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Journal des africanistes

85-1/2 | 2015
Sur les pas de Geneviève Calame-Griaule

Patrimoine culturel et identité nationale :


construction historique d’une notion au Sénégal
Cultural Heritage and National Identity: historical construction of the concept in
Senegal

Adama Djigo

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/africanistes/4617
DOI : 10.4000/africanistes.4617
ISSN : 1957-7850

Éditeur
Société des africanistes

Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2015
Pagination : 312-357
ISBN : 978-2-908948-43-1
ISSN : 0399-0346

Ce document vous est offert par Université de Lorraine

Référence électronique
Adama Djigo, « Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au
Sénégal », Journal des africanistes [En ligne], 85-1/2 | 2015, mis en ligne le 07 juillet 2016, consulté le
13 juillet 2023. URL : http://journals.openedition.org/africanistes/4617 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
africanistes.4617

Tous droits réservés


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Résumé
Patrimoine culturel et identité nationale :
construction historique d’une notion au Sénégal
Cet article s’inscrit dans une réflexion engagée depuis plusieurs
années, dans le cadre de mes travaux académiques, sur le patrimoine
(culturel et naturel) et les processus de patrimonialisation au Sénégal.
Cette présentation examine la trajectoire du patrimoine culturel dans
la construction de l’État sénégalais colonial et post-indépendance. Elle
interroge les politiques culturelles étatiques trop souvent déconnec-
tées des réalités vécues par les populations. Il s’agit ici d’essayer de
comprendre la dualité dans l’appropriation de patrimoines culturels
au Sénégal. La discussion tourne autour des enjeux culturels ou poli-
tiques de mises en scène et de normalisation du patrimoine. Elle tente
de comprendre les logiques de patrimonialisation par les différentes
autorités politiques sénégalaises. Enfin, l’analyse interroge la représen-
tation du patrimoine culturel par les Sénégalais.
Mots-clés : Patrimoine, patrimonialisation, identité,
mémoire, histoire, nation.

Abstract
Cultural Heritage and National Identity:
historical construction of the concept in Senegal
This article is part of an investigation initiated several years ago,
as part of my academic research into Senegal’s cultural and natural
heritage and the process of heritagization in Senegal. The paper
examines the trajectory of cultural heritage during the construction of
the Senegalese State in the colonial and post-independence periods. It
questions the government’s cultural policies, which are all too often
disconnected from the realities experienced by the population. The aim
here is to try to understand the duality in the appropriation of cultural
heritage in Senegal. The discussion focuses not only on the cultural
or political stake-holders in the staging and legislation of heritage,
but also on the logic of heritagization pursued by various Senegalese
political authorities. Finally, the analysis looks at the Senegalese
people’s representation of the concept of heritage.
Keywords: heritage, heritagization, identity,
memory, history, nation.
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ
NATIONALE : CONSTRUCTION HISTORIQUE
D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

ADAMA DJIGO
CHERCHEUSE ASSOCIÉE À L’AFRICAN
STUDIES CENTRE LEIDEN (PAYS-BAS)

Depuis la démolition volontaire des statues bouddhas de Bâmiyân en


Afghanistan en 2001 (par les talibans du mollah Mohamed Omar), la
problématique de la préservation du patrimoine culturel ainsi que celle de
l’irrédentisme religieux sont des questions qui font l’actualité, et plus parti-
culièrement dans les pays en crise politique comme le Mali, l’Égypte, le
Nigéria, la Somalie, le Soudan, la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan.
Les partisans d’un certain irrédentisme religieux instrumentalisent, à
leur manière, la question de la préservation du patrimoine culturel – qui
est déjà un enjeu international, politique, médiatique, commercial, voire
identitaire – au centre des discours, réflexions et débats des médias, des
recherches académiques, des instances officielles, des décideurs et faiseurs
d’opinion (dirigeants et opposants politiques, assemblée des Nations
unies, OTAN, Unesco). Ailleurs, comme au Sénégal, suivant des enjeux
socio-économiques, des destructions irréversibles de sites archéologiques
et de monuments historiques sont provoquées par des phénomènes d’ori-
gine anthropique. Les problèmes de la préservation du patrimoine culturel
ainsi que les logiques de repli identitaire, souvent complexes et transver-
sales, paraissent avoir, le plus souvent, des racines dans les mémoires
historiques. Les traitements négatifs et défavorables que des individus font
subir à des éléments du patrimoine culturel matériel incitent à interroger,
brièvement, la notion de patrimoine 1.
Étymologiquement, le patrimoine est l’ensemble des biens que l’on
tient par héritage paternel. Il s’agit, à l’origine, de la propriété transmise de
génération en génération : les biens publics, le trésor ou le chef-d’œuvre, les
choses rares et somptueuses n’en font alors pas partie. La notion de patri-
moine correspond à un legs qu’il convient de préserver et de transmettre. La
conservation de témoignages sensibles de cultures anciennes, qualifiés de
« monuments historiques », devient un enjeu politique et social en Europe
à partir du XVIe siècle (Sinou 2001). Au lendemain de la Révolution fran-
çaise de 1789 et de son cortège de destructions de biens, singulièrement

1. Il ne s’agit pas ici de revenir sur les notions générales de patrimoine et de patrimonialisation.
Le lecteur soucieux de tels détails peut se reporter aux nombreux travaux consacrés à ces ques-
tions. Voir la bibliographie dans Djigo 2015.
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ecclésiastiques et nobiliaires, s’opère une nouvelle conception patrimo-


niale se référant à l’histoire et aux arts. Ainsi, par-delà leurs propriétaires
en titres, certains biens historiques et culturels appartiennent au patrimoine
collectif de la nation (Thiesse 2005). Cette forme de patrimonialisation
est née d’une prise de conscience de la nécessité de préserver les témoi-
gnages du passé, essentiellement matériels et monumentaux, expression du
bien commun de la nation et de sa grandeur. Elle se développe en Europe
aux XVIIIe et XIXe siècles, avec une importante évolution de son accep-
tion (Thiesse 1998, Desvallées 1998). Le concept de « patrimoine », qui
émerge dans un contexte spécifique, est donc lié, à l’origine, à un système
culturel très particulier, et ne prétend pas alors à l’universalité. La notion
de patrimoine connaît son apogée au courant du XXe siècle. À l’échelle des
organismes internationaux2, se forge l’idée de l’existence d’un patrimoine
à valeur universelle, dépassant le cadre des nations.
Le patrimoine, c’est ce qui constitue le bien matériel ou immatériel dont
l’une des caractéristiques est de permettre d’établir un lien entre les généra-
tions tant passées que futures. Le patrimoine culturel recouvre des manifes-
tations diverses, tant matérielles (tels les sites et monuments, les paysages
culturels, les objets d’art) qu’immatérielles (tels les langues, les savoirs
et savoir-faire, les folklores). Le mot « patrimoine », dans son acception
récente, réunit un ensemble d’objets naguère désignés séparément (notam-
ment les monuments historiques, les œuvres d’art, les sites, les folklores).
Et le mot « patrimoine » qui permet de rassembler des éléments relevant
des monuments historiques, de la défense des traditions, de la protection
des sites ou du cadre de vie, n’est utilisé que depuis quelques décennies
(Desvallées 1998). Le « patrimoine culturel » est une notion relative et
complexe de par sa composition et l’usage qui peut en être fait.
Le modèle occidental de conception patrimoniale, tel qu’il a pu être
projeté au lendemain de la Révolution française, aujourd’hui mondialisé,
reste déterminant sur l’acception de la notion de patrimoine telle qu’elle
a été développée dans les milieux intellectuels et institutionnels, en dépit
d’une prise en compte de plus en plus large des cultures vivantes. Les
enjeux actuels (politiques et socioculturels) d’instrumentalisation du patri-
moine, lisibles dans les revendications identitaires et l’irrédentisme reli-
gieux, paraissent remettre en cause l’universalisation du modèle occidental
de patrimonialisation. Dans le cas spécifique du Sénégal, les dynamiques
de revendication autonomiste (conflit casamançais) ou de floraison d’as-
sociations communautaires concurrentes sont-elles des conséquences des

2. On peut citer la Société des nations (SDN), la Commission internationale de coopération


intellectuelle (CICI), l’Office international des musées (OIM), l’Organisation des Nations unies
pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
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PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

modèles d’intégration nationale et de politiques culturelles ? Quelle place


le patrimoine culturel occupe-t-il dans ces logiques de recompositions terri-
toriale, socioculturelle et hégémonique ? Cet article se propose d’explorer
en profondeur quelques pans du diptyque : « patrimoine culturel et iden-
tité nationale » au Sénégal, susceptible d’éclairer la construction des poli-
tiques culturelles étatiques durant les périodes coloniale et postcoloniale,
et ses conséquences sur l’« Homo Senegalensis 3 » actuel. La discussion
tourne, en premier lieu, autour de la constitution d’un patrimoine public
et des enjeux de patrimonialisation, dans un contexte de domination colo-
niale. Le deuxième aspect de la réflexion est axé sur le patrimoine culturel
comme enjeu de construction, de développement et d’unité nationale du
Sénégal postcolonial. Enfin, on s’interroge sur la représentation du patri-
moine culturel par les Sénégalais.

CONCEPTION ET EXHIBITIONS DU PATRIMOINE


SÉNÉGALAIS PAR LES AUTORITÉS COLONIALES
Genèse de la constitution de monuments architecturaux
et d’un patrimoine public
La fondation de la colonie du Sénégal4, à partir de 1816, est précédée puis
poursuivie5 par la mise en place d’un important dispositif stratégique qui

3. Ce terme est emprunté à la littérature consultée (documents officiels ou académiques) ; il dé-


signe, comme l’a théorisé le président Léopold Sédar Senghor, un type de sénégalais « enraciné
dans les valeurs de sa culture originaire mais ouvert aux valeurs positives des autres continents
et civilisations » (voir Senghor 1980 ; Mbengue 1973 ; Tambadou 1996).
4. Comme l’a noté Diouf (2001 : 15), le Sénégal est un territoire produit par les logiques de la
conquête coloniale et de la formation de l’empire colonial français. Ce mode de production de la
colonie qui deviendra, en 1960, un État indépendant et souverain, s’est traduit par une pratique
administrative et un gouvernement des hommes et des choses dont les effets sont indéniables.
L’espace colonial a assemblé les terroirs discontinus des communautés précoloniales.
5. La première habitation fixe des Français à l’embouchure du fleuve Sénégal (l’île de Bocos),
construite par Thomas Lambert (un marchand qui, depuis 1628 au moins, voyageait en Afrique),
date de 1638. La construction de l’habitation définitive dans l’îlot de Saint-Louis date de 1659.
Ce nouvel établissement, de proportions assez vastes et aménagé en enceinte fortifiée, prend
le nom de fort de Saint-Louis. Il répond largement aux exigences du commerce atlantique de
l’époque. En 1677, le roi envoie dans l’Atlantique une flotte, en partie armée par son com-
mandant, le vice-amiral d’Estrées. Celui-ci s’empare de Gorée qui appartenait aux Hollandais
(ces derniers y étant établis à la date de 1588) ; il en rase les deux forts établis par les Hollan-
dais cependant que Ducasse, le futur gouverneur de Saint-Domingue, avec le navire L’Étendu,
s’empare de Rufisque, de Portudal et de Joal, et conclut avec les chefs du pays des traités qui
assurent aux Français le monopole du commerce, moyennant le paiement d’une coutume. En
1698, André Brüe (nommé directeur de la compagnie du Sénégal en 1697) ordonne les travaux
de réparation pour les forts de Gorée. En 1780, les Français disposent au Sénégal de deux comp-
toirs principaux : Saint-Louis et Gorée. Ces comptoirs font l’objet de convoitises entre puis-
sances française et anglaise, et passent alternativement sous le commandement des deux. Par
le traité de Paris du 30 mai 1814, Saint-Louis, Gorée et leurs dépendances sont restitués à la
France. Mais ce n’est qu’en 1816 que la France entreprend de s’installer effectivement au Séné-
gal, jusqu’à l’indépendance, en 1960, et y met en place une administration de type européen.
Nommé gouverneur le 25 avril 1816, le colonel Schmaltz prend le commandement du territoire
après l’épisode tragique du naufrage de la Méduse au large du banc d’Arguin. Le drapeau fran-
çais flotte à nouveau sur Saint-Louis le 25 janvier 1817. À cette date, on entend, par « Sénégal et
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a pour but de faciliter l’exploration profitable du territoire, sa conquête, sa


défense et son organisation. Ce dispositif se traduit d’abord par l’édification
d’ouvrages de type militaire (tels les forts et fortins, les postes militaires,
les tours de guet ou autres ouvrages similaires) et la réappropriation du
patrimoine architectural construit pendant la période de la traite atlantique.
Les besoins de fonctionnement de la machine coloniale française6 entraînent
alors la création d’infrastructures administratives, civiles, industrielles et
religieuses (à titre d’exemple, les bâtiments administratifs, écoles, voiries,
chemins de fer et gares, hôpitaux, églises et mosquées) – souvent analogues
à celles en usage dans la métropole –, notamment dans les zones qui offrent
des avantages stratégiques et économiques exploitables (Saint-Louis,
Gorée, Dakar et Rufisque). Ces besoins favorisent aussi l’importation et
le développement d’une nouvelle culture, qualifiée de coloniale7. Celle-ci
se traduit par l’usage de nouveaux produits, techniques, matériaux,
conceptions spatiales ; et par l’adoption d’une nouvelle esthétique et d’un
nouvel art (culinaire, vestimentaire, ornemental, musical). L’objectif du

dépendances », le Sénégal, c’est-à-dire Saint-Louis, les dépendances étant Gorée et les établisse-
ments de la Petite-Côte, Rufisque, Joal et Portudal. De part et d’autre de la colonie du Sénégal,
l’espace comprend une diversité d’entités politiques et sociales : les royaumes wolof comme
le Walo, le Djolof, le Cayor et le Baol ; ceux, sereer, du Sine et du Saloum ; celui, pulaar, du
Tékrour ou le Fouta Tooro ; ceux, soninke, comme le Khasso et le Gadiaga ou le Galam ; ceux,
manding, comme le Niani, le Wouli, le Bambouk, le Badibou ; et les différentes principautés
de la Casamance : joola, manding, balant, baïnuk. Voir Cultru 1910, Mbaye 1991, Diouf 2001.
6. La nomination de Faidherbe à la tête du gouvernement du Sénégal, le 16 décembre 1854,
marque une phase importante de la conquête du pays. Cette nomination n’est pas fortuite, car il
fallait « s’apprivoiser » les Noirs et les Maures du Trarza et du Brakna : ce gouverneur a étudié
le monde musulman pendant six ans en Algérie, a été en contact avec les Noirs pendant deux
ans à la Guadeloupe (où il a assisté à la proclamation de la liberté), et en deux ans, au Sénégal,
il a parcouru toute la colonie, il a fait partie de l’expédition du commandant Baudin à Grand-
Bassam, et s’est tenu informé des questions en instance. Faidherbe parvient à imposer la recon-
naissance de l’autorité française à des régions qui l’avaient jusque-là contestée (comme le Walo,
le Fouta, le Djolof, le littoral). Après le départ de Faidherbe (mai 1865), ses successeurs continu-
ent la politique expansionniste. Ils mènent des campagnes au Cayor, au Djolof, au Fouta, dans le
Haut-Fleuve, au Saloum et en Casamance. Le découpage administratif colonial parachève le dé-
mantèlement des anciens royaumes précoloniaux et le remplacement des oligarques locaux. Un
nouvel ordre colonial se substitue à l’ancien, avec des hiérarchies revisitées (voir Brunel 1892).
7. Sur le plan démographique, Saint-Louis et Gorée présentaient la particularité d’avoir une
population hétérogène. Outre ceux qu’on appelait les « habitants » (les mulâtres, signares, gour-
mets, musulmans, plus importants en nombre, à Saint-Louis, et comprenant plusieurs identi-
tés sociolinguistiques), cette population compte des Européens (Français, Antillais ou autres
Européens) et des esclaves ou captifs libérés, selon les périodes. Au contraire, la population
des communes de Dakar et de Rufisque était beaucoup plus homogène dans sa composition,
majoritairement lebu et wolof, comptant notamment, aux côtés d’autres minorités linguistiques,
quelques Gourmets, Sereer, et Hal-pulaaren. La concentration des structures coloniales dans
les capitales administratives – de la colonie du Sénégal et de l’Afrique occidentale française
(AOF) – Saint-Louis puis Dakar favorisait le flux de migrants venus de contrées voisines et
lointaines (Fouta-Tooro, Walo, Djolof, Mauritanie, Sierra Léone, Niger, Maroc, Antilles). Cette
composition hétérogène de la population favorisait la production et le développement d’une cul-
ture hybride avec des influences européennes, arabo-musulmanes, africaines (voir Boilat 1984 ;
Johnson 1991 ; Diouf 2001).
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PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

colonisateur est de modifier les habitudes profondes des « indigènes8 » et


d’essayer de les rapprocher sensiblement de sa conception des normes de
vie socioculturelles.
Ces éléments nouveaux, importés de l’Europe ou des autres possessions
coloniales françaises, se sont imposés dans la colonie du Sénégal. Ils ont
progressivement concerné les conceptions et usages de l’espace urbain, les
habitudes, les comportements, les modes de vie, l’habillement, la parure, la
parfumerie, l’alimentation, l’art. Les nouvelles valeurs coloniales (archi-
tecturales, vestimentaires, esthétiques et de vie morale) sont d’abord adop-
tées et/ou adaptées par la communauté métisse ou les mulâtres, et par
certains habitants des Quatre Communes du Sénégal (Dakar, Saint-Louis,
Gorée, Rufisque9) – habitants appelés les « originaires », les « évolués » ou
les « assimilés ». Puis, progressivement, une frange importante de la popu-
lation urbaine autochtone s’approprie ces valeurs. L’importation et l’adop-
tion de la culture coloniale engendrent de nouvelles identités sociales,
culturelles, mémorielles, intellectuelles, spatiales, patrimoniales, à carac-
tère essentiellement urbain. Ces nouvelles identités, à leur tour, instaurent
des distinctions au sein de la population colonisée et des espaces de vie de
chacun : citoyens et sujets français, lettrés francophones et arabophones ou
illettrés, ruraux et citadins, quartiers résidentiels et banlieues, architecture
moderne/européenne et architecture locale10.
Au fil du temps, certaines constructions réalisées au Sénégal pour des
besoins administratifs, militaires, civils ou industriels sont perçues par les
colonisateurs comme des biens patrimoniaux11. Ces derniers deviennent un

