expert. » La classification relève d’une
logique éducative de type cognitive, s’intéressant à la manière de penser l’activité
pour l’élève (Récopé, 1996), mais réduisant l’analyse aux activités sportives
traditionnelles. En offrant une logique de présentation différente de la logique
sportive, cette classification a soulevé des critiques (Rouyer, 1995 b) et une
incompréhension auprès d’un certain nombre d’enseignants en exercice. Devenue
prescriptive dans l’arrêté du 24 mars 1993, elle sera rapidement écartée par l’arrêté
du 22 novembre 1995. Le schéma directeur des programmes a-t-il été pour autant un
rendez-vous manqué (Parlebas, 1998) ? Pas si sûr. Les domaines d’action ont ouvert
la voie à d’autres manières de présenter les pratiques. C’est le cas de l’arrêté du 12
août 1999 qui offre, à nouveau, un répertoire différent des activités en deux
catégories : les activités physiques de développement personnel et les activités
physiques de performance. Ce texte tente également de tenir compte des intentions
de l’apprenant, non seulement dans sa manière de pratiquer, mais aussi dans sa
relation avec les autres (Klein, 2000). Cette classification a également été abrogée et
remplacée, après des levées de boucliers syndicales identiques. Une classification
centrée sur des logiques différentes de la culture sportive semble difficilement
acceptable par la corporation. Pourtant, les domaines d’action sont repris dans les
textes suivants sous la forme de compétences culturelles (arrêté du 31 août 2000)
éclairant le sens attribué par l’élève à sa pratique. Ils se retrouvent dans l’arrêté du 9
avril 2002. On peut alors s’étonner qu’une classification rejetée du fait de sa distance
à la culture sportive soit reconnue ensuite à travers des compétences culturelles.
Ainsi, le débat sur l’intérêt éducatif des pratiques s’organise autour d’un enjeu
culturel qui révèle cependant des définitions variables de la culture.

https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_MARSA_2009_01_0005 9/26
13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

De ce fait, toute classification supposant une conception des pratiques et de leur 31

usage suscite autant de critiques au tournant du siècle. La multiplication des


références sportives et l’extension de leur usage par un traitement didactique rendent
vaines toutes classifications. Une même activité peut avoir des rôles, des effets et des
objectifs éducatifs différents en (Soler, 1996). Aussi, il est devenu difficile
d’imposer une logique de répartition, tant il existe plusieurs manières de définir une
. L’enseignant peut donc les répartir en fonction de leur objet culturel, de l’effet
supposé sur l’élève, du mode d’entrée dans l’activité de l’élève, des ressources
mobilisées ou des émotions suscitées (Gagnaire, Lavie, 2007). L’idée d’un
programme qui concilie différentes logiques éducatives dans une même classification
est abandonnée. L’arrêté du 31 août 2000 ne propose plus que deux ensembles
d’activités. L’ensemble commun comprend dix-neuf activités dénommées
explicitement (badminton, handball). La logique est celle d’une harmonisation à
partir des activités les plus souvent programmées. L’ensemble complémentaire
regroupe des activités spécifiques à l’établissement et marque une volonté de
différencier les menus d’activités d’un établissement à l’autre. Cette nouvelle
classification ne cherche plus à imposer une logique éducative particulière, mais
s’efforce de faire taire des conflits au sein de la corporation. Tous s’accordent pour
mettre en forme le sport sans s’accorder sur la mise en forme à privilégier. Celle-ci est
finalement laissée à l’instigation de l’enseignant et de son équipe pédagogique.
L’arrêté du 9 avril 2002 confirme la logique « conventionnelle » de la nouvelle
classification de vingt-sept épreuves qui constitue le référentiel national. Ce
référentiel est décomposé en neuf « champs de pratiques » (qui reproduisent la
logique sportive) et renvoie à cinq « composantes à dimensions culturelles » (qui
rappellent la logique du sujet). Finalement, les classifications résultent d’une
accumulation de différentes logiques éducatives. Elles peuvent se comprendre
comme la conséquence d’un rapport de force entre différentes représentations de
l’ qui s’objectivent dans la qualification éducative des pratiques. Tout se passe
comme si elles ne servaient pas tant à qualifier les pratiques d’un intérêt éducatif qu’à
légitimer, à travers cette qualification, de nouvelles conceptions de la discipline.

L’introduction des pratiques d’entretien au baccalauréat peut laisser croire à une 32

ouverture sur les pratiques sociales de bien-être. Cependant, ces dernières sont
redéfinies en fonction de schémas traditionnels de l’ . Par exemple, le Step en 2007
se présente sous la forme d’un enchaînement gymnique quand la musculation
reproduit une logique de production (et de prédiction) de performance. Quelle est la
logique d’entretien de son corps ? Malgré les bonnes intentions prônées en 1996 par
le doyen de l’Inspection générale de l’ pour une ouverture culturelle vers « des
pratiques plus anciennes, régionales, étrangères ou de bien-être » (Rouziès, 1996), les
logiques traditionnelles opérant sur la définition des pratiques perdurent. Comme le
souligne Geneviève Cogérino (1998), « il existe des obstacles à la pénétration des
pratiques d’entretien qui fonctionnent comme des rationalisations qui masquent
d’autres obstacles liés à des représentations ».

La comparaison entre les différentes programmées selon les enquêtes (Crevoisier, 33

Vernet, 1980 ; Bertrand, 1986 ; Bessy, 1987 ; Derlon, 1989) montre une évolution des
choix offerts : plus de groupements, plus d’activités institutionnalisées à l’intérieur de
ces groupements, plus de modalités différentes et plus de conditions d’enseignement
variées. Les classifications révèlent ainsi une ouverture sur les pratiques sociales.
Toutefois, si « les sept sports de base ne correspondent ni à un meilleur
apprentissage moteur, ni à la meilleure préparation aux loisirs » (Parlebas, 1991 b),
pourquoi prédominent-ils encore dans la programmation des enseignants ? De plus,
si le traitement de l’activité rend celle-ci éducative, on peut se demander pourquoi
toutes les activités ne figurent pas dans les dernières classifications.

Ainsi, le sport est un « moyen » dominant la culture des loisirs permettant d’atteindre 34

les objectifs en 1967. Il mute en un « support » privilégié de la culture institutionnelle


pour des contenus d’enseignement en 1985. Dans les années 1990, il devient une
« référence sociale » traditionnelle qui donne du sens à l’apprentissage de
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13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

compétences méthodologiques et culturelles. Au tournant du siècle, les pratiques


sportives s’organisent en champs culturels symboliques. Michel Delaunay (2005)
parle de vecteur d’éducation. La pratique sportive devient un objet de culture
symbolique favorisant la communication de savoirs. Le changement des termes
semble indiquer une prise de distance avec le milieu fédéral et social. La distance se
retrouve parfois dans le vocabulaire (pentabond), dans les pratiques (cirque) ou dans
une diversité de présentation de l’ (Gal, 1996). Elle rend compte surtout d’une
signification différente de la culture légitime selon les contextes sociaux.

Les contenus d’enseignement : entre modèle social et personnel

La place du sport reste ambiguë, y compris dans la définition des contenus 35

d’enseignement. La mise en forme scolaire tend à rejeter les techniques sportives.


Cependant, leur permanence dans l’enseignement de l’ révèle un attachement de
la corporation aux formes sportives de la culture corporelle. Finalement, ce ne sont
pas tant les contenus qui changent que leurs justifications selon les modèles. Le
modèle productif fait une large place aux techniques sportives qui permettent
d’accroître les potentialités de l’individu. Il cède la place à un modèle plus scolaire
centré sur l’habileté motrice. La technique est réduite au rang d’illustration de
principes d’efficacité gestuelle. Elle est réhabilitée dans le modèle des compétences
comme une des ressources mobilisables.

Dans les années 1970, le modèle technique est identifié comme le modèle d’efficacité 36

par excellence. Il permet de démultiplier les forces productives de l’individu visant


une performance physique : sauter plus loin, courir plus vite… Le traitement
pédagogique est avant tout une manière de décomposer la forme gestuelle du haut
niveau pour le rendre plus assimilable. L’efficacité des gestes reste cependant
superficielle car la technologie sportive ne s’intéresse qu’à la forme du geste qu’il
s’agit de reproduire (Goirand, 1987 b). Face aux critiques technicistes (Cousty, 1980),
un traitement pédagogique de l’activité se développe (Mérand, 1971), cherchant
moins à faire acquérir le modèle abouti du haut niveau qu’une solution
temporairement acceptable en termes de niveau d’intégration de la technique
sportive. Malgré le traitement pédagogique, le produit sportif fait l’objet de critiques
tant sur le plan du choix des pratiques, du résultat de l’apprentissage, que sur celui
des procédures d’enseignement. C’est pourquoi l’ est apparue comme « menacée
de se limiter à la technique sportive » (Vigarello, 1975). Cependant, si la technique
sportive semble constituer l’objet d’enseignement essentiel, l’enseignant « ne doit pas
perdre de vue que, derrière un apprentissage toujours particulier, c’est l’intelligence
motrice qu’il forme, l’intelligence tout court » (Vivès, 1958). L’intelligence motrice
relève, dans ce modèle, d’une optimisation des qualités physiques par leur
exploitation technique.

