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(Semestre 1)
Notion, Identification, Catégories de service public, Lois du service public
Documents reproduits.
Notion, Identification, Catégories
Doc 1. CE Ass. 16 nov. 1956, Union syndicale des industries aéronautiques (USIA)
Doc 2. CE sect., 28 juin 1963, Sieur Narcy
Doc 3 : CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun et Association "Melun-Culture-Loisirs"
Doc 4 : CE Sect. 22 févr. 2007, Assoc. du personnel relevant des établissements
pour inadaptés (APREI)
Doc 5 : CE, 12 novembre 1997, Syndicat national professionnel des médecins du
travail.
Doc 6. Cour de cassation chambre civile, Association nationale pour les chèques
vacances (l'ANCV) 23 mars 2011, n° de pourvoi : 10-11889
Doc 7 : CE, Section, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de
Nevers
Doc 8 : CE sect. 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence
Doc 9 : CE, Assemblée, 31/05/2006, Ordre des avocats au barreau de Paris
Doc 10. Rapports des agents, usagers et tiers avec des Services publics
administratifs ou des Service publics industriels et commerciaux gérés par une
personne publique une personne privée
Lectures reproduites
Lecture 1.
L'essentiel
Bien que la chose ait été fort contestée, l'arrêt Bac d'Eloka est considéré comme
ayant donné naissance à la distinction entre service public à caractère industriel et
commercial (SPIC) et service public à caractère administratif (SPA). Cent ans plus
tard, cette distinction s'est peut-être érodée mais elle persiste néanmoins. L'idée que
son principal effet est la compétence du juge administratif est, pour sa part, sans
doute moins évidente, particulièrement quand on évoque les relations du SPIC avec
les tiers ou, peut-être, quand l'usager est lui-même une personne publique.
En deuxième lieu, si l'on considère les éléments de fond pris en considération par le
Tribunal des conflits dans sa décision Bac d'Eloka, à savoir : un service de transport
comparable à celui que peut assurer un industriel ordinaire ; un service exploité par
une personne publique dans les mêmes conditions que le ferait cet industriel ; un
service pour lequel l'usager acquitte une rémunération avec, en cas de litige entre le
service et l'usager, l'intervention du juge judiciaire, on doit reconnaître que l'on
rencontre ici les éléments les plus constants et les plus déterminants, dont la
réunion caractérise, depuis Bac d'Eloka, la présence d'un SPIC. Cet arrêt a, en
quelque sorte, posé les éléments de la notion et a ainsi permis qu'intervienne,
ensuite, leur synthèse sous l'expression « service public industriel et commercial ».
Fiction, légende, mythe (M. Touzeil-Divina, Eloka, sa colonie, son wharf, son
mythe, mais pas de service public, in Droit et colonisation, Bruylant, 2005, p. 309),
la décision Bac d'Eloka n'est guère épargnée mais elle résiste et reste la référence
en matière de SPIC. Et puis, à supposer même que l'arrêt Bac d'Eloka relève de la
légende, la place prépondérante que lui réservent les ouvrages de droit administratif
comme étant l'arrêt du SPIC, justifierait que l'on applique à cette légende l'adage
selon lequel error communis facit jus. La légende étant transformée en réalité par
une erreur largement partagée d'interprétation doctrinale et même jurisprudentielle.
Cela mérite bien une commémoration.
Ce sera ainsi l'occasion de rechercher d'abord, cent ans après, ce qui perdure de la
distinction SPA-SPIC en elle-même et, ensuite, de s'intéresser aux effets qu'elle
produit encore.
6
A. La portée de la distinction
1. L'échec du triumvirat
Dès lors qu'est apparue une notion de SPIC caractérisée par des éléments
spécifiques, notamment dans un premier temps la similitude avec les activités «
d'un industriel ordinaire », il était inévitable, eu égard à ces éléments, qu'une
scission apparaisse au sein des services publics : les SPA, les SPIC. Cette division
binaire, qui caractérise bien d'autres notions du droit administratif (D. Truchet,
Droit administratif, PUF, Thémis, 6e éd., 2015, p. 38), et qui se prolonge
aujourd'hui, a failli sombrer avec l'apparition trente-quatre ans, jour pour jour, après
la décision Bac d'Eloka de l'arrêt Naliato (T. confl. 22 janv. 1955). Dans ce dernier,
le juge des conflits conclut à la compétence judiciaire s'agissant d'un accident
survenu dans une colonie de vacances organisée par une personne publique et
qualifiée de service public car poursuivant « un but d'intérêt social », mais qui est
gérée dans des conditions ne permettant pas « de la distinguer juridiquement des
organisations similaires relevant de personnes ou d'institutions de droit privé ».
L'arrêt fit quelque bruit, fut intégré dans la première édition des Grands arrêts
(1956) et on l'interpréta comme écartant le duo SPA-SPIC au profit d'un triumvirat.
A vrai dire, la nouvelle catégorie ne fit que vivoter car les juges s'attachèrent le plus
souvent à démontrer que ces « services sociaux », organisés par une personne
publique, étaient, en quelque sorte, présumés fonctionner de façon différente des
institutions privées ayant la même activité. Vingt-huit ans plus tard, avec l'arrêt
Gambini (T. confl. 4 juill. 1983, Lebon 540), le juge des conflits mettait fin à la
tentative réintégrant lesdits services, compte tenu de la particularité de chacun
d'eux, dans les SPA ou les SPIC. On est ainsi revenu à la division binaire qui
perdure et l'expression de service public social ne figure plus qu'au titre de
classement des arrêts dans le Lebon et dans le droit de l'Union européenne (UE),
mais avec un sens différent de celui de Naliato.
Le duo SPA-SPIC a été également menacé par les catégories applicables aux
services publics et issues du droit de l'Union européenne. Dès lors que ce droit
connaît par exemple des services d'intérêt général économique (SIEG) et des
services non économiques d'intérêt général (SNEIG ou SIG), les premiers
comportant un caractère marchand que l'on ne rencontre pas dans les seconds,
n'était-il pas possible de substituer cette distinction à celle issue de l'arrêt Bac
d'Eloka, le SIEG, par exemple, étant susceptible de se substituer au SPIC et le SIG
au SPA ? Encore fallait-il que les notions françaises et européennes soient
superposables, ce qui n'est pas toujours le cas, ne serait-ce que parce que le droit
français analyse comme des SPA des services qui, pour l'UE, constituent des SIEG
(autoroutes payantes, cantines scolaires, habitat social, etc.). Et le juge français
n'était peut-être pas prêt à abandonner une distinction qui lui doit tant...
Enfin, la catégorie des SPIC est consacrée par le législateur (v., par ex., CGCT, art.
L. 1412-1) à côté des SPA locaux (art. L. 1412-2) confirmant ainsi le caractère
binaire et exhaustif de la distinction.
Tout d'abord, si l'on se tourne du côté des textes, l'apport en la matière est limité.
Par ailleurs, un texte de loi peut directement faire obstacle à ce qu'un service public
soit considéré comme industriel et commercial eu égard à sa qualification de
service public administratif (CGCT, art. L. 2226-1 pour la gestion des eaux
8
jurisprudentiel. Il est bien, sous tous rapports, si l'on s'en tient à son énoncé, il est
plus incertain dans sa mise en oeuvre.
comme des SPA, ainsi que les pompes funèbres. Sans compter qu'un même service
public peut être SPA ou SPIC suivant qu'il est financé par une taxe ou une
redevance. Et que dire des bacs maritimes de transport en cause dans Bac d'Eloka,
SPIC à l'origine, devenus SPA et encore, pour des raisons différentes : soit au titre
de la continuité territoriale (CE 10 juill. 1989, n° 77006, Régie départementale des
passages d'eau de la Charente-Maritime, RFDA 1991. 180, note J.-F. Lachaume ),
soit au titre de la gratuité (T. confl. 15 oct. 1973, Barbou, Lebon 848), ce qui
constitue dans ce dernier cas, et a contrario, un retour à la solution Bac d'Eloka.
2. Les EPIC
On citera ensuite les EPIC qui, dans leur forme la plus pure, sont issus de la
conjonction de la structure administrative en cause et de la notion de SPIC. On peut
d'ailleurs considérer qu'au niveau des SPIC locaux, la régie dotée de la personnalité
morale et de l'autonomie financière est, en réalité, un véritable EPIC. S'agissant des
11
SPIC d'Etat, la structure de l'EPIC a été utilisée pour la gestion de grands services
publics nationaux (électricité, gaz, transports ferroviaires, La Poste, France
Telecom, RATP, etc.). Le moins que l'on puisse dire c'est que si, suivant les
époques (1946, 1981), l'EPIC a été à la mode en ce qu'il était crédité de maintenir le
SPIC dans le giron public, il a perdu aujourd'hui beaucoup de sa superbe puisqu'il a
été remplacé pour la gestion de la plupart des services publics précités par la forme
de société (RATP exclue).
La consultation des tables du Lebon sur la période 2000-2019 fait apparaître une
quarantaine de décisions (CE et T. confl.) impliquant un SPIC. On doit constater
que peu d'arrêts portent sur l'identification même d'un SPIC et que le plus grand
nombre est relatif au contentieux des relations SPIC-usagers, donc aux effets de la
distinction.
A. L'organisation du SPIC
1. Le mode de gestion
Si la gestion des SPIC est assurée directement par son créateur ou est confiée à une
personne publique spécialisée, quelle que soit leur ressemblance avec les
entreprises industrielles ordinaires à laquelle fait référence Bac d'Eloka, il était très
difficile, eu égard au poids de l'élément organique dans l'application du droit
administratif, d'évacuer totalement celui-ci de l'organisation du SPIC.
12
La situation est pratiquement identique si le SPIC est confié pour sa gestion à une
personne privée par la voie de la concession, même si ce mode de gestion est
beaucoup plus utilisé pour les SPIC que pour les SPA, ce qui est dans l'ordre des
choses. En effet, le contrat de concession, même d'un SPIC, était administratif hier
en vertu de la jurisprudence et il l'est aujourd'hui de par la loi lorsque le concédant
est une personne publique (CCP, art. L. 6) peu importe la nature du
concessionnaire. De plus, les relations concédant-concessionnaire relèvent très
largement du droit administratif et cela ne date pas d'aujourd'hui.
Quant aux actes d'organisation proprement dits du SPIC, édictés par le créateur ou
le gestionnaire de celui-ci, on retrouve l'essentiel des solutions retenues, quant à la
nature du droit applicable et à la compétence juridictionnelle, pour les SPA, ce qui
n'implique pas cependant une similitude au fond des règles applicables à chaque
catégorie de services.
En second lieu, les marchés conclus par une personne publique pour l'organisation
du SPIC sont administratifs aux conditions législatives et jurisprudentielles
habituelles, comme ceux des SPA. Cette solution est, aujourd'hui, imposée pour les
deux catégories de services publics, par les articles L. 6 et L. 1111-1 du code de la
commande publique (CCP), même si l'organe gestionnaire du SPIC est un EPIC.
On serait tenté en revanche d'écrire que le régime juridique des agents des SPIC est
l'un des fleurons du régime de ces services, d'autant qu'on le rattache, à l'origine, à
l'arrêt du Conseil d'Etat du 26 janvier 1923 de Robert Lafrègeyre (Lebon 67 ),
13
intervenu deux ans après, presque jour pour jour, l'arrêt Bac d'Eloka. Il est vrai que
les deux arrêts ont en commun d'être considérés comme des références en matière
de SPIC sans d'ailleurs faire, ni l'un ni l'autre, expressément référence à cette
notion. L'arrêt Robert Lafrègeyre a été ainsi interprété comme conférant aux seuls
agents de direction du SPIC la qualité d'agent public, limitée par la suite au seul
directeur du SPIC ou de l'EPIC et à l'agent comptable s'il possède la qualité de
comptable public, et ce même lorsque le service est géré par une personne publique
(CE 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Lebon 158). Aujourd'hui, il est donc
communément admis que les agents des SPIC, même gérés par des personnes
publiques, sont soumis au droit privé à l'exception du directeur et du comptable
public. Ici encore la réalité semble plus complexe.
