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TD 3 LE SERVICE PUBLIC

(Semestre 1)
Notion, Identification, Catégories de service public, Lois du service public

LES ATTENDUS DU CM ET DU TD SUR CETTE THEMATIQUE :


JE SAIS QUE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE A ÉTÉ CREEE POUR REPONDRE A DES FINS (DES
FONCTIONS). CES FINALITES S’EXPRIMENT SOUS LE CONCEPT DE L’INTERET GENERAL, PIERRE
ANGULAIRE DE L’ACTION PUBLIQUE DANS LA TRADITION FRANCAISE.
PARMI CES MISSIONS : LE SERVICE PUBLIC , UNE NOTION ANCREE ET ENCADREE PAR LE DROIT
ADMINISTRATIF MAIS EVOLUTIVE DANS LE DROIT INTERNE SOUS LA PRESSION NOTAMMENT MAIS
PAS EXCLUSIVE DU DROIT DE L’UNION EUROPEENNE JUSQU’A POSER LA QUESTION DE SA
SUBSTITUTION PAR LA NOTION EUROPEENNE DE SERVICE D’INTERET GENERAL ET PAR CELLES DE
SIEG ET SNGIE.
JE M’INITIE TOUJOURS AU COMMENTAIRE D’ARRET.

Lectures reproduites (accès direct en cliquant sur le lien web,


https://www.bib.uvsq.fr/ressources-en-droit-et-science-politique. Ces lectures
sont indispensables à la compréhension de la matière.

Sur la notion, l’identification, les catégories de service public :


Lecture 1. Jean-François Lachaume. Que reste-t-il de la distinction SPA-SPIC et de
ses effets aujourd'hui ? AJDA, 2021, n°2, p. 60
A lire aussi :
B. Seiller. L'érosion de la distinction service public administratif - service public
industriel et commercial, AJDA 2005, p. 417 (non reproduit)

Sur les lois du service public :


Lecture 2. V. Donier. Les lois du service public : entre tradition et modernité,
RFDA 2006, n°6, p. 1219.
Lecture 3. L. Janicot. Le principe d'égalité devant le service public, RFDA 2013 n°
4 p. 722
Lecture 4. V. Valentin. Laïcité et neutralité. AJDA 2017, n° 24, p. 1388.

Lire également le dossier sur la laïcité

Documents non reproduits.


TC 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain, lire le commentaire
GAJA n°43 21ème édition.
Sur l’identification des établissements publics, TC 9 décembre 1899 l'association
syndicale du canal de Gignac n° 00515, lire le commentaire GAJA n° 7 21ème
édition.
© Béatrice BOISSARD, Maître de conférences de droit public, HDR.
Chargé(e)s de TD : Mme SAYEDOFF et Mrs. BARRE, VANGELE et SORHO.
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Documents reproduits.
Notion, Identification, Catégories
Doc 1. CE Ass. 16 nov. 1956, Union syndicale des industries aéronautiques (USIA)
Doc 2. CE sect., 28 juin 1963, Sieur Narcy
Doc 3 : CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun et Association "Melun-Culture-Loisirs"
Doc 4 : CE Sect. 22 févr. 2007, Assoc. du personnel relevant des établissements
pour inadaptés (APREI)
Doc 5 : CE, 12 novembre 1997, Syndicat national professionnel des médecins du
travail.
Doc 6. Cour de cassation chambre civile, Association nationale pour les chèques
vacances (l'ANCV) 23 mars 2011, n° de pourvoi : 10-11889
Doc 7 : CE, Section, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de
Nevers
Doc 8 : CE sect. 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence
Doc 9 : CE, Assemblée, 31/05/2006, Ordre des avocats au barreau de Paris
Doc 10. Rapports des agents, usagers et tiers avec des Services publics
administratifs ou des Service publics industriels et commerciaux gérés par une
personne publique une personne privée

Les lois du service public.


Egalité devant le service public
Doc 11. CE, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques
Laïcité / neutralité
Doc 12. CE 28 juillet 2017, Mme C, n° 390740 390741 390742
Doc 13. CE 9 novembre 2016 Fédération de la libre pensée de Vendée
Doc 14. Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la
République, extraits.

Vous trouverez à part un dossier actualisé sur le principe de laïcité !


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Lectures reproduites

Lecture 1.

Jean-François Lachaume ; Que reste-t-il de la distinction SPA-SPIC et de ses effets


aujourd'hui ?

L'essentiel
Bien que la chose ait été fort contestée, l'arrêt Bac d'Eloka est considéré comme
ayant donné naissance à la distinction entre service public à caractère industriel et
commercial (SPIC) et service public à caractère administratif (SPA). Cent ans plus
tard, cette distinction s'est peut-être érodée mais elle persiste néanmoins. L'idée que
son principal effet est la compétence du juge administratif est, pour sa part, sans
doute moins évidente, particulièrement quand on évoque les relations du SPIC avec
les tiers ou, peut-être, quand l'usager est lui-même une personne publique.

Commémorer un anniversaire est, souvent, une initiative risquée. Dans divers


domaines, une telle initiative apparaîtra justifiée à certains, sans intérêt ou
carrément déplacée pour d'autres. La commémoration du centenaire de la décision
du Tribunal des conflits du 22 janvier 1921, Société commerciale de l'Ouest
africain (SCOA), dite Bac d'Eloka (Lebon 91 ), en ce qu'elle serait à l'origine de la
création juridique de la catégorie des services publics industriels et commerciaux
(SPIC) est, en effet, susceptible de provoquer des réactions diverses au sein de la
communauté de celles et ceux qui s'intéressent notamment au droit administratif. Si
certains membres de celle-ci trouveront justifiée au regard de la réalité
jurisprudentielle l'initiative de la commémoration, d'autres, au contraire,
considéreront qu'elle ne se justifie pas sauf à donner de l'importance à une légende
au détriment de la réalité.

Sans reprendre ici, en détail, les données de la controverse, on se limitera à faire


état des éléments qui l'ont initiée. Pour les partisans de la légende, et donc de
l'absence de lien entre la décision Bac d'Eloka et la notion de SPIC, un constat
s'impose : la décision en cause ne fait aucune référence à la notion de SPIC. Et il
faudra attendre quelques mois pour que le Conseil d'Etat cette fois, dans son arrêt
du 23 décembre 1921 Société générale d'armement (Lebon 1209), fasse mention
des « services publics industriels », en l'espèce les assurances maritimes, dont l'Etat
« croit pouvoir assumer la gestion ». Soit dit en passant d'ailleurs, on ne trouve pas
plus de référence à la notion de SPIC, ou à celle de service public industriel, dans
l'arrêt du Conseil d'Etat Commune de Mesle-sur-Sarthe (3 févr. 1911, Sirey, 1913.
III. 108, concl. L. Blum) à propos d'un service communal de distribution d'énergie
électrique et pourtant cet arrêt est présenté, quelquefois, comme le véritable
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initiateur du SPIC, ce qui ne ressort pas d'ailleurs expressément des conclusions de


Léon Blum (sur tous ces points, v. la remarquable étude de A.-S. Mescheriakoff,
L'arrêt Bac d'Eloka. Légende et réalité d'une gestion privée de la puissance
publique, RD publ. 1988. 1059 ; v., égal., dans Les Grands arrêts politiques de la
jurisprudence administrative, LGDJ, 2019, p. 114 et s., l'analyse de Ch. Bosvieux-
Onyekwelu à propos de l'arrêt Bac d'Eloka). Selon Alain-Serge Mescheriakoff, bien
d'autres éléments, d'ailleurs extérieurs à l'arrêt précité, doivent être pris en compte
car ils ont joué un rôle plus décisif pour la promotion de la décision Bac d'Eloka
comme étant l'arrêt des SPIC que la décision considérée en elle-même. Il faut, à ce
titre, citer la note de Jean Delvolvé, à propos d'un service communal des bains, sous
l'arrêt Kuhn du Conseil d'Etat en date du 29 janvier 1932 (Sirey, 1932. III. 97), ou
celle de Pierre Laroque, relative à l'arrêt Tondut du Conseil d'Etat du 6 mai 1931,
où est en cause un service communal de l'eau (Sirey, 1931. III. 81 et la thèse de ce
dernier sur l'usager du service public industriel et commercial, Sirey, 1933). Sans
compter, bien sûr, la décision Dame Mélinette du Tribunal des conflits du 11 juillet
1933 dans laquelle réapparaît, après l'arrêt Société générale d'armement de 1921, et
à propos d'un service d'enlèvement des ordures ménagères, la référence à « un
service public industriel ».

En définitive, le rattachement de la notion de SPIC à l'arrêt Bac d'Eloka relèverait


plus de la « légende » que de la « réalité », pour reprendre le titre de la contribution
de Charles Eisenmann sur l'interprétation dominante de l'arrêt Monpeurt du Conseil
d'Etat du 31 juillet 1942 (in Mélanges Achille Mestre, Sirey, 1956, p. 221), titre
dont s'inspirera Alain-Serge Mescheriakoff dans son étude précitée. Plus
modestement, on voudrait présenter ici quelques éléments susceptibles, sinon
d'éradiquer l'aspect « légende » de l'interprétation dominante de notre arrêt de 1921,
tout au moins permettant d'atténuer cet aspect, ne serait-ce que pour montrer qu'il
n'y a pas d'imposture à célébrer le centenaire de l'arrêt Bac d'Eloka.

En premier lieu, il est possible de relativiser l'argument quelquefois avancé et selon


lequel l'arrêt Bac d'Eloka ne serait pas celui du SPIC eu égard à l'absence, dans la
rédaction de celui-ci, de toute référence à cette notion, voire à celle plus
contemporaine de cette décision de « service public industriel ». Après tout, que
notre arrêt n'y fasse pas expressément référence ne signifie pas qu'il n'a pas une
relation avec cette catégorie de service public. On rencontre dans la jurisprudence
administrative des arrêts qui se situent bien à l'origine d'une notion donnée et qui ne
font pas expressément référence à celle-ci dans leur rédaction. Ainsi, et sauf erreur,
l'arrêt Robert Lafrégeyre du 26 janvier 1923 dans lequel le Conseil d'Etat ne fait
nullement référence à la notion de SPIC alors même que cet arrêt est considéré de
façon non contestée comme celui « qui inaugure [...] l'abondante jurisprudence
5

relative au personnel des services publics industriels et commerciaux » (GAJA,


Sirey, 1956, 1re éd., p. 152 ; 22e éd., Dalloz, 2019, p. 223).

En deuxième lieu, si l'on considère les éléments de fond pris en considération par le
Tribunal des conflits dans sa décision Bac d'Eloka, à savoir : un service de transport
comparable à celui que peut assurer un industriel ordinaire ; un service exploité par
une personne publique dans les mêmes conditions que le ferait cet industriel ; un
service pour lequel l'usager acquitte une rémunération avec, en cas de litige entre le
service et l'usager, l'intervention du juge judiciaire, on doit reconnaître que l'on
rencontre ici les éléments les plus constants et les plus déterminants, dont la
réunion caractérise, depuis Bac d'Eloka, la présence d'un SPIC. Cet arrêt a, en
quelque sorte, posé les éléments de la notion et a ainsi permis qu'intervienne,
ensuite, leur synthèse sous l'expression « service public industriel et commercial ».

En troisième lieu, il faut se méfier du recours au terme « légende » en matière


d'interprétation jurisprudentielle. La légende que dénonçait Charles Eisenmann
dans sa contribution précitée à propos de l'interprétation dominante de l'arrêt
Monpeurt est devenue réalité avec la jurisprudence ultérieure (CE, sect., 3 janv.
1961, Magnier, Lebon 33).

S'il fallait produire un dernier argument justifiant, si besoin est, la commémoration


du centenaire de la décision Bac d'Eloka, il pourrait être trouvé dans la littérature
contemporaine. Lorsque l'on consulte les traités et manuels de droit administratif,
les ouvrages spécialisés dans le droit des services publics et les recueils de
jurisprudence administrative, une constatation s'impose : la très grande majorité
d'entre eux relie d'une façon ou d'une autre la notion de SPIC à la décision du
Tribunal des conflits du 22 janvier 1921.

Fiction, légende, mythe (M. Touzeil-Divina, Eloka, sa colonie, son wharf, son
mythe, mais pas de service public, in Droit et colonisation, Bruylant, 2005, p. 309),
la décision Bac d'Eloka n'est guère épargnée mais elle résiste et reste la référence
en matière de SPIC. Et puis, à supposer même que l'arrêt Bac d'Eloka relève de la
légende, la place prépondérante que lui réservent les ouvrages de droit administratif
comme étant l'arrêt du SPIC, justifierait que l'on applique à cette légende l'adage
selon lequel error communis facit jus. La légende étant transformée en réalité par
une erreur largement partagée d'interprétation doctrinale et même jurisprudentielle.
Cela mérite bien une commémoration.

Ce sera ainsi l'occasion de rechercher d'abord, cent ans après, ce qui perdure de la
distinction SPA-SPIC en elle-même et, ensuite, de s'intéresser aux effets qu'elle
produit encore.
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I - Une distinction maintenue


Attribuée à l'arrêt Bac d'Eloka à tort ou à raison, la notion de SPIC existe ; les
juristes, notamment publicistes, l'ont rencontrée et la rencontrent encore. Elle a
traversé une grande partie du XXe siècle et le début du XXIe siècle. Certes, on ne
devient pas centenaire sans être marquée par les aléas de la vie, mais, après tout,
dans son existence même, notre centenaire n'a pas mal résisté !

A. La portée de la distinction

1. L'échec du triumvirat

Dès lors qu'est apparue une notion de SPIC caractérisée par des éléments
spécifiques, notamment dans un premier temps la similitude avec les activités «
d'un industriel ordinaire », il était inévitable, eu égard à ces éléments, qu'une
scission apparaisse au sein des services publics : les SPA, les SPIC. Cette division
binaire, qui caractérise bien d'autres notions du droit administratif (D. Truchet,
Droit administratif, PUF, Thémis, 6e éd., 2015, p. 38), et qui se prolonge
aujourd'hui, a failli sombrer avec l'apparition trente-quatre ans, jour pour jour, après
la décision Bac d'Eloka de l'arrêt Naliato (T. confl. 22 janv. 1955). Dans ce dernier,
le juge des conflits conclut à la compétence judiciaire s'agissant d'un accident
survenu dans une colonie de vacances organisée par une personne publique et
qualifiée de service public car poursuivant « un but d'intérêt social », mais qui est
gérée dans des conditions ne permettant pas « de la distinguer juridiquement des
organisations similaires relevant de personnes ou d'institutions de droit privé ».
L'arrêt fit quelque bruit, fut intégré dans la première édition des Grands arrêts
(1956) et on l'interpréta comme écartant le duo SPA-SPIC au profit d'un triumvirat.

A vrai dire, la nouvelle catégorie ne fit que vivoter car les juges s'attachèrent le plus
souvent à démontrer que ces « services sociaux », organisés par une personne
publique, étaient, en quelque sorte, présumés fonctionner de façon différente des
institutions privées ayant la même activité. Vingt-huit ans plus tard, avec l'arrêt
Gambini (T. confl. 4 juill. 1983, Lebon 540), le juge des conflits mettait fin à la
tentative réintégrant lesdits services, compte tenu de la particularité de chacun
d'eux, dans les SPA ou les SPIC. On est ainsi revenu à la division binaire qui
perdure et l'expression de service public social ne figure plus qu'au titre de
classement des arrêts dans le Lebon et dans le droit de l'Union européenne (UE),
mais avec un sens différent de celui de Naliato.

2. Une division qui survit au droit de l'Union européenne


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Le duo SPA-SPIC a été également menacé par les catégories applicables aux
services publics et issues du droit de l'Union européenne. Dès lors que ce droit
connaît par exemple des services d'intérêt général économique (SIEG) et des
services non économiques d'intérêt général (SNEIG ou SIG), les premiers
comportant un caractère marchand que l'on ne rencontre pas dans les seconds,
n'était-il pas possible de substituer cette distinction à celle issue de l'arrêt Bac
d'Eloka, le SIEG, par exemple, étant susceptible de se substituer au SPIC et le SIG
au SPA ? Encore fallait-il que les notions françaises et européennes soient
superposables, ce qui n'est pas toujours le cas, ne serait-ce que parce que le droit
français analyse comme des SPA des services qui, pour l'UE, constituent des SIEG
(autoroutes payantes, cantines scolaires, habitat social, etc.). Et le juge français
n'était peut-être pas prêt à abandonner une distinction qui lui doit tant...

Enfin, la catégorie des SPIC est consacrée par le législateur (v., par ex., CGCT, art.
L. 1412-1) à côté des SPA locaux (art. L. 1412-2) confirmant ainsi le caractère
binaire et exhaustif de la distinction.

B. La mise en oeuvre de la distinction

Il n'existe pas un critère simple d'identification des SPIC permettant de les


distinguer des SPA. Sans revenir en détail sur cet aspect du problème, qui a
engendré une littérature abondante, on se bornera à quelques remarques.

1. L'apport limité des textes

Tout d'abord, si l'on se tourne du côté des textes, l'apport en la matière est limité.

Quelques rares textes de valeur législative procèdent à une qualification directe de


services publics en leur conférant un caractère industriel et commercial. C'est ainsi
que le code général des collectivités territoriales (CGCT) reconnaît un tel caractère
au réseau public de chaleur et de froid (art. L. 2224-38, I), au service public de l'eau
et de l'assainissement malgré l'ambiguïté du texte disposant que de tels services
sont gérés financièrement comme des SPIC (art. L. 2224-11) suggérant que d'un
autre point de vue ils pourraient ne pas l'être ; le code du tourisme faisant de même
pour le service des remontées mécaniques et des pistes de ski (C. tourisme, art. L.
342-13).

Par ailleurs, un texte de loi peut directement faire obstacle à ce qu'un service public
soit considéré comme industriel et commercial eu égard à sa qualification de
service public administratif (CGCT, art. L. 2226-1 pour la gestion des eaux
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pluviales urbaines). C'est la conséquence et l'avantage de la classification binaire :


l'une chasse l'autre.

La qualification législative du SPIC peut, ou devrait même, résulter de la seule


qualification d'établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) que la loi
donne à certains établissements publics. La réalité est plus complexe car un même
EPIC peut également gérer à la fois un SPIC et un SPA (double visage), voire, à la
limite, ne gérer qu'un SPA (visage inversé). Dans le dernier état de la
jurisprudence, le juge considère que, lorsque la qualification d'EPIC est donnée par
la loi à un établissement public, il existe une présomption suivant laquelle le ou les
services gérés sont industriels et commerciaux, « à l'exception de ceux relatifs à
celles de ses activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle,
ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique » (CE 3 oct.
2018, n° 410946, Société Sonorbois, Lebon 610 ; AJDA 2019. 462 , note V.
Lamy ; T. confl. 29 déc. 2004, n° 3416, Epoux Blanckeman c/ Voies navigables de
France, Lebon 525; AJDA 2005. 685 ). On retrouve ainsi une variété d'EPIC à
double visage et une absence de concordance systématique entre la qualification de
l'établissement et celle du ou des services publics qu'il gère.

La qualification du SPIC à partir de la loi peut également résulter de l'interprétation


juridictionnelle d'un texte. Ainsi le juge des conflits considère comme un SPIC le
traitement des déchets autres que ménagers financé par une redevance spéciale et ce
par référence à l'article L. 2333-78 du CGCT (T. confl. 12 oct. 2015, n° 4024,
Communauté de communes de la vallée du Lot et du vignoble [CCVLV], Lebon
151 ; AJDA 2015. 1952 ). Et il fonde ainsi sa solution : « le législateur, en
ordonnant la création de cette redevance spéciale [...] a entendu imposer aux
collectivités concernées de gérer le service en cause comme une activité industrielle
et commerciale ».

2. Une distinction à la main du juge

Lorsque la qualification de SPIC, voire d'EPIC, est donnée par un acte


administratif, elle peut constituer un indice, mais non pas une certitude car le juge
peut fort bien ne pas en tenir compte, lui préférant son propre critère
d'identification des SPIC. A cet égard, comme le souligne Bertrand Seiller dans son
article sur L'érosion de la distinction SPA-SPIC (AJDA 2005. 417 ), « il fallut
attendre trente-cinq ans pour que les critères de distinction des deux catégories de
service public soient arrêtés, ce qui accentue encore son ambiguïté conceptuelle ».
C'est effectivement à l'arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat du 16 novembre 1956,
Union syndicale des industries aéronautiques (Lebon 434), que l'on doit ce critère
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jurisprudentiel. Il est bien, sous tous rapports, si l'on s'en tient à son énoncé, il est
plus incertain dans sa mise en oeuvre.

Ce critère dégagé est simple à synthétiser. En l'absence de qualification expresse,


tout service public est présumé administratif, la présomption pouvant être renversée
si, du triple point de vue de son objet, des modes de financement, de ses modalités
de fonctionnement, le service apparaît semblable à l'activité « d'un industriel
ordinaire », pour reprendre l'expression de l'arrêt Bac d'Eloka.

Dans sa mise en oeuvre, des difficultés surgissent liées « à la médiocrité fiabilité de


critères cumulatifs » (B. Seiller, préc., p. 419). En effet, l'objet du service peut
présenter à la fois un caractère industriel et commercial et apparaître, dans un
contexte politique, social, ou à l'occasion d'une pandémie, comme une activité
devant être soustraite « au commercial et à l'industriel ». Prendre en compte l'objet
du service, c'est admettre qu'il existe a priori des activités purement administratives,
d'un côté, et industrielles et commerciales, de l'autre, or, la réalité est souvent plus
complexe. Ensuite, faire entrer dans le critère des SPIC le mode de financement
n'est pas toujours justifié, car payer un impôt (cas du SPA) ou une redevance (cas
du SPIC) pour une prestation donnée de service public, c'est toujours payer, sauf à
considérer que la gratuité du service peut être, elle, un indice majeur de son
administrativité. Enfin, les modalités d'organisation des SPA et des SPIC ne sont
pas toujours fondamentalement différentes lorsque le service est géré par une
personne publique.

Par ailleurs, l'application du critère de distinction ne se fait pas nécessairement en


prenant en compte tous les éléments de celui-ci, ce qui n'est d'ailleurs pas illogique
au regard de la mise en oeuvre du critère lorsqu'il aboutit à refuser de reconnaître
que tel service est un SPIC. Ainsi, le seul objet du service peut empêcher de le
considérer comme industriel et commercial, sans avoir à s'interroger sur les autres
conditions (enseignement à distance dispensé par le CNED, T. confl. 14 mai 2018,
n° 4120, Lebon 608 ; AJDA 2018. 1812 ). Dans d'autres cas, c'est l'objet et le
mode de fonctionnement du service conjugués qui feront obstacle à la qualification
industrielle et commerciale (mission de formation professionnelle des GRETA, T.
confl. 12 nov. 2018, n° 4137, Société de maintenance pétrolière, Lebon 608 ;
AJDA 2018. 2216 ).

Enfin, les éléments du critère, y compris l'objet, si sa consistance reste la même,


peuvent être affectés par l'évolution du rôle des personnes publiques, par des
modifications des textes en vigueur, et cela peut aboutir à ce qu'un service public
change de camp purement et simplement. Les missions de La Poste et de France
Telecom sont aujourd'hui, pour l'essentiel des SPIC après avoir été considérées
10

comme des SPA, ainsi que les pompes funèbres. Sans compter qu'un même service
public peut être SPA ou SPIC suivant qu'il est financé par une taxe ou une
redevance. Et que dire des bacs maritimes de transport en cause dans Bac d'Eloka,
SPIC à l'origine, devenus SPA et encore, pour des raisons différentes : soit au titre
de la continuité territoriale (CE 10 juill. 1989, n° 77006, Régie départementale des
passages d'eau de la Charente-Maritime, RFDA 1991. 180, note J.-F. Lachaume ),
soit au titre de la gratuité (T. confl. 15 oct. 1973, Barbou, Lebon 848), ce qui
constitue dans ce dernier cas, et a contrario, un retour à la solution Bac d'Eloka.

C. Les mesures d'accompagnement de la distinction

La reconnaissance des SPIC a entrainé l'apparition de structures administratives


dédiées et non remises en cause aujourd'hui, même si elles ne sont pas toujours
opérationnelles.

1. Les régies municipales

On mentionnera d'abord les régies relatives à la gestion des SPIC communaux,


organisées par un décret-loi du 28 décembre 1926 et dont les dispositions modifiées
sont reprises aujourd'hui par les articles R. 2221-1 et suivants du CGCT (décret du
23 févr. 2001). Ces dispositions ont été adaptées par le décret du 20 mai 1955 aux
services publics départementaux (J. Viguier, Les régies des collectivités
territoriales, Economica, 1992). Sans épuiser, loin s'en faut, les modes de gestion
des SPIC locaux (possibilité d'une gestion directe par les organes de la collectivité,
concession), les articles, aujourd'hui intégrés dans le CGCT, relatifs aux régies
municipales qui, pour les premiers interviennent cinq années après l'arrêt Bac
d'Eloka, sont révélateurs d'ailleurs dans leur présentation et leur rédaction du
caractère exhaustif de la distinction SPA-SPIC. Ces articles traitent successivement
des dispositions générales communes aux SPIC et aux SPA et, ensuite, des
dispositions applicables à deux grands types de régies, celles dotées de la
personnalité morale et de l'autonomie financière, à celles dotées de la seule
autonomie financière, en distinguant chaque fois les SPIC et les SPA. Il serait
d'ailleurs intéressant qu'une étude de science administrative soit réalisée sur le
recours effectif des collectivités locales et des EPCI à ce type de régies.

2. Les EPIC

On citera ensuite les EPIC qui, dans leur forme la plus pure, sont issus de la
conjonction de la structure administrative en cause et de la notion de SPIC. On peut
d'ailleurs considérer qu'au niveau des SPIC locaux, la régie dotée de la personnalité
morale et de l'autonomie financière est, en réalité, un véritable EPIC. S'agissant des
11

SPIC d'Etat, la structure de l'EPIC a été utilisée pour la gestion de grands services
publics nationaux (électricité, gaz, transports ferroviaires, La Poste, France
Telecom, RATP, etc.). Le moins que l'on puisse dire c'est que si, suivant les
époques (1946, 1981), l'EPIC a été à la mode en ce qu'il était crédité de maintenir le
SPIC dans le giron public, il a perdu aujourd'hui beaucoup de sa superbe puisqu'il a
été remplacé pour la gestion de la plupart des services publics précités par la forme
de société (RATP exclue).

La consultation des tables du Lebon sur la période 2000-2019 fait apparaître une
quarantaine de décisions (CE et T. confl.) impliquant un SPIC. On doit constater
que peu d'arrêts portent sur l'identification même d'un SPIC et que le plus grand
nombre est relatif au contentieux des relations SPIC-usagers, donc aux effets de la
distinction.

II - Une distinction atténuée dans ses effets


Il était dans la logique de l'arrêt Bac d'Eloka, qui fait référence à un service de
transport maritime, géré dans les mêmes conditions qu'une activité prise en charge
par « un industriel ordinaire », que le service en cause soit, dans son organisation et
son fonctionnement, soumis à des règles de droit privé et à la compétence judiciaire
en cas de litige. Mais, dès lors que les services de ce type sont, quelques mois après
cet arrêt, qualifiés de « publics » et qu'ils sont créés et organisés par une personne
publique, il était difficile d'écarter complètement le droit administratif tant dans
l'organisation du service que dans son fonctionnement.

A. L'organisation du SPIC

1. Le mode de gestion

Lorsqu'une personne publique crée un SPIC, le choix du mode de gestion n'est


théoriquement guère différent de celui rencontré dans les SPA : gestion directe par
la personne publique créatrice, gestion par une structure publique spécialisée
(établissement public, régies spécifiques en matière de SPA ou de SPIC aux
collectivités communales [CGCT, art. R. 2221-1 et s.]), gestion par un
concessionnaire privé ou public.

Si la gestion des SPIC est assurée directement par son créateur ou est confiée à une
personne publique spécialisée, quelle que soit leur ressemblance avec les
entreprises industrielles ordinaires à laquelle fait référence Bac d'Eloka, il était très
difficile, eu égard au poids de l'élément organique dans l'application du droit
administratif, d'évacuer totalement celui-ci de l'organisation du SPIC.
12

La situation est pratiquement identique si le SPIC est confié pour sa gestion à une
personne privée par la voie de la concession, même si ce mode de gestion est
beaucoup plus utilisé pour les SPIC que pour les SPA, ce qui est dans l'ordre des
choses. En effet, le contrat de concession, même d'un SPIC, était administratif hier
en vertu de la jurisprudence et il l'est aujourd'hui de par la loi lorsque le concédant
est une personne publique (CCP, art. L. 6) peu importe la nature du
concessionnaire. De plus, les relations concédant-concessionnaire relèvent très
largement du droit administratif et cela ne date pas d'aujourd'hui.

2. Les actes d'organisation

Quant aux actes d'organisation proprement dits du SPIC, édictés par le créateur ou
le gestionnaire de celui-ci, on retrouve l'essentiel des solutions retenues, quant à la
nature du droit applicable et à la compétence juridictionnelle, pour les SPA, ce qui
n'implique pas cependant une similitude au fond des règles applicables à chaque
catégorie de services.

En premier lieu, les actes réglementaires, donc à portée générale et impersonnelle,


édictés par le gestionnaire public du SPIC en vue de son organisation celui-ci, sont
considérés comme administratifs, la présence d'un SPIC n'ayant pas neutralisé les
effets de la nature publique de l'auteur de l'acte, fût-il un EPIC (T. confl. 12 oct.
1992, n° 2722, Syndicat CGT d'Electricité de France, Lebon 491). La même
solution s'applique également lorsque le gestionnaire du SPIC est une personne
privée, dès lors que le règlement édicté est relatif à l'organisation du service et
révèle la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique (T. confl. 15 janv.
1968, n° 1908, Compagnie Air France c/ Epoux Barbier, Lebon 789, concl. J.
Kahn ; CE, ass., 12 avr. 2013, n° 329570, Fédération Force Ouvrière Energie et
Mines, Lebon 95 ; AJDA 2013. 1052 , chron. X. Domino et A. Bretonneau ; Dr.
soc. 2013. 608, note P.-Y. Gadhoun ; RFDA 2013. 637, concl. F. Aladjidi ).

En second lieu, les marchés conclus par une personne publique pour l'organisation
du SPIC sont administratifs aux conditions législatives et jurisprudentielles
habituelles, comme ceux des SPA. Cette solution est, aujourd'hui, imposée pour les
deux catégories de services publics, par les articles L. 6 et L. 1111-1 du code de la
commande publique (CCP), même si l'organe gestionnaire du SPIC est un EPIC.

