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Olivier Dujardin
Le système anti-aérien longue portée MIM-104 Patriot PAC-3 est une évolution du
modèle apparu au milieu des années 1980 qui se voulait le pendant du S-300 russe entré en
service quelques années auparavant. Ses premières versions ont eu une efficacité très
contestée, notamment lors de la première guerre du Golfe où le taux d’interception réel s’est
trouvé bien inférieur aux 97 % annoncés par le président George H. W. Bush1. Ensuite,
plusieurs transformations du système ont été effectuées dans le but d’en améliorer les
performances. La dernière version, dite « PAC-3 », reprend les capacités de la version PAC-2
GEM (version améliorée suite à la guerre du Golfe) puisqu’elle permet d’utiliser
indifféremment les missiles du PAC-2 et ceux du PAC-3.
Matériel moins médiatisé que le S-400 russe, le Patriot PAC-3 est peu à peu revenu sur
le devant de la scène depuis ses récents succès à l’exportation et surtout depuis que deux
batteries ont été fournies à l’Ukraine, une par les Etats-Unis, l’autre autre par l’Allemagne. Dès
qu’il a été crédité de la destruction de plusieurs missiles Kinzhal et Iskander-M, il est passé de
système « mal aimé » à celui de système « le plus performant du monde ». Mais comment
fonctionne-t-il, qu’a-t-il de différent par rapport à son concurrent S-400 russe ? Ses
performances annoncées sont-elles crédibles ? Pour répondre à ces questions, il convient de
bien comprendre l’architecture du système et son fonctionnement.
Architecture générale
L’architecture générale du MIM-104 PAC-3 n’a pas évolué dans le temps. La batterie se
compose toujours d’un radar de conduite de tir AN/MPQ-65 ou AN/MPQ-65A - en
remplacement de l’AN/MPQ-53 des versions antérieures -, d’un véhicule de commandement
Engagement Control Station (ECS) AN/MSQ-32 avec trois opérateurs, d’un véhicule OE-349
Antenna Mast Group permettant d’être connecté aux liaisons de données en UHF (liaison 16),
d’un véhicule énergie EPP-III et de 4 à 8 véhicules lanceurs de missiles M902/903.
L’AN/MPQ-65 est, comme son prédécesseur, un radar à balayage électronique PESA2
1
Il y a débat, mais le taux réel d’interception varierait de 10 à 40%.
2 https://cf2r.org/rta/radars-classiques-pesa-et-aesa-avantages-et-inconvenients/
___________________________________________________________________________
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2
Radar AN/MPQ-65
Les missiles
Pour résumer, les missiles développés pour le Patriot PAC-2 sont principalement
utilisés essentiellement pour l’interception à grande distance et en haute altitude des
aéronefs, quand les missiles développés pour le PAC-3 sont utilisés pour l’interception des
cibles plus complexes, comme les missiles balistiques ou les cibles manœuvrantes, évoluant à
basse altitude.
Ces missiles sont particulièrement onéreux, entre 3,3 et 4 millions de dollars selon le
modèle. D’ailleurs, depuis l’introduction du PAC-3 en 1995, seulement un peu plus de 4 600
missiles auraient été fabriqués1. Fin février 2023, Rocketdyne a annoncé avoir livré le
830 000e ACM (il y a 180 ACM par missile) pour les missiles PAC-3 et PAC-3 MSE, soit un
rythme de production annuel moyen inférieur à 200 unités. Ce qui est peu au regard de la
dizaine de nations équipées en PAC-3.
Principe de fonctionnement
Le radar est chargé de la détection de cibles potentielles dans le secteur qu’il surveille.
Il peut être relié par Liaison 16 avec d’autres radars mais, contrairement au S-400, il ne peut
engager une cible qu’il ne poursuit pas lui-même. C’est une évolution prévue dans le
programme LTAMDS qui permettra, à l’avenir, une intégration complète de différents radars
avec ceux des Patriot GhostEye, AN/MPQ-53 et AN/MPQ-65/65A mais aussi l’AN/MPQ-64
Sentinel, l’AN/TPS-80 G/ATOR, le GhostEye MR (NASAMS), les MFCR et SR du MEADS,
l’AN/SPY-1 et AN/SPY-6 (Aegis BMD), l’AN/TPY-2 (THAAD et GMD) et l’AN/APG-81 (F-35
Lightning II).
Une fois une cible détectée et validée par les opérateurs, le système tire deux missiles
en décalé, pour augmenter la probabilité de destruction, sur la position estimée de la cible au
moment de l’interception. Les missiles sont guidés par un signal de télécommande
directionnel émis par le radar mais, contrairement à la famille des S-300/400, la
télécommande est indépendante du radar et le signal est émis par une autre antenne située
en bas du radar. Le système pourrait engager simultanément jusqu’à 6 cibles.
