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85-1/2 | 2015
Sur les pas de Geneviève Calame-Griaule
Adama Djigo
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/africanistes/4617
DOI : 10.4000/africanistes.4617
ISSN : 1957-7850
Éditeur
Société des africanistes
Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2015
Pagination : 312-357
ISBN : 978-2-908948-43-1
ISSN : 0399-0346
Référence électronique
Adama Djigo, « Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au
Sénégal », Journal des africanistes [En ligne], 85-1/2 | 2015, mis en ligne le 07 juillet 2016, consulté le
13 juillet 2023. URL : http://journals.openedition.org/africanistes/4617 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
africanistes.4617
Résumé
Patrimoine culturel et identité nationale :
construction historique d’une notion au Sénégal
Cet article s’inscrit dans une réflexion engagée depuis plusieurs
années, dans le cadre de mes travaux académiques, sur le patrimoine
(culturel et naturel) et les processus de patrimonialisation au Sénégal.
Cette présentation examine la trajectoire du patrimoine culturel dans
la construction de l’État sénégalais colonial et post-indépendance. Elle
interroge les politiques culturelles étatiques trop souvent déconnec-
tées des réalités vécues par les populations. Il s’agit ici d’essayer de
comprendre la dualité dans l’appropriation de patrimoines culturels
au Sénégal. La discussion tourne autour des enjeux culturels ou poli-
tiques de mises en scène et de normalisation du patrimoine. Elle tente
de comprendre les logiques de patrimonialisation par les différentes
autorités politiques sénégalaises. Enfin, l’analyse interroge la représen-
tation du patrimoine culturel par les Sénégalais.
Mots-clés : Patrimoine, patrimonialisation, identité,
mémoire, histoire, nation.
Abstract
Cultural Heritage and National Identity:
historical construction of the concept in Senegal
This article is part of an investigation initiated several years ago,
as part of my academic research into Senegal’s cultural and natural
heritage and the process of heritagization in Senegal. The paper
examines the trajectory of cultural heritage during the construction of
the Senegalese State in the colonial and post-independence periods. It
questions the government’s cultural policies, which are all too often
disconnected from the realities experienced by the population. The aim
here is to try to understand the duality in the appropriation of cultural
heritage in Senegal. The discussion focuses not only on the cultural
or political stake-holders in the staging and legislation of heritage,
but also on the logic of heritagization pursued by various Senegalese
political authorities. Finally, the analysis looks at the Senegalese
people’s representation of the concept of heritage.
Keywords: heritage, heritagization, identity,
memory, history, nation.
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ
NATIONALE : CONSTRUCTION HISTORIQUE
D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL
ADAMA DJIGO
CHERCHEUSE ASSOCIÉE À L’AFRICAN
STUDIES CENTRE LEIDEN (PAYS-BAS)
1. Il ne s’agit pas ici de revenir sur les notions générales de patrimoine et de patrimonialisation.
Le lecteur soucieux de tels détails peut se reporter aux nombreux travaux consacrés à ces ques-
tions. Voir la bibliographie dans Djigo 2015.
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dépendances », le Sénégal, c’est-à-dire Saint-Louis, les dépendances étant Gorée et les établisse-
ments de la Petite-Côte, Rufisque, Joal et Portudal. De part et d’autre de la colonie du Sénégal,
l’espace comprend une diversité d’entités politiques et sociales : les royaumes wolof comme
le Walo, le Djolof, le Cayor et le Baol ; ceux, sereer, du Sine et du Saloum ; celui, pulaar, du
Tékrour ou le Fouta Tooro ; ceux, soninke, comme le Khasso et le Gadiaga ou le Galam ; ceux,
manding, comme le Niani, le Wouli, le Bambouk, le Badibou ; et les différentes principautés
de la Casamance : joola, manding, balant, baïnuk. Voir Cultru 1910, Mbaye 1991, Diouf 2001.
6. La nomination de Faidherbe à la tête du gouvernement du Sénégal, le 16 décembre 1854,
marque une phase importante de la conquête du pays. Cette nomination n’est pas fortuite, car il
fallait « s’apprivoiser » les Noirs et les Maures du Trarza et du Brakna : ce gouverneur a étudié
le monde musulman pendant six ans en Algérie, a été en contact avec les Noirs pendant deux
ans à la Guadeloupe (où il a assisté à la proclamation de la liberté), et en deux ans, au Sénégal,
il a parcouru toute la colonie, il a fait partie de l’expédition du commandant Baudin à Grand-
Bassam, et s’est tenu informé des questions en instance. Faidherbe parvient à imposer la recon-
naissance de l’autorité française à des régions qui l’avaient jusque-là contestée (comme le Walo,
le Fouta, le Djolof, le littoral). Après le départ de Faidherbe (mai 1865), ses successeurs continu-
ent la politique expansionniste. Ils mènent des campagnes au Cayor, au Djolof, au Fouta, dans le
Haut-Fleuve, au Saloum et en Casamance. Le découpage administratif colonial parachève le dé-
mantèlement des anciens royaumes précoloniaux et le remplacement des oligarques locaux. Un
nouvel ordre colonial se substitue à l’ancien, avec des hiérarchies revisitées (voir Brunel 1892).
7. Sur le plan démographique, Saint-Louis et Gorée présentaient la particularité d’avoir une
population hétérogène. Outre ceux qu’on appelait les « habitants » (les mulâtres, signares, gour-
mets, musulmans, plus importants en nombre, à Saint-Louis, et comprenant plusieurs identi-
tés sociolinguistiques), cette population compte des Européens (Français, Antillais ou autres
Européens) et des esclaves ou captifs libérés, selon les périodes. Au contraire, la population
des communes de Dakar et de Rufisque était beaucoup plus homogène dans sa composition,
majoritairement lebu et wolof, comptant notamment, aux côtés d’autres minorités linguistiques,
quelques Gourmets, Sereer, et Hal-pulaaren. La concentration des structures coloniales dans
les capitales administratives – de la colonie du Sénégal et de l’Afrique occidentale française
(AOF) – Saint-Louis puis Dakar favorisait le flux de migrants venus de contrées voisines et
lointaines (Fouta-Tooro, Walo, Djolof, Mauritanie, Sierra Léone, Niger, Maroc, Antilles). Cette
composition hétérogène de la population favorisait la production et le développement d’une cul-
ture hybride avec des influences européennes, arabo-musulmanes, africaines (voir Boilat 1984 ;
Johnson 1991 ; Diouf 2001).
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8. Le terme indigène est utilisé dans la littérature de l’époque coloniale pour désigner
l’autochtone et tout ce qui s’attache à lui ; jusqu’à la fin du XIXe siècle, il l’est souvent de façon
péjorative, pour justifier l’impérialisme français et sa politique d’assimilation culturelle.
9. Dans ces villes, nommées les Quatre Communes du Sénégal, la politique, selon le modèle
européen, s’implante dès le XVIIIe siècle. Saint-Louis et Gorée ont déjà des maires africains, au
moment de la Révolution française, et élisent un député à l’Assemblée nationale à Paris, en 1848.