3. Le régime juridique des agents

On serait tenté en revanche d'écrire que le régime juridique des agents des SPIC est
l'un des fleurons du régime de ces services, d'autant qu'on le rattache, à l'origine, à
l'arrêt du Conseil d'Etat du 26 janvier 1923 de Robert Lafrègeyre (Lebon 67 ),
13

intervenu deux ans après, presque jour pour jour, l'arrêt Bac d'Eloka. Il est vrai que
les deux arrêts ont en commun d'être considérés comme des références en matière
de SPIC sans d'ailleurs faire, ni l'un ni l'autre, expressément référence à cette
notion. L'arrêt Robert Lafrègeyre a été ainsi interprété comme conférant aux seuls
agents de direction du SPIC la qualité d'agent public, limitée par la suite au seul
directeur du SPIC ou de l'EPIC et à l'agent comptable s'il possède la qualité de
comptable public, et ce même lorsque le service est géré par une personne publique
(CE 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Lebon 158). Aujourd'hui, il est donc
communément admis que les agents des SPIC, même gérés par des personnes
publiques, sont soumis au droit privé à l'exception du directeur et du comptable
public. Ici encore la réalité semble plus complexe.

Tout d'abord, si l'on considère les règlements édictés par le gestionnaire du service
et relatifs aux éléments de statut des agents, ces règlements étant réputés relatifs à
l'organisation du SPIC sont considérés comme administratifs qu'ils émanent d'un
gestionnaire public ou privé, comme le sont les règlements relatifs aux agents des
SPA.

Plus intéressant est, à cet égard, le régime juridique applicable à la situation


individuelle des agents du SPIC. Ainsi, et pour ne remonter qu'au statut général de
la fonction publique de 1959, il était expressément indiqué qu'il ne s'appliquait pas
aux personnels « des services ou établissements publics de l'Etat qui présentent un
caractère industriel et commercial » (art. 1er, al. 2). Cette formule, reprenant
d'ailleurs celle du statut du 19 octobre 1946, était interprétée, à la lumière des arrêts
de Robert Lafrégeyre et de Jalenques de Labeau, comme excluant, sauf dispositions
législatives contraires, que l'agent d'un SPIC puisse avoir, en considération de cette
seule situation, la qualité de fonctionnaire et même d'agent public lorsque le service
était géré par une personne publique.

Le statut de la fonction publique de 1983/84, dans son titre premier, commun aux
fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales, précise, dans son article 2,
que « dans les services et les établissements publics à caractère industriel ou
commercial », il « ne s'applique qu'aux agents qui ont la qualité de fonctionnaire ».
Cette précision met en évidence qu'aujourd'hui la situation individuelle des agents
des SPIC n'est pas en totale harmonie, c'est le moins que l'on puisse dire, avec les
données jurisprudentielles issues des arrêts précités de 1923 et 1957. Certes, la
solution de principe résultant de la conjonction de ces deux arrêts est respectée (T.
confl. 20 mars 2006, n° 3487, Mme Charmot c/ Syndicat intercommunal pour
l'équipement du massif des Brasses, Lebon 785), mais cela n'exclut pas sa possible
mise en échec par la loi ou par l'évolution de la nature du service en cause ou de
14

son gestionnaire (sur ce point, F. Melleray, Droit de la fonction publique,


Economica, 4e éd., 2017, n° 58, p. 81).

Ainsi, lorsque le SPIC est géré par une personne publique, la solution reconnaissant
la qualité d'agent public au directeur de l'ensemble du service et du comptable
public est, quelquefois, écartée, malmenée ou oubliée. Ne serait-ce, par exemple,
que pour certains services elle est écartée par la loi (CE 20 mars 2015, n° 370628,
Lebon 715 ; AJDA 2015. 607 , pour les régies de gaz et d'électricité) ou parce que
les agents du service ont été recrutés avant que le service ne soit transformé de SPA
en SPIC ou le gestionnaire du service d'EPA en EPIC (CE 29 mars 1965, L'Herbier,
Lebon 80). Sans compter que, pour les autres agents qui avaient la qualité de
fonctionnaire avant la transformation du SPA en SPIC, les pouvoirs publics
peuvent hésiter à la leur retirer après cette transformation...

Dans les SPIC locaux gérés par la personne publique créatrice ou par une personne
publique spécialisée (par ex. les régies communales, un syndicat de communes, un
EPIC), il arrive que les agents recrutés et affectés à un SPIC soient intégrés dans les
cadres de la fonction publique territoriale et bénéficient, par là même, de la qualité
de fonctionnaire. On pourrait discuter de la régularité de cette pratique, mais ne
trouve-t-elle pas aujourd'hui un fondement légal dans la loi du 13 juillet 1983 qui
reconnaît que des agents des SPIC peuvent avoir la qualité de fonctionnaire ?

Si le SPIC est géré par une personne privée, les juges judiciaires n'hésitent pas à
s'écarter de la solution des arrêts de 1923 et 1957 en faisant valoir un critère
simple : l'agent du SPIC géré par une personne privée est uni à son employeur par
un contrat qui est de droit privé eu égard à la nature des parties en cause et peu
importe alors la fonction occupée, ce qui ne signifie pas d'ailleurs que les agents
soient intégralement soumis aux dispositions du code du travail, car pour les SPIC
nationaux, voire pour certains SPIC locaux, ils bénéficient de véritables statuts
(cheminots, gaziers, électriciens par exemple). A l'opposé, si l'on peut dire, on
rencontre même des SPIC (anciennement SPA) gérés aujourd'hui par des sociétés
commerciales et des agents en activité auxquels la qualité de fonctionnaire a été
maintenue (cas de La Poste et de France Télécom : loi du 2 juill. 1990 ; loi du 2
févr. 2007) ; il est vrai que politiquement et socialement une solution contraire
aurait été source de difficultés (sur la diversité des situations des agents de La
Poste, T. confl. 6 juill. 2020, n° 4188, Société La Poste, Lebon ; AJDA 2020. 2298
).

En définitive, et ici également, on s'éloigne dans le droit positif et dans les


pratiques administratives d'un respect sans faille de la solution des arrêts Robert
Lafrégeyre et Jalenques de Labeau, ne serait-ce, mais ce n'est pas la seule raison,
15

que par la variation dans le temps de la nature de certains services publics et de


l'évolution de leurs modes de gestion. En tout cas, il est devenu hasardeux
d'affirmer que les agents des SPIC sont dans une situation de droit privé, eu égard
au nombre d'exceptions rencontrées.

4. Le régime des biens

S'agissant des biens nécessaires à l'organisation du SPIC par une personne


publique, les notions de domaine public, ouvrage public, travaux publics
s'appliquent à ces biens. Lorsque, dans ce cas, le SPIC est confié à un
concessionnaire privé, le droit administratif régit le sort des biens de retour, à
l'expiration de la concession, le sort des biens de retour et ce dans l'interprétation
extensive que leur donne la jurisprudence récente.

B. Le fonctionnement du service

Dans son fonctionnement, le SPIC, comme le SPA d'ailleurs, rencontre deux


catégories de personnes. A titre principal, l'usager qui reste la raison d'être majeure
du service public et, ensuite, les tiers appelés à concourir au fonctionnement du
service ou subissant un dommage lié à son fonctionnement.

1. La situation de l'usager

L'usager entre en relation avec le service public pour bénéficier des prestations de
celui-ci. Cette relation est individuelle et a comme support juridique un acte
administratif dans le cas des SPA et un lien de droit privé dans le cas des SPIC. Se
pose alors la question de ce que recouvre cette notion de lien de droit privé,
toujours d'actualité cent ans après.

Dans la décision du Tribunal des conflits du 22 janvier 1921, le contentieux


opposait un usager du bac au gestionnaire de celui-ci, à savoir la personne publique
que constituait la colonie de Côte d'Ivoire. L'usager recherchait la responsabilité de
cette dernière pour les dommages causés, lors du naufrage du bac, à des véhicules
lui appartenant. En principe, à cette époque, dans le sillage de la jurisprudence
Blanco, le litige étant né à propos d'un dommage causé par un service public géré
par une personne publique, le droit administratif aurait dû s'appliquer entrainant
ainsi la compétence du juge administratif. Or, l'arrêt Bac d'Eloka, eu égard aux
caractéristiques du service public en cause, impose au contraire la compétence
judiciaire, ce service étant exploité « dans les mêmes conditions qu'un industriel
ordinaire », peu importe que le gestionnaire du service soit une personne publique.
Le lien SPIC-usager est donc de droit privé, et c'est l'effet majeur de la solution de
16

l'arrêt qui vaut encore aujourd'hui (T. confl. 8 oct. 2018, n° 4135, Commune de
Malroy, Lebon T. 610 ; AJDA 2018. 2343 , note S. Hul ; AJCT 2019. 106, obs.
F.-J. Defert , litige relatif à la facturation et au recouvrement de la redevance due
par l'usager d'un service public d'assainissement, considéré comme industriel et
commercial par l'interprétation donnée par le juge de l'article L. 2224-11 du
CGCT ; T. confl. 13 nov. 2000, n° 3191, Société de distribution d'eau
intercommunale c/ SA Descombe, Lebon 777). On remarquera, au passage, que
c'est à propos de la relation entre un SPIC et un usager, tant dans la décision Bac
d'Eloka, que dans les arrêts précités, Société générale d'armement, Kuhn, Tondut,
etc. que va être construit le noyau dur du régime juridique des SPIC qui n'est pas
fondamentalement remis en cause aujourd'hui.

Dans Bac d'Eloka, le juge des conflits ne procède pas à la qualification du lien
juridique - contractuel ou réglementaire - unissant individuellement le SPIC à
l'usager ; on peut simplement déduire de l'arrêt qu'il s'agit d'un lien de droit privé. A
s'en tenir à cet arrêt, ainsi qu'à l'arrêt Kuhn de 1932, qui ne font nullement référence
à une situation contractuelle, il était possible de soutenir que l'on se trouvait en
présence d'un lien réglementaire de droit privé, comme c'est le cas aujourd'hui
s'agissant du candidat-usager pourtant assimilé à un usager effectif alors qu'il n'a
pas encore contracté avec le service ou de l'usager en situation irrégulière faute
d'avoir passé un contrat avec le service (T. confl. 5 déc. 1983, n° 2307, Niddam c/
SNCF, Lebon 541). Mais, dès 1921, on rencontre dans d'autres arrêts une analyse
contractuelle de la situation SPIC-usager, le contrat étant alors considéré, en
principe, comme de droit privé (CE 23 déc. 1921, Société générale d'armement,
préc.).

Si l'on raisonne à partir du lien unissant aujourd'hui l'usager effectif en situation


régulière au SPIC, ce qui constitue quand même la situation la plus souvent
rencontrée, ce lien est de nature contractuelle, peu importe les critiques adressées à
cette analyse au regard du peu de consistance de ce qui est vraiment contractuel
dans le rapport en cause, et le contrat est de droit privé. Aujourd'hui, l'apport décisif
sur ce point de notre centenaire perdure ; encore faut-il en préciser exactement la
portée.

Quant à la qualification de contrat de droit privé retenue pour caractériser le contrat


SPIC-usager effectif, même si le service est géré par une personne publique, l'arrêt
Société générale d'armement précité, contemporain de Bac d'Eloka, conclut au
caractère privé du contrat conclu entre l'Etat et la société en matière d'assurances
maritimes « à moins [...] que des clauses spéciales ne donnent aux accords
individuels passés avec lesdits usagers le caractère de véritables contrats
administratifs ». On doit donc en déduire que si le contrat, conclu entre le
17

gestionnaire public d'un SPIC et un usager et relatif à l'usage direct du service,


contient des clauses exorbitantes du droit privé, il est administratif, la présence du
SPIC étant neutralisée dans ses effets par le jeu du critère habituel du contrat
administratif. Cette solution se rencontre dans de nombreux arrêts entre 1921 et
1961 (par ex., CE 20 oct. 1950, Stein, Lebon 505). Il est donc inexact, pendant
cette période, de faire référence à une privatisation totale des relations
contractuelles établies entre le gestionnaire public du SPIC et l'usager effectif, on
reste en quelque sorte dans le domaine normal de l'application du contrat du droit
administratif. Il faudra attendre 1961 pour que, dans un contrat unissant un SPIC
géré par une personne publique à un usager, soit neutralisée, quant à la qualification
du contrat, la présence de clauses exorbitantes du droit privé et que la compétence
en cas de litige soit purement et simplement judiciaire (CE 13 oct. 1961,
Etablissements Campanon-Rey, Lebon 367 ; AJDA 1962. 98, concl. C. Heumann ;
T. confl. 17 déc. 1962, Dame Bertrand, R. 831 ; AJDA 1963. 88, chron. M. Gentot
et J. Fourré). Il y a donc sur ce point une systématisation de la compétence
judiciaire qui ne résultait pas directement de la solution des arrêts Bac d'Eloka et
Société générale d'armement et qui n'a pas été remise en cause depuis. En même
temps, sont également neutralisées des notions pourtant attractives du droit
administratif comme les travaux publics ou l'ouvrage public (T. confl. 14 mai 2018,
Camus c/ Société française de distribution d'eau ; T. confl. 8 oct. 2018, Commune
de Malroy, préc.). La jurisprudence judiciaire est dans le même sens (Civ. 1re, 14
nov. 2019, n° 18-21.664, AJDA 2020. 1549 , note P. Levallois ; Civ. 1re, 28 nov.
2018, n° 17-18.897, D. 2018. 2310 ).

En sens contraire, il est possible de s'interroger sur une évolution de la


jurisprudence lorsque l'usager du SPIC est une personne morale de droit public.
Jusqu'ici cet élément était indifférent, peu importait la nature publique ou privée de
l'usager du SPIC, la compétence était judiciaire (CE 4 nov. 2005, n° 278895,
Commune de Dijon, Lebon 772 ; AJDA 2005. 2421 ). Ne convient-il pas de
réexaminer cette solution compte tenu des dispositions du code de la commande
publique ? Son article L. 6 confère un caractère administratif aux contrats soumis à
ce code et parmi lesquels, au sein des marchés publics, on rencontre ceux portant
sur des fournitures conclus par des acheteurs publics (art. L. 1111-1). Ainsi, à
propos d'un litige entre une commune, prise en sa qualité d'usager effectif et liée
par contrat avec la Société Orange pour la fourniture par celle-ci de services
téléphoniques et d'internet, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 25 septembre 2020
(n° 432727, Société Orange, Lebon T. ; AJDA 2020. 1826 ), décide que le contrat
conclu entre la commune et la société « constitue un marché public et présente, par
suite, eu égard à ses caractéristiques le caractère d'un contrat administratif en vertu
de la loi ». Or, la loi visée ici ne peut être que l'article L. 6 du code de la commande
publique (JCP Adm. 2020, n° 532, obs. L. E.). Si cette solution devait se confirmer,
18

la privatisation des rapports SPIC-usager serait remise en cause dans le cas où le


contrat est conclu par une personne publique prise en sa qualité d'usager d'un SPIC,
peu importe, par ailleurs, la nature publique ou privée du gestionnaire du service. Il
est vrai que la solution retenue par le Conseil d'Etat pourrait aussi s'expliquer par le
refus du juge de reconnaître le caractère de mission de service public aux services
des télécommunications, mais cela paraît difficile au regard des dispositions des
articles L. 35 et L. 35-1 du code des postes et des communications électroniques.

Lorsque l'usager du SPIC, en situation régulière, subit un dommage, l'action en


réparation dirigée contre la personne publique gestionnaire et qui est directement
liée à la fourniture de la prestation relève du droit privé et de la compétence
judiciaire et ce même si le dommage est engendré dans la conception et l'exécution
d'un outillage public (T. confl. 11 déc. 2017, n° 4101, Société Ryssen Alcools,
Lebon T. 521 ; AJDA 2018. 662 ). Dans ces limites, la solution Bac d'Eloka
continue à produire ses effets. Il s'ensuit que lorsque le gestionnaire du SPIC est un
établissement public qualifié par la loi d'industriel et commercial et qu'il gère à la
fois un SPA et un SPIC, il convient, pour déterminer le droit applicable à la
réparation du dommage, de bien isoler juridiquement les deux activités et si c'est
l'activité de SPIC qui a causé le dommage, la compétence est judiciaire (T. confl.
29 déc. 2004, Epoux Blanckeman, préc.).

Par ailleurs, dans les relations SPIC-usager, le droit administratif trouve


normalement à s'appliquer lorsque le litige est déclaré par le juge détachable de la
fourniture de la prestation et que sont notamment en cause des prérogatives de
puissance publique (T. confl. 8 oct. 2018, Commune de Malroy, préc., litige sur la
prise en charge de travaux de raccordement au réseau public ; T. confl. 13 déc.
2004, n° 3424, Mlle Tiberghien c/ SA des Eaux du Nord, Lebon T. 601 ; AJDA
2005. 340 , litige lié au refus de se raccorder au réseau ; T. confl. 19 janv. 2004, n°
3386, Société CLPK Aircraft Funding c/ Etablissement public Aéroports de Paris,
Lebon T. 632 ; RTD com. 2004. 262, obs. G. Orsoni , litige engendré par la
rétention d'un aéronef pour défaut de paiement des redevances aéroportuaires).

On retrouve donc cent ans après le bloc de compétence judiciaire initié par l'arrêt
Bac d'Eloka limité aux seuls rapports concernant directement la fourniture de la
prestation aux usagers, que celle-ci soit enfermée ou non dans une relation
contractuelle. Sur ce point, la distinction SPA-SPIC a produit et continue de
produire des effets substantiels.

2. La situation des tiers


19

Par tiers, on entend les personnes qui entrent en contact volontairement ou non avec
le service, sans avoir ni la qualité d'usager, ni celle d'agent dudit service. S'agissant
des SPA gérés par une personne publique, le rapport entre le tiers et le service
relève du droit administratif aux conditions habituelles d'application de ce droit. Il
suffit ici de faire référence à l'arrêt Blanco et aux grands arrêts du début du XXe
siècle relatifs aux contrats administratifs. L'appel au droit administratif constituant
l'exception lorsque le SPA est géré par une personne privée.

Pour les SPIC, l'arrêt Bac d'Eloka ne préjuge pas du régime juridique applicable au
service public dans ses relations avec les tiers, sauf à admettre que le service en
cause étant exploité « dans les mêmes conditions qu'un industriel ordinaire », le
recours au droit privé devrait jouer tant pour les tiers que les usagers.

Il faudra attendre la décision du Tribunal des conflits Dame Mélinette (11 juill.
1933, n° 0784, Lebon 1247, concl. Rouchon-Mazerat) pour que se pose l'incidence
de la jurisprudence du 22 janvier 1921 sur un litige né d'un accident causé sur la
voie publique à une passante et imputable à un camion affecté au ramassage des
ordures ménagères. Le juge des conflits, qui fait référence en l'espèce à un « service
public industriel », décide que le litige « ne se rattachant pas de façon indivisible à
l'exécution d'un travail public » relève de l'autorité judiciaire puisque les fonctions
remplies par le service en cause « ne rentrent pas [...] dans les attributions
exclusives de la puissance publique ».

A partir des années 1960, le Tribunal des conflits (14 nov. 1960, Société Vandroy-
Jaspar, Lebon 867) et le Conseil d'Etat (21 déc. 1960, Favier, Lebon 720)
admettent, en matière de contrats, que ceux conclus par un SPIC géré par une
personne publique avec des tiers et contenant des clauses exorbitantes du droit
privé sont administratifs. Deux années auparavant, le Conseil d'Etat avait placé
également sous l'emprise du droit administratif les actions en responsabilité
extracontractuelle dirigées contre une personne publique (EDF à l'époque) gérant
un SPIC, dès lors, par exemple, que le dommage était imputable à un ouvrage
public (CE 25 avr. 1958, Veuve Barbaza, Lebon 228). Ainsi réapparaissait le droit
administratif au titre des relations SPIC-tiers, dans des proportions qu'il convient
d'évaluer actuellement.

Les actes réglementaires édictés par la personne publique qui gère le SPIC, et dont
les effets peuvent concerner les tiers, sont normalement administratifs s'ils révèlent
la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique (T. confl. 22 nov. 1993, n°
2876, Matisse, Lebon 410 ; AJDA 1994. 168 ; D. 1994. 27 ; RTD com. 1994.
259, obs. G. Orsoni , a contrario).
20

Les contrats conclus par la personne publique gestionnaire du SPIC en vue du


fonctionnement de celui-ci sont administratifs, dès lors qu'il est satisfait au critère
organique, s'ils remplissent les conditions habituelles d'identification des contrats
administratifs (lien avec le service public, clauses reconnues comme exorbitantes,
travail public, occupation du domaine public). On est, d'ailleurs, en droit de se
demander si les contrats de fournitures, travaux et services conclus par le
gestionnaire public du SPIC ne doivent pas désormais être systématiquement
considérés comme des contrats administratifs par détermination de la loi compte
tenu des dispositions des articles L. 6 et L. 1111-1 du CCP.

Lorsque le gestionnaire du SPIC est une personne privée, le contrat SPIC-tiers n'est
administratif que par appel à la théorie du mandat.

En tout cas, lorsque l'on compare le régime juridique des contrats conclus avec un
tiers par un SPA géré par une personne publique à celui des mêmes contrats passés
par un gestionnaire public d'un SPIC avec un tiers, on ne note pas, sauf erreur, de
différences fondamentales.

L'arrêt Dame Mélinette est relatif à un dommage causé à un tiers en dehors de toute
relation contractuelle par le fonctionnement d'un SPIC et il conclut à la compétence
judiciaire. Elle le serait également aujourd'hui, mais sur un fondement différent, à
savoir la loi du 31 décembre 1957.

Pour le reste, si le principe en matière de responsabilité extracontractuelle du SPIC,


pour des dommages causés aux tiers, reste celui de la soumission de l'action en
réparation des dommages au droit privé et à la compétence judiciaire, encore faut-il
réserver le cas où réapparaît la compétence administrative si le dommage est lié à
un travail public (CE 25 avr. 1958, Veuve Barbaza, préc. ; T. confl. 17 déc. 2007,
n° 3647, Electricité de France [EDF] c/ Assurances Pacifica, Lebon 1113), au refus
du service public de le réaliser ou de le financer (T. confl. 8 oct. 2018, Commune
de Malroy, préc.), ou met en cause des prérogatives de puissance publique (T.
confl. 19 janv. 1998, n° 3084, Union française de l'Express c/ La Poste, Lebon
534 ; AJDA 1998. 530 ; D. 1998. 329 , concl. J. Arrighi de Casanova ; RFDA
1999. 189, note B. Seiller ; RTD com. 1999. 76, obs. G. Orsoni ).

Compte tenu du régime juridique applicable aux relations SPIC-tiers, notamment


lorsque le service est géré par une personne publique, on ne peut que souscrire à ce
qu'écrivait René Chapus (Droit administratif général, t. I, 15e éd., 2001, n° 1061) :
« Considérant les nuances, réserves et limites dont le principe de la compétence
judiciaire se trouve assorti, on peut en venir à se demander s'il ne serait pas
21

raisonnable que le contentieux des relations des services industriels et commerciaux


avec les tiers soit entièrement administratif. »

Dans son article précité, Bertrand Seiller fait référence à l'érosion de la distinction
SPA-SPIC. Il a raison si l'on songe au caractère perméable de la distinction SPA-
SPIC et à la systématisation de ses effets surtout dans les rapports SPIC-usager.
Mais érosion n'est pas disparition. A vérifier... au prochain anniversaire.

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Lecture 2. V. Donier. Les lois du service public : entre tradition et modernité,


RFDA 2006, p. 1219

Les lois du service public désignent l'ensemble des principes fondamentaux


applicables à tous les services publics, indépendamment de leur caractère
administratif ou industriel et commercial, et indépendamment de leur mode de
gestion. Il s'agit d'un socle commun à tous les services publics, censé guider et
encadrer leur fonctionnement dans l'intérêt des usagers (1). Ces principes,
généralement désignés sous le vocable de « lois du service public », ont été dégagés
par Louis Rolland au début du XXe siècle avant d'être ensuite repris par la doctrine,
puis par la législation.

Au premier rang de la trilogie élaborée par Louis Rolland, figure le principe de


continuité qui suppose que tous les services publics « doivent fonctionner sans
heurts, sans à-coups, sans arrêts » (2). La continuité implique la régularité du
service, et dans certaines hypothèses, la permanence : tel est notamment le cas
lorsque le service permet d'assurer l'ordre public comme la police, ou lorsqu'il vise
à satisfaire des besoins vitaux, comme les services de secours. Quant aux services
publics ne répondant pas à ces impératifs, le principe de continuité a vocation à
s'appliquer dans le cadre des horaires d'ouverture. Mais dans tous les cas, les
usagers ont droit au fonctionnement normal du service (3).

A ce principe de continuité, il faut également ajouter le principe d'adaptation ou de


mutabilité, que Louis Rolland qualifiait de « loi de changement ». Certains auteurs
privilégient quant à eux les termes d' « adaptation constante du service »,
soulignant par là même la nécessité de le faire évoluer en fonction des changements
qui affectent l'intérêt général (4). Ce principe suppose que les usagers n'ont pas de
droit acquis au maintien du service : celui-ci peut être supprimé (5), sous réserve
qu'il ne s'agisse pas d'un service public constitutionnel. Enfin, la trilogie élaborée
par Louis Rolland inclut le principe d'égalité devant le service public, qui régit tant
l'accès que le fonctionnement du service. Ce principe prohibe les distinctions
22

fondées sur l'origine, la race ou la religion des usagers. Par ailleurs, le principe
d'égalité suppose que deux usagers placés dans une situation identique puissent
revendiquer un traitement identique, ce qui ne s'oppose pas à l'établissement de
catégories fondées sur l'existence d'une différence de situation objective ou sur une
nécessité d'intérêt général en rapport avec l'objet du service (6). Ainsi, le principe
d'égalité n'interdit pas à l'administration d'établir des différences de traitement entre
les usagers d'un même service public, dès lors que ces distinctions sont justifiées.

Au-delà des lois du service public mises en lumière par Louis Rolland, de
nouveaux principes régissant le fonctionnement des services semblent avoir émergé
sous l'influence du droit communautaire et à la suite de l'évolution des pratiques
administratives. En effet, la mise en oeuvre d'une politique de modernisation de
l'administration et des services publics a contribué à faire apparaître de nouvelles
règles de fonctionnement, ce qui conduit à s'interroger sur le point de savoir si ces
nouveaux principes constituent autant de nouvelles lois du service public. En
d'autres termes, le triptyque dégagé par Louis Rolland serait-il aujourd'hui
insuffisant pour définir le droit commun des services publics ?

Afin de rénover l'action administrative, la circulaire du 23 février 1989 relative au


renouveau du service public (7) n'hésite pas à définir un programme d'action
reposant sur la transparence et la simplification de l'action administrative, ainsi que
sur l'amélioration de la productivité des services publics.

La charte des services publics adoptée le 18 mars 1992 se réfère, quant à elle, à de
nouveaux « principes d'action du service public », aux côtés des « principes
fondamentaux » (8). Parmi ces « principes d'action », le texte mentionne la
transparence et la responsabilité, la simplicité et l'accessibilité.

Par la suite, la circulaire du 26 juillet 1995 est venue compléter cette liste (9) : ce
texte estime qu'il faut donner corps à de nouveaux principes au nombre desquels
figurent la qualité, l'accessibilité, la simplicité, la rapidité, la transparence, la
médiation, la participation et la responsabilité. Plus récemment, la circulaire du 2
mars 2004 a permis l'élaboration d'une charte de l'accueil des usagers afin d'assurer
le respect des principes de transparence et d'accessibilité, et afin de promouvoir un
accueil de qualité (10). Le Premier ministre a également annoncé l'élaboration
d'une nouvelle charte dans le courant de l'année 2006 visant à rappeler les lois du
service public (11).

Ce foisonnement de nouveaux principes tend à « complexifier » le droit commun


des services publics puisque de nouvelles règles s'imposent désormais au côté des
principes fondamentaux.
23

Mais peu d'auteurs considèrent que ces nouvelles règles constituent toutes de
véritables lois du service public ; la classification adoptée dans les différents
ouvrages distingue généralement les principes fondamentaux et les nouvelles règles
de fonctionnement. Stéphane Braconnier établit ainsi une distinction entre les « lois
réelles » du service public et les « principes virtuels » qu'il qualifie « d'exigences a-
juridiques » (12). Pierre-Laurent Frier estime, quant à lui, que les nouveaux
principes ne peuvent être élevés au rang de loi du service public, il s'agit
simplement de « règles de bonne gestion » (13). A cet égard, il faut d'ailleurs
rappeler que la charte des services publics du 18 mars 1992 n'associait pas
expressément ces nouvelles règles aux principes traditionnels puisqu'elle établissait
une distinction entre les « principes fondamentaux » et les « principes d'action ».
De manière générale, la doctrine apparaît rétive face à l'émergence et à la
consécration de nouvelles lois du service public, même si certains auteurs n'hésitent
cependant pas à admettre l'apparition de nouveaux principes fondamentaux (14).

Face à ces hésitations et aux divergences doctrinales, la question de l'apparition de


nouvelles lois du service public mérite d'être posée ; mais pour tenter d'y répondre,
il faut, au préalable, définir la notion de loi du service public, afin d'établir un cadre
de référence permettant d'analyser ces nouveaux principes. En d'autres termes,
quels sont les critères communs aux principes fondamentaux, critères auxquels
doivent satisfaire les nouvelles règles de fonctionnement pour appartenir aux lois
du service public ?

Ces lois se caractérisent de prime abord par leur généralité dans la mesure où elles
ont vocation à s'appliquer à l'ensemble des services publics, ce qui ne signifie pas,
pour autant, qu'elles s'appliquent avec la même intensité à toutes les activités (15).
En outre, il s'agit de principes généraux du droit, ce qui leur confère une valeur et
donc une force juridiques. Le principe de continuité a été élevé au rang de principe
« fondamental » dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 13 juin 1980, Mme Bonjean, et il
a valeur constitutionnelle (16). Le principe d'égalité revêt lui aussi une double
qualification juridique au regard de la jurisprudence administrative (17) et
constitutionnelle (18). Quant à la valeur juridique du principe d'adaptation, certains
auteurs lui dénient toute qualification de principe général du droit (19), mais en
raison des conséquences attachées à ce principe à l'égard des agents du service, des
usagers et des cocontractants de l'administration, il semble constituer lui aussi un
principe général du droit (20). En revanche, à la différence des principes d'égalité et
de continuité, il n'a pas fait l'objet d'une consécration constitutionnelle.