Les revendications scolaires de la corporation au cours des années 1980 font basculer 37

la discipline dans une modélisation de ses contenus proche des formes scolaires. Les
contenus d’enseignement deviennent un « ensemble de savoir et de savoir-faire
sollicités et à acquérir pour agir et réagir face à l’environnement » (Arnaud, 1986 b).
Il ne s’agit plus de rendre le sport plus accessible, mais d’accéder à un savoir
spécifique pour l’élève, puisé à partir des références sportives qui ne constituent plus
que des pratiques sociales de référence (Martinand, 1986). La scolarisation des
contenus d’enseignement en va tenter d’élever le niveau de généralité du savoir
en cherchant à dépasser le savoir technique pour un savoir plus transversal qui
toucherait différentes activités. Toutefois, si le savoir est devenu plus général, il
concerne principalement la pratique sportive. C’est ce que relève Jacky Bordet (1993)
en analysant les connaissances évaluées au baccalauréat. Il s’agit « plutôt d’un
déplacement de la forme sportive qu’une désportivisation visible dans le type de
connaissances demandées à l’élève de lycée ». Les principes généraux qui relevaient
de l’analyse de l’activité sociale vont plutôt émerger de l’activité de l’élève. On parlera
alors de principes d’action (Grehaigne, 1996) ou de principes opérationnels

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13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

(Delaunay, 1991 b). Les contenus d’enseignement se construisent différemment selon


le modèle didactique. Mais ils partagent l’idée de règles et de principes théoriques à
construire. Deux modèles principaux vont s’opposer. Pour le modèle didactique des
, « les sont les moyens et les objets d’enseignement » (Roche, 1991). Le savoir
généralisable est issu de l’analyse de la référence sociale. Il permet de comprendre
son action et d’améliorer sa performance dans une activité ou un groupe d’activités.
Pour le modèle didactique de l’ , les contenus d’enseignement se distinguent de
l’activité sociale. « L’objet de l’ n’est pas de rendre les élèves hyperperformants
dans les , mais de lui apprendre qui il est, comment il fonctionne, comment il
peut s’insérer dans le tissu social » (Dersoir, 1996). Dans ce cas, ce n’est plus l’activité
sociale, mais celle de l’élève qui est analysée. Au-delà de leur différence, ces deux
courants sacralisent l’importance du savoir théorique dans le pilotage intelligent de la
motricité. Les savoir-faire techniques sont dénigrés au profit de savoirs généraux,
mais trouvent pourtant un rôle dans l’illustration d’une règle.

Le savoir s’éclipse au profit de l’action dans le modèle de la compétence. L’idée de 38

compétence renvoie à la nécessité de mise en œuvre contextuelle des connaissances


dans un cadre particulier (« Charte des programmes », BOEN no 8 du 20 février
1992). Dans ce nouveau contexte, l’action et l’adaptation de l’action au contexte
deviennent primordiales. La pratique sportive trouve, dans ce modèle, une nouvelle
place en . Elle n’est plus un objet culturel à connaître, ni une manière
institutionnalisée de gérer efficacement son corps, mais un lieu d’expérimentation
motrice. « Interroger les situations sportives comme recelant des problèmes, c’est
différent que de les interroger comme porteuse de solutions déjà trouvées » (Goirand,
1996). Ce qu’il y a à apprendre ne regarde plus seulement les connaissances
nécessaires pour comprendre les situations et les transférer d’une situation à l’autre ;
il s’agit de mettre en relation les informations, les connaissances et le contexte pour
produire des solutions nouvelles. Il ne s’agit « pas de logique interne, pas de
problème fondamental, mais d’une logique adaptative des pratiquants produite par
l’interaction d’un milieu social et la configuration des ressources personnelles. Les
contenus d’enseignement sont les éléments et les relations que les élèves doivent
intérioriser pour construire des réponses nouvelles » (Dhellemmes, 2000). Devenu
compétence spécifique en collège, le savoir-faire technique retrouve une place dans
les contenus d’enseignement comme porteur de sens alors même qu’il avait été
dénigré (Garassino, 1980) dans les années 1980 car trop proche d’une pédagogie
identique au mouvement sportif (Lafont, 2002). La technique est alors réhabilitée
(Gal, 1996), mais elle change de définition. Elle se présente comme une
réappropriation de la solution pour soi, plus contingente. Elle procure également un
sens symbolique. Les contenus d’enseignement nécessaires à l’acquisition d’une
compétence spécifique ne sont « ni un rejet de la technique, ni une réintroduction du
technicisme, en tant qu’apprentissage formel d’un gestuel dénué de sens et détaché
des conditions de son émergence » (Becker, 1993). Ce sont des formes
institutionnelles transmises non seulement comme solutions efficaces dans un
contexte particulier, mais également comme valeur reconnue culturellement
(Goirand, 1986 b). La technique sportive retrouve donc une place dans un
enseignement qui valorise le sens de la pratique pour l’élève. L’intelligence motrice ne
peut évacuer le sens symbolique de la pratique.

Si ces changements de contenus révèlent des modèles différents, pour Jacques André 39

(1989) il ne s’agit que d’un changement de vocabulaire habillant autrement un


apprentissage sportif. « En , on a renouvelé le vocabulaire et camouflé des
pratiques inchangées. » Pourtant, les contenus d’enseignement ne se présentent plus
sous une forme identique pour tous les élèves et sont devenus différents des solutions
techniques du haut niveau. Pour autant, sont-ils aussi différents des apprentissages
existant en club aujourd’hui ?

L’évaluation : entre idéologie sportive et protocole rationnel

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13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

L’évaluation, qui semble être un acte de mise en forme scolaire, peut aussi être un 40

moment de mise en norme sportive. Si elle se réfère aux pratiques sportives, toutes
n’y occupent pas la même place. La pratique sportive valorisée dans le processus
d’évaluation reste la modalité productive, mesurable, sous forme de performance qui
permet d’observer un progrès. Le fait de ne pouvoir mesurer un progrès est une
raison invoquée (Rouziès, 1996) pour écarter l’activité du protocole d’évaluation et
donc leur programmation. Imposer la nécessité d’évaluer une performance et un
progrès conduit donc à limiter, mais aussi à justifier le choix d’activités ayant une
forme corporelle voisine de la forme culturelle dominante, c’est-à-dire sportive. Parce
que cette forme culturelle est reconnue à l’école, elle en constitue la doxa et tend à
retarder l’introduction d’autres pratiques. Toutefois, les modalités de l’évaluation et
la nature des dignes d’être évalués changent. Ainsi, l’évolution des procédures
d’évaluation révèle une continuité axiologique visant la production d’une
performance aux significations différentes. Elle dévoile des modèles différents de ce
que peut être la performance d’un élève en : l’exploit, l’efficacité ou l’efficience.

Dans les années 1970, les élèves sont notés au baccalauréat à partir d’une 41

performance dans deux sports sur trois qu’ils choisissent entre gymnastique,
athlétisme et natation depuis l’arrêté du 28 septembre 1972. La performance
objective, grâce aux tables Letessier (1954), l’état des qualités physiques de l’élève et
son niveau technique en la comparant à la performance moyenne d’un élève du même
âge. Elle permet le contrôle du développement de l’enfant et la vérification de la
maîtrise du geste selon des normes sportives. Elle contribue également à classer les
élèves selon leur efficacité productive au moment du contrôle. La performance
quantifiable mesure l’efficacité du geste dans des activités sportives productives et
relève de l’exploit sportif.