La loi municipale métropolitaine de 1872 accorde aux centres urbains de Gorée et de Saint-Louis
le statut de communes. Rufisque et Dakar accèdent respectivement au statut de communes de
plein exercice en 1880 et 1887. Les habitants des Quatre Communes élisent un conseil municipal
et un député sénégalais à l’Assemblée nationale à Paris. Ils sont pourvus des mêmes droits civils
et politiques que les métropolitains, à condition de se soumettre aux codes culturels et civils
français (voir Johnson 1991).
10. Voir Djigo 2012.
11. On peut citer l’île de Gorée (elle fut, pendant la période de traite atlantique, briguée par
les compagnies commerciales portugaises, néerlandaises, anglaises et françaises), chargée de
mémoire pour les Français qui l’avaient prise sur les Hollandais en 1677. L’île de Gorée tout
entière avait été déclarée site historique et inscrite sur la liste des Monuments naturels et des
sites relevant du ministère des Colonies par l’arrêté no 2272 du 15 novembre 1944. Cette mesure
permettait à Gorée de sauvegarder son cachet colonial et de conserver le style XVIIIe-XIXe siècle
qui fait une bonne partie de son charme. D’autres monuments coloniaux, des sites naturels ou
archéologiques, des objets d’art et lieux de mémoire indigènes furent également inscrits sur
la liste officielle ou proposés au classement. Il s’agissait de la presqu’île dite « pointe des Al-
madies » (classée par arrêté no 223 du 10 août 1942) ; d’une collection d’objets anciens en or de
style baoulé-ashanti du XVIIe ou XVIIIe siècle (acquise par l’IFAN de Dakar en 1945 et classée
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L’inscription sur ces listes est prononcée par arrêté du chef du territoire,
sur proposition de la Commission des monuments historiques et des arts
indigènes. La liste de classement des monuments et sites est publiée au
Journal officiel de l’AOF.
par arrêté no 1791 du 14 mai 1946) ; de la tour de guet de Dialakhar (située à environ 40 km au
sud-est de Saint-Louis et construite en 1856) ; d’arbres sacrés et lieux de mémoire de la commu-
nauté lebu à Dakar, de sites archéologiques découverts à Dakar et Saint-Louis. Voir Djigo 2012.
12. Du point de vue législatif, le décret du 25 août 1937, tendant à la protection des monuments
naturels et des sites à caractère historique, scientifique, légendaire ou pittoresque des colonies,
pays de protectorat et territoires sous mandat relevant du ministère des Colonies, étend en AOF
la protection du patrimoine historique monumental. Mais la récupération et la restauration, par
les Français, du patrimoine bâti ancien, pour les besoins du commerce ou de l’administration,
remontent à bien avant les mesures juridiques de protection patrimoniale : on peut citer, à titre
illustratif, les travaux de réparation des forts de Gorée en 1698 (ordonnés par André Brüe), ceux
du fortin de Portudal au XVIIIe siècle, la réappropriation, à Ziguinchor, des bâtiments ayant
abrité l’ex-maison de commerce Maurel et Prom ainsi que l’ex-hôtel de ville. Voir Djigo 2015.
13. Lettre de Théodore Monod (no 580/IFAN), adressée à Monsieur le Directeur des affaires
politiques, administratives et sociales du gouvernement français, datée du 26 février 1947. Ar-
chives nationales du Sénégal, sous-série O 625 (31).
14. Journal officiel, article 2 du décret du 25 août 1937, tendant à la protection des monuments
naturels et des sites de caractère historique, scientifique, légendaire ou pittoresque des colonies,
pays de protectorat et territoires sous mandat relevant du ministère des Colonies (Journal of-
ficiel AOF no 1744 du 16 octobre 1937 : 1063-1065) ; article 1er, loi no 561106 du 3 novembre
1956 ayant pour objectif, dans les territoires relevant du ministère de la France d’Outre-mer, la
protection des monuments naturels, des sites et monuments à caractère historique, scientifique
ou ethnographique, et la réglementation des fouilles. Journal officiel de l’AOF du 12 janvier
1957 : 53-57.
15. Les langues, les coutumes, la littérature orale (contes, légendes, proverbes, récits épiques
ou initiatiques) avaient des fonctions pédagogiques, morales, identitaires et historiques. Ces
composantes du patrimoine culturel ont longtemps occupé une place de choix dans les socié-
tés sénégalaises. Elles permettaient de former les individus en leur léguant les expériences, les
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techniques et les valeurs tirées du passé. Elles étaient de ce fait appropriées et transmises orale-
ment de génération en génération. Voir infra.
16. Bien que l’objectif des recherches ethnographiques coloniales soit de connaître et faire con-
naître les populations autochtones et leurs cultures (l’ethnographie descriptive et la linguistique
y ont occupé une place de choix) en vue de mieux les comprendre, de faciliter l’administration
pacifiée de la colonie (inventaire exhaustif des sociétés et des richesses matérielles et humaines)
et l’assimilation culturelle, elles traduisent aussi une nouvelle forme de patrimonialisation de
l’héritage culturel – la communication orale étant le moyen habituel de transmission des règles
de fonctionnement des sociétés, des faits du passé et des traditions culturelles –, dans la mesure
où des traditions historiques orales sont systématiquement collectées, traduites en français,
interprétées et relatées dans des manuscrits, voire vulgarisées dans des revues scientifiques.
« Patrimonialisation » renvoie ici aux nouvelles procédures d’identification, de connaissance,
d’inventorisation, de conservation et de valorisation (à travers les publications) des éléments du
patrimoine culturel qui sont ciblés.
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17. Les représentants de congrégations religieuses, dotés d’un idéal d’évangélisation, sont en-
voyés au Sénégal à partir du début du XIXe siècle, bien que la présence de prêtres soit attestée
dans les comptoirs dès le XVIIIe siècle. En accord avec l’administration coloniale, les congréga-
tions religieuses n’ont fait que peu ou pas de prosélytisme dans les zones fortement musulmanes.
Les missions d’évangélisation sont plus actives sur le littoral et à l’intérieur, chez les Sereer de la
Petite-Côte et ceux du Nord-Est, chez les Joola et autres communautés casamançaises, ainsi que
chez les Malinke et les Basari (Robinson 2004).
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18. Cette collection de Faidherbe est constituée d’objets d’usage domestique, de parures et
d’armement appartenant aux guerriers et à l’aristocratie en place dans les royaumes voisins de
Saint-Louis ou situés en amont du fleuve Sénégal, et tombés sous le joug français à la suite de
multiples traités de paix et de concessions territoriales. Ces 62 objets faisaient partie auparavant
des anciennes collections du musée des Beaux-Arts de Lille, ils ont été acquis, depuis 1991, par
le Muséum d’histoire naturelle de Lille. Cf. Dembélé 2001.
19. En 1994, le khalife Thierno Mountaga Tall avait obtenu des autorités françaises la mise à
disposition de manuscrits de la bibliothèque omarienne, convertis et sauvegardés en microfiches.