A l'aune de ces différents critères, il sera possible d'élaborer une classification des
principes émergents : si certains semblent devoir être érigés au rang de loi du
24

service public, d'autres sont en revanche des lois en devenir. En outre, une
troisième catégorie peut être mise en lumière, regroupant l'ensemble des nouvelles
règles de fonctionnement qui sont a priori exclues des lois du service public
puisqu'il s'agit de principes inconsistants.
Cependant, cette évolution ne remet pas en cause la trilogie dégagée par Louis
Rolland ; les nouveaux principes viennent en effet s'ajouter aux lois traditionnelles
qui n'ont pas perdu de leur acuité, même si leur signification a évolué avec
l'émergence de nouvelles règles de fonctionnement. Toutefois, le maintien
théorique de la trilogie s'est accompagné d'une application diversifiée de ces
principes ; cela invite à s'interroger sur la pérennité du droit commun des services
publics.

L'émergence de nouveaux principes


L'influence du droit communautaire et son intégration dans le droit interne, ainsi
que l'apparition de politiques de modernisation administrative ont révélé de
nouveaux principes s'appliquant aux services publics. Parmi ces principes, il faut
essentiellement retenir la neutralité, la transparence, la qualité, l'accessibilité, la
simplicité, la sécurité ou encore la participation. Mais tous ne constituent pas, pour
l'heure, de nouvelles lois du service public ; seule la neutralité semble pouvoir
revêtir une telle qualification. Certains principes sont néanmoins amenés à jouer un
rôle particulier et peuvent être assimilés à des lois du service public en devenir,
telle la transparence. Cela tend par conséquent à démontrer que l'évolution du droit
commun des services publics n'est pas achevée ; cette évolution connaîtra sans
doute de nouveaux développements à l'avenir. Quant aux autres principes, ils
peuvent a priori être exclus des lois du service public existantes ou en devenir car
ils constituent de simples règles de bonne gestion.

Le principe de neutralité, nouvelle loi du service public

La trilogie de Louis Rolland ne citait pas expressément le principe de neutralité ;


pourtant, dans la mesure où ce principe entretient des liens étroits avec l'égalité, il
semblait être indirectement consacré. Mais cette reconnaissance implicite ne lui
conférait aucune autonomie par rapport au principe d'égalité. Une telle analyse
mérite aujourd'hui d'être reconsidérée puisque la neutralité ne peut, dans tous les
cas, se confondre avec l'égalité ; si ces deux principes sont généralement liés, la
neutralité a néanmoins conquis son indépendance, ce qui lui confère le caractère de
loi du service public.

Un principe longtemps associé à l'égalité


25

« Le principe de neutralité signifie que l'administration est impartiale et objective.


Les décisions administratives s'inspirent du seul souci de l'intérêt général : elles
sont conformes aux intérêts, non pas d'un groupe social donné, mais de la société
dans son ensemble » (21). La neutralité suppose donc l'objectivité de
l'administration qui ne doit pas prendre parti ; et à cet égard, elle proscrit toute
distinction fondée sur l'appartenance religieuse, politique, philosophique, ethnique,
ou encore culturelle des usagers ou des agents du service.

En ce sens, le principe de neutralité rejoint l'égalité qui vise également à interdire


les discriminations fondées sur ces critères ; neutralité et égalité juridique semblent
donc se confondre. Nombre d'auteurs estiment en effet que la neutralité garantit
l'égalité des usagers devant le service public (22). La neutralité serait indissociable
de l'égalité, tant dans son acception intellectuelle que religieuse : en effet, la laïcité,
qui est considérée comme « la manifestation dans la République de la neutralité en
matière religieuse » (23), contribue elle aussi à garantir le respect du principe
d'égalité devant le service public. Selon cette analyse, le principe de neutralité ne
dispose d'aucune autonomie, il existe grâce au principe d'égalité auquel il emprunte
ses fondements. Le principe de neutralité revêt ainsi la même valeur juridique que
le principe d'égalité, et à cet égard, il se présente comme une déclinaison de
l'égalité. Cela conduit alors à dénier au principe de neutralité toute existence
autonome, et par voie de conséquence, la qualification de loi du service public (24).

Cette conception du principe de neutralité a le plus souvent été qualifiée de «


neutralité indifférence », de « neutralité passive », ou encore de « neutralité
abstention » (25). Elle vise à mettre en relief le désintéressement du service à
l'égard des opinions politiques ou religieuses des usagers, mais aussi des agents
publics ; le devoir de neutralité imposé aux agents garantit en effet l'égalité des
usagers devant le service public (26). La « neutralité indifférence » présente ainsi
un double aspect car elle constitue une garantie pour les agents publics, mais aussi
pour les usagers.

Ce principe s'adresse dans un premier temps aux agents du service afin d'assurer le
respect du principe d'égal accès à la fonction publique, qui prohibe la prise en
compte des opinions philosophiques, politiques, religieuses ou syndicales des
candidats à un concours (27).

Mais le principe de neutralité est également source d'obligations à l'adresse des


agents du service afin de protéger l'égalité des usagers devant le service (28). Cette
obligation est particulièrement significative dans le cadre du service public de
l'enseignement : le principe de neutralité, en lien avec le principe de laïcité, suppose
la neutralité des programmes et des enseignants. Tel est notamment le sens de l'avis
26

rendu par le Conseil d'Etat le 3 mai 2000, Mlle Marteaux dans lequel le juge
administratif réaffirme le « devoir de stricte neutralité » qui incombe à tout agent
public (29).

Le principe de neutralité s'oppose également à la tenue de réunions politiques au


sein d'un établissement scolaire : en 1985, le Conseil d'Etat a ainsi considéré que «
la circonstance que des groupements politiques d'élèves soient habilités à organiser
des réunions politiques au sein du lycée, était de nature à porter atteinte au principe
de neutralité auquel doivent se conformer les établissements scolaires » (30).

De même, les établissements scolaires sont soumis au respect d'un principe de


neutralité commerciale dans leurs relations avec les entreprises susceptibles
d'intervenir en milieu scolaire (31).

En définitive, la « neutralité-abstention » semble se confondre avec l'égalité


juridique dans la mesure où l'indifférence du service face aux opinions de ses
agents et de ses usagers permet d'assurer l'égalité d'accès à la fonction publique et
l'égalité devant le service public.

Un principe doté d'une existence autonome

La confusion pratiquée entre égalité et neutralité est aujourd'hui atténuée par un


certain nombre de positions doctrinales qui remettent en cause l'association
systématique de ces deux notions (32). Une telle analyse est d'ailleurs confirmée
par l'étude de la charte des services publics du 18 mars 1992 qui intègre
expressément le principe de neutralité parmi les principes fondamentaux du service
public, aux côtés de l'égalité et de la continuité. On peut estimer que cette référence
explicite tend à conférer au principe de neutralité une existence autonome ; dans le
cas contraire, la charte aurait pu se contenter de mentionner le seul principe
d'égalité. L'intégration du principe de neutralité au sein des principes fondamentaux
régissant le fonctionnement du service public est également affirmée par la
circulaire du 26 juillet 1995 (33). Dans son Rapport public de 1994, le Conseil
d'Etat souligne d'ailleurs l'évolution du principe de neutralité « vers une plus grande
ouverture à la diversité des sensibilités philosophiques et religieuses » (34). La
neutralité ne se résume plus à la seule indifférence, elle apparaît au contraire sous
un angle nouveau, orienté vers le pluralisme et la diversité (35). Il est en effet
nécessaire, dans certaines hypothèses, de prendre en compte les opinions des
usagers du service, et notamment leurs opinions religieuses, afin de ne pas les
heurter. Aux côtés de la « neutralité indifférence », se développe donc une «
neutralité pluralisme ».
27

Dans cette hypothèse, le service ne peut rester indifférent face aux opinions
politiques ou religieuses, il doit au contraire les appréhender et mettre en oeuvre
une conception active de la neutralité. Cette acception n'entre plus en relation avec
l'égalité juridique, elle tend à prendre en considération les opinions pour mieux les
respecter, tel est notamment le cas du régime de l'objection de conscience (36). La
« neutralité pluralisme » se manifeste également dans le cadre du service public de
la restauration scolaire en tenant compte des interdits alimentaires.
De même, la jurisprudence et la législation relative au port de signes religieux dans
les établissements publics d'enseignement illustrent cette interprétation du principe
de neutralité. Dans son célèbre avis du 27 novembre 1989 (37), le Conseil d'Etat
avait ainsi estimé que « le port par des élèves de signes par lesquels ils entendent
manifester leur appartenance à une religion n'est pas incompatible avec le principe
fondamental de laïcité (...), mais la manière dont de tels signes sont arborés ne doit
pas avoir un caractère ostentatoire et revendicatif ».

La jurisprudence postérieure a confirmé cette interprétation pluraliste du principe


de neutralité visant à appréhender le phénomène religieux, et non plus à l'ignorer.
Le Conseil d'Etat a donc considéré que toute interdiction générale et absolue de
porter un signe d'appartenance religieuse devait être annulée (38). La loi du 15
mars 2004 a aujourd'hui succédé à cette jurisprudence en précisant que « dans les
écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves
manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » (39) ; cet
article signifie a contrario que le port de signes discrets est compatible avec le
principe de laïcité (40).

Au regard de cette évolution jurisprudentielle et législative, le principe de neutralité


n'a plus grand chose à voir avec l'égalité. Le juge administratif n'hésite d'ailleurs
pas à se référer au principe de neutralité sans mentionner le principe d'égalité, ce
qui renforce la thèse de son autonomie (41) ; et la jurisprudence constitutionnelle
semble confirmer cette analyse (42).

La relation que le principe de neutralité entretient avec le principe de laïcité met en


exergue l'autonomie de ce principe à l'égard de l'égalité. En effet, la neutralité se
rattache en réalité à la liberté, et plus précisément à l'exercice des libertés
intellectuelles dans le cadre du service public (43), comme en témoigne la
jurisprudence relative au port de signes religieux, qui tente de concilier la liberté de
religion et la neutralité du service. En ce sens, le principe de neutralité vise à limiter
l'exercice de cette liberté, sans pour autant l'interdire, tout du moins à l'égard des
usagers. La neutralité dépasse alors le seul cadre de l'égalité puisque le service ne
reste pas indifférent à l'égard des opinions des usagers ou des agents publics. Le
principe de neutralité ne s'oppose pas à l'exercice de la liberté de religion ou de
28

conscience, il vise simplement à régir l'exercice de ces libertés dans le cadre des
services publics.

La question est à présent de savoir si le principe de neutralité satisfait aux critères


permettant d'identifier les lois du service public. L'application généralisée de ce
principe ne fait aujourd'hui aucun doute, il appartient à la catégorie des principes
traditionnels du service public, comme le confirme la décision du Conseil
constitutionnel du 23 juillet 1996 (44) ; il a donc vocation à s'appliquer à l'ensemble
des services publics. Par ailleurs, on peut considérer que le principe de neutralité
est un principe général du droit « compte tenu de l'enracinement dans la tradition
française et républicaine du principe de neutralité de l'Etat et de l'administration »
(45). En outre, il se fonde indirectement sur l'article premier de la Constitution aux
termes duquel la France est une République laïque. On peut ainsi considérer que le
principe de neutralité est un principe général du droit, et lorsqu'il entre en
corrélation avec le principe de laïcité, il acquiert valeur constitutionnelle. Ces
différents éléments plaident donc pour la consécration d'une quatrième loi du
service public.

Le principe de transparence, une loi en devenir

La transparence fait aujourd'hui partie des contraintes pesant sur l'administration ;


ce principe, qui était traditionnellement considéré comme une obligation morale,
s'est progressivement juridicisé. Mais ces différents progrès ne doivent pas occulter
le maintien du secret qui tend à circonscrire l'impact du principe de transparence.
Dans la mesure où ce principe bénéficie d'une portée limitée, on ne peut l'ériger au
rang de loi du service public ; il s'agit simplement d'une loi en devenir qui mérite
encore de s'affirmer avant d'être consacrée.

Une conquête progressive

La transparence suppose de « rendre l'administration moins opaque, (de( dissiper le


brouillard qui l'entoure, (de( déchirer le voile qui la recouvre » (46) ; ce principe
implique donc une administration ouverte et accessible aux administrés afin que ces
derniers soient en mesure de comprendre l'action administrative et afin de lever tout
soupçon lié à l'arbitraire administratif (47).

Plusieurs lois ont été adoptées à la fin des années 1970, parmi lesquelles figure la
loi « informatique et liberté » du 6 janvier 1978, qui a pour objet de réglementer
l'utilisation des fichiers informatisés et de protéger les individus face à ces fichiers
(48). Cette loi, modifiée par la loi du 12 avril 2000 (49) et par celle du 6 août 2004
(50), permet aux usagers des services publics de prendre connaissance des
29

informations les concernant et de les contester. Ces différents textes ont consacré
un principe de transparence appliqué aux fichiers informatisés, mais ils protègent
également certains secrets légitimes dans la mesure où seule la personne concernée
par les données pourra user de son droit d'accès. Ces lois reposent donc sur une
double logique visant à concilier, d'une part, la transparence eu égard à l'accès aux
données informatisées, et d'autre part, le secret puisque le droit d'accès est restreint
(51).

Outre la loi « informatique et liberté », le législateur a énoncé, dans la loi du 17


juillet 1978, le principe du libre accès aux documents administratifs (52). Ce texte
met un terme au mythe du secret administratif ; comme cela a pu être souligné, la
transparence devient le principe, et le secret l'exception (53). Cette loi affirme, dans
son article 2, que les documents administratifs émanant des administrations de
l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics ou des organismes
de droit privé chargés de la gestion d'un service public, sont de plein droit
communicables à toute personne qui en fait la demande (54). Ce droit d'accès est
défini à partir de la notion de service public, il s'agit donc d'un droit spécifique aux
services publics.

Il faut toutefois préciser que l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 exclut de ce droit
à communication certains documents protégés par un secret légitime, ainsi que les
documents nominatifs qui ne sont communicables qu'aux personnes concernées. De
même, certains documents, qui ne sont pas assimilés à des documents
administratifs, restent exclus du droit à communication : il s'agit notamment des
actes des assemblées parlementaires, ou encore des avis du Conseil d'Etat et des
juridictions administratives. Il n'en demeure pas moins que la loi du 17 juillet 1978
a consacré un véritable droit d'accès aux documents administratifs ; ce droit se
révèle d'ailleurs contraignant à l'égard de l'administration puisque tout refus de
communication doit faire l'objet d'une décision motivée, notifiée au demandeur et
comportant l'indication des voies et délais de recours. En outre, l'ordonnance
précitée du 6 juin 2005 atténue l'exception liée à la non-communication des
documents protégés par le secret ou des documents nominatifs : « lorsque la
demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas
communicables (...) mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document
est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».
Cette disposition consacre donc un droit à la communication partielle du document
lorsque certaines informations qui ne sont pas communicables peuvent être «
gommées ». Le principe de transparence semble ainsi bénéficier d'une effectivité
croissante.
30

Au-delà des lois du 6 janvier et du 17 juillet 1978, la transparence a également


progressé avec l'adoption de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des
actes administratifs (55). L'exigence de motivation favorise l'émergence d'un
principe de transparence dans la mesure où elle permet de mieux cerner les raisons
de fait et de droit qui ont conduit l'administration à prendre ladite décision. En
outre, cela facilite le contrôle du juge de l'excès de pouvoir.

D'autres textes méritent également d'être mentionnés afin de démontrer que le


principe de transparence s'est progressivement juridicisé en droit interne : la loi du
6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République a ainsi
introduit un nouvel article L 2141-1 dans le code général des collectivités
territoriales, aux termes duquel les habitants de la commune doivent être informés
des affaires de celle-ci (56). De même, la loi du 2 février 1995 relative à la
protection de l'environnement (57), modifiée par la loi du 27 février 2002 relative à
la démocratie de proximité (58), a consacré un droit d'accès aux informations ayant
trait à l'environnement (59). Quant à la loi du 12 avril 2000, relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec l'administration, elle a notamment imposé à
l'administration de mettre un terme à l'anonymat qui s'appliquait auparavant à
l'auteur d'une décision (60). En outre, il faut également évoquer les différentes lois
de simplification du droit qui tendent à asseoir le principe de transparence grâce à
un accès clair et simplifié au droit (61). Ce mouvement de simplification est
d'ailleurs encouragé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel puisque ce
dernier a qualifié l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi d'objectif de valeur
constitutionnelle (62). Enfin, la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois
de finances tend elle aussi à améliorer la transparence dans le domaine de la gestion
budgétaire (63).

Le principe de transparence a par ailleurs été imposé par le droit communautaire en


vue de clarifier les relations financières entre les pouvoirs publics et les opérateurs
nationaux de service public (64). Le droit communautaire prescrit ainsi la
dissociation entre les fonctions d'opérateur et de régulateur, ou le contrôle des aides
publiques allouées par l'Etat aux opérateurs nationaux. De plus, l'article 42 de la
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne consacre un droit d'accès
aux documents administratifs détenus par les instances communautaires, au profit
des personnes physiques ou morales.

Ainsi le droit interne et le droit communautaire ont construit un édifice favorisant


l'émergence d'un principe de transparence. Cet édifice a été récemment consolidé
par la jurisprudence administrative, qui a considéré que « les dispositions relatives
à l'étendue du droit d'accès aux documents administratifs concernent les garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » (65).
31

Le droit d'accès aux documents administratifs apparaît en effet comme une


condition indispensable à l'exercice de la liberté d'opinion ou de la liberté de
communication.

La transparence semble donc désormais faire partie des principes régissant le


fonctionnement des services publics ; elle bénéficie d'une force contraignante en
raison des sujétions pesant sur l'administration, mais aussi grâce à la mise en
oeuvre d'un système de régulation assuré par la Commission d'accès aux documents
administratifs (CADA). En effet, l'usager d'un service public, ou plus généralement,
tout administré, qui se voit refuser l'accès à un document administratif, doit saisir
cette autorité administrative indépendante, chargée d'émettre un avis sur la
communication du document demandé (66). Si, après avoir saisi cette commission,
l'administré n'obtient toujours pas satisfaction, il peut exercer un recours devant le
juge administratif à l'encontre de la décision de l'administration refusant la
communication du document.

En définitive, au regard du dispositif visant à garantir la transparence des services


publics, la généralité de ce principe semble avérée, même s'il n'a pas vocation à
s'appliquer avec la même intensité à toutes les activités (67). Mais cette généralité
n'est pas à elle seule suffisante pour conclure à l'émergence d'une nouvelle loi du
service public, certains obstacles s'opposent encore à une telle consécration.
Une effectivité limitée par la déontologie du secret

Si la loi du 17 juillet 1978 a consacré un droit d'accès aux documents


administratifs, il ne s'agit pas pour autant d'un droit absolu : cette faculté est
assortie d'exceptions énoncées à l'article 6 de la loi, modifié par la loi du 12 avril
2000. Sont notamment protégés par le secret les documents dont la communication
porterait atteinte au secret des délibérations du gouvernement, au secret de la
défense nationale, à la sûreté de l'Etat, ou au déroulement des procédures engagées
devant les juridictions. De même, les documents protégés par le secret de la vie
privée ne sont communicables qu'aux seules personnes concernées. L'ordonnance
du 6 juin 2005 a néanmoins permis d'atténuer ces exceptions puisque le document
pourra être diffusé s'il est possible d'occulter les mentions protégées par le secret.

Par ailleurs, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs
prévoit elle aussi des cas particuliers : ainsi, l'urgence et le secret peuvent justifier
l'absence de motivation. Cette loi n'institue pas un principe absolu, elle vise
simplement à établir la liste des décisions individuelles soumises à l'obligation de
motivation, sauf en situation d'urgence, ou s'il s'agit de protéger un secret.
32

On constate ainsi que la transparence n'est pas totale, et cela est heureux car il ne
faut pas nier les vertus du secret afin de protéger les intérêts privés et publics. Il est
donc opportun de maintenir « une dose raisonnable de secret » (68), la transparence
doit nécessairement se concilier avec le secret dans l'intérêt des administrés, mais
aussi, dans l'intérêt de l'administration, afin de la préserver des pressions
extérieures.

Toutefois, au-delà des exceptions légales, on peut s'interroger sur l'effectivité réelle
du principe de transparence tel qu'il a été institué par la loi du 17 juillet 1978
modifiée. Ces différents textes ont-ils réellement permis de changer les
comportements administratifs ? Si le principe de transparence s'est progressivement
juridicisé, certains obstacles liés aux traditions administratives demeurent : selon
Jacques Chevallier, « la transparence administrative se heurte à la viscosité des
comportements » (69), et d'après la présidente de la CADA, Mme Pyubasset, « la
transparence n'est pas une priorité pour les administrations » (70).

Cela tend par conséquent à démontrer qu'au-delà des secrets imposés par la loi, des
réticences d'ordre psychologique et idéologique demeurent. S'il existe une
déontologie du secret, la déontologie de la transparence reste encore à conquérir
(71). Par conséquent, la transparence n'est pas un principe absolu et cela se justifie
par la nécessité de protéger certains secrets individuels ou publics, mais aussi, ce
qui est moins légitime, par les réticences administratives face au partage de
l'information. On perçoit alors les limites du dispositif juridique : au regard des
textes, l'exigence de transparence paraît de plus en plus prégnante, mais le droit se
heurte encore à la rigidité des habitudes et des comportements.

Par ailleurs, la transparence ne peut être effective sans une simplification du droit et
des procédures administratives, elle doit se conjuguer avec l'affirmation d'un « droit
de comprendre l'administration » (72). En effet, la complexité du droit tend à
réserver l'accès aux documents administratifs aux seuls « initiés » (73). Or la
simplification constitue a priori un simple objectif ; si trois lois ont été adoptées
afin de simplifier le droit, de nombreux progrès restent à accomplir en la matière
(74).

En outre, au-delà du principe de simplification, la transparence suppose peut-être


également la mise en oeuvre d'un principe de participation dans le cadre des
services publics (75) : en associant l'usager à l'élaboration des décisions relatives à
la gestion du service public, le principe de transparence sera affermi. Toutefois, si
différents procédés de participation se sont développés au sein des services publics,
ce principe ne bénéficie pas d'une généralité suffisante pour constituer un véritable
support au principe de transparence.
33

Pourtant certains auteurs estiment que le principe de transparence doit être intégré
parmi les lois du service public (76). S'il est vrai que ce principe a été défini à partir
de la notion de service public puisque le droit d'accès aux documents administratifs
s'applique à tous les services publics, la persistance du secret et l'absence de
contraintes liées à la simplification administrative font obstacle à l'intégration de ce
principe parmi les lois du service public (77). Par ailleurs, si le Conseil d'Etat a
considéré que le droit d'accès aux documents administratifs était une garantie
fondamentale pour l'exercice des libertés publiques (78), il n'a pas qualifié la
transparence de principe général du droit (79). Or, cela invite à exclure ce principe
des lois du service public même s'il ne s'agit pas d'une exclusion définitive : en
raison des contraintes de plus en plus exigeantes pesant sur l'administration, la
transparence semble être une loi en devenir (80). En effet, comme l'atteste
l'ordonnance du 6 juin 2005, la transparence revêt une importance croissante (81) ;
cela semble également être confirmé par la jurisprudence du Conseil d'Etat qui
reconnaît, en filigrane, l'émergence d'un droit de comprendre l'administration (82)
Mais l'effectivité de ce principe de transparence mérite encore d'être confortée
avant de pouvoir l'intégrer parmi les lois du service public.

Les principes exclus des lois du service public

Si les principes de neutralité et de transparence régissent le fonctionnement de tous


les services publics, d'autres font en revanche l'objet d'une application diversifiée.
Tel est notamment le cas du principe de gratuité, qui se révèle être en réalité un
principe inexistant car aucune disposition n'impose, de manière générale, la gratuité
des services publics. De même les principes de simplicité, d'accessibilité, de
sécurité, de participation, ou encore de qualité doivent, eux aussi, être exclus de la
catégorie des lois du service public. En raison de leur imprécision et de leur
inconsistance, ces principes restent de simples règles de bonne gestion, ils n'ont pas
vocation à devenir de véritables lois du service public.

La gratuité : un principe inexistant

La gratuité suppose l'absence de prix payé par l'usager en contrepartie de la


prestation fournie, cela implique, par conséquent, un financement total du service
par l'impôt. Cette gratuité est parfois imposée par une disposition constitutionnelle
particulière visant un service public spécifique ; tel est le cas de l'alinéa 13 du
Préambule de la Constitution de 1946 qui implique la gratuité de l'enseignement
public. Mais ce principe n'est pas absolu dans la mesure où certaines catégories
d'établissements d'enseignement sont exclues, comme les universités ou les
établissements scolaires français à l'étranger (83).
34

Par ailleurs, la loi prescrit parfois la gratuité de certains services publics, et


notamment des services administratifs obligatoires, même si aucune disposition
constitutionnelle n'édicte une telle obligation. De manière générale, ni le texte de la
Constitution ni la jurisprudence constitutionnelle ne permettent de mettre en
exergue un principe de gratuité ayant vocation à s'appliquer à l'ensemble des
services publics, ou tout du moins aux services publics administratifs obligatoires.
Seul le service de l'enseignement est expressément visé par une obligation
constitutionnelle de gratuité (84). En ce qui concerne les autres services publics,
c'est à la loi qu'il appartient de déterminer leurs modalités de fonctionnement et
leurs tarifs. Ainsi, la loi prévoit généralement la gratuité des services publics
administratifs obligatoires, au nombre desquels figurent les services de secours ;
mais l'établissement d'un prix n'est pas exclu, aucune disposition constitutionnelle
n'impose en effet au législateur la gratuité de ces activités.

En outre, aucun principe général de gratuité n'a été dégagé par la jurisprudence
administrative : dans un arrêt du 10 juillet 1996, Société « Direct Mail Promotion »,
le Conseil d'Etat a considéré que « le moyen tiré de la violation d'un principe
général de gratuité du « service public administratif » ne peut en tout état de cause
être que rejeté » (85). Au-delà des seules activités visées par une disposition
constitutionnelle particulière, la gratuité n'est pas un droit pour l'usager ; la notion
même de service public à caractère industriel et commercial s'oppose d'ailleurs à
toute idée de gratuité.

La doctrine semble sur ce point unanime puisque tous les juristes concluent à
l'absence de principe général de gratuité, tant à l'égard des services publics
industriels et commerciaux, qu'à l'égard des services publics à caractère
administratif (86). Si certains services publics sont gratuits, ce n'est pas en vertu
d'un éventuel principe général de gratuité, mais plutôt en raison des exigences liées
à l'égalité ; la gratuité apparaît en effet comme un élément favorisant la mise en
oeuvre d'une conception concrète de l'égalité en permettant à chacun d'accéder
effectivement au service, le prix ne doit plus constituer un obstacle (87). Mais cette
analyse n'a pas vocation à s'appliquer à l'ensemble des services publics, le principe
de gratuité fait l'objet d'une application sectorielle puisqu'il produit généralement
ses effets dans le cadre des seuls services publics administratifs obligatoires (88).
Pour ces différentes raisons, la gratuité ne peut être intégrée parmi les lois du
service public, et elle ne bénéficie pas d'une généralité suffisante pour être
assimilée à une loi en devenir.

Néanmoins les implications du principe de gratuité ont évolué et se sont


diversifiées : à l'absence de prix, a succédé la modicité des tarifs afin de rendre le
35

service accessible à tous (89). La gratuité, lorsqu'elle existe, tend également à


devenir de plus en plus sélective : elle ne s'adresse pas nécessairement à l'ensemble
des usagers du service, mais elle a vocation à profiter aux usagers les plus
défavorisés. La gratuité ne se caractérise plus par « l'absence de prix », mais plutôt
par la « dispense de prix » visant à réserver cet avantage à certaines catégories
d'usagers seulement (90).

Au regard de ces évolutions, la gratuité semble désormais revêtir plusieurs


acceptions et le développement de nouvelles pratiques visant à rendre le service
accessible et abordable permet peut-être de pallier l'absence d'un principe général
de gratuité. Certains auteurs estiment à cet égard que la notion de tarifs abordables
introduite par le service universel peut se substituer à l'idée de gratuité : selon
Stéphane Braconnier, « le service universel constitue un substitut dynamique (...) à
l'introuvable principe de gratuité des services publics » (91). Si le service universel
suppose la fourniture de prestations à tous, sur tout le territoire, dans le respect du
principe d'égalité, il implique également l'établissement de tarifs abordables ; or
cela favorise l'égal accès aux services publics. La notion de prix abordable semble
donc constituer une alternative à l'inexistence d'un principe de gratuité.
Mais tous les juristes ne partagent pas cette analyse car la gratuité ne peut être
réduite à la notion de tarifs abordables, qui suppose nécessairement que l'usager
devra s'acquitter d'un prix (92). On peut en effet considérer que l'essence même de
la notion de gratuité s'oppose au maintien d'un prix, aussi modique soit-il. Les
différents substituts mis en oeuvre afin de garantir l'égal accès aux services publics
se distinguent de l'idée de gratuité totale, mais ils permettent malgré tout
d'aménager les modalités de fonctionnement du service dans le dessein de préserver
le lien social. Ainsi, si le principe de gratuité ne peut être érigé au rang de loi du
service public, il n'est pas sans influence sur le développement d'une conception
universelle du service.

Les règles de bonne gestion : des principes inconsistants

Parmi les nouvelles règles d'action affirmées par la Charte des services publics du
18 mars 1992 et par la circulaire du 26 juillet 1995 relative à la préparation et à la
mise en oeuvre de la réforme de l'Etat et des services publics, figure le principe de
simplicité. Cet objectif s'est notamment traduit par l'adoption de trois lois de
simplification du droit, par le recours à la codification et par la mise en place de
l'administration électronique en vue de faciliter les échanges entre l'administration
et les usagers (93). Toutefois, si l'effort de simplification est de plus en plus
prégnant, ce principe ne bénéficie pas d'une force juridique suffisante pour être
intégré au sein de la catégorie des lois du service public : en effet, si le Conseil
d'Etat s'assure désormais que le pouvoir réglementaire a édicté des normes
36

compréhensibles (94), rien ne semble obliger l'administration à simplifier les


procédures existantes, édictées par des normes antérieures à l'arrêt du 24 mars
2006.