La transformation de l’évaluation en 1983 marque un tournant important en . Le 42

contrôle en cours de formation (circulaire du 11 juillet 1983) va ouvrir le nombre


d’activités évaluables. La circulaire du 10 août 1984 justifie d’ailleurs le contrôle en
cours de formation par la possibilité d’élargir la gamme des évaluées comme les
sports collectifs. C’est ensuite une rupture avec le contrôle centré sur une
performance mesurable par un décamètre, un chronomètre, ou chiffrable par un code
de pointage. Dans les instructions du 12 décembre 1985, l’évaluation porte sur des
conduites motrices, des connaissances, des capacités à s’investir et à progresser.
L’apparition de critères qualitatifs complète la mesure quantitative de la performance
grâce aux modèles intermédiaires d’intégration de la technique que sont les niveaux
d’habileté (Hébrard, 1986). Si les critères d’évaluation se multiplient, le résultat
recherché reste cependant le même : évaluer la performance sportive de l’élève, c’est-
à-dire son efficacité. Au cours des années 1990, les protocoles se compliquent
(Dufour, 1997), tentant de cerner la part d’inné et d’acquis pour rendre l’évaluation
plus équitable et plus rationnelle comme dans l’arrêté du 24 mars 1993. L’idée d’une
note plus juste n’évince pas la nécessité d’une production de performance, mais la
relativise par rapport aux qualités morphologiques et physiologiques de l’élève
comme dans les nomogrammes (Grehaigne, 1994). Par exemple, la comparaison du
saut avec et sans élan permet de mesurer l’efficacité de l’élan, i.e. la capacité qu’a
l’individu à transformer l’énergie cinétique au moment de l’impulsion, grâce à la
technique. La performance révèle ici une habileté à gérer au mieux ses ressources,
son efficience.

L’appréciation de la conduite ne se centre plus seulement sur la maîtrise objective du 43

geste, mais s’intéresse au contrôle du processus. L’importance de l’évaluation


certificative recule au profit de l’évaluation formative (Cardinet, 1979). Les modèles
d’évaluation se complexifient pour ne prendre en compte que ce qui est appris.
L’évaluation se centre sur les progrès de l’élève. La performance ne doit révéler que le
travail effectué durant l’apprentissage. Les métaballogrammes (Delaunay, 1991 b), en
faisant la différence entre performances initiale et terminale au cours d’un cycle,
cherchent à éliminer les acquis antérieurs. La performance prend aussi un sens plus
large dépassant la seule définition sportive, compétitive, et devient le pourcentage de
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13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

réussite dans une tâche. Par exemple, la mesure quantitative d’une occurrence
d’apparition d’un comportement souhaité (Delaunay, 1991 b) rend compte d’un
certain progrès. Ce n’est plus le résultat du match en soi qui compte, mais le taux de
réussite par rapport à des occasions qui se présentent (but/tir). La performance
s’éloigne de la signification sportive de l’exploit ponctuel. Il ne s’agit plus de produire
une seule performance à un instant donné, mais un ensemble de performances (la
zone de performance, arrêté du 24 mars 1993) révélant la stabilité de l’habileté. La
performance est relativisée par rapport à une moyenne de performance (arrêté du 9
avril 2002).

L’évaluation au baccalauréat se présente depuis 2002 comme la production d’une 44

performance prédictible par l’élève. Le pronostic de la performance, dans ce cas,


témoignerait de la capacité de l’élève à évaluer ses potentialités. L’idéologie sportive
marque donc encore les modalités d’évaluation, mais au profit d’un projet
« développementaliste ». Si les protocoles d’évaluation modifient l’usage de la
performance, les modalités d’évaluation s’attachent toutefois au respect de la
référence culturelle (Pineau, 1988) à travers par exemple les situations de référence
(Marsenach, 1991). L’arrêté du 9 avril 2002 revient sur l’importance du sens social
pour l’apprentissage de l’élève. Le protocole d’évaluation doit être équitable, mais ne
pas dissimuler la référence sportive.

En définissant ses critères d’évaluation, la corporation pose les limites de ce qui est 45

légitime en de ce qui ne l’est pas. Ainsi, la performance et le progrès restent les


valeurs incontestées d’une éducation physique et sportive, même si la performance
prend un sens différent. L’évaluation est un acte politique et idéologique valorisant
les activités correspondant à la doxa disciplinaire. La pratique sociale qui pénètre en
se réduit à sa composante la plus proche de l’idéologie professionnelle (Terret,
1993). Par exemple, en permettant la prédiction d’une performance et la mesure d’un
progrès, la musculation n’est pas la plus représentative du champ culturel des
pratiques de bien-être, mais de l’idéologie traditionnelle dont l’ se fait le
sanctuaire. Un tel protocole est plus difficile à mettre en œuvre avec la relaxation.

Sportivisation, désportivisation ?

Après la sportivisation des années 1960 où les politiques sportives et scolaires se 46

rejoignaient durant les cours d’ , les années 1980 ont fait basculer l’ dans un
processus de désportivisation par un élargissement des références corporelles et par
une redéfinition des pratiques sociales grâce à un traitement didactique de l’activité.
Cependant, au cours de la période la plus sportive de l’ , il est possible d’attester
une certaine distance avec le sport fédéral, dans les textes officiels par exemple. A
contrario, les heures les moins sportives des années 1980 témoignent malgré tout
d’un lien avec le sport, par l’évaluation ou les pratiques optionnelles. Aujourd’hui,
l’ouverture sur des pratiques sociales non compétitives ne permet plus de dire que
l’ est sportive au sens strictement fédéral du terme. Pourtant, durant les heures
d’ et malgré leur traitement, les pratiques sportives traditionnelles demeurent les
activités les plus souvent utilisées comme support au savoir et les plus habituellement
programmées lors des évaluations. L’éthique traditionnelle du sport fédéral visant
l’amélioration de la performance par la technique demeure un modèle valorisé, même
si les pratiques les plus énergétiques sont peu à peu délaissées au profit de pratiques
de pilotage du corps centré sur les sensations éprouvées. Ainsi, la discipline a
incontestablement des liens avec la pratique sociale, puisqu’elle témoigne d’une
certaine évolution sociale. Mais le lien entre l’ et les pratiques sportives n’est pas
aussi simple que le processus de sportivisation le laisserait supposer. D’une part, la
modification des pratiques sociales est freinée par une tradition sportive expliquant
le décalage avec les nouvelles pratiques. D’autre part, le retraitement de ces activités à
des fins scolaires reste contenu dans les limites d’une culture sportive reconnue.

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13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

Les transformations du modèle social des pratiques

sportives

Les rapports ambigus qu’entretiennent le sport et l’éducation physique sont à 47

comprendre d’une part à travers les transformations de la société et ses conséquences


sur l’ d’autre part à travers le filtre qu’opèrent les acteurs, et notamment les
enseignants lorsqu’ils redéfinissent leur pratique d’enseignement. Différents facteurs
permettent d’expliquer les transformations décrites précédemment. Nous en
développerons deux de nature différente. D’une part, nous décrirons certains facteurs
sociaux, culturels et politiques qui modifient la définition des pratiques sportives
pouvant servir de référence culturelle en . D’autre part, nous mettrons en avant le
rôle des acteurs (individuel ou institutionnel) qui, en redéfinissant la pratique sociale
en fonction de leur conception, interviennent en favorisant ou en contrariant les
influences sociales précédentes.

Une définition sociale du sport multiple et singulière

Le phénomène sportif s’étend au point que l’on puisse parler d’une « sportivisation » 48

de la société. La terminologie sportive est employée dans différentes sphères (en


communication, par exemple), le style sportif est une référence (dans le domaine de
la mode, par exemple). Mais la société va définir différemment le sport. La sociologie
du sport qui se développe en même temps sanctionne le passage du sport aux à
travers la multiplication de ses usages. Il ne s’agit plus d’un ensemble de pratiques
semblables organisées selon un modèle identique, mais de pratiques sociales
diversifiées qui se présentent comme des définitions plus personnelles. Le sport
arbore alors des modèles culturels différents.

Le modèle sportif qui prédomine dans les années 1970 relève essentiellement de 49

pratiques instituées en fédérations. La croissance des pratiquants se réalise


essentiellement à l’intérieur du système fédéral (Clément, 1994). L’État va organiser
le mouvement sportif en développant un service public des autour des
institutions sportives. Si les politiques sportives accompagnent le développement des
pratiques, sa démocratisation se révèle, toutefois, inégalitaire (Pociello, 1997). Le
sport reste un emblème social de classe (Le Pogam, 1979 a). Selon Jacques Defrance
(2000), une « diversification des entre 1968 et 1978 est marquée par la
polarisation des valeurs et l’affrontement des milieux sociaux ». La sociologie rend
compte, au début des années 1980, de l’existence de modalités de pratiques variées
socialement différenciées qui constituent un système des sports (Pociello, 1981).