Tout d'abord, si l'on considère les règlements édictés par le gestionnaire du service
et relatifs aux éléments de statut des agents, ces règlements étant réputés relatifs à
l'organisation du SPIC sont considérés comme administratifs qu'ils émanent d'un
gestionnaire public ou privé, comme le sont les règlements relatifs aux agents des
SPA.
Le statut de la fonction publique de 1983/84, dans son titre premier, commun aux
fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales, précise, dans son article 2,
que « dans les services et les établissements publics à caractère industriel ou
commercial », il « ne s'applique qu'aux agents qui ont la qualité de fonctionnaire ».
Cette précision met en évidence qu'aujourd'hui la situation individuelle des agents
des SPIC n'est pas en totale harmonie, c'est le moins que l'on puisse dire, avec les
données jurisprudentielles issues des arrêts précités de 1923 et 1957. Certes, la
solution de principe résultant de la conjonction de ces deux arrêts est respectée (T.
confl. 20 mars 2006, n° 3487, Mme Charmot c/ Syndicat intercommunal pour
l'équipement du massif des Brasses, Lebon 785), mais cela n'exclut pas sa possible
mise en échec par la loi ou par l'évolution de la nature du service en cause ou de
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Ainsi, lorsque le SPIC est géré par une personne publique, la solution reconnaissant
la qualité d'agent public au directeur de l'ensemble du service et du comptable
public est, quelquefois, écartée, malmenée ou oubliée. Ne serait-ce, par exemple,
que pour certains services elle est écartée par la loi (CE 20 mars 2015, n° 370628,
Lebon 715 ; AJDA 2015. 607 , pour les régies de gaz et d'électricité) ou parce que
les agents du service ont été recrutés avant que le service ne soit transformé de SPA
en SPIC ou le gestionnaire du service d'EPA en EPIC (CE 29 mars 1965, L'Herbier,
Lebon 80). Sans compter que, pour les autres agents qui avaient la qualité de
fonctionnaire avant la transformation du SPA en SPIC, les pouvoirs publics
peuvent hésiter à la leur retirer après cette transformation...
Dans les SPIC locaux gérés par la personne publique créatrice ou par une personne
publique spécialisée (par ex. les régies communales, un syndicat de communes, un
EPIC), il arrive que les agents recrutés et affectés à un SPIC soient intégrés dans les
cadres de la fonction publique territoriale et bénéficient, par là même, de la qualité
de fonctionnaire. On pourrait discuter de la régularité de cette pratique, mais ne
trouve-t-elle pas aujourd'hui un fondement légal dans la loi du 13 juillet 1983 qui
reconnaît que des agents des SPIC peuvent avoir la qualité de fonctionnaire ?
Si le SPIC est géré par une personne privée, les juges judiciaires n'hésitent pas à
s'écarter de la solution des arrêts de 1923 et 1957 en faisant valoir un critère
simple : l'agent du SPIC géré par une personne privée est uni à son employeur par
un contrat qui est de droit privé eu égard à la nature des parties en cause et peu
importe alors la fonction occupée, ce qui ne signifie pas d'ailleurs que les agents
soient intégralement soumis aux dispositions du code du travail, car pour les SPIC
nationaux, voire pour certains SPIC locaux, ils bénéficient de véritables statuts
(cheminots, gaziers, électriciens par exemple). A l'opposé, si l'on peut dire, on
rencontre même des SPIC (anciennement SPA) gérés aujourd'hui par des sociétés
commerciales et des agents en activité auxquels la qualité de fonctionnaire a été
maintenue (cas de La Poste et de France Télécom : loi du 2 juill. 1990 ; loi du 2
févr. 2007) ; il est vrai que politiquement et socialement une solution contraire
aurait été source de difficultés (sur la diversité des situations des agents de La
Poste, T. confl. 6 juill. 2020, n° 4188, Société La Poste, Lebon ; AJDA 2020. 2298
).
B. Le fonctionnement du service
1. La situation de l'usager
L'usager entre en relation avec le service public pour bénéficier des prestations de
celui-ci. Cette relation est individuelle et a comme support juridique un acte
administratif dans le cas des SPA et un lien de droit privé dans le cas des SPIC. Se
pose alors la question de ce que recouvre cette notion de lien de droit privé,
toujours d'actualité cent ans après.
l'arrêt qui vaut encore aujourd'hui (T. confl. 8 oct. 2018, n° 4135, Commune de
Malroy, Lebon T. 610 ; AJDA 2018. 2343 , note S. Hul ; AJCT 2019. 106, obs.
F.-J. Defert , litige relatif à la facturation et au recouvrement de la redevance due
par l'usager d'un service public d'assainissement, considéré comme industriel et
commercial par l'interprétation donnée par le juge de l'article L. 2224-11 du
CGCT ; T. confl. 13 nov. 2000, n° 3191, Société de distribution d'eau
intercommunale c/ SA Descombe, Lebon 777). On remarquera, au passage, que
c'est à propos de la relation entre un SPIC et un usager, tant dans la décision Bac
d'Eloka, que dans les arrêts précités, Société générale d'armement, Kuhn, Tondut,
etc. que va être construit le noyau dur du régime juridique des SPIC qui n'est pas
fondamentalement remis en cause aujourd'hui.
Dans Bac d'Eloka, le juge des conflits ne procède pas à la qualification du lien
juridique - contractuel ou réglementaire - unissant individuellement le SPIC à
l'usager ; on peut simplement déduire de l'arrêt qu'il s'agit d'un lien de droit privé. A
s'en tenir à cet arrêt, ainsi qu'à l'arrêt Kuhn de 1932, qui ne font nullement référence
à une situation contractuelle, il était possible de soutenir que l'on se trouvait en
présence d'un lien réglementaire de droit privé, comme c'est le cas aujourd'hui
s'agissant du candidat-usager pourtant assimilé à un usager effectif alors qu'il n'a
pas encore contracté avec le service ou de l'usager en situation irrégulière faute
d'avoir passé un contrat avec le service (T. confl. 5 déc. 1983, n° 2307, Niddam c/
SNCF, Lebon 541). Mais, dès 1921, on rencontre dans d'autres arrêts une analyse
contractuelle de la situation SPIC-usager, le contrat étant alors considéré, en
principe, comme de droit privé (CE 23 déc. 1921, Société générale d'armement,
préc.).
On retrouve donc cent ans après le bloc de compétence judiciaire initié par l'arrêt
Bac d'Eloka limité aux seuls rapports concernant directement la fourniture de la
prestation aux usagers, que celle-ci soit enfermée ou non dans une relation
contractuelle. Sur ce point, la distinction SPA-SPIC a produit et continue de
produire des effets substantiels.
Par tiers, on entend les personnes qui entrent en contact volontairement ou non avec
le service, sans avoir ni la qualité d'usager, ni celle d'agent dudit service. S'agissant
des SPA gérés par une personne publique, le rapport entre le tiers et le service
relève du droit administratif aux conditions habituelles d'application de ce droit. Il
suffit ici de faire référence à l'arrêt Blanco et aux grands arrêts du début du XXe
siècle relatifs aux contrats administratifs. L'appel au droit administratif constituant
l'exception lorsque le SPA est géré par une personne privée.
Pour les SPIC, l'arrêt Bac d'Eloka ne préjuge pas du régime juridique applicable au
service public dans ses relations avec les tiers, sauf à admettre que le service en
cause étant exploité « dans les mêmes conditions qu'un industriel ordinaire », le
recours au droit privé devrait jouer tant pour les tiers que les usagers.
Il faudra attendre la décision du Tribunal des conflits Dame Mélinette (11 juill.
1933, n° 0784, Lebon 1247, concl. Rouchon-Mazerat) pour que se pose l'incidence
de la jurisprudence du 22 janvier 1921 sur un litige né d'un accident causé sur la
voie publique à une passante et imputable à un camion affecté au ramassage des
ordures ménagères. Le juge des conflits, qui fait référence en l'espèce à un « service
public industriel », décide que le litige « ne se rattachant pas de façon indivisible à
l'exécution d'un travail public » relève de l'autorité judiciaire puisque les fonctions
remplies par le service en cause « ne rentrent pas [...] dans les attributions
exclusives de la puissance publique ».
A partir des années 1960, le Tribunal des conflits (14 nov. 1960, Société Vandroy-
Jaspar, Lebon 867) et le Conseil d'Etat (21 déc. 1960, Favier, Lebon 720)
admettent, en matière de contrats, que ceux conclus par un SPIC géré par une
personne publique avec des tiers et contenant des clauses exorbitantes du droit
privé sont administratifs. Deux années auparavant, le Conseil d'Etat avait placé
également sous l'emprise du droit administratif les actions en responsabilité
extracontractuelle dirigées contre une personne publique (EDF à l'époque) gérant
un SPIC, dès lors, par exemple, que le dommage était imputable à un ouvrage
public (CE 25 avr. 1958, Veuve Barbaza, Lebon 228). Ainsi réapparaissait le droit
administratif au titre des relations SPIC-tiers, dans des proportions qu'il convient
d'évaluer actuellement.
Les actes réglementaires édictés par la personne publique qui gère le SPIC, et dont
les effets peuvent concerner les tiers, sont normalement administratifs s'ils révèlent
la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique (T. confl. 22 nov. 1993, n°
2876, Matisse, Lebon 410 ; AJDA 1994. 168 ; D. 1994. 27 ; RTD com. 1994.
259, obs. G. Orsoni , a contrario).
20
Lorsque le gestionnaire du SPIC est une personne privée, le contrat SPIC-tiers n'est
administratif que par appel à la théorie du mandat.
En tout cas, lorsque l'on compare le régime juridique des contrats conclus avec un
tiers par un SPA géré par une personne publique à celui des mêmes contrats passés
par un gestionnaire public d'un SPIC avec un tiers, on ne note pas, sauf erreur, de
différences fondamentales.
L'arrêt Dame Mélinette est relatif à un dommage causé à un tiers en dehors de toute
relation contractuelle par le fonctionnement d'un SPIC et il conclut à la compétence
judiciaire. Elle le serait également aujourd'hui, mais sur un fondement différent, à
savoir la loi du 31 décembre 1957.
Dans son article précité, Bertrand Seiller fait référence à l'érosion de la distinction
SPA-SPIC. Il a raison si l'on songe au caractère perméable de la distinction SPA-
SPIC et à la systématisation de ses effets surtout dans les rapports SPIC-usager.
Mais érosion n'est pas disparition. A vérifier... au prochain anniversaire.
fondées sur l'origine, la race ou la religion des usagers. Par ailleurs, le principe
d'égalité suppose que deux usagers placés dans une situation identique puissent
revendiquer un traitement identique, ce qui ne s'oppose pas à l'établissement de
catégories fondées sur l'existence d'une différence de situation objective ou sur une
nécessité d'intérêt général en rapport avec l'objet du service (6). Ainsi, le principe
d'égalité n'interdit pas à l'administration d'établir des différences de traitement entre
les usagers d'un même service public, dès lors que ces distinctions sont justifiées.
Au-delà des lois du service public mises en lumière par Louis Rolland, de
nouveaux principes régissant le fonctionnement des services semblent avoir émergé
sous l'influence du droit communautaire et à la suite de l'évolution des pratiques
administratives. En effet, la mise en oeuvre d'une politique de modernisation de
l'administration et des services publics a contribué à faire apparaître de nouvelles
règles de fonctionnement, ce qui conduit à s'interroger sur le point de savoir si ces
nouveaux principes constituent autant de nouvelles lois du service public. En
d'autres termes, le triptyque dégagé par Louis Rolland serait-il aujourd'hui
insuffisant pour définir le droit commun des services publics ?
La charte des services publics adoptée le 18 mars 1992 se réfère, quant à elle, à de
nouveaux « principes d'action du service public », aux côtés des « principes
fondamentaux » (8). Parmi ces « principes d'action », le texte mentionne la
transparence et la responsabilité, la simplicité et l'accessibilité.