La simplification entretient les liens étroits avec le principe d'accessibilité dans la


mesure où l'effort de simplification permet de rendre le droit plus accessible à
l'égard des usagers. Mais ce principe d'accessibilité dispose, lui aussi, d'une force
juridique limitée à l'égard de l'administration, il demeure une simple ligne de
conduite même si certains progrès ont été accomplis, notamment sous l'influence
du droit communautaire. En effet, l'accessibilité ne revêt pas seulement une
acception intellectuelle, elle peut également recevoir une signification économique
ou géographique, comme en témoigne la notion de service universel qui impose un
tarif abordable et une prestation accessible sur l'ensemble du territoire. Le droit
communautaire a donc progressivement dégagé une nouvelle obligation liée à
l'accessibilité du service universel (95). Mais l'on ne peut considérer que cette
nouvelle exigence constitue un principe de fonctionnement du service public
puisque la notion de service universel ne recouvre pas l'ensemble des services
publics ; cette exigence n'est pas suffisamment généralisée pour pouvoir prétendre à
la qualification de principe fondamental du service public.
Outre la simplicité et l'accessibilité, les différentes circulaires visant à réformer les
services publics ont également mentionné les principes de sécurité et de
responsabilité. A cet égard, le droit communautaire a imposé plusieurs dispositifs
visant à assurer la sécurité des consommateurs, et parallèlement, la mise en oeuvre
d'un principe de responsabilité, lors de l'utilisation de produits défectueux (96). Ces
dispositifs, qui s'appliquent aux services publics, créent une nouvelle obligation à la
charge de l'administration. Certains auteurs en ont déduit que les principes de
sécurité et de responsabilité devaient être associés aux obligations traditionnelles
pesant sur les services publics (97).

Néanmoins, ces principes n'ont pas vocation à s'appliquer à l'ensemble des activités
de service public, ils concernent essentiellement les services faisant usage de
produits. Si les instances communautaires ont effectivement créé de nouvelles
contraintes à la charge de l'administration, ces obligations ne bénéficient pas d'une
généralité suffisante pour intégrer la catégorie des lois du service public.

Les stratégies de renouveau du service public s'appuient également sur le principe


de participation dans le dessein d'associer les usagers à la gestion du service public
et aux processus de décision. La participation invite l'usager à ne plus demeurer
passif, mais au contraire à se transformer en un « véritable acteur, investi d'un droit
de regard sur la marche des services » (98). Ce droit à la participation a été renforcé
par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, dont le titre IV
37

est consacré à la participation du public à l'élaboration des grands projets. Par


ailleurs, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a introduit, aux côtés des
procédures de consultation, un référendum décisionnel local, et a créé un droit de
pétition au profit des électeurs locaux.

Si les progrès accomplis en faveur de la participation semblent substantiels, il


n'existe pas, pour l'heure, de principe général de participation puisque cette notion
est soumise à une application diversifiée : tous les services publics n'ont pas mis en
oeuvre des procédures visant à associer les usagers à la prise de décision (99). En
outre, la participation ne confère pas réellement à l'usager une emprise sur
l'administration gestionnaire du service ; elle se traduit le plus souvent par «
l'illusion du partage du pouvoir » (100). Réserve faite du référendum décisionnel
local, la participation se résume le plus souvent à une simple consultation sans
véritable pouvoir de décision au profit des usagers (101). Pour ces différentes
raisons, le principe de participation ne peut être qualifié de loi du service public ou
de loi en devenir.

La liste des nouveaux principes gravitant autour des services publics ne serait pas
complète si l'on ne mentionnait pas les principes de qualité et d'efficacité. Ces deux
notions ne doivent pas être confondues, mais elles peuvent être étudiées
simultanément dans la mesure où elles entretiennent des liens étroits. L'efficacité
renvoie, au plan économique, à l'idée de productivité et de rentabilité (102) ; quant
à la qualité, elle répond davantage à une appréciation subjective reposant sur
l'aptitude du service à satisfaire les besoins des usagers, et plus globalement,
l'intérêt général (103). Néanmoins, qualité et efficacité sont étroitement imbriquées
comme l'atteste la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances
qui combine deux principaux objectifs liés à l'efficacité économique de la dépenses
publique et à la qualité du service public à l'égard de l'usager.

Le droit à la qualité du service semble émerger dans le cadre des activités


économiques, sous l'influence du droit communautaire et du droit de la concurrence
(104). Cela suppose par conséquent que la notion de qualité produit des effets
différents selon la nature du service : s'il s'agit d'un service public économique,
l'efficacité et la qualité reposeront essentiellement sur les performances dans la
gestion du service ; en revanche, dans le cadre des services publics administratifs, il
peut être plus délicat de mesurer la qualité et d'établir des indicateurs permettant
une telle mesure (105).

La qualité est en réalité une notion pluridimensionnelle qui suppose une définition
au cas par cas, en fonction de l'objet du service et de la prestation fournie ; il s'agit
d'un concept nébuleux qui ne peut recevoir de définition univoque. Par ailleurs, elle
38

ne constitue pas, pour l'heure, un principe juridique contraignant : si la qualité


semble devenir une véritable exigence censée guider la gestion des services publics,
ce principe reste dépourvu de sanction, il demeure un simple objectif visant à
orienter les politiques de modernisation des services publics (106). En effet, les
engagements pris en faveur de la qualité ne se traduisent pas nécessairement par
l'émergence d'un droit à la qualité au profit des usagers puisque ces engagements ne
sont pas toujours assortis de sanctions : si certaines entreprises publiques ont
effectivement prévu une compensation en cas de non-respect de leurs engagements
(107), les démarches de qualité engagées par les services publics administratifs ne
présentent pas toujours un caractère contraignant, l'usager ne peut donc pas
invoquer un droit à la qualité (108).
L'exigence de qualité demeure sectorielle : si ce critère semble désormais
s'appliquer à l'ensemble des services publics (109), sa force contraignante varie
selon les activités. Ainsi, dans le cadre des services publics à caractère
administratif, la qualité est le plus souvent dépourvue de force juridique, excepté
dans certaines hypothèses, tel le service public hospitalier, qui tend à être de plus en
plus soumis à une obligation de sécurité et, implicitement, de qualité (110). Mais
tous les services publics n'ont pas intégré la qualité en tant que véritable obligation
juridique ; elle reste encore souvent un simple objectif dénué de sanction. Si
l'objectif de qualité peut être étendu à l'ensemble des services publics, l'exigence de
qualité demeure, quant à elle, ponctuelle et sectorielle. Dans la mesure où les
implications juridiques des principes de qualité et d'efficacité semblent aléatoires,
et dans la mesure où ces deux notions sont difficilement quantifiables, on ne peut
les inclure au sein des lois du service public.

Cependant, certains auteurs voient dans la qualité une loi du service public en
devenir : selon Lucie Cluzel, le principe de qualité « semble pouvoir combler les
lacunes des principes traditionnels, impuissants à rendre compte des nouvelles
exigences qui s'imposent désormais aux services publics ». Dès lors, « il peut être
vu comme un « grand principe en puissance » distinct des autres principes parce
que répondant à une problématique nouvelle » (111). S'il apparaît que l'objectif de
qualité bénéficie désormais d'une application généralisée puisque tous les services
publics semblent être concernés par une démarche de qualité, la qualité ne dispose
pas, à l'heure actuelle, d'une force juridique suffisante pour pouvoir être intégrée au
sein des lois du service public en devenir. Certes, elle fait parfois naître une
véritable obligation assortie de sanctions, mais l'inconstance de cette contrainte
invite à exclure la qualité de la catégorie des lois du service public « en puissance
».

A la différence du principe de transparence qui a été imposé à l'administration - et


qui fait partie des lois en devenir - la qualité est le plus souvent soumise à la
39

définition et à la bonne volonté de celle-ci ; il ne s'agit pas toujours d'un principe


contraignant. Le droit d'accès aux documents administratifs peut être juridiquement
sanctionné, tandis que le droit à la qualité n'est pas nécessairement invocable car il
n'est pas toujours associé à une obligation de résultat. La transparence fait peser de
véritables obligations sur l'administration, ce qui n'est pas forcément le cas de la
qualité.

On peut alors en déduire que la qualité n'a pas vocation à être érigée au rang de loi
du service public ; il ne s'agit pas d'une loi en devenir, mais davantage d'une
philosophie guidant les politiques de modernisation des services publics et
imposant la satisfaction des besoins des usagers dans des conditions économiques
optimales. La qualité inonde en effet l'ensemble du droit commun des services
publics, c'est une ligne de conduite qui tend à réunir l'intérêt général et les intérêts
des usagers. Elle ne nous semble pas devoir être intégrée parmi les lois en devenir,
il s'agit simplement d'un principe directeur qui oriente le service public vers la
satisfaction des intérêts des usagers et non vers la seule satisfaction d'un intérêt
général désincarné.

En définitive, les principes émergents restent, de manière générale, des principes


d'action, ils pâtissent d'ailleurs d'une portée juridique limitée puisqu'ils ont
généralement été énoncés par de simples circulaires. La simplicité, l'accessibilité, la
sécurité, la responsabilité, la participation, la qualité et l'efficacité ne sont pas
vouées à devenir des lois du service public ; il s'agit simplement d'objectifs ou
encore de voeux destinés à orienter les politiques de modernisation du service
public. Ces principes « relèvent davantage de la profession de foi, voire de
l'incantation que de la conceptualisation opératoire » (112). Si les lois du service
public constituent des principes intangibles, dont la pérennité est avérée, la
longévité des principes émergents semble beaucoup plus incertaine ; ils ne peuvent
donc être associés aux lois du service public reconnues ou en devenir. La catégorie
des principes fondamentaux ne doit pas être excessivement étendue, sous peine de
perdre de sa cohérence et de son intérêt.

L'adaptation des règles traditionnelles


S'il apparaît que tous les principes émergents n'ont pas vocation à devenir de
nouvelles lois du service public puisqu'ils constituent le plus souvent de simples
règles de bonne gestion, ils exercent néanmoins une influence sur les principes
traditionnels. En effet, les lois du service public ont été amenées à s'adapter et à
évoluer sous l'action des nouvelles lignes directrices guidant, de manière générale,
les politiques de modernisation des services publics. Par ailleurs, au-delà du
maintien de l'unité théorique qui caractérise le droit commun des services publics,
on assiste à une application diversifiée des principes fondamentaux selon l'objet du
40

service. Si les concepts subsistent, leurs conséquences varient parfois en fonction


de l'activité.

L'influence des règles de bonne gestion sur la trilogie du service public

Les lois de Rolland ont vu leur signification évoluer face à l'apparition de nouvelles
exigences imposées notamment par le droit communautaire. Ainsi le principe
d'égalité connaît désormais de nouvelles implications liées essentiellement à la
notion d'accessibilité tarifaire. De même, les conséquences découlant du principe
de continuité se sont multipliées : à la continuité temporelle, il faut peut-être ajouter
la continuité spatiale des services publics. Enfin, le principe d'adaptabilité semble
se présenter sous un jour plus favorable aux usagers grâce à l'influence de la notion
de qualité. L'apparition de nouvelles lignes directrices a donc suscité certaines
adaptations au sein des lois du service public.

Un principe d'égalité renouvelé

Le principe d'égalité a connu certaines évolutions sous l'influence du droit


communautaire qui, de manière générale, prohibe les distinctions fondées sur la
nationalité : en vertu de la liberté d'établissement et de la liberté de prestations de
service, un Etat membre ne peut établir de distinction fondée sur la nationalité du
fournisseur du service et réserver en priorité l'attribution d'un marché à un
ressortissant national (113). La Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne réaffirme d'ailleurs cette interdiction dans son article 21, selon lequel «
toute discrimination exercée en fonction de la nationalité est interdite ». Le principe
d'égalité a donc reçu de nouvelles applications puisqu'en vertu du droit
communautaire, il doit s'appliquer entre nationaux et ressortissants
communautaires.

De même, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes


tend à réfuter l'interprétation retenue par le juge administratif français concernant la
mise en oeuvre du principe d'égalité, notamment au sein des services publics
locaux. Traditionnellement, le juge administratif considérait que, dans le cadre de
ces services, la collectivité gestionnaire pouvait établir une distinction fondée sur le
lieu de résidence de l'usager (114). Mais une décision de la Cour de justice des
Communautés européennes, en date du 16 février 2003, remet en cause
l'interprétation du principe d'égalité prévalant en droit interne (115). Selon la Cour,
les tarifs préférentiels réservés aux seuls résidents locaux dans le cadre de services
publics culturels portent atteinte au principe de non-discrimination ; la Cour
assimile alors la distinction fondée sur le lieu de résidence à une discrimination
fondée sur la nationalité des usagers. Au regard de cette jurisprudence, il semblerait
41

que le lieu de résidence soit devenu un critère de distinction interdit puisqu'il tend à
exclure les non-résidents, et par voie de conséquence, les non-nationaux. Une telle
solution remet indubitablement en cause la jurisprudence administrative française
et semble plaider pour une évolution de l'application du principe d'égalité en droit
interne.

Par ailleurs, la notion de service universel, issue du droit communautaire, tend elle
aussi à influencer le principe d'égalité : en effet, « le service universel est un
ensemble d'exigences d'intérêt général dont l'objectif est d'assurer un ensemble de
services d'une qualité donnée, accessible à tous les utilisateurs indépendamment de
leur localisation géographique, à un prix abordable » (116). Le service universel
inclut donc la notion de tarifs abordables et, plus généralement, d'accessibilité
tarifaire, afin de garantir l'universalité du service.

Cette exigence favorise l'évolution du principe d'égalité puisqu'elle suppose de


mieux prendre en compte la réalité économique et sociale ; le tarif doit ainsi rendre
le service accessible à l'ensemble des usagers, y compris à l'égard des plus
défavorisés (117). Une telle revendication entraîne la mutation du principe
d'égalité, qui ne peut se contenter de la seule égalité formelle ; la notion de service
universel a contribué à faire apparaître un principe de non-discrimination tarifaire
visant à garantir un accès effectif au service (118).

Le principe de non-discrimination issu du droit communautaire ne se résume donc


pas à la seule interdiction des distinctions fondées sur la nationalité, il implique
également l'émergence de politiques tarifaires particulières en faveur des usagers
les plus démunis ; ce principe postule ainsi l'établissement de différences de
traitement afin d'assurer in fine l'accessibilité tarifaire du service (119). Si la notion
de tarifs abordables applicable au service universel reste relativement subjective,
elle a favorisé l'émergence, en droit interne, de dispositifs spécifiques à destination
des usagers les plus défavorisés. Ainsi, selon la loi du 10 février 2000 relative au
service public de l'électricité chacun a le droit à l'électricité ; il s'agit d'un produit de
première nécessité, ce qui justifie l'établissement d'une tarification spéciale en
faveur des plus démunis (120). De manière générale, la loi d'orientation relative à la
lutte contre les exclusions a prévu la mise en oeuvre de dispositifs spécifiques
visant à assurer un service minimum dans le secteur de l'eau et de l'énergie (121).
Un accès minimum au service des télécommunications est également garanti
puisque la loi du 31 décembre 2003 prévoit le maintien d'un service restreint en cas
de non-paiement des factures téléphoniques (122).

La notion de tarifs abordables issue du droit communautaire a donc favorisé la


création de dispositifs particuliers en faveur des plus démunis dans le cadre du
42

service universel, ce qui a inévitablement engendré la mise en oeuvre d'une


interprétation plus concrète du principe d'égalité. L'accessibilité tarifaire a
progressivement envahi le droit des services publics et cela ne se limite pas aux
seuls services universels : si l'égalité d'accès fait partie des obligations incombant
aux services universels, cette notion n'est pas ignorée par le droit interne des
services publics. En effet, il est apparu que la tarification pouvait porter atteinte au
principe d'égal accès aux services ; or, pour atténuer cet obstacle, de nombreux
services ont choisi d'appliquer une tarification variant en fonction de la situation
sociale des usagers. Ainsi, la situation familiale de l'usager peut lui donner accès à
des réductions tarifaires dans le cadre du service public du transport ferroviaire en
vertu de l'article L. 112-2 du code de l'action sociale et des familles. L'article 123
de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains
prévoit également l'institution de réductions tarifaires dans le domaine des
transports urbains en direction des usagers les plus défavorisés (123). En outre, les
services publics locaux ont eux aussi été le théâtre du développement d'un principe
d'accessibilité tarifaire, et ce, qu'il s'agisse de services socio-éducatifs (124) ou
culturels (125).

En définitive, le principe d'égalité a été amené à évoluer sous l'influence de la


notion d'accessibilité qui s'est développée tant en droit interne qu'au sein du droit
communautaire, via le service universel ; l'accessibilité tarifaire a invité le
gestionnaire du service à repenser l'égalité. Cela tend par conséquent à démontrer
que la notion d'accessibilité, qui n'a pas vocation à être intégrée parmi les lois du
service public, bénéficie d'une consécration partielle et indirecte de par l'évolution
du principe d'égalité.

De nouvelles revendications de continuité


Traditionnellement, le principe de continuité se traduit par le fonctionnement
régulier des services, voire par la permanence lorsque l'objet du service requiert un
fonctionnement incessant. La continuité reçoit donc une acception essentiellement
temporelle liée aux horaires d'ouverture.

Certains auteurs estiment que le principe de continuité a également pour corollaire


le principe de pérennité des services publics (126) : ce principe n'a pas vocation à
affirmer le caractère perpétuel d'un service, il ne s'oppose pas au pouvoir dont
dispose l'administration quant à la suppression d'un service pour des motifs liés à
l'intérêt général. Dans la mesure où l'intérêt général est amené à fluctuer en
fonction de l'évolution sociale et économique, les services publics doivent eux aussi
évoluer, ils ne peuvent être figés. Le principe de pérennité permettrait simplement à
l'administration de « prendre toute mesure propre à juguler les effets néfastes d'une
situation mettant en péril l'existence même d'un service public que les pouvoirs
43

publics n'ont pas entendu supprimer » (127). Ce principe permet en réalité à


l'administration d'agir afin de ne pas paralyser le fonctionnement du service, mais il
ne signifie en aucun cas le maintien éternel de l'activité (128).

Par ailleurs, le principe de continuité tend désormais à recevoir une implication


géographique : l'exigence de continuité n'est plus seulement temporelle, elle est
aussi spatiale.

Les lois relatives à l'aménagement du territoire en témoignent, comme la loi du 4


février 1995, qui tente d'encadrer et de limiter la suppression des services publics,
notamment en milieu rural (129). De même, la loi du 25 juin 1999 énonce, dans son
article 2, que la politique d'aménagement du territoire doit concentrer ses choix
stratégiques sur la présence et l'organisation des services publics sur l'ensemble du
territoire (130). Quant à la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans
leurs relations avec l'administration, elle précise, aux articles 27 et 29, le statut des
maisons de services publics : ces structures ont pour objet « d'améliorer la
proximité des services publics sur le territoire en milieu urbain et rural ».

Comme l'illustrent deux circulaires du 7 juillet 2000, les pouvoirs publics semblent
prendre conscience des effets négatifs liés au processus d'adaptation des services
publics dans la mesure où cela a pu porter atteinte à la proximité, et par conséquent,
à la continuité spatiale des services publics (131). La tendance vise donc à
rechercher une conciliation harmonieuse entre le principe d'adaptabilité et le
principe de continuité - qui peuvent être antagonistes ( afin de favoriser
l'accessibilité géographique aux services publics. Ce processus de conciliation est
aujourd'hui encore poursuivi puisque la loi du 23 février 2005 relative au
développement des territoires ruraux affiche elle aussi l'ambition de maintenir une
répartition satisfaisante des services publics, dans un souci de proximité (132). De
manière générale, les politiques d'aménagement du territoire, la lutte contre la
ségrégation urbaine et contre la désertification rurale favorisent l'évolution du
principe de continuité afin de mieux satisfaire les besoins et les revendications des
usagers. L'exigence de continuité spatiale peut d'ailleurs justifier le maintien d'un
service et s'opposer à sa réorganisation territoriale (133).

Le droit communautaire a lui aussi contribué à la consécration d'une continuité


géographique au-delà de la seule continuité temporelle : en effet, le service
universel se doit d'être accessible à tous sur l'ensemble du territoire. Le droit
communautaire se préoccupe également de l'aménagement du territoire et de l'accès
aux services essentiels (134). La Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne rappelle d'ailleurs que les services d'intérêt économique général sont
44

amenés à jouer un rôle important dans la promotion de la cohésion sociale et


territoriale de l'Union (art. 36).

L'accessibilité géographique a ainsi vocation à s'appliquer aux services universels


et aux services d'intérêt économique général, comme le confirment les
jurisprudences Corbeau et Commune d'Almelo (135). La notion d'accessibilité
spatiale semble donc plaider pour une évolution du principe de continuité afin de
favoriser la proximité, mais aussi l'égal accès aux services puisque l'accessibilité
géographique sert l'égalité. Continuité géographique et égalité d'accès au service
public apparaissent donc intimement liées.

En outre, si le principe de continuité connaît aujourd'hui de nouveaux


développements en rapport avec la notion d'accessibilité, d'autres revendications se
font jour au regard de l'exercice du droit de grève, dont l'exercice constitue la
principale atteinte au principe de continuité. S'agissant de deux principes de valeur
constitutionnelle, il y a inévitablement un conflit de droits, et face à l'absence de
réglementation générale, le juge administratif a dû opérer une conciliation (136).

Le Conseil d'Etat a récemment considéré que le droit de grève constitue une liberté
fondamentale au sens de l'article L 521-2 du code de la justice administrative, et
s'oppose à ce que le pouvoir de réquisition dont dispose l'autorité administrative
dans certaines hypothèses lui permette de maintenir un service normal. Le pouvoir
de réquisition vise à garantir un service minimum, il ne doit jamais servir au
maintien du service complet (137).

Les récents débats ayant trait à l'instauration d'un service minimum en cas de grève
tendent à démontrer que les revendications de continuité sont de plus en plus
prégnantes. A la différence d'autres pays européens, la France n'a pas véritablement
réglementé le droit de grève dans les services publics (138). Certains secteurs sont
cependant régis par une obligation de service minimum, à l'image du service de
radiodiffusion et de télévision ; de même, dans le domaine des transports, des
accords ont été signés afin de favoriser le dialogue social et d'éviter le recours à la
grève (139). Il n'en demeure pas moins que le droit de grève, qui constitue l'un des
droits fondamentaux des travailleurs, tend à être de plus en plus contesté au nom du
principe de continuité.

Il apparaît ainsi que le principe de continuité bénéficie désormais de revendications


nouvelles liées à l'accessibilité géographique des services publics, mais aussi à la
réglementation du droit de grève afin d'instaurer un service minimum permettant de
garantir le droit des usagers au fonctionnement régulier du service.
45

Le principe d'adaptabilité : un droit nouveau pour les usagers ?

Le principe d'adaptabilité est sans doute la loi la plus controversée dans la mesure
où son existence autonome et sa valeur juridique font l'objet de divergences
doctrinales.

Certains auteurs considèrent en effet que ce principe est indissociable du principe


de continuité : l'adaptabilité du service est alors présentée comme une condition
d'effectivité du principe de continuité (140). Le Conseil d'Etat, dans son rapport
public de 1994, envisage également l'adaptabilité comme le corollaire du principe
de continuité : « continuité et adaptation du service public ne sont que deux
expressions d'une même discipline » (141).

Toutefois, au regard des conséquences liées à l'application de ces deux principes,


leur existence autonome semble avérée : en effet, le principe de continuité est battu
en brèche par le principe d'adaptabilité lors de la suppression d'un service public,
ces deux principes ne poursuivant pas nécessairement le même dessein. Par
ailleurs, si le principe de continuité constitue une contrainte à l'égard de
l'administration, le principe d'adaptabilité lui octroie au contraire, de nombreuses
prérogatives ; ce principe est a priori dénué d'obligation puisque l'administration est
le plus souvent libre d'en faire application. C'est une prérogative de puissance
publique à la disposition de l'autorité administrative, lui permettant notamment de
supprimer un service public, et ce même s'il s'agit d'un service obligatoire : si
l'existence de tels services doit, de manière générale, être maintenue, certaines
implantations locales peuvent cependant être supprimées (142). L'autorité
administrative ne peut faire disparaître un service obligatoire sur l'ensemble du
territoire national, mais elle dispose tout de même de la possibilité d'organiser et de
modifier l'implantation territoriale de ces services. Le principe d'adaptabilité
semble donc profiter à l'administration, au détriment des usagers ; il se présente
comme une prérogative dont l'autorité administrative use à son gré.
Mais cette faculté tend à être enserrée par certaines limites : tout d'abord, il existe
des hypothèses dans lesquelles l'adaptation constitue une véritable obligation. En
effet, l'administration doit abroger, à toute époque, les actes illégaux dès leur
origine ou devenus illégaux suite à un changement de circonstances de fait ou de
droit (143).

En outre, les nouveaux développements du principe de continuité visant à mettre en


oeuvre une conception géographique de ce principe tendent à limiter les possibilités
d'adaptation afin de ne pas porter atteinte à la cohésion sociale et territoriale.
L'accessibilité géographique semble en effet s'opposer à un processus d'adaptation
visant à supprimer des services publics dans les zones rurales ou dans les quartiers
46

urbains sensibles, l'exigence de proximité mise en lumière par les politiques


d'aménagement du territoire implique l'atténuation des possibilités offertes par le
principe d'adaptabilité (144).

De même, si ce principe signifie, de manière générale, que les usagers n'ont pas de
droits acquis au maintien du service (145), sauf s'il s'agit d'un service public
constitutionnel, ils ont la possibilité de s'opposer à la suppression d'un service
public lorsque ce dernier répond à un besoin incontestable. Le Conseil d'Etat s'est
ainsi opposé à la suppression d'un service d'ophtalmologie dans la mesure où « son
activité était en croissance régulière et (...) après sa suppression, des consultations
d'ophtalmologie ont dû être créées pour répondre aux besoins » (146). Le principe
d'adaptation confère certes des prérogatives étendues à l'administration, mais il ne
s'agit pas d'un principe absolu qui va nécessairement à l'encontre des droits et des
intérêts des usagers.
Par ailleurs, une évolution semble se dessiner sous l'influence de la notion de
qualité introduite notamment par le droit communautaire ; le service universel se
présente en effet comme un service de qualité. Ainsi, selon l'article L. 35-1 du code
des postes et des communications électroniques, « le service universel des
communications électroniques fournit à tous un service téléphonique de qualité à
un prix abordable ». Dans son Livre vert du 21 mai 2003 consacré aux services
d'intérêt général, la Commission européenne souligne que « le service universel
veille à ce que les exigences d'intérêt général puissent tenir compte de l'évolution
politique et technologique et il permet, si nécessaire, d'adapter régulièrement ces
exigences à l'évolution des besoins des citoyens ».

De manière générale, le droit communautaire tend à favoriser l'adaptation du


service au progrès technique afin de mieux répondre aux besoins des
consommateurs (147). Le principe d'adaptabilité présente alors des aspects
bénéfiques pour les usagers puisqu'en s'associant à un objectif de qualité, il favorise
l'amélioration du service et permet de satisfaire au mieux l'intérêt général (148).
Qualité et adaptabilité entretiennent une relation forte qui peut se résumer par la
volonté d'assurer une « amélioration continue » du service : la recherche d'un
service de qualité repose nécessairement sur la mise en oeuvre du principe
d'adaptabilité (149).

La question est alors de savoir si cette évolution contribue à faire apparaître un


droit à l'adaptation au profit des usagers. Selon certains auteurs, on entrevoit
aujourd'hui « l'émergence d'un droit à l'évolution, d'un droit à l'adaptation, au nom
de la qualité et de l'efficacité des services publics » (150). L'influence de la notion
de qualité semble impliquer une évolution du principe d'adaptabilité et la
reconnaissance de droits nouveaux au profit des usagers. Toutefois, la portée de ces
47

nouveaux droits est encore incertaine dans la mesure où la qualité ne peut recevoir
de définition univoque ; la qualité reste une simple ligne de conduite sans véritable
force contraignante (151). Aucune obligation légale ne semble s'imposer à
l'administration afin de la contraindre à adapter le service public en fonction de
l'évolution du progrès technique ou des exigences liées à la qualité. Si certaines
dispositions se réfèrent explicitement au principe d'adaptabilité (152), elles ne
créent pas réellement d'obligations précises à la charge du gestionnaire du service,
excepté peut-être dans le cadre du service public hospitalier ; les usagers ne
peuvent donc se prévaloir d'un droit général à l'adaptation lors d'un recours
contentieux (153).

L'évolution est en marche puisque le principe d'adaptation semble être guidé par la
recherche d'un service de qualité, adapté aux mutations technologiques et à
l'évolution des besoins, mais les usagers ne bénéficient pas encore d'un véritable
droit à l'adaptation du service. Cette mutation n'en est pas moins remarquable
puisqu'elle met en exergue l'influence exercée par la notion de qualité, qui constitue
une simple règle de bonne gestion, sur l'un des principes fondamentaux régissant le
fonctionnement des services publics. Et là encore, le rôle joué par le droit
communautaire n'est pas négligeable puisque le principe d'adaptabilité ne doit plus
être conçu uniquement comme une prérogative à la disposition de l'administration,
mais tend à revêtir une apparence plus favorable aux usagers. Ce principe recouvre
désormais une nouvelle signification : sous l'influence du principe de qualité, il
développe certains effets positifs à l'égard des usagers ; la qualité semble devoir
être analysée comme une nouvelle composante du principe d'adaptation (154).
Toutefois, l'aspect négatif de la loi de changement subsiste puisque les usagers
n'ont pas de droit acquis au maintien d'un service public, sauf s'il s'agit d'un service
public constitutionnel.

Il n'en demeure pas moins que les nouvelles lignes directrices qui guident le
fonctionnement des services publics ont permis de préciser les lois traditionnelles et
ont contribué à les enrichir. La question est à présent de savoir si cette évolution
remet en cause l'unité qui caractérise ces principes fondamentaux.

De l'unité conceptuelle à la sectorisation des lois du service public

L'apparition de nouvelles lois du service public et l'évolution intrinsèque des


principes traditionnels sous l'influence des règles de bonne gestion ne remettent pas
fondamentalement en cause l'unité théorique qui caractérise le droit commun des
services publics. Au-delà de leur adaptation, ces principes subsistent et constituent
encore aujourd'hui un socle commun à tous les services publics. Pourtant, si ces
principes ont effectivement vocation à régir l'ensemble des services, ils ne
48

s'appliquent pas nécessairement de la même manière ; le droit communautaire et


l'émergence de règles de bonne gestion semblent favoriser la mise en oeuvre d'une
application sectorielle.