1https://www.rocket.com/article/aerojet-rocketdyne-delivers-830000th-attitude-control-motor-patriot-
missile-investments
5
Depuis que les Ukrainiens ont revendiqué l’interception, grâce au Patriot, de pas moins
de 13 missiles hypersoniques Kinzhal (1 le 6 mai ,6 le 16 mai et 6 le 16 juin), la question doit
être posée.
Pour commencer, il faut comprendre ce qu’est ce missile hypersonique russe dont on
parle tant.
Contrairement à ce que l’on croit, le Kh-47M2 Kinzhal n’est pas en soi un objet de
« haute technologie » tel que généralement défini. C’est un missile propulsé par un moteur
fusée qui adopte une trajectoire semi-balistique surbaissée. Le guidage s’effectue par GNSS, le
GLONASS russe en l’occurrence, qui recale une centrale inertielle. Directement dérivé du
missile sol/sol Iskander-M, le Kinzhal aurait des dimensions un peu supérieures (1,2 m de
diamètre contre 0,94 m). Ce ne serait donc pas simplement un missile 9K720 Iskander-M
lancé par avion. Certaines sources parlent d’un guidage final électro-optique et/ou radar mais
rien ne permet de le confirmer.
Finalement, ce missile n’est qu’un lointain descendant du V2 allemand. Sa complexité
ne réside pas dans son électronique ou sa motorisation, mais dans son contrôle
aérodynamique. Cela demande des compétences pointues de la part des ingénieurs russes
mais ces éléments, une fois maîtrisés sont « facilement » réplicables. Cette mise au point
permet de tordre le cou aux estimations du prix de ce missile. Certains évoquent un prix du
missile dépassant les 20 millions de dollars, d’autres 10 millions, mais ces estimations sont
généralement élaborées sur la base d’extrapolation de technologie occidentale. Or, compte
tenu du fait que le coût moyen de l’armement russe est généralement 3 à 5 fois moins élevé
qu’en Occident et que la technologie utilisée reste relativement « simple », une estimation du
prix unitaire de ce missile autour de 1,2 ou 1,5 million de dollars paraît plus réaliste. Cela
reste néanmoins cher selon le standard russe, mais c’est compatible avec le fait que la ligne de
production est encore « artisanale » et n’est pas vraiment automatisée - ce qui laisse même
supposer que ce montant pourrait diminuer quand une chaîne de production industrielle sera
réellement opérationnelle.
Dans les grandes lignes, ce missile peut emporter une charge militaire de 480 kg sur
une distance de 1 500 à 2 000 km.
Le missile Kh-47M2 est lancé depuis un avion, MIG-31K ou Tu-22M3. Une fois largué, il
allume son moteur fusée pour grimper en altitude. Son altitude de vol n’est pas connue. Il
pourrait évoluer, comme son cousin l’Iskander-M, entre 50 et 80 km (au-dessus du plafond du
Patriot mais en-dessous du plancher du système anti-missile THAAD) ; d’autres sources
évoquent une hauteur de 200 km mais c’est sans doute dans le cas d’un tir sur une très courte
portée qui impose donc une trajectoire réellement balistique.
Une fois à son altitude de vol, il reprend un vol horizontal et atteint sa vitesse
maximale de Mach 10, soit 3,4 km/s. C’est pendant cette phase de vol qu’il serait le plus facile
à intercepter. Sa trajectoire est, à priori, stable et prévisible, mais encore faut-il disposer de
6
moyens antiaériens adaptés pour aller chercher une cible qui vole si haut et si vite (cette
phase de vol est de courte durée). Le Kh-47M2 maintient sa vitesse tant que son propulseur
fonctionne. Une fois que celui-ci s’arrête, le missile continue sa trajectoire en dégradant petit
à petit sa vitesse et son altitude. Il ne garde donc pas sa vitesse sur toute la durée du vol. Une
fois au-dessus de sa cible, le missile bascule vers le bas et plonge pratiquement à la verticale,
comme son cousin l’Iskander-M. La vitesse terminale dépend directement de la distance de la
cible. Plus la cible sera proche de la portée maximale de tir et moins le missile sera rapide, il
est possible que son déplacement en finale ne soit plus hypersonique (Mach 4?) puisqu’il aura
beaucoup dégradé sa vitesse tandis que sur une distance plus courte, le missile pourrait
garder une course finale assez proche de sa vitesse maximale (Mach 8?).