De nouvelles modalités de pratiques émergent en France hors du système fédéral, 50

voire en opposition au modèle compétitif (Pociello, 1982). Pratiquées de manière


confidentielle par les enfants de classes aisées dès les années 1950-1960, ces activités
se diffuseront par l’intermédiaire des classes moyennes. À cette diversification des
pratiques qui se poursuit dans les années 1980, s’ajoute une variété des manières de
pratiquer. Ce ne sont pas seulement de nouvelles pratiques, mais une redéfinition des
pratiques anciennes. Comme le souligne Christian Pociello, il y a un « glissement des
modalités en force, dans lesquelles dominent les gestuels énergétiques répétitifs et
stéréotypés vers des modalités en finesse, aléatoires, incertaines où dominent des
gestuels de maîtrise et de contrôle » (Pociello, 1981). Le renouvellement passe par un
« réinvestissement hédonique et ludique des sports concernant la transformation de
leur usage social traditionnel » (Defrance, 1986). Par exemple, les possibilités de
courir (jogging, marathon..) et de définir une manière de courir augmentent, de
manière exponentielle, les significations du sport (performance, convivialité,
entretien…).

Les nouvelles classes moyennes redéfinissent à leur manière les pratiques et 51

introduisent de nouvelles valeurs dans le sport. Jacques Defrance met en évidence


l’opposition entre « deux éthiques de la pratique sportive : une éthique de l’efficacité

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et du travail, et une éthique du plaisir et de la jubilation » (Defrance, 1987). Ce n’est


donc plus la pratique ou la modalité de pratique qui définit le sport, mais sa
signification sociale, c’est-à-dire les valeurs attribuées à la pratique par le pratiquant.
Les travaux sociologiques sur le sport montrent que sa définition dépend du point de
vue de celui qui la formule. C’est la position adoptée par les enquêteurs de l’
lorsqu’ils affirment que « le sport, c’est ce que les gens font lorsqu’ils disent faire du
sport » (Irlinger, Louveau, Métoudi, 1988). Selon la définition produite par l’enquête,
il n’existe plus un sport, mais des sports. Il est même possible de rencontrer autant de
« sports » que d’individus. La définition du sport devient singulière et subjective. Le
sport se dissipe dans une spécification large, floue renvoyant à l’ensemble des
pratiques d’exercice corporel. À l’évidence, elle s’oppose à une définition plus
restrictive instituée par la pratique fédérale et choisie par l’ lors de son enquête
en 1988. « Pour qu’il y ait sport, il faut qu’il y ait un engagement corporel, inscrit
dans un affrontement ou une compétition instituée » (Guarrigues, 1988). Les écarts
entre les deux enquêtes sur l’estimation du nombre de sportifs (les trois quarts des
Français pour l’ et moins d’un tiers pour l’ ) révèlent combien les références
institutionnelles sont dépassées au profit d’une redéfinition plus personnelle des
activités. C’est « le sens donné à la pratique plus que la logique interne ou l’essence de
l’activité » (Travaillot, 2000) qui caractérise le mode d’investissement dans la
pratique sportive et donc la pratique elle-même.

Ce qui est nouveau, c’est que la signification attribuée à la pratique n’est plus 52

nécessairement attachée à des catégories sociales spécifiques. Alain Loret propose de


classer les pratiques sportives en fonction de deux modèles « digital » et
« analogique » qui représentent des approches culturelles différentes du sport. La
culture digitale valorise « le modèle compétitif traditionnel basé sur la règle, la
contrainte, le chiffre, l’arbitrage, un milieu standardisé et l’égalité stricte dans un
souci de confrontation avec l’autre » (Loret, 1996). La culture analogique fait
référence aux « nouvelles modalités de pratiques où dominent la norme, le critère, la
participation et l’évolution, le libre arbitre, un milieu non codifié et une inégalité
acceptée dans un souci d’accomplissement individuel ». Si deux formes de culture
semblent coexister pour Alain Loret, elles n’opposent pas des catégories sociales
particulières. Les pratiques deviennent des objets d’affirmation identitaire (Vieille
Marchiset, 2000). Par exemple, la diffusion du roller marque bien la fin d’une
pratique de classe sociale, de classe d’âge ou de sexe. Gilles Vieille Marchiset voit
également, dans les sports de rue, non pas des pratiques sauvages sans organisation,
mais un autre mode de relation entre les individus, différent de l’organisation
hiérarchique du système fédéral. Les cultures sportives s’affranchissent des frontières
sociales ou catégorielles. Le sportif semble évoluer, au vu des travaux en sociologie du
sport, dans un univers culturel complexe et multiréférentiel. Il cultive le « zapping
sportif » (Adamkiewicz, 1998). Le sport ne se pratique plus seulement dans des
institutions, ni dans des lieux réservés, mais dans la rue (Lacouture, 2000), en bas
d’immeubles (Travers, 1997) ou sur la plage (beachvolley, sandball). Il se délocalise
(Pociello, 2000).

Pratique fédérale, compétitive, s’appuyant sur des qualités physiques et une dépense 53

énergétique importante, simple activité physique de loisir, lieu de détente et de


convivialité, éthique ou attitude sportive, les caractéristiques du sport s’étendent et
occasionnent une multiplication de raisons susceptibles de s’y référer. Pour autant,
tous ces attributs ne caractérisent pas le même sport. Si le sport se définit de façon
variable selon les individus, il est probable que l’ rencontre autant de diversité
dans sa propre caractérisation. Si l’ trouve sa définition dans le rapport qu’elle
entretient avec la culture sportive, la définition plus floue de l’une est sans doute liée
à celle plus complexe et plus subjective de l’autre. La façon de concevoir et de définir
l’ dépendra de ce que chacun entend par « sport ». Elle se spécifie selon les
conceptions qui oscillent entre une définition restrictive d’un sport compétitif dont le
modèle reste celui des pratiques fédérales olympiques, et une définition plus large
incluant des pratiques sociales diversifiées. « Si l’histoire des pédagogies de l’exercice

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physique se situe à un tel carrefour et peut se constituer légitimement à partir de


points de vue aussi différents, c’est bien parce que l’ , faute d’une définition qui lui
soit propre, accepte autant de définitions qu’il y a de points de vue sur elle » (During,
1981). Le consensus sur l’objet sportif paraît donc difficile. L’ reprend avec retard
cette évolution de la pratique sociale, objectivée par les travaux en sociologie du
sport. On peut alors se demander quel rôle ont pu jouer ces travaux dans les
transformations de la discipline.

Le sport, entre définition culturelle et politique

La modification du statut du sport dans la société influe sur son intérêt symbolique et 54

culturel, comme support à l’enseignement. Dès les années 1960, on observe une
« sportivisation » de la culture, en même temps que se développe une nouvelle
culture de masse. Toutefois, son image évolue d’un sport symbole de technique et de
progrès à un sport qui détruit les corps et où l’on va jusqu’à tricher avec soi-même. La
référence universelle que constitue le modèle sportif est remise en cause. En outre, si
les rapports entre sport et politique ne sont pas récents (Amar, 1987), ils se
complexifient avec la prédominance de la logique économique et le retrait peu à peu
de l’État dans l’organisation sportive. Le sport glisse d’une valeur symbolique à une
valeur économique et passe d’un objet politique à un objet de consommation. Ainsi,
le changement de logique politique, d’éthique et de définition légitime de la culture
conduit à rendre le modèle sportif moins attrayant pour l’ .

Le sport est un phénomène culturel qui prend de plus en plus d’ampleur 55

(Dumazedier, 1973). L’audience médiatique des Jeux olympiques lui donne une haute
valeur symbolique et donc politique (Martin, 1999) comme à Mexico en 1968 ou
Munich en 1972. Malgré la récession économique, les États vont investir dans
l’organisation sportive compétitive qui constitue encore une mesure importante de
leur valeur politique, sur le plan international. Le sport de compétition se
démocratise, en même temps que d’autres aspects de la culture dominante se
diffusent (comme la musique classique, l’art ou l’accès aux musées). Il devient un
objet de consommation de masse, au travers des loisirs qui se développent
(Dumazedier, 1974). Le système politique va tenter de prendre des mesures
incitatrices, notamment par le développement d’une politique nommée « Sport pour
tous » (1973) pour favoriser la diffusion d’une culture de classe à l’ensemble de la
société. La massification permet à la culture de prendre une dimension sociale grâce
au développement des loisirs qui se veulent éducatifs (Dumazedier, Ripert, 1966). La
mise en norme sportive renvoie alors à une culture de masse encadrée politiquement,
mais aussi liée à la production industrielle standardisée (Morin, Nahoum, 1975). Sa
légitimité tient à la large diffusion d’un modèle universellement reconnu,
symboliquement puissant et politiquement soutenu. Le phénomène sportif est ainsi
officiellement reconnu dans les instructions en 1967 : « On ne saurait négliger
l’interdépendance qui existe entre les et les fondements culturels de notre
civilisation : notre époque est marquée par la croyance dans le progrès matériel et
spirituel et le sport moderne participe lui-même directement à cette idée (…). Les
relèvent donc certainement de notre culture : elles contribuent en outre à l’accroître
et à la diffuser. » Le sport a par conséquent une valeur culturelle incontestable
(Dumazedier, 1950) et incontournable (Herzog, 1963). Par le sport, l’ participe à
une éducation des corps conforme à l’idéologie industrielle dominante (Brohm, 1976)
en cultivant la performance, le rendement et le progrès. Le sport constitue un modèle
technique à l’image d’une société qui vise le progrès en démultipliant les possibilités
humaines.