Le sabre du combattant Cheikh El Hadj Omar fut exposé, en 1997, à Dakar, lors de la commé-
moration du bicentenaire de la naissance de cette figure historique. Voir Diallo 2011.
20. Voir Mbaye 2006.
21. En France, plusieurs expositions nationales et universelles sont organisées à Paris (en 1855,
1867, 1878, 1895, 1889, 1900, 1907, 1931, 1937), à Lyon (en 1894, 1914), à Marseille (en 1906,
1922), et la plus triomphale est l’Exposition coloniale qui s’est tenue à Paris en 1931.
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22. En France, Ernest Théodore Hamy crée, en 1879, le Musée ethnographique du Trocadéro à
Paris (il devient le musée de l’Homme en 1938). En 1931 est inauguré le Musée permanent des
colonies qui devient, en 1933, musée de la France d’Outre-mer, ensuite musée des Arts africains
et océaniens en 1960, puis Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (MNAAO) en 1991.
L’essentiel des collections du musée de l’Homme, ainsi que celles du MNAAO sont transférées,
entre 2002 et 2004, au musée du Quai Branly, à Paris, ouvert au public en juin 2006. Le MNAAO
est supprimé en janvier 2003 ; le musée de l’Homme a fermé ses portes en 2010 ; il a rouvert,
après avoir été rénové, le 17 octobre 2015.
En Afrique occidentale française, Louis Faidherbe crée, en 1863, à Saint-Louis (Sénégal),
un Musée industriel, ethnographique et d’histoire naturelle. Lorsque ce premier musée disparaît,
les fonds sont transférés à Dakar, en 1869, et rassemblés dans ce qui prend alors le nom de musée
de Dakar. Ces collections sont intégrées à l’institut de recherche scientifique nommé Institut
français d’Afrique noire (IFAN), créé en 1936 à Dakar. Elles sont par la suite enrichies de col-
lections conséquentes provenant des différentes colonies d’AOF et d’AEF ; des expositions tem-
poraires sont régulièrement organisées. En 1954 est inauguré le Musée historique de l’Afrique
occidentale française à Gorée. Un nouveau musée ethnologique, le musée Michel-Adanson, est
aussi ouvert à Saint-Louis, en 1956.
23. C’est sous l’égide du gouverneur général Jules Cardes qu’est publié, en 1924, le Bréviaire
du tourisme en Afrique occidentale française, édité par les services du gouvernement général et
imprimé par les services centraux de l’AOF. En 1926, le gouvernement général de l’AOF a édité
le Guide du tourisme en Afrique occidentale française, Paris, Émile Larose. Ce guide fut régu-
lièrement réédité et augmenté puis relayé par les Guides bleus Hachette à partir des années 1950.
D’après Dulucq (2009 : 28), l’activité touristique, difficile à quantifier en l’état actuel des recher-
ches et compte tenu de l’imprécision structurelle des sources, ne cesse de progresser tout au
long de la période coloniale, passant de quelques centaines de voyageurs dans les années 1920 à
quelques milliers dans la décennie 1950.
24. Comme l’indique Dulucq (2009 : 42), l’émergence d’un patrimoine africain inventorié, col-
lectionné, étudié, éventuellement sauvegardé et mis en musées, est l’un des aspects culturels que
les guides de l’époque coloniale promeuvent dès qu’ils en ont la possibilité.
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25. Les missions scientifiques d’Henri Labouret (1932-1936), de Lhote (1933-1941), de Georges
Waterlot (1935-1937), ainsi que celles de Marcel Griaule (principalement l’expédition eth-
nographique de Dakar-Djibouti, en 1931-1933) ont occasionné des collectes importantes d’objets
du patrimoine culturel sénégalais et de l’Afrique francophone. Cf. Archives nationales du Séné-
gal : sous-série O604(31). Voyages et missions scientifiques (1932-1942) ; sous-série O606(31).
IFAN, Musée et organisation de la recherche scientifique et ethnographique en AOF (1933-
1942) ; sous-série O625(31). Entrée des missions scientifiques en AOF (1945-1948) ; O626 (31).
IFAN : missions scientifiques (1945-1953). Voir aussi les travaux de Féau 2001 et Doquet 1999.
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26. La protection du patrimoine culturel et la régulation des fouilles archéologiques dans les
colonies ou protectorats français relevaient du ministère des Colonies. À part la question du
transfert des biens culturels indigènes hors de leur milieu, les mesures et normes de protection
patrimoniale étaient théoriquement calquées sur celles de la France. Du point de vue législatif,
un ensemble de textes réglementaires avait été adopté dans l’optique d’accompagner les mesures
de protection du patrimoine culturel. Pour de plus amples informations concernant l’ensemble
des dispositifs juridiques régulant le patrimoine culturel du Sénégal sous domination coloniale,
se référer à Djigo 2012 ; on retrouve, en annexes du document cité, les textes de loi.
27. Une des institutions les plus prestigieuses est l’Institut français d’Afrique noire (IFAN),
fondé en 1936 à Dakar, et qui rayonna en Afrique occidentale française avec des centres locaux
créés dans les capitales des colonies de la fédération. En 1942 est créé l’Office de la recherche
scientifique coloniale qui deviendra Office de recherche scientifique d’Outre-mer (ORSOM) puis
Office de recherche scientifique et technique d’Outre-mer (ORSTOM) en 1944-1953, rebaptisé
plus tard (en 1998) Institut de recherches pour le développement (IRD). Dans les années 1940,
des Français avaient mis sur pied, au Sénégal, des structures de promotion des artistes locaux :
en exemple, on peut citer les initiatives de Me Causson qui avait monté une sorte d’académie
des arts plastiques africains couvrant l’AOF ; celles de Paul Richez qui avait créé, en 1948, un
établissement privé d’enseignement artistique nommé Conservatoire de musique et d’art drama-
tique de Dakar ; à la même époque existait également un institut pour la formation des plasticiens
africains. À partir de 1953, sous l’impulsion du haut-commissaire Bernard Cornut-Gentil, les
centres culturels se développèrent dans plusieurs localités du Sénégal. Voir Djigo 2015.
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31. Ce couple de notions vise l’enracinement des Sénégalais dans leurs valeurs identitaires
ancestrales, allié à une ouverture aux autres civilisations.
32. À propos de la biographie et de la politique culturelle de Senghor, voir Mbengue 1973 ;
Senghor 1980 ; Vaillant 1990 ; Sylla 1998 ; Mbow 2003 ; Diagne 2007.
33. Le drapeau sénégalais est composé de trois bandes tricolores, verticales et égales, de couleur
verte, jaune et rouge ; il porte au centre de la bande jaune une étoile verte à cinq branches.
34. Pour plus de détails sur les significations de la nouvelle symbolique nationale sénégalaise,
cf. Djigo 2015.
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35. Ces ensembles se chargent de la promotion et de la diffusion (au niveau national et interna-
tional) de la culture populaire, notamment les musiques, danses, chants et folklores du Sénégal.