Par rapport au Patriot PAC-3 on peut en déduire que, si le Kinzahl est sans doute
détecté à une distance confortable par rapport aux capacités du radar, il vole trop haut pour
être pris à partie. Les opérateurs n’ont sans doute aucun mal à identifier cette cible tant les
caractéristiques cinématiques sont particulières. Le système de détection ne peut calculer une
trajectoire d’interception qu’à partir du moment où le missile est déjà en phase de descente
sur une trajectoire stabilisée c’est-à-dire environ 18 à 40 secondes au maximum avant son
impact (cela dépend de l’altitude du plongeon et de sa vitesse terminale). Pendant ce laps de
temps, le Patriot PAC-3 doit calculer la trajectoire et tirer ses missiles et ceux-ci doivent
rallier la cible (or le temps de vol minimal du missile est de 9 secondes pour le PAC-2 et
d’environ 3 à 4 s pour le PAC-3). C’est court, même très court, cela ne laisse qu’une fenêtre de
4 à 15 secondes à peine, entre le moment où le Kinzhal rentre dans le volume de tir et l’impact
final. Pour augmenter les chances d’interception, on peut imaginer que les opérateurs
anticipent des cheminements possibles avant même que le missile n’ait entamée sa descente.
Ainsi ils « prépositionnent » leurs propres missiles sur des tracés probables en espérant que
leur cible traverse l’un d’eux. Bien entendu les missiles qui ne sont pas sur la bonne
trajectoire sont perdus. Le problème de cette méthode est que cela implique de tirer un grand
nombre de projectiles pour une seule cible, sans garantie de résultat. C’est peut-être ce qui
explique la vidéo où l’on peut compter pas moins de 30 missiles tirés en moins de 2 mn1 (soit
près de 100 millions de dollars de missiles) ainsi que le grand nombre d’images de missiles
retombés pratiquement intacts.
1 https://twitter.com/ControlCompli8/status/1658284213399846913
8
Bien sûr, le raisonnement ne tient pas compte du fait que le Kh-47M2 est susceptible
de manœuvrer légèrement (suffisamment pour rendre caduque une trajectoire
d’interception) et qu’il pourrait aussi disperser des leurres, ce qui complique encore une
interception potentielle déjà difficile par nature.
On se rend compte que, si le Patriot PAC-3 peut effectivement abattre un Kinzhal, cela
reste extrêmement coûteux en missiles avec un taux de réussite qui restera faible. On peut
globalement étendre cette analyse au missile Iskander-M qui bien, qu’un peu moins rapide,
présente globalement les mêmes difficultés.
En l’état, alors qu’il n’existe toujours aucune preuve formelle que des Kinzhal ont bien
été abattus, on peut tout de même fortement douter que les Ukrainiens aient pu, à deux
reprises, en éliminer 6 d’un coup. Comme on ignore combien de missiles russes ont été lancés
et combien ont atteint leur but - au moins deux le 16 mai si on en croit les images, dont un a
endommagé une batterie Patriot - tout repose sur les déclarations des uns et des autres. La
confirmation américaine concernant le premier Kinzhal censé être abattu est aussi à prendre
avec précaution car, après les déclarations ukrainiennes, il était difficile pour les Américains
d’entrer en contradiction, surtout que cela procure un bénéfice énorme en termes d’image de
marque sur leur produit.
Fait intéressant, Gregory J. Hayes, le PDG du groupe américain Raytheon, fabriquant du
Patriot, a donné une explication dans le Wall Street Journal pour le moins surprenante, pour
ne pas dire improbable, à propos de ces interceptions1. Il a déclaré que les Ukrainiens ont
réussi à modifier « le logiciel du système Patriot pour qu’il puisse suivre et détruire les missiles
hypersoniques » russes. Outre le fait qu’on ne peut pas modifier comme ça le logiciel d’un tel
système et qu’aucune modification logicielle ne peut changer les caractéristiques physiques
d’un matériel, cette déclaration indique que le PDG du fabriquant lui-même ne se risque pas à
affirmer que les Patriot PAC-3 peuvent nativement contrer efficacement de type de missile…
Il apparaît également extrêmement improbable que les Américains aient fourni les
codes sources aux Ukrainiens et encore plus qu’ils aient pu être modifiées efficacement en si
peu de temps par des personnes découvrant le système. Toute modification de code source
d’un tel système d’arme est un exercice délicat qui demande beaucoup de temps, d’essais et
1 https://www.wsj.com/articles/u-s-patriot-missile-is-an-unsung-hero-of-ukraine-war-db6053a0
9
de précautions. Chacun traduira comme il l’entend ces déclarations, mais on peut les voir
comme un moyen de ne pas contredire les Ukrainiens sans pour autant confirmer leurs
assertions.