Par la suite, la circulaire du 26 juillet 1995 est venue compléter cette liste (9) : ce
texte estime qu'il faut donner corps à de nouveaux principes au nombre desquels
figurent la qualité, l'accessibilité, la simplicité, la rapidité, la transparence, la
médiation, la participation et la responsabilité. Plus récemment, la circulaire du 2
mars 2004 a permis l'élaboration d'une charte de l'accueil des usagers afin d'assurer
le respect des principes de transparence et d'accessibilité, et afin de promouvoir un
accueil de qualité (10). Le Premier ministre a également annoncé l'élaboration
d'une nouvelle charte dans le courant de l'année 2006 visant à rappeler les lois du
service public (11).
Mais peu d'auteurs considèrent que ces nouvelles règles constituent toutes de
véritables lois du service public ; la classification adoptée dans les différents
ouvrages distingue généralement les principes fondamentaux et les nouvelles règles
de fonctionnement. Stéphane Braconnier établit ainsi une distinction entre les « lois
réelles » du service public et les « principes virtuels » qu'il qualifie « d'exigences a-
juridiques » (12). Pierre-Laurent Frier estime, quant à lui, que les nouveaux
principes ne peuvent être élevés au rang de loi du service public, il s'agit
simplement de « règles de bonne gestion » (13). A cet égard, il faut d'ailleurs
rappeler que la charte des services publics du 18 mars 1992 n'associait pas
expressément ces nouvelles règles aux principes traditionnels puisqu'elle établissait
une distinction entre les « principes fondamentaux » et les « principes d'action ».
De manière générale, la doctrine apparaît rétive face à l'émergence et à la
consécration de nouvelles lois du service public, même si certains auteurs n'hésitent
cependant pas à admettre l'apparition de nouveaux principes fondamentaux (14).
Ces lois se caractérisent de prime abord par leur généralité dans la mesure où elles
ont vocation à s'appliquer à l'ensemble des services publics, ce qui ne signifie pas,
pour autant, qu'elles s'appliquent avec la même intensité à toutes les activités (15).
En outre, il s'agit de principes généraux du droit, ce qui leur confère une valeur et
donc une force juridiques. Le principe de continuité a été élevé au rang de principe
« fondamental » dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 13 juin 1980, Mme Bonjean, et il
a valeur constitutionnelle (16). Le principe d'égalité revêt lui aussi une double
qualification juridique au regard de la jurisprudence administrative (17) et
constitutionnelle (18). Quant à la valeur juridique du principe d'adaptation, certains
auteurs lui dénient toute qualification de principe général du droit (19), mais en
raison des conséquences attachées à ce principe à l'égard des agents du service, des
usagers et des cocontractants de l'administration, il semble constituer lui aussi un
principe général du droit (20). En revanche, à la différence des principes d'égalité et
de continuité, il n'a pas fait l'objet d'une consécration constitutionnelle.
A l'aune de ces différents critères, il sera possible d'élaborer une classification des
principes émergents : si certains semblent devoir être érigés au rang de loi du
24
service public, d'autres sont en revanche des lois en devenir. En outre, une
troisième catégorie peut être mise en lumière, regroupant l'ensemble des nouvelles
règles de fonctionnement qui sont a priori exclues des lois du service public
puisqu'il s'agit de principes inconsistants.
Cependant, cette évolution ne remet pas en cause la trilogie dégagée par Louis
Rolland ; les nouveaux principes viennent en effet s'ajouter aux lois traditionnelles
qui n'ont pas perdu de leur acuité, même si leur signification a évolué avec
l'émergence de nouvelles règles de fonctionnement. Toutefois, le maintien
théorique de la trilogie s'est accompagné d'une application diversifiée de ces
principes ; cela invite à s'interroger sur la pérennité du droit commun des services
publics.
Ce principe s'adresse dans un premier temps aux agents du service afin d'assurer le
respect du principe d'égal accès à la fonction publique, qui prohibe la prise en
compte des opinions philosophiques, politiques, religieuses ou syndicales des
candidats à un concours (27).
rendu par le Conseil d'Etat le 3 mai 2000, Mlle Marteaux dans lequel le juge
administratif réaffirme le « devoir de stricte neutralité » qui incombe à tout agent
public (29).
Dans cette hypothèse, le service ne peut rester indifférent face aux opinions
politiques ou religieuses, il doit au contraire les appréhender et mettre en oeuvre
une conception active de la neutralité. Cette acception n'entre plus en relation avec
l'égalité juridique, elle tend à prendre en considération les opinions pour mieux les
respecter, tel est notamment le cas du régime de l'objection de conscience (36). La
« neutralité pluralisme » se manifeste également dans le cadre du service public de
la restauration scolaire en tenant compte des interdits alimentaires.
De même, la jurisprudence et la législation relative au port de signes religieux dans
les établissements publics d'enseignement illustrent cette interprétation du principe
de neutralité. Dans son célèbre avis du 27 novembre 1989 (37), le Conseil d'Etat
avait ainsi estimé que « le port par des élèves de signes par lesquels ils entendent
manifester leur appartenance à une religion n'est pas incompatible avec le principe
fondamental de laïcité (...), mais la manière dont de tels signes sont arborés ne doit
pas avoir un caractère ostentatoire et revendicatif ».
conscience, il vise simplement à régir l'exercice de ces libertés dans le cadre des
services publics.
Plusieurs lois ont été adoptées à la fin des années 1970, parmi lesquelles figure la
loi « informatique et liberté » du 6 janvier 1978, qui a pour objet de réglementer
l'utilisation des fichiers informatisés et de protéger les individus face à ces fichiers
(48). Cette loi, modifiée par la loi du 12 avril 2000 (49) et par celle du 6 août 2004
(50), permet aux usagers des services publics de prendre connaissance des
29
informations les concernant et de les contester. Ces différents textes ont consacré
un principe de transparence appliqué aux fichiers informatisés, mais ils protègent
également certains secrets légitimes dans la mesure où seule la personne concernée
par les données pourra user de son droit d'accès. Ces lois reposent donc sur une
double logique visant à concilier, d'une part, la transparence eu égard à l'accès aux
données informatisées, et d'autre part, le secret puisque le droit d'accès est restreint
(51).
Il faut toutefois préciser que l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 exclut de ce droit
à communication certains documents protégés par un secret légitime, ainsi que les
documents nominatifs qui ne sont communicables qu'aux personnes concernées. De
même, certains documents, qui ne sont pas assimilés à des documents
administratifs, restent exclus du droit à communication : il s'agit notamment des
actes des assemblées parlementaires, ou encore des avis du Conseil d'Etat et des
juridictions administratives. Il n'en demeure pas moins que la loi du 17 juillet 1978
a consacré un véritable droit d'accès aux documents administratifs ; ce droit se
révèle d'ailleurs contraignant à l'égard de l'administration puisque tout refus de
communication doit faire l'objet d'une décision motivée, notifiée au demandeur et
comportant l'indication des voies et délais de recours. En outre, l'ordonnance
précitée du 6 juin 2005 atténue l'exception liée à la non-communication des
documents protégés par le secret ou des documents nominatifs : « lorsque la
demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas
communicables (...) mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document
est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».
Cette disposition consacre donc un droit à la communication partielle du document
lorsque certaines informations qui ne sont pas communicables peuvent être «
gommées ». Le principe de transparence semble ainsi bénéficier d'une effectivité
croissante.
30
Par ailleurs, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs
prévoit elle aussi des cas particuliers : ainsi, l'urgence et le secret peuvent justifier
l'absence de motivation. Cette loi n'institue pas un principe absolu, elle vise
simplement à établir la liste des décisions individuelles soumises à l'obligation de
motivation, sauf en situation d'urgence, ou s'il s'agit de protéger un secret.
32
On constate ainsi que la transparence n'est pas totale, et cela est heureux car il ne
faut pas nier les vertus du secret afin de protéger les intérêts privés et publics. Il est
donc opportun de maintenir « une dose raisonnable de secret » (68), la transparence
doit nécessairement se concilier avec le secret dans l'intérêt des administrés, mais
aussi, dans l'intérêt de l'administration, afin de la préserver des pressions
extérieures.
Toutefois, au-delà des exceptions légales, on peut s'interroger sur l'effectivité réelle
du principe de transparence tel qu'il a été institué par la loi du 17 juillet 1978
modifiée. Ces différents textes ont-ils réellement permis de changer les
comportements administratifs ? Si le principe de transparence s'est progressivement
juridicisé, certains obstacles liés aux traditions administratives demeurent : selon
Jacques Chevallier, « la transparence administrative se heurte à la viscosité des
comportements » (69), et d'après la présidente de la CADA, Mme Pyubasset, « la
transparence n'est pas une priorité pour les administrations » (70).
Cela tend par conséquent à démontrer qu'au-delà des secrets imposés par la loi, des
réticences d'ordre psychologique et idéologique demeurent. S'il existe une
déontologie du secret, la déontologie de la transparence reste encore à conquérir
(71). Par conséquent, la transparence n'est pas un principe absolu et cela se justifie
par la nécessité de protéger certains secrets individuels ou publics, mais aussi, ce
qui est moins légitime, par les réticences administratives face au partage de
l'information. On perçoit alors les limites du dispositif juridique : au regard des
textes, l'exigence de transparence paraît de plus en plus prégnante, mais le droit se
heurte encore à la rigidité des habitudes et des comportements.
Par ailleurs, la transparence ne peut être effective sans une simplification du droit et
des procédures administratives, elle doit se conjuguer avec l'affirmation d'un « droit
de comprendre l'administration » (72). En effet, la complexité du droit tend à
réserver l'accès aux documents administratifs aux seuls « initiés » (73). Or la
simplification constitue a priori un simple objectif ; si trois lois ont été adoptées
afin de simplifier le droit, de nombreux progrès restent à accomplir en la matière
(74).
Pourtant certains auteurs estiment que le principe de transparence doit être intégré
parmi les lois du service public (76). S'il est vrai que ce principe a été défini à partir
de la notion de service public puisque le droit d'accès aux documents administratifs
s'applique à tous les services publics, la persistance du secret et l'absence de
contraintes liées à la simplification administrative font obstacle à l'intégration de ce
principe parmi les lois du service public (77). Par ailleurs, si le Conseil d'Etat a
considéré que le droit d'accès aux documents administratifs était une garantie
fondamentale pour l'exercice des libertés publiques (78), il n'a pas qualifié la
transparence de principe général du droit (79). Or, cela invite à exclure ce principe
des lois du service public même s'il ne s'agit pas d'une exclusion définitive : en
raison des contraintes de plus en plus exigeantes pesant sur l'administration, la
transparence semble être une loi en devenir (80). En effet, comme l'atteste
l'ordonnance du 6 juin 2005, la transparence revêt une importance croissante (81) ;
cela semble également être confirmé par la jurisprudence du Conseil d'Etat qui
reconnaît, en filigrane, l'émergence d'un droit de comprendre l'administration (82)
Mais l'effectivité de ce principe de transparence mérite encore d'être confortée
avant de pouvoir l'intégrer parmi les lois du service public.
En outre, aucun principe général de gratuité n'a été dégagé par la jurisprudence
administrative : dans un arrêt du 10 juillet 1996, Société « Direct Mail Promotion »,
le Conseil d'Etat a considéré que « le moyen tiré de la violation d'un principe
général de gratuité du « service public administratif » ne peut en tout état de cause
être que rejeté » (85). Au-delà des seules activités visées par une disposition
constitutionnelle particulière, la gratuité n'est pas un droit pour l'usager ; la notion
même de service public à caractère industriel et commercial s'oppose d'ailleurs à
toute idée de gratuité.
La doctrine semble sur ce point unanime puisque tous les juristes concluent à
l'absence de principe général de gratuité, tant à l'égard des services publics
industriels et commerciaux, qu'à l'égard des services publics à caractère
administratif (86). Si certains services publics sont gratuits, ce n'est pas en vertu
d'un éventuel principe général de gratuité, mais plutôt en raison des exigences liées
à l'égalité ; la gratuité apparaît en effet comme un élément favorisant la mise en
oeuvre d'une conception concrète de l'égalité en permettant à chacun d'accéder
effectivement au service, le prix ne doit plus constituer un obstacle (87). Mais cette
analyse n'a pas vocation à s'appliquer à l'ensemble des services publics, le principe
de gratuité fait l'objet d'une application sectorielle puisqu'il produit généralement
ses effets dans le cadre des seuls services publics administratifs obligatoires (88).