Le maintien de l'unité théorique

Au regard des positions doctrinales émises au cours des années 1990, cette unité est
apparue menacée par l'immixtion de plus en plus prégnante du droit communautaire
au sein des services publics. La doctrine a alors développé une conception
relativement hostile à l'égard des politiques menées par l'Union européenne ; cette
dernière a souvent été accusée de rechercher la fin du service public en introduisant
davantage de concurrence. De nombreux rapports témoignent de cette défiance à
l'égard du droit communautaire : en 1994, le Conseil d'Etat estimait que « l'avenir
de la notion de service public est, si l'on n'y prend garde, compté », en raison de
l'influence négative exercée par l'Union européenne (155). Le Conseil d'Etat
poursuivait en affirmant que « l'Europe n'instruit pas le procès du ou des services
publics : elle fait pire, elle ignore largement la notion de service public et
l'existence de services publics » (156). Les concepts introduits par le droit
communautaire, tels le service universel, sont généralement assimilés à des services
publics au rabais. De même, le droit de la concurrence est fréquemment accusé de
condamner la notion de service public, sans pour autant l'anéantir totalement
puisque le droit communautaire prévoit de maintenir un seuil minimal de service
correspondant au service universel. Mais la conception française du service public
semble vouée à disparaître sous les assauts du droit communautaire (157).

Néanmoins, aujourd'hui, l'opposition entre droit communautaire et services publics


est de moins en moins alléguée : la conciliation entre les exigences de l'Union
européenne et la conception française du service public ne paraît plus
invraisemblable. En effet, le droit communautaire n'est plus accusé d'être
responsable de tous les maux : l'évolution des modalités d'organisation du service
public ne se justifie pas uniquement par l'incidence du droit communautaire sur le
droit interne. D'autres impératifs, liés notamment à la mondialisation de l'économie,
au progrès technique ou à l'apparition de politiques de discipline budgétaire,
motivent également cette évolution (158).

Par ailleurs, si la politique de l'Union européenne à l'égard des services publics a


motivé l'évolution des modes d'organisation de ces services, elle n'a pas
nécessairement remis en cause les principes fondamentaux qui régissent leur
fonctionnement ; au contraire, l'Union semble se référer elle aussi à ces notions. En
effet, le service universel intègre les principes d'égalité, de continuité et
d'adaptabilité : en imposant le respect d'un principe d'accessibilité tarifaire, le
49

service universel renvoie au principe d'égalité ; de même, la notion d'accessibilité


géographique se réfère au principe de continuité ; enfin, le service universel, qui se
présente comme un service de qualité, censé évoluer en fonction du progrès
technique, implique la reconnaissance du principe d'adaptabilité (159). Dans sa
communication du 26 septembre 1996 consacrée aux services d'intérêt général en
Europe, la Commission européenne affirme que « les critères du service universel
portent sur des principes : égalité, universalité, continuité, adaptabilité » (160). Le
service universel des postes et des télécommunications a d'ailleurs expressément
repris ces différentes exigences (161). Ainsi, les principes communs au service
universel semblent être identiques aux principes fondamentaux régissant le «
service public à la française », il y a sur ce point une convergence (162).

Cette constatation semble pouvoir être étendue aux services d'intérêt économique
général : en effet, le principe d'égalité a vocation à s'appliquer à ces activités,
comme le confirme la décision de la Cour de justice des Communautés
européennes du 29 avril 1994, Commune d'Almelo. La Cour considère que le
gestionnaire du service doit pratiquer des « tarifs uniformes à des conditions qui ne
peuvent varier que selon des critères objectifs applicables à tous les clients ». La
similitude avec le droit interne est remarquable puisque, selon les juges français, le
principe d'égalité ne s'oppose pas à la mise en oeuvre de traitements différenciés
fondés sur l'existence d'une différence de situation objective.

De même, les exigences de continuité et d'adaptabilité sont elles aussi prises en


compte par le droit communautaire : le service doit être assuré sur l'ensemble du
territoire, la prestation doit être de qualité et en mesure de s'adapter à l'évolution du
progrès technique (163). Il apparaît donc que le droit communautaire ne porte pas
atteinte aux lois de Rolland, il tend au contraire à les intégrer au sein de la
conception européenne du service universel et du service d'intérêt économique
général (164). Dans son rapport consacré au service public, le président Denoix de
Saint Marc estimait qu'il ne fallait pas opérer d'amalgame entre « les modalités
d'organisation » et la « doctrine du service public » : si le droit communautaire agit
sur les modalités d'organisation et postule leur évolution, il ne porte pas atteinte aux
lois du service public puisqu'il semble, au contraire, les incorporer. Les mutations
qui ont été imposées par le droit communautaire se sont donc révélées
complètement neutres à l'égard de la doctrine du service public dégagée par Louis
Rolland ; l'unité théorique des principes fondamentaux demeure. Ils permettent,
certes, de définir le « service public à la française », mais ils constituent également
un socle commun à la conception européenne du service d'intérêt général. Loin
d'avoir sonné le glas des lois du service public, le droit communautaire semble
avoir renforcé leur légitimité en leur offrant une reconnaissance supranationale. Par
ailleurs, l'introduction de règles de bonne gestion, liées notamment à l'accessibilité
50

du service et à la qualité de la prestation, n'a pas remis en cause l'unité des lois du
service public ; cela a certes favorisé leur évolution intrinsèque, mais les notions
restent et ne sont pas désavouées.

Toutefois, cette unité conceptuelle se traduit-elle nécessairement par une


application uniforme des principes régissant le fonctionnement du service public ?
Une réponse négative semble s'imposer et cela découle tant du droit communautaire
que du droit interne ; l'objet du service peut ainsi conduire à une diversification lors
de l'application des lois du service public.

L'application variable des lois du service public

Si l'unité conceptuelle des lois du service public reste d'actualité, leur application
est en revanche soumise à de fortes variations : l'évolution qui caractérise les
principes fondamentaux n'a pas entraîné leur condamnation, mais, au-delà du
maintien du socle théorique, leur application se révèle différente en fonction de
l'objet du service (165). Selon Didier Truchet, « l'écart entre la formulation
classique et la pratique devient trop important » (166), les implications découlant
des lois du service public ne sont pas identiques selon l'activité considérée.

En effet, le principe d'égalité n'a pas vocation à s'appliquer de la même manière


dans le cadre d'un service public à caractère administratif ou d'un service public
industriel et commercial : la mise en oeuvre d'une tarification fondée sur le niveau
de revenus de l'usager reste essentiellement l'apanage des services administratifs
(167).

De même, le principe de continuité s'exprime différemment selon l'objet du


service : certains doivent se soumettre à un fonctionnement permanent, tandis que
d'autres sont régis par des horaires d'ouverture.

En outre, l'évolution des lois du service public consécutive à l'émergence de


nouvelles règles de bonne gestion conduit à leur diversification : ainsi, l'influence
de la notion de qualité sur le principe d'adaptabilité ne se traduit pas de la même
manière dans tous les services publics. Si la qualité peut être plus facilement
mesurée dans le cadre d'un service public industriel et commercial, grâce à des
indicateurs de performance, elle semble plus évanescente concernant les services
publics administratifs.

La sectorisation qui prévaut en droit interne a sans doute été accentuée en raison de
l'immixtion croissante du droit communautaire au sein du droit des services
publics. En effet, les nouvelles lignes directrices, telles l'accessibilité tarifaire ou
51

géographique, n'ont pas vocation à régir l'ensemble des services publics, ces règles
ayant été imposées dans le seul cadre du service universel. Or les définitions du
service public et du service universel ne se recoupent pas nécessairement, la
première est plus vaste que la seconde. Ces deux notions ne possèdent pas la même
étendue, le service universel correspond le plus souvent à un seuil minimal de
service, il permet d'opérer une conciliation entre les exigences du droit de la
concurrence et le maintien de services essentiels (168). Si le droit communautaire
consacre de nouveaux principes pouvant être intégrés aux lois du service public
français, ces règles, énoncées généralement secteur par secteur, restent le plus
souvent cantonnées au seul service universel sans être appliquées à l'ensemble des
services publics (169).

De manière générale, les politiques de l'Union européenne se concentrent sur les


seuls secteurs marchands ; cela explique, par conséquent, que les principes dégagés
n'aient pas vocation à régir l'ensemble des services publics français. Tel est
notamment le cas du principe imposant la séparation entre les fonctions de
régulateur et d'opérateur, qui se limite aux seuls services d'intérêt économique
général.

Cependant, les règles sectorielles adoptées par les instances communautaires


laissent apparaître de nombreux points communs : le service universel est ainsi
soumis aux principes de continuité, d'accessibilité tarifaire et de qualité ; de même,
tous les services d'intérêt économique général doivent a priori respecter le principe
de séparation entre les fonctions d'autorité et de gestion (170). Il n'en demeure pas
moins que ces différents points communs ne régissent pas l'ensemble des services
publics français puisque leur application est circonscrite par l'objet du service, seul
le secteur marchand étant concerné. Le droit communautaire conduit
inévitablement à une scission entre, d'un côté, les activités entrant dans le champ du
service d'intérêt économique général, et, de l'autre, les activités auxquelles le droit
communautaire ne s'applique pas.

Si le droit commun des services publics se caractérise par une vision d'ensemble,
les politiques européennes introduisent, quant à elles, une réglementation secteur
par secteur (171). Le droit interne et le droit communautaire répondent à deux
logiques différentes : le premier se fonde, dès l'origine, sur une vision globale,
tandis que le second règle des cas particuliers pour établir des principes généraux
(172).
Par conséquent, si les principes dégagés par les instances communautaires intègrent
les lois de Rolland, ils favorisent néanmoins leur diversification en procédant à des
réglementations sectorielles. L'établissement de telles réglementations s'explique
par le fait que l'Union européenne n'a pas procédé à une libéralisation générale, et
52

que l'introduction du droit de la concurrence est progressive et s'impose secteur par


secteur. En outre, à l'intérieur de chaque domaine, des obligations particulières sont
définies, correspondant au service universel, afin de protéger certaines parcelles de
services contre la logique économique.

Mais, au-delà de cette sphère protectrice, on est en droit de s'interroger sur


l'effectivité des lois du service public.

S'il apparaît que le droit communautaire n'a pas porté atteinte à l'unité théorique des
lois du service public, le droit de la concurrence peut tout de même produire
certains effets pervers à l'égard de l'application de ces lois. Comment concilier, au-
delà du service universel, les principes traditionnels et la logique économique
pouvant conduire à l'abandon des secteurs non rentables ? De même, comment
maintenir et améliorer la cohésion sociale et territoriale lorsque certaines zones
géographiques inaccessibles représentent un coût particulièrement élevé pour le
gestionnaire de l'activité ? Le droit de la concurrence peut entrer en contradiction
avec le principe de continuité en encourageant l'abandon d'activités trop onéreuses
(173).

Si les instances communautaires affichent leur attachement aux principes qui


régissent le « service public à la française », la portée de ces principes ne sera pas
nécessairement la même en droit interne et en droit communautaire car, avec ce
dernier, l'effectivité des lois du service public n'est réellement garantie que dans le
cadre du service universel. Le droit communautaire ne remet pas en cause les
principes traditionnels, mais il tend à favoriser leur diversification dans la mesure
où ces principes ne s'appliquent pas avec la même intensité à l'ensemble des
services ; l'Union européenne réserve aux lois du service public un champ d'action
plus restrictif que le droit interne. L'unité des principes fondamentaux tend par
conséquent à se combiner avec un phénomène de sectorisation.

En conclusion, si l'unité théorique des principes traditionnels demeure puisqu'ils


n'ont pas été remis en cause par l'éventuelle apparition de nouvelles lois, cet édifice
semble s'être lézardé avec l'émergence d'un processus de sectorisation. Les
principes traditionnels constituent encore aujourd'hui le tronc commun à tous les
services publics, ils ont donc su résister aux mutations impulsées tant par le droit
interne que par le droit communautaire. Mais ce socle a perdu de sa rigidité, il est
devenu plus flexible et correspond désormais à une enveloppe élastique pouvant
s'ajuster à chaque activité.
Le droit commun des services publics subsiste, son assise conceptuelle semble
avoir été confortée grâce à la reconnaissance du droit communautaire, mais il s'agit
désormais d'un droit à dimension variable : chaque service doit déterminer sa dose
53

d'égalité, de continuité, d'adaptabilité et, dans une moindre mesure, de neutralité


puisque ce principe figure au nombre des lois du service public. Il en va de même
du principe de transparence - qui apparaît comme une loi en devenir - car ce
principe ne peut recevoir la même application dans tous les services. La diversité
s'impose et elle constitue peut-être l'un des remèdes à la crise que traverse le
service public depuis quelques années.

Les lois du service public se situent donc à mi-chemin entre tradition et modernité :
en effet, la trilogie dégagée par Louis Rolland n'a pas perdu de son acuité, même si
elle doit aujourd'hui intégrer une quatrième loi ; cependant, les notions qui
composent cette trilogie ont dû évoluer afin de se moderniser. Les principes restent,
mais leurs significations se renouvellent et se diversifient au gré des services.
Fait le 15 mars 2006
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Lecture 3. L. Janicot. Le principe d'égalité devant le service public (1). RFDA


2013 p.722

Gardes toi tant que tu vivras de juger les gens sur leur mine ! C'est ce qu'enseigne
Lafontaine au souriceau tout jeune qui cherche à se donner carrière (2). Méfions-
nous tout autant des habits du service public dont on pense communément qu'il sert
l'usager. Son objet comme sa finalité ne sont pas toujours tournés vers celui-ci ; le
service public prend parfois l'apparence d'un faux-ami.

Mettre l'usager au cœur du principe d'égalité est une idée largement partagée.

Cette manière de penser trouve son origine dans la conception traditionnelle du


service public. Instrument de cohésion sociale, le service public doit en effet être
accessible à tous et proposer des prestations identiques aux usagers (3). Le
mouvement actuel de subjectivisation du service public met encore davantage en
avant l'usager (4). Ce mouvement est d'abord perceptible en ce qui concerne la
création des services publics. Ne dit-on pas qu'à chaque usager correspond un
service public ; que le service public cesse d'être un service au public pour devenir
un service rendu à la personne (5). Une fois le service créé, la personnalisation se
poursuit dans le cadre de la relation entre le service public et l'usager, ce dernier
devenant client voire consommateur.

Le principe d'égalité (6), pris dans ses deux dimensions, n'échappe pas à ce
mouvement de subjectivisation.
54

C'est le cas tout d'abord de l'égalité devant le service public. L'égalité signifie alors
que tous les usagers se trouvant dans la même situation au regard du service public
doivent être traités de manière identique. Mais l'égalité des droits n'interdit pas de
traiter différemment des usagers d'un même service public placés dans des
situations différentes, objectives et appréciables. Des considérations d'intérêt
général peuvent aussi justifier des différences de traitement, pourvu que, dans l'un
et l'autre cas, la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi qui
l'établit. « La prise en considération d'une différence de situation [tout comme
l'intérêt général] implique toujours un choix politique : elle ne va pas de soi » (7).
C'est bien la preuve que les usagers, pris dans leur individualité, sont au coeur de la
construction du principe d'égalité devant le service public, puisqu'ils peuvent être
rattachés à des catégories différentes.

La prise en compte de la situation personnelle de l'usager est encore plus évidente


s'agissant de l'égalité par le service public. « L'égalité se détache [...] de l'uniformité
afin de mieux prendre en compte les différences de situation préexistantes » (8). Le
rétablissement de l'égalité par le service public est de toute évidence plus exigeant
en termes d'intérêt porté à l'usager.

Mais il ne faut pas se méprendre sur cette évolution. L'explication du principe


d'égalité, qui serait ainsi centrée sur l'usager, ne rend pas totalement compte du
droit positif. Une étude, même non exhaustive, des lois et de la jurisprudence
montre que ce n'est pas seulement autour de l'usager, avec ses particularités, que se
construit ce principe (9). Placé sur le devant de la scène, l'usager cache souvent
d'autres considérations principalement économiques et financières. La situation
personnelle des usagers n'est ni le seul critère explicatif ni le seul élément pris en
compte dans la mise en œuvre du principe. Ce constat se vérifie aussi bien pour
l'égalité devant le service public que pour l'égalité par le service public.

L'égalité devant le service public


La situation personnelle de l'usager n'est pas nécessairement le critère déterminant
dans la mise en œuvre du principe d'égalité devant le service public. D'une part, le
juge tient souvent compte des contraintes financières pesant sur le service public
avant d'analyser les différences de situation entre usagers susceptibles de justifier
des différences de traitement. D'autre part, la situation de l'usager peut être mise de
côté au profit de considérations d'intérêt général.

Avant la situation de l'usager, les contraintes financières du service public

Certes, le juge administratif admet une différence de traitement entre les usagers
dès lors que cette différence est fondée sur une différence de situation appréciable
55

et objective. Mais, contrairement aux apparences, la prise en compte de la situation


de l'usager n'intervient que dans un second temps après l'analyse des contraintes
financières pesant sur le service public.

1. La situation de l'usager contribuable local ou usager résident est à ce titre


exemplaire.

Le contribuable local peut bénéficier de tarifs plus favorables dans le cadre des
services publics administratifs facultatifs. Il en va différemment dans le cadre des
services publics industriels et commerciaux. Il faut donc bien admettre que d'autres
considérations priment sur la situation de l'usager. Et ces considérations sont
étroitement liées au mode de financement du service public.

Les tarifs particuliers dont bénéficient les contribuables locaux dans le cadre des
services publics administratifs trouvent leur explication dans le fait que ces services
publics sont financés en partie par le budget local et donc indirectement par les
impôts payés par les contribuables de la collectivité. Il est donc justifié de leur
réserver un traitement privilégié pour compenser « les charges indues » qui pèsent
déjà sur eux (10).

Ce sont ces mêmes considérations qui expliquent que, dans le cadre des services
publics industriels et commerciaux, la situation du contribuable local ne justifie
aucune différence de tarifs (11). Ces services publics ne peuvent recevoir de
subventions de la part des collectivités territoriales. Ils sont par ailleurs soumis à
l'obligation d'équilibre budgétaire (12). Le coût du financement du service public
est donc supporté intégralement par les usagers. Les modulations tarifaires doivent
dès lors tenir compte de l'importance de la prestation fournie à l'usager. Derrière la
situation de l'usager justifiant un traitement différent, ce sont donc en réalité les
modalités d'exploitation du service qui sont prises en compte par le juge. La
différence de traitement peut être liée aux particularités techniques de la prestation
fournie à l'usager, qui, dans certains cas, ont des effets sur son coût et doivent être
répercutées sur le tarif (13). Plus généralement, c'est la qualité même de la
prestation qui induit des différences de traitement. En définitive, dans le cadre des
services publics industriels et commerciaux, ce n'est pas l'usager qui retient
l'attention du juge, c'est le coût de la prestation qui lui est rendue.

2. L'accès aux services publics administratifs facultatifs locaux contribue aussi à


relativiser la place réservée à la situation de l'usager dans la mise en œuvre du
principe d'égalité.
56

L'accès à de tels services publics ne peut être réservé aux seuls contribuables
locaux ; il doit être ouvert à tout usager ayant un lien particulier suffisant avec la
collectivité (14). Cette solution s'explique là encore par les « impératifs financiers
auxquels les collectivités territoriales sont confrontées lorsqu'elles créent un service
public facultatif » (15).

Le juge a choisi une voie médiane qui a pour effet, sinon pour but, de sauvegarder
les possibilités d'accès des non-résidents tout en laissant aux autorités locales une
certaine marge de manœuvre dans l'identification des bénéficiaires de ces services.
Deux solutions extrêmes sont ainsi écartées pour des motifs qui ne sont pas
directement liés à la situation particulière des usagers résidents.

La première de ces solutions consistait à refuser de voir dans la résidence une


condition d'accès au service public. Certes, cette solution avait l'avantage de
répondre « à l'inadaptation des frontières administratives » (16) et de favoriser « la
solidarité locale » en ouvrant largement l'accès aux services, mais elle aurait
probablement incité les collectivités locales à l'immobilisme. À quoi cela sert-il en
effet de créer un service public facultatif si la commune voisine en a créé un et ne
peut refuser personne ?

La seconde solution consistait au contraire à admettre l'exclusion d'accès fondée sur


le critère de la résidence. Le juge ne pouvait toutefois se résigner à favoriser une «
telle forme de régression » (17) aboutissant à « un repliement autarcique ou à une
fermeture sur l'extérieur » des services publics locaux (18).

Le juge administratif a donc préféré retenir une solution intermédiaire permettant


aux collectivités de « pouvoir rester maîtres de leur gestion et de pouvoir contrôler
les coûts engendrés par la création d'activités facultatives » (19). Ce sont donc ici le
principe de libre administration des collectivités territoriales, l'aménagement du
territoire, et plus généralement le caractère local du service public qui expliquent la
solution retenue par le juge.

Ainsi, contrairement aux apparences, la prise en compte de la situation de l'usager


intervient souvent seulement dans un second temps, c'est-à-dire après l'analyse des
contraintes financières pesant sur le service public.

En dehors de la situation de l'usager, l'intérêt général lié à l'exploitation du service


public

La situation de l'usager peut également être mise de côté au profit de considérations


d'intérêt général.
57

1. Le principe d'égalité devant le service public autorise des différences de


traitement entre usagers qui ne s'expliquent pas par des différences de situation
mais par des considérations d'intérêt général. Au nombre de ces considérations, le
juge a admis par exemple la nécessité d'assurer la formation de jeunes pilotes et de
faciliter le développement de la navigation aérienne (20), la protection des intérêts
français à l'égard de la concurrence de certaines entreprises (21). Rien dans tout
cela n'a de lien avec la situation particulière des usagers.

2. Surtout, ces motifs peuvent justifier des différences de traitement contraires à


leurs intérêts.

Le service public ferroviaire est à ce titre un bon exemple. Dans son avis du 24 juin
1993 (22), le Conseil d'État admet, sous certaines conditions, des tarifs différents au
sein des liaisons TGV selon la rapidité, le confort du service et le lieu de
destination.

Il est vrai que le Conseil d'État encadre la mise en œuvre de cette tarification. Mais
il admet pourtant « le principe » d'une différenciation fondée sur des nécessités
d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ferroviaire.
Il précise à ce titre que « la rupture d'unicité du tarif de base vise [...] à permettre à
la Société nationale des chemins de fer (SNCF) d'améliorer la rentabilité du service
en fonction des caractéristiques particulières de la clientèle propre à certaines
liaisons et de mieux adapter ses tarifs à la concurrence d'autres modes de transport
». Ainsi, le Conseil d'État admet, sous réserve de leur caractère raisonnable, que des
modulations tarifaires puissent être mises au service d'une politique commerciale.
L'intérêt général compris ici comme l'intérêt financier du service public justifie des
ruptures d'égalité au détriment des intérêts des usagers.

La situation et l'intérêt de l'usager n'expliquent donc pas nécessairement la mise en


œuvre de l'égalité devant le service public ; le même constat s'impose s'agissant de
l'égalité par le service public.

L'égalité par le service public


Cette affirmation surprend davantage. La recherche d'une égalité réelle entre les
usagers d'un service public est en effet censée mieux prendre en compte les
situations particulières des usagers et y remédier. Deux voies sont possibles : soit
des droits ou des avantages spécifiques sont accordés à certains usagers jugés
vulnérables ; soit l'administration doit procéder à un aménagement de
l'environnement social afin de garantir un accès réel et effectif de ces mêmes
usagers au service public. Dans ces deux cas, égalité des chances, égalité de
58

résultat, « l'inégalité [...] ne peut être conjurée par la seule suppression des règles
discriminatoires » (23). Mais l'analyse du droit positif montre là encore les limites
de cet objectif : l'usager n'est pas seul au centre de l'égalité par le service public.
Derrière l'égalité des chances, on trouve des considérations économiques et
politiques. L'égalité de résultat se heurte, elle, à des contraintes financières.
Derrière l'égalité des chances, des considérations économiques et politiques

La recherche de l'égalité réelle peut justifier la reconnaissance de droits ou


d'avantages spécifiques au profit de certains usagers jugés vulnérables. Il s'agit de
compenser (dans une certaine mesure) des inégalités sociales et économiques dans
un but d'égalité des chances. Or la mise en place de ces dispositifs dépend souvent
de considérations économiques ou politiques.

1. C'est le cas tout d'abord du service universel. « Fondé sur l'exigence


d'accessibilité, il suppose de mieux prendre en compte la réalité économique et
sociale de l'usager » (24). En cela, il reflète une interprétation plus concrète du
principe d'égalité tournée vers l'usager.

Le service universel, il est vrai, a, en ce sens contraint les États membres à assurer
un niveau de prestations de services publics plus élevé qu'auparavant. Des
dispositifs particuliers à destination de certains usagers considérés comme les plus
défavorisés ont ainsi été mis en place pour les services postaux et de
communications (25).

Le service universel reste toutefois étroitement lié au système concurrentiel. Il a fait


son apparition en droit de l'Union européenne à une époque où l'objectif
d'achèvement du marché intérieur conduisait à démanteler les grands monopoles
nationaux en charge de services publics de réseaux. Ce contexte spécifique
explique la méfiance qui entoure le service universel. On a pu douter en particulier
de sa capacité à servir les intérêts des usagers les plus vulnérables. Le service
universel ne serait en réalité qu'un instrument entre les mains des législateurs
européens et français destiné à corriger les « défaillances du marché » dans certains
secteurs (26). Ces doutes ne sont pas totalement infondés.

Certains auteurs ont tout d'abord remarqué une certaine ambiguïté du discours
européen en la matière, faisant douter « de la pérennité du service universel, passée
la période transitoire de l'ouverture à la concurrence des secteurs d'activité
concernés » (27). Aussi le service universel ne devrait-t-il avoir vocation à
s'appliquer que dans des secteurs en voie de libéralisation, c'est-à-dire le secteur
postal et le secteur des communications électroniques. Dès lors que la concurrence
s'avère suffisante pour stimuler le développement de l'activité, il n'aurait plus de
59

raison d'être. Les derniers textes sectoriels adoptés en matière postale ou de


communications électroniques n'ont d'ailleurs pas étendu le périmètre du service
universel et traduisent bien l'inertie des législateurs communautaires et français
(28). C'est donc davantage « la volonté d'accompagner l'ouverture à la concurrence
de certains secteurs » (29) que la correction d'inégalités de fait entre les usagers qui
seraient à l'oeuvre dans l'institutionnalisation du service universel.

La même logique sous-tend la reconnaissance d'obligations de service public dans


le cadre des services d'intérêt économique général. Sous l'influence du droit de
l'Union européenne, un certain nombre d'obligations ont été introduites dans le but
de rétablir une égalité réelle entre usagers de certains services publics de réseaux,
tels que les transports publics ou l'énergie (30). Tous ces exemples montrent, il est
vrai, une réelle prise en compte de la situation particulière de chaque usager, mais
ils s'inscrivent tous dans une optique de libéralisation des marchés et de
renforcement de la concurrence.

La recherche de l'égalité par le service public ne se limite pas aux seuls services
universels ou en réseaux ; elle existe aussi dans le cadre des autres services publics.
Mais, là encore, l'attention portée à la situation particulière d'usagers se trouvant
dans une situation vulnérable ne doit pas faire totalement illusion.

2. Les discriminations établies en fonction des ressources et de la situation familiale


des usagers des services publics dépendent en réalité de la finalité que les pouvoirs
publics entendent assigner à tels ou tels services publics.

Dans le cadre des services publics administratifs facultatifs, le juge administratif a


admis des différences de tarifs établies en fonction des ressources des familles (31).
Il s'agit ici de favoriser l'égal accès de tous au service public sans considération des
possibilités financières de chacun. La loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre
les exclusions a étendu cette solution à tous les services publics administratifs,
qu'ils soient locaux ou nationaux, mais seulement eux.

En dehors des services publics en réseaux et du service universel, pour lesquels le


législateur a institué sous la pression du droit de l'Union européenne des tarifs
sociaux, la recherche de l'égalité par le service public semble rester à la porte des
services publics industriels et commerciaux. Pour le juge administratif en effet, la
situation sociale des usagers de ces services ne peut justifier en dehors d'une loi
particulière la création d'une catégorie particulière d'usagers bénéficiant d'avantages
tarifaires.
60

On invoque souvent pour justifier cette solution les conditions de financement du


service public (32). Le caractère industriel et commercial serait incompatible par
principe avec une tarification sociale. Mais cette explication ne convainc pas
totalement. Rien n'interdit en effet au législateur d'admettre des discriminations
tarifaires au sein des services publics industriels et commerciaux - ce qu'il a
d'ailleurs fait, on l'a vu, dans le cadre de services publics en réseaux.

L'intérêt général qui vise à corriger des inégalités de fait dépend en réalité des
fonctions que le législateur entend assigner à telle ou telle catégorie de service
public (33). Certains services publics industriels et commerciaux se voient dénier
toute vocation sociale. À l'inverse, les pouvoirs publics érigent des services publics
administratifs ou encore plus récemment des services sociaux en instruments de la
politique de lutte contre l'exclusion. L'usager du service public n'est finalement pas
nécessairement l'élément déterminant dans la mise en place de ces discriminations
tarifaires ; celles-ci dépendent en réalité de choix de politiques publiques.

Face à l'égalité de résultat, des contraintes financières

La recherche de l'égalité réelle peut aussi se concrétiser par l'aménagement de


l'accès au service public. Or l'efficacité de ce dispositif correcteur, que l'on peut
rattacher à l'égalité de résultat, se heurte elle aussi à des contraintes financières.

1. L'aménagement de l'accès au service public est de toute évidence la marque


d'une subjectivisation du principe d'égalité attentif à la situation particulière de
l'usager. L'obligation de scolarisation des enfants handicapés est à ce titre un bon
exemple. L'égalité en faveur de ces usagers du service public de l'éducation ne peut
être effective que si l'État met en œuvre les moyens nécessaires pour leur donner
accès à une scolarité adaptée (34).

2. L'attention portée ainsi à la situation particulière de l'usager doit toutefois être ici
encore nuancée - pour deux raisons principalement.

La première tient aux contraintes financières qui pèsent sur les pouvoirs publics et
qui compromettent l'efficacité de ce mécanisme correcteur. Nul n'ignore que de
nombreux enfants handicapés - notamment autistes - n'ont pas accès à l'école. Le
décalage entre l'objectif poursuivi et la réalité montre que le droit pour les enfants
handicapés à une éducation adaptée n'est pas nécessairement suivi d'effets dans la
pratique.
61

Le juge n'est d'ailleurs pas totalement indifférent à ces contraintes financières. Il


peine à imposer les efforts nécessaires à l'administration et ne tire pas toutes les
conséquences des droits énoncés au profit des usagers en situation de handicap.

Certes, la privation « de toute possibilité de bénéficier d'une scolarisation ou d'une


formation scolaire adaptée » pour un enfant en situation de handicap est susceptible
de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté
fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative (35).

Mais le juge administratif réduit à presque rien le référé-liberté, en appréciant in


concreto l'atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'éducation, en se
fondant notamment sur l'âge de l'enfant et sur « les diligences accomplies par
l'autorité administrative compétente au regard des moyens dont elle dispose ».