À côté du modèle de la performance qui se poursuit dans les décennies suivantes 56

(Ehrenberg, 1991), se développent dans les années 1980 de nouvelles pratiques


sociales d’entretien du corps (Travaillot, 1998). L’intérêt pour le corps est relayé par
la télévision avec l’aérobic dominical de Véronique et Davina qui marque l’avènement
d’une culture médiatique du corps. Il va s’amplifier avec le développement de salles

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de remise en forme (Bessy, 1987) proposant aérobic, step ou stretching… Une culture
du corps et du paraître va favoriser la pratique physique, en l’ancrant définitivement
dans une dimension sociale et économique de masse. Le sport devient un secteur
économique en expansion (Andreff, 1989), l’État intervient alors pour réorganiser le
mouvement sportif. La loi no 84-610 du 16 juillet 1984 modifiée par la loi no 92-652
du 13 juillet 1992 portant sur l’organisation et la promotion des sépare les
activités sportives marchandes des activités entrant dans le cadre du service public.
La culture marchande uniformise la culture sportive, au-delà du cadre normatif
fédéral. Ce dernier est également remis en cause par la sphère politique. Le sport
olympique est entaché par des boycotts (Moscou en 1980, Los Angeles en 1984 et
Séoul en 1988) et par de nombreuses affaires (Duret, Trabal, 2001) de dopage ou de
violence. La prise de distance avec l’image d’un sport terni par ses excès (aux niveaux
politique, économique et éthique) devient nécessaire. Malgré les critiques
renouvelées de Jean-Marie Brohm (1991), l’ se réfugie dans l’enseignement d’un
sport éducatif, aseptisé (Michon, Faber, 1992). Elle se présente en défenseur d’une
éthique sportive mise à mal. L’intérêt porté à la culture sportive se présente moins
comme une motricité technique que comme une culture porteuse de valeurs à
défendre (notamment les valeurs de l’olympisme).

Au début des années 1990, les formes culturelles sportives sont aussi différentes que 57

se décline l’idée même de culture dans la société. La culture passe d’une définition
normative à une description de formes sociales relevant du quotidien (Cuche, 1998).
Christian Pociello (1997) relève le passage d’une culture sportive à des cultures
sportives. Le sport offre alors différents visages. Par exemple, la culture télévisuelle
s’ouvre à des manifestations sportives plus populaires où la convivialité côtoie la
performance comme les grandes courses à pied (marathon du Médoc : Bessy, 1995),
en vélo ou à ski (la foulée blanche). Le héros n’est plus seulement le vainqueur, des
participants plus modestes sont également interviewés. De son côté, le sport de haut
niveau passe d’un objet politique à un objet essentiellement économique. La nouvelle
décennie olympique avec Barcelone en 1992, Atlanta en 1996 ou Sydney en 2000 se
déroule au cœur d’enjeux économiques. Les Jeux d’Atlanta sont ainsi qualifiés de
« Coca-Cola Games ». L’État, qui se voulait promoteur des en aidant au
développement du système sportif, se retire pour un rôle de contrôle (loi no 2000-627
du 6 juillet 2000 dite loi Buffet sur le sport), en particulier dans le domaine éthique
(loi no 92-652 du 13 juillet 1992 dite loi Bredin). L’État délègue et externalise ses
missions, limitant ses prérogatives au sport de haut niveau et à l’ . Par exemple, la
circulaire du 16 novembre 2004 supprime les . De nouveaux acteurs politiques
(collectivités territoriales, Commission européenne) et économiques entrent sur la
scène du sport, complexifiant les relations entre le sport et les différentes sphères de
la société. Le monde sportif n’offre plus une image culturelle homogène, ni une
organisation nationale unifiée. Si la référence culturelle que constituent les Jeux
olympiques reste prédominante d’un point de vue politique, de nouvelles formes de
pratiques corporelles émergent. Elles offrent de nouveaux modèles culturels
identitaires qui, en se développant, acquièrent une certaine légitimité sociale et
politique. La remise en cause du modèle fédéral comme modèle culturel universel par
la montée de nouvelles formes de pratiques locales n’éteint pas pour autant sa place
comme langage universel. En effet, la mondialisation économique du modèle
occidental des pratiques sportives suffit encore à légitimer sa place comme modèle
politique et culturel universel. En favorisant l’insertion sociale dans les quartiers (De
Rette, 1995), le sport prend d’ailleurs une nouvelle fonction politique. Il modélise
moins une pratique ou une éthique collectives qu’une forme de langage commun à
partir de laquelle la communication devient possible.

Ainsi, le sport s’est constitué en modèle de légitimité culturelle pour l’ 58

(notamment à travers le sport olympique) au moment où l’idée même de culture


légitime laisse la place à une culture de masse. Dans les années 1960, le sport n’est
plus seulement une propriété distinctive de la classe dominante (Weblen, 1970), il
devient un objet symbolique propre à valoriser un état ou un groupe social donné. Les

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politiques de démocratisation sportive ont accompagné le développement de cette


culture de masse, porté également par la croissance économique. Mais le
désengagement de l’État dans le domaine des pratiques sportives au profit de
nouvelles politiques territoriales (des collectivités locales à l’Europe) et la
dégradation de l’image du sport rendent le modèle sportif moins attractif. Enfin,
l’idée de pratique culturelle de référence renvoie aujourd’hui à une définition plus
anthropologique de la culture (Pociello, 1997). Dans une culture plus subjective, les
pratiques corporelles se présentent sous différentes formes culturelles dont les
fonctions sont redéfinies à un niveau plus personnel. Comment construire alors une
référence culturelle légitime ? La légitimité des pratiques tient-elle d’ailleurs aux
formes sociales de pratiques, aux configurations culturelles instituées ou aux valeurs
éthiques prônées (Vigarello, 2004) ?

La pluralité des positions par rapport au sport

Toutes ces transformations ne peuvent avoir lieu sans le concours des acteurs de la 59

discipline. Aussi, nous ne devons pas nous méprendre sur les conceptions
dominantes repérables dans les textes officiels qui dissimulent la multiplicité des
concepteurs. Dans cette partie, nous nous attacherons seulement à mettre en
évidence l’existence de courants proposant différents modèles plus ou moins sportifs
en éducation physique. Même si certaines conceptions se situent aux antipodes d’une
vision sportive de l’ , tout se passe comme si le sport était une référence
incontournable pour défendre (ou justifier) leur point de vue. Si, globalement, on
retrouve les mêmes courants, voire les mêmes acteurs, le débat autour du sport glisse
d’un enjeu éducatif et idéologique dans le choix des pratiques vers un enjeu
didactique dans le choix de sa mise en forme. En revanche, la fracture persiste entre
les tenants d’une référence sociale et ceux souhaitant développer un modèle
d’éducation corporelle spécifique. Nous verrons que les concepteurs se différencient
non seulement par les objets d’enseignement (contenus d’enseignement), par les
motifs (objectifs ou raisons avancées), mais surtout par la position qu’occupe le sport
dans leur démarche pédagogique ou didactique.