8. Le terme indigène est utilisé dans la littérature de l’époque coloniale pour désigner
l’autochtone et tout ce qui s’attache à lui ; jusqu’à la fin du XIXe siècle, il l’est souvent de façon
péjorative, pour justifier l’impérialisme français et sa politique d’assimilation culturelle.
9. Dans ces villes, nommées les Quatre Communes du Sénégal, la politique, selon le modèle
européen, s’implante dès le XVIIIe siècle. Saint-Louis et Gorée ont déjà des maires africains, au
moment de la Révolution française, et élisent un député à l’Assemblée nationale à Paris, en 1848.
La loi municipale métropolitaine de 1872 accorde aux centres urbains de Gorée et de Saint-Louis
le statut de communes. Rufisque et Dakar accèdent respectivement au statut de communes de
plein exercice en 1880 et 1887. Les habitants des Quatre Communes élisent un conseil municipal
et un député sénégalais à l’Assemblée nationale à Paris. Ils sont pourvus des mêmes droits civils
et politiques que les métropolitains, à condition de se soumettre aux codes culturels et civils
français (voir Johnson 1991).
10. Voir Djigo 2012.
11. On peut citer l’île de Gorée (elle fut, pendant la période de traite atlantique, briguée par
les compagnies commerciales portugaises, néerlandaises, anglaises et françaises), chargée de
mémoire pour les Français qui l’avaient prise sur les Hollandais en 1677. L’île de Gorée tout
entière avait été déclarée site historique et inscrite sur la liste des Monuments naturels et des
sites relevant du ministère des Colonies par l’arrêté no 2272 du 15 novembre 1944. Cette mesure
permettait à Gorée de sauvegarder son cachet colonial et de conserver le style XVIIIe-XIXe siècle
qui fait une bonne partie de son charme. D’autres monuments coloniaux, des sites naturels ou
archéologiques, des objets d’art et lieux de mémoire indigènes furent également inscrits sur
la liste officielle ou proposés au classement. Il s’agissait de la presqu’île dite « pointe des Al-
madies » (classée par arrêté no 223 du 10 août 1942) ; d’une collection d’objets anciens en or de
style baoulé-ashanti du XVIIe ou XVIIIe siècle (acquise par l’IFAN de Dakar en 1945 et classée
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rouage important dans la politique coloniale de préservation du patrimoine


historique et culturel. Ces monuments architecturaux sont considérés
comme patrimoine parce que témoins d’une mémoire coloniale12. Ils sont
ainsi classés – par le gouvernement colonial – sur la liste des monuments
naturels et des sites historiques de l’Afrique occidentale française (AOF)13.

Il est établi dans chaque colonie, pays de protectorat ou territoire


sous mandat, relevant du ministère des Colonie, une liste de biens
immobiliers, une liste de monuments naturels ou de sites dont la
conservation et la préservation présentent un intérêt historique,
artistique, scientifique, légendaire ou pittoresque14.

L’inscription sur ces listes est prononcée par arrêté du chef du territoire,
sur proposition de la Commission des monuments historiques et des arts
indigènes. La liste de classement des monuments et sites est publiée au
Journal officiel de l’AOF.

Inventaire des traditions historiques orales


Par ailleurs, le souci de mieux connaître et faire connaître les sociétés
à assimiler conduit à la collecte, la transcription et l’étude des langues,
coutumes et mœurs indigènes (qui constituent les principaux traits du
patrimoine culturel15), en tant que matériau essentiel à cette démarche. Le

par arrêté no 1791 du 14 mai 1946) ; de la tour de guet de Dialakhar (située à environ 40 km au
sud-est de Saint-Louis et construite en 1856) ; d’arbres sacrés et lieux de mémoire de la commu-
nauté lebu à Dakar, de sites archéologiques découverts à Dakar et Saint-Louis. Voir Djigo 2012.
12. Du point de vue législatif, le décret du 25 août 1937, tendant à la protection des monuments
naturels et des sites à caractère historique, scientifique, légendaire ou pittoresque des colonies,
pays de protectorat et territoires sous mandat relevant du ministère des Colonies, étend en AOF
la protection du patrimoine historique monumental. Mais la récupération et la restauration, par
les Français, du patrimoine bâti ancien, pour les besoins du commerce ou de l’administration,
remontent à bien avant les mesures juridiques de protection patrimoniale : on peut citer, à titre
illustratif, les travaux de réparation des forts de Gorée en 1698 (ordonnés par André Brüe), ceux
du fortin de Portudal au XVIIIe siècle, la réappropriation, à Ziguinchor, des bâtiments ayant
abrité l’ex-maison de commerce Maurel et Prom ainsi que l’ex-hôtel de ville. Voir Djigo 2015.
13. Lettre de Théodore Monod (no 580/IFAN), adressée à Monsieur le Directeur des affaires
politiques, administratives et sociales du gouvernement français, datée du 26 février 1947. Ar-
chives nationales du Sénégal, sous-série O 625 (31).
14. Journal officiel, article 2 du décret du 25 août 1937, tendant à la protection des monuments
naturels et des sites de caractère historique, scientifique, légendaire ou pittoresque des colonies,
pays de protectorat et territoires sous mandat relevant du ministère des Colonies (Journal of-
ficiel AOF no 1744 du 16 octobre 1937 : 1063-1065) ; article 1er, loi no 561106 du 3 novembre
1956 ayant pour objectif, dans les territoires relevant du ministère de la France d’Outre-mer, la
protection des monuments naturels, des sites et monuments à caractère historique, scientifique
ou ethnographique, et la réglementation des fouilles. Journal officiel de l’AOF du 12 janvier
1957 : 53-57.
15. Les langues, les coutumes, la littérature orale (contes, légendes, proverbes, récits épiques
ou initiatiques) avaient des fonctions pédagogiques, morales, identitaires et historiques. Ces
composantes du patrimoine culturel ont longtemps occupé une place de choix dans les socié-
tés sénégalaises. Elles permettaient de former les individus en leur léguant les expériences, les
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PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

besoin de satisfaire une curiosité intellectuelle voire scientifique, associé


aux nécessités de l’administration, ont amené des militaires et des admi-
nistrateurs coloniaux à se distinguer dans la recherche anthropologique
et ethnologique : on peut citer, à titre illustratif, les rapports et études de
Roger (1828, 1829), Carrère et Holle (1855), Faidherbe (1859, 1882, 1887),
Bérenger-Féraud (1879, 1885), Delafosse et Gaden (1913), Labouret
(1929), Vieillard (1937). Les faits marquants de la vie quotidienne des
sociétés soumises sont inventoriés, traduits en français, étudiés et restitués
dans des manuscrits, voire diffusés dans des monographies, catalogues ou
revues scientifiques renommées comme Le Moniteur du Sénégal, la Revue
d’ethnographie, le Bulletin de l’enseignement de l’Afrique occidentale,
le Bulletin du Comité d’études historiques et scientifiques de l’AOF, le
Bulletin de l’IFAN, les Notes africaines.
Cela traduit une nouvelle forme de patrimonialisation16 des langues,
des us et coutumes de différents groupes ethnolinguistiques. Ceux-ci
sont désormais étudiés, fixés sous la forme écrite, et archivés, en vue de
permettre une meilleure connaissance des autochtones et de constituer
une mémoire coloniale. Certaines langues et coutumes sont menacées
d’altération en raison de la place prépondérante accordée à l’écrit par le
pouvoir colonial (notamment dans l’administration et l’enseignement) et,
surtout, des dynamiques profondes des sociétés soumises entraînées par
les références et valeurs importées. On peut remarquer les contradictions
des colonisateurs par rapport aux cultures africaines. D’une part, ils ont
œuvré à étouffer, déstabiliser des symboles et valeurs autochtones dans le
but d’imposer le pouvoir colonial et la politique d’assimilation culturelle.
D’autre part, ils ont contribué à inventorier des langues et coutumes en vue
de connaître, mais aussi de parvenir à unifier et administrer, en les classi-
fiant, des populations dont les traditions orales étaient considérées par les
ethnologues comme vouées à disparaître.
Au Sénégal, des militaires et des administrateurs coloniaux (notam-
ment Faidherbe, Binger, Houdas, Delafosse, Clozel, Gaden), en plus

techniques et les valeurs tirées du passé. Elles étaient de ce fait appropriées et transmises orale-
ment de génération en génération. Voir infra.
16. Bien que l’objectif des recherches ethnographiques coloniales soit de connaître et faire con-
naître les populations autochtones et leurs cultures (l’ethnographie descriptive et la linguistique
y ont occupé une place de choix) en vue de mieux les comprendre, de faciliter l’administration
pacifiée de la colonie (inventaire exhaustif des sociétés et des richesses matérielles et humaines)
et l’assimilation culturelle, elles traduisent aussi une nouvelle forme de patrimonialisation de
l’héritage culturel – la communication orale étant le moyen habituel de transmission des règles
de fonctionnement des sociétés, des faits du passé et des traditions culturelles –, dans la mesure
où des traditions historiques orales sont systématiquement collectées, traduites en français,
interprétées et relatées dans des manuscrits, voire vulgarisées dans des revues scientifiques.
« Patrimonialisation » renvoie ici aux nouvelles procédures d’identification, de connaissance,
d’inventorisation, de conservation et de valorisation (à travers les publications) des éléments du
patrimoine culturel qui sont ciblés.
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des chercheurs de l’IFAN (particulièrement Théodore Monod, Raymond


Mauny, Charles et Vincent Monteil) ont grandement contribué à cette
opération pionnière de patrimonialisation des sources orales africaines.
Leurs travaux constituent, entre autres, des sources incontestables pour la
recherche dans le domaine de l’histoire, de la sociologie et de la culture
des sociétés sénégalaises. L’IFAN de Dakar a l’honneur de conserver des
fonds de documents manuscrits, écrits ou recueillis par des administrateurs
français ou par leurs collaborateurs : il s’agit des fonds Brévié, Figaret,
Vieillard et Kamara (Diallo 1966).

Nouveau regard sur la « culture matérielle » des indigènes


Parallèlement au recueil des langues et traditions, sont effectuées des
collectes d’objets ethnographiques des populations locales, qui renfor-
cent les premières collections des « cabinets de curiosités » du XVIe ou
du XVIIIe siècle. D’abord le fait des missionnaires et des marchands des
Compagnies commerciales européennes (du XVIe au XVIIIe siècle), les
collectes d’objets ethnographiques du Sénégal sont poursuivies par des
militaires et administrateurs coloniaux lors des expéditions militaires orga-
nisées dans ce pays dans le cadre de la conquête, la défense et l’extension
du territoire colonial français. Ainsi se constituent des collections privées,
symbolisant des prises de guerre, ramassées dans les champs de bataille
ou acquises (que ce soit par don, échange ou « confiscation » : les trésors
des souverains vaincus sont « confisqués »). Ces collections de trophées de
guerre, expédiées vers la métropole, sont ensuite remises en donation à des
institutions muséologiques françaises. Elles contribuent donc à renforcer
les collections africaines des établissements muséologiques français.
Suivant une dynamique visant à connaître et à évangéliser les popu-
lations locales, les missionnaires17 ont constitué des collections privées
d’objets ethnographiques, de documents écrits et visuels (manuscrits,
photographies). L’exemple du Musée africain de Lyon est à ce titre illus-
tratif. Créé en 1861 par le père Augustin Planque, ce musée appartient à la
Société des missions africaines, fondée en 1856 par Mgr Marion Brésillac
et son premier compagnon prêtre, Augustin Planque. Y sont conservés de
nombreux objets collectés en Afrique occidentale subsaharienne par des
missionnaires, puis rapatriés en France. On recommande aux missionnaires
de collecter toute espèce d’objet usuel ou d’armement des populations

17. Les représentants de congrégations religieuses, dotés d’un idéal d’évangélisation, sont en-
voyés au Sénégal à partir du début du XIXe siècle, bien que la présence de prêtres soit attestée
dans les comptoirs dès le XVIIIe siècle. En accord avec l’administration coloniale, les congréga-
tions religieuses n’ont fait que peu ou pas de prosélytisme dans les zones fortement musulmanes.
Les missions d’évangélisation sont plus actives sur le littoral et à l’intérieur, chez les Sereer de la
Petite-Côte et ceux du Nord-Est, chez les Joola et autres communautés casamançaises, ainsi que
chez les Malinke et les Basari (Robinson 2004).
321 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

autochtones, et de les envoyer en France accompagnés de quelques mots


de notice (Bonemaison 2007). Parmi les collections privées expédiées vers
la métropole, citons les 62 objets collectés au Sénégal par le lieutenant-
colonel Faidherbe, et conservés au Muséum d’histoire naturelle de Lille18.
Indiquons également les donations de Cyprien Monborgne, Reichenberg,
Archinard, acquises par le musée des Arts africains et océaniens (qui prit
la suite de l’Exposition permanente des colonies), par le Musée ethno-
graphique du Trocadéro (futur musée de l’Homme) et par le Muséum
d’histoire naturelle du Havre (Dembélé 2001 ; Mbaye 1995). Parmi les
donations conservées au Muséum d’histoire naturelle du Havre, notons
la présence d’une partie des collections d’objets du « Trésor de Ségou »,
dont le tambour de l’empire omarien (il servait à diffuser les messages),
des armes, divers matériels d’apparat ou de parade et d’accoutrement19. Ce
patrimoine omarien est capturé par Archinard, le 6 avril 1890, lors de la
prise de la ville de Ségou sur Ahmadou, fils d’El Hadj Omar Tall (1797-
1864)20. Ces différentes collections privées et donations muséologiques
(par des missionnaires, militaires ou administrateurs coloniaux) traduisent
un regard nouveau sur ces objets de la culture matérielle indigène, qui se
retrouvent dans des institutions muséales pour y être conservés. Ils sont
donc considérés comme des biens culturels présentant un intérêt esthé-
tique, historique, scientifique ou artistique.