Pour ces différentes raisons, la gratuité ne peut être intégrée parmi les lois du
service public, et elle ne bénéficie pas d'une généralité suffisante pour être
assimilée à une loi en devenir.
Parmi les nouvelles règles d'action affirmées par la Charte des services publics du
18 mars 1992 et par la circulaire du 26 juillet 1995 relative à la préparation et à la
mise en oeuvre de la réforme de l'Etat et des services publics, figure le principe de
simplicité. Cet objectif s'est notamment traduit par l'adoption de trois lois de
simplification du droit, par le recours à la codification et par la mise en place de
l'administration électronique en vue de faciliter les échanges entre l'administration
et les usagers (93). Toutefois, si l'effort de simplification est de plus en plus
prégnant, ce principe ne bénéficie pas d'une force juridique suffisante pour être
intégré au sein de la catégorie des lois du service public : en effet, si le Conseil
d'Etat s'assure désormais que le pouvoir réglementaire a édicté des normes
36
Néanmoins, ces principes n'ont pas vocation à s'appliquer à l'ensemble des activités
de service public, ils concernent essentiellement les services faisant usage de
produits. Si les instances communautaires ont effectivement créé de nouvelles
contraintes à la charge de l'administration, ces obligations ne bénéficient pas d'une
généralité suffisante pour intégrer la catégorie des lois du service public.
La liste des nouveaux principes gravitant autour des services publics ne serait pas
complète si l'on ne mentionnait pas les principes de qualité et d'efficacité. Ces deux
notions ne doivent pas être confondues, mais elles peuvent être étudiées
simultanément dans la mesure où elles entretiennent des liens étroits. L'efficacité
renvoie, au plan économique, à l'idée de productivité et de rentabilité (102) ; quant
à la qualité, elle répond davantage à une appréciation subjective reposant sur
l'aptitude du service à satisfaire les besoins des usagers, et plus globalement,
l'intérêt général (103). Néanmoins, qualité et efficacité sont étroitement imbriquées
comme l'atteste la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances
qui combine deux principaux objectifs liés à l'efficacité économique de la dépenses
publique et à la qualité du service public à l'égard de l'usager.
La qualité est en réalité une notion pluridimensionnelle qui suppose une définition
au cas par cas, en fonction de l'objet du service et de la prestation fournie ; il s'agit
d'un concept nébuleux qui ne peut recevoir de définition univoque. Par ailleurs, elle
38
Cependant, certains auteurs voient dans la qualité une loi du service public en
devenir : selon Lucie Cluzel, le principe de qualité « semble pouvoir combler les
lacunes des principes traditionnels, impuissants à rendre compte des nouvelles
exigences qui s'imposent désormais aux services publics ». Dès lors, « il peut être
vu comme un « grand principe en puissance » distinct des autres principes parce
que répondant à une problématique nouvelle » (111). S'il apparaît que l'objectif de
qualité bénéficie désormais d'une application généralisée puisque tous les services
publics semblent être concernés par une démarche de qualité, la qualité ne dispose
pas, à l'heure actuelle, d'une force juridique suffisante pour pouvoir être intégrée au
sein des lois du service public en devenir. Certes, elle fait parfois naître une
véritable obligation assortie de sanctions, mais l'inconstance de cette contrainte
invite à exclure la qualité de la catégorie des lois du service public « en puissance
».
On peut alors en déduire que la qualité n'a pas vocation à être érigée au rang de loi
du service public ; il ne s'agit pas d'une loi en devenir, mais davantage d'une
philosophie guidant les politiques de modernisation des services publics et
imposant la satisfaction des besoins des usagers dans des conditions économiques
optimales. La qualité inonde en effet l'ensemble du droit commun des services
publics, c'est une ligne de conduite qui tend à réunir l'intérêt général et les intérêts
des usagers. Elle ne nous semble pas devoir être intégrée parmi les lois en devenir,
il s'agit simplement d'un principe directeur qui oriente le service public vers la
satisfaction des intérêts des usagers et non vers la seule satisfaction d'un intérêt
général désincarné.
Les lois de Rolland ont vu leur signification évoluer face à l'apparition de nouvelles
exigences imposées notamment par le droit communautaire. Ainsi le principe
d'égalité connaît désormais de nouvelles implications liées essentiellement à la
notion d'accessibilité tarifaire. De même, les conséquences découlant du principe
de continuité se sont multipliées : à la continuité temporelle, il faut peut-être ajouter
la continuité spatiale des services publics. Enfin, le principe d'adaptabilité semble
se présenter sous un jour plus favorable aux usagers grâce à l'influence de la notion
de qualité. L'apparition de nouvelles lignes directrices a donc suscité certaines
adaptations au sein des lois du service public.
que le lieu de résidence soit devenu un critère de distinction interdit puisqu'il tend à
exclure les non-résidents, et par voie de conséquence, les non-nationaux. Une telle
solution remet indubitablement en cause la jurisprudence administrative française
et semble plaider pour une évolution de l'application du principe d'égalité en droit
interne.
Par ailleurs, la notion de service universel, issue du droit communautaire, tend elle
aussi à influencer le principe d'égalité : en effet, « le service universel est un
ensemble d'exigences d'intérêt général dont l'objectif est d'assurer un ensemble de
services d'une qualité donnée, accessible à tous les utilisateurs indépendamment de
leur localisation géographique, à un prix abordable » (116). Le service universel
inclut donc la notion de tarifs abordables et, plus généralement, d'accessibilité
tarifaire, afin de garantir l'universalité du service.
Comme l'illustrent deux circulaires du 7 juillet 2000, les pouvoirs publics semblent
prendre conscience des effets négatifs liés au processus d'adaptation des services
publics dans la mesure où cela a pu porter atteinte à la proximité, et par conséquent,
à la continuité spatiale des services publics (131). La tendance vise donc à
rechercher une conciliation harmonieuse entre le principe d'adaptabilité et le
principe de continuité - qui peuvent être antagonistes ( afin de favoriser
l'accessibilité géographique aux services publics. Ce processus de conciliation est
aujourd'hui encore poursuivi puisque la loi du 23 février 2005 relative au
développement des territoires ruraux affiche elle aussi l'ambition de maintenir une
répartition satisfaisante des services publics, dans un souci de proximité (132). De
manière générale, les politiques d'aménagement du territoire, la lutte contre la
ségrégation urbaine et contre la désertification rurale favorisent l'évolution du
principe de continuité afin de mieux satisfaire les besoins et les revendications des
usagers. L'exigence de continuité spatiale peut d'ailleurs justifier le maintien d'un
service et s'opposer à sa réorganisation territoriale (133).
Le Conseil d'Etat a récemment considéré que le droit de grève constitue une liberté
fondamentale au sens de l'article L 521-2 du code de la justice administrative, et
s'oppose à ce que le pouvoir de réquisition dont dispose l'autorité administrative
dans certaines hypothèses lui permette de maintenir un service normal. Le pouvoir
de réquisition vise à garantir un service minimum, il ne doit jamais servir au
maintien du service complet (137).
Les récents débats ayant trait à l'instauration d'un service minimum en cas de grève
tendent à démontrer que les revendications de continuité sont de plus en plus
prégnantes. A la différence d'autres pays européens, la France n'a pas véritablement
réglementé le droit de grève dans les services publics (138). Certains secteurs sont
cependant régis par une obligation de service minimum, à l'image du service de
radiodiffusion et de télévision ; de même, dans le domaine des transports, des
accords ont été signés afin de favoriser le dialogue social et d'éviter le recours à la
grève (139). Il n'en demeure pas moins que le droit de grève, qui constitue l'un des
droits fondamentaux des travailleurs, tend à être de plus en plus contesté au nom du
principe de continuité.
Le principe d'adaptabilité est sans doute la loi la plus controversée dans la mesure
où son existence autonome et sa valeur juridique font l'objet de divergences
doctrinales.
De même, si ce principe signifie, de manière générale, que les usagers n'ont pas de
droits acquis au maintien du service (145), sauf s'il s'agit d'un service public
constitutionnel, ils ont la possibilité de s'opposer à la suppression d'un service
public lorsque ce dernier répond à un besoin incontestable. Le Conseil d'Etat s'est
ainsi opposé à la suppression d'un service d'ophtalmologie dans la mesure où « son
activité était en croissance régulière et (...) après sa suppression, des consultations
d'ophtalmologie ont dû être créées pour répondre aux besoins » (146). Le principe
d'adaptation confère certes des prérogatives étendues à l'administration, mais il ne
s'agit pas d'un principe absolu qui va nécessairement à l'encontre des droits et des
intérêts des usagers.
Par ailleurs, une évolution semble se dessiner sous l'influence de la notion de
qualité introduite notamment par le droit communautaire ; le service universel se
présente en effet comme un service de qualité. Ainsi, selon l'article L. 35-1 du code
des postes et des communications électroniques, « le service universel des
communications électroniques fournit à tous un service téléphonique de qualité à
un prix abordable ». Dans son Livre vert du 21 mai 2003 consacré aux services
d'intérêt général, la Commission européenne souligne que « le service universel
veille à ce que les exigences d'intérêt général puissent tenir compte de l'évolution
politique et technologique et il permet, si nécessaire, d'adapter régulièrement ces
exigences à l'évolution des besoins des citoyens ».
nouveaux droits est encore incertaine dans la mesure où la qualité ne peut recevoir
de définition univoque ; la qualité reste une simple ligne de conduite sans véritable
force contraignante (151). Aucune obligation légale ne semble s'imposer à
l'administration afin de la contraindre à adapter le service public en fonction de
l'évolution du progrès technique ou des exigences liées à la qualité. Si certaines
dispositions se réfèrent explicitement au principe d'adaptabilité (152), elles ne
créent pas réellement d'obligations précises à la charge du gestionnaire du service,
excepté peut-être dans le cadre du service public hospitalier ; les usagers ne
peuvent donc se prévaloir d'un droit général à l'adaptation lors d'un recours
contentieux (153).
L'évolution est en marche puisque le principe d'adaptation semble être guidé par la
recherche d'un service de qualité, adapté aux mutations technologiques et à
l'évolution des besoins, mais les usagers ne bénéficient pas encore d'un véritable
droit à l'adaptation du service. Cette mutation n'en est pas moins remarquable
puisqu'elle met en exergue l'influence exercée par la notion de qualité, qui constitue
une simple règle de bonne gestion, sur l'un des principes fondamentaux régissant le
fonctionnement des services publics. Et là encore, le rôle joué par le droit
communautaire n'est pas négligeable puisque le principe d'adaptabilité ne doit plus
être conçu uniquement comme une prérogative à la disposition de l'administration,
mais tend à revêtir une apparence plus favorable aux usagers. Ce principe recouvre
désormais une nouvelle signification : sous l'influence du principe de qualité, il
développe certains effets positifs à l'égard des usagers ; la qualité semble devoir
être analysée comme une nouvelle composante du principe d'adaptation (154).
Toutefois, l'aspect négatif de la loi de changement subsiste puisque les usagers
n'ont pas de droit acquis au maintien d'un service public, sauf s'il s'agit d'un service
public constitutionnel.
Il n'en demeure pas moins que les nouvelles lignes directrices qui guident le
fonctionnement des services publics ont permis de préciser les lois traditionnelles et
ont contribué à les enrichir. La question est à présent de savoir si cette évolution
remet en cause l'unité qui caractérise ces principes fondamentaux.