Toutes les composantes ethnolinguistiques du pays y sont représentées et les artistes choisis,
issus de différentes régions du pays, sont solidement enracinés dans le terroir.
36. Cf. Rapport sur les résultats…, 1969.
37. Créée en 1968 sous le nom de Direction du patrimoine historique, ethnographique et ar-
tistique, elle devient la Direction du patrimoine national (DPN) en 1970, puis la Direction du
patrimoine historique et ethnographique (DPHE) par le décret no 70-093 du 27 janvier 1970,
rebaptisée Direction du patrimoine culturel (DPC) par le décret no 2003-464 du 24 juin 2003.
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38. À l’issue de ces missions, deux nouveaux textes de loi (abrogeant la loi coloniale no 56-1106
du 3 novembre 1956) régissent le patrimoine culturel : la loi no 71-12 du 25 janvier 1971 fixant le
régime des monuments historiques et celui des fouilles et découvertes ; le décret d’application no
73-746 du 8 août 1973 qui permet une inscription sur la liste nationale en fonction de l’intérêt his-
torique, scientifique, légendaire ou pittoresque. L’arrêté ministériel no 12619 MC-DPN-DSMH-
BE en date du 15 octobre 1979 porte publication de la liste des quarante-huit monuments et sites
historiques classés. Cf. Journal officiel de la République du Sénégal du 17 novembre 1979 : 1200.
39. L’île de Gorée est réappropriée et instrumentalisée par les autorités de l’État sénégalais
postcolonial en tant que symbole des préjudices subis par la race noire (la traite négrière et la
colonisation). Sur cette question, cf. Quashie 2009.
40. Le Festival mondial des arts nègres est organisé à Dakar en 1966, plusieurs colloques et
expositions, initiés par le président Senghor, sont tenus à Dakar.
41. Des critiques virulentes sont formulées par les adversaires politiques de Senghor et les in-
tellectuels marxistes. On peut citer Abdoulaye Ly (il a fait parti des dirigeants du Parti du re-
groupement africain) ; Majhmout Diop (partisan du marxisme, il a été le secrétaire général du
Parti pour l’indépendance du peuple) ; Cheikh Anta Diop (égyptologue, marxiste et défenseur de
la littérature wolof, il a été le secrétaire général du Bloc des masses sénégalaises puis du Front
national sénégalais – ces deux partis politiques sont dissous par des arrêtés du gouvernement de
Senghor –, et enfin du Rassemblement national démocratique) ; le linguiste Pathé Diagne ; le
romancier et cinéaste Ousmane Sembène.
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42. Par exemple, sur les sceaux de la République du Sénégal, on peut remarquer que le lion,
symbole de majesté, de dignité et de puissance, se retrouve dans le nom même de Diogoye
(le lion, en sereer), le père du président Senghor (Diogoye Basile Senghor était un riche
propriétaire terrien et un commerçant renommé qui recevait les visites du Buur – roi sereer –
Sine Coumba Ndofène Diouf). Léopold Sédar Senghor a fait du lion l’emblème de son parti,
le Bloc démocratique sénégalais (BDS), fondé en 1948. Plus tard, au cours de sa présidence de
la République, il institue l’ordre du Lion comme la plus haute distinction que le Sénégal peut
décerner. Quant à la symbolique du baobab, qu’on retrouve sur les sceaux de la République, on
peut dire qu’en milieu sereer (groupe d’origine du président Senghor), c’est un arbre sacralisé qui
matérialise, très souvent, un lieu de culte s’il est le réceptacle des pangool ou esprits ancestraux.
Chez les Sereer, le baobab symbolise aussi le lieu d’intronisation du roi et, selon la tradition, les
buur livraient, très souvent, des batailles autour de cet arbre sacré. Cf. Diouf et Diop 1990 : 11-12.
43. Dans l’entreprise de construction nationale, le poète-président incite la jeunesse, à travers
l’hymne de la jeunesse du Sénégal, à faire référence à « Nos ancêtres [qui], depuis leurs ten-
dresses noires – Ont tracé droit le chemin – Et forgé notre destin… Tel Lat Dior Ngoné Latyr
– Tendant nos jeunes cœurs vers ton soleil – Oui, s’il le fallait – Demain, nous offrirons notre
souffle – Pour te défendre – Ô notre patrie ! » En fait, le texte de l’hymne de la jeunesse est une
réadaptation par le président Senghor du chant traditionnel dont le titre est « Ñaani bañena ».
Cette chanson a été composée par Samba Coumba Kalado, qui jouait au xalam et la chantait
en l’honneur de Lat Dior, notamment lors de sa bataille contre le buur Ñaani (« roi du Ñaani »,
le Ñaani était un royaume manding situé dans l’actuel Sénégal Oriental). Par la suite, elle a été
reprise par beaucoup de chanteurs et joueurs de xalam. Cf. Samb 1986 : 20.
44. De 1960 à 1970, l’université de Dakar est marquée par l’existence d’organisations estu-
diantines fortes. Sous la poussée de pressions nationalistes des indépendances, le mouvement
estudiantin a inscrit son action dans le champ d’une lutte contre le « néocolonialisme » et ceux
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CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL
qui sont considérés comme ses représentants locaux. La plupart des membres de ces associations
estudiantines sont imprégnés du marxisme et actifs dans le Front culturel du Sénégal (FCS), un
mouvement culturel révolutionnaire et patriotique (très actif à la fin des années 1970) lié aux par-
tis politiques clandestins, notamment celui, maoïste, And Jëf (dont le secrétaire général, Landing
Savané, est d’origine casamançaise et joola). Le FCS s’est lancé dans la production, en wolof
écrit en caractères latins, de poésies et chansons culturelles révolutionnaires et patriotiques, et de
textes de vulgarisation scientifique. Parmi les brochures en langue wolof (l’usage de cette langue
de communication au Sénégal, par le FCS, lui permettait une meilleure diffusion de ses idées)
du FCS, on peut citer : Teerebtannu taalifu xare Sénégal (Anthologie de la poésie sénégalaise
de combat), paru en mai 1977 ; et la parution, en juillet 1978, de Tànn ci mbindum Maawo
Se Tun (traduction de trois textes de Mao Tsé-Toung : De la pratique (Ci mbiri jëf) ; Servir le
peuple (Jariñ askan wi) ; D’où viennent les idées justes (Fan la xalaat yu jub yi di sosoo ?). Le
FCS avait aussi publié des brochures en langue française, notamment « Lamine Senghor : vie et
œuvres » et « Aliin Sitoé Diatta : vie et œuvres ».
45. Pour une biographie de Lamine Senghor, voir Sagna 1986 et la brochure publiée en juillet
1979 par le FCS.
46. À propos de ce personnage, cf. Girard 1969.