Dans les années 1970, les promoteurs du sport s’opposent à ses détracteurs. Au 60

premier abord, les promoteurs du sport éducatif semblent constituer un groupe


homogène. Ils se placent dans une lignée de prédécesseurs [4]
ayant rendu le sport
éducatif par la valorisation de ses qualités et de ses valeurs. Dès les années 1960, ils
ont permis de faire glisser l’enseignement d’une pratique sportive uniforme vers une
pratique diversifiée par niveau d’enseignement. Cette génération de concepteurs
formés à l’ [5]
, puis à l’ [6]
, apporte une autre pierre à l’édifice. Celle-ci va
consister à développer une nouvelle pédagogie sportive centrée sur l’activité de l’élève
et non plus sur l’analyse du geste technique. Ces travaux vont permettre l’existence
d’un sport spécifique à l’enfant, différent de celui de l’adulte. Ainsi, Robert Mérand
propose une « pédagogisation » de la pratique sportive pour l’adapter à
l’apprentissage des enfants (1971). En observant la manière dont l’élève acquiert une
technique sportive, il propose une nouvelle démarche éducative (Mérand, 1973)
définissant une progression de la pratique sportive de l’enfant vers celle du haut
niveau. De son côté, Jacqueline Marsenach (1970) s’est intéressée à décrire
précisément la démarche des enseignants, en pointant d’autres manières d’enseigner
que la reproduction du modèle technique. Ces deux acteurs ont cherché à dépasser
une pédagogie techniciste se limitant à l’apprentissage de la forme gestuelle de
l’expert (Marsenach, Druenne, 1973). L’objet central de la recherche pour ces
promoteurs du sport repose sur la mise en lumière d’autres manières d’enseigner la
pratique. « Pour nous, la compétition ne saurait constituer un but comme certaines
conceptions sportives à courte vue. Le but, c’est l’éducation de l’être total envisagée
sur le plan de l’activité physique. La compétition n’est qu’un moyen, mais un moyen
extrêmement puissant, et pour tout dire pratiquement irremplaçable » (équipe
pédagogique du lycée Corbeil, 1976). Pour Jacques de Rette (1969), la pratique
sportive fédérale sert de modèle social pouvant éduquer à la prise de responsabilité

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des élèves, et de modèle d’organisation pédagogique en alternant entraînements et


compétitions. L’Amicale des anciens élèves de l’ (Abonnen, Attali, 2006)
constitue également un vivier d’enseignants qui cherchent à développer de nouvelles
approches des activités sportives. Enfin, d’autres réflexions ont également apporté
une analyse différente du sport par un traitement qui dépasse l’étude du geste, pour
se centrer sur les composantes fondamentales de l’activité. Par exemple, Roland
Carrasco (1974) contribue à transformer l’enseignement de la gymnastique en la
rendant plus ludique, grâce à l’introduction de parcours où chaque atelier correspond
aux éléments techniques fondamentaux de l’activité.

Ainsi, nous pouvons remarquer que les promoteurs du sport sont souvent issus du 61

milieu sportif (Couturier, 1999). Par exemple, Auguste Listello, Robert Mérand et
Jacques de Rette ont été des sportifs de haut niveau et sont restés impliqués dans le
milieu fédéral. Le lien entre sport et est donc marqué par ces acteurs-agents
doubles qui occupent des positions dans l’organisation de l’ et dans le milieu sportif
fédéral.

Les promoteurs du sport s’affrontent aux antisportifs sur le choix des pratiques et sur 62

leur traitement pédagogique. Ils partagent un point commun : ce sont des


enseignants d’ qui ont fait des études dans des champs scientifiques externes,
comme la médecine pour Jean Le Boulch, la sociologie pour Jean-Marie Brohm ou la
psychologie pour Claude Pujade-Renaud. Leurs critiques s’appuient sur leurs
connaissances particulières pour analyser et enseigner l’ différemment. Comme le
remarque Philippe Liotard (2000), « les critiques du sport ne se situent pas au même
niveau. Les auteurs des critiques sont des universitaires ».

Plus précisément, les premières critiques viennent d’un groupe de réflexion 63

s’inscrivant dans le courant de révolte de mai 1968 qui revendique une libération du
corps et une lutte contre les valeurs morales de la bourgeoisie. Cette critique freudo-
marxiste s’appuie sur le concept d’aliénation qui relève des champs psychologique et
sociologique. Le sport aliène le corps en le contraignant à un usage utilitaire et
productif au nom d’une idéologie capitaliste qui instrumentalise les corps. « Le destin
sportif est un destin capitaliste » (Brohm, 1968). En prise avec l’idéologie sportive,
« l’idée d’un plaisir corporel gratuit est proprement inconcevable pour l’éducation
physique » (Gantheret, 1968). Au niveau social, le sport s’avère être un instrument
d’asservissement du peuple qui, en s’engageant dans ces pratiques, se soumet
inconsciemment aux valeurs capitalistes. « Nous sommes arrivés à rattacher
directement le sport, comme ensemble de représentations collectives, de préjugés, de
mythes à l’existence de rapports de production déterminés, à l’existence de la
domination de classe de la bourgeoisie, tant il est vrai que les pensées dominantes ne
sont jamais que les pensées de la classe dominante » (Laguillaumie, 1968). Le sport
est critiqué car il représente la culture bourgeoise et véhicule son idéologie. La revue
Quel corps ? va permettre une diffusion plus large de ce courant critique qui s’attaque
à l’objet même du sport comme enjeu idéologique et donc politique.

Les critiques suivantes portent sur la réduction de l’ à un ensemble de techniques 64

sportives, décontextualisées et juxtaposées. Le mouvement du s’est constitué à


l’instigation de Jean-Bernard Bonange pour proposer une alternative aux seules
références sportives. C’est un groupe de travail composé de professeurs d’ qui
revendiquent une plus grande place à l’expression corporelle comme lieu de parole du
corps, de connaissance sur soi et de création. Claude Pujade-Renaud (1975) est un de
ces porte-parole, défendant une éducation corporelle plus créative et expressive que
productive.

Selon Pierre Parlebas, les enseignants d’ limitent leurs choix de pratiques sportives 65

à un modèle compétitif et individuel. Il va alors préconiser l’utilisation de jeux


traditionnels et contester la place excessive attribuée aux épreuves reines des Jeux
olympiques en . Il propose d’opter pour une diversité de références sociales afin
d’enrichir le répertoire sensoriel de l’élève. Il introduit alors le concept de

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« communication motrice » pour expliquer la valeur sociale signifiante du geste


technique. Il développe l’idée de « conduite motrice » qui deviendra une notion
centrale du schéma directeur des programmes en 1993. Pierre Parlebas déplace ainsi
le débat sport/ au-delà de l’éducation physique (Collinet, 2000) en l’intégrant
dans une réflexion plus générale concernant l’étude signifiante du mouvement ou
praxéologie motrice (Parlebas, 1999).

Jean Le Boulch (1977) propose également une alternative à une éducation sportive 66

qui part de l’analyse des mouvements corporels de l’enfant et de ses besoins. Il


revendique ainsi une psychomotricité. L’enseignant d’ doit d’abord chercher à
développer la motricité générale de l’enfant avant de s’engager vers une spécialisation
sportive précise. Il rejette la spécialisation précoce dans une pratique sportive. Il
défend ses idées autour de nombreux ouvrages et d’une revue nommée Les Cahiers
scientifiques d’ jusqu’en 1971. Il sera peu entendu dans l’enseignement secondaire
car ses travaux « ne s’inscrivent pas dans l’évolution souhaitée par le pouvoir
politique en place depuis 1958 ou par les principales forces syndicales en présence »
(Martin, 1999).

Pierre Seurin va occuper une position intermédiaire dans les années 1970 en 67

proposant une éducation par le moyen des activités physiques. Président de la


Fédération internationale de l’ , il résistera dans un premier temps à la présence du
sport en , pour l’utiliser comme moyen ensuite. Pour lui, « les effets peuvent être
fondamentalement différents selon les intentions qui animent un même acteur »
(Seurin, 1979). Le - propose également une position originale. Sans renier le
sport, « il nous faut l’utiliser pour le défigurer, en démonter les mécanismes et les
contradictions, en faire un tremplin de mise en question et d’élucidation » (« Pour
une autre », Bulletin syndical du - , 1977). Ainsi, le sport est devenu une
référence sociale incontournable qui suscite des interrogations variables selon les
positions occupées par les acteurs.