Au regard des positions doctrinales émises au cours des années 1990, cette unité est
apparue menacée par l'immixtion de plus en plus prégnante du droit communautaire
au sein des services publics. La doctrine a alors développé une conception
relativement hostile à l'égard des politiques menées par l'Union européenne ; cette
dernière a souvent été accusée de rechercher la fin du service public en introduisant
davantage de concurrence. De nombreux rapports témoignent de cette défiance à
l'égard du droit communautaire : en 1994, le Conseil d'Etat estimait que « l'avenir
de la notion de service public est, si l'on n'y prend garde, compté », en raison de
l'influence négative exercée par l'Union européenne (155). Le Conseil d'Etat
poursuivait en affirmant que « l'Europe n'instruit pas le procès du ou des services
publics : elle fait pire, elle ignore largement la notion de service public et
l'existence de services publics » (156). Les concepts introduits par le droit
communautaire, tels le service universel, sont généralement assimilés à des services
publics au rabais. De même, le droit de la concurrence est fréquemment accusé de
condamner la notion de service public, sans pour autant l'anéantir totalement
puisque le droit communautaire prévoit de maintenir un seuil minimal de service
correspondant au service universel. Mais la conception française du service public
semble vouée à disparaître sous les assauts du droit communautaire (157).
Cette constatation semble pouvoir être étendue aux services d'intérêt économique
général : en effet, le principe d'égalité a vocation à s'appliquer à ces activités,
comme le confirme la décision de la Cour de justice des Communautés
européennes du 29 avril 1994, Commune d'Almelo. La Cour considère que le
gestionnaire du service doit pratiquer des « tarifs uniformes à des conditions qui ne
peuvent varier que selon des critères objectifs applicables à tous les clients ». La
similitude avec le droit interne est remarquable puisque, selon les juges français, le
principe d'égalité ne s'oppose pas à la mise en oeuvre de traitements différenciés
fondés sur l'existence d'une différence de situation objective.
du service et à la qualité de la prestation, n'a pas remis en cause l'unité des lois du
service public ; cela a certes favorisé leur évolution intrinsèque, mais les notions
restent et ne sont pas désavouées.
Si l'unité conceptuelle des lois du service public reste d'actualité, leur application
est en revanche soumise à de fortes variations : l'évolution qui caractérise les
principes fondamentaux n'a pas entraîné leur condamnation, mais, au-delà du
maintien du socle théorique, leur application se révèle différente en fonction de
l'objet du service (165). Selon Didier Truchet, « l'écart entre la formulation
classique et la pratique devient trop important » (166), les implications découlant
des lois du service public ne sont pas identiques selon l'activité considérée.
La sectorisation qui prévaut en droit interne a sans doute été accentuée en raison de
l'immixtion croissante du droit communautaire au sein du droit des services
publics. En effet, les nouvelles lignes directrices, telles l'accessibilité tarifaire ou
51
géographique, n'ont pas vocation à régir l'ensemble des services publics, ces règles
ayant été imposées dans le seul cadre du service universel. Or les définitions du
service public et du service universel ne se recoupent pas nécessairement, la
première est plus vaste que la seconde. Ces deux notions ne possèdent pas la même
étendue, le service universel correspond le plus souvent à un seuil minimal de
service, il permet d'opérer une conciliation entre les exigences du droit de la
concurrence et le maintien de services essentiels (168). Si le droit communautaire
consacre de nouveaux principes pouvant être intégrés aux lois du service public
français, ces règles, énoncées généralement secteur par secteur, restent le plus
souvent cantonnées au seul service universel sans être appliquées à l'ensemble des
services publics (169).
Si le droit commun des services publics se caractérise par une vision d'ensemble,
les politiques européennes introduisent, quant à elles, une réglementation secteur
par secteur (171). Le droit interne et le droit communautaire répondent à deux
logiques différentes : le premier se fonde, dès l'origine, sur une vision globale,
tandis que le second règle des cas particuliers pour établir des principes généraux
(172).
Par conséquent, si les principes dégagés par les instances communautaires intègrent
les lois de Rolland, ils favorisent néanmoins leur diversification en procédant à des
réglementations sectorielles. L'établissement de telles réglementations s'explique
par le fait que l'Union européenne n'a pas procédé à une libéralisation générale, et
52
S'il apparaît que le droit communautaire n'a pas porté atteinte à l'unité théorique des
lois du service public, le droit de la concurrence peut tout de même produire
certains effets pervers à l'égard de l'application de ces lois. Comment concilier, au-
delà du service universel, les principes traditionnels et la logique économique
pouvant conduire à l'abandon des secteurs non rentables ? De même, comment
maintenir et améliorer la cohésion sociale et territoriale lorsque certaines zones
géographiques inaccessibles représentent un coût particulièrement élevé pour le
gestionnaire de l'activité ? Le droit de la concurrence peut entrer en contradiction
avec le principe de continuité en encourageant l'abandon d'activités trop onéreuses
(173).
Les lois du service public se situent donc à mi-chemin entre tradition et modernité :
en effet, la trilogie dégagée par Louis Rolland n'a pas perdu de son acuité, même si
elle doit aujourd'hui intégrer une quatrième loi ; cependant, les notions qui
composent cette trilogie ont dû évoluer afin de se moderniser. Les principes restent,
mais leurs significations se renouvellent et se diversifient au gré des services.
Fait le 15 mars 2006
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Gardes toi tant que tu vivras de juger les gens sur leur mine ! C'est ce qu'enseigne
Lafontaine au souriceau tout jeune qui cherche à se donner carrière (2). Méfions-
nous tout autant des habits du service public dont on pense communément qu'il sert
l'usager. Son objet comme sa finalité ne sont pas toujours tournés vers celui-ci ; le
service public prend parfois l'apparence d'un faux-ami.
Mettre l'usager au cœur du principe d'égalité est une idée largement partagée.
Le principe d'égalité (6), pris dans ses deux dimensions, n'échappe pas à ce
mouvement de subjectivisation.
54
C'est le cas tout d'abord de l'égalité devant le service public. L'égalité signifie alors
que tous les usagers se trouvant dans la même situation au regard du service public
doivent être traités de manière identique. Mais l'égalité des droits n'interdit pas de
traiter différemment des usagers d'un même service public placés dans des
situations différentes, objectives et appréciables. Des considérations d'intérêt
général peuvent aussi justifier des différences de traitement, pourvu que, dans l'un
et l'autre cas, la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi qui
l'établit. « La prise en considération d'une différence de situation [tout comme
l'intérêt général] implique toujours un choix politique : elle ne va pas de soi » (7).
C'est bien la preuve que les usagers, pris dans leur individualité, sont au coeur de la
construction du principe d'égalité devant le service public, puisqu'ils peuvent être
rattachés à des catégories différentes.
Certes, le juge administratif admet une différence de traitement entre les usagers
dès lors que cette différence est fondée sur une différence de situation appréciable
55
Le contribuable local peut bénéficier de tarifs plus favorables dans le cadre des
services publics administratifs facultatifs. Il en va différemment dans le cadre des
services publics industriels et commerciaux. Il faut donc bien admettre que d'autres
considérations priment sur la situation de l'usager. Et ces considérations sont
étroitement liées au mode de financement du service public.
Les tarifs particuliers dont bénéficient les contribuables locaux dans le cadre des
services publics administratifs trouvent leur explication dans le fait que ces services
publics sont financés en partie par le budget local et donc indirectement par les
impôts payés par les contribuables de la collectivité. Il est donc justifié de leur
réserver un traitement privilégié pour compenser « les charges indues » qui pèsent
déjà sur eux (10).
Ce sont ces mêmes considérations qui expliquent que, dans le cadre des services
publics industriels et commerciaux, la situation du contribuable local ne justifie
aucune différence de tarifs (11). Ces services publics ne peuvent recevoir de
subventions de la part des collectivités territoriales. Ils sont par ailleurs soumis à
l'obligation d'équilibre budgétaire (12). Le coût du financement du service public
est donc supporté intégralement par les usagers. Les modulations tarifaires doivent
dès lors tenir compte de l'importance de la prestation fournie à l'usager. Derrière la
situation de l'usager justifiant un traitement différent, ce sont donc en réalité les
modalités d'exploitation du service qui sont prises en compte par le juge. La
différence de traitement peut être liée aux particularités techniques de la prestation
fournie à l'usager, qui, dans certains cas, ont des effets sur son coût et doivent être
répercutées sur le tarif (13). Plus généralement, c'est la qualité même de la
prestation qui induit des différences de traitement. En définitive, dans le cadre des
services publics industriels et commerciaux, ce n'est pas l'usager qui retient
l'attention du juge, c'est le coût de la prestation qui lui est rendue.
L'accès à de tels services publics ne peut être réservé aux seuls contribuables
locaux ; il doit être ouvert à tout usager ayant un lien particulier suffisant avec la
collectivité (14). Cette solution s'explique là encore par les « impératifs financiers
auxquels les collectivités territoriales sont confrontées lorsqu'elles créent un service
public facultatif » (15).
Le juge a choisi une voie médiane qui a pour effet, sinon pour but, de sauvegarder
les possibilités d'accès des non-résidents tout en laissant aux autorités locales une
certaine marge de manœuvre dans l'identification des bénéficiaires de ces services.
Deux solutions extrêmes sont ainsi écartées pour des motifs qui ne sont pas
directement liés à la situation particulière des usagers résidents.
Le service public ferroviaire est à ce titre un bon exemple. Dans son avis du 24 juin
1993 (22), le Conseil d'État admet, sous certaines conditions, des tarifs différents au
sein des liaisons TGV selon la rapidité, le confort du service et le lieu de
destination.
Il est vrai que le Conseil d'État encadre la mise en œuvre de cette tarification. Mais
il admet pourtant « le principe » d'une différenciation fondée sur des nécessités
d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ferroviaire.
Il précise à ce titre que « la rupture d'unicité du tarif de base vise [...] à permettre à
la Société nationale des chemins de fer (SNCF) d'améliorer la rentabilité du service
en fonction des caractéristiques particulières de la clientèle propre à certaines
liaisons et de mieux adapter ses tarifs à la concurrence d'autres modes de transport
». Ainsi, le Conseil d'État admet, sous réserve de leur caractère raisonnable, que des
modulations tarifaires puissent être mises au service d'une politique commerciale.
L'intérêt général compris ici comme l'intérêt financier du service public justifie des
ruptures d'égalité au détriment des intérêts des usagers.
résultat, « l'inégalité [...] ne peut être conjurée par la seule suppression des règles
discriminatoires » (23). Mais l'analyse du droit positif montre là encore les limites
de cet objectif : l'usager n'est pas seul au centre de l'égalité par le service public.
Derrière l'égalité des chances, on trouve des considérations économiques et
politiques. L'égalité de résultat se heurte, elle, à des contraintes financières.
Derrière l'égalité des chances, des considérations économiques et politiques
Le service universel, il est vrai, a, en ce sens contraint les États membres à assurer
un niveau de prestations de services publics plus élevé qu'auparavant. Des
dispositifs particuliers à destination de certains usagers considérés comme les plus
défavorisés ont ainsi été mis en place pour les services postaux et de
communications (25).
Certains auteurs ont tout d'abord remarqué une certaine ambiguïté du discours
européen en la matière, faisant douter « de la pérennité du service universel, passée
la période transitoire de l'ouverture à la concurrence des secteurs d'activité
concernés » (27). Aussi le service universel ne devrait-t-il avoir vocation à
s'appliquer que dans des secteurs en voie de libéralisation, c'est-à-dire le secteur
postal et le secteur des communications électroniques. Dès lors que la concurrence
s'avère suffisante pour stimuler le développement de l'activité, il n'aurait plus de
59
La recherche de l'égalité par le service public ne se limite pas aux seuls services
universels ou en réseaux ; elle existe aussi dans le cadre des autres services publics.
Mais, là encore, l'attention portée à la situation particulière d'usagers se trouvant
dans une situation vulnérable ne doit pas faire totalement illusion.
L'intérêt général qui vise à corriger des inégalités de fait dépend en réalité des
fonctions que le législateur entend assigner à telle ou telle catégorie de service
public (33). Certains services publics industriels et commerciaux se voient dénier
toute vocation sociale. À l'inverse, les pouvoirs publics érigent des services publics
administratifs ou encore plus récemment des services sociaux en instruments de la
politique de lutte contre l'exclusion. L'usager du service public n'est finalement pas
nécessairement l'élément déterminant dans la mise en place de ces discriminations
tarifaires ; celles-ci dépendent en réalité de choix de politiques publiques.