47. Sidya Diop est le fils héritier de la dernière souveraine du Walo, la reine Ndatté Yalla. Il a
été envoyé à l’« École des otages » de Saint-Louis (créée en 1856 par le gouverneur Faidherbe et
appelée par la suite « École des fils de chefs et des interprètes »), puis au lycée d’Alger, en 1861,
pour y effectuer ses études secondaires. À son retour d’Alger, il a passé quelque temps à l’école
des frères et s’y est fait discrètement chrétien ; Faidherbe a été son parrain et il a été baptisé Sidya
Léon Diop. Par une décision du 18 mars 1871, Sidya Léon Diop est nommé chef supérieur du
Walo. Devenu l’âme d’une résistance antifrançaise, il fut déporté au Gabon au début de 1876, où
il mourut, le 26 juin 1878, âgé de 30 ans. Cf. Bouche 1975 : 336-338.
48. L’une des crises politiques qui secoue le gouvernement est celle qui éclate le 17 décembre
1962, opposant les deux ex-compagnons : le président Senghor et le Premier ministre Mamadou
Dia. Voir Hesseling 1985, Mbaye 2012.
49. Avec l’ouverture politique de l’après-guerre, a été créé (en 1947) un mouvement politique
casamançais appelé Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), animé par
des intellectuels casamançais, dont les principaux leaders ont été Émile Badiane et Ibou Diallo.
Plusieurs travaux ont été consacrés à la question casamançaise : voir, parmi les auteurs ayant
travaillé sur cette question : Darbon 1988 ; Barbier-Wiesser 1994 ; Foucher 2002 ; Awenengo
Dalberto 2005 ; Marut 2010 ; Diédhiou 2011 ; Manga 2012.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 332
CFA (en janvier 1994), font obstacle à toute volonté de continuer la poli-
tique culturelle de son prédécesseur. À l’instar des autres secteurs d’activité,
la culture subit les contrecoups de la crise économique et financière, ainsi
que les rigueurs de la politique de sortie de crise. La pénurie des ressources
financières empêche la poursuite de l’édification du réseau des infrastruc-
tures et rend hypothétique toute politique de maintenance, d’entretien, de
réhabilitation du patrimoine culturel et des équipements existants. Les diffé-
rentes institutions culturelles sont confrontées à des difficultés matérielles,
financières, et à la diminution de leurs personnels (qui se traduit par des
départs volontaires, pour certains agents, tandis que d’autres sont affectés
à l’Éducation nationale). Dans une logique de restriction des dépenses de
l’État, certains établissements culturels créés sous Senghor sont supprimés
en 1990 (le Musée dynamique, le Centre d’étude des civilisations, les
Archives culturelles et le Commissariat général des expositions d’art séné-
galais à l’étranger) – sans traitement idoine de leurs fonds iconographiques
et documentaires, dont certains, tombés en déshérence, sont perdus à jamais.
Les restrictions budgétaires, le flottement et l’effacement du gouverne-
ment dans bien des secteurs, à commencer par celui de la culture obligent
les artistes, les acteurs culturels, les populations, et notamment les jeunes
(à travers les mouvements set-setal, hip-hop et bul-faale 58), à se prendre
en charge et à investir l’espace libéré par l’État faute de ressources finan-
cières. On assiste à une multiplication d’ingénieuses initiatives indivi-
duelle ou collective, une floraison d’associations et de journées culturelles
communautaires59. Celles-ci permettent d’assurer le dynamisme du secteur
de la culture, la réappropriation de valeurs préexistantes et la valorisation
du patrimoine ancestral. L’État, pour éviter les risques de fragmentation
culturelle et identitaire, capitalise ces initiatives individuelles ou collec-
tives en rejoignant et en accompagnant les différents acteurs ou même
en anticipant sur les préoccupations des uns et des autres. Il prend ainsi
l’initiative d’organiser un grand colloque national dans le but de recen-
trer la vision, de rationaliser le calendrier et l’organisation des journées
culturelles. Ce colloque, qui s’est tenu du 8 au 13 juin 1994 à Kaolack
– ville-carrefour et centrale du pays – réunissant des intellectuels, univer-
sitaires, traditionnistes et autres experts, avait pour thème « Les conver-
gences culturelles au sein de la nation sénégalaise60 ». À sa suite, le
gouvernement a pris la décision, en 1996, d’instaurer la Journée natio-
nale du patrimoine ; puis, en 1997, le Festival national des arts et cultures
61. Le FESNAC est une manifestation biennale qui se déroule durant quatre jours dans une
capitale régionale différente en vue de faire découvrir et de valoriser le patrimoine et les spéci-
ficités culturelles et artistiques de la région.
62. L’idéologie du sursaut national prône un enracinement aux valeurs dites sénégalaises.
63. Un ministère délégué chargé de l’Éducation de base et de la promotion des langues nationales
du Sénégal est créé en 1991.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 336
Dans cette même optique, des rues, des places et des écoles sont baptisées
ou rebaptisées sous le nom de parrains locaux, figures considérées comme
proches des gens et distinguées dans leur communauté, voire à l’échelle
nationale. Des statues coloniales sont déboulonnées puis déplacées dans
d’autres endroits moins exposés aux regards du public. Elles sont rempla-
cées par de nouvelles œuvres d’artistes sénégalais64.
La redynamisation du développement culturel par l’État favorise la
création de nouvelles infrastructures, ainsi que les initiatives culturelles.
La Galerie nationale d’art est inaugurée le 29 janvier 1983 ; le campement
qui abritait la mission chinoise, chargée de l’édification du stade Amitié,
est transformé en Village des arts en 1989. Le musée d’Art africain de
Dakar est réaménagé. Il a bénéficié, en 1991, d’une extension considé-
rable, avec la construction d’un nouveau bâtiment imitant le style architec-
tural néo-soudanais de l’ancien palais. La résidence de Médina, qui servait
à accueillir les hôtes de la République pendant les années 1962 à 1996,
devient la maison de la culture Douta-Seck, en 1997. La section Art drama-
tique du conservatoire de Dakar est rouverte en 1990 et assure à nouveau
la formation des comédiens. Le Salon national du livre et de la lecture,
le Festival international de jazz de Saint-Louis, la Foire internationale
du livre et du matériel didactique, les Rencontres cinématographiques de
Dakar (Recidak) sont, entre autres, de nouvelles initiatives de développe-
ment culturel lancées par le gouvernement d’Abdou Diouf. Les grands prix
annuels du président de la République pour les Arts et pour les Lettres sont
institués en 1990. Puis vient l’extension du grand prix aux arts scéniques,
c’est-à-dire à la musique, à la danse et au théâtre. La même année, l’État
lance une manifestation culturelle qui renoue avec les années Senghor : la
Biennale des arts et des lettres de Dakar, devenue, à compter de 1996, la
Biennale de l’art africain contemporain ou Dak’Art (Konaté 2009).
