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Revue de géographie de Lyon

Dianus bifrons ou les deux stations solaires, piliers jumeaux et


portiques solsticiaux
Amable Audin

Résumé
Janus est bifrons en ce qu'il représente, pour un observateur en position convenable regardant l'un ou l'autre de deux piliers, la
direction du soleil levant au solstice d'été et au solstice d'hiver. Quantité de piliers, colonnes doubles ou portiques, reliques de
maintes civilisations anciennes, représentent la même dualité, et évoquent les faits religieux, agronomiques, voire militaiťes, liés
à l'alternance des saisons.

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Audin Amable. Dianus bifrons ou les deux stations solaires, piliers jumeaux et portiques solsticiaux. In: Revue de géographie
de Lyon, vol. 31, n°3, 1956. pp. 191-198;

doi : https://doi.org/10.3406/geoca.1956.2090

https://www.persee.fr/doc/geoca_0035-113x_1956_num_31_3_2090

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D1ANUS B1FR0NS OU LES DEUX STATIONS SOLAIRES

PILIERS JUMEAUX ET PORTIQUES SOLSTICIAUX

par Amable Audin

Résumé. — Janus est bifrons en ce qu'il représente, pour un observateur en position


convenable regardant l'un ou l'autre de deux piliers, la direction du soleil levant au
solstice d'été et au solstice d'hiver. Quantité' de piliers, colonnes doubles ou portiques,
reliques de maintes civilisations anciennes, représentent la même dualité, et évoquent
les faits religieux, agronomiques, voire militaiťes, liés à l'alternance des saisons.

M. Allix, me proposant selon les privilèges de l'éditeur le titre ci-dessus,


que je trouve en effet convenable, me demande de présenter aux lecteurs
de cette revue les idées que j'ai abordées en des études fragmentaires,
éparpillées en des publications malaisément accessibles. Ces idées concernent le
problème des deux piliers г. J'espère que ces vues seront de nature à
intéresser les géographes.
Le problème des deux piliers se pose par une simple confrontation.
En Egypte, les temples étaient établis de manière que le lever du soleil
eût lieu entre les deux pylônes dressés devant l'entrée. A Jérusalem, la
porte du temple de Salomon regardait l'orient et était précédée par deux
piliers de bronze nommés Yakin et Boas. Sur le mont Lycée, au centre du
Péloponèse, l'autel de Zeus était encadré, du côté du soleil levant, par deux
colonnes ornées d'aigles dorés.
Voici trois sanctuaires choisis dans trois provinces du monde antique.
Tous trois sont ouverts à l'est et précédés par deux pylônes, deux piliers,
deux colonnes. Dans les trois, les piliers limitent le côté du ciel où chaque
matin se lève le soleil.

. Pour des raisons matérielles autant que religieuses, la connaissance des


temps est une nécessité dont l'homme a dû, dès les origines,
minutieusement définir les données. Ce problème ne se distingue pas de celui de la

1. La légende des origines de l'humanité, 1 vol., Riéder, Paris, 1930. — Les fêtes
solaires, 1 vol., Presses Universitaires, Paris, 1945. — Les piliers jumeaux. Archiv
Orientalny, Prague, 1948. — Janus, le génie dé l'Argiletum, Lettre d'humanité, Paris
1951. — Des piliers jumeaux chez les Sémites, Archiv Orientalny, Prague, 1953. —
Le monde carré. Revue Archéologique de l'Est et du Centre-Est, Dijon, 1955.
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connaissance de l'espace. En ce qui concerne ce dernier, possesseurs