2. L'attention portée ainsi à la situation particulière de l'usager doit toutefois être ici
encore nuancée - pour deux raisons principalement.
La première tient aux contraintes financières qui pèsent sur les pouvoirs publics et
qui compromettent l'efficacité de ce mécanisme correcteur. Nul n'ignore que de
nombreux enfants handicapés - notamment autistes - n'ont pas accès à l'école. Le
décalage entre l'objectif poursuivi et la réalité montre que le droit pour les enfants
handicapés à une éducation adaptée n'est pas nécessairement suivi d'effets dans la
pratique.
61
L'arrêt du 14 novembre 2008 (36) relatif à l'égalité devant l'emploi public montre
bien « la réticence du Conseil d'État à prendre en compte les effets d'une mesure »
(37). Il juge en effet qu'un décret qui prévoit une épreuve de secourisme et de
sauvetage aquatique à un concours de professeur d'éducation physique et sportive,
sans prévoir un aménagement spécial pour les personnes handicapées, entraîne
nécessairement une discrimination indirecte ; mais dès lors que la même règle
s'applique à tous les candidats, le décret est légal.
Dans ces cas, la différence de l'usager est niée dans une logique d'universalisme « à
visée intégrative » (40). Cette logique s'inscrit dans la conception traditionnelle du
service public comme « instrument de cohésion sociale » ayant une « fonction
générale d'indifférenciation » (41).
Les liens entre eux sont moins simples que leur convergence dans le régime de
laïcité pourrait le laisser penser. Aucun des trois éléments, qui se complètent et se
renforcent lorsqu'ils sont associés, n'appelle nécessairement les deux autres. Un
Etat confessionnel, privilégiant une religion, peut garantir la liberté de conscience
des ressortissants des autres cultes ; un régime de séparation des autorités n'induit
pas la neutralité de l'Etat ; mais l'Etat peut être neutre sans être séparé d'un culte.
Un Etat peut financer les églises et rester neutre si toutes sont également financées.
63
Les rapports entre les trois principes sont compliqués par le fait que chacun ait
plusieurs sens. La liberté religieuse peut être interprétée, soit comme un droit-
liberté, soit comme un droit-créance - avec des conséquences importantes sur le
rôle dévolu à l'Etat en retour, qui devra être soit passif, soit actif et donc plus
difficilement séparé. La séparation peut être organique, substantielle, par la
distinction des autorités ou des domaines du politique et du religieux, mais elle peut
aussi être, en un sens plus strict, financière. Sa portée ne sera pas du tout la même.
Enfin, la neutralité peut porter sur les procédures, les intentions ou les effets des
décisions publiques ; elle peut être ontologique ou pratique, selon que l'on parle de
ce qui la constitue ou de l'effet de ses décisions.
Depuis 1905, les trois principes sont associés, la liberté appelant séparation
matérielle et immatérielle, et neutralité symbolique et pratique. L'équilibre présumé
est instable, notamment en raison de tensions entre séparation et neutralité. Filant
une métaphore facile, on peut présenter la situation ainsi : Séparation et Neutralité
forment un couple harmonieux ou conflictuel selon la philosophie de l'éducation de
l'enfant dont ils ont la garde, la liberté de conscience. Si leur conception est
libérale, s'ils font confiance en la liberté pour s'épanouir librement et de manière
indépendante, leur propre relation sera harmonieuse : il suffira de s'assurer que
l'enfant n'a pas besoin d'eux, que chacun respecte sa liberté, sans grande
intervention. Ils seront neutres et distants. En revanche, si l'idée se fait jour qu'une
éducation plus autoritaire serait souhaitable, que la liberté doit être entretenue,
aidée, soutenue, construite, etc., alors l'entente va s'effriter. Séparation risque de
s'opposer aux velléités d'intervention neutre et bienveillante ; Neutralité voudra
sortir du carcan de Séparation. Comment agir si l'on est séparé, rester neutre si l'on
se préoccupe de la croissance de l'enfant ? L'équilibre du couple va voler en éclats.
Séparation refusera ce modèle quand Neutralité voudra l'imposer en douceur,
essayant de la convaincre qu'il faut aider et contrôler l'enfant pour son bien, pour
son épanouissement.
Ce n'est pas le lieu de faire, ici, la liste des dérogations au principe de non-
subvention (v., V. Valentin, Remarques sur les mutations de la laïcité. Mythes et
dérives de la « séparation », Revue des droits et libertés fondamentaux, chron. n°
14, 2016), mais de résumer un phénomène entériné pour en saisir le rapport avec la
neutralité. Indépendamment des dépenses prévues par la loi de 1905 (comme le
service des aumôneries), du financement public des écoles privées
confessionnelles, qui ne soutient pas directement des cultes mais l'activité profane
qu'est l'enseignement (Cons. const. 23 nov. 1977, n° 77-87 DC, Liberté
d'enseignement et de conscience) ou encore des exceptions territoriales (l'Alsace-
Moselle et la plupart des territoires ultramarins, selon des modalités différentes) qui
ne sont pas contraires mais extérieures au régime de 1905, il existe d'autres
dépenses, elles réellement porteuses d'une remise en cause de la séparation
matérielle. Constituées principalement de subventions, directes ou indirectes, à une
activité liée à l'exercice d'un culte, et nées assez tôt au XXe siècle, elles se sont
développées cahin-caha jusqu'à recevoir une sorte de consécration par le Conseil
d'Etat en 2011 - à l'occasion de cinq contentieux concernant l'aide financière
apportée par des collectivités locales à des activités liées à un culte (CE, ass., 19
juill. 2011, n° 309161, Communauté urbaine du Mans - Le Mans métropole, Lebon
; n° 313518, Commune de Montpellier, Lebon ; n° 320796, Mme Vayssière, Lebon
; n° 308544, Commune de Trélazé, Lebon avec les concl. ; n° 308817, Fédération
de la libre pensée et de l'action sociale du Rhône, Picquier, Lebon). Tout en posant
des conditions au financement - présence d'un intérêt public local, respect de la
neutralité et absence de libéralité ou d'aide directe à un culte - le Conseil d'Etat
admet la légalité de l'aménagement d'un abattoir rituel et de la location d'une salle
destinée à l'usage de la prière. De la sorte, il identifie l'intérêt public local à la seule
satisfaction d'une nécessité de nature religieuse ; l'intérêt est constitué par la
nécessité de rendre effective la liberté religieuse des adeptes du culte concerné. Ce
qui est donc admis, c'est qu'une aide publique puisse franchir le « mur de séparation
» sur le seul fondement de la nécessité religieuse. On est là très loin de l'esprit et de
65
la lettre de la loi de 1905. Les subventions ne sont plus interdites mais vaguement
limitées.
Si l'on comprend que les autorités publiques locales puissent ressentir le besoin de
répondre à l'émergence d'une nouvelle question religieuse, on peut s'interroger sur
l'habillage juridique permettant de le justifier. Apparaît alors que c'est une nouvelle
conception du rapport entre neutralité et laïcité qui permet de fonder ce qui est
quand même une sortie assez substantielle du paradigme de 1905 (E. Geffray, Loi
de 1905 et aides des collectivités publiques aux cultes, concl. sur CE, ass., 19 juill.
2011, RFDA 2011. 967 ; X. Domino et A. Bretonneau, Le sacré et le local, AJDA
2011. 1667 ). La liberté religieuse est absorbée par le processus de transformation
des droits de l'homme aux termes desquels ceux-ci ne sont pas seulement des
bornes au pouvoir mais aussi des buts pour son action. La liberté religieuse est une
créance qui appelle une action de l'Etat ; « libéral », mot sous lequel Briand plaçait
la juste interprétation de la loi de 1905, est compris comme signifiant non pas «
autorégulation de la société civile » mais, retrouvant son sens ancien, « générosité
publique » (en faveur des libertés reconnues). Il ne saurait y avoir de libre exercice
du culte si les fidèles n'ont pas la possibilité de pratiquer leur religion pour des
raisons matérielles, donc les pouvoirs publics, qui garantissent la liberté doivent la
rendre effective en apportant une aide matérielle. L'exception libérale au modèle
jacobin qu'était la laïcité est emportée par la (re)définition des droits fondamentaux
que porte l'extension de l'Etat-providence. Le devoir de l'Etat est de soutenir tous
les cultes, donc d'être neutre. Comme l'écrit Rémy Schwartz, « L'Etat neutre doit se
préoccuper de l'expression religieuse de chacun pour la faciliter » (La jurisprudence
de la loi de 1905, Archives de philosophie du droit, 2005, t. 48, p. 92). Le principe
de « séparation passive » cède le pas à un principe de « neutralité active » ; la
neutralité appelle la reconnaissance et le soutien des religions, et logiquement la
relégation de la séparation.
Sur le plan du droit, cette évolution s'appuie sur le fait que le principe de séparation
matérielle n'est que législatif et doit s'effacer devant la liberté de conscience, de
rang constitutionnel. De manière constante, il a été donné au principe de non-
subvention des cultes une portée limitée, n'étant pas reconnu comme une règle de
valeur constitutionnelle (CE 6 avr. 2001, n° 219379, Syndicat national des
enseignements du second degré, Lebon ; CE 16 mars 2005, n° 265560, Ministère
de l'outre-mer c/ Gouvernement de la Polynésie française, Lebon).
La situation est donc la suivante : la neutralité libérale n'a pas disparu mais elle s'est
transformée tout en étant concurrencée et débordée par l'extension de son champ
d'application hors de ses frontières habituelles. De sorte que la neutralité, si elle
demeure principalement une règle pour l'Etat, trouve aussi à s'appliquer dans les
relations entre personnes privées.
1. La neutralité symbolique
L'Etat français affiche sa laïcité. Ses bâtiments, lieux et agents doivent montrer que
l'Etat est ontologiquement séparé du religieux et écarter tout soupçon quant à la
possibilité de favoriser tel ou tel culte. Le principe paraît simple mais son
application rencontre des difficultés, à la fois pour les monuments et pour les
agents. La loi de 1905 dispose qu'il est interdit « d'élever ou d'apposer aucun signe
ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement
public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de
68
sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou
expositions » (art. 28). Cela est compatible avec la présence de symboles religieux
sur des bâtiments publics antérieurs à 1905, qui n'ont qu'une valeur patrimoniale,
mais autorise aussi une collectivité locale à installer une statue représentant une
personnalité religieuse sur une place publique, à condition que cela ne soit pas
ostentatoire (TA Rennes, 30 avr. 2015, n° 1203099, Fédération morbihannaise de la
libre pensée, AJCT 2015. 483, obs. Y. Goutal ).
La situation des agents publics est bien connue. Ils doivent afficher la neutralité de
l'Etat et ne porter dans l'exercice de leur fonction aucun signe manifestant leurs
convictions. Trois dimensions de cet aspect de la neutralité sont remarquables :
d'abord sa nouveauté - ce n'est qu'en 2000 que le Conseil d'Etat, en réaction aux
affaires de voile, a dû poser le principe (CE, avis, 3 mai 2000, n° 217017, Mlle
Marteaux, Lebon RFDA 2001. 146, concl. R. Schwartz ) ; ensuite, son extension
jusqu'aux salariés d'un organisme de droit privé gestionnaire d'un service public
(Soc. 19 mars 2013, n° 12-11.690, CPAM de Seine-Saint-Denis) ; enfin, son
étrangeté. On peut d'abord s'étonner de l'insistance mise sur l'apparence de la
neutralité et seulement sur l'apparence. S'il s'agit d'éteindre un soupçon (1), s'il
s'agit, selon les termes du tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 8 juill. 2003, n°
0201383, AJDA 2003. 1951 ), de s'assurer « du loyalisme » du fonctionnaire, alors
pourquoi ne pas aller plus loin, dans une extension de la logique de l'arrêt Bouteyre,
et sonder la réalité de ses convictions laïques et républicaines ? On peut ensuite
s'étonner de ce soupçon, qui est difficile à distinguer d'un préjugé antireligieux. Est-
ce conforme à la neutralité de l'Etat que de postuler qu'un agent ayant des
convictions religieuses, pourrait trahir la République ou donner un tour
discriminatoire au service public ?