Le gouvernement d’Abdou Diouf s’est beaucoup investi en faveur d’un
retour aux sources de valeurs sénégalaises et la promotion des figures histo-
riques locales, comme moyen d’affronter les défis engendrés par la crise
économique. Ces mémoriaux du passé sont aussi conçus comme autant de
64. C’est le cas, à Dakar, de la statue coloniale communément appelées « Demba et Dupont »,
représentant deux soldats : l’un français, l’autre sénégalais. Elle a été érigée en 1923 à la mé-
moire des morts des troupes de l’AOF ayant participé à la Première Guerre mondiale ; elle se
dressait au rond-point de l’Étoile, ex-place Tascher, rebaptisée place Soweto. La mesure a con-
cerné aussi la statue représentant Faidherbe, qui se dressait devant le palais de la République. Ces
statues sont démontées dans la nuit du 13 au 14 août 1983 et transférées au cimetière catholique
de Bel-air ; celle représentant Faidherbe est actuellement conservée au musée des Forces armées
(créé en 1997, il est devenu musée de la Direction des archives et du patrimoine historique
des forces armées du Sénégal). Celle de « Demba et Dupont » est récupérée sous la présidence
d’Abdoulaye Wade (je reviens un peu plus bas sur cette statue). À propos de l’histoire de ces stat-
ues, voir Archives nationales du Sénégal, sous-séries 4P1501à 4P1507. Voir aussi « Les statues
de la place Tascher et de Faidherbe enlevées », Le Soleil du 17 août 1983, p. 3.
337 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL
65. Diop (2013 : 38-42) remarque que « l’action d’Abdoulaye Wade a été structurée par une
logique puisant, selon ses intérêts politiques ou les opportunités qu’il savait si bien exploiter, ses
références dans la “tradition” ou la supposée modernité. Sa prétention de soi insiste sur son ex-
périence : il est celui qu’on ne peut pas surprendre, tellement il est malin (naandite, muus, bari-
pexe). Elle recourt parfois aux valeurs dites traditionnelles wolof, comme on l’a noté au travers
de ses références fréquentes au courage (fit). Les valeurs guerrières, le grand courage, la virilté
(goor fit, fit mooy goor : c’est le courage qui fait l’homme) structurent ses propos […]. Mais ce
recours aux vertus dites traditionnelles est sélectif. […]. Son territoire de prédilection n’est pas
l’Université ou le débat d’idées qu’affectionnaient Senghor, Mamadou Dia et le majestueux
Cheikh Anta Diop. Son souci majeur a été de fréquenter d’abord les lieux permettant de renforcer
son pouvoir, d’affiner sa technologie de commandement en vue de s’imposer, de provoquer et
d’anéantir ses adversaires ».
66. La posture du taalibe (disciple) et la récupération de la mystique du travail de l’idéologie
mouride.
67. Le budget est presque de 6 milliards de francs CFA en 2006 et d’environ 17 milliards de
francs CFA en 2009 ; ce gonflement est lié à l’organisation du Festival mondial des arts nègres
(FESMAN), plusieurs fois reporté, et qui s’est tenu du 10 au 31 décembre 2010 à Dakar.
68. Il y a eu différentes options pour le choix des appellations du ministère chargé de la Culture,
depuis 2000. Ainsi, on a eu successivement l’existence des ministères suivants : Culture et Commu-
nication ; Culture ; Culture et Loisirs ; Culture et Patrimoine historique classé ; Culture, Patrimoine
historique classé, Langues nationales et Francophonie ; et finalement, Culture et Cadre de vie.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 338
69. Le centre historique de la ville de Saint-Louis est inscrit sur la liste du patrimoine mondial
de l’Unesco en décembre 2000 (la procédure de préparation du dossier de nomination du site est
entamée en 1998), le rituel initiatique manding ou Kankurang en janvier 2006, les cercles méga-
lithiques de Sénégambie en juillet 2006, le delta du Saloum en juin 2011, les paysages culturels
bassari, peul et bedik en juin 2012.
339 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL
70. Le « Parc culturel » devrait abriter les « sept merveilles architecturales » : la Bibliothèque et
les Archives nationales, la place de la Musique, l’École des arts, l’École d’architecture, le musée
des Civilisations noires et un Grand Théâtre (construit sur financement du gouvernement de la
République populaire de Chine, il est fonctionnel depuis avril 2011).
71. Cf. De Jong et Foucher 2010 : 187-204.
72. Source : Débats sur les chaînes de télévision sénégalaises publique (RTS) et privées (Walf-
adjri, 2STV), la presse écrite et Internet.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 340
LA REPRÉSENTATION DU PATRIMOINE
CULTUREL PAR LES SÉNÉGALAIS
Au Sénégal, depuis la décennie 1990, on assiste à une mise en scène vigou-
reuse des valeurs, récits et expressions identitaires de diverses commu-
nautés : la valorisation des langues, coutumes, chants, danses, traditions,
mémoires, savoir-faire, objets, lieux de mémoire. On note l’établissement
d’un calendrier de manifestations culturelles, tout au long de l’année, orga-
nisé par catégories : « traditionnelle », « religieuse » (liées aux confréries
maraboutiques ou aux croyances et rites ancestraux), « civique », ou bien
encore « locale » et « familiale ». Les manifestations se présentent sous
la forme de journées ou semaines culturelles communautaires, festivals,
73. Abdoulaye Mbaye Pekh, le griot « officiel » du président Wade, l’a surnommé « Président
des inaugurés », une expression composée de mots français « wolofisés ». Ce surnom met en
évidence le développement infrastructurel mis en œuvre par Abdoulaye Wade, le « bâtisseur »,
qui lui-même préside pratiquement toutes les cérémonies d’inauguration largement médiatisées.
341 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL
74. Sans prétendre épuiser les exemples de ce genre de manifestations culturelles, on peut citer
les Journées culturelles de Bakel, initiées par des responsables politiques (maires, conseillers
municipaux) et coutumiers issus de cette localité située dans le Sénégal oriental (région de
Tambacounda, ancienne capitale du royaume soninke de Gadiaga) ; le Festival des ethnies
minoritaires (Basari, Jalonke, Bedik) de Bandafassi (département de Kédougou, région de
Tambacounda), initié par le conseil régional ; les Journées culturelles sereer, organisées dans un
village (désigné) circonscrit dans le terroir sereer du Sine-Saloum par l’ONG Ndef Leng, qui
fédère plusieurs villages ; les Journées culturelles de Sédhiou (dans la région sud du Sénégal,
pays manding et balant ; localité inscrite dans l’empire précolonial du Gabou) ; le carnaval de
Ziguinchor (région sud du Sénégal), initié par les autorités municipales de cette région ; le Festival
des blues du fleuve à Podor (dans le terroir pulaar du Fouta, vallée du fleuve Sénégal), initié par le
chanteur Baaba Maal ; les Journées culturelles lebou, initiées par différentes collectivités lebou du
Cap-Vert et organisées à Ouakam, Rufisque, Yène. Ces manifestations font revivre les traditions,
les rites et les cultes du passé des terroirs précoloniaux. Des fresques grandioses mobilisent
des milliers d’acteurs, reconstituant les scènes du passé : circoncision, initiation, mariage, lutte
traditionnelle, rite funéraire, cérémonie de sacrifice dédiée aux ancêtres, aux génies ou aux esprits
du clan ; et cela, même dans des régions où certains rites et/ou cérémonies restent d’actualité.