aujourd'hui de l'aiguille aimantée qui, par une simple correction, nous indique le
nord absolu, nous résolvons la recherche par la détermination consécutive
du sud, de l'est et de l'ouest.
Le primitif procédait autrement. Face au soleil levant, il définissait la
région de l'orient. Derrière lui était l'occident. La région de droite était
appelée australe, c'est-à-dire brillante, parce que c'est celle du midi. La
région de gauche était le septentrion, à cause des sept étoiles de l'Ourse.
Ces deux dernières régions n'avaient pas, chez les indo-européens, d'autre
nom que droite et gauche. Ainsi, dans un monde à quatre côtés,
l'indétermination du nord et du sud réservait la primauté à l'orient et à l'occident,
et, entre ces deux côtés, la prééminence allait à l'orient, nommée la région
d'amont, sur la région d'aval où le soleil descend pour se coucher.
L'est proprement dit est une notion seconde qui ne se définit pas
directement de l'examen du ciel, mais se calcule à partir d'autres points qui
sont, eux seuls, inscrits sur l'horizon. Chaque jour en effet le soleil paraît
sur un point nouveau, et cette oscillation a pour limites deux points fixes :
l'orient solsticial d'été au nord-est, l'orient solsticial d'hiver au sud-est.
En ces deux points s'arrête le soleil avant d'inverser sa course. Il y fait
une véritable station, fournissant à l'homme deux repères bien définis qui
limitent le côté du ciel qui porte le nom d'orient. Entre ces deux points,
notons la supériorité du point solsticial d'hiver qui, marquant le
renouvellement de l'année, primait celui qui en marquait simplement le milieu.
Ces deux points solsticiaux, les tropai des Grecs, c'est-à-dire les
tournants, les metae des Romains, c'est-à-dire les bornes, limitent le passage
par lequel le soleil pénètre chaque jour dans le ciel. Ils ont naturellement
été conçus comme les montants d'une porte. La notion d'un univers
possédant deux entrées opposées, ou plutôt une entrée et une sortie, paraît déjà
chez les Babyloniens. Mardouk fit le ciel avec un métal très dur. Ce ciel
coiffait le monde terrestre et en faisait un antre auquel il ménagea deux
portes. Le soleil y pénétrait chaque matin par celle de l'est pour en ressortir
le soir par la porte de l'ouest et regagner la demeure où il passait la nuit.
Chez les Egyptiens, les cynocéphales sacrés saluaient le soleil à son lever
et à son coucher en lui ouvrant les deux portes de l'horizon.
L'homme, lui aussi, devait saluer le soleil chaque matin. Il le faisait près
d'un édifice qui était la reproduction, à son échelle, de la porte céleste. Et
cet édifice était celui-là même qui lui permettait d'étudier les levers astraux.
D'un poste fixe, marqué sur le sol d'une manière rigoureuse, l'observateur
repérera les variations ortives du soleil. Les deux points solsticiaux seront
signalés par deux poteaux. Tous les jours le soleil se lèvera entre ces
poteaux, et, à chaque solstice, contre l'un d'eux. Et lorsque l'astre viendra
toucher le poteau d'hiver, l'homme connaîtra qu'est venu le moment de la
mort et de la résurrection du soleil. Naturellement, à l'imitation des metae
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de l'horizon, les deux poteaux humains seront conçus comme les montants
de la porte que franchit le soleil pour pénétrer dans le sein du groupe
social (Fig. 1). Ainsi se marque, entre l'univers et la demeure clanique, une
symétrie qui se perpétuera dans le templům des Etrusques.

Solstice
d'été ORIENS Solstice
d'hiver
PIUER SUD
PILIER NORD

OCCIDENS
Fig. 1. — L'observation de l'orient.
On peut — géographiquement — rappeler sous cette figure que les archéologues
l'appellent l'Union Jack ; que « l'Union Jack serait donc originairement une image du
monde », et que, de ses nombreuses représentations connues, deux ont été trouvées à Lyon
(cf. A. Audin, Le monde carré, loc. cit., p. 69. (N.D.L.R.).

Et nous voici revenus au point de départ. De l'autel ou du seuil du


sanctuaire, le côté de l'horizon qui porte le nom d'orient est limité par les deux
piliers entre lesquels, tous les jours de l'année, passe le soleil du matin.
Ainsi s'exprime clairement la fonction chronométrique des deux piliers.