Alors que les années 1970 opposent les acteurs sur le choix même des activités, les 68

années 1980 vont plutôt se centrer sur la manière dont ces activités doivent être
abordées, centrant les enjeux sur une « crise des pédagogies corporelles » (During,
1981). L’intérêt porté au traitement didactique va suspendre les enjeux sur le choix
des pratiques. La référence sportive ne sera guère remise en cause, le débat va se
situer sur la manière dont ces activités doivent être traitées. Ce sont moins des
personnalités que des institutions qui vont apporter de nouvelles propositions.
L’ , avec notamment les travaux de Jean-Pierre Famose (1985) et de Marc
Durand (1987), va contribuer à centrer le débat sur le comment faire plus que sur le
pourquoi enseigner telle ou telle discipline (René, 1996). L’ , avec Jacqueline
Marsenach (1982) et Robert Mérand, va développer, par la recherche-action, l’idée
d’un traitement didactique spécifique de l’activité sportive. La commission verticale
dirigée par Alain Hébrard (1984) va emboîter le pas de la réflexion didactique en
proposant des nouveaux contenus de programme. Les instituts de formation vont
alors se pencher sur les contenus d’enseignement et développer des travaux en
didactique. Les différentes (devenant des ) se constituent en véritables
établissements de recherche comme par exemple à Lyon avec Paul Goirand (1986 a).
Pour ce dernier, le but n’est pas d’enseigner les éléments gymniques tels qu’ils se
présentent dans le code de pointage. Il s’agit de faire comprendre aux élèves
comment se constitue cette pratique et donc à partir de quoi les éléments gymniques
se différencient. Ainsi, l’enseignement de la pratique s’appuie sur la culture technique
de la pratique qui donne un sens social à la motricité développée par l’élève. Le
traitement didactique transforme la motricité technique en savoir scolaire. Le va
également entrer dans la réflexion didactique à l’occasion de colloques (Contenus et
didactiques, 1986). Cette génération de concepteurs considère les comme des
pratiques sociales de référence signifiantes pour l’élève. Les années 1980 voient donc
se développer le traitement didactique des sans grande opposition à la référence
sportive, à l’exception du courant marxiste de Quel corps ? (Brohm, Baillette, 1994).

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13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

À partir des années 1990, la régionalisation va amener une diversification des 69

conceptions (Nérin, 1999). Certaines régions comme celle de Dijon, de Grenoble et de


Lyon défendront plus spécifiquement une didactique des (Seners, 2005). Les
principes en didactique des renvoient à des savoirs généraux verbalisables
permettant de comprendre les effets de ses actions et d’être plus performant dans
l’activité sportive ou dans une activité appartenant au même groupement. La
recherche en sports collectifs dans l’Académie de Dijon (Grehaigne, Laroche, 1994) a
permis de faire émerger des « principes de l’action collective » comme « jouer dans
les espaces libres ». La référence sociale n’est donc pas seulement importante pour
motiver les élèves, mais également pour leur permettre d’acquérir des connaissances
culturelles sur les significations sociales des (Cèdre, 1997).

Pour l’Académie de Créteil (Davisse, Rochex, 1998), le traitement de l’activité doit 70

également prendre en compte les représentations sociales de l’élève qui donnent un


sens aux contenus enseignés. Dans ce cas, la culture sportive renvoie à une
réappropriation de la pratique par l’élève comme le définit l’enquête de l’ (1988)
à laquelle Annick Davisse a d’ailleurs participé. L’enseignant doit tenir compte d’une
définition culturelle subjective des pratiques, et pas seulement d’une définition
normalisée, instituée par le cadre fédéral.

L’Académie de Nantes propose une nouvelle identité de l’ centrée sur l’élève. 71

L’objectif n’est pas l’apprentissage des , mais bien le développement de « savoirs


fondamentaux réinvestissables ». « L’essentiel de la mission de l’ consiste à
construire une personnalité grâce à l’acquisition de savoirs fondamentaux et de
méthodes de travail dont la pertinence est motrice » (Dersoir, 1996). Le courant
nantais ne dénigre pas pour autant la référence aux pratiques sportives qui constitue
le « fonds culturel ». Les conceptions de Jean Le Boulch (1996) peuvent se situer
dans ce « courant développementaliste » dénommé ainsi car l’entrée dans
l’apprentissage s’effectue par ce que l’enseignant prévoit de développer chez l’élève.
Le - (1996) défend également cette tendance didactique de l’ . Il s’agit
d’améliorer les procédures d’apprentissage du sujet par la prise de conscience des
moyens utilisés pour résoudre un problème. Ainsi, dans les années 1990, un courant
centré sur une spécification de l’ se réorganise en dehors de l’aspect culturel des
. Si ce courant paraît s’imposer dans les textes de 1993 ou encore de 1999,
l’abrogation quasi immédiate de ces derniers, demandée et obtenue par le ,
montre combien le rapport de force au sein de la profession ne leur est pas favorable.
Jacques Rouyer (1995 d) et Alain Becker (1996) se font les porte-parole du pour
s’insurger contre des traitements didactiques qui s’éloignent trop de la référence
sportive.

Si les années 1990 ont vu le nombre d’acteurs proposant de nouvelles approches 72

didactiques augmenter (René, 1996), les années 2000 semblent, au contraire,


marquées par des difficultés en matière de recherche dans ce domaine. Si l’Europe et
la mondialisation offrent de nouveaux lieux de débats et de modèles pour l’ en
France (Klein, 2003), les institutions de formation et de recherche semblent bouder
l’ . Les , plus attachées à l’étude du sport ou du mouvement humain, se
présentent de moins en moins comme des lieux d’innovation en (Marsault, 2004
a), depuis la création des . On peut toutefois noter les travaux sur la motivation à
Grenoble (Sarrazin, Famose, 2005), sur l’apprentissage coopératif à Besançon
(Musart, Mahut, Grehaigne, Masselot, 2000) ou la promotion d’une éducation
physique citoyenne (Delignières, Garsault, 1997) à Montpellier, par exemple. Ces
travaux s’orientent vers un nouvel intérêt de la pratique sportive en comme lieu
d’interaction sociale. L’utilisation des pratiques sportives n’est pas remise en cause,
mais est repensée différemment dans le cadre de la recherche en éducation.

Ainsi, au-delà des concepteurs, les institutions de formation semblent jouer un rôle 73

important dans le renouvellement des conceptions en . Or les institutions de


formation aux missions élargies ( , ) ne constituent plus le terreau d’une
identité disciplinaire. La multiplication des institutions et la diversification de leurs

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13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

missions ne favorisent pas l’expression d’un débat propre à l’ et la défense d’une


culture spécifique. Comment se constitue finalement cette culture ?

Le modèle sportif comme le plus petit dénominateur commun

Malgré la diversité des pratiques inscrites dans les textes officiels, liée à une prise en 74

compte de la demande sociale, la réalité de l’ s’organise autour de pratiques


traditionnelles (Bessy, 1991 ; Durali, Geay, Perriot, Rolan, 2002). Ce noyau sportif
semble lié à une tradition de l’ transmise par les formations initiales (Marsault,
2000). Une certaine unicité est alors réalisée dès la formation initiale des enseignants
et lors de leur recrutement (Marsault, 2004 b). Pour autant, cette culture commune
n’est pas transmise directement par les formations, mais instituée en valeurs. En
choisissant de former et de recruter à partir de performances dans certaines activités,
les institutions de formation sélectionnent les individus porteurs de ces compétences.
L’histoire de la discipline et notamment de son recrutement explique donc la relative
homogénéité des enseignants en matière de compétences sportives. En effet, la
présentation d’un concours de recrutement ( ou agrégation) ou d’un diplôme
permettant d’enseigner (maîtrise d’ , ) nécessite le passage d’épreuves
sportives. Ces dernières, bien que variables au cours du temps (de une à six épreuves
sportives), reprennent toujours au moins les activités traditionnelles, même si elles
ne se limitent pas toujours à celles-ci. Ainsi, la pratique de certaines activités
physiques conduit plus facilement au métier d’enseignant d’ . Les sports collectifs,
l’athlétisme, la gymnastique et la natation sont les activités à partir desquelles se sont
professionnalisés la plupart des enseignants. Peu d’enseignants sont spécialistes de
golf ou d’activités d’entretien. Tout se passe comme si les pratiques sportives
prenaient une valeur sociale et éducative dans l’histoire personnelle de l’enseignant.

Si les enseignants ne sont pas tous d’accord sur la manière d’enseigner l’ , c’est 75

qu’au-delà de la formation initiale l’origine socioculturelle de l’enseignant pèse sur la


définition de l’ , à travers un usage spécifique du corps (Boltanski, 1971) et du sport
(Pociello, 1981). Les institutions de formation et les concours de recrutement
(Chapoulie, Merllié, 1975) filtrent ainsi certains profils en sélectionnant sur des
critères qui diffèrent selon les périodes. En effet, les instituts de formation ne se
différencient pas seulement par leur programme plutôt technique ou général, mais
aussi par le recrutement social qu’ils opèrent.

Dans les années 1970, le modèle de l’enseignant sportif est valorisé dans les , les 76

, les et à l’ . La formation des maîtres d’ est un enseignement sportif.