75. Les gamou, ziara, magal, thiant sont des manifestations culturelles, animées par des
chants soufis et des récits coraniques ou confrériques, tenues par des marabouts ou disciples
d’une confrérie religieuse musulmane du Sénégal (mouride, tidjane, khadre, layène, niassène).
Lorsqu’elles sont organisées dans les capitales confrériques (comme Touba, Tivaoune, Médina
Baye à Kaolack, Cambérène ou Yoff Layène à Dakar, Ndiassane, Thiénaba) ou les endroits mar-
qués par le passage de marabouts confrériques, elles donnent l’occasion aux fidèles ou taalibe de
visiter les zawiyya (chaque confrérie se rattache à une zawiyya, qui est à la fois la maison mère
de celle-ci et son siège social, un centre d’études coraniques et de litanies ou invocations propres
à la confrérie, et un lieu de pèlerinage), mosquées et tombeaux de leurs guides religieux.
76. Un groupe socioculturel renvoie ici à une communauté identitaire ethnique : Sereer, Hal-
Pulaar, Joola, Soninke, Lebu, Manding et autres.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 342
77. Dans le cadre de ma thèse, j’ai effectué deux voyages au Sénégal : du 18 juillet au 5 sep-
tembre 2003, puis du 19 janvier au 11 avril 2005. Dans cette thèse, la réflexion sur le patri-
moine matériel et immatériel s’est également servie des données de terrain (en mémoires de
maîtrise et de DEA) issues d’enquêtes systématiques auprès des populations riveraines des sites
archéologiques et historiques du delta du Saloum au Sénégal (Djigo 2001 et 2000). Du 23 mai
au 7 juin 2015, lors d’un séjour au Sénégal, j’ai effectué des enquêtes complémentaires sur le
patrimoine culturel en langues wolof, pulaar, sereer, joola, manding et soninke, promues au rang
de « langues nationales » par le décret présidentiel no 71-566 du 21 mai 1971.
78. Si le wolof est une des langues nationales du Sénégal, à côté du français qui est retenu com-
me étant la langue officielle, il est dans les faits la principale langue vernaculaire du pays. À ce
titre, j’ai utilisé le wolof, et parfois le français, au cours de mes entretiens avec des personnes
ressources, autour de la question du patrimoine culturel et naturel, dans le cadre de mes travaux.
79. Terme wolof, le aada renvoie à un rituel, une coutume qui remonte à un passé lointain,
c’est-à-dire le baax (une bonne valeur) ou baaxu maam (les bonnes valeurs des ancêtres) et qui
est reconnu, perpétué, respecté par les héritiers. L’importance du aada ou baaxu maam au regard
de la communauté, des individus adhérents, qui se l’approprient, en fait un mythe, au risque,
parfois, de l’entacher de superstition. Cosaan : origine, cause, substantif du verbe sos qui signi-
fie « créer ». Le cosaan renvoie, généralement, à une tradition, une valeur ou une pratique qui
se serait formée depuis le passé, par les ancêtres, et qui se serait fossilisée à un certain moment
de l’histoire à partir duquel elle aurait continué d’être transmise, jusqu’à devenir une habitude.
80. Terme wolof, le ndono est l’héritage reçu des ancêtres ; il englobe l’ensemble des aada ak
cosaan et va au-delà de ces champs.
81. Ces « monuments historiques » ou « richesses du passé » sont constitués d’un ensemble
de données que les sociétés ont tenté de conserver en les inscrivant dans l’espace ou en les mé-
morisant dans les cadres de référence identitaires qu’elles ont mises en place : les « traditions ».
Elles relèvent de divers domaines : le droit (règles de succession, appropriation du sol et règles
de gestion foncière) ; l’histoire (généalogie des familles, histoire de lieux ou d’événements) ; les
techniques artisanales (art du cuir, tissage et teinture du textile, poterie, vannerie, bijouterie) ;
les traditions initiatiques diverses dans le cadre des rites de passage (circoncision, initiations,
excision, tatouages) ; les harmonies musicales (berceuses, chants funéraires ou initiatiques, in-
cantations) ; les jeux traditionnels (mbappat, lambi golo, baay gaal, langaa buri, jal bi jalaan,
yaa kabati kabati yaa, wure, tam). Le propos, ici, n’est pas de faire une recension de symboles
politiques ou mythiques, de la structuration socioprofessionnelle chez certains groupes (Wolof,
Manding, Pulaar, Soninke, Sereer du Sine), de traditions et référents identitaires spécifiques de
différentes communautés socioculturelles du Sénégal. Une large analyse a été consacrée à la
représentation et au fonctionnement de la notion de patrimoine culturel à travers les mémoires
historiques et traditions rituelles de divers groupes linguistiques du Sénégal. Je renvoie le lecteur
à Djigo 2015 pour des exemples précis à ce sujet.
343 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL
82. Entretien avec Amadou Seydou Datt, agent de programmes, présentateur du journal pulaar
à la RTS, interrogé le 1er juin 2015 à la RTS.
83. Entretiens avec Abdoulaye Ndiaye, agent de programmes, présentateur du journal en sereer ;
Djiby Ndiaye, écrivain et auteur de plusieurs ouvrages en langues sereer et wolof, présentateur du
journal et d’émissions culturelles sereer à la RTS et à Radio Ndefleng, interrogés le 2 juin 2015.
84. Entretien avec Gaston Sambou. Formateur dans la transcription du joola, il a participé à
l’élaboration du dictionnaire joola-français ; il est agent de programmes et présentateur du jour-
nal en joola à la RTS ; interrogé le 1er juin à la RTS et le 4 juin au quartier Ouest-Foire Dakar.
85. Entretiens avec Ousseynou Dianka et Ablaye Tandian, agents de programmes, présentateurs
du journal en soninke à la RTS, interrogés le 1er juin 2015.
86. Entretien avec Amadou Lamine Dramé, écrivain en langues française, manding, et wolof ;
agent de programmes et présentateur du journal en manding à la RTS, interrogé le 4 juin à la RTS.
87. On peut distinguer différentes sphères : politique (comme les lieux d’intronisation des
dignitaires locaux, les anciennes capitales de royaumes précoloniaux, les champs de bataille),
religieuse et mythique (comme les bois, arbres, puits et forêts sacrés ; les mosquées et églises
anciennes ; les lieux de passage de saints musulmans ou chrétiens, les manuscrits produits par
des érudits musulmans), sociale (comme les places publiques, les lieux et arbres à palabre).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 344
90. Dans le processus de constitution de l’État sénégalais postcolonial, la logique mise en œuvre
a privilégié le modèle wolof au détriment des logiques des autres communautés qui sont mises
à l’écart. Cette hégémonie wolof trouve sa source dans le système colonial qui, en déplaçant
le centre de l’autorité et du commandement vers les villes (les Quatre Communes), a accordé
un privilège au groupe des Wolof. La logique coloniale a procédé, volontairement ou non, à
l’affaiblissement des institutions rurales. Parmi celles-ci, seules les confréries ont pu résister. Ces
résistances ne peuvent s’expliquer, dans le cas des communautés wolof, que par les nécessités de
la consolidation de l’économie arachidière, culture qui s’est développée dans le pays wolof. Les
principales villes coloniales s’étant établies en zones wolof, ce phénomène favorisa, de fait, cette
communauté. « Langue hégémonique urbaine, le wolof est aussi l’instrument du commerce ;
c’est la langue de l’arachide, de la radio, langue parallèle de l’administration et de l’école. »
Cf. O’Brien 2002 ; Diop et Diouf 1990 ; Diouf 1994 ; Hilary 2011.