Telle est la théorie des deux piliers : reste à en montrer les applications.
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Les témoignages les plus anciens sont à chercher sur les monuments
figurés du monde sumérien, et cela dès l'époque prédynastique de Jemdet
Nasr, 3.200 ans avant notre ère. La glyptique se plaît à représenter les
deux mâts rituels que, par ailleurs, l'on voit bien qu'il faut considérer
comme la porte du ciel (un vase susien montre même le soleil se levant
entre les deux poteaux). Il aurait été étonnant qu'un élément rituel aussi
essentiel n'eut pas fait l'objet de quelque mention dans l'énorme littérature
religieuse mésopotamienne. L'édifice nommé « Ki-Babbar-é » tient son
nom de ce qu'il est « le lieu du soleil levant », et le « é-ninnu » de ce qu'il
se trouve « à la face du soleil ».
Je n'entraînerai pas le lecteur dans une quête à travers le monde antique :
en Egypte prédynastique et dynastique, dans le monde sémitique, de l'Eu-
phrate à Gadès où les colonnes d'Hercule répondent aussi exactement à la
définition des deux piliers que les Yakin et Boas déjà cités, dans le monde
gréco-latin comme Га fait pressentir l'exemple du mont Lycée. Je signalerai
seulement que M. Allix m'a fait le reproche de ne pas avoir poussé mon
enquête assez loin. Dans le temps d'abord, car l'étude des mégalithes des
deux Bretagnes m'aurait montré l'existence d'édifices chronométriques qui
sont les ancêtres authentiques de ces deux piliers 2. Dans l'espace ensuite,
car il apparaît que le torii japonais, fait de deux poteaux unis par une double
poutre transversale et dressés devant les portes des temples, répond aussi
bien au schéma du monument aux deux piliers que telle Porte du soleil de
la tradition incassique.
Rapidement, la règle s'imposa de concevoir les deux piliers comme le lieu
de la justice. La connexion s'explique. L'idéogramme qui figure le premier
rayon du soleil levant a, chez les Chinois, une signification seconde, celle
du respect de la foi jurée et de l'inéluctable accomplissement des lois
supérieures du monde. Le soleil, en effet, comme ces lois l'y contraignent, se
présente chaque matin à la porte orientale du ciel dont les deux piliers sont
la représentation. Les hommes échapperaient-ils aux contraintes auxquelles
se soumettent les dieux? D'autre part, la notion de contrat est inséparable
de la notion de mesure du temps. Et le temps se mesure précisément par
l'observation du soleil aux piliers jumeaux.

2. On ne va pas se plonger ici dans la bibliographie de Stonehenge, sujet qui nous


dépasse. Rappelons seulement que le Rév. John Griffith, qui en a entrepris l'étude
voici plus d'un demi-siècle, y découvrait, non les azimuths des equinoxes et solstices,
mais ceux des mi-saisons : 4 février, 6 mai, 8 août, 8 novembre. Mais c'est toujours
« le monde carré ». Ce « calendrier de mai » lui montrait d'autres survivances, et
d'abord, comme on l'a signalé dans une note précédente (Et. Rhod. 1954, p. 337),
beaucoup de dates de foires britanniques (John Griffith, The May or Gorsell year in
english and welsh fairs; Nature, 5 sept. 1907, p. 477-481). L'étude pourrait être
reprise sur les alignements et les époques marquantes (y compris les foires) du
continent : qu'en pense André Meynier ? (N.D.L.R.).
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La justice est donc rendue entre les deux piliers. Là aussi s'exerce la
répression. Aussi bien en vint-on à les réunir par une poutre transversale
à laquelle étaient pendus les ennemis du groupe social, ou tout au moins
leurs armes, quand ce n'était pas simplement des oscilla, substituts rituels
aux têtes des condamnés.
A ce point, le monument des deux piliers est devenu un trophée. Le nom
de trophée dérive du verbe grec qui signifie tourner. On dit que c'est parce
que la vue du trophée fait tourner le dos à l'ennemi. Mais lorsque le trophée
est élevé, l'ennemi est déjà en déroute. En fait, le mot trophée évoque les
tropai, les tournants du ciel que sont les deux piliers qui marquent les
points où le soleil tourne pour inverser sa marche sur ce que nous appelons
encore les « tropiques ». Au terme de l'évolution, piliers et linteaux
donneront naissance à l'arc de triomphe romain auquel se lient l'idée de
victoire et celle de trophée, celle aussi d'emblème du groupe social qui l'a
érigé.