Les conséquences de cette jurisprudence sont particulièrement sévères. Les parents


d'enfants handicapés se trouvent la plupart du temps privés du seul recours qui leur
aurait permis d'obtenir une action corrective de l'État. Ils ne peuvent alors exercer
qu'un recours en responsabilité. Il est vrai que dans ce cas le juge impose à l'État
une obligation de résultat. Mais ce recours ne remplit qu'une fonction incitative et
non corrective.

La seconde limite tient au caractère exceptionnel de ces dispositifs correcteurs. En


dehors des cas prévus par la loi, le juge reste attaché à l'égalité formelle et refuse,
en l'état du droit, de sanctionner les discriminations indirectes qui résulteraient, non
du contenu de la règle ou de la décision, mais de son application ou de ses effets.

L'arrêt du 14 novembre 2008 (36) relatif à l'égalité devant l'emploi public montre
bien « la réticence du Conseil d'État à prendre en compte les effets d'une mesure »
(37). Il juge en effet qu'un décret qui prévoit une épreuve de secourisme et de
sauvetage aquatique à un concours de professeur d'éducation physique et sportive,
sans prévoir un aménagement spécial pour les personnes handicapées, entraîne
nécessairement une discrimination indirecte ; mais dès lors que la même règle
s'applique à tous les candidats, le décret est légal.

Le Conseil constitutionnel refuse également de sanctionner des discriminations


indirectes. La décision n° 2011-137 QPC du 17 juin 2011 (38), M. Zeljko, écarte
par exemple la violation du principe d'égalité à propos d'une disposition législative
imposant comme condition du versement du revenu de solidarité active (RSA) la
stabilité de la résidence à tous les bénéficiaires, qu'ils soient de nationalité étrangère
ou française. Ce faisant, le Conseil constitutionnel « ignore un subterfuge pour
introduire une discrimination fondée implicitement sur la nationalité » (39).
62

Dans ces cas, la différence de l'usager est niée dans une logique d'universalisme « à
visée intégrative » (40). Cette logique s'inscrit dans la conception traditionnelle du
service public comme « instrument de cohésion sociale » ayant une « fonction
générale d'indifférenciation » (41).

En définitive, la réalité du principe d'égalité devant le service public ne se résume


pas à celle de l'usager. Celui-ci reste le plus souvent appréhendé en tant qu'usager «
abstrait ». Lorsqu'il est « situé » (42), c'est-à-dire lorsqu'il est pris en compte dans
son individualité, la satisfaction de ses intérêts ou de ses besoins particuliers doit
être conciliée avec des exigences de tous ordres, politique, économique, technique,
ou financier. Il arrive même parfois que l'usager soit maltraité. Mais, à l'inverse, la
réalité de l'usager révèle bien celle des mutations qui touchent les services publics
pris entre deux exigences contraires : d'un côté, l'exigence de solidarité et de
cohésion sociale, et de l'autre, les impératifs d'efficacité économique.
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Lecture 4. V. Valentin. Laïcité et neutralité. AJDA 2017 p.1388

La connaissance de la laïcité est paradoxalement limitée par le poids de la loi de


1905 dans la culture républicaine française. Elle s'en trouve principalement
identifiée au principe de séparation qui pourtant a été progressivement érodé au
profit du principe de neutralité, dont l'affichage est plus discret mais dans lequel
elle se résume presque entièrement aujourd'hui. Plus largement, le consensus
politique dont elle est l'objet accompagne de vives tensions quant à son contenu
exact, discuté à partir de conceptions très différentes de ce qu'elle devrait être, de
sorte que sa définition apparaisse régulièrement comme une nécessité (v., J.
Baubérot, Les sept laïcités. Le modèle français de laïcité n'existe pas, Maison des
sciences de l'homme, 2015). Elle sera ici envisagée comme le régime juridique
définissant le rapport entre l'Etat et la religion et abordée sous l'angle du
mouvement de reconfiguration du rapport entre ses trois composantes que sont la
liberté de conscience, la séparation entre l'Etat et les cultes et la neutralité de l'Etat.

Les liens entre eux sont moins simples que leur convergence dans le régime de
laïcité pourrait le laisser penser. Aucun des trois éléments, qui se complètent et se
renforcent lorsqu'ils sont associés, n'appelle nécessairement les deux autres. Un
Etat confessionnel, privilégiant une religion, peut garantir la liberté de conscience
des ressortissants des autres cultes ; un régime de séparation des autorités n'induit
pas la neutralité de l'Etat ; mais l'Etat peut être neutre sans être séparé d'un culte.
Un Etat peut financer les églises et rester neutre si toutes sont également financées.
63

Dans le cadre du Concordat, ni séparation ni neutralité absolue, mais liberté de


conscience.

Les rapports entre les trois principes sont compliqués par le fait que chacun ait
plusieurs sens. La liberté religieuse peut être interprétée, soit comme un droit-
liberté, soit comme un droit-créance - avec des conséquences importantes sur le
rôle dévolu à l'Etat en retour, qui devra être soit passif, soit actif et donc plus
difficilement séparé. La séparation peut être organique, substantielle, par la
distinction des autorités ou des domaines du politique et du religieux, mais elle peut
aussi être, en un sens plus strict, financière. Sa portée ne sera pas du tout la même.
Enfin, la neutralité peut porter sur les procédures, les intentions ou les effets des
décisions publiques ; elle peut être ontologique ou pratique, selon que l'on parle de
ce qui la constitue ou de l'effet de ses décisions.

Depuis 1905, les trois principes sont associés, la liberté appelant séparation
matérielle et immatérielle, et neutralité symbolique et pratique. L'équilibre présumé
est instable, notamment en raison de tensions entre séparation et neutralité. Filant
une métaphore facile, on peut présenter la situation ainsi : Séparation et Neutralité
forment un couple harmonieux ou conflictuel selon la philosophie de l'éducation de
l'enfant dont ils ont la garde, la liberté de conscience. Si leur conception est
libérale, s'ils font confiance en la liberté pour s'épanouir librement et de manière
indépendante, leur propre relation sera harmonieuse : il suffira de s'assurer que
l'enfant n'a pas besoin d'eux, que chacun respecte sa liberté, sans grande
intervention. Ils seront neutres et distants. En revanche, si l'idée se fait jour qu'une
éducation plus autoritaire serait souhaitable, que la liberté doit être entretenue,
aidée, soutenue, construite, etc., alors l'entente va s'effriter. Séparation risque de
s'opposer aux velléités d'intervention neutre et bienveillante ; Neutralité voudra
sortir du carcan de Séparation. Comment agir si l'on est séparé, rester neutre si l'on
se préoccupe de la croissance de l'enfant ? L'équilibre du couple va voler en éclats.
Séparation refusera ce modèle quand Neutralité voudra l'imposer en douceur,
essayant de la convaincre qu'il faut aider et contrôler l'enfant pour son bien, pour
son épanouissement.

C'est ce à quoi nous assistons. En un siècle, le rôle de l'Etat à l'égard de la liberté


religieuse a évolué, déséquilibrant l'accord libéral initial entre les principes de
séparation et neutralité, au profit du second, à la fois en réaction à un nouveau
phénomène religieux et en raison d'une mutation de la conception des droits de
l'homme. Mesurer le rapport de la neutralité et de la laïcité, c'est d'abord prendre la
mesure de ce processus d'affirmation de la neutralité au dépend de la séparation, et
ensuite évaluer la portée de cette neutralité redessinée qui, s'imposant comme
principe premier, rencontre de nouvelles difficultés d'application.
64

I - La relégation du principe de séparation


Le fait principal est le recul du principe de séparation. On doit constater cet
effacement, décrire son habillage juridique mais surtout en comprendre les raisons
de fond. L'essentiel de la séparation est garanti : l'Etat n'interdit ou n'impose aucune
religion ; aucune religion ne s'impose aux citoyens par les moyens de l'Etat.
Cependant l'objet de la loi de 1905 est autre : non le respect de la liberté de
conscience, déjà acquis, mais la sortie du Concordat, c'est-à-dire la séparation
organique et matérielle de l'Etat et des cultes. Cet aspect-là, concentré dans l'article
2 de la loi - « La République ne reconnaît, ne subventionne ni ne salarie aucun
culte » -, est en grande partie aujourd'hui contourné.

Ce n'est pas le lieu de faire, ici, la liste des dérogations au principe de non-
subvention (v., V. Valentin, Remarques sur les mutations de la laïcité. Mythes et
dérives de la « séparation », Revue des droits et libertés fondamentaux, chron. n°
14, 2016), mais de résumer un phénomène entériné pour en saisir le rapport avec la
neutralité. Indépendamment des dépenses prévues par la loi de 1905 (comme le
service des aumôneries), du financement public des écoles privées
confessionnelles, qui ne soutient pas directement des cultes mais l'activité profane
qu'est l'enseignement (Cons. const. 23 nov. 1977, n° 77-87 DC, Liberté
d'enseignement et de conscience) ou encore des exceptions territoriales (l'Alsace-
Moselle et la plupart des territoires ultramarins, selon des modalités différentes) qui
ne sont pas contraires mais extérieures au régime de 1905, il existe d'autres
dépenses, elles réellement porteuses d'une remise en cause de la séparation
matérielle. Constituées principalement de subventions, directes ou indirectes, à une
activité liée à l'exercice d'un culte, et nées assez tôt au XXe siècle, elles se sont
développées cahin-caha jusqu'à recevoir une sorte de consécration par le Conseil
d'Etat en 2011 - à l'occasion de cinq contentieux concernant l'aide financière
apportée par des collectivités locales à des activités liées à un culte (CE, ass., 19
juill. 2011, n° 309161, Communauté urbaine du Mans - Le Mans métropole, Lebon
; n° 313518, Commune de Montpellier, Lebon ; n° 320796, Mme Vayssière, Lebon
; n° 308544, Commune de Trélazé, Lebon avec les concl. ; n° 308817, Fédération
de la libre pensée et de l'action sociale du Rhône, Picquier, Lebon). Tout en posant
des conditions au financement - présence d'un intérêt public local, respect de la
neutralité et absence de libéralité ou d'aide directe à un culte - le Conseil d'Etat
admet la légalité de l'aménagement d'un abattoir rituel et de la location d'une salle
destinée à l'usage de la prière. De la sorte, il identifie l'intérêt public local à la seule
satisfaction d'une nécessité de nature religieuse ; l'intérêt est constitué par la
nécessité de rendre effective la liberté religieuse des adeptes du culte concerné. Ce
qui est donc admis, c'est qu'une aide publique puisse franchir le « mur de séparation
» sur le seul fondement de la nécessité religieuse. On est là très loin de l'esprit et de
65

la lettre de la loi de 1905. Les subventions ne sont plus interdites mais vaguement
limitées.

Si l'on comprend que les autorités publiques locales puissent ressentir le besoin de
répondre à l'émergence d'une nouvelle question religieuse, on peut s'interroger sur
l'habillage juridique permettant de le justifier. Apparaît alors que c'est une nouvelle
conception du rapport entre neutralité et laïcité qui permet de fonder ce qui est
quand même une sortie assez substantielle du paradigme de 1905 (E. Geffray, Loi
de 1905 et aides des collectivités publiques aux cultes, concl. sur CE, ass., 19 juill.
2011, RFDA 2011. 967 ; X. Domino et A. Bretonneau, Le sacré et le local, AJDA
2011. 1667 ). La liberté religieuse est absorbée par le processus de transformation
des droits de l'homme aux termes desquels ceux-ci ne sont pas seulement des
bornes au pouvoir mais aussi des buts pour son action. La liberté religieuse est une
créance qui appelle une action de l'Etat ; « libéral », mot sous lequel Briand plaçait
la juste interprétation de la loi de 1905, est compris comme signifiant non pas «
autorégulation de la société civile » mais, retrouvant son sens ancien, « générosité
publique » (en faveur des libertés reconnues). Il ne saurait y avoir de libre exercice
du culte si les fidèles n'ont pas la possibilité de pratiquer leur religion pour des
raisons matérielles, donc les pouvoirs publics, qui garantissent la liberté doivent la
rendre effective en apportant une aide matérielle. L'exception libérale au modèle
jacobin qu'était la laïcité est emportée par la (re)définition des droits fondamentaux
que porte l'extension de l'Etat-providence. Le devoir de l'Etat est de soutenir tous
les cultes, donc d'être neutre. Comme l'écrit Rémy Schwartz, « L'Etat neutre doit se
préoccuper de l'expression religieuse de chacun pour la faciliter » (La jurisprudence
de la loi de 1905, Archives de philosophie du droit, 2005, t. 48, p. 92). Le principe
de « séparation passive » cède le pas à un principe de « neutralité active » ; la
neutralité appelle la reconnaissance et le soutien des religions, et logiquement la
relégation de la séparation.

Sur le plan du droit, cette évolution s'appuie sur le fait que le principe de séparation
matérielle n'est que législatif et doit s'effacer devant la liberté de conscience, de
rang constitutionnel. De manière constante, il a été donné au principe de non-
subvention des cultes une portée limitée, n'étant pas reconnu comme une règle de
valeur constitutionnelle (CE 6 avr. 2001, n° 219379, Syndicat national des
enseignements du second degré, Lebon ; CE 16 mars 2005, n° 265560, Ministère
de l'outre-mer c/ Gouvernement de la Polynésie française, Lebon).

Le résultat est toutefois paradoxal puisque le contenu de la loi fondatrice de la


laïcité est marginalisé par sa constitutionnalisation. Ce qui ressort de ce processus
est l'émergence d'une neutralité de reconnaissance et de soutien plus que
d'indifférence. Ce n'est pas tout à fait nouveau, puisque déjà en 1946, dans l'esprit
66

du Préambule, avait été écartée la proposition d'inscrire dans la Constitution que


l'Etat « ne reconnaît ni ne protège aucun culte » (cité par J. Rivero, La notion
juridique de laïcité, D. 1949. 257). Mais le principe de neutralité-protection active
est aujourd'hui pleinement reconnu. Ajoutons que le droit européen appuie cette
évolution. La Cour de Strasbourg n'a jamais affirmé la conventionnalité du principe
de non-subvention des cultes ; plus encore, elle a jeté les bases d'une justification
des aides étatiques par le biais des obligations positives. En affirmant que la liberté
de pensée, de conscience et de religion constitue une assise d'une société
démocratique, nécessaire au pluralisme (CEDH 25 mai 1993, n° 14307/88,
Kokkinakis c/ Grèce), ce pluralisme étant à la fois une valeur à respecter et un but à
atteindre, la Cour fait obligation aux Etats de permettre aux communautés
confessionnelles d'avoir des moyens d'existence et, au minimum un statut juridique.
L'Etat ne doit pas seulement être neutre et impartial ; il doit garantir que la vie
religieuse en son sein soit effective, et dans un climat de tolérance. L'Etat apparaît
ainsi comme un « organisateur » de la neutralité.

II - Les nouveaux contours de la neutralité


La notion de neutralité de l'Etat se prête à plusieurs interprétations. Il est sans doute
utile d'évacuer une première approche, qui met l'accent sur l'impossibilité
ontologique pour un Etat d'être neutre, dans la mesure où il repose nécessairement
sur un choix de valeurs qui le constituent. Il est certain qu'aucun Etat ne saurait être
neutre dans l'absolu, que le régime le plus libéral et permissif n'est pas neutre du
point de vue des adeptes d'un Etat autoritaire et paternaliste et qu'ainsi les
démocraties libérales, liées à une forme d'individualisme qui s'incarne dans les
droits de l'homme, ne peuvent aspirer à une neutralité universelle (). Pour autant, ce
n'est pas cette neutralité qui est visée par l'Etat libéral mais celle à l'égard des
conceptions du bien et des fins individuelles. Le cadre n'est pas neutre en soi (le
choix de la laïcité par la République française n'est pas neutre) mais il est conçu
pour qu'en son sein la puissance publique soit neutre vis-à-vis des choix qui
relèvent de la vie privée et des convictions personnelles. Dans ce cadre, la laïcité
signifie que les procédures de prise de décisions, leurs intentions et leurs effets
doivent être neutres (). Sur ces deux derniers aspects, le passage de la neutralité
passive à la neutralité active est lourd de difficultés, conceptuelles et pratiques.
Dans une pure logique libérale, la neutralité consiste à séparer : la sphère religieuse
n'étant pas reconnue, peu importe ce qui s'y passe, peu importe même les effets
indirects des décisions publiques sur certains cultes. Il suffit de ne pas directement
porter atteinte à la liberté de conscience, ou à la liberté des adeptes d'un culte en
particulier, pour être neutre. Mais dès lors que l'effectivité de la liberté religieuse
est une mission de l'Etat, il n'est plus question d'indifférence (qui devient elle-
même non neutre) ; et en même temps, toute prise en charge, toute traversée du «
67

mur de la séparation », posera de manière aigue la question de la neutralité des


effets.

En parallèle de cette évolution favorable à la religion, la neutralité est l'objet d'une


réorientation en sens contraire. En réaction aux nouvelles manifestions de la foi
musulmane, s'est fait jour l'idée que la laïcité serait naturellement porteuse d'une
exigence de neutralité des personnes privées. Ce mouvement contribue aussi à
effacer la séparation mais cette fois dans sa dimension immatérielle. C'est en ce
sens que l'on peut suggérer l'apparition d'une « nouvelle laïcité », en rupture avec
celle de 1905, qui inscrit doublement la question religieuse à l'agenda des pouvoirs
publics : comme un droit et une pratique à aider et à contrôler. En opposition avec
la neutralité d'indifférence, s'affirme une paradoxale protection sous condition de la
liberté religieuse : reconnue comme droit fondamental, elle nécessite, afin d'être
effective, une aide publique ; vecteur de potentielles atteintes à des valeurs
républicaines, elle devrait être maintenue sous surveillance.

Enfin, se développe aussi l'idée de promouvoir la neutralité dans les relations


privées, en particulier dans le monde du travail (). Cela relève d'une autre
perspective que celle de la laïcité puisque ne mettant pas en jeu directement le
comportement de la puissance publique, mais il s'agit bien d'une dynamique
commune : la laïcité, comme philosophie porteuse d'un idéal de dépassement des
identités particulières et de neutralisation des « guerres de religion », devrait
pouvoir irriguer l'ensemble des relations humaines, dans et en dehors de l'Etat.

La situation est donc la suivante : la neutralité libérale n'a pas disparu mais elle s'est
transformée tout en étant concurrencée et débordée par l'extension de son champ
d'application hors de ses frontières habituelles. De sorte que la neutralité, si elle
demeure principalement une règle pour l'Etat, trouve aussi à s'appliquer dans les
relations entre personnes privées.

A. La neutralité des personnes publiques

1. La neutralité symbolique

L'Etat français affiche sa laïcité. Ses bâtiments, lieux et agents doivent montrer que
l'Etat est ontologiquement séparé du religieux et écarter tout soupçon quant à la
possibilité de favoriser tel ou tel culte. Le principe paraît simple mais son
application rencontre des difficultés, à la fois pour les monuments et pour les
agents. La loi de 1905 dispose qu'il est interdit « d'élever ou d'apposer aucun signe
ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement
public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de
68

sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou
expositions » (art. 28). Cela est compatible avec la présence de symboles religieux
sur des bâtiments publics antérieurs à 1905, qui n'ont qu'une valeur patrimoniale,
mais autorise aussi une collectivité locale à installer une statue représentant une
personnalité religieuse sur une place publique, à condition que cela ne soit pas
ostentatoire (TA Rennes, 30 avr. 2015, n° 1203099, Fédération morbihannaise de la
libre pensée, AJCT 2015. 483, obs. Y. Goutal ).

L'actualité a conduit le Conseil d'Etat à proposer une solution très controversée au


problème des crèches de la Nativité. S'il rappelle que la neutralité interdit
l'installation de signes ou emblèmes qui marquent la reconnaissance ou la
préférence pour un culte, il admet aussi que les crèches sont, selon les contextes et
les intentions, des éléments de décoration profanes à valeurs culturelles et festives,
voire artistiques, et peuvent pour cette raison être légales (CE, ass., 9 nov. 2016, n°
395122, Commune de Melun, Lebon et n° 395223, Fédération de la libre pensée de
Vendée, Lebon). Est faite une distinction entre les bâtiments publics, où le principe
d'interdiction est plus fort, et les emplacements publics, par nature plus propice aux
événements festifs culturels ou artistiques, où la présence de crèches doit seulement
éviter d'être un acte de prosélytisme. Cette décision ne satisfait pas ceux qui
considèrent qu'une crèche ne peut pas ne pas être un signe religieux et qui auraient
souhaité une interdiction absolue ; elle est néanmoins conforme au principe de
neutralité : les crèches ne sont légales que si elles sont neutres.

La situation des agents publics est bien connue. Ils doivent afficher la neutralité de
l'Etat et ne porter dans l'exercice de leur fonction aucun signe manifestant leurs
convictions. Trois dimensions de cet aspect de la neutralité sont remarquables :
d'abord sa nouveauté - ce n'est qu'en 2000 que le Conseil d'Etat, en réaction aux
affaires de voile, a dû poser le principe (CE, avis, 3 mai 2000, n° 217017, Mlle
Marteaux, Lebon RFDA 2001. 146, concl. R. Schwartz ) ; ensuite, son extension
jusqu'aux salariés d'un organisme de droit privé gestionnaire d'un service public
(Soc. 19 mars 2013, n° 12-11.690, CPAM de Seine-Saint-Denis) ; enfin, son
étrangeté. On peut d'abord s'étonner de l'insistance mise sur l'apparence de la
neutralité et seulement sur l'apparence. S'il s'agit d'éteindre un soupçon (1), s'il
s'agit, selon les termes du tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 8 juill. 2003, n°
0201383, AJDA 2003. 1951 ), de s'assurer « du loyalisme » du fonctionnaire, alors
pourquoi ne pas aller plus loin, dans une extension de la logique de l'arrêt Bouteyre,
et sonder la réalité de ses convictions laïques et républicaines ? On peut ensuite
s'étonner de ce soupçon, qui est difficile à distinguer d'un préjugé antireligieux. Est-
ce conforme à la neutralité de l'Etat que de postuler qu'un agent ayant des
convictions religieuses, pourrait trahir la République ou donner un tour
discriminatoire au service public ?
69

D'autres pays se montrent beaucoup plus sensibles à la distinction entre neutralité


du service public et neutralité (de l'apparence) des agents publics. Ainsi, par
exemple, en Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale distingue la personne
fonctionnaire et l'agent de l'Etat, de sorte que ne soit pas posée une interdiction
systématique du voile islamique pour un agent public, y compris pour les
enseignants, en l'absence de menace concrète, et pas seulement abstraite ou
symbolique, sur le fonctionnement des cours ou la neutralité de l'Etat (Cour
constitutionnelle allemande, 27 janv. 2015, 1. BvR 471/10 - 1. BvR 1181/10 ; H.
Rabault, Le droit des enseignantes à arborer le foulard, RFDC 2015. 735 ; A.
Gaillet, Port du voile par les enseignantes des écoles publiques : retour à Karlsruhe,
AJDA 2015. 1401 ). La particularité de la conception française se retrouve dans la
question des accompagnatrices scolaires, sur laquelle les différents ministres de
l'éducation comme les quelques tribunaux administratifs saisis ont hésité, avant que
le Conseil d'Etat ne précise qu'aucun fondement juridique ne permettait de
soumettre les parents à l'obligation de neutralité, sauf en cas de trouble à l'ordre
public, le port d'un signe religieux ne suffisant pas à le constituer (Etude demandée
par le Défenseur des droits, 19 déc. 2013).

2. La neutralité pratique

Elle se décompose en une neutralité d'indifférence, qui garantit la liberté, et une


neutralité active (2).

La neutralité d'indifférence est la plus stable, portée par les principes de liberté de
conscience et de non-discrimination, mais la plus délicate d'application. L'exigence
de « non-reconnaissance » voudrait, conformément à la théorie des deux
juridictions de Locke, que l'Etat vise à satisfaire des intérêts seulement séculiers, en
étant aveugle au fait religieux. Que se passe-t-il si ses décisions ont un effet
discriminatoire involontaire ? Locke pensait que si l'intention était neutre et dans le
champ des intérêts civils, il revenait aux croyants de prendre sur eux. Roger
Williams, « l'inventeur » de la laïcité américaine, considérait quant à lui, que l'Etat
devait toujours prendre en compte les atteintes à la liberté de conscience et
s'adapter, ouvrant ainsi la voie aux accommodements raisonnables (M. Nussbaum,
The New Religious Intolerance, Harvard University press, 2012).

Le droit français est davantage du côté de Locke. L'Etat n'est pas tenu de modifier
ses règles ou son action à chaque fois qu'elles pourraient avoir un effet discriminant
à l'égard des différentes croyances. Pour bien mesurer son attitude, il faut toutefois
distinguer les mesures qui heurtent les convictions et celles qui gênent la pratique
d'un culte. Les premières n'appellent aucun accommodement. La légalisation du
70

divorce, de l'avortement et du mariage homosexuel relève de cette catégorie. C'est


là une part du processus sous-terrain de laïcisation dont l'impact sur la neutralité est
loin d'être négligeable. Néanmoins, ces manifestations de la sécularisation ne sont
pas perçues comme des atteintes à la neutralité car elles ne sont pas des atteintes
directes à la liberté de culte, telle que protégée par la Constitution, qui ne garantit
pas de vivre dans une société conforme à ses valeurs mais seulement de ne pas être
inquiété dans la pratique de son culte. A l'inverse, seront ouvertes à des adaptations
les mesures ayant un effet direct sur l'exercice d'une religion, comme l'existence de
jours fériés favorable à un culte. Dans la fonction publique comme dans le secteur
privé, s'il n'existe pas de droit à l'absence pour raisons religieuses, le juge contrôle
que l'administration ou l'employeur fonde sa décision sur une juste appréciation des
nécessités du service ou de l'entreprise (). La pratique religieuse est donc elle-même
protégée de la neutralité d'indifférence.

Un autre aspect de la neutralité concerne l'attitude des pouvoirs publics à l'égard de


pratiques religieuses litigieuses. L'équilibre est le même que précédemment : les
convictions religieuses n'appellent pas de dérogations au droit commun. En droit du
travail, même une entreprise de tendance religieuse ne peut s'affranchir des règles
de protection des droits du salarié, qui sont impératifs (Soc. 17 avr. 1991, n° 90-
42.636) ; en matière pénale, l'excision demeurant, par exemple, interdite. D'une
manière générale, la religion bute sur les exigences d'ordre public, notamment dans
ses composantes morales, lorsqu'il est jugé qu'elle porte atteinte à des valeurs
républicaines, comme l'égalité des sexes ou la dignité. Ainsi, le juge a pu
considérer que la dissimulation de la non-virginité ne pouvait être une cause
d'annulation du mariage (CA Douai, 17 nov. 2008, n° 08/03786, D. 2008. 2938). Il
rompt alors avec la neutralité puisqu'il censure par principe la préférence religieuse
pour la virginité ().

La neutralité active recouvre les actions publiques dont le but est de soutenir
l'effectivité du droit à la liberté de conscience. Sa philosophie est l'inverse exact de
la précédente. Elle porte une action neutre dans la mesure où elle ne pénètre pas
dans le domaine de la foi mais elle rejette le principe d'indifférence au fait
religieux. Elle consiste à mettre toutes les convictions en situation d'égalité réelle.
Ne pas intervenir dans la situation matérielle des différents croyants, ce serait
accepter une inégalité, donc ne pas être neutre par abstention. Le soutien à la
construction des lieux de culte est le meilleur exemple que l'on puisse donner de
cette neutralité active, défendue notamment par le rapport Machelon, et dont les
arrêts du Conseil d'Etat de juillet 2011 constituent une sorte de concrétisation (3).
Parce que certaines religions minoritaires, défavorisées par l'Histoire, ne disposent
pas des lieux de culte « mis à la disposition » des catholiques par l'Etat français,
elles seraient victimes d'une sorte de discrimination indirecte, qui appellerait une
71

compensation pour être « neutralisée ». La République ne respecterait pas toutes les


croyances si elle ne les aidait pas toutes ().

B. La neutralité des personnes privées

L'idée est simple bien que subversive de la logique de 1905 : l'esprit de la laïcité,
qui est de mettre en avant ce que les citoyens ont de commun pour neutraliser les
conflits liés aux identités ou convictions particulières, devrait, en des lieux ou
circonstances nimbés de « publicité », déborder le périmètre du secteur public et
concerner parfois les individus ordinaires. Cette idée est aussi ancienne que la
République mais jusque dans les années 2000 n'avait aucune concrétisation
juridique. Elle s'exprime dorénavant selon deux canaux qui doivent être
soigneusement distingués : celui de la neutralité imposée, celui de la neutralité
proposée.

1. La neutralité imposée

La principale expression de cette neutralité concerne, à partir de la volonté


d'endiguer le port du voile islamique, l'interdiction des signes religieux dans
certains espaces publics. L'idée est que la République serait légitime pour exiger
une forme minimale de sécularisation. Le mouvement est connu : l'on voudrait
insister sur les questions de fond qu'il soulève ().

Sa concrétisation juridique est mince mais symboliquement importante. La loi du


15 mars 2004 a rompu l'équilibre libéral jusqu'alors en vigueur, puisqu'elle interdit
de manière absolue, indépendamment de tout effet constaté sur l'institution scolaire,
le port de signes religieux dans les lieux d'enseignement public (hormis
l'université). Ce n'est plus un comportement de l'élève voilée qui est sanctionné
mais l'élève voilée, pour elle-même. La frontière entre agents et usagers du service
public, rappelée par le Conseil d'Etat dans son avis de 1989 et sa jurisprudence
ultérieure, est supprimée (CE, avis, 27 nov. 1989, n° 346893). La loi de 2010 qui
interdit la dissimulation du visage dans l'espace public, quoi que l'on pense de ses
objectifs politiques, relève de la même logique. Si le texte de la loi, pas plus que le
Conseil constitutionnel, ne se met sur le terrain de la laïcité, il s'agit bien d'interdire
un choix religieux jugé en lui-même insupportable aux « yeux » de la République.

Si les tensions et les phénomènes de radicalisation, autant religieux que politiques,


qu'il s'agit d'apaiser et de combattre sont sans doute sérieux, ces deux lois sont
néanmoins porteuses d'une rupture importante. D'abord, avec la séparation,
puisqu'une exigence publique est portée vers le privé et que le signe religieux est
objectivement interprété, de l'extérieur, par la puissance publique. Ensuite et en
72

même temps avec la neutralité, puisque l'Etat censure l'expression d'une conviction
indépendamment de ses effets sur autrui ou sur l'ordre public. En outre, elles
expriment un changement de paradigme, puisqu'il s'agit moins de protéger un droit
qu'une manière de vivre, un modèle culturel ou civilisationnel. Au nom de la
République, l'Etat combat, certes seulement à travers leur manifestation publique et
sans viser directement aucune religion, des comportements religieux, donc des
convictions, jugés indésirables.