Le , syndicat majoritaire des maîtres d’ , revendique d’ailleurs ouvertement
l’enseignement d’une pratique sportive de type fédéral. Issus principalement du
milieu ouvrier, de l’artisanat et de l’agriculture, et souvent impliqués dans le milieu
sportif, ces enseignants portent à l’effort physique et à la transmission technique un
intérêt qui fait partie de leur culture personnelle. Ils valorisent alors un enseignement
technique proche du sport fédéral dont ils constituent souvent la cheville ouvrière.
L’attachement à une éthique sportive respectant la norme et la hiérarchie fédérales
marque leur culture du métier. Ces postulants vont investir les concours de
l’enseignement lorsque l’artisanat et l’agriculture déclinent. Ils espèrent une
promotion sociale grâce à leur implication sportive. Ils vont alors défendre une
centrée sur le développement des capacités physiques et des qualités morales par
l’intermédiaire du sport. L’accroissement du recrutement grâce à l’importante place
prise par le sport dans la politique étatique et au baby-boom a permis à ces personnes
d’entrer dans la profession. Bien que proposant des formations plus théoriques et
recrutant dans des milieux plus favorisés (employés et techniciens), les offrent
également un lieu de diffusion du sport, mais d’un sport éducatif. Les professeurs
certifiés ont une formation plus générale, mais également sportive. Pour préparer le
, le concours d’entrée (P0) est principalement composé d’épreuves sportives.
En 1970, les candidats possédant des titres sportifs obtiennent d’ailleurs une
bonification. Le , qui les représente, milite également pour une sportive.

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Même si les sont créées en 1969, c’est seulement à partir de 1975 que la 77

formation des enseignants est reconnue à l’Université par la création des .


Que ce soit pour l’entrée dans les , ou dans les , la sélection reste centrée
sur les compétences sportives. En devenant plus universitaire, la formation dans les
devient également moins spécialisée dans les pratiques sportives. Les années
1980 voient alors le recrutement des enseignants passer de la spécialisation dans peu
d’activités (une option, deux polyvalences) vers une ouverture sur des disciplines
différentes (une option et trois polyvalences à partir de 1986). Cette ouverture sur des
activités physiques comme la plongée subaquatique, ainsi que la formation
universitaire permettent à de nouvelles fractions sociales d’investir l’espace
professionnel. La conjoncture va être favorable à l’introduction de personnes issues
de fractions sociales intermédiaires et supérieures qui vont trouver, dans ces
nouvelles formations universitaires, l’occasion de se professionnaliser. Ces individus,
porteurs de nouvelles compétences, d’un rapport au corps et à l’école différent, vont
définir autrement leur activité professionnelle (Muel-Dreyfus, 1983). Ils sont à
l’origine du développement d’une ingénierie corporelle, permettant à l’élève
d’acquérir des connaissances pour piloter son corps. Dotés de compétences scolaires
plus importantes, ils vont, entre autres, favoriser le développement de la didactique
et l’introduction de savoirs théoriques sur la pratique physique au cours des années
1980. La défense d’un modèle plus scolaire de l’ prétend valoriser la discipline,
autant que leurs positions dans la société et au sein de l’école. Cet impact de la
formation universitaire sur la profession sera d’autant plus important que la filière,
plus sportive dans les , s’éteindra à partir de 1983.

À partir de 1990, les notions d’ « option » et de « polyvalence » ont laissé la place au 78

choix d’activités physiques les plus couramment pratiquées dans le second degré
(arrêté du 22 septembre 1989). Il ne s’agit plus de développer des compétences à
partir de quatre activités, mais au moyen d’une pratique s’alimentant dans cinq
groupes d’activités. Cette nouvelle cohorte d’enseignants est porteuse d’une culture
sportive à la fois multiple et généraliste. Ce sont plus souvent des enfants
d’enseignants qui cherchent à réinvestir l’espace professionnel de leurs parents. Ils
ont une vision de leur mission éducative plus proche de l’école que du sport. Ces
futurs enseignants issus des possèdent une culture sportive plus vaste
intégrant de nouvelles pratiques. Par exemple, l’insertion des sports de raquette
(programmes de 1996) ou des activités de développement personnel (1999) officialise
la valeur éducative de ces pratiques. La montée des activités d’opposition
(notamment tennis, badminton) révèle donc à la fois l’évolution sociale du
recrutement (Michon, 1989 a) du fait de l’élévation des exigences (formation
universitaire), et la démocratisation de ces pratiques.

En introduisant de nouveaux individus porteurs de nouvelles valeurs, l’histoire du 79

recrutement éclaire les transformations culturelles de la discipline. Elle explique


également l’existence de sous-cultures professionnelles (Klein, 2001), résultats d’une
accumulation d’enseignants aux propriétés socioculturelles différentes. L’ se pare
ainsi d’utilités différentes (Delignières, Garsault, 1993) en regard de la vision sociale
de la pratique qu’apporte l’enseignant en entrant. Aussi, la définition de la pratique
de l’ doit également se comprendre comme le produit d’une insertion
professionnelle variable de catégories sociales différentes, résultant d’une
conjoncture économique évolutive. Pour autant, l’organisation pédagogique sous
forme de travail en équipe conduit à la nécessaire convergence vers une culture
commune. « La logique de la négociation interne conduit au conservatisme logique
du plus petit dénominateur commun » (Dubet, 2000). Ainsi, les activités
traditionnelles constituent finalement le point commun entre les différentes fractions
professionnelles qui divisent la corporation. La définition de la compétence sportive
est donc un moyen de contrôler les entrants et, en définitive, d’agir sur la culture de
référence à transmettre. L’augmentation exponentielle des postes aux concours au
cours des années 1990 va permettre de recruter un panel diversifié d’enseignants qui
tend à alimenter la segmentation de la corporation (Klein, 2003). La réduction

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13/11/2018 1. La sportivisation : l'enjeu sportif comme modèle culturel

drastique des postes aux concours depuis 2005 et la mastérisation en 2009 de la


formation auront des conséquences sur la définition de l’ .

EPS et APS : comment se noue le lien ?

Malgré une définition sociale plus floue, une définition politique plus ambiguë et une 80

image symbolique égratignée, le sport reste une référence culturelle importante pour
l’ . Pour autant, il est possible de repérer quelques évolutions. En effet, les
enseignants puisent dans les pratiques sociales en mutation pour enrichir la
discipline de nouvelles pratiques, conduisant à l’accumulation des références sociales
et culturelles potentielles. L’introduction massive de pratiques visant plus la maîtrise
gestuelle (acrogym) ou les stratégies (sport de raquette) que la production de
performances essentiellement physiques révèle un changement de conceptions du
corps. Ce passage de la force à la finesse se perçoit également dans la transformation
de l’apprentissage des pratiques plus traditionnelles. L’évolution du matériel en
natation (Terret, 1996) visant la recherche de sensations corrobore aussi cette
hypothèse.

Cependant, la résistance aux changements perceptible dans la remise en cause de 81

textes qui s’éloignent de la référence sportive, le retard à l’introduction de nouvelles


pratiques ou la pérennité d’un ordre sportif dans l’idéologie de la corporation
s’expliquent par un passé incorporé en chacun des enseignants. Ainsi, la tradition
disciplinaire et le mode d’organisation collectif conduisent à ce que la diversité des
possibilités corporelles se réduise à la communauté d’un passé sportif traditionnel. Si
la norme sportive est peu remise en cause, des différences existent et doivent se
comprendre en termes de rapport au sport, c’est-à-dire de traitement différencié de
l’activité et de son usage pédagogique.

[1] Le SNEP-FSU réitère cet argument lors de son congrès d’Amiens du 4 au 8 juin 2007.

[2] Le même constat nous est proposé par Gilles Klein (2003) au niveau de l’Europe.

[3] Selon Michaël Attali et Jean Saint-Martin (2006), les cinq heures d’EPS sont un leurre, l’enseignement

de l’EPS est même souvent supprimé à cette époque. Selon Jean-Luc Martin (1999), les cinq heures

relèvent plus d’une volonté politique que d’une réalité.

[4] De Pierre de Coubertin à Maurice Baquet, les promoteurs du sport ont réussi à introduire les

pratiques sportives au nom de leur vertu en les modélisant de façon à les rendre les plus proches de

l’enseignement de la gymnastique.

[5] Maurice Lagisquet (1967) transforme peu à peu la séance de gymnastique suédoise en une véritable

gymnastique sportive au sein de l’ENEPS.

[6] Les enseignants du lycée Corbeil-Essonnes sont pour la plupart des anciens élèves de l’ENSEP et ont eu

Robert Mérand comme formateur.

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