C'est sur le plan mythique et légendaire que la théorie des deux piliers
offre le plus de développements.
Dès l'aube des temps historiques, la tradition s'institua d'associer à
chacun des deux piliers un être vivant qui s'identifiait à lui. Ainsi commença-
t-on à zoormorphiser les piliers. Puis on les anthropomorphisa. Aux deux
piliers s'associèrent alors des personnages héroïques ou divins dont on fit
les assesseurs du soleil, ses fils, deux jumeaux chargés de la porte par
laquelle l'astre pénètre chaque matin dans le ciel.
En Mésopotamie le rôle des assesseurs solaires fut joué par les héros
Gilgamesh et Enkidou, personnages étranges dont la merveilleuse légende
inspira le grand poème épique du monde oriental. Le sujet en est tiré de
la position en déséquilibre des deux piliers par rapport au soleil.
De la place rituelle, l'observateur regarde à l'est le champ des levers
solaires, limité par les deux piliers. Or ces piliers ne sont pas en état de
symétrie absolue, ni sur un pied de stricte égalité. A droite, le pilier sud
est celui de la lumière, de la vie, du bonheur, de la bonne chance. A gauche,
celui du nord est le pilier des ténèbres, du désespoir, du mauvais augure,
le pilier sinistre de la mort. Aussi bien, le héros qui s'y rattache est-il
soumis à la mort, à l'encontre de son frère, promis, lui, à une vie perpétuelle.
Tout le drame qui se joue entre les jumeaux est celui de la mort de l'un et
du désespoir de l'autre.
C'est le drame de Gilgamesh et d'Enkidou. C'est aussi cc!ui d'autres
jumeaux en qui, par définition, nous sommes en droit de reconnaître les
pylastes solaires. N'évoquons ici que les plus illustres, les Dioscures Castor
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et Pollux, l'un mortel, l'autre immortel, et qui alternaient semestriellement


dans le ciel au service de leur père, le divin Zeus.
Passons rapidement sur une déviation de ce mythe, propre aux Sémites
et aux Méditerranéens. Par suite de la contamination d'un mythe étranger,
les deux frères affectueux sont devenus des frères ennemis, l'un tuant
l'autre. Par dizaine on citerait les frères de cette tradition, les rattachant
sans trop de peine au schéma archi tectonique des deux piliers : Caïn et Abel,
Esaii et Jacob, Osiris et Typhon, Etéocle et Polynice, Romulus et Rémus.
Il y a là une veine très riche qu'il n'est pas ici le lieu d'exploiter. Du moins
a-t-elle le mérite de nous conduire à Rome où nous désirions aboutir.
C'est pour y trouver le personnage du bifrons, cas particulier des jumeaux
assesseurs. La détermination individuelle des deux jumeaux est
effectivement demeurée fragile, si fragile qu'ils tendaient à se condenser en un seul
individu doué d'une double nature.
Le bifrons est originaire de l'orient, comme la tradition des deux piliers.
Sur la plaquette d'Ashnunak, au Musée du Louvre, l'évolution prend le
départ. Des épaules d'un personnage divin sortent deux têtes humaines.
Ce dieu est proprement celui qu'assistent les pylastes. Un cylindre de
Berlin montre le personnage dans un état intermédiaire où il est encore
constitué par les deux moitiés antérieures de deux individus. Au terme de
l'évolution, la glyptique sumérienne atteint la formule du véritable bifrons,
personnage possédant un seul corps et deux visages coiffés d'une seule tiare.
On trouve ce personnage à la place qui est ailleurs attribuée aux jumeaux
pylastes: gardien de la porte céleste, il est le médiateur entre l'homme et
le ciel. C'est lui qui présente au dieu ses adorateurs.
Transmis à l'Asie Mineure par les colons sumériens qui s'y établirent au
xxiii6 siècle, le bifrons y prend figure de Kronos, dieu solaire qui ouvre
l'année. Puis il est en Egée, à Chypre, à Rhodes. La Thrace avec Borée,
la Grèce avec Hermès et Argus sont les relais qui permettent au bifrons
d'atteindre l'Italie, par deux routes distinctes. De l'Egée, les Etrusques
apportent leur bifrons, connu sous les noms de Cubans et de Turms, tandis
que les marins hellènes introduisent en Italie du sud et en Sicile un bifrons
dont on retrouve l'écho affaibli dans le Virbius, « deux fois homme »,
qu'adoraient les prêtres de Némi.
A Rome s'épanouit le personnage sous le nom de Janus. S'il faut s'étonner
de quelque chose, c'est de retrouver, au ternie d'un si long voyage, un
Janus aussi semblable à son prototype oriental. Outre le fait d'avoir deux
visages, ce qui caractérise Janus est son association à la porte. Association
si étroite que l'on discute encore sur l'antériorité des termes de Janus et de
janua. Il paraît bien cependant que le nom du dieu dérive de Dianus, parèdre
de Diana, et qu'il se rattache plus lointainement à la racine indo-européenne
qui a fourni le mot dies, et place le personnage en relations étroites avec la
promenade diurne du soleil dans le ciel.
LES DEUX STATIONS SOLAIRES 197