Cette laïcité de combat est difficilement exportable au-delà des espaces publics - ce
qu'a notamment révélé l'affaire Baby Loup ; raison pour laquelle sans doute une
autre façon de neutraliser les éventuels effets sociaux délétères de la religion a été
proposée.

2. La neutralité proposée

C'est à travers un contentieux de droit du travail qu'est née la question de la


neutralité, voire de la laïcité, dans l'entreprise privée. Celle-ci pourrait-elle faire le
choix de la laïcité, à travers son règlement intérieur, et imposer des restrictions au
droit de manifester ses convictions à ses salariés ? A l'issue du contentieux de la
crèche de Chanteloup-Les-Vignes, ce n'était pas possible : la Cour de cassation a
refusé d'ouvrir la catégorie d'entreprise de tendance, d'une part, à une activité de
garderie, d'autre part et, simultanément, à la laïcité. Néanmoins, devant
l'augmentation du nombre de conflits dans l'entreprise liés à des revendications
religieuses, le législateur a décidé de modifier le code du travail afin que le
règlement intérieur puisse « contenir des dispositions inscrivant le principe de
neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces
restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou
par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont
proportionnées au but recherché » (C. trav., art. L. 1321-2-1, inséré par la loi du 8
août 2016).

La portée de cette disposition est pour l'heure incertaine. La restriction de la liberté


religieuse des salariés doit être sévèrement justifiée. Le droit de l'Union européenne
contrôle de manière étroite les dérogations au principe de non-discrimination que
l'application de la neutralité pourrait véhiculer. Les deux arrêts de la CJUE du 14
mars 2017, qui admettent qu'une entreprise limite le port du voile au nom de la
maîtrise d'une image qui se voudrait neutre (aff. C-157/15, Samira Achbita c/ G4S
Secure Solutions NV et aff. C-188/15, Asma Bougnaoui, Association de défense
des droits de l'homme [ADDH] c/ Micropole SA), ne suppriment pas la grande
incertitude quant à la possibilité d'affirmer la neutralité indépendamment de la
nature de l'activité de l'entreprise ou des nécessités économiques. Autrement dit, le
73

périmètre de la neutralité (ses justifications et sa portée) dans l'entreprise privée


n'est pas encore bien connu.

Néanmoins, l'apparition de la neutralité comme motif légitime d'organisation du


travail est symboliquement importante. D'abord elle participe d'une volonté de faire
de la neutralité une valeur pas seulement pour l'Etat mais pour l'ensemble des
relations sociales. Le mouvement en faveur de l'entreprise laïque va dans ce sens ;
il s'agirait d'accepter qu'une entreprise puisse s'organiser exactement comme l'Etat
laïque : sans discriminations à l'égard des différentes religions (au moment de
l'embauche, notamment) mais affichant sa neutralité dans son fonctionnement et
dans le comportement de ses salariés (). Ensuite le seul fait de sa possibilité indique
un déplacement : le problème ne serait plus comme en 1905 celui de la présence de
l'église catholique dans l'Etat mais de la diffusion du fondamentalisme musulman
dans la société civile. Du coup, la demande adressée à l'Etat se déplace : non pas se
séparer du clergé mais permettre aux simples citoyens, dans leurs relations privées,
de s'organiser contre ce qui est perçu comme une nouvelle menace.

La tâche ainsi proposée à l'Etat est très difficile car elle le pousse à sortir de sa
neutralité. Théoriquement, il n'a pas la légitimité a priori pour intervenir dans le
secteur privé en l'absence de trouble à l'ordre public. Juridiquement, le caractère
impératif des droits fondamentaux, dont la liberté religieuse, lui fait devoir d'en
garantir l'effectivité dans les relations privées et, notamment, dans le monde du
travail, et donc de limiter la possibilité pour des personnes privées de s'organiser
contre la religion. Et en même temps, le respect de la liberté de conscience lui
interdit aussi d'empêcher des individus, dans leur vie privée et leurs relations
sociales et professionnelles, de vouloir vivre selon une conviction athée.

L'Etat devrait se désintéresser de la question religieuse mais il est pris au piège,


comme organisateur de la neutralité, d'injonctions contradictoires : à la fois soutenir
l'effectivité de la liberté religieuse et permettre d'en limiter les manifestations les
plus inquiétantes. Aussi ne lui demande-t-on pas de se retirer de la société mais, au
contraire, de l'investir pour garantir l'effectivité des libertés, à la fois en faveur de la
religion et contre certaines de ses expressions, dans une perspective d'abandon de
l'idée de séparation, au-delà de la garantie maintenue de l'autonomie organique de
l'Etat et des cultes. On assiste ainsi à une très substantielle reconfiguration de la
neutralité et de la laïcité, bien loin de l'esprit et de la lettre de 1905.

(1) Rémy Schwartz, commissaire du gouvernement pour l'avis Marteaux,


expliquait qu'à aucun moment l'usager ne doit douter de la neutralité du
fonctionnaire (). (2) L'incompétence religieuse de l'Etat et la liberté organique des
cultes relèvent davantage de la séparation que de la neutralité, raison pour laquelle
74

nous n'en traitons pas ici. Il existe certes de nombreux points d'achoppement (). Il
préconisait la création d'une forme particulière de reconnaissance d'utilité publique
pour les activités religieuses (p. 48).
Copyright 2018 - Dalloz – Tous droits réservés

Documents reproduits.

Doc 1. CE Ass. 16 nov. 1956, Union syndicale des industries aéronautiques


(USIA)
Considérant que la Caisse de Compensation pour la décentralisation de l'industrie
aéronautique, instituée par l'article 105 de la loi du 31 mars 1931 et dont le
domaine d'activité avait été étendu par le décret du 24 mai 1938, avait
essentiellement pour objet de subventionner des opérations d'intérêt général ;
qu'elle tirait la plus grande partie de ses ressources d'une retenue de nature
parafiscale, précomptée sur toutes les factures afférentes à des marchés passés
par le Ministre de l'Air ou pour son compte, en vue de la livraison de
matériels volants ou des fournitures nécessaires auxdits matériels ; que ses
modalités de fonctionnement présentaient un caractère purement
administratif; que, dans ces conditions, ladite caisse ne constituait pas un
établissement public à caractère industriel ou commercial ; que, dès lors, elle
était au nombre des établissements publics qui sont visés par la disposition
susrappelée de l'article 7 de la loi du 17 août 1948 et qui, par suite, peuvent être
supprimés par un décret pris dans les conditions prévues à l'article 6 de ladite loi ;

Doc 2. CE sect., 28 juin 1963, Sieur Narcy


Requête du sieur Narcy, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision
du ministre des Finances des Affaires économiques et du plan en date du 18
décembre 1957, notifiée le 28 décembre suivant par le service de la solde du
commissariat de la marine à Paris, rejetant sa réclamation contre l'application faite
à la solde de réserve de la réglementation sur les cumuls et, en tant que de besoin,
de la décision de rejet implicite du secrétaire d'Etat aux Forces armées (Marine) de
sa réclamation du 8 août 1957 dirigée contre une précédente décision dudit
secrétaire d'Etat du 26 juin 1957 ; Vu (…)
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le
ministre des Finances et des Affaires économiques :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 11 juillet 1955, alors en
vigueur, « la réglementation sur les cumuls d'emplois, de rémunérations d'activités,
de pensions et de rémunérations s'applique aux personnels civils, aux personnels
militaires, aux ouvriers et agents des collectivités et organismes suivants... 4°
organismes même privés assurant la gestion d'un service public ou constituant le
75

complément d'un service public sous réserve que leur fonctionnement soit au moins
assuré, pour moitié, par des subventions des collectivités visées au 1° ci-dessus ou
par la perception de cotisations obligatoires» ;
Cons. qu'il résulte de l'instruction que, depuis sa création, le fonctionnement
du Centre technique des industries de la fonderie a toujours été assuré pour
plus de moitié par des cotisations obligatoires et que notamment le
pourcentage desdites cotisations dans les ressources du Centre s'est élevé en
1957 et 1958 à 95 et 97.
Cons. qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 22 juillet 1948, les ministres
compétents sont autorisés à créer dans toute branche d'activité où l'intérêt
général de commande, des établissements d'utilité publique dits centres
techniques industriel ayant pour objet, aux termes de l'article 2 de la loi, «de
promouvoir le progrès des techniques, de participer à l'amélioration du
rendement et à la garantie de la qualité de l'industrie » ; qu'en vue de les mettre
à même d'exécuter la mission d'intérêt général qui leur est ainsi confiée et d'assurer
à l'administration un droit de regard sur les modalités d'accomplissement de cette
mission, le législateur a conféré aux centres techniques industriels certaines
prérogatives de puissance publique et les a soumis à divers contrôles de
l'autorité de tutelle ; qu'en particulier il ressort des termes mêmes de l'article 1er
de la loi précitée qu'il ne peut être créé dans chaque branche d'activité qu'un seul
centre technique industriel ; que chaque centre est investi du droit de percevoir sur
les membres de la profession des cotisations obligatoires ; que les ministres chargés
de la tutelle des centres techniques industriels pourvoient à la nomination des
membres de leur conseil d'administration e contrôlent leur activité par
l'intermédiaire d'un commissaire du gouvernement doté d'un droit de veto
suspensif ;
Cons. qu'en édictant l'ensemble, de ces dispositions et nonobstant la circonstance
qu'il a décidé d'associer étroitement les organisations syndicales les plus
représentatives des patrons, des cadres et des ouvriers à la création et au
fonctionnement des centres techniques industriels, le législateur a entendu, sans
leur enlever pour autant le caractère d'organismes privés, charger lesdits
centres de la gestion d'un véritable service public ;
Cons. qu'il résulte de tout ce qui précède que, par application des prescriptions ci-
dessus reproduites de l'article 1er, 4e alinéa du décret du 11 juillet 1955, alors en
vigueur, le personnel des centres techniques industriels est soumis à la
réglementation des cumuls ; qu'il suit de là que ladite réglementation a été
appliquée à bon droit à la solde de réserve d'officier général de l'armée de mer du
sieur Nancy, raison de l'emploi occupé par celui-ci au Centre technique des
industries de la Fonderie, lequel est entièrement régi par les dispositions de la loi
précitée du 22 juillet 1948 que, dès lors, la requête susvisée ne peut être
accueillie ;... (Rejet avec dépens.)
76

Doc 3 : CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun et Association "Melun-Culture-


Loisirs"
Vu 1°) sous le n° 69 867, la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au
secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 26 juin 1985 et 28 octobre 1985,
présentés pour la ville de Melun, représentée par son maire en exercice, à ce
dûment habilité par une délibération en date du 13 mai 1985 ; la ville de Melun
demande que le Conseil d'Etat : - annule le jugement, en date du 26 avril 1985, en
tant que par celui-ci, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision de
refus opposée par le maire de Melun à la demande de MM. X... et autres tendant à
ce que leur soient communiqués sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 les
comptes de l'association "Melun-Culture-Loisirs" afférents aux exercices 1972 à
1983 ainsi que tous justificatifs correspondants ; - rejette la demande présentée par
MM. X... et autres devant le tribunal administratif de Versailles ;
Vu 2°), sous le n° 72 160, la requête sommaire et le mémoire complémentaire,
enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 10 septembre 1985 et
10 janvier 1985, présentés pour l'association "Melun-Culture-Loisirs dont le siège
est à l'Hôtel-de-ville de Melun, représentée par son président en exercice ;
l'association "Melun-Culture-Loisirs demande que le Conseil d'Etat : - annule le
jugement, en date du 5 juillet 1985, par lequel le tribunal administratif de Versailles
a annulé la décision de refus opposée par le président de ladite association à la
demande de MM. X... et autres tendant à ce que leur soient communiqués les
comptes des exercices 1972 à 1983 ainsi que tous justificatifs correspondants ; -
rejette la demande présentée par MM. X... et autres devant le tribunal administratif
de Versailles ; - décide qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué ;
Vu les autres pièces des dossiers ; (…)
Considérant que les requêtes de la ville de Melun et de l'association "Melun-
Culture-Loisirs" sont relatives à des demandes tendant à la communication des
mêmes documents ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la requête de l'association "Melun-Culture-Loisirs" :
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 17 juillet 1978 "sous réserve
des dispositions de l'article 6 les documents administratifs sont de plein droit
communicable aux personnes qui en font la demande, qu'ils émanent des
administrations de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics
ou des organismes, fussent-ils de droit privé, chargés de la gestion d'un service
public" ;
Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que l'association "Melun-
Culture-Loisirs" a été créée par la ville de Melun en vue "de coordonner les efforts
de toutes personnes physiques et morales pour l'animation culturelle de Melun" et
est chargée de la gestion des centres de loisirs et des garderies, ateliers et clubs
communaux ainsi que de diverses autres missions en matière culturelle et socio-
77

éducative ; que pour l'exercice de ces missions elle perçoit des aides de la ville
qui constituent plus de la moitié de ses recettes et représentant la quasi totalité
des dépenses de la ville dans le domaine culturel et socio-éducatif ; que
l'association bénéfice aussi d'aides indirectes sous la forme de mises à
disposition gratuite de locaux et de personnel communaux ; que ladite
association dont le maire était président de droit jusqu'en 1983 et dont le
conseil d'administration comporte une majorité de conseillers municipaux
siégeant pour la plupart en cette qualité, doit, dans ces conditions, être
regardée, alors même que l'exercice de ses missions ne comporterait pas la
mise en œuvre de prérogatives de puissance publique comme gérant, sous le
contrôle de la commune, un service public communal et figure ainsi au
nombre des organismes mentionnés à l'article 2 précité de la loi du 17 juillet
1978 ;
Considérant, d'autre part, que les comptes de l'association "Melun-Culture-
Loisirs" qui retracent les conditions dans lesquelles elle exerce les missions de
service public qui sont les siennes présentent par leur nature et leur objet le
caractère de documents administratifs ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association "Melun-Culture-
Loisirs" n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, en
date du 5 juillet 1985, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision par
laquelle son président a rejeté la demande de MM. X..., Laplace et Bodin tendant à
ce que ses comptes des exercices 1972 à 1983 ainsi que tous justificatifs
correspondants leur soient communiqués ;
Sur la requête de la ville de Melun : (…)
DECIDE : Article 1er : La requête de l'association "Melun-Culture-Loisirs" est
rejetée. Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles, en date du
26 avril 1985, en tant qu'il a accueilli la demande de MM. X..., Laplace et Bodin
enregistrée sous le n° 848619 et tendant à l'annulation du refus de communication
opposé par le maire de Melun est annulé. Ladite demande est rejetée. Article 3 : La
présente décision sera notifiée à MM. X..., Laplace et Bodin, à la ville de Melun, à
L'association "Melun-Culture-Loisirs", au Premier ministre et au ministre de
l'intérieur.

Doc 4 : CE Sect. 22 févr. 2007, Assoc. du personnel relevant des établissements


pour inadaptés (APREI)
Vu la requête sommaire et les observations complémentaires, enregistrées les 13
février et 2 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat,
présentées pour l'ASSOCIATION DU PERSONNEL RELEVANT DES
ETABLISSEMENTS POUR INADAPTES (A.P.R.E.I.), dont le siège est 2 A,
boulevard 1848 à Narbonne (11100), représentée par son président en exercice ;
78

l'ASSOCIATION DU PERSONNEL RELEVANT DES ETABLISSEMENTS


POUR INADAPTES demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 19 décembre 2003 par lequel la cour administrative d'appel
de Marseille, faisant droit à l'appel formé par l'Association familiale départementale
d'aide aux infirmes mentaux de l'Aude (A.F.D.A.I.M.), a d'une part annulé le
jugement du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de
Montpellier en date du 27 janvier 1999 en tant que ce jugement a annulé le refus de
l'A.F.D.A.I.M. de communiquer à l'A.P.R.E.I. les états du personnel du centre
d'aide par le travail La Clape, d'autre part a rejeté la demande présentée par
l'A.F.D.A.I.M. comme portée devant une juridiction incompétente pour en
connaître ; 2°) statuant au fond, d'annuler le refus de communication qui lui a été
opposé par l'A.F.D.A.I.M. ;(…)
Vu les autres pièces du dossier ; (…)
Considérant que l'ASSOCIATION DU PERSONNEL RELEVANT DES
ETABLISSEMENTS POUR INADAPTES (A.P.R.E.I.) a demandé communication
des états du personnel d'un centre d'aide par le travail géré par l'Association
familiale départementale d'aide aux infirmes mentaux de l'Aude (A.F.D.A.I.M.) ;
que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Montpellier a,
par un jugement du 27 janvier 1999, annulé le refus de communication opposé par
l'A.F.D.A.I.M et enjoint à cette dernière de communiquer les documents demandés
dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement ; que
l'A.P.R.E.I. demande la cassation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de
Marseille du 19 décembre 2003 en tant que la cour a d'une part annulé le jugement
du 27 janvier 1999 en tant que ce jugement est relatif au refus de communication
opposé par l'A.F.D.A.I.M., d'autre part rejeté sa demande comme portée devant une
juridiction incompétente pour en connaître ; Considérant qu'aux termes de l'article 2
de la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations
entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif,
social et fiscal, dans sa rédaction alors en vigueur : « sous réserve des dispositions
de l'article 6 les documents administratifs sont de plein droit communicables aux
personnes qui en font la demande, qu'ils émanent des administrations de l'Etat, des
collectivités territoriales, des établissements publics ou des organismes, fussent-ils
de droit privé, chargés de la gestion d'un service public » ; Considérant
qu'indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu
reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une
personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de
l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance
publique est chargée de l'exécution d'un service public ; que, même en
l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être
regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service
public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa
79

création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui


sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui
sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui
confier une telle mission ; Considérant qu'aux termes de l'article 167 du code de la
famille et de l'aide sociale alors en vigueur : « les centres d'aide par le travail,
comportant ou non un foyer d'hébergement, offrent aux adolescents et adultes
handicapés, qui ne peuvent, momentanément ou durablement, travailler ni dans les
entreprises ordinaires ni dans un atelier protégé ou pour le compte d'un centre de
distribution de travail à domicile ni exercer une activité professionnelle
indépendante, des possibilités d'activités diverses à caractère professionnel, un
soutien médico-social et éducatif et un milieu de vie favorisant leur épanouissement
personnel et leur intégration sociale./ … » ; que les centres d'aide par le travail sont
au nombre des institutions sociales et médico-sociales dont la création, la
transformation ou l'extension sont subordonnées, par la loi du 30 juin 1975 alors en
vigueur, à une autorisation délivrée, selon le cas, par le président du conseil général
ou par le représentant de l'Etat ; que ces autorisations sont accordées en fonction
des « besoins quantitatifs et qualitatifs de la population » tels qu'ils sont appréciés
par la collectivité publique compétente ; que les centres d'aide par le travail sont
tenus d'accueillir les adultes handicapés qui leur sont adressés par la commission
technique d'orientation et de reclassement professionnel créée dans chaque
département ; Considérant que si l'insertion sociale et professionnelle des
personnes handicapées constitue une mission d'intérêt général, il résulte
toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975, éclairées par leurs travaux
préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par
les organismes privés gestionnaires de centres d'aide par le travail revête le
caractère d'une mission de service public ; que, par suite, la cour administrative
d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que l'A.P.R.E.I. n'est pas
chargée de la gestion d'un service public ; qu'ainsi l'A.P.R.E.I. n'est pas fondée à
demander l'annulation de l'arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé ; que ses
conclusions tendant à la prescription d'une mesure d'exécution et à l'application des
dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être
rejetées par voie de conséquence ;
D E C I D E : Article 1er : La requête de l'A.P.R.E.I. est rejetée. Article 2 La
présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION DU PERSONNEL RELEVANT
DES ETABLISSEMENTS POUR INADAPTES, à l'A.F.D.A.I.M. et au ministre de
la santé et des solidarités.

Doc 5 : CE, 12 novembre 1997, Syndicat national professionnel des médecins


du travail, Tab. Rec. Un exemple d’obligation de créer un service public !
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mars et 30 juin
1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat présentés pour le SYNDICAT
80

NATIONAL PROFESSIONNEL DES MEDECINS DU TRAVAIL, ayant son


siège ... ; il demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler le jugement en date du 21
janvier 1994 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes
tendant, d'une part, à l'annulation de la décision en date du 23 mai 1991 par laquelle
le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de la Haute-Garonne a
refusé de dénoncer la convention qu'il a conclue le 31 juillet 1990 avec
l'Association pour la diffusion de la médecine de prévention et, d'autre part, à
l'annulation de la décision en date du 11 avril 1991 par laquelle le directeur
régional des affaires sanitaires et sociales de Midi-Pyrénées a refusé de dénoncer la
convention qu'il a conclue le 19 février 1990 avec l'Association pour la diffusion de
la médecine de prévention ; 2°) d'annuler lesdites décisions ; 3°) de condamner
l'Etat à lui verser la somme de 12 000 F au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647
du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ; (…)
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 10 du décret susvisé du 28 mai 1982, relatif à
l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la
fonction publique : "Un service de médecine de prévention est créé dans les
administrations et établissements visés à l'article 1er. Ce service peut être
commun à plusieurs administrations et établissements. Le service de médecine
de prévention a pour rôle de prévenir toute altération de la santé des agents du
fait de leur travail" ; qu'aux termes de l'article 11 du même décret : "Les
missions du service de médecine de prévention sont assurées par un ou
plusieurs médecins appartenant ou non à l'administration qui prennent le nom
de médecin de prévention" ;
Considérant qu'il résulte des dispositions susrappelées que les administrations
concernées ont l'obligation de créer, en leur sein, un service de médecine de
prévention ; que si le service de médecine de prévention a la faculté de faire
appel à des médecins n'appartenant pas à l'administration, aucune disposition
du décret précité ne permet à l'administration de confier à un organisme privé
l'ensemble des missions du service de médecine de prévention ; que, dès lors, le
directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de la Haute-Garonne et le
directeur régional des affaires sanitaires et sociales de Midi-Pyrénées ont méconnu
les dispositions du décret du 28 mai 1982 précité en confiant à l'Association pour la
diffusion de la médecine de prévention l'ensemble des missions de médecine de
prévention prévues par ledit décret ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le SYNDICAT NATIONAL
PROFESSIONNEL DES MEDECINS DU TRAVAIL est fondé à soutenir que c'est
à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses
demandes tendant à l'annulation des décisions par lesquelles le directeur
départemental des affaires sanitaires et sociales de la Haute-Garonne et le directeur
81

régional des affaires sanitaires et sociales de Midi-Pyrénées ont refusé de dénoncer


les conventions qu'ils ont conclues respectivement les 31 juillet 1990 et 19 février
1990 avec l'Association pour la diffusion de la médecine de prévention ; (…)
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 21 janvier 1994
et les décisions par lesquelles le directeur départemental des affaires sanitaires et
sociales de la Haute-Garonne et le directeur régional des affaires sanitaires et
sociales de Midi-Pyrénées ont refusé de dénoncer les conventions qu'ils ont
conclues respectivement les 31 juillet 1990 et 19 février 1990 avec l'Association
pour la diffusion de la médecine de prévention sont annulés. Article 2 : L'Etat
versera au SYNDICAT NATIONAL PROFESSIONNEL DES MEDECINS DU
TRAVAIL la somme de 12 000 F au titre des dispositions de l'article 75-I de la loi
du 10 juillet 1991. (…)

Doc 6. Cour de cassation chambre civile, Association nationale pour les


chèques vacances (l'ANCV) 23 mars 2011, n° de pourvoi : 10-11889
Attendu que, selon une convention de partenariat, l'Association nationale pour les
chèques vacances (l'ANCV), établissement public à caractère industriel et
commercial, a alloué à l'Union nationale des centres sportifs de plein air (l'UCPA)
une subvention de 70 000 euros . que, le contrôleur général de l'ANCV ayant refusé
d'accorder son visa, la subvention n'a pas été versée ; que l'UCPA a saisi le tribunal
administratif de Paris d'une requête tendant à voir annuler la décision par laquelle
l'ANCV avait refusé de lui verser la subvention convenue; que ce tribunal a rejeté
la requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître;
que l'UCPA a fait assigner l'ANCV en paiement devant le tribunal de grande
instance de Pontoise ; que le juge de la mise en état de cette juridiction a rejeté
l'exception d'incompétence soulevée par l'ANCV ;
(…) Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que l'ANCV fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 3 décembre 2009)
d'avoir décidé que le juge judiciaire était compétent pour connaître de la demande ;
Attendu que, lorsqu'un établissement public tient de la loi la qualité
d'établissement public industriel et commercial, les litiges nés de ses activités
relèvent de la compétence judiciaire, à l'exception de ceux relatifs à celles de
ses activités qui, telle la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent
par leur nature de prérogatives de puissance publique ; qu'ayant relevé que le
fait d'exercer une mission de service public administratif n'était pas un critère
suffisant pour entraîner la compétence des juridictions de l'ordre
administratif et que l'ANCV n'exerçait pas de prérogatives de puissance
publique, la cour d'appel en a exactement déduit que les juridictions de l'ordre
judiciaire étaient compétentes pour connaître du litige ; que le moyen ne peut
être accueilli ; (…)
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne l'ANCV aux dépens ; (…)
82

Doc 7 : Conseil d'Etat, Section, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce


en détail de Nevers, le socialisme municipal
Vu la requête présentée pour : 1° la chambre syndicale de commerce en détail de
Nevers, représentée par le sieur X..., son Président en exercice ; 2° ledit sieur X...,
agissant en qualité de contribuable et d'habitant de la ville de Nevers, ladite requête
enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 29 septembre 1928 et
tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler une décision du 11 août 1928 par
laquelle le Préfet de la Nièvre a rejeté une demande des requérants tendant à faire
déclarer nulles de droit différentes délibérations du conseil municipal de Nevers
relatives à l'organisation d'un service municipal de ravitaillement - ensemble,
déclarer nulles de droit les délibérations dont s'agit ; Vu la loi du 24 mai 1872 ; Vu
la loi du 5 avril 1884 et le décret du 5 novembre 1926 ;
Considérant que si, en vertu de l'article 1er de la loi du 3 août 1926 qui l'autorisait à
apporter, tant aux services de l'Etat qu'à ceux des collectivités locales, toutes
réformes nécessaires à la réalisation d'économies, le Président de la République a
pu légalement réglementer, dans les conditions qui lui ont paru les plus conformes à
l'intérêt des finances communales, l'organisation et le fonctionnement des régies
municipales, les décrets des 5 novembre et 28 décembre 1926 par lesquels il a
réalisé ces réformes n'ont eu ni pour objet, ni pour effet d'étendre, en matière
de création de services publics communaux, les attributions conférées aux
conseils municipaux par la législation antérieure ; que les entreprises ayant un
caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l'initiative privée
et que les conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises de cette
nature en services publics communaux que si, en raison de circonstances
particulières de temps ou de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en
cette matière ;
Considérant que l'institution d'un service de ravitaillement municipal destiné
à la vente directe au public constitue une entreprise commerciale et qu'aucune
circonstance particulière à la ville de Nevers ne justifiait la création en 1923 et
le maintien au cours des années suivantes, d'un service municipal de cette
nature dans ladite ville ; que le sieur X... est dès lors fondé à soutenir qu'en
refusant de déclarer nulles de droit les délibérations par lesquelles le conseil
municipal de Nevers a organisé ce service, le Préfet de la Nièvre a excédé ses
pouvoirs ;
DECIDE : Article 1er : La décision du Préfet de la Nièvre en date du 11 août 1928
est annulée. Article 2 : Les délibérations du Conseil municipal de Nevers instituant
et organisant un service municipal de ravitaillement sont déclarées nulles de droit.
Article 3 : Expédition ... Intérieur.
Lire le commentaire GAJA 43, 21ème édition
83

Doc 8 : CE sect. 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 septembre
2005 et 5 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés
pour la COMMUNE D'AIX-EN-PROVENCE (Bouches-du-Rhône), représentée
par son maire ; la COMMUNE D'AIX-EN-PROVENCE demande au Conseil d'Etat
:
1°) d'annuler l'arrêt du 4 juillet 2005 par lequel la cour administrative d'appel de
Marseille a, à la demande de M. et Mme Jean-Louis A, annulé les jugements du 29
juin 2000 du tribunal administratif de Marseille rejetant leurs demandes tendant à
l'annulation pour excès de pouvoir des délibérations des 12 février et 26 mars 1998
du conseil municipal d'Aix-en-Provence décidant d'allouer à l'association pour le
festival international d'art lyrique et l'académie européenne de musique d'Aix-en-
Provence deux subventions d'un montant respectif de six et deux millions de
francs ; 2°) de mettre à la charge de M. et Mme A une somme de 5 000 euros au
titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
Considérant qu'après avoir relevé que l'association pour le festival
international d'art lyrique et l'académie européenne de musique d'Aix-en-
Provence s'était vu confier une mission de service public, la cour, pour annuler
les délibérations litigieuses, a jugé qu'une association ne pouvait exercer une
telle mission et bénéficier à ce titre d'une subvention que si elle était liée à une
personne publique par un contrat de délégation de service public conclu soit
en application des dispositions des articles 38 et suivants de la loi du 29 janvier
1993 soit en application des articles L. 1411-1 et suivants du code général des
collectivités territoriales ;
Considérant que, lorsque des collectivités publiques sont responsables d'un
service public, elles peuvent, dès lors que la nature de ce service n'y fait pas par
elle-même obstacle, décider de confier sa gestion à un tiers ; qu'à cette fin, sauf si
un texte en dispose autrement, elles doivent en principe conclure avec un opérateur,
quel que soit son statut juridique et alors même qu'elles l'auraient créé ou auraient
contribué à sa création ou encore qu'elles en seraient membres, associés ou
actionnaires, un contrat de délégation de service public ou, si la rémunération de
leur cocontractant n'est pas substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du
service, un marché public de service ; qu'elles peuvent toutefois ne pas passer un tel
contrat lorsque, eu égard à la nature de l'activité en cause et aux conditions
particulières dans lesquelles il l'exerce, le tiers auquel elles s'adressent ne saurait
être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentiel ;
Considérant que, lorsqu'elles sont responsables d'un service public, des
collectivités publiques peuvent AUSSI décider d'en assurer directement la gestion ;
qu'elles peuvent, à cette fin, le gérer en simple régie, ou encore, s'il s'agit de
collectivités territoriales, dans le cadre d'une régie à laquelle elles ont conféré une
84

autonomie financière et, le cas échéant, une personnalité juridique propre ; qu'elles
doivent aussi être regardées comme gérant directement le service public si elles
créent à cette fin un organisme dont l'objet statutaire exclusif est, sous réserve d'une
diversification purement accessoire, de gérer ce service et si elles exercent sur cet
organisme un contrôle comparable à celui qu'elles exercent sur leurs propres
services leur donnant notamment les moyens de s'assurer du strict respect de son
objet statutaire, cet organisme devant en effet être regardé, alors, comme n'étant pas
un opérateur auquel les collectivités publiques ne pourraient faire appel qu'en
concluant un contrat de délégation de service public ou un marché public de service
; qu'un tel organisme peut notamment être mis en place lorsque plusieurs
collectivités publiques décident de créer et de gérer ensemble un service public ;
Considérant en outre que, lorsqu'une personne privée exerce, sous sa
responsabilité et sans qu'une personne publique en détermine le contenu, une
activité dont elle a pris l'initiative, elle ne peut, en tout état de cause, être
regardée comme bénéficiant de la part d'une personne publique de la dévolution
d'une mission de service public ; que son activité peut cependant se voir reconnaître
un caractère de service public, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de
délégation de service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en
raison de l'intérêt général qui s'y attache et de l'importance qu'elle revêt à ses yeux,
exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès
lors qu'aucune règle ni aucun principe n'y font obstacle, des financements ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en jugeant qu'une
association ne pouvait gérer un service public et bénéficier à ce titre d'une
subvention qu'à la condition d'être titulaire d'un contrat de délégation de
service public passé soit en application des dispositions des articles 38 et
suivants de la loi du 29 janvier 1993 soit en application des articles L. 1411-1 et
suivants du code général des collectivités territoriales, sans rechercher si, pour
l'une des raisons analysées ci-dessus, la passation d'un tel contrat pouvait ou
devait être exclue, la cour administrative d'appel de Marseille a entaché son
arrêt d'une erreur de droit ; que la COMMUNE D'AIX-EN-PROVENCE est
fondée pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de
sa requête, à en demander l'annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des
dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler
l'affaire au fond ;
Considérant d'une part que, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme A, le
tribunal administratif de Marseille a suffisamment répondu aux moyens tirés de
l'absence de convention de délégation de service public et de la méconnaissance
des dispositions de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales ;
Considérant d'autre part qu'il ressort des pièces du dossier que l'Etat, la région
Provence-Alpes-Côte d'Azur, le département des Bouches-du-Rhône et la commune
85

d'Aix-en-Provence ont CREE en 1996 une association pour le cinquantenaire du


festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence, devenue en 1997
l'association pour le festival international d'art lyrique et l'académie européenne
de musique d'Aix-en-Provence ; que cette association a pour objet statutaire
exclusif la programmation et l'organisation du festival international d'art lyrique et
de l'académie européenne de musique ; qu'elle se compose de trois représentants
de l'Etat, de quatre représentants des collectivités territoriales et de cinq
personnalités qualifiées, dont une est nommée par le maire d'Aix-en-Provence et
trois par le ministre chargé de la culture, ainsi que, le cas échéant, de membres
actifs ou bienfaiteurs ou encore d'entreprises, dont la demande d'adhésion doit être
agréée par le bureau et qui ne disposent pas de voix délibérative au sein de
l'association ; que son conseil d'administration est composé de quinze membres,
dont onze sont désignés par les collectivités publiques ; que les subventions versées
par les collectivités publiques mentionnées ci-dessus représentent environ la moitié
des ressources de l'association ; que celle-ci bénéficie en outre, de la part de la
commune d'Aix-en-Provence, de différentes aides, comme la mise à disposition de
locaux dans lesquels se déroule le festival et des garanties d'emprunt ;
Considérant que l'Etat, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le département des
Bouches-du-Rhône et la commune d'Aix-en-Provence ont ainsi décidé, sans
méconnaître aucun principe, de faire du festival international d'Aix-en-Provence un
service public culturel ; ….