69
2. La neutralité pratique
La neutralité d'indifférence est la plus stable, portée par les principes de liberté de
conscience et de non-discrimination, mais la plus délicate d'application. L'exigence
de « non-reconnaissance » voudrait, conformément à la théorie des deux
juridictions de Locke, que l'Etat vise à satisfaire des intérêts seulement séculiers, en
étant aveugle au fait religieux. Que se passe-t-il si ses décisions ont un effet
discriminatoire involontaire ? Locke pensait que si l'intention était neutre et dans le
champ des intérêts civils, il revenait aux croyants de prendre sur eux. Roger
Williams, « l'inventeur » de la laïcité américaine, considérait quant à lui, que l'Etat
devait toujours prendre en compte les atteintes à la liberté de conscience et
s'adapter, ouvrant ainsi la voie aux accommodements raisonnables (M. Nussbaum,
The New Religious Intolerance, Harvard University press, 2012).
Le droit français est davantage du côté de Locke. L'Etat n'est pas tenu de modifier
ses règles ou son action à chaque fois qu'elles pourraient avoir un effet discriminant
à l'égard des différentes croyances. Pour bien mesurer son attitude, il faut toutefois
distinguer les mesures qui heurtent les convictions et celles qui gênent la pratique
d'un culte. Les premières n'appellent aucun accommodement. La légalisation du
70
La neutralité active recouvre les actions publiques dont le but est de soutenir
l'effectivité du droit à la liberté de conscience. Sa philosophie est l'inverse exact de
la précédente. Elle porte une action neutre dans la mesure où elle ne pénètre pas
dans le domaine de la foi mais elle rejette le principe d'indifférence au fait
religieux. Elle consiste à mettre toutes les convictions en situation d'égalité réelle.
Ne pas intervenir dans la situation matérielle des différents croyants, ce serait
accepter une inégalité, donc ne pas être neutre par abstention. Le soutien à la
construction des lieux de culte est le meilleur exemple que l'on puisse donner de
cette neutralité active, défendue notamment par le rapport Machelon, et dont les
arrêts du Conseil d'Etat de juillet 2011 constituent une sorte de concrétisation (3).
Parce que certaines religions minoritaires, défavorisées par l'Histoire, ne disposent
pas des lieux de culte « mis à la disposition » des catholiques par l'Etat français,
elles seraient victimes d'une sorte de discrimination indirecte, qui appellerait une
71
L'idée est simple bien que subversive de la logique de 1905 : l'esprit de la laïcité,
qui est de mettre en avant ce que les citoyens ont de commun pour neutraliser les
conflits liés aux identités ou convictions particulières, devrait, en des lieux ou
circonstances nimbés de « publicité », déborder le périmètre du secteur public et
concerner parfois les individus ordinaires. Cette idée est aussi ancienne que la
République mais jusque dans les années 2000 n'avait aucune concrétisation
juridique. Elle s'exprime dorénavant selon deux canaux qui doivent être
soigneusement distingués : celui de la neutralité imposée, celui de la neutralité
proposée.
1. La neutralité imposée
même temps avec la neutralité, puisque l'Etat censure l'expression d'une conviction
indépendamment de ses effets sur autrui ou sur l'ordre public. En outre, elles
expriment un changement de paradigme, puisqu'il s'agit moins de protéger un droit
qu'une manière de vivre, un modèle culturel ou civilisationnel. Au nom de la
République, l'Etat combat, certes seulement à travers leur manifestation publique et
sans viser directement aucune religion, des comportements religieux, donc des
convictions, jugés indésirables.
Cette laïcité de combat est difficilement exportable au-delà des espaces publics - ce
qu'a notamment révélé l'affaire Baby Loup ; raison pour laquelle sans doute une
autre façon de neutraliser les éventuels effets sociaux délétères de la religion a été
proposée.
2. La neutralité proposée
La tâche ainsi proposée à l'Etat est très difficile car elle le pousse à sortir de sa
neutralité. Théoriquement, il n'a pas la légitimité a priori pour intervenir dans le
secteur privé en l'absence de trouble à l'ordre public. Juridiquement, le caractère
impératif des droits fondamentaux, dont la liberté religieuse, lui fait devoir d'en
garantir l'effectivité dans les relations privées et, notamment, dans le monde du
travail, et donc de limiter la possibilité pour des personnes privées de s'organiser
contre la religion. Et en même temps, le respect de la liberté de conscience lui
interdit aussi d'empêcher des individus, dans leur vie privée et leurs relations
sociales et professionnelles, de vouloir vivre selon une conviction athée.
nous n'en traitons pas ici. Il existe certes de nombreux points d'achoppement (). Il
préconisait la création d'une forme particulière de reconnaissance d'utilité publique
pour les activités religieuses (p. 48).
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complément d'un service public sous réserve que leur fonctionnement soit au moins
assuré, pour moitié, par des subventions des collectivités visées au 1° ci-dessus ou
par la perception de cotisations obligatoires» ;
Cons. qu'il résulte de l'instruction que, depuis sa création, le fonctionnement
du Centre technique des industries de la fonderie a toujours été assuré pour
plus de moitié par des cotisations obligatoires et que notamment le
pourcentage desdites cotisations dans les ressources du Centre s'est élevé en
1957 et 1958 à 95 et 97.
Cons. qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 22 juillet 1948, les ministres
compétents sont autorisés à créer dans toute branche d'activité où l'intérêt
général de commande, des établissements d'utilité publique dits centres
techniques industriel ayant pour objet, aux termes de l'article 2 de la loi, «de
promouvoir le progrès des techniques, de participer à l'amélioration du
rendement et à la garantie de la qualité de l'industrie » ; qu'en vue de les mettre
à même d'exécuter la mission d'intérêt général qui leur est ainsi confiée et d'assurer
à l'administration un droit de regard sur les modalités d'accomplissement de cette
mission, le législateur a conféré aux centres techniques industriels certaines
prérogatives de puissance publique et les a soumis à divers contrôles de
l'autorité de tutelle ; qu'en particulier il ressort des termes mêmes de l'article 1er
de la loi précitée qu'il ne peut être créé dans chaque branche d'activité qu'un seul
centre technique industriel ; que chaque centre est investi du droit de percevoir sur
les membres de la profession des cotisations obligatoires ; que les ministres chargés
de la tutelle des centres techniques industriels pourvoient à la nomination des
membres de leur conseil d'administration e contrôlent leur activité par
l'intermédiaire d'un commissaire du gouvernement doté d'un droit de veto
suspensif ;
Cons. qu'en édictant l'ensemble, de ces dispositions et nonobstant la circonstance
qu'il a décidé d'associer étroitement les organisations syndicales les plus
représentatives des patrons, des cadres et des ouvriers à la création et au
fonctionnement des centres techniques industriels, le législateur a entendu, sans
leur enlever pour autant le caractère d'organismes privés, charger lesdits
centres de la gestion d'un véritable service public ;
Cons. qu'il résulte de tout ce qui précède que, par application des prescriptions ci-
dessus reproduites de l'article 1er, 4e alinéa du décret du 11 juillet 1955, alors en
vigueur, le personnel des centres techniques industriels est soumis à la
réglementation des cumuls ; qu'il suit de là que ladite réglementation a été
appliquée à bon droit à la solde de réserve d'officier général de l'armée de mer du
sieur Nancy, raison de l'emploi occupé par celui-ci au Centre technique des
industries de la Fonderie, lequel est entièrement régi par les dispositions de la loi
précitée du 22 juillet 1948 que, dès lors, la requête susvisée ne peut être
accueillie ;... (Rejet avec dépens.)
76
éducative ; que pour l'exercice de ces missions elle perçoit des aides de la ville
qui constituent plus de la moitié de ses recettes et représentant la quasi totalité
des dépenses de la ville dans le domaine culturel et socio-éducatif ; que
l'association bénéfice aussi d'aides indirectes sous la forme de mises à
disposition gratuite de locaux et de personnel communaux ; que ladite
association dont le maire était président de droit jusqu'en 1983 et dont le
conseil d'administration comporte une majorité de conseillers municipaux
siégeant pour la plupart en cette qualité, doit, dans ces conditions, être
regardée, alors même que l'exercice de ses missions ne comporterait pas la
mise en œuvre de prérogatives de puissance publique comme gérant, sous le
contrôle de la commune, un service public communal et figure ainsi au
nombre des organismes mentionnés à l'article 2 précité de la loi du 17 juillet
1978 ;
Considérant, d'autre part, que les comptes de l'association "Melun-Culture-
Loisirs" qui retracent les conditions dans lesquelles elle exerce les missions de
service public qui sont les siennes présentent par leur nature et leur objet le
caractère de documents administratifs ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association "Melun-Culture-
Loisirs" n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, en
date du 5 juillet 1985, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision par
laquelle son président a rejeté la demande de MM. X..., Laplace et Bodin tendant à
ce que ses comptes des exercices 1972 à 1983 ainsi que tous justificatifs
correspondants leur soient communiqués ;
Sur la requête de la ville de Melun : (…)
DECIDE : Article 1er : La requête de l'association "Melun-Culture-Loisirs" est
rejetée. Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles, en date du
26 avril 1985, en tant qu'il a accueilli la demande de MM. X..., Laplace et Bodin
enregistrée sous le n° 848619 et tendant à l'annulation du refus de communication
opposé par le maire de Melun est annulé. Ladite demande est rejetée. Article 3 : La
présente décision sera notifiée à MM. X..., Laplace et Bodin, à la ville de Melun, à
L'association "Melun-Culture-Loisirs", au Premier ministre et au ministre de
l'intérieur.
autonomie financière et, le cas échéant, une personnalité juridique propre ; qu'elles
doivent aussi être regardées comme gérant directement le service public si elles
créent à cette fin un organisme dont l'objet statutaire exclusif est, sous réserve d'une
diversification purement accessoire, de gérer ce service et si elles exercent sur cet
organisme un contrôle comparable à celui qu'elles exercent sur leurs propres
services leur donnant notamment les moyens de s'assurer du strict respect de son
objet statutaire, cet organisme devant en effet être regardé, alors, comme n'étant pas
un opérateur auquel les collectivités publiques ne pourraient faire appel qu'en
concluant un contrat de délégation de service public ou un marché public de service
; qu'un tel organisme peut notamment être mis en place lorsque plusieurs
collectivités publiques décident de créer et de gérer ensemble un service public ;
Considérant en outre que, lorsqu'une personne privée exerce, sous sa
responsabilité et sans qu'une personne publique en détermine le contenu, une
activité dont elle a pris l'initiative, elle ne peut, en tout état de cause, être
regardée comme bénéficiant de la part d'une personne publique de la dévolution
d'une mission de service public ; que son activité peut cependant se voir reconnaître
un caractère de service public, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de
délégation de service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en
raison de l'intérêt général qui s'y attache et de l'importance qu'elle revêt à ses yeux,
exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès
lors qu'aucune règle ni aucun principe n'y font obstacle, des financements ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en jugeant qu'une
association ne pouvait gérer un service public et bénéficier à ce titre d'une
subvention qu'à la condition d'être titulaire d'un contrat de délégation de
service public passé soit en application des dispositions des articles 38 et
suivants de la loi du 29 janvier 1993 soit en application des articles L. 1411-1 et
suivants du code général des collectivités territoriales, sans rechercher si, pour
l'une des raisons analysées ci-dessus, la passation d'un tel contrat pouvait ou
devait être exclue, la cour administrative d'appel de Marseille a entaché son
arrêt d'une erreur de droit ; que la COMMUNE D'AIX-EN-PROVENCE est
fondée pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de
sa requête, à en demander l'annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des
dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler
l'affaire au fond ;
Considérant d'une part que, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme A, le
tribunal administratif de Marseille a suffisamment répondu aux moyens tirés de
l'absence de convention de délégation de service public et de la méconnaissance
des dispositions de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales ;
Considérant d'autre part qu'il ressort des pièces du dossier que l'Etat, la région
Provence-Alpes-Côte d'Azur, le département des Bouches-du-Rhône et la commune
85
privée ; qu'une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit
pas se réaliser suivant des modalités telles qu'en raison de la situation
particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport
aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu
de la concurrence sur celui-ci ;
Considérant qu'en chargeant la mission d'appui à la réalisation des contrats de
partenariat d'apporter aux personnes publiques qui le lui demandent un appui dans
la préparation, la négociation et le suivi des contrats de partenariat, l'article 2 du
décret attaqué s'est borné à mettre en oeuvre la mission d'intérêt général, qui relève
de l'Etat, de veiller au respect, par les personnes publiques et les personnes privées
chargées d'une mission de service public, du principe de légalité ; qu'en particulier,
en prévoyant que cet organisme peut fournir un appui dans la négociation des
contrats, le décret attaqué n'a pas entendu permettre à cette mission de les négocier
en lieu et place d'une personne publique contractante autre que l'Etat ; qu'ainsi,
aucune des attributions confiées à la mission d'appui à la réalisation des contrats de
partenariat n'emporte intervention sur un marché ; que par suite, les dispositions de
l'article 2 du décret attaqué n'ont eu ni pour objet, ni pour effet de méconnaître le
principe de la liberté du commerce et de l'industrie et le droit de la concurrence ;
qu'elles ne sont pas davantage contraires au principe d'égal accès à la commande
publique ; qu'enfin, dès lors qu'elles ne portent pas sur des prestations de services
au sens du droit communautaire, elles n'ont pu ni introduire de restrictions à la libre
prestation des services à l'intérieur de la Communauté européenne prohibées par les
stipulations de l'article 49 du traité instituant la Communauté européenne, ni
méconnaître l'égalité de traitement entre les candidats à la commande publique
issue du droit communautaire ;
Considérant qu'il résulte de tout de ce qui précède que l'ORDRE DES AVOCATS
AU BARREAU DE PARIS n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du 19
octobre 2004 portant création de la mission d'appui à la réalisation des contrats de
partenariat ;
D E C I D E : Article 1er : La requête de l'ORDRE DES AVOCATS AU
BARREAU DE PARIS est rejetée. (…)
Doc 10.