Mise en scène et folklorisation des cultures et arts indigènes


Les besoins de la politique coloniale, les projets muséographiques, les
expositions universelles et coloniales, le développement de l’ethnologie et
le goût de l’exotisme intensifient les « campagnes officielles » de collecte
de ce qu’on appelle aujourd’hui le patrimoine culturel africain. Le milieu
du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle correspondent à la
glorification de l’entreprise coloniale (aussi bien dans les colonies qu’en
métropole), qui se manifeste par l’organisation d’expositions coloniales
nationales ou internationales21 dans les pays européens et par la création

18. Cette collection de Faidherbe est constituée d’objets d’usage domestique, de parures et
d’armement appartenant aux guerriers et à l’aristocratie en place dans les royaumes voisins de
Saint-Louis ou situés en amont du fleuve Sénégal, et tombés sous le joug français à la suite de
multiples traités de paix et de concessions territoriales. Ces 62 objets faisaient partie auparavant
des anciennes collections du musée des Beaux-Arts de Lille, ils ont été acquis, depuis 1991, par
le Muséum d’histoire naturelle de Lille. Cf. Dembélé 2001.
19. En 1994, le khalife Thierno Mountaga Tall avait obtenu des autorités françaises la mise à
disposition de manuscrits de la bibliothèque omarienne, convertis et sauvegardés en microfiches.
Le sabre du combattant Cheikh El Hadj Omar fut exposé, en 1997, à Dakar, lors de la commé-
moration du bicentenaire de la naissance de cette figure historique. Voir Diallo 2011.
20. Voir Mbaye 2006.
21. En France, plusieurs expositions nationales et universelles sont organisées à Paris (en 1855,
1867, 1878, 1895, 1889, 1900, 1907, 1931, 1937), à Lyon (en 1894, 1914), à Marseille (en 1906,
1922), et la plus triomphale est l’Exposition coloniale qui s’est tenue à Paris en 1931.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 322

de musées d’ethnographie22. Cette propagande officielle vise à sensibiliser


l’opinion publique sur l’intérêt économique et culturel de la colonisation,
et à susciter le goût de l’exotisme. Il s’agit de faire adhérer la population
métropolitaine à l’idée coloniale, à ses vertus civilisatrices et humanistes.
Les expositions coloniales sont conçues comme de véritables musées
vivants où sont exhibés, dans de présupposés « villages africains », des
artisans et leur famille, des musiciens, censés être en train de vaquer à leurs
occupations (David 2006). Les expositions coloniales, notamment celle
organisée en 1931 à Paris (au bois de Vincennes), ainsi que les institutions
muséales, contribuent au discours de légitimation de la domination colo-
niale, et d’encouragement du tourisme (de l’Estoile 2007).
Dans le cadre de la politique de mise en valeur des colonies françaises,
édictée par le ministre des Colonies Albert Sarraut, au début des années
1920 (Sarraut 1922), le gouvernement donne l’impulsion pour la publica-
tion des premiers guides touristiques de l’AOF23. On invite les touristes,
en quête d’exotisme, à assister à des spectacles de danse (à travers les
« tam-tams », les « festivités et cérémonies locales »), à rencontrer des
dignitaires indigènes, à acheter des souvenirs artisanaux dans les marchés
(tels Sandaga et Kermel à Dakar), à visiter des monuments coloniaux et les
musées (Dulucq 2009)24. La promotion du tourisme exotique est un appel à

22. En France, Ernest Théodore Hamy crée, en 1879, le Musée ethnographique du Trocadéro à
Paris (il devient le musée de l’Homme en 1938). En 1931 est inauguré le Musée permanent des
colonies qui devient, en 1933, musée de la France d’Outre-mer, ensuite musée des Arts africains
et océaniens en 1960, puis Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (MNAAO) en 1991.
L’essentiel des collections du musée de l’Homme, ainsi que celles du MNAAO sont transférées,
entre 2002 et 2004, au musée du Quai Branly, à Paris, ouvert au public en juin 2006. Le MNAAO
est supprimé en janvier 2003 ; le musée de l’Homme a fermé ses portes en 2010 ; il a rouvert,
après avoir été rénové, le 17 octobre 2015.
En Afrique occidentale française, Louis Faidherbe crée, en 1863, à Saint-Louis (Sénégal),
un Musée industriel, ethnographique et d’histoire naturelle. Lorsque ce premier musée disparaît,
les fonds sont transférés à Dakar, en 1869, et rassemblés dans ce qui prend alors le nom de musée
de Dakar. Ces collections sont intégrées à l’institut de recherche scientifique nommé Institut
français d’Afrique noire (IFAN), créé en 1936 à Dakar. Elles sont par la suite enrichies de col-
lections conséquentes provenant des différentes colonies d’AOF et d’AEF ; des expositions tem-
poraires sont régulièrement organisées. En 1954 est inauguré le Musée historique de l’Afrique
occidentale française à Gorée. Un nouveau musée ethnologique, le musée Michel-Adanson, est
aussi ouvert à Saint-Louis, en 1956.
23. C’est sous l’égide du gouverneur général Jules Cardes qu’est publié, en 1924, le Bréviaire
du tourisme en Afrique occidentale française, édité par les services du gouvernement général et
imprimé par les services centraux de l’AOF. En 1926, le gouvernement général de l’AOF a édité
le Guide du tourisme en Afrique occidentale française, Paris, Émile Larose. Ce guide fut régu-
lièrement réédité et augmenté puis relayé par les Guides bleus Hachette à partir des années 1950.
D’après Dulucq (2009 : 28), l’activité touristique, difficile à quantifier en l’état actuel des recher-
ches et compte tenu de l’imprécision structurelle des sources, ne cesse de progresser tout au
long de la période coloniale, passant de quelques centaines de voyageurs dans les années 1920 à
quelques milliers dans la décennie 1950.
24. Comme l’indique Dulucq (2009 : 42), l’émergence d’un patrimoine africain inventorié, col-
lectionné, étudié, éventuellement sauvegardé et mis en musées, est l’un des aspects culturels que
les guides de l’époque coloniale promeuvent dès qu’ils en ont la possibilité.
323 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

la découverte des indigènes, à travers leur culture et leurs arts, à magnifier


la politique impériale, mais aussi pour le développement économique des
possessions françaises (de l’Estoile 2007, Dulucq 2009). Dans le cadre des
expositions universelles et de la promotion du tourisme exotique, il y a
cette dimension de folklorisation du patrimoine africain. Le colonisateur
sélectionne et fait la promotion de certaines particularités ou manifesta-
tions culturelles qu’il juge être les plus visuelles. Il porte ainsi un regard
« prévenu » sur les cultures africaines, qui se traduit par un processus de
simplification visant une vulgarisation des traditions culturelles. Cette folk-
lorisation de la culture populaire, tout en glorifiant « le progrès culturel et
humanitaire de la colonisation », a aussi pour but de transformer celle-ci en
un produit valorisé, susceptible de susciter le développement économique,
tout comme celui du tourisme culturel. On peut soutenir qu’il y a bien une
instrumentalisation de la culture populaire par les pouvoirs publics, qui
tendent à définir arbitrairement et à fixer leurs normes aux pratiques cultu-
relles des communautés.
Les exigences des établissements scientifiques français occasionnent
l’organisation de missions ethnologiques25 et engendrent une mise en
scène des « races et des mœurs indigènes », notamment à travers des expo-
sitions temporaires ou permanentes. Les arts et cultures des populations
se voient ainsi soumis à de nouveaux critères de définition et de conser-
vation, différents de ceux des autochtones qui les avaient produits. Cet
héritage culturel, qui est dynamique et fonctionnel dans le quotidien des
individus et des collectivités, fait l’objet d’une définition et d’une interpré-
tation obéissant à une approche scientifique qui se réfère à l’histoire, à la
civilisation et aux arts. C’est ainsi que des objets fonctionnels dans le cadre
de traditions socioculturelles se retrouvent dans un nouveau contexte, figés
dans des institutions muséales. À titre d’exemple, dans les collections du
musée Théodore-Monod d’art africain de la place Soweto, ex-musée de
l’IFAN, sont présentés de nombreux objets de Côte d’Ivoire, qui, ainsi
qu’il est noté dans leur notice muséographique, viennent « d’enclos désa-
cralisés de la région de Korhogo ». Se produit donc un changement de
culture, d’usage et de conservation d’objets ethnographiques indigènes.
Cette nouvelle pratique du patrimoine et les stratégies de protection des
biens culturels s’y associant obéissent aux mesures et normes en usage

25. Les missions scientifiques d’Henri Labouret (1932-1936), de Lhote (1933-1941), de Georges
Waterlot (1935-1937), ainsi que celles de Marcel Griaule (principalement l’expédition eth-
nographique de Dakar-Djibouti, en 1931-1933) ont occasionné des collectes importantes d’objets
du patrimoine culturel sénégalais et de l’Afrique francophone. Cf. Archives nationales du Séné-
gal : sous-série O604(31). Voyages et missions scientifiques (1932-1942) ; sous-série O606(31).
IFAN, Musée et organisation de la recherche scientifique et ethnographique en AOF (1933-
1942) ; sous-série O625(31). Entrée des missions scientifiques en AOF (1945-1948) ; O626 (31).
IFAN : missions scientifiques (1945-1953). Voir aussi les travaux de Féau 2001 et Doquet 1999.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 324

dans la métropole26.Elle s’inscrit dans la dynamique politique, scienti-


fique et culturelle de la France et des nations européennes aux XIXe et
XXe siècles.
La notion occidentale de patrimoine – c’est-à-dire allant dans le sens
du réflexe de protection de biens collectifs ou privés comme patrimoine
public – traverse ainsi les frontières sénégalaises par le biais du colonialisme
qui tente de construire une nouvelle identité indigène, à l’image de celle
de la mère patrie. L’émergence au Sénégal de cette notion de patrimoine
traduit la reproduction, dans la colonie, du modèle français de politique
culturelle et de protection patrimoniale. Outre la collecte et la conservation
des traditions et coutumes locales, la politique coloniale de sauvegarde du
patrimoine se décline sous diverses formes, telles que la préservation des
archives (administratives et scientifiques) et du patrimoine bâti, les fouilles
archéologiques et la muséologie, les mesures d’appui aux arts indigènes,
la création d’institutions culturelles27. Cette notion de patrimoine introduit
de nouveaux éléments, à savoir les objets archéologiques, les éléments
architecturaux, les archives et les musées.
On peut prétendre que cette notion de patrimoine n’a de signification et
d’intérêt que pour ceux qui l’ont introduite dans ce territoire. Dans sa poli-
tique de préservation du patrimoine sénégalais ou de l’AOF, il semble que
le colonisateur n’ait pas pris en compte les réalités culturelles locales ainsi
que les contextes et milieux d’usage qui déterminent la valeur sociale, reli-
gieuse ou politique de certains objets ethnographiques. Cela laisse supposer
un manque de considération des besoins et des aspirations des commu-
nautés, en vue de la conservation de leur héritage culturel. Le pouvoir colo-
nial n’admet d’ailleurs, dans aucun domaine de sa politique, de liberté réelle

26. La protection du patrimoine culturel et la régulation des fouilles archéologiques dans les
colonies ou protectorats français relevaient du ministère des Colonies. À part la question du
transfert des biens culturels indigènes hors de leur milieu, les mesures et normes de protection
patrimoniale étaient théoriquement calquées sur celles de la France. Du point de vue législatif,
un ensemble de textes réglementaires avait été adopté dans l’optique d’accompagner les mesures
de protection du patrimoine culturel. Pour de plus amples informations concernant l’ensemble
des dispositifs juridiques régulant le patrimoine culturel du Sénégal sous domination coloniale,
se référer à Djigo 2012 ; on retrouve, en annexes du document cité, les textes de loi.
27. Une des institutions les plus prestigieuses est l’Institut français d’Afrique noire (IFAN),
fondé en 1936 à Dakar, et qui rayonna en Afrique occidentale française avec des centres locaux
créés dans les capitales des colonies de la fédération. En 1942 est créé l’Office de la recherche
scientifique coloniale qui deviendra Office de recherche scientifique d’Outre-mer (ORSOM) puis
Office de recherche scientifique et technique d’Outre-mer (ORSTOM) en 1944-1953, rebaptisé
plus tard (en 1998) Institut de recherches pour le développement (IRD). Dans les années 1940,
des Français avaient mis sur pied, au Sénégal, des structures de promotion des artistes locaux :
en exemple, on peut citer les initiatives de Me Causson qui avait monté une sorte d’académie
des arts plastiques africains couvrant l’AOF ; celles de Paul Richez qui avait créé, en 1948, un
établissement privé d’enseignement artistique nommé Conservatoire de musique et d’art drama-
tique de Dakar ; à la même époque existait également un institut pour la formation des plasticiens
africains. À partir de 1953, sous l’impulsion du haut-commissaire Bernard Cornut-Gentil, les
centres culturels se développèrent dans plusieurs localités du Sénégal. Voir Djigo 2015.
325 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

pour la population indigène, toute autonomie présentant un danger pour


l’entreprise que ce pouvoir entend mener (Mbembé 2006). Ce qui laisse
imaginer que les colonisés ne sont pas, a priori, impliqués dans la préser-
vation de leur héritage culturel, désormais devenu un patrimoine public. Il
semble qu’ils n’ont pas pu faire paraître, ni faire passer leurs choix, leurs
désirs et leurs idées au sujet de la nouvelle gestion patrimoniale imposée
par le pouvoir colonial. Peut-on prétendre vouloir conserver le patrimoine
culturel de différentes communautés, sans les associer à la gestion de celui-
ci, et sans tenir compte de leur propre perception du patrimoine ?
La nouvelle notion de patrimoine accorde aux biens culturels une autre
valeur, différente de celle de leur contexte de production et de fonctionna-
lité, sans réellement tenir compte des réalités et des pratiques sociocultu-
relles existantes. Les sociétés sénégalaises sont caractérisées par l’oralité
dans la transmission des savoirs, des techniques, des valeurs, des traditions
et des symboles culturels. Les chefs de collectivités, les griots, les féti-
cheurs, les devins, les gardiens de lieux de culte, les artisans, les marabouts,
les penseurs et les personnes âgées représentent les sages, les artistes et les
intellectuels ayant le privilège de conserver et de véhiculer le patrimoine
communautaire28. Mais dans ce mode oral de transmission des connais-
sances et des pratiques, très souvent, les paroles invoquent et commandent
des objets usuels, des gestes, des espaces et des espèces qui leur sont intrin-
sèquement liés. Ce qui fait que le patrimoine oral ou immatériel renvoie à
une multitude d’éléments tangibles qui relèvent du patrimoine technique,
artistique ou architectural29. Par ailleurs, dans les sociétés sénégalaises,
l’espace n’est pas conçu avec des structures architecturales durables, mais
plutôt avec des matériaux périssables (végétaux, terre, bois) et renouve-
lables30. Le modèle occidental de patrimonialisation importé et mis en
œuvre au Sénégal par le colonisateur traduit, là encore, une méconnais-
sance de la signification profonde ainsi que du fonctionnement des signes
culturels autochtones. Ceci n’est pas étonnant, car la notion de patrimoine
est transférée dans le territoire sénégalais non pas pour promouvoir les
éléments d’une culture locale – d’ailleurs longtemps niée et étouffée par
le colonialisme –, mais pour satisfaire d’abord les besoins et les ambitions
de l’impérialisme colonial. La gestion patrimoniale menée au Sénégal par

28. Nous reviendrons sur cette question dans la dernière partie.


29. Pour plus de détails concernant la relation entre le patrimoine immatériel et celui, matériel,
du Sénégal, voir l’analyse dans Djigo 2015.
30. Les concessions ou maisons entourent, le plus souvent, un espace à peu près circulaire, c’est
la grande place centrale. Cette place publique centrale, appelée penc en wolof et diŋgiral en pu-
laar, structure l’espace, c’est le lieu de rencontre où se règlent les affaires sociales et culturelles
de la collectivité. Cet espace, en tant que lieu de convivialité et de dialogue, est important aux
yeux de la communauté. Il possède son arbre à palabre, ce lieu symbolique devenant celui d’un
enrichissement mutuel « réel ».
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 326

l’autorité coloniale relève de stratégies et mécanismes d’exploitation de la


colonie, d’imposition de nouvelles valeurs et de déstabilisation des réfé-
rences culturelles autochtones. Pour dominer les autochtones et assurer le
prestige impérial, il fallait réajuster leurs espaces et repères culturels, déve-
lopper un dispositif permettant de les assujettir, de mieux les connaître, de
les assimiler. En ce sens, la protection et les mises en scène des signes
culturels locaux ne sont pas sans liens avec les visées coloniales ; elles
s’inscrivent dans le programme politique, intellectuel et artistique de la
France. Le colonisateur introduit au Sénégal le concept de patrimoine
suivant des préoccupations d’ordre économique, politique, ethnogra-
phique et pédagogique. Dans cette logique, il sélectionne et détermine ce
qui doit être préservé, valorisé comme patrimoine public, et impose ses
propres normes. L’étude et la préservation des cultures locales permettent
de mieux connaître les populations locales, d’administrer les territoires,
de favoriser l’attrait des touristes, d’instruire l’élite urbaine indigène et de
faire la propagande de l’idéologie coloniale. Ce modèle de politique cultu-
relle est-il poursuivi ou remis en cause au sortir de l’ère coloniale, avec
l’accession du Sénégal à l’indépendance, en 1960 ?