En ce qui concerne l’information selon laquelle un Kinzhal ait touché et endommagé
une batterie Patriot, il faut prendre en compte le fait que, le missile ayant un angle de
descente pratiquement vertical, cela complique encore grandement l’interception. En effet, le
Patriot tire ses missiles dans une direction donnée avec un angle d’élévation de 38°, ce qui
rallonge le temps de vol du missile et lui fait perdre beaucoup d’énergie pour redresser sa
trajectoire. De plus, la liaison de télécommande du missile étant directive, on peut avoir des
interrogations sur la possibilité que le signal puisse être suffisamment dépointé pour guider
un missile qui se trouve juste au-dessus du radar ; comme on peut aussi douter de la capacité
du radar à réellement poursuivre une cible qui se trouve à la verticale de sa position, c’est-à-
dire certainement dans le cône aveugle de son angle de détection, même si celui-ci est réduit
dans le cas du Patriot. Autre point à considérer, il est possible que le radar doive se
repositionner pour suivre la cible. Or, non seulement cela fait perdre encore de précieuses
secondes mais, en plus, pour qu’il reste en mesure de guider les missiles, il faut aussi
repositionner les lanceurs dans la même direction. Ce sont encore autant de secondes
perdues alors même que le temps de réaction est particulièrement court.
Pour conclure ce point, il apparaît très improbable qu’une batterie Patriot soit en
mesure de se défendre contre un Kinzhal qui l’attaquerait directement. Si des Kinzhal ont bien
été abattus, ce sont probablement des missiles qui visaient une autre position que le Patriot
tireur.
A ce jour il n’existe aucun système anti-aérien qui soit réellement en mesure de faire
face à ce type de menace et aucun ne ferait fondamentalement mieux qu’un Patriot PAC-3.
Il est aussi à noter, qu’à compter du 16 mai dernier, il devient de plus en plus
compliqué de connaître l’efficacité réelle de la défense sol/air ukrainienne puisque le
gouvernement ukrainien a durci les sanctions contre ceux qui diffusent des images des
attaques, des dégâts ou des tirs anti-aériens. D’ailleurs 6 bloggers qui ont diffusé les images
de cette nuit-là ont été arrêtés par le SBU, le service de sécurité ukrainien ; ils encourent 8 ans
de prison. Sans images, où plutôt avec uniquement les images choisies avec soin par les
autorités ukrainiennes, il faut être extrêmement prudent quant aux déclarations sur le
nombre et la nature des cibles abattues.
Comme je l’ai fait pour le S-4001, je vais résumer les capacités du Patriot PAC-3 en six
questions :
1 https://cf2r.org/rta/comment-fonctionne-le-systeme-antiaerien-russe-s-400/
10
Le MIM-104 Patriot PAC-3 est un système très perfectionné mais plus spécialisé que le
S-400 qui est bien plus versatile. Néanmoins, il bénéficie d’une empreinte logistique plus
faible avec un seul radar et seulement trois types de missiles, mais il est moins mobile que son
concurrent qui peut être déplacé plus rapidement (plusieurs heures pour déployer une
batterie Patriot contre une dizaine de minutes pour un S-400). Il demande aussi un personnel
important pour sa mise en œuvre (90 personnes), ce qui est beaucoup. Le système de
lancement incliné des missiles limite aussi les sites de déploiement car il lui faut des positions
dégagées ne gênant pas les tirs, contrairement au S-400 qui tire ses missiles verticalement et
qui est donc moins dérangé par les obstacles alentour. Le principal point faible du Patriot est
le prix exorbitant de ses missiles qui fait que son utilisation doit être réservée à certaines
cibles de haute valeur.
11
Cela reste un système extrêmement performant mais, comme tout système d’armes, il
n’est pas « magique ». Le temps nous dira quelles auront été ses performances réelles en
Ukraine ; mais, comme souvent, il faut s’attendre à un bilan bien plus mesuré que ce que les
annonces à chaud peuvent laisser penser surtout qu’elles sont difficilement vérifiables.
D’un point de vue rapport qualité/prix, et c’est un avis personnel, je le classerais
derrière le S-400 qui est plus versatile, plus mobile, plus souple d’emploi, qui bénéficie d’un
bien plus grand volume d’interception (portée plus grande), dont les munitions coûtent bien
moins cher et qui peut être intégré dans un réseau de détection radar qui en optimise
l’emploi.
Olivier Dujardin
Juin 2023