88
Laïcité
Doc 12. CE 28 juillet 2017, Mme C, n° 390740 390741 390742
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 390740, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés
les 4 et 9 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme C.
demande au Conseil d'État : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision
implicite de refus née du silence gardé par le ministre des Affaires sociales, de la
90
santé et des droits des femmes sur sa demande tendant à l'abrogation partielle des
dispositions de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement
des instituts de formation paramédicaux ; 2°) d'enjoindre au ministre d'abroger les
dispositions litigieuses ; 3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros
au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 390741, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés
les 4 et 9 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme A.
demande au Conseil d'État : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision
implicite de refus née du silence gardé par le ministre des Affaires sociales, de la
santé et des droits des femmes sur sa demande tendant à l'abrogation partielle des
dispositions de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement
des instituts de formation paramédicaux ; 2°) d'enjoindre au ministre d'abroger les
dispositions litigieuses ; 3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros
au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
3° Sous le n° 390742, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés
les 4 et 9 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Association de
défense des droits de l'homme - collectif contre l'islamophobie en France demande
au Conseil d'État : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de
refus née du silence gardé par le ministre des Affaires sociales, de la santé et des
droits des femmes sur sa demande tendant à l'abrogation partielle des dispositions
de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de
formation paramédicaux ; 2°) d'enjoindre au ministre d'abroger les dispositions
litigieuses ; 3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ; (… )
1. Considérant que l'article 10 de l'arrêté ministériel du 21 avril 2007 relatif aux
conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux dispose que
les règlements intérieurs de ces instituts doivent comporter au minimum les règles
définies à l'annexe IV du même arrêté ; que cette annexe IV définit un règlement
intérieur type, dont le deuxième alinéa du chapitre Ier du Titre II prévoit que : «
Les signes et les tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance à une
religion sont interdits dans tous les lieux affectés à l'institut de formation ainsi
qu'au cours de toutes les activités placées sous la responsabilité de l'institut de
formation ou des enseignants, y compris celles qui se déroulent en dehors de
l'enceinte dudit établissement » ; que Mmes C. et A., élèves à l'Institut de
formation des soins infirmiers dépendant de l'Hôpital Saint-Antoine à Paris, et
l'Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en
France ont demandé par un courrier du 27 janvier 2015 à la ministre des Affaires
sociales, de la santé et des droits des femmes d'abroger les dispositions précitées de
l'annexe IV de l'arrêté du 21 avril 2007 ; qu'ils demandent l'annulation pour excès
de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardée par la ministre sur
91
leur demande d'abrogation ; qu'il y a lieu de joindre leurs requêtes pour statuer par
une seule décision ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre
public établi par la loi » ; qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution du 4 octobre
1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; qu'il
résulte de l'article L. 636-1 du code de l'éducation que les études supérieures
préparant aux professions de santé autres que les professions médicales,
pharmaceutiques et odontologiques sont organisées conformément aux dispositions
du code de la santé publique et du code de l'éducation ; qu'aux termes de l'article L.
141-6 du code de l'éducation : « Le service public de l'enseignement supérieur est
laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou
idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il
doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre
développement scientifique, créateur et critique » ; qu'aux termes de l'article L.
811-1 du même code : « Les usagers du service public de l'enseignement supérieur
sont les bénéficiaires des services d'enseignement, de recherche et de diffusion des
connaissances et, notamment, les étudiants inscrits en vue de la préparation d'un
diplôme ou d'un concours, les personnes bénéficiant de la formation continue et les
auditeurs./ Ils disposent de la liberté d'information et d'expression à l'égard des
problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à
titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux
activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public [...]
» ; qu'aux termes, enfin de l'article L. 141-5-1 du même code : « Dans les écoles,
les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves
manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » ; que les
instituts de formation paramédicaux étant des établissements d'enseignement
supérieur, leurs élèves ont, lorsqu'ils suivent des enseignements théoriques et
pratiques en leur sein, la qualité d'usagers du service public ; qu'il résulte des
dispositions citées précédemment qu'ils sont, en cette qualité, sauf lorsqu'ils
suivent un enseignement dispensé dans un lycée public, libres de faire état de
leurs croyances religieuses, y compris par le port de vêtement ou de signes
manifestant leur appartenance à une religion, sous réserve de ne pas perturber
le déroulement des activités d'enseignement et le fonctionnement normal du
service public notamment par un comportement revêtant un caractère
prosélyte ou provocateur ;
3. Considérant, d'autre part, que l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État
d'infirmier prévoit que la durée de la formation des élèves infirmiers est de 4 200
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heures réparties sur trois années, dont 2 100 heures de formation théorique et 2 100
heures de formation clinique sous forme de stages ; que, lorsqu'ils effectuent un
stage dans un établissement de santé chargé d'une mission de service public,
les élèves infirmiers doivent respecter les obligations qui s'imposent aux agents
du service public hospitalier ; que, s'ils bénéficient de la liberté de conscience
qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de laïcité
fait obstacle à ce qu'ils manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre
du service public ; que, lorsque les élèves infirmiers effectuent leur stage dans
un établissement n'ayant aucune mission de service public, ils doivent
respecter, le cas échéant, les dispositions du règlement intérieur de cet
établissement qui fixent les conditions dans lesquelles ses agents peuvent faire
état de leurs croyances religieuses ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui est indiqué aux points 2 et 3 ci-dessus qu'en
interdisant aux élèves des instituts de formations paramédicaux, par les dispositions
précitées de l'annexe IV de l'arrêté du 21 avril 2007, de manifester leurs convictions
religieuses sans distinguer entre les situations dans lesquelles les élèves sont
susceptibles de se trouver en tant qu'usagers du service public ou en tant que
stagiaires dans un établissement de santé chargé d'une mission de service public, le
ministre a édicté une interdiction qui, par son caractère général, est entachée
d'illégalité ; que le litige ayant conservé son objet contrairement à ce que soutient le
ministre, les requérants sont, dès lors, fondés, à demander l'annulation de la
décision implicite de rejet née du silence gardée par la ministre sur leur demande
d'abrogation de ces dispositions ; que cette annulation implique nécessairement
l'abrogation ou la modification des dispositions réglementaires de l'annexe IV de
l'arrêté du 21 avril 2007 dont l'illégalité a été constatée ; qu'il y a lieu pour le
Conseil d'État d'enjoindre au ministre de procéder à l'abrogation des dispositions
litigieuses, ou à leur modification conformément à ce qui est indiqué aux points 2 et
3 ci-dessus; (…)
DECIDE : Article 1er : La décision implicite de rejet née du silence gardée par la
ministre sur la demande d'abrogation des dispositions du deuxième alinéa du
chapitre Ier du titre II de l'annexe IV de l'arrêté du 21 avril 2007 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre des Affaires sociales, de la santé et des
droits des femmes d'abroger ces dispositions ou de les modifier conformément
aux motifs de la présente décision. (…)
conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions
édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » et, aux termes de son article 2 : «
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ». Pour la
mise en œuvre de ces principes, l’article 28 de cette même loi précise que : « Il est
interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les
monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception
des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des
monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ». Ces dernières
dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à
l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement
public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou
marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à
cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes
publiques d’apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre
d’exposition. En outre, en prévoyant que l’interdiction qu’il a édictée ne
s’appliquerait que pour l’avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes
religieux existants à la date de l’entrée en vigueur de la loi.
4. Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une
pluralité de significations. Il s’agit en effet d’une scène qui fait partie de
l’iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais
il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui
accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les
fêtes de fin d’année.
5. Eu égard à cette pluralité de significations, l’installation d’une crèche de
Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un
emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un
caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un
culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière
appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit
être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de
cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, mais aussi du
lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu’il
s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service
public, ou d’un autre emplacement public.
6. Dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou
d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à
l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances
particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou
festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de
neutralité des personnes publiques.
95
même code, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public, ainsi que les
entreprises ferroviaires, lorsqu'elles assurent des services librement organisés de
transport ferroviaire de voyageurs mentionnés à l'article L. 2121-12 du code des
transports, à l'exception des services de transport international de voyageurs,
sont soumis aux obligations mentionnées au premier alinéa du présent I.
Les dispositions réglementaires applicables aux organismes mentionnés au
présent I précisent les modalités de contrôle et de sanction des obligations
mentionnées au présent I.
II. - Lorsqu'un contrat de la commande publique, au sens de l'article L. 2 du
code de la commande publique, a pour objet, en tout ou partie, l'exécution d'un
service public, son titulaire est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le
service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du
service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il
veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité
hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu'ils participent à l'exécution du
service public, s'abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques
ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur
liberté de conscience et leur dignité.
Le titulaire du contrat veille également à ce que toute autre personne à
laquelle il confie pour partie l'exécution du service public s'assure du respect de
ces obligations. Il est tenu de communiquer à l'acheteur chacun des contrats de
sous-traitance ou de sous-concession ayant pour effet de faire participer le sous-
traitant ou le sous-concessionnaire à l'exécution de la mission de service public.
Les clauses du contrat rappellent ces obligations et précisent les modalités de
contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celui-ci n'a pas pris les mesures
adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés.
III. - Le dernier alinéa du II s'applique aux contrats de la commande publique
pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à
la publication à compter de la publication de la présente loi.
Les contrats pour lesquels une consultation ou un avis de publicité est en
cours à la date de publication de la présente loi et les contrats en cours à cette
même date sont modifiés, en tant que de besoin, pour se conformer aux
obligations mentionnées au dernier alinéa du II dans un délai d'un an à compter
de cette date ; toutefois, cette obligation de mise en conformité ne s'applique pas
à ceux de ces contrats dont le terme intervient au cours des dix-huit mois suivant
la publication de la présente loi.
Article 2
I.- Au début du chapitre IV du titre III du livre IV du code de la sécurité
intérieure, il est ajouté un article L. 434-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 434-1 A.- Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de la
police nationale ou de la gendarmerie nationale déclare solennellement servir
avec dignité et loyauté la République, ses principes de liberté, d'égalité et de
fraternité et sa Constitution par une prestation de serment. »
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