LE PATRIMOINE CULTUREL COMME SOCLE


DE CONSTRUCTION DE LA NATION INDÉPENDANTE
L’intégration nationale par la culture :
réappropriation sélective des héritages
Avec l’indépendance du Sénégal, l’élite intellectuelle et politique est
soucieuse d’assurer la cohésion des différentes communautés nationales.
Elle se préoccupe aussi d’asseoir la nouvelle identité de la nation indé-
pendante sur d’autres bases, et non uniquement sur celles léguées par le
système colonial. L’un des objectifs principaux est de revaloriser l’his-
toire précoloniale – notamment les traditions aristocratiques glorieuses –
et les valeurs identitaires marginalisées par la colonisation. À cet égard,
la culture reste mise en avant dans le discours politique et la devise du
développement national. La construction du nouvel État prend comme
soubassement la réintégration ou la réadaptation et la patrimonialisation
officielle des symboles et valeurs emblématiques hérités des ancêtres et du
passé négro-africain. Il s’agit, à travers la production de récits historiques
légitimant la négritude senghorienne, d’affirmer une identité collective
enracinée dans un passé commun. La construction de la jeune nation capi-
talise aussi le legs colonial dans le domaine socioculturel, administratif,
institutionnel, infrastructurel et intellectuel. Elle s’inscrit dans la dualité
entre construction et reconstruction à la fois des mémoires, des héritages
et de l’identité du Sénégal. Dans cette entreprise, les autorités ont mobilisé
les patrimoines culturel et identitaire.
327 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

Dans sa politique culturelle intense qui tourne autour de la dialectique


« enracinement et ouverture31 », Léopold Sédar Senghor – président élu
en 1960, en fonction jusqu’au 31 décembre 198032 – expérimente ses visions
sur la négritude et le panafricanisme. Son gouvernement s’attelle à la mise
en valeur et à la restructuration des mémoires historiques et des poten-
tiels patrimoniaux. C’est ainsi que l’État sénégalais indépendant se dote
d’une nouvelle symbolique nationale qui se substitue à celle qu’a imposée
le colonisateur français. Cette nouvelle symbolique, tout en puisant dans
l’histoire et le patrimoine local, prône aussi l’unité par rapport à la diversité
socioculturelle sénégalaise. Les autorités créent alors une nouvelle devise
(« Un peuple, un but, une foi ») ; un autre drapeau33 ; un nouveau sceau
(avec la symbolique du lion, de l’étoile et du baobab) ; un hymne national
et un hymne de la jeunesse (rédigés par le poète-président Léopold Sédar
Senghor). Les emblèmes de la jeune nation sénégalaise peuvent avoir
des significations différentes d’une communauté à l’autre. Les symboles
renvoient aux terroirs, aux divers systèmes de pensée et de croyance, aux
ancêtres (braves héros ou esprits bienveillants), à la nature34. À travers cette
nouvelle symbolique nationale, les autorités se réapproprient des mémoires
historiques, des identités et insignes socioculturels locaux.

Une politique culturelle volontariste


Le gouvernement dirigé par le président Senghor est très dynamique dans
la création de nouvelles infrastructures culturelles et le renforcement
des institutions héritées de la colonisation. Il est également attentif aux
recommandations des grandes organisations du système des Nations unies,
notamment l’Unesco, en matière de politique culturelle. Certaines struc-
tures (telles l’École d’architecture et d’urbanisme, Les Nouvelles Éditions
africaines, l’université des Mutants) ont des vocations sous-régionales ou
africaines. Senghor, théoricien de l’idéologie « pan-nègre », se veut, en
quelque sorte, le porte-parole de la civilisation africaine et noire dans sa
globalité, une civilisation qui doit coûte que coûte être ouverte à la culture
occidentale et à la modernité technologique. Avec la création d’établisse-
ments culturels tels l’École des arts (devenue l’Institut national des arts),
la Compagnie nationale du théâtre Daniel-Sorano, le Musée dynamique, la
Manufacture nationale de tapisserie, l’École de danse Mudra-Afrique, le

31. Ce couple de notions vise l’enracinement des Sénégalais dans leurs valeurs identitaires
ancestrales, allié à une ouverture aux autres civilisations.
32. À propos de la biographie et de la politique culturelle de Senghor, voir Mbengue 1973 ;
Senghor 1980 ; Vaillant 1990 ; Sylla 1998 ; Mbow 2003 ; Diagne 2007.
33. Le drapeau sénégalais est composé de trois bandes tricolores, verticales et égales, de couleur
verte, jaune et rouge ; il porte au centre de la bande jaune une étoile verte à cinq branches.
34. Pour plus de détails sur les significations de la nouvelle symbolique nationale sénégalaise,
cf. Djigo 2015.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 328

président Senghor favorise la création de nouveaux arts plastiques, visuels


et scéniques issus d’une synthèse de l’art nègre ancien et de la culture
occidentale. Ces arts nouveaux entendent prendre source et inspiration de
l’héritage ancestral (en l’occurrence le rythme et la danse, l’émotivité et
la sensibilité, l’image analogique et le parallélisme asymétrique, le vécu
socioculturel), tout en étant en harmonie avec les expressions et méthodes
artistiques occidentales et contemporaines. Ils doivent révéler et diffuser
l’identité culturelle et le patrimoine négro-africains.
Le président Senghor appuie aussi la préservation du patrimoine imma-
tériel sénégalais par la création d’institutions chargées du recueil de tradi-
tions orales de différents groupes (les Archives culturelles du Sénégal, le
Centre d’étude des civilisations, le laboratoire des littératures et civilisa-
tions rattaché à l’IFAN). Il œuvre en faveur de la promotion des langues
nationales, en permettant la codification et l’enseignement de six d’entre
elles (wolof, sereer, pulaar, joola, manding et soninke), bien que leur inté-
gration dans le système éducatif scolaire s’effectue très timidement. Les
formes locales d’expression musicale et de danse se redynamisent grâce
à la création, en 1961, de l’Ensemble lyrique traditionnel, de l’Ensemble
national et des ballets la Linguère et Sira Badral35. Les musées hérités
de la colonisation sont réaménagés, et leurs collections s’enrichissent de
nouveaux objets. Les expositions muséales s’inscrivent dans la logique de
mise en scène de la civilisation négro-africaine, de l’histoire des grands
empires africains et de celle des anciens royaumes sénégalais, de la traite
négrière (Gaugue 1997). L’Éducation nationale n’est pas en reste, dans
la politique de promotion du patrimoine culturel. Au cours des années
1965 à 1970, elle s’est largement investie dans la révision des programmes
scolaires et la construction de l’historiographie africaine36. L’adaptation
des contenus des programmes enseignés (notamment dans les disciplines
comme l’histoire, la géographie, les sciences naturelles, le français) aux
réalités sénégalaises et africaines est mise en œuvre.
Dans les années 1970, la Direction du patrimoine historique et ethno-
graphique37 effectue des missions de recensement des sites et monuments
historiques du Sénégal. Poursuivant le travail déjà entamé pendant la période
coloniale, ces missions aboutissent à l’élaboration de nouvelles mesures

35. Ces ensembles se chargent de la promotion et de la diffusion (au niveau national et interna-
tional) de la culture populaire, notamment les musiques, danses, chants et folklores du Sénégal.
Toutes les composantes ethnolinguistiques du pays y sont représentées et les artistes choisis,
issus de différentes régions du pays, sont solidement enracinés dans le terroir.
36. Cf. Rapport sur les résultats…, 1969.
37. Créée en 1968 sous le nom de Direction du patrimoine historique, ethnographique et ar-
tistique, elle devient la Direction du patrimoine national (DPN) en 1970, puis la Direction du
patrimoine historique et ethnographique (DPHE) par le décret no 70-093 du 27 janvier 1970,
rebaptisée Direction du patrimoine culturel (DPC) par le décret no 2003-464 du 24 juin 2003.
329 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

juridiques et au classement de 48 sites et monuments historiques sur la liste


nationale38. L’île de Gorée39 est promue au rang de patrimoine de l’huma-
nité par l’Unesco en septembre 1978. La période senghorienne est aussi faste
en grandes manifestations culturelles40 dont certaines, comme le Festival
mondial des arts nègres de 1966, contribuent à faire du Sénégal le point de
rencontre de nombreux artistes et savants internationaux. Au cours de cette
période, la proximité est très étroite entre le culturel et le politique. En ce sens,
les artistes servent de faire-valoir et d’illustrateurs du concept d’affirmation
d’une civilisation africaine, et de la volonté des autorités politiques de sauve-
garder et de promouvoir le patrimoine culturel, par choix et stratégie.

Critique de la politique culturelle de Léopold Sédar Senghor


Quelle que soit sa volonté de se réapproprier le patrimoine local, la poli-
tique culturelle senghorienne est – selon les mots des détracteurs du
président Senghor41 – élitiste et extravertie. La promotion et la diffusion
d’un héritage culturel institutionnalisé prennent surtout en compte l’élite
intellectuelle formée à l’école française, alors qu’au cours des premières
années de l’indépendance du Sénégal, le taux de scolarisation est de
36 % (Sylla 1992). Dans l’ensemble, la politique culturelle senghorienne
endosse l’approche conceptuelle ainsi que l’action et l’assimilation cultu-
relles développées par le colonisateur, en même temps qu’elle impose
une négritude dont les principes sont rejetés par de nombreux intellec-
tuels (Diagne 2006 ; Mbow 2003 ; Seck 2003). Elle s’édifie sur le double
héritage négro-africain et occidental ; elle promeut l’identité culturelle
« nègre » et l’image de la jeune nation sénégalaise à l’étranger. La négri-
tude, focalisée sur la présence de l’Afrique et ses diasporas au rendez-
vous de l’universel, déborde les frontières nationales. Cette idéologie, qui

38. À l’issue de ces missions, deux nouveaux textes de loi (abrogeant la loi coloniale no 56-1106
du 3 novembre 1956) régissent le patrimoine culturel : la loi no 71-12 du 25 janvier 1971 fixant le
régime des monuments historiques et celui des fouilles et découvertes ; le décret d’application no
73-746 du 8 août 1973 qui permet une inscription sur la liste nationale en fonction de l’intérêt his-
torique, scientifique, légendaire ou pittoresque. L’arrêté ministériel no 12619 MC-DPN-DSMH-
BE en date du 15 octobre 1979 porte publication de la liste des quarante-huit monuments et sites
historiques classés. Cf. Journal officiel de la République du Sénégal du 17 novembre 1979 : 1200.
39. L’île de Gorée est réappropriée et instrumentalisée par les autorités de l’État sénégalais
postcolonial en tant que symbole des préjudices subis par la race noire (la traite négrière et la
colonisation). Sur cette question, cf. Quashie 2009.
40. Le Festival mondial des arts nègres est organisé à Dakar en 1966, plusieurs colloques et
expositions, initiés par le président Senghor, sont tenus à Dakar.
41. Des critiques virulentes sont formulées par les adversaires politiques de Senghor et les in-
tellectuels marxistes. On peut citer Abdoulaye Ly (il a fait parti des dirigeants du Parti du re-
groupement africain) ; Majhmout Diop (partisan du marxisme, il a été le secrétaire général du
Parti pour l’indépendance du peuple) ; Cheikh Anta Diop (égyptologue, marxiste et défenseur de
la littérature wolof, il a été le secrétaire général du Bloc des masses sénégalaises puis du Front
national sénégalais – ces deux partis politiques sont dissous par des arrêtés du gouvernement de
Senghor –, et enfin du Rassemblement national démocratique) ; le linguiste Pathé Diagne ; le
romancier et cinéaste Ousmane Sembène.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 330

prône le métissage culturel, ne reflète pas réellement l’identité culturelle et


le patrimoine sénégalais. Très souvent, les standards utilisés, notamment
dans les arts scéniques, visuels et vivants, ne comprennent pas de modèles
sénégalais. La recréation du patrimoine artistique accorde un privilège au
modèle culturel gréco-latin et à la langue française. La culture populaire
– considérée comme fondement de l’identité sénégalaise supposée avoir
gardé les valeurs dites traditionnelles – paraît être reléguée à la périphérie
des projets de développement culturel du gouvernement senghorien. Il
apparaît que cette politique culturelle, ainsi que les tentatives de promo-
tion du patrimoine ancestral, manquent de concertation, d’impulsion et de
relais populaires. En conséquence, l’orientation et le contenu des projets
culturels ne répondent pas à l’attente de la majorité de la population.
Par ailleurs, dans l’opération de promotion des symboles locaux, à
travers leur intégration dans les emblèmes de la République et les manuels
scolaires, le président Senghor semble avoir privilégié des référents cultu-
rels issus de son « royaume d’enfance42 » sereer, et des traditions héroïques
de l’aristocratie wolof 43. Dans sa « refabrication » de l’histoire nationale,
l’État semble avoir marginalisé certaines figures historiques symboles d’une
résistance radicale contre la colonisation. Cette négligence a sans doute
incité des mouvements contestataires à brandir d’autres symboles emblé-
matiques pour alimenter leur discours idéologique et rompre avec les récits
historiques officiels. C’est le cas du mouvement contestataire estudiantin
de la fin des années 1960 à 197044 qui, dans sa dénonciation de l’idéologie

42. Par exemple, sur les sceaux de la République du Sénégal, on peut remarquer que le lion,
symbole de majesté, de dignité et de puissance, se retrouve dans le nom même de Diogoye
(le lion, en sereer), le père du président Senghor (Diogoye Basile Senghor était un riche
propriétaire terrien et un commerçant renommé qui recevait les visites du Buur – roi sereer –
Sine Coumba Ndofène Diouf). Léopold Sédar Senghor a fait du lion l’emblème de son parti,
le Bloc démocratique sénégalais (BDS), fondé en 1948. Plus tard, au cours de sa présidence de
la République, il institue l’ordre du Lion comme la plus haute distinction que le Sénégal peut
décerner. Quant à la symbolique du baobab, qu’on retrouve sur les sceaux de la République, on
peut dire qu’en milieu sereer (groupe d’origine du président Senghor), c’est un arbre sacralisé qui
matérialise, très souvent, un lieu de culte s’il est le réceptacle des pangool ou esprits ancestraux.
Chez les Sereer, le baobab symbolise aussi le lieu d’intronisation du roi et, selon la tradition, les
buur livraient, très souvent, des batailles autour de cet arbre sacré. Cf. Diouf et Diop 1990 : 11-12.
43. Dans l’entreprise de construction nationale, le poète-président incite la jeunesse, à travers
l’hymne de la jeunesse du Sénégal, à faire référence à « Nos ancêtres [qui], depuis leurs ten-
dresses noires – Ont tracé droit le chemin – Et forgé notre destin… Tel Lat Dior Ngoné Latyr
– Tendant nos jeunes cœurs vers ton soleil – Oui, s’il le fallait – Demain, nous offrirons notre
souffle – Pour te défendre – Ô notre patrie ! » En fait, le texte de l’hymne de la jeunesse est une
réadaptation par le président Senghor du chant traditionnel dont le titre est « Ñaani bañena ».
Cette chanson a été composée par Samba Coumba Kalado, qui jouait au xalam et la chantait
en l’honneur de Lat Dior, notamment lors de sa bataille contre le buur Ñaani (« roi du Ñaani »,
le Ñaani était un royaume manding situé dans l’actuel Sénégal Oriental). Par la suite, elle a été
reprise par beaucoup de chanteurs et joueurs de xalam. Cf. Samb 1986 : 20.
44. De 1960 à 1970, l’université de Dakar est marquée par l’existence d’organisations estu-
diantines fortes. Sous la poussée de pressions nationalistes des indépendances, le mouvement
estudiantin a inscrit son action dans le champ d’une lutte contre le « néocolonialisme » et ceux
331 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

de la négritude et de la politique « néocolonialiste » du gouvernement de


Senghor, se réapproprie des figures historiques radicales (peu connues du
public sénégalais) telles que Lamine Arfang Senghor45, Aline Sitoe Diatta46,
Sidya Diop47, en tant que porte-étendard de la lutte d’émancipation contre
le colonialisme (Diop 1992). Les crises socio-économiques – conséquences
de la sécheresse des années 1970, qui accentue la baisse de la production
agricole et affecte les revenus des populations – et politiques48 ont contraint
l’État sénégalais à revoir les politiques de développement économique et
l’organisation des instances de gouvernement. La politique culturelle, que
le gouvernement senghorien a impulsée avec tant de foi, se voit freinée dans
son essor. Les budgets des diverses institutions sont réduits et par consé-
quent, celles-ci se sont peu à peu engourdies et « ensommeillées », après le
départ du président Senghor du pouvoir, le 31 décembre 1980.