91. On peut citer l’exemple des rites de possession comme le ndëp chez les Lebu et le lup chez
les Sereer ; le xooy sereer (cérémonie au cours de laquelle des saltige – médiateurs entre le
monde des humains et celui des esprits dits supérieurs – de différents horizons sont invités à faire
des déclarations publiques et à dresser le bilan de l’année écoulée et des prévisions, pour l’année
à venir, sur l’hivernage et les risques de calamités) ; les rites de fécondité comme le kañalen chez
les Manding et les Joola, le gamond chez les Bedik ; les rites initiatiques des circoncis comme le
kankurang chez les Manding, le ndut chez les Sereer, le nitch chez les Basari, le bukut chez les
Joola, les Baïnuk et certaines autres communautés de la Casamance.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 346
92. Cf. Corbeil et al. 1948: 378-460 ; Bocoum 2002 : 185-213 ; Niang 2011 : 157-168 ; Sy et al. sd.
347 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL
93. Les amas coquilliers sont des dépôts artificiels de coquillages de dimensions variables ob-
tenus par suite de l’accumulation de coquilles après consommation de la chair. Au Sénégal, ils
sont localisés le long du littoral atlantique, notamment dans les deltas du Sénégal et du Saloum
mais aussi en Casamance. Ils sont identifiés comme des sites archéologiques originaux. Les
amas coquilliers localisés dans le delta du Saloum sont très particuliers, du fait de la présence de
tumulus édifiés sur certains d’entre eux (tertres en coquilles renfermant un ou plusieurs défunts).
Les amas coquilliers du delta du Saloum constituent une des provinces les plus originales de la
protohistoire sénégambienne. Le delta du Saloum, avec ses paysages naturels et culturels (les
amas coquilliers) est classé sur la liste nationale, depuis l’arrêté ministériel no 12619 MC-DPN-
DSMH-BE en date du 15 octobre 1979 portant publication de la liste des monuments et sites
historiques du Sénégal. Le delta du Saloum est inscrit en tant que paysage culturel sur la liste du
patrimoine mondial de l’Unesco, le 24 juin 2011.
94. Il s’agit de gisements néolithiques situés dans la région de Thiès. Classés sur la liste du
patrimoine national, ils sont pourtant exploités en tant que carrières de sable par des riverains et
par la Direction des travaux publics. Cf. Corbeil et al. 1948 : 434-435 ; Kane 2001 : 28.
95. Cf. les travaux de Thilmans et Descamps 1982 ; Thilmans 1997 ; Thiobane 1998 ; Mbow
1999 ; Boucal 2000 ; Djigo 2000 ; Mbaye 2000.
96. Dans le cadre de la réalisation d’un mémoire de maîtrise, une équipe de recherche
– supervisée par Marie-Amy Mbow (IFAN) et Paul Ndiaye (département de géographie UCAD),
financée par l’UICN –, constituée de deux géographes et d’une historienne, avait mené, en 1999
des enquêtes systématiques sur l’exploitation et la commercialisation des amas coquilliers dans
le delta du Saloum. À propos des résultats de cette équipe de recherche, voir Boucal 2000, Djigo
2000, Mbaye 2000.
97. Les vestiges archéologiques contenus dans les amas coquilliers du delta du Saloum ont
prouvé que ces derniers sont d’origine anthropique. Ils sont le résultat d’une activité de collecte
de mollusques effectuée par un peuplement ancien protohistorique. Alors que le peuplement
actuel des îles du Saloum serait issu d’une migration de Manding originaires du Gabou. Cf. à
propos de l’histoire de cette migration, Pélissier 1966 : 407-411 ; Martin et Becker 1979 : 722-
772 ; Gravrand 1983 : 173-185.
98. Les sites exploités en carrière se trouvent dans le territoire villageois, et les exploitants
résident généralement dans la localité à laquelle les amas coquilliers sont administrativement et
historiquement rattachés. L’exploitation est libre pour tout natif du village, les amas coquilliers étant
considérés comme un bien commun à l’échelle villageoise. Dans le cas où l’équipe d’exploitants
d’un amas coquilliers (la compagnie) réside dans une autre localité, il faut au préalable recueillir
l’autorisation de l’autorité coutumière villageoise qui est supposée être le garant du foncier.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 348
99. Voir les travaux dirigés par Den Boer et Frihoff 1993 ; Chrétien et Triaud 1999, Gaultier-
Kurhan 2001 ; de Jong et Rowlands 2007.
349 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL
Conclusion
La construction de l’identité nationale sénégalaise et les préoccupations
de développement du pays ont mobilisé les ressources culturelles du
passé. Les dirigeants politiques de l’État sénégalais colonial et post-
indépendance ont successivement instrumentalisé le patrimoine culturel
dans leurs stratégies de contrôle et/ou de consolidation du pouvoir, de
légitimation d’une idéologie et de développement du tourisme culturel. Les
politiques culturelles relèvent de l’État, elles ont été inscrites à l’enseigne
des priorités du moment, des idéologies des autorités, et de l’insuffisance
des moyens budgétaires. Le gouvernement colonial a prôné une culture
élitiste et centralisée dans les grands centres urbains, et surtout dans la
capitale dakaroise. Les dirigeants de l’État post-indépendance – malgré
leur volonté manifeste de glorifier les valeurs ancestrales et le passé négro-
africain – ont eu du mal à se soustraire au modèle de définition de la culture,
au patrimoine culturel importé par le colonisateur et relayé ensuite par les
instances internationales. En conséquence, il n’y a pas eu de stratégies
cohérentes permettant une gestion patrimoniale efficace et associant
les acteurs de base, notamment la population. Même si les politiques
culturelles ont produit des artistes (dans le domaine des arts visuels et
vivants) de renommée nationale et internationale, elles n’étaient pas tout à
fait très adaptées au système culturel et aux conceptions patrimoniales des
populations.
L’État jacobin et son modèle de représentation et d’administration,
même s’ils ont contribué à renforcer la coexistence pacifique d’identités
plurielles, ont été influents dans la dynamique déstructurante et conflic-
tuelle en Casamance (sud du Sénégal). Malgré les tentatives d’inves-
tissements infrastructurels (routes et pistes, campements touristiques,
université) et de décentralisation relativement récentes, s’est développé en
Casamance un discours politique qui convoque et valorise le particula-
risme culturel créateur d’une identité joola. En même temps, ce discours
casamançais instrumentalise la mémoire d’un territoire partagé par une
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 350
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Presse
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