Doc 9 : CE, Assemblée, 31/05/2006, Ordre des avocats au barreau de Paris


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 décembre
2004 et 20 avril 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés
pour l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS, dont le siège est 11,
place Dauphine à Paris cedex 01 (75053) ; l'ORDRE DES AVOCATS AU
BARREAU DE PARIS demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret du 19
octobre 2004 portant création de la mission d'appui à la réalisation des contrats de
partenariat ;
Vu les autres pièces du dossier ; (…)
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre
de l'économie, des finances et de l'industrie ;
Considérant que l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat,
ratifiée par la loi du 9 décembre 2004 de simplification administrative, dispose dans
son article 2 que : Les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que pour la
réalisation de projets pour lesquels une évaluation, à laquelle la personne publique
procède avant le lancement de la procédure de passation : a) Montre ou bien que,
compte-tenu de la complexité du projet, la personne publique n'est pas
objectivement en mesure de définir seule et à l'avance les moyens techniques
pouvant répondre à ses besoins ou d'établir le montage financier ou juridique du
86

projet, ou bien que le projet présente un caractère d'urgence ; b) Expose avec


précision les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif,
qui l'ont conduite, après une analyse comparative, notamment en termes de coût
global, de performance et de partage des risques, de différentes options, à retenir le
projet envisagé et à décider de lancer une procédure de passation d'un contrat de
partenariat. En cas d'urgence, cet exposé peut être succinct./ L'évaluation est
réalisée avec le concours d'un organisme expert choisi parmi ceux créés par décret ;
qu'aux termes de l'article 1er du décret du 19 octobre 2004 portant création de la
mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat : Il est créé un organisme
expert chargé de procéder en liaison avec toute personne intéressée à l'évaluation
prévue à l'article 2 de l'ordonnance susvisée. Il est rattaché au ministre chargé de
l'économie et des finances ; que selon l'article 2 du même décret : Cet organisme
expert fournit aux personnes publiques qui le demandent un appui dans la
préparation, la négociation et le suivi des contrats de partenariat. A ce titre, il peut,
en fonction de chacune des demandes : -rendre une expertise sur l'économie
générale des projets de contrats ; -assister les personnes publiques dans le cadre de
l'élaboration des projets de contrat. Cette assistance peut porter sur la négociation
des contrats. / Il élabore un rapport annuel ainsi que tout document utile organisant
un retour d'expériences. / Il propose au ministre chargé de l'économie et des
finances, en tant que de besoin, les évolutions de textes qui lui paraissent
nécessaires ;
Considérant que, si les dispositions de l'article 2 du décret attaqué qui autorisent la
mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat à assister les personnes
publiques qui le lui demandent dans la préparation, la négociation et le suivi des
contrats de partenariat vont au-delà des termes de l'habilitation donnée par
l'ordonnance du 17 juin 2004, le Premier ministre pouvait légalement, dans
l'exercice du pouvoir réglementaire qui lui est constitutionnellement reconnu,
attribuer de nouvelles compétences à cet organisme dès lors que d'une part,
s'agissant de l'Etat et de ses établissements publics, il s'est borné à organiser le bon
fonctionnement des services et que, d'autre part, s'agissant des collectivités
territoriales et de leurs établissements publics, il ne leur a offert qu'une simple
faculté qui n'a pu avoir pour effet de restreindre leurs compétences ;
Considérant que les personnes publiques sont chargées d'assurer les activités
nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont
investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique ;
qu'en outre, si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en
charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans
le respect tant de la liberté du commerce et de l'industrie que du droit de la
concurrence ; qu'à cet égard, pour intervenir sur un marché, elles doivent, non
seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier
d'un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l'initiative
87

privée ; qu'une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit
pas se réaliser suivant des modalités telles qu'en raison de la situation
particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport
aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu
de la concurrence sur celui-ci ;
Considérant qu'en chargeant la mission d'appui à la réalisation des contrats de
partenariat d'apporter aux personnes publiques qui le lui demandent un appui dans
la préparation, la négociation et le suivi des contrats de partenariat, l'article 2 du
décret attaqué s'est borné à mettre en oeuvre la mission d'intérêt général, qui relève
de l'Etat, de veiller au respect, par les personnes publiques et les personnes privées
chargées d'une mission de service public, du principe de légalité ; qu'en particulier,
en prévoyant que cet organisme peut fournir un appui dans la négociation des
contrats, le décret attaqué n'a pas entendu permettre à cette mission de les négocier
en lieu et place d'une personne publique contractante autre que l'Etat ; qu'ainsi,
aucune des attributions confiées à la mission d'appui à la réalisation des contrats de
partenariat n'emporte intervention sur un marché ; que par suite, les dispositions de
l'article 2 du décret attaqué n'ont eu ni pour objet, ni pour effet de méconnaître le
principe de la liberté du commerce et de l'industrie et le droit de la concurrence ;
qu'elles ne sont pas davantage contraires au principe d'égal accès à la commande
publique ; qu'enfin, dès lors qu'elles ne portent pas sur des prestations de services
au sens du droit communautaire, elles n'ont pu ni introduire de restrictions à la libre
prestation des services à l'intérieur de la Communauté européenne prohibées par les
stipulations de l'article 49 du traité instituant la Communauté européenne, ni
méconnaître l'égalité de traitement entre les candidats à la commande publique
issue du droit communautaire ;
Considérant qu'il résulte de tout de ce qui précède que l'ORDRE DES AVOCATS
AU BARREAU DE PARIS n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du 19
octobre 2004 portant création de la mission d'appui à la réalisation des contrats de
partenariat ;
D E C I D E : Article 1er : La requête de l'ORDRE DES AVOCATS AU
BARREAU DE PARIS est rejetée. (…)

Doc 10.
88

Egalité devant le service public


Doc 11. CE, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques
requête du sieur Denoyez z... tendant a l'annulation du jugement du 7 juin 1972 par
lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande dirigée contre la
décision du 3 juin 1971 du préfet de la Charente-Maritime refusant d'une part de le
faire bénéficier du tarif applique aux habitants de l'ile de Ré par la régie
départementale des passages d'eau, d'autre part de lui restituer un trop-perçu du prix
depuis 1964 et enfin d'abroger le tarif des cartes d'abonnement en vigueur depuis
janvier 1972 sur la liaison la Pallice-Sablanceaux, ensemble à l'annulation de ladite
décision et du tarif "abonnement" de 1972 ;
requête du sieur Chorques... Edouard tendant a l'annulation du jugement du 7 juin
1972 par lequel ledit tribunal a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 27
octobre 1971 du même préfet refusant de lui accorder le bénéfice du tarif applique
aux habitants de l'ile de Ré par la régie départementale des passages d'eau,
ensemble a l'annulation de la dite décision ; vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le
décret du 30 septembre 1953 ; le code général des impôts ;
Considérant que les requêtes susvisées du sieur y... et du sieur x... présentent a
juger la même question ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statue par une seule
décision ;
Sur les conclusions des requêtes tendant à l'annulation des décisions du préfet de la
Charente-Maritime : cons. que les sieurs y... et x..., tous deux propriétaires dans l'ile
de Ré de résidences de vacances, ont demandé au préfet de la Charente-Maritime
de prendre toutes dispositions pour que la régie départementale des passages d'eau,
qui exploite le service de bacs reliant la Pallice a Sablonceaux ile de Ré , leur
applique dorénavant non plus le tarif général mais soit le tarif réduit réservé aux
habitants de l'ile de re, soit, a défaut, le tarif consenti aux habitants de la Charente-
Maritime ; que, par deux décisions, respectivement en date des 3 juin et 27 octobre
1971, le préfet a refusé de donner satisfaction a ces demandes ; que, par les
89

jugements attaques, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté les requêtes


introduites contre ces décisions par les sieurs y... et x... ;
Cons. que le mérite des conclusions des requêtes est subordonne à la légalité des
trois tarifs distincts institues, sur la liaison entre la Pallice et l'ile de Ré, par le
conseil général de la Charente-Maritime et mis en vigueur par un arrêté préfectoral
du 22 mai 1970 ;
Cons. que la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service
rendu, a diverses catégories d'usagers d'un service ou d'un ouvrage public
implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il
existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une
nécessite d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du
service ou de l'ouvrage commande cette mesure ;
Cons., d'une part, qu'il existe, entre les personnes résidant de manière permanente a
l'ile de re et les habitants du continent dans son ensemble, une différence de
situation de nature a justifier les tarifs de passage réduits applicables aux habitants
de l'ile ; qu'en revanche, les personnes qui possèdent dans l'ile de re une simple
résidence d'agrément ne sauraient être regardées comme remplissant les conditions
justifiant que leur soit applique un régime préférentiel ; que, par suite, les
requérants ne sont pas fondes a revendiquer le bénéfice de ce régime ;
Cons., d'autre part, qu'il n'existe aucune nécessite d'intérêt général, ni aucune
différence de situation justifiant qu'un traitement particulier soit accordé aux
habitants de la Charente-Maritime autres que ceux de l'ile de Ré ; que les charges
financières supportées par le département pour l'aménagement de l'ile et
l'équipement du service des bacs ne sauraient, en tout état de cause, donner une
base légale a l'application aux habitants de la Charente-Maritime d'un tarif de
passage différent de celui applicable aux usagers qui résident hors de ce
département ; que, par suite, le conseil général ne pouvait pas légalement édicter un
tarif particulier pour les habitants de la Charente-Maritime utilisant le service de
bacs pour se rendre a l'ile de re ; que, par voie de conséquence, les sieurs y... et x...
ne sauraient utilement se prévaloir des dispositions illégales du tarif des passages
pour en demander le bénéfice ; qu'ils ne sont, des lors pas, sur ce point, fondes a se
plaindre que, par les jugements attaques, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté
leurs requêtes ;

Laïcité
Doc 12. CE 28 juillet 2017, Mme C, n° 390740 390741 390742
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 390740, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés
les 4 et 9 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme C.
demande au Conseil d'État : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision
implicite de refus née du silence gardé par le ministre des Affaires sociales, de la
90

santé et des droits des femmes sur sa demande tendant à l'abrogation partielle des
dispositions de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement
des instituts de formation paramédicaux ; 2°) d'enjoindre au ministre d'abroger les
dispositions litigieuses ; 3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros
au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 390741, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés
les 4 et 9 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme A.
demande au Conseil d'État : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision
implicite de refus née du silence gardé par le ministre des Affaires sociales, de la
santé et des droits des femmes sur sa demande tendant à l'abrogation partielle des
dispositions de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement
des instituts de formation paramédicaux ; 2°) d'enjoindre au ministre d'abroger les
dispositions litigieuses ; 3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros
au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
3° Sous le n° 390742, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés
les 4 et 9 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Association de
défense des droits de l'homme - collectif contre l'islamophobie en France demande
au Conseil d'État : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de
refus née du silence gardé par le ministre des Affaires sociales, de la santé et des
droits des femmes sur sa demande tendant à l'abrogation partielle des dispositions
de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de
formation paramédicaux ; 2°) d'enjoindre au ministre d'abroger les dispositions
litigieuses ; 3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ; (… )
1. Considérant que l'article 10 de l'arrêté ministériel du 21 avril 2007 relatif aux
conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux dispose que
les règlements intérieurs de ces instituts doivent comporter au minimum les règles
définies à l'annexe IV du même arrêté ; que cette annexe IV définit un règlement
intérieur type, dont le deuxième alinéa du chapitre Ier du Titre II prévoit que : «
Les signes et les tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance à une
religion sont interdits dans tous les lieux affectés à l'institut de formation ainsi
qu'au cours de toutes les activités placées sous la responsabilité de l'institut de
formation ou des enseignants, y compris celles qui se déroulent en dehors de
l'enceinte dudit établissement » ; que Mmes C. et A., élèves à l'Institut de
formation des soins infirmiers dépendant de l'Hôpital Saint-Antoine à Paris, et
l'Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en
France ont demandé par un courrier du 27 janvier 2015 à la ministre des Affaires
sociales, de la santé et des droits des femmes d'abroger les dispositions précitées de
l'annexe IV de l'arrêté du 21 avril 2007 ; qu'ils demandent l'annulation pour excès
de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardée par la ministre sur
91

leur demande d'abrogation ; qu'il y a lieu de joindre leurs requêtes pour statuer par
une seule décision ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre
public établi par la loi » ; qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution du 4 octobre
1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; qu'il
résulte de l'article L. 636-1 du code de l'éducation que les études supérieures
préparant aux professions de santé autres que les professions médicales,
pharmaceutiques et odontologiques sont organisées conformément aux dispositions
du code de la santé publique et du code de l'éducation ; qu'aux termes de l'article L.
141-6 du code de l'éducation : « Le service public de l'enseignement supérieur est
laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou
idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il
doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre
développement scientifique, créateur et critique » ; qu'aux termes de l'article L.
811-1 du même code : « Les usagers du service public de l'enseignement supérieur
sont les bénéficiaires des services d'enseignement, de recherche et de diffusion des
connaissances et, notamment, les étudiants inscrits en vue de la préparation d'un
diplôme ou d'un concours, les personnes bénéficiant de la formation continue et les
auditeurs./ Ils disposent de la liberté d'information et d'expression à l'égard des
problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à
titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux
activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public [...]
» ; qu'aux termes, enfin de l'article L. 141-5-1 du même code : « Dans les écoles,
les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves
manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » ; que les
instituts de formation paramédicaux étant des établissements d'enseignement
supérieur, leurs élèves ont, lorsqu'ils suivent des enseignements théoriques et
pratiques en leur sein, la qualité d'usagers du service public ; qu'il résulte des
dispositions citées précédemment qu'ils sont, en cette qualité, sauf lorsqu'ils
suivent un enseignement dispensé dans un lycée public, libres de faire état de
leurs croyances religieuses, y compris par le port de vêtement ou de signes
manifestant leur appartenance à une religion, sous réserve de ne pas perturber
le déroulement des activités d'enseignement et le fonctionnement normal du
service public notamment par un comportement revêtant un caractère
prosélyte ou provocateur ;
3. Considérant, d'autre part, que l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État
d'infirmier prévoit que la durée de la formation des élèves infirmiers est de 4 200
92

heures réparties sur trois années, dont 2 100 heures de formation théorique et 2 100
heures de formation clinique sous forme de stages ; que, lorsqu'ils effectuent un
stage dans un établissement de santé chargé d'une mission de service public,
les élèves infirmiers doivent respecter les obligations qui s'imposent aux agents
du service public hospitalier ; que, s'ils bénéficient de la liberté de conscience
qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de laïcité
fait obstacle à ce qu'ils manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre
du service public ; que, lorsque les élèves infirmiers effectuent leur stage dans
un établissement n'ayant aucune mission de service public, ils doivent
respecter, le cas échéant, les dispositions du règlement intérieur de cet
établissement qui fixent les conditions dans lesquelles ses agents peuvent faire
état de leurs croyances religieuses ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui est indiqué aux points 2 et 3 ci-dessus qu'en
interdisant aux élèves des instituts de formations paramédicaux, par les dispositions
précitées de l'annexe IV de l'arrêté du 21 avril 2007, de manifester leurs convictions
religieuses sans distinguer entre les situations dans lesquelles les élèves sont
susceptibles de se trouver en tant qu'usagers du service public ou en tant que
stagiaires dans un établissement de santé chargé d'une mission de service public, le
ministre a édicté une interdiction qui, par son caractère général, est entachée
d'illégalité ; que le litige ayant conservé son objet contrairement à ce que soutient le
ministre, les requérants sont, dès lors, fondés, à demander l'annulation de la
décision implicite de rejet née du silence gardée par la ministre sur leur demande
d'abrogation de ces dispositions ; que cette annulation implique nécessairement
l'abrogation ou la modification des dispositions réglementaires de l'annexe IV de
l'arrêté du 21 avril 2007 dont l'illégalité a été constatée ; qu'il y a lieu pour le
Conseil d'État d'enjoindre au ministre de procéder à l'abrogation des dispositions
litigieuses, ou à leur modification conformément à ce qui est indiqué aux points 2 et
3 ci-dessus; (…)
DECIDE : Article 1er : La décision implicite de rejet née du silence gardée par la
ministre sur la demande d'abrogation des dispositions du deuxième alinéa du
chapitre Ier du titre II de l'annexe IV de l'arrêté du 21 avril 2007 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre des Affaires sociales, de la santé et des
droits des femmes d'abroger ces dispositions ou de les modifier conformément
aux motifs de la présente décision. (…)

Doc 13. CE 9 novembre 2016 Fédération de la libre pensée de Vendée


[Voir aussi CE, 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs
de Seine-et-Marne]
Vu la procédure suivante :
La Fédération de la libre pensée de Vendée a demandé au tribunal administratif de
Nantes d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par lequel le président
93

du conseil général de la Vendée a rejeté sa demande tendant à ce qu’il s’abstienne


d’installer tout élément de culte dans les locaux de l’hôtel de ce département durant
la période des fêtes de la fin de l’année 2012. Par un jugement n° 1211647 du 14
novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande que lui
avait présentée la Fédération de la libre pensée de Vendée.
Par un arrêt n° 14NT03400 du 13 octobre 2015, la cour administrative d’appel de
Nantes, faisant droit à l’appel formé par le département de la Vendée, a annulé ce
jugement, rejeté la demande présentée en première instance par la Fédération de la
libre pensée de Vendée et rejeté le surplus des conclusions présentées devant elle.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire,
enregistrés les 13 décembre 2015, 21 janvier et 15 février 2016, la Fédération de la
libre pensée de Vendée demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler l’arrêt n°
14NT03400 du 13 octobre 2015 de la cour administrative d’appel de Nantes ; 2°)
réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel ; 3°) de mettre à la
charge du département de la Vendée une somme de 5 000 euros au titre des
dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ; (…)
Considérant ce qui suit :
(…) 2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une lettre
du 3 septembre 2012, le président de la Fédération de la libre pensée de Vendée a
demandé au président du conseil général de la Vendée de s’abstenir de procéder à
l’installation de tout élément de culte, notamment d’une crèche de Noël, dans les
locaux du conseil général, durant la période des fêtes de la fin de l’année 2012. Une
crèche ayant néanmoins été installée dans le hall de l’hôtel du département durant
le mois de décembre 2012, la Fédération de la libre pensée de Vendée a demandé
au tribunal administratif de Nantes d’annuler pour excès de pouvoir la décision du
président du conseil général de procéder à cette installation. Par un jugement du 14
novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande. Par un
arrêt du 13 octobre 2015, la cour administrative d’appel de Nantes, faisant droit à
l’appel formé par le département de la Vendée, a annulé ce jugement. La
Fédération de la libre pensée de Vendée se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
3. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l’article 1er de la
Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ». La loi du 9
décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat crée, pour les
personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d’une part,
d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d’autre
part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l’égard des
cultes, en particulier en n’en reconnaissant ni n’en subventionnant aucun. Ainsi,
aux termes de l’article 1er de cette loi : « La République assure la liberté de
94

conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions
édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » et, aux termes de son article 2 : «
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ». Pour la
mise en œuvre de ces principes, l’article 28 de cette même loi précise que : « Il est
interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les
monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception
des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des
monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ». Ces dernières
dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à
l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement
public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou
marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à
cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes
publiques d’apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre
d’exposition. En outre, en prévoyant que l’interdiction qu’il a édictée ne
s’appliquerait que pour l’avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes
religieux existants à la date de l’entrée en vigueur de la loi.
4. Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une
pluralité de significations. Il s’agit en effet d’une scène qui fait partie de
l’iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais
il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui
accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les
fêtes de fin d’année.
5. Eu égard à cette pluralité de significations, l’installation d’une crèche de
Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un
emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un
caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un
culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière
appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit
être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de
cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, mais aussi du
lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu’il
s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service
public, ou d’un autre emplacement public.
6. Dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou
d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à
l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances
particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou
festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de
neutralité des personnes publiques.
95

7. A l’inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère


festif des installations liées aux fêtes de fin d’année notamment sur la voie
publique, l’installation à cette occasion d’une crèche de Noël par une personne
publique est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme
ou de revendication d’une opinion religieuse.
8. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel
de Nantes s’est fondée sur la circonstance que la crèche installée dans le hall
du conseil général de la Vendée s’inscrivait dans le cadre de la préparation de
la fête familiale de Noël pour estimer qu’elle ne constituait pas, en l’absence de
tout élément de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse, un
signe ou emblème religieux contraire à l’article 28 de la loi du 9 décembre
1905 et au principe de neutralité des personnes publiques. En statuant de la
sorte sans rechercher si cette installation résultait d’un usage local ou s’il
existait des circonstances particulières permettant de lui reconnaître un
caractère culturel, artistique ou festif, la cour administrative d’appel de
Nantes a entaché son arrêt d’erreur de droit.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens du pourvoi, la Fédération de la libre pensée de Vendée est fondée à
demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. (…)
D E C I D E : (…) Article 2 : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes
du 13 octobre 2015 est annulé. Article 3 : L’affaire est renvoyée devant la cour
administrative d’appel de Nantes. (…)

Document 14. LOI n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des


principes de la République
Article 1
I. - Lorsque la loi ou le règlement confie directement l'exécution d'un
service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est
tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public et de veiller au
respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les
mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou
les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de
direction, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public, s'abstiennent
notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de
façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur
dignité.
Cet organisme veille également à ce que toute autre personne à laquelle il
confie, en tout ou partie, l'exécution du service public s'assure du respect de ces
obligations.
Les organismes mentionnés à l'article L. 411-2 du code de la construction et
de l'habitation et les sociétés d'économie mixte de construction et de gestion de
logements sociaux agréées dans les conditions prévues à l'article L. 481-1 du
96

même code, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public, ainsi que les
entreprises ferroviaires, lorsqu'elles assurent des services librement organisés de
transport ferroviaire de voyageurs mentionnés à l'article L. 2121-12 du code des
transports, à l'exception des services de transport international de voyageurs,
sont soumis aux obligations mentionnées au premier alinéa du présent I.
Les dispositions réglementaires applicables aux organismes mentionnés au
présent I précisent les modalités de contrôle et de sanction des obligations
mentionnées au présent I.
II. - Lorsqu'un contrat de la commande publique, au sens de l'article L. 2 du
code de la commande publique, a pour objet, en tout ou partie, l'exécution d'un
service public, son titulaire est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le
service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du
service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il
veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité
hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu'ils participent à l'exécution du
service public, s'abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques
ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur
liberté de conscience et leur dignité.
Le titulaire du contrat veille également à ce que toute autre personne à
laquelle il confie pour partie l'exécution du service public s'assure du respect de
ces obligations. Il est tenu de communiquer à l'acheteur chacun des contrats de
sous-traitance ou de sous-concession ayant pour effet de faire participer le sous-
traitant ou le sous-concessionnaire à l'exécution de la mission de service public.
Les clauses du contrat rappellent ces obligations et précisent les modalités de
contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celui-ci n'a pas pris les mesures
adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés.
III. - Le dernier alinéa du II s'applique aux contrats de la commande publique
pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à
la publication à compter de la publication de la présente loi.
Les contrats pour lesquels une consultation ou un avis de publicité est en
cours à la date de publication de la présente loi et les contrats en cours à cette
même date sont modifiés, en tant que de besoin, pour se conformer aux
obligations mentionnées au dernier alinéa du II dans un délai d'un an à compter
de cette date ; toutefois, cette obligation de mise en conformité ne s'applique pas
à ceux de ces contrats dont le terme intervient au cours des dix-huit mois suivant
la publication de la présente loi.
Article 2
I.- Au début du chapitre IV du titre III du livre IV du code de la sécurité
intérieure, il est ajouté un article L. 434-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 434-1 A.- Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de la
police nationale ou de la gendarmerie nationale déclare solennellement servir
avec dignité et loyauté la République, ses principes de liberté, d'égalité et de
fraternité et sa Constitution par une prestation de serment. »
97

II.- Au début du chapitre V du titre Ier du livre V du code de la sécurité


intérieure, il est ajouté un article L. 515-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 515-1 A. - Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de la
police municipale déclare solennellement servir avec dignité et loyauté la
République, ses principes de liberté, d'égalité et de fraternité et sa Constitution
par une prestation de serment. »
III.- Après le premier alinéa de l'article 11 de la loi n° 2009-1436 du 24
novembre 2009 pénitentiaire, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de l'administration
pénitentiaire déclare solennellement servir avec dignité et loyauté la République,
ses principes de liberté, d'égalité et de fraternité et sa Constitution par une
prestation de serment. »
Article 3
I.- Le chapitre IV de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et
obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa de l'article 25 est complété par une phrase ainsi
rédigée : « Le fonctionnaire est formé au principe de laïcité. » ;
2° Après l'article 28 bis, il est inséré un article 28 ter ainsi rédigé :
« Art. 28 ter.-Les administrations de l'Etat, les collectivités territoriales et les
établissements publics mentionnés à l'article 2 désignent un référent laïcité.
« Le référent laïcité est chargé d'apporter tout conseil utile au respect du
principe de laïcité à tout fonctionnaire ou chef de service qui le consulte. Il est
chargé d'organiser une journée de la laïcité le 9 décembre de chaque année. Les
fonctions de référent laïcité s'exercent sous réserve de la responsabilité et des
prérogatives du chef de service.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les missions ainsi que les modalités et
les critères de désignation des référents laïcité. »
II.-La loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives
à la fonction publique territoriale est ainsi modifiée :
1° Après le 10° de l'article 14, il est inséré un 10° bis ainsi rédigé :
« 10° bis La désignation d'un référent laïcité prévu à l'article 28 ter de la loi n°
83-634 du 13 juillet 1983 précitée ; »
2° Après le 14° du II de l'article 23, il est inséré un 14° bis ainsi rédigé :
« 14° bis La désignation d'un référent laïcité chargé des missions prévues à
l'article 28 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée ; ».
Article 4
Un décret précise les conditions dans lesquelles le référent laïcité des
établissements mentionnés à l'article 2 du titre IV du statut général des
fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales échange avec les agences
régionales de santé sur les manquements à l'exigence de neutralité des agents
publics desdits établissements.
Article 5
98

A la première phrase de l'avant-dernier alinéa des articles L. 2131-6, L. 3132-


1 et L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales, après le mot : «
individuelle, », sont insérés les mots : « ou à porter gravement atteinte aux
principes de laïcité et de neutralité des services publics, ».
Article 6
La sous-section 3 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre Ier de la
deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par
un article L. 2122-34-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2122-34-2.- Pour les attributions qu'ils exercent au nom de l'Etat, le
maire ainsi que les adjoints et les membres du conseil municipal agissant par
délégation du maire dans les conditions fixées à l'article L. 2122-18 sont tenus à
l'obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. »
Article 7
Après l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme, il est inséré un article L. 422-
5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 422-5-1.- Lorsque le maire ou le président de l'établissement public
de coopération intercommunale est compétent, il recueille l'avis du représentant
de l'Etat dans le département si le projet porte sur des constructions et
installations destinées à l'exercice d'un culte. » (…)

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