La Casamance entre marginalisation et revendications autonomistes


Dès le début des années 1980, les idéologues du nouveau Mouvement des
forces démocratiques de la Casamance (MFDC)49 inscrivent le territoire

qui sont considérés comme ses représentants locaux. La plupart des membres de ces associations
estudiantines sont imprégnés du marxisme et actifs dans le Front culturel du Sénégal (FCS), un
mouvement culturel révolutionnaire et patriotique (très actif à la fin des années 1970) lié aux par-
tis politiques clandestins, notamment celui, maoïste, And Jëf (dont le secrétaire général, Landing
Savané, est d’origine casamançaise et joola). Le FCS s’est lancé dans la production, en wolof
écrit en caractères latins, de poésies et chansons culturelles révolutionnaires et patriotiques, et de
textes de vulgarisation scientifique. Parmi les brochures en langue wolof (l’usage de cette langue
de communication au Sénégal, par le FCS, lui permettait une meilleure diffusion de ses idées)
du FCS, on peut citer : Teerebtannu taalifu xare Sénégal (Anthologie de la poésie sénégalaise
de combat), paru en mai 1977 ; et la parution, en juillet 1978, de Tànn ci mbindum Maawo
Se Tun (traduction de trois textes de Mao Tsé-Toung : De la pratique (Ci mbiri jëf) ; Servir le
peuple (Jariñ askan wi) ; D’où viennent les idées justes (Fan la xalaat yu jub yi di sosoo ?). Le
FCS avait aussi publié des brochures en langue française, notamment « Lamine Senghor : vie et
œuvres » et « Aliin Sitoé Diatta : vie et œuvres ».
45. Pour une biographie de Lamine Senghor, voir Sagna 1986 et la brochure publiée en juillet
1979 par le FCS.
46. À propos de ce personnage, cf. Girard 1969.
47. Sidya Diop est le fils héritier de la dernière souveraine du Walo, la reine Ndatté Yalla. Il a
été envoyé à l’« École des otages » de Saint-Louis (créée en 1856 par le gouverneur Faidherbe et
appelée par la suite « École des fils de chefs et des interprètes »), puis au lycée d’Alger, en 1861,
pour y effectuer ses études secondaires. À son retour d’Alger, il a passé quelque temps à l’école
des frères et s’y est fait discrètement chrétien ; Faidherbe a été son parrain et il a été baptisé Sidya
Léon Diop. Par une décision du 18 mars 1871, Sidya Léon Diop est nommé chef supérieur du
Walo. Devenu l’âme d’une résistance antifrançaise, il fut déporté au Gabon au début de 1876, où
il mourut, le 26 juin 1878, âgé de 30 ans. Cf. Bouche 1975 : 336-338.
48. L’une des crises politiques qui secoue le gouvernement est celle qui éclate le 17 décembre
1962, opposant les deux ex-compagnons : le président Senghor et le Premier ministre Mamadou
Dia. Voir Hesseling 1985, Mbaye 2012.
49. Avec l’ouverture politique de l’après-guerre, a été créé (en 1947) un mouvement politique
casamançais appelé Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), animé par
des intellectuels casamançais, dont les principaux leaders ont été Émile Badiane et Ibou Diallo.
Plusieurs travaux ont été consacrés à la question casamançaise : voir, parmi les auteurs ayant
travaillé sur cette question : Darbon 1988 ; Barbier-Wiesser 1994 ; Foucher 2002 ; Awenengo
Dalberto 2005 ; Marut 2010 ; Diédhiou 2011 ; Manga 2012.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 332

casamançais dans des dynamiques conflictuelles. En décembre 1982 – par


une marche indépendantiste (organisée le 26 décembre à Ziguinchor50)
dont la répression par les autorités publiques sénégalaises a contribué au
déclenchement d’une rébellion armée en Casamance –, réapparaît le MFDC
« sous l’impulsion présumée de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor ».
Il reprend le nom de l’ancien « parti politique régionaliste » ayant existé
entre 194751 et 1954. Le nouveau MFDC dénonce la marginalisation de la
Casamance dans les processus de constitution de l’État sénégalais (colo-
nial et postcolonial) et les représentations symboliques de la nation. Par
ailleurs, d’autres facteurs contribuent au déclenchement du conflit casa-
mançais : on peut citer la crise socio-économique ayant secoué le monde
paysan à partir de la sécheresse des années 1970 ; une salinisation crois-
sante de l’estuaire et des nappes phréatiques, provoquée par la baisse des
précipitations ; les problèmes fonciers (telles les tensions liées à l’occupa-
tion des terres agricoles par les Sénégalais venant des autres régions) ; une
politique urbanistique (notamment à Ziguinchor, foyer initial de la rébel-
lion) jugée injuste et partiale par des occupants de terrains ne possédant
pas de titres de propriété ; la surexploitation des ressources halieutiques et
forestières (notamment la pêche et l’exploitation du charbon de bois) ;
les troubles et émeutes scolaires, en 1980 et 1981, dans les départements
de Ziguinchor et d’Oussouye (voir, entre autres, Darbon 1984 et 1988 ;
Barbier-Wiesser 1994 ; Marut 2010 ; Manga 2012).
Les leaders du mouvement séparatiste brandissent des mémoires et tradi-
tions historiques joola pour alimenter leurs revendications autonomistes :
« retrouver les frontières – territoriales et identitaires – anciennes précolo-
niales52 ». Les séparatistes puisent leurs références symboliques dans un
patrimoine culturel – négligé par les récits historiques officiels – animiste,
paysan et résistant : les bois et forêts sacrés, le travail dans les rizières (avec
le kadyendo – instrument aratoire) et les palmeraies, les résistances face aux
agressions extérieures et à la colonisation, les traditions initiatiques encore

50. L’initiative et l’organisation d’une marche indépendantiste porte la marque de Mamadou


Sané dit « Nkrumah » (originaire du Blouf, dans le département de Bignona, il a quitté la Casa-
mance en 1964 pour la Mauritanie, puis le Maroc, avant de s’installer à Paris à partir de 1967),
appuyé par les leaders locaux de la contestation. Des réunions préparatoires ont lieu dans les bois
sacrés (de Bourofaye et de Diabir, en périphérie de Ziguinchor), où sont échangés les serments
traditionnels. Le 26 décembre, des centaines de personnes partent de Mangagoulak, sur la route
d’Oussouye, et marchent vers le centre-ville. Devant la gouvernance de Ziguinchor (siège de
l’autorité administrative), les manifestants – avec « des femmes nues en tête, suivies des hom-
mes armés d’arcs et de flèches empoisonnées et arborant des fétiches » – parviennent à hisser
un drapeau blanc (présenté comme emblème de la Casamance) à la place du drapeau du Sénégal
(Darbon 1984 ; Marut 2010).
51. Certains auteurs retiennent l’année 1949 comme étant celle de la création du MFDC histo-
rique (voir Awenengo Dalberto 2005).
52. C’est l’argumentaire historique utilisé par les idéologues du MFDC pour légitimer leur dis-
cours séparatiste.
333 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

vivantes (comme le bukut 53). Les constructions narratives élaborées par le


mouvement indépendantiste s’inscrivent à contre-courant du processus de
construction hégémonique de l’État-nation, d’unité nationale, d’institu-
tionnalisation de mémoires et héritages culturels locaux s’appuyant sur des
modèles sereer et islamo-wolof54. Le MFDC s’insurge contre le manque
d’intégration des figures historiques casamançaises dans la promotion du
panthéon national. Parmi les référents historiques revisités par le mouve-
ment indépendantiste, il y a la mémoire d’Aline Sitoe Diatta – « la reine
de Kabrousse » –, considérée comme l’une des héroïnes de la résistance
casamançaise. La construction historique du discours indépendantiste essaie
de prendre en compte les mémoires historiques des autres communautés
casamançaises pour obtenir leur adhésion au mouvement. C’est ainsi que
des résistants coloniaux comme Alpha Molo Baldé et son fils Moussa Molo
(issus des Peuls du Fouladou, occupant la Haute-Casamance), Fodé Kaba
Doumbia (issu des Manding du Pakao ou Moyenne-Casamance) sont exaltés
par les leaders du MFDC, à côté des figures historiques du terroir joola de la
Basse-Casamance comme Djignabo Bassène, Sihalebé Diatta (Marut 2010,
Manga 2012).
La situation conflictuelle en Casamance – faisant apparaître les diffi-
cultés de l’intégration nationale et remettant en cause les frontières de
l’État issues du découpage colonial – contraint les autorités sénégalaises à
revoir le vide laissé par les programmes officiels d’histoire et les politiques
de développement économique. Il en résulte, sous la présidence d’Abdou
Diouf, une prise en considération des mémoires casamançaises et celles
d’autres contrées du Sénégal, dans la valorisation des héros locaux55, et des
investissements infrastructurels en vue de désenclaver le territoire casa-
mançais56 et d’exploiter ses atouts touristiques. Ces mesures, combinées
aux accords conclus entre l’État et le MFDC, n’ont pas suffi pour maîtriser
encore totalement le conflit casamançais.

Une politique culturelle à reculons


et l’émergence d’initiatives populaires
Sous la présidence d’Abdou Diouf – président ayant hérité du pouvoir par
voie constitutionnelle le 1er janvier 1981, en fonction jusqu’au 19 mars
2000 57 –, les ajustements structurels des années 1980-1990 engendrés par
la crise économique et financière, auxquels s’ajoute la dévaluation du franc

53. À propos du bukut, voir Thomas 1959 : 697-709.


54. Voir, sur cette question, Diouf 2001.
55. Voir infra, p. 335.
56. En 1984, une réforme administrative a divisé le découpage colonial de la région de Casa-
mance en deux régions : celle de Ziguinchor (la ville de Ziguinchor était la capitale administra-
tive de la région de Casamance depuis 1909) et celle de Kolda.
57. Cf. Diop et Diouf 1990.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 334

CFA (en janvier 1994), font obstacle à toute volonté de continuer la poli-
tique culturelle de son prédécesseur. À l’instar des autres secteurs d’activité,
la culture subit les contrecoups de la crise économique et financière, ainsi
que les rigueurs de la politique de sortie de crise. La pénurie des ressources
financières empêche la poursuite de l’édification du réseau des infrastruc-
tures et rend hypothétique toute politique de maintenance, d’entretien, de
réhabilitation du patrimoine culturel et des équipements existants. Les diffé-
rentes institutions culturelles sont confrontées à des difficultés matérielles,
financières, et à la diminution de leurs personnels (qui se traduit par des
départs volontaires, pour certains agents, tandis que d’autres sont affectés
à l’Éducation nationale). Dans une logique de restriction des dépenses de
l’État, certains établissements culturels créés sous Senghor sont supprimés
en 1990 (le Musée dynamique, le Centre d’étude des civilisations, les
Archives culturelles et le Commissariat général des expositions d’art séné-
galais à l’étranger) – sans traitement idoine de leurs fonds iconographiques
et documentaires, dont certains, tombés en déshérence, sont perdus à jamais.
Les restrictions budgétaires, le flottement et l’effacement du gouverne-
ment dans bien des secteurs, à commencer par celui de la culture obligent
les artistes, les acteurs culturels, les populations, et notamment les jeunes
(à travers les mouvements set-setal, hip-hop et bul-faale 58), à se prendre
en charge et à investir l’espace libéré par l’État faute de ressources finan-
cières. On assiste à une multiplication d’ingénieuses initiatives indivi-
duelle ou collective, une floraison d’associations et de journées culturelles
communautaires59. Celles-ci permettent d’assurer le dynamisme du secteur
de la culture, la réappropriation de valeurs préexistantes et la valorisation
du patrimoine ancestral. L’État, pour éviter les risques de fragmentation
culturelle et identitaire, capitalise ces initiatives individuelles ou collec-
tives en rejoignant et en accompagnant les différents acteurs ou même
en anticipant sur les préoccupations des uns et des autres. Il prend ainsi
l’initiative d’organiser un grand colloque national dans le but de recen-
trer la vision, de rationaliser le calendrier et l’organisation des journées
culturelles. Ce colloque, qui s’est tenu du 8 au 13 juin 1994 à Kaolack
– ville-carrefour et centrale du pays – réunissant des intellectuels, univer-
sitaires, traditionnistes et autres experts, avait pour thème « Les conver-
gences culturelles au sein de la nation sénégalaise60 ». À sa suite, le
gouvernement a pris la décision, en 1996, d’instaurer la Journée natio-
nale du patrimoine ; puis, en 1997, le Festival national des arts et cultures

58. Cf. Enda 1991 ; Diouf 1992 et 2003 ; Havard 2005.


59. On revient sur cette floraison des journées culturelles.
60. Pour plus de détails, voir Tambadou 1996.
335 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

(FESNAC)61 – les Journées nationales du patrimoine culturel comme le


FESNAC ayant pour objectifs fondamentaux la revalorisation et la mise en
scène des cultures et patrimoines du Sénégal.

Le « sursaut national » du président Abdou Diouf :


une propulsion de symboles locaux
Les difficultés économiques et financières qui ont marqué les deux décen-
nies du président Abdou Diouf ne doivent pas cacher les acquis de cette
période dans le secteur culturel. Malgré les restrictions budgétaires, il n’en
demeure pas moins que ce secteur s’est dynamisé et que d’importantes
initiatives en direction de la culture ont été prises par l’État.
Après une période de flottement liée à la crise économique et finan-
cière, des décisions concrètes sont prises dans le cadre du développement
culturel, conformément à l’idéologie du sursaut national62 mis en œuvre
par le gouvernement d’Abdou Diouf et aux recommandations du Rapport
général de la Charte culturelle nationale (élaborée sous l’égide du prési-
dent Diouf, et publiée en 1989). Ces décisions sont bien accueillies par la
communauté artistique et intellectuelle. À partir des années 1990, l’État
renoue avec le développement culturel, la promotion des langues natio-
nales et l’amélioration de leur transcription63, la valorisation du patrimoine
et du panthéon national. Les symboles et insignes nationaux sont revisités,
et la fabrique de « héros nationaux et locaux » est mise en marche.
Dans un contexte de crise économique et d’effritement des valeurs, les
symboles historiques sont promus comme modèles pour les générations
nouvelles, et comme stratégie de légitimation de l’idéologie de sursaut
national. Ces insignes sont perçus comme vecteurs d’une conscience
citoyenne, ainsi que de vertus : jom (l’honneur ou le courage), muñ (la
patience), kersa (la pudeur ou la dignité), teranga (l’hospitalité). Ils
ont historiquement joué un rôle fondamental dans la production d’une
conscience de soi fondée sur le sentiment de la grandeur du passé. C’est
dans cette optique qu’on a commémoré le centenaire de la mort de Lat
Dior Ngoné Latyr Diop, en octobre 1986. Ce personnage, déjà élevé au
rang de héros national par le président Senghor à travers l’hymne de la
jeunesse, est revalorisé par le gouvernement d’Abdou Diouf dans le cadre
de ses stratégies de réappropriation des traditions historiques locales, de
l’espace politique et de la population (plus particulièrement la jeunesse).