Janus, au surplus, est le dieu du premier mois de l'année, janvier, qui


porte son nom. Or c'est précisément par l'observation solaire au double pilier
que se définit le début de l'année. Inutile de pousser plus avant une
démonstration évidente. Il n'est pas un trait de Janus qui ne requière son
association à la porte du ciel et ne s'inscrive dans la physionomie du dieu qui
règle chaque matin l'entrée du soleil dans У Monde des hommes.

LE CHRISME ET LE MONDE CARRE

II y a longtemps que A.-B. Cook a découvert que le dessin schématique


nommé chrisme est antérieur à notre ère. Il apparaît en effet sur les
monnaies des dynastes gréco-scythes, et tout particulièrement de cet Apollo-
dotos II qui régnait aux alentours de l'année 100 avant notre ère3. Il y a
donc lieu de chercher à ce dessin une signification qui ne se réfère pas au
nom du Christ.
A une époque fort ancienne, le découpage de l'année subit une
modification. L'accent fut placé non plus sur la renaissance du soleil au solstice
d'hiver, mais sur la position d'équilibre que prend la nature lorsque jours et
nuits s'égalisent, dans le temps où la végétation renaît de la nuit hivernale.
Le début de l'année, ou tout au moins le jour saint de l'année, fut à l'équi-
noxe de printemps. Notre fête de Pâques perpétue cette tradition, comme
celle de Noël perpétue la tradition solsticiale.
Sans rechercher ici les conséquences mythiques et religieuses du fait,
insistons seulement sur la modification qu'il apporta à l'image du monde
carré. Dans ce schéma heureusement nommé Union-Jack, la verticale
centrale, qui correspond à l'équinoxe, prit le pas sur les obliques des solstices.
Or, dès l'époque sumérienne, les piliers solaires avaient l'aspect de hampes
à boucles et s'ornaient à leur sommet d'une anse latérale. A la fin du IV
millénaire, on en trouve un témoignagne sur un bas-relief prédynastique
d'El-Obeid 4, et la figuration la plus précise de ces hampes à boucles est
probablement celle qui orne le vase à libation de Goudéa, conservé au Musée
du Louvre, et qui remonte au milieu du IIIe millénaire 5. Au surplus, les
fouilles de Tello ont livré une hampe à boucle votive, en cuivre, que conserve
également le Musée du Louvre 6. L'aspect de ces poteaux solaires est celui
d'un P latin, ou plutôt d'un Rho grec.

3. Cook, Zeus, II, p. 608, fig. 510.


4. G. Contenau, Manuel ďarch. or., I, p. 447, fig. 344.
5. Id, p. 181, fig. 109.
6. Id, II, p. 355, fig. 588.
198 A. AUDIN

Dans le schéma classique du monde carré, ornons donc la barre verticale


d'une anse pour indiquer que l'équinoxe est devenu la station solaire
majeure. L'image prend alors l'aspect d'un chrisme où s'unissent les deux
diagonales solsticiales et la verticale équinoxiale à boucle. Un tel sigle est
devenu très logiquement l'idéogramme du dieu qui rescussite le jour de
Pâques. C'est un heureux hasard si cet idéogramme à pu; de surcroît, être
décomposé en deux lettres grecques, Chi et Rho, qui sont précisément les
deux lettres initiales du nom du Christ.

Equinoxes

Solstice d'été Solstice d'hiver

Fig. 2. — Le chrisme, figure équinoxale.


LES DEUX STATIONS SOLAIRES PI. I

Le irône et les deux piliers,


d'après une stèle carthaginoise de Koudiat-Hati
(Musée Guimet de Lyon).

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