61. Le FESNAC est une manifestation biennale qui se déroule durant quatre jours dans une
capitale régionale différente en vue de faire découvrir et de valoriser le patrimoine et les spéci-
ficités culturelles et artistiques de la région.
62. L’idéologie du sursaut national prône un enracinement aux valeurs dites sénégalaises.
63. Un ministère délégué chargé de l’Éducation de base et de la promotion des langues nationales
du Sénégal est créé en 1991.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 336

Dans cette même optique, des rues, des places et des écoles sont baptisées
ou rebaptisées sous le nom de parrains locaux, figures considérées comme
proches des gens et distinguées dans leur communauté, voire à l’échelle
nationale. Des statues coloniales sont déboulonnées puis déplacées dans
d’autres endroits moins exposés aux regards du public. Elles sont rempla-
cées par de nouvelles œuvres d’artistes sénégalais64.
La redynamisation du développement culturel par l’État favorise la
création de nouvelles infrastructures, ainsi que les initiatives culturelles.
La Galerie nationale d’art est inaugurée le 29 janvier 1983 ; le campement
qui abritait la mission chinoise, chargée de l’édification du stade Amitié,
est transformé en Village des arts en 1989. Le musée d’Art africain de
Dakar est réaménagé. Il a bénéficié, en 1991, d’une extension considé-
rable, avec la construction d’un nouveau bâtiment imitant le style architec-
tural néo-soudanais de l’ancien palais. La résidence de Médina, qui servait
à accueillir les hôtes de la République pendant les années 1962 à 1996,
devient la maison de la culture Douta-Seck, en 1997. La section Art drama-
tique du conservatoire de Dakar est rouverte en 1990 et assure à nouveau
la formation des comédiens. Le Salon national du livre et de la lecture,
le Festival international de jazz de Saint-Louis, la Foire internationale
du livre et du matériel didactique, les Rencontres cinématographiques de
Dakar (Recidak) sont, entre autres, de nouvelles initiatives de développe-
ment culturel lancées par le gouvernement d’Abdou Diouf. Les grands prix
annuels du président de la République pour les Arts et pour les Lettres sont
institués en 1990. Puis vient l’extension du grand prix aux arts scéniques,
c’est-à-dire à la musique, à la danse et au théâtre. La même année, l’État
lance une manifestation culturelle qui renoue avec les années Senghor : la
Biennale des arts et des lettres de Dakar, devenue, à compter de 1996, la
Biennale de l’art africain contemporain ou Dak’Art (Konaté 2009).
Le gouvernement d’Abdou Diouf s’est beaucoup investi en faveur d’un
retour aux sources de valeurs sénégalaises et la promotion des figures histo-
riques locales, comme moyen d’affronter les défis engendrés par la crise
économique. Ces mémoriaux du passé sont aussi conçus comme autant de

64. C’est le cas, à Dakar, de la statue coloniale communément appelées « Demba et Dupont »,
représentant deux soldats : l’un français, l’autre sénégalais. Elle a été érigée en 1923 à la mé-
moire des morts des troupes de l’AOF ayant participé à la Première Guerre mondiale ; elle se
dressait au rond-point de l’Étoile, ex-place Tascher, rebaptisée place Soweto. La mesure a con-
cerné aussi la statue représentant Faidherbe, qui se dressait devant le palais de la République. Ces
statues sont démontées dans la nuit du 13 au 14 août 1983 et transférées au cimetière catholique
de Bel-air ; celle représentant Faidherbe est actuellement conservée au musée des Forces armées
(créé en 1997, il est devenu musée de la Direction des archives et du patrimoine historique
des forces armées du Sénégal). Celle de « Demba et Dupont » est récupérée sous la présidence
d’Abdoulaye Wade (je reviens un peu plus bas sur cette statue). À propos de l’histoire de ces stat-
ues, voir Archives nationales du Sénégal, sous-séries 4P1501à 4P1507. Voir aussi « Les statues
de la place Tascher et de Faidherbe enlevées », Le Soleil du 17 août 1983, p. 3.
337 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

modèles de référence pour les jeunes générations, et de pierres de touche


pour les entreprises à venir. Mais malgré ces initiatives de promotion des
symboles d’une identité collective, la politique culturelle d’Abdou Diouf
ne s’est pas déconnectée du modèle de gestion patrimoniale et de dévelop-
pement culturel établi par le colonisateur, puis repris par son prédécesseur
Léopold Sédar Senghor.

Les grands chantiers culturels du président Abdoulaye Wade :


entreprises de légitimation du pouvoir
La présidence d’Abdoulaye Wade (élu le 19 mars 2000, en fonction
jusqu’au 25 mars 2012) est marquée par la relecture de la mémoire colo-
niale, une orchestration de sa filiation avec le passé, une mise en scène
autour de sa personnalité, de ses idées sur le panafricanisme et le libéra-
lisme démocratique65. Il puise, selon ses intérêts politiques, ses références
dans la culture populaire, les valeurs du mouridisme66 ou la « supposée
modernité ». À la faveur de ses stratégies de légitimation politique et idéo-
logique, des commémorations et d’ambitieux projets culturels sont initiés.
Ceux-ci puisent leur inspiration dans le répertoire des héritages colonial et
senghorien. Sous la présidence d’Abdoulaye Wade, si les budgets alloués
au secteur de la Culture connaissent une tendance générale à la hausse,
notamment de 2006 à 200967, le ministère de la Culture connaît une certaine
instabilité aussi bien dans l’option des appellations68 que dans le choix des
hommes (10 ministres sont nommés, de 2000 à 2010). Ces remaniements
freinent la mise en place d’une réelle politique culturelle, pourvue d’ob-
jectifs clairement définis. Finalement, un Plan national de développement
culturel (PNDC), étalé sur cinq ans, est lancé en 2005 ; un Agenda culturel

65. Diop (2013 : 38-42) remarque que « l’action d’Abdoulaye Wade a été structurée par une
logique puisant, selon ses intérêts politiques ou les opportunités qu’il savait si bien exploiter, ses
références dans la “tradition” ou la supposée modernité. Sa prétention de soi insiste sur son ex-
périence : il est celui qu’on ne peut pas surprendre, tellement il est malin (naandite, muus, bari-
pexe). Elle recourt parfois aux valeurs dites traditionnelles wolof, comme on l’a noté au travers
de ses références fréquentes au courage (fit). Les valeurs guerrières, le grand courage, la virilté
(goor fit, fit mooy goor : c’est le courage qui fait l’homme) structurent ses propos […]. Mais ce
recours aux vertus dites traditionnelles est sélectif. […]. Son territoire de prédilection n’est pas
l’Université ou le débat d’idées qu’affectionnaient Senghor, Mamadou Dia et le majestueux
Cheikh Anta Diop. Son souci majeur a été de fréquenter d’abord les lieux permettant de renforcer
son pouvoir, d’affiner sa technologie de commandement en vue de s’imposer, de provoquer et
d’anéantir ses adversaires ».
66. La posture du taalibe (disciple) et la récupération de la mystique du travail de l’idéologie
mouride.
67. Le budget est presque de 6 milliards de francs CFA en 2006 et d’environ 17 milliards de
francs CFA en 2009 ; ce gonflement est lié à l’organisation du Festival mondial des arts nègres
(FESMAN), plusieurs fois reporté, et qui s’est tenu du 10 au 31 décembre 2010 à Dakar.
68. Il y a eu différentes options pour le choix des appellations du ministère chargé de la Culture,
depuis 2000. Ainsi, on a eu successivement l’existence des ministères suivants : Culture et Commu-
nication ; Culture ; Culture et Loisirs ; Culture et Patrimoine historique classé ; Culture, Patrimoine
historique classé, Langues nationales et Francophonie ; et finalement, Culture et Cadre de vie.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 338

national est lui aussi élaboré en 2004. À partir de 2001, la Direction du


patrimoine culturel (DPC) lance des initiatives de préservation et de valo-
risation du patrimoine national. Parmi celles-ci, on peut noter la poursuite
de l’inventaire du patrimoine culturel national, la numérisation du fonds
des Archives culturelles, de nouvelles inscriptions sur la liste du patrimoine
national ainsi que sur celle du patrimoine mondial de l’Unesco69.
Comme l’ont fait ses prédécesseurs, le président Wade sollicite le passé
dans son entreprise de légitimation du pouvoir. Il préconise, dans le cadre
d’une réforme territoriale, l’érection des départements en provinces et la
dénomination des collectivités selon les réalités historiques du Sénégal.
Mais ce projet – qui a suscité une controverse dans la presse, sans réussir à
susciter de consensus au sein des populations, qui ont du mal à s’entendre
sur les noms des différentes provinces – est finalement abandonné à l’issue
du conseil des ministres du 19 juillet 2001 (Diop 2013). Avec la première
commémoration de la Journée du tirailleur (Mané 2004 ; Diouf 2004 ; Bâ
2004), le 23 août 2004, le président Wade se réapproprie la statue coloniale
« Demba et Dupont ». Cette statue – remisée sous la présidence d’Abdou
Diouf – regagne le décor de la cité dakaroise, tout en changeant d’emplace-
ment et de thématique mémorielle. Elle se dresse désormais sur l’ancienne
place de la Gare, tel un témoin du périple du chemin de fer Dakar-Niger,
sous le nom de place du Tirailleur sénégalais. L’idée de cette commémora-
tion du tirailleur émerge au moment de la polémique sur la « cristallisation
des pensions », portée par d’anciens combattants sénégalais et africains de
l’ouest de la Deuxième Guerre. Par cette célébration, le président Wade
capitalise les revendications de ces anciens combattants. Il entend immor-
taliser et réhabiliter l’effort méritoire de participation des Tirailleurs afri-
cains à la libération de la France de l’emprise nazie. Saisissant l’opportunité
que constituent pour lui ces revendications, il cherche aussi – partant de la
mémoire coloniale, du devoir de reconnaissance et de justice aux anciens
combattants africains (à la faveur d’une revalorisation de leurs pensions) –
à bâtir de nouvelles relations entre la France et l’Afrique. La composition
par le président Wade d’un « hymne aux Africains » (qu’il a voulu subs-
tituer à l’hymne national), la relance du FESMAN (en décembre 2010, à
Dakar), le renforcement du Fonds d’aide à l’édition et du Fonds de soutien
à l’initiative culturelle, l’aménagement de la place du Souvenir africain,
l’érection du monument de la Renaissance africaine ainsi que le projet

69. Le centre historique de la ville de Saint-Louis est inscrit sur la liste du patrimoine mondial
de l’Unesco en décembre 2000 (la procédure de préparation du dossier de nomination du site est
entamée en 1998), le rituel initiatique manding ou Kankurang en janvier 2006, les cercles méga-
lithiques de Sénégambie en juillet 2006, le delta du Saloum en juin 2011, les paysages culturels
bassari, peul et bedik en juin 2012.
339 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

d’un « Parc culturel70 » renouent avec la promotion artistique et la réhabi-


litation de l’identité culturelle négro-africaine prônées et largement amor-
cées par le président Senghor.

Le monument de la Renaissance africaine :


dénaturation d’un patrimoine public
Inauguré le 3 avril 2010, le monument de la Renaissance africaine est
conçu pour rivaliser avec les grands monuments du monde (la statue de la
Liberté à New York, la tour Eiffel à Paris, ou encore le Christ rédempteur à
Rio de Janeiro)71. Cette imposante structure en bronze, d’une cinquantaine
de mètres, est censée représenter une famille africaine (un couple avec
leur enfant) projetant un futur radieux et prospère pour leur continent. Elle
est érigée sur l’une des collines des Mamelles, elles-mêmes inscrites sur
la liste du patrimoine national protégé depuis l’arrêté ministériel no 12619
MC-DPN-DSMH-BE en date du 15 octobre 1979, portant publication de
la liste des monuments et sites historiques du Sénégal, sous le nom : « Les
Mamelles, site géologique ». La question est de savoir si l’État a respecté les
dispositions énoncées dans les articles 5 et 7 de la loi no 71-12 du 25 janvier
1971 fixant le régime des monuments historiques et celui des fouilles et
découvertes. Le texte de loi de 1971 précise en effet, dans son article V :
« Les monuments proposés pour le classement ou classés ne peuvent être
détruits en tout ou en partie, ni soumis à des travaux de restauration ou
de réparation, ni modifiés sans l’autorisation de l’autorité administrative
qui en fixe les conditions et en surveille l’exécution. » L’article 7 stipule :
« Aucune construction nouvelle ne peut être édifiée sur un terrain classé
ni adossée à un immeuble classé sans l’autorisation expresse de l’autorité
administrative compétente. » La Commission supérieure des monuments
historiques du Sénégal a-t-elle été consultée, tel qu’il est énoncé dans le
texte de loi de 1971, avant les travaux de construction du monument de la
Renaissance africaine ?
Le monument de la Renaissance africaine est fortement décrié par une
bonne frange de l’opinion publique sénégalaise – notamment par l’artiste
sculpteur Ousmane Sow (qui serait l’auteur d’une maquette initiale et
aurait suggéré l’idée à Me Wade) et par des politiciens, des économistes,
des membres de la société civile, des religieux72. Parmi les controverses, il
y a la contestation sur la « propriété intellectuelle » de la statue et la dénon-

70. Le « Parc culturel » devrait abriter les « sept merveilles architecturales » : la Bibliothèque et
les Archives nationales, la place de la Musique, l’École des arts, l’École d’architecture, le musée
des Civilisations noires et un Grand Théâtre (construit sur financement du gouvernement de la
République populaire de Chine, il est fonctionnel depuis avril 2011).
71. Cf. De Jong et Foucher 2010 : 187-204.
72. Source : Débats sur les chaînes de télévision sénégalaises publique (RTS) et privées (Walf-
adjri, 2STV), la presse écrite et Internet.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 340

ciation, par la population, des 35 % (revendiqués par le président Wade


sur les recettes touristiques qu’aura générées le complexe monumental). À
quoi s’ajoute la polémique relative aux opérations foncière et financière,
jugées opaques, ayant permis l’édification de ce monument. En outre, le
projet est considéré comme un inutile « gaspillage » financier, dans un
contexte où la pauvreté, la précarité et les coupures d’électricité minent
les ménages sénégalais. Pour beaucoup de Sénégalais, ce monument très
coûteux n’était pas une priorité dans un pays où les retraités, les veuves,
les jeunes chômeurs, les étudiants et les syndicats de travailleurs sortent
constamment dans la rue pour protester contre leurs conditions de vie.
Les imams ou associations islamiques qui protestent contre l’édification
du monument de la Renaissance s’appuient, eux, sur l’idée selon laquelle
une statue constitue, en Islam, une œuvre satanique et une source d’idolâ-
trie. Ils en déduisent que ce monument majestueux ne doit pas être édifié
dans un pays où près de 95 % de la population est musulmane. D’autres
critiques considèrent que la fonction symbolique du projet de Renais-
sance de Wade n’est en phase ni avec les valeurs identitaires africaines (la
vêture de la femme et sa position en arrière-plan du monument) ni avec la
réalité actuelle des pays africains (près de 50 ans après l’indépendance du
Sénégal). D’un coût estimé à 16 milliards de francs CFA, le monument de
la Renaissance africaine s’inscrit dans les grands chantiers du président
Wade. Dans un « pays pauvre très endetté », de tels projets ébranlent le
prestige d’Abdoulaye Wade, son ambitieuse politique panafricaine et celle
de la modernisation infrastructurelle73.

LA REPRÉSENTATION DU PATRIMOINE
CULTUREL PAR LES SÉNÉGALAIS
Au Sénégal, depuis la décennie 1990, on assiste à une mise en scène vigou-
reuse des valeurs, récits et expressions identitaires de diverses commu-
nautés : la valorisation des langues, coutumes, chants, danses, traditions,
mémoires, savoir-faire, objets, lieux de mémoire. On note l’établissement
d’un calendrier de manifestations culturelles, tout au long de l’année, orga-
nisé par catégories : « traditionnelle », « religieuse » (liées aux confréries
maraboutiques ou aux croyances et rites ancestraux), « civique », ou bien
encore « locale » et « familiale ». Les manifestations se présentent sous
la forme de journées ou semaines culturelles communautaires, festivals,

73. Abdoulaye Mbaye Pekh, le griot « officiel » du président Wade, l’a surnommé « Président
des inaugurés », une expression composée de mots français « wolofisés ». Ce surnom met en
évidence le développement infrastructurel mis en œuvre par Abdoulaye Wade, le « bâtisseur »,
qui lui-même préside pratiquement toutes les cérémonies d’inauguration largement médiatisées.
341 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

carnavals74, gamou, ziara, magal, thiant 75. Elles sont périodiquement


(périodicité annuelle, biannuelle ou triennale) organisées par des acteurs
culturels ou politiques ; des associations de ressortissants d’un village,
d’une entité historique ou d’un groupe socioculturel76 ; des associations
confrériques ou dahira (mourides, tidjanes, layènes, khadres, niassènes).
Ces mobilisations mémorielles s’accompagnent de processus de patrimo-
nialisation à vaste échelle. Cette volonté de patrimonialisation se rapporte
souvent à des enjeux identitaires, territoriaux, symboliques et hégémo-
niques sous-jacents à une quête des origines, à une volonté d’ancestrali-
sation et d’ancrage mythique. Elle renvoie ce patrimoine à des questions
de pouvoir et de relations au sein d’un territoire qu’il faut valoriser à tout
prix (Boursier 2010). Les expressions culturelles et artistiques considé-
rées comme confortant l’identité du groupe sont réappropriées et réin-
ventées par les communautés. Elles sont perçues et représentées comme
un patrimoine culturel qu’il convient de préserver et de transmettre.
Cela amène à s’interroger sur la signification de la notion de patrimoine
culturel chez les Sénégalais. La réponse à cette question n’est pas simple.

74. Sans prétendre épuiser les exemples de ce genre de manifestations culturelles, on peut citer
les Journées culturelles de Bakel, initiées par des responsables politiques (maires, conseillers
municipaux) et coutumiers issus de cette localité située dans le Sénégal oriental (région de
Tambacounda, ancienne capitale du royaume soninke de Gadiaga) ; le Festival des ethnies
minoritaires (Basari, Jalonke, Bedik) de Bandafassi (département de Kédougou, région de
Tambacounda), initié par le conseil régional ; les Journées culturelles sereer, organisées dans un
village (désigné) circonscrit dans le terroir sereer du Sine-Saloum par l’ONG Ndef Leng, qui
fédère plusieurs villages ; les Journées culturelles de Sédhiou (dans la région sud du Sénégal,
pays manding et balant ; localité inscrite dans l’empire précolonial du Gabou) ; le carnaval de
Ziguinchor (région sud du Sénégal), initié par les autorités municipales de cette région ; le Festival
des blues du fleuve à Podor (dans le terroir pulaar du Fouta, vallée du fleuve Sénégal), initié par le
chanteur Baaba Maal ; les Journées culturelles lebou, initiées par différentes collectivités lebou du
Cap-Vert et organisées à Ouakam, Rufisque, Yène. Ces manifestations font revivre les traditions,
les rites et les cultes du passé des terroirs précoloniaux. Des fresques grandioses mobilisent
des milliers d’acteurs, reconstituant les scènes du passé : circoncision, initiation, mariage, lutte
traditionnelle, rite funéraire, cérémonie de sacrifice dédiée aux ancêtres, aux génies ou aux esprits
du clan ; et cela, même dans des régions où certains rites et/ou cérémonies restent d’actualité.
75. Les gamou, ziara, magal, thiant sont des manifestations culturelles, animées par des
chants soufis et des récits coraniques ou confrériques, tenues par des marabouts ou disciples
d’une confrérie religieuse musulmane du Sénégal (mouride, tidjane, khadre, layène, niassène).
Lorsqu’elles sont organisées dans les capitales confrériques (comme Touba, Tivaoune, Médina
Baye à Kaolack, Cambérène ou Yoff Layène à Dakar, Ndiassane, Thiénaba) ou les endroits mar-
qués par le passage de marabouts confrériques, elles donnent l’occasion aux fidèles ou taalibe de
visiter les zawiyya (chaque confrérie se rattache à une zawiyya, qui est à la fois la maison mère
de celle-ci et son siège social, un centre d’études coraniques et de litanies ou invocations propres
à la confrérie, et un lieu de pèlerinage), mosquées et tombeaux de leurs guides religieux.
76. Un groupe socioculturel renvoie ici à une communauté identitaire ethnique : Sereer, Hal-
Pulaar, Joola, Soninke, Lebu, Manding et autres.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 342

Patrimoine culturel en langues nationales


L’une des difficultés rencontrées lors de la collecte de sources orales77 est la
traduction du terme patrimoine, dans son acception récente, en langue wolof 78.
Le problème qui se pose, lors des entretiens avec des personnes qui ne parlent
pas ou ne maîtrisent pas le français est qu’elles développent des propos
souvent éloignés du sujet sur lequel elles sont interpellées. Il a fallu, dans
la plupart des cas, remodeler et réajuster les questions pour obtenir de mon
locuteur leur représentation de la notion de patrimoine. Certaines personnes
répondent plus clairement et amplement aux questions lorsque je traduis en
wolof le terme patrimoine par aada ak cosaan79 que par ndono80. L’expression
aada ak cosaan est appliquée à l’ensemble des éléments significatifs vécus et
souvent appropriés par les individus, qualifiés de « monuments historiques »
ou « richesses du passé81 » : tels la langue, le patrimoine oral ou ceux artis-
tique, musical ou sonore, les croyances, les traditions rituelles ou culinaires,

77. Dans le cadre de ma thèse, j’ai effectué deux voyages au Sénégal : du 18 juillet au 5 sep-
tembre 2003, puis du 19 janvier au 11 avril 2005. Dans cette thèse, la réflexion sur le patri-
moine matériel et immatériel s’est également servie des données de terrain (en mémoires de
maîtrise et de DEA) issues d’enquêtes systématiques auprès des populations riveraines des sites
archéologiques et historiques du delta du Saloum au Sénégal (Djigo 2001 et 2000). Du 23 mai
au 7 juin 2015, lors d’un séjour au Sénégal, j’ai effectué des enquêtes complémentaires sur le
patrimoine culturel en langues wolof, pulaar, sereer, joola, manding et soninke, promues au rang
de « langues nationales » par le décret présidentiel no 71-566 du 21 mai 1971.
78. Si le wolof est une des langues nationales du Sénégal, à côté du français qui est retenu com-
me étant la langue officielle, il est dans les faits la principale langue vernaculaire du pays. À ce
titre, j’ai utilisé le wolof, et parfois le français, au cours de mes entretiens avec des personnes
ressources, autour de la question du patrimoine culturel et naturel, dans le cadre de mes travaux.
79. Terme wolof, le aada renvoie à un rituel, une coutume qui remonte à un passé lointain,
c’est-à-dire le baax (une bonne valeur) ou baaxu maam (les bonnes valeurs des ancêtres) et qui
est reconnu, perpétué, respecté par les héritiers. L’importance du aada ou baaxu maam au regard
de la communauté, des individus adhérents, qui se l’approprient, en fait un mythe, au risque,
parfois, de l’entacher de superstition. Cosaan : origine, cause, substantif du verbe sos qui signi-
fie « créer ». Le cosaan renvoie, généralement, à une tradition, une valeur ou une pratique qui
se serait formée depuis le passé, par les ancêtres, et qui se serait fossilisée à un certain moment
de l’histoire à partir duquel elle aurait continué d’être transmise, jusqu’à devenir une habitude.
80. Terme wolof, le ndono est l’héritage reçu des ancêtres ; il englobe l’ensemble des aada ak
cosaan et va au-delà de ces champs.
81. Ces « monuments historiques » ou « richesses du passé » sont constitués d’un ensemble
de données que les sociétés ont tenté de conserver en les inscrivant dans l’espace ou en les mé-
morisant dans les cadres de référence identitaires qu’elles ont mises en place : les « traditions ».
Elles relèvent de divers domaines : le droit (règles de succession, appropriation du sol et règles
de gestion foncière) ; l’histoire (généalogie des familles, histoire de lieux ou d’événements) ; les
techniques artisanales (art du cuir, tissage et teinture du textile, poterie, vannerie, bijouterie) ;
les traditions initiatiques diverses dans le cadre des rites de passage (circoncision, initiations,
excision, tatouages) ; les harmonies musicales (berceuses, chants funéraires ou initiatiques, in-
cantations) ; les jeux traditionnels (mbappat, lambi golo, baay gaal, langaa buri, jal bi jalaan,
yaa kabati kabati yaa, wure, tam). Le propos, ici, n’est pas de faire une recension de symboles
politiques ou mythiques, de la structuration socioprofessionnelle chez certains groupes (Wolof,
Manding, Pulaar, Soninke, Sereer du Sine), de traditions et référents identitaires spécifiques de
différentes communautés socioculturelles du Sénégal. Une large analyse a été consacrée à la
représentation et au fonctionnement de la notion de patrimoine culturel à travers les mémoires
historiques et traditions rituelles de divers groupes linguistiques du Sénégal. Je renvoie le lecteur
à Djigo 2015 pour des exemples précis à ce sujet.
343 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

les métiers et techniques artisanaux, les modes de vie et d’habillement, les


jeux traditionnels, les valeurs (celles-ci se manifestent dans maintes pratiques,
parmi lesquelles la parenté à plaisanterie, les rites et traditions initiatiques, le
dialogue et la palabre, les dons et échanges de biens symboliques). Le terme
ndono est appliqué à tout héritage reçu ou acquis dans la sphère familiale
ou la collectivité : tels la propriété foncière, les pratiques et savoirs religieux,
profanes ou ésotériques, les objets, les coutumes et droits qui régissent la vie
sociale, économique, politique et religieuse. Les termes s’imbriquent et sous
chaque mot, il existe plus d’une chose plus ou moins mal nommée.
J’ai tenté de trouver la signification du terme « patrimoine », couvrant
le sens de l’expression wolof aada ak cosaan, dans d’autres langues séné-
galaises, notamment celles officiellement promues langues nationales : le
pulaar, le sereer, le joola, le manding, le soninke. En pulaar82, le patrimoine
correspond à l’ensemble ngalu, ndesari, pinal e gandal fulbe ou encore ko
finaa tawaa, alors que le terme wolof ndono, « héritage », correspond à
ndonu. En sereer 83, le patrimoine correspond à ke i njegan na ou encore o
mbaax in, et le terme « héritage » se traduit par ke i lamna ou lamel. En joola-
fogni84, le mot patrimoine se traduit par fubaj kumpai ou encore mukaa-
naayam mati ájoolaau, et l’« héritage » signifie bứtawo. En soninke85, la
notion de patrimoine correspond à o naame o laadani ou encore o ganni
piini, tandis que le mot héritage se traduit par o xeye. En manding86, le
« patrimoine » correspond à na aado ou mbe mbalo lakoo, et l’« héritage »
se traduit par nke ; selon notre informateur, Amadou Lamine Dramé, c’est
ce terme qui a donné le patronyme Keita (ke, « héritage » ; ta, « prendre »)
porté par le souverain manding Soundjata Keita, dont le nom de famille
originel était Konaté.
Suivant les différentes recherches effectuées, on peut admettre que la
notion de patrimoine est bien présente chez les Sénégalais. La représenta-
tion du patrimoine englobe tout un ensemble de biens matériels87, de tradi-

82. Entretien avec Amadou Seydou Datt, agent de programmes, présentateur du journal pulaar
à la RTS, interrogé le 1er juin 2015 à la RTS.
83. Entretiens avec Abdoulaye Ndiaye, agent de programmes, présentateur du journal en sereer ;
Djiby Ndiaye, écrivain et auteur de plusieurs ouvrages en langues sereer et wolof, présentateur du
journal et d’émissions culturelles sereer à la RTS et à Radio Ndefleng, interrogés le 2 juin 2015.
84. Entretien avec Gaston Sambou. Formateur dans la transcription du joola, il a participé à
l’élaboration du dictionnaire joola-français ; il est agent de programmes et présentateur du jour-
nal en joola à la RTS ; interrogé le 1er juin à la RTS et le 4 juin au quartier Ouest-Foire Dakar.
85. Entretiens avec Ousseynou Dianka et Ablaye Tandian, agents de programmes, présentateurs
du journal en soninke à la RTS, interrogés le 1er juin 2015.
86. Entretien avec Amadou Lamine Dramé, écrivain en langues française, manding, et wolof ;
agent de programmes et présentateur du journal en manding à la RTS, interrogé le 4 juin à la RTS.
87. On peut distinguer différentes sphères : politique (comme les lieux d’intronisation des
dignitaires locaux, les anciennes capitales de royaumes précoloniaux, les champs de bataille),
religieuse et mythique (comme les bois, arbres, puits et forêts sacrés ; les mosquées et églises
anciennes ; les lieux de passage de saints musulmans ou chrétiens, les manuscrits produits par
des érudits musulmans), sociale (comme les places publiques, les lieux et arbres à palabre).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 344

tions, de principes, mœurs et valeurs88 qui conduisent le comportement


de la personne dans la société (tels que l’honneur, le courage, le respect
de la hiérarchie et de la parole donnée, la solidarité, la spiritualité89). Ces
coutumes et pratiques sociales – un legs que les individus et les commu-
nautés ont hérité des ancêtres – sont conçues et mises en œuvre pour
renforcer le lien social, les valeurs de tolérance, de solidarité et de convi-
vialité entre individus et entre communautés. Elles permettent de forger les
individus en leur léguant les expériences, les valeurs familiales et commu-
nautaires tirées du passé. Les « choses », « traditions », « croyances » et
« valeurs » sélectionnées dans le répertoire des repères identitaires sont
jugées particulièrement utiles, car elles ont des fonctions positives dans la
société et constituent des liens avec l’histoire, le passé et les ancêtres.
Ces symboles sont considérés comme emblématiques parce que révé-
lateurs de l’identité, de la culture et de l’histoire familiales ou communau-
taires. Ce patrimoine culturel interpelle les consciences individuelles – sous
la forme d’un contrat moral – qui se l’approprient et ressentent le devoir de
le transmettre aux générations suivantes dans un but pédagogique et iden-
titaire. Il permet de fixer une image et le passé idéalisé d’une communauté.
La notion de patrimoine couvre des significations en lien avec les notions
de tradition, de mémoire, d’héritage, de transmission et d’identité. Les
proverbes wolof (loo donnu mu dëgër), pulaar (ko rona’ka tiidata), sereer
(mboxo tin), manding (diŋo bee buka a faa ke ta), qui signifient littérale-
ment « l’héritage acquis, de ses ancêtres, s’enracine solidement », « trans-
mettre l’héritage », « on s’approprie profondément son héritage ances-
tral », ou encore « il n’est pas donné à tout enfant d’hériter de son père »,
connotent l’importance de la transmission de l’héritage (ndono en wolof,
ndonu en pulaar, ke i lamna ou lamel en sereer, nke en manding) dans « la
philosophie morale » de ces communautés, et des Sénégalais globalement.
De ce fait, plusieurs aspects du patrimoine culturel sénégalais considérés
comme héritages positifs ont été fixés par les mémoires collectives comme
« traditions » (aada ak cosaan, baaxu maan).

Mobilisations mémorielles, simulacres et catharsis


De nos jours, les symboles identitaires sont inscrits dans l’espace public
(médias, opérations de communication, cérémonies officielles, agenda
culturel national) et dans un nouveau circuit de reconnaissance, de

88. Voir, à ce propos, Ly 1966, Sylla 1978.


89. Il y a une implantation de la spiritualité chez les Sénégalais, une appropriation du patrimoine
religieux. Dans un pays où près de 95 % de la population est musulmane, l’Islam a inscrit ses
empreintes dans la société sénégalaise. Le système culturel arabo-musulman est ancré dans la
structure sociopolitique, les langues locales, les comportements, l’habillement, les cérémonies
(naissance, mariage, décès) et l’éducation familiale des Sénégalais. Voir Djigo 2015.
345 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

valorisation et d’institutionnalisation. La mondialisation, la crise des


valeurs et l’avancée de ce que certains sociologues et observateurs appellent
le phénomène de « wolofisation90 » – qui a tendance à faire de la langue, de
l’identité et des mémoires historiques wolof une dominante nationale – ont
provoqué l’inquiétude des groupes socioculturels du Sénégal. Ces derniers
se sont mobilisés en faveur de la préservation et la revalorisation de leurs
patrimoines identitaires. Ces craintes ont généré une sorte de compétition
des mémoires identitaires, car chaque communauté est animée par une
forte volonté de mettre en évidence l’histoire, la culture et finalement la
singularité de son groupe, née des différences existantes entre celui-ci et
les autres composantes de la nation sénégalaise. Les mobilisations mémo-
rielles servent à confronter les identités, en affichant une image que le
groupe estime être représentative de sa propre culture et de son histoire.
Les rencontres culturelles relevant du traditionnel, de plus en plus fréquentes
dans les terroirs villageois, permettent aux ressortissants et notables locaux
de se réunir périodiquement, dans une ambiance festive assortie d’un
décor haut en couleur. Dans ces mobilisations autour de la revalorisation
du patrimoine identitaire d’un groupe socioculturel, on note que certaines
communautés sénégalaises (c’est le cas des Joola, Manjak, Basari, Bedik ;
certains Peuls, Sereer, Lebu, Manding) continuent de préserver quelques
aspects de leur héritage culturel ancestral91. Mais d’autres groupes procè-
dent à des fresques ou simulacres, souvent appelés cosaan, où l’on revi-
site ce que l’on se figure d’un patrimoine culturel ancien. Les représen-
tations présentent comme vivante l’image d’une tradition séculaire revi-
sitée, quitte à la ressusciter lorsqu’elle a été interrompue. Elles évoquent
la vie des sociétés villageoises « traditionnelles » et la nostalgie du temps
passé. Les mobilisations mémorielles constituent une sorte de préservation

90. Dans le processus de constitution de l’État sénégalais postcolonial, la logique mise en œuvre
a privilégié le modèle wolof au détriment des logiques des autres communautés qui sont mises
à l’écart. Cette hégémonie wolof trouve sa source dans le système colonial qui, en déplaçant
le centre de l’autorité et du commandement vers les villes (les Quatre Communes), a accordé
un privilège au groupe des Wolof. La logique coloniale a procédé, volontairement ou non, à
l’affaiblissement des institutions rurales. Parmi celles-ci, seules les confréries ont pu résister. Ces
résistances ne peuvent s’expliquer, dans le cas des communautés wolof, que par les nécessités de
la consolidation de l’économie arachidière, culture qui s’est développée dans le pays wolof. Les
principales villes coloniales s’étant établies en zones wolof, ce phénomène favorisa, de fait, cette
communauté. « Langue hégémonique urbaine, le wolof est aussi l’instrument du commerce ;
c’est la langue de l’arachide, de la radio, langue parallèle de l’administration et de l’école. »
Cf. O’Brien 2002 ; Diop et Diouf 1990 ; Diouf 1994 ; Hilary 2011.
91. On peut citer l’exemple des rites de possession comme le ndëp chez les Lebu et le lup chez
les Sereer ; le xooy sereer (cérémonie au cours de laquelle des saltige – médiateurs entre le
monde des humains et celui des esprits dits supérieurs – de différents horizons sont invités à faire
des déclarations publiques et à dresser le bilan de l’année écoulée et des prévisions, pour l’année
à venir, sur l’hivernage et les risques de calamités) ; les rites de fécondité comme le kañalen chez
les Manding et les Joola, le gamond chez les Bedik ; les rites initiatiques des circoncis comme le
kankurang chez les Manding, le ndut chez les Sereer, le nitch chez les Basari, le bukut chez les
Joola, les Baïnuk et certaines autres communautés de la Casamance.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 346

opérationnelle du patrimoine qui se traduit par différentes formes d’inves-


tigation et de mise en valeur, par un groupe de populations, des expressions
identitaires anciennes et endogènes. La mobilisation des Sénégalais en vue
de la préservation de patrimoines identitaires est bien établie et très active.

Un patrimoine culturel inégalement conservé et valorisé :


les patrimoines monumental et documentaire
On est tenté de s’interroger sur l’appropriation et la préservation, par les
Sénégalais, des autres types de patrimoines, notamment ceux prescrits et
institués par l’État (les patrimoines architectural, archéologique, muséo-
logique, archivistique), qui sont aussi des composantes de l’héritage
culturel du Sénégal. Le constat est que la mobilisation des Sénégalais pour
la protection et la sauvegarde du patrimoine, notamment dans son aspect
matériel et monumental, est loin d’être effective. Les déprédations et périls
qui pèsent sur la préservation de ce patrimoine culturel – pourtant théori-
quement protégé par la loi no 71-12 du 25 janvier 1971, complétée et mise
en vigueur par le décret d’application no 73-746 du 8 août 1973 – sont en
partie liés à des processus d’origine anthropique.
Les exemples les plus flagrants d’endommagement du patrimoine
archéologique, mobilier ou monumental du Sénégal ne peuvent être cités
de façon exaustive, mais quelques cas pourraient édifier le lecteur sur les
périls. Il y a les effets de l’urbanisation et de l’aménagement du territoire
(extension anarchique des villes ou des villages, édification d’infras-
tructures routières ou civiles) qui ont entraîné la disparition de plusieurs
sites archéologiques, géologiques ou historiques, situés dans les zones de
secteurs sauvegardés. Des sites archéologiques localisés dans la vallée du
fleuve Sénégal ont été détruits suite à des travaux d’aménagement routier,
tout comme ceux des barrages ou l’exploitation agricole des périmètres
irrigués (Thilmans 1979). Ceux de la région du Cap-Vert (Médina, Bel Air,
Hann, Cambérène, Bopp, cap Manuel, Pointe de Fann, Ouakam, Mamelles,
Ngor, cap des Biches), cartographiés par Corbeil, Mauny et Charbonnier,
ont été mis en péril par l’extension urbaine de Dakar et les spéculations
foncières dans la capitale sénégalaise92. Il y a aussi le cas de l’exploi-
tation en carrières de coquillages ou de sable s’effectuant sur des sites
archéologiques classés patrimoine national et dont certains sont actuel-
lement inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco : les amas

92. Cf. Corbeil et al. 1948: 378-460 ; Bocoum 2002 : 185-213 ; Niang 2011 : 157-168 ; Sy et al. sd.
347 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

coquilliers du delta du Saloum93 ou les sites de Diack et Diakité94. Pour le


cas des amas coquilliers95, nos enquêtes systématiques96 ont prouvé que
les jeunes des villages insulaires, confrontés à des difficultés financières et
un chômage accentué, se livrent à l’exploitation et à la commercialisation
des coquillages vers les marchés de Kaolack et Banjul (en Gambie) afin
de subvenir à leurs besoins économiques immédiats. Les amas coquilliers
du delta du Saloum ne sont pas considérés comme un patrimoine culturel
par les exploitants de coquillages issus des communautés locales (Djigo
2000), parce qu’il n’y a pas de continuum historique direct entre les popu-
lations insulaires actuelles et ceux qui ont créé ces amas97. S’il y a bien
une appropriation foncière des sites98, la question de la préservation des
amas coquilliers en tant que ressource archéologique, historique et cultu-
relle n’est pas encore envisagée par les exploitants. À ces traitements
défavorables à la préservation des amas coquilliers, s’ajoutent les destruc-
tions, dénaturations ou rénovations anarchiques de bâtis anciens dans les
villes historiques comme Saint-Louis, Gorée, Dakar, Rufisque (Guèye

93. Les amas coquilliers sont des dépôts artificiels de coquillages de dimensions variables ob-
tenus par suite de l’accumulation de coquilles après consommation de la chair. Au Sénégal, ils
sont localisés le long du littoral atlantique, notamment dans les deltas du Sénégal et du Saloum
mais aussi en Casamance. Ils sont identifiés comme des sites archéologiques originaux. Les
amas coquilliers localisés dans le delta du Saloum sont très particuliers, du fait de la présence de
tumulus édifiés sur certains d’entre eux (tertres en coquilles renfermant un ou plusieurs défunts).
Les amas coquilliers du delta du Saloum constituent une des provinces les plus originales de la
protohistoire sénégambienne. Le delta du Saloum, avec ses paysages naturels et culturels (les
amas coquilliers) est classé sur la liste nationale, depuis l’arrêté ministériel no 12619 MC-DPN-
DSMH-BE en date du 15 octobre 1979 portant publication de la liste des monuments et sites
historiques du Sénégal. Le delta du Saloum est inscrit en tant que paysage culturel sur la liste du
patrimoine mondial de l’Unesco, le 24 juin 2011.
94. Il s’agit de gisements néolithiques situés dans la région de Thiès. Classés sur la liste du
patrimoine national, ils sont pourtant exploités en tant que carrières de sable par des riverains et
par la Direction des travaux publics. Cf. Corbeil et al. 1948 : 434-435 ; Kane 2001 : 28.
95. Cf. les travaux de Thilmans et Descamps 1982 ; Thilmans 1997 ; Thiobane 1998 ; Mbow
1999 ; Boucal 2000 ; Djigo 2000 ; Mbaye 2000.
96. Dans le cadre de la réalisation d’un mémoire de maîtrise, une équipe de recherche
– supervisée par Marie-Amy Mbow (IFAN) et Paul Ndiaye (département de géographie UCAD),
financée par l’UICN –, constituée de deux géographes et d’une historienne, avait mené, en 1999
des enquêtes systématiques sur l’exploitation et la commercialisation des amas coquilliers dans
le delta du Saloum. À propos des résultats de cette équipe de recherche, voir Boucal 2000, Djigo
2000, Mbaye 2000.
97. Les vestiges archéologiques contenus dans les amas coquilliers du delta du Saloum ont
prouvé que ces derniers sont d’origine anthropique. Ils sont le résultat d’une activité de collecte
de mollusques effectuée par un peuplement ancien protohistorique. Alors que le peuplement
actuel des îles du Saloum serait issu d’une migration de Manding originaires du Gabou. Cf. à
propos de l’histoire de cette migration, Pélissier 1966 : 407-411 ; Martin et Becker 1979 : 722-
772 ; Gravrand 1983 : 173-185.
98. Les sites exploités en carrière se trouvent dans le territoire villageois, et les exploitants
résident généralement dans la localité à laquelle les amas coquilliers sont administrativement et
historiquement rattachés. L’exploitation est libre pour tout natif du village, les amas coquilliers étant
considérés comme un bien commun à l’échelle villageoise. Dans le cas où l’équipe d’exploitants
d’un amas coquilliers (la compagnie) réside dans une autre localité, il faut au préalable recueillir
l’autorisation de l’autorité coutumière villageoise qui est supposée être le garant du foncier.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 348

1985 ; Diop 1987). Il y a également un manque de prise de conscience des


citoyens sénégalais sur la nécessité de collecter et de conserver soigneu-
sement des documents d’archives (Mbaye 2006). Ces contraintes sont
renforcées par la « diminution drastique » des fonds d’objets de certains
musées, comme c’est le cas du musée Théodore-Monod d’art africain de
Dakar (Diaw 1997, Biaya 1999).
Cet état de fait traduit les dysfonctionnements dans la protection et la
gestion du patrimoine des sites archéologiques et monuments historique
au Sénégal. Il laisse apparaître les difficultés des services administratifs,
chargés de la gestion et du contrôle de l’architecture et des monuments
historiques, pour faire appliquer une législation bafouée par tous et quel-
quefois même par l’État. La situation révèle un manque de reconnaissance,
de la part des populations locales, de la valeur historique et culturelle
de l’architecture ancienne, tout autant que des sites archéologiques. Elle
manifeste une insuffisance d’appropriation, par les Sénégalais, du patri-
moine culturel prescrit et institué par les instances officielles ou scienti-
fiques, en même temps qu’un problème de prise en compte du patrimoine
monumental, archéologique ou archivistique. La population ne se recon-
naît pas tout à fait dans la mémoire et le patrimoine public (monumental,
archéologique ou muséal) qu’on lui présente comme le sien. Les nouvelles
dynamiques que les populations ont développées pour s’approprier leurs
mémoires et les expressions identitaires, et le sort qu’elles réservent aux
autres héritages culturels, renforcent l’idée selon laquelle la conception et
la représentation du patrimoine restent liées à l’histoire, aux expériences et
spécificités socioculturelles99. Naguère – avant l’islamisation massive aux
XVIIe-XIXe siècles, les rajustements territoriaux, politiques, religieux (les
développements contemporains de l’islam confrérique et sunnite) et socio-
économiques de la période coloniale et contemporaine –, la conception de
la vie chez les populations « sénégalaises » donnait une tout autre lecture
de la culture et du patrimoine. L’interaction entre les valeurs sociologiques
et religieuses primait dans la détermination du patrimoine culturel. Les acti-
vités culturelles étaient en étroite relation avec toutes les activités sociales
du groupe. Ce qu’il est convenu d’appeler les manifestations extérieures
de la culture s’articulent sur les autres secteurs de la vie. Par exemple, la
danse n’était pas un moment séparé de la globalité sociale, elle était liée aux
travaux agricoles, aux grands moments de l’existence sociale d’un individu.
De même, le mil, le riz n’étaient pas de simples moyens de survie matérielle,
ils symbolisaient la vie, la fécondité et étaient liés à toutes les cérémonies
rituelles qui permettaient au groupe social de maîtriser les forces vitales.

99. Voir les travaux dirigés par Den Boer et Frihoff 1993 ; Chrétien et Triaud 1999, Gaultier-
Kurhan 2001 ; de Jong et Rowlands 2007.
349 ADAMA DJIGO
PATRIMOINE CULTUREL ET IDENTITÉ NATIONALE :
CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE NOTION AU SÉNÉGAL

La jonction du réel et du surréel était dominante dans ces sociétés. On peut


convenir que ce système culturel, et sa particulière conception du monde,
est différent de celui des nations européennes d’où naquit et se développa
la notion de patrimoine, de jure, telle qu’elle est véhiculée par les milieux
scientifique et institutionnel. Par conséquent, la conception eurocentrique de
la notion de patrimoine est loin de refléter la représentation et les pratiques
patrimoniales des Sénégalais. Pour la majorité des Sénégalais, la notion de
patrimoine englobe tout ce qui a été hérité des ancêtres sur le plan social,
religieux, intellectuel et matériel ; elle se rapporte surtout au patrimoine
vivant (les traditions familiales et communautaires).

Conclusion
La construction de l’identité nationale sénégalaise et les préoccupations
de développement du pays ont mobilisé les ressources culturelles du
passé. Les dirigeants politiques de l’État sénégalais colonial et post-
indépendance ont successivement instrumentalisé le patrimoine culturel
dans leurs stratégies de contrôle et/ou de consolidation du pouvoir, de
légitimation d’une idéologie et de développement du tourisme culturel. Les
politiques culturelles relèvent de l’État, elles ont été inscrites à l’enseigne
des priorités du moment, des idéologies des autorités, et de l’insuffisance
des moyens budgétaires. Le gouvernement colonial a prôné une culture
élitiste et centralisée dans les grands centres urbains, et surtout dans la
capitale dakaroise. Les dirigeants de l’État post-indépendance – malgré
leur volonté manifeste de glorifier les valeurs ancestrales et le passé négro-
africain – ont eu du mal à se soustraire au modèle de définition de la culture,
au patrimoine culturel importé par le colonisateur et relayé ensuite par les
instances internationales. En conséquence, il n’y a pas eu de stratégies
cohérentes permettant une gestion patrimoniale efficace et associant
les acteurs de base, notamment la population. Même si les politiques
culturelles ont produit des artistes (dans le domaine des arts visuels et
vivants) de renommée nationale et internationale, elles n’étaient pas tout à
fait très adaptées au système culturel et aux conceptions patrimoniales des
populations.
L’État jacobin et son modèle de représentation et d’administration,
même s’ils ont contribué à renforcer la coexistence pacifique d’identités
plurielles, ont été influents dans la dynamique déstructurante et conflic-
tuelle en Casamance (sud du Sénégal). Malgré les tentatives d’inves-
tissements infrastructurels (routes et pistes, campements touristiques,
université) et de décentralisation relativement récentes, s’est développé en
Casamance un discours politique qui convoque et valorise le particula-
risme culturel créateur d’une identité joola. En même temps, ce discours
casamançais instrumentalise la mémoire d’un territoire partagé par une
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 312-357 350

diversité de groupes socioculturels. Le modèle jacobin a généré une


dualité dans la définition, l’appropriation et la préservation de patrimoines
culturels. Il y a, d’une part, une conception par la population d’un patri-
moine social ou communautaire (composés d’éléments hétérogènes tels
les traditions, pratiques, valeurs, lieux de mémoire), approprié, préservé
ou réinventé – mais qui semble être menacé par les nouvelles identités
urbaines, la mondialisation et le fondamentalisme religieux. D’autre part,
il y a un patrimoine institutionnel ou public (notamment archéologique,
architectural, muséologique et archivistique) – privilégié par les autorités
dans leurs politiques culturelles – dont la reconnaissance et la protection
restent et relèvent pratiquement du domaine de l’État. Se référant à l’héri-
tage légué par ses prédécesseurs, le président Macky Sall paraît vouloir
renforcer le sens du civisme. Sa politique culturelle semble s’inscrire dans
la dynamique de restauration des symboles nationaux et des valeurs de
l’identité sénégalaise. Le décalage entre les politiques culturelles, les pres-
criptions officielles et la représentation populaire du patrimoine amène à
s’interroger sur les solutions crédibles à mettre en action afin que toutes
les richesses patrimoniales bénéficient de la protection et de la valorisation
par tous les acteurs – notamment par la population – et qu’elles soient, de
façon judicieuse, une ressource du développement local.

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