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de Martial Pascaud
Une publication de
ISSN 1258-8628
Résumé
Dans La généalogie de la morale, Nietzsche met en œuvre sa méthode généalogique pour les
phénomènes moraux. Cette étude confirmera sa perspective opérée à partir de la
déconstruction de la psychologie traditionnelle : tout se ramène à l’activité pulsionnelle,
signifiée comme volonté de puissance. Tout peut être analysé selon le concept privilégié
d’interprétation, c’est-à-dire de rapport de force. Une telle position récuse la possibilité de
connaître le réel selon un ordre d’essence. Cela peut être premièrement objecté par la vie
pratique, mais plus essentiellement, dans l’ordre spéculatif, par la nécessité du principe de
non-contradiction. L’intelligibilité du réel est le fondement même de tout discours.
Martial Pascaud est titulaire d’un DUT Gestion Logistique et Transport, d’une maîtrise de
philosophie et du TMD de l’IPC. Il achève un troisième cycle de « Responsable en
management et développement des Ressources Humaines » à l’IGS.
Pour citer cet article : Martial Pascaud, « Éléments pour la généalogie de la morale »,
Cahiers de l’IPC 67, janvier 2007, 2e éd., p. 87-131.
1
Éléments pour la généalogie de la morale
Introduction
9 Ce n’est pas seulement le kantisme qui est en arrière plan d’une telle critique, bien
que celui-ci tombe directement sous son coup. En effet, dans la Critique de la raison
pratique, Kant prétendait procéder à une mise en forme rigoureuse de la morale qui
établirait sa légitimité, étant admis que celle-ci était déjà présente, « donnée » au sens
où le dira Nietzsche. Il s’ensuit qu’une telle critique de la morale manque de radicalité,
c’est-à-dire qu’elle s’appuie sur des préjugés.
Éléments pour la généalogie de la morale 91
comme « reine des sciences », non en tant qu’elle étudie un domaine particulier de
savoir et autour de laquelle d’autres sciences particulières prendraient place, mais en
tant qu’elle remplace la philosophie et en tant que tous les concepts introduits par
Nietzsche prennent sens par rapport à elle.
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12 Ibid., § 16.
Éléments pour la généalogie de la morale 95
15Ibid., § 16.
16Voir Fragments Posthumes XII, 5 [56] : « Tout ce qui arrive en tant qu’unité à la
conscience est déjà monstrueusement compliqué : nous n’avons jamais qu’une
apparence d’unité. »
Éléments pour la généalogie de la morale 97
La critique de la volonté
L’autre aspect de la critique nietzschéenne de la
psychologie métaphysique consiste en la condamnation de la
notion de volonté entendue dans son sens traditionnel.
L’argumentation de Nietzsche repose sur les mêmes critères de
disqualifications du concept de sujet. Le « je veux » ne
représente pas plus une certitude immédiate que le « je pense »
car il résulte tout autant d’un travail d’interprétation. La
volonté est une chose complexe dont l’unité est purement
verbale : elle est un ensemble d’activités instinctives. Cependant,
Nietzsche apporte des indications supplémentaires sur l’identité
des instances infra-conscientes déjà mises en évidence lors de la
critique de la notion de sujet. Nietzsche repère trois instances :
« une pluralité de sentiments », une « pensée » – « tout acte de
volonté recèle une pensée qui le commande » –, et enfin
l’ « affect de commandement19 ».
Nietzsche souligne l’importance primordiale de cette
dernière instance, l’affect de commandement, terme qui désigne
l’affect spécifique qui accompagne l’émission d’un ordre, c’est-
à-dire la confiance dans l’obéissance à l’ordre exprimé. En effet,
c’est sur lui que repose l’élimination définitive de la fiction de la
causalité, fiction qui a poussé à croire que la volonté est quelque
chose qui agit, qu’elle est une faculté. Nietzsche remplace ce
schéma causal qui produirait à coup sûr un effet par une
relation de commandement et d’obéissance intervenant au sein
d’une communauté hiérarchisée d’instances de même nature
que Nietzsche qualifie par les termes d’affects, d’instincts et de
pulsions ; et cette instance de relation de commandement et
19 Ibid., § 19.
Éléments pour la généalogie de la morale 99
20 Ibid., § 23.
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21 Ibid., § 259.
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Ou de la volonté de puissance, puisque la vie n’est rien d’autre qu’un cas particulier
de la volonté de puissance.
23 Généalogie de la morale, III, § 28.
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Le statut du « donné »
En suivant la démarche de Nietzsche, celui-ci nous
conduit à déconstruire l’ensemble de la pensée occidentale pour
parvenir à un « donné » : toute pensée se ramène en dernière
24 Le Crépuscule des idoles, cité dans Leo ELDERS, La Métaphysique de saint Thomas
26 Ibid., 14 [82].
27 Fragments posthumes XII, 2 [190].
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revanche, certains noms signifient une unité dont ils ne sont pas
le principe. Par exemple, lorsque l’on veut définir le courage,
c’est-à-dire lorsque l’on cherche à répondre à la question
« qu’est-ce que le courage ? », on ne cherche pas à énumérer une
collection d’actions courageuses ; sinon, on ne répondrait pas à
la question « qu’est-ce que le courage ? », mais à la question
« qu’est-ce qui est courageux ? ». On cherche à dire ce qu’est le
courage en lui-même ; ce qui suppose de faire abstraction des
actions courageuses singulières. Cela est manifeste du fait qu’il
serait impossible de désigner par le nom courage l’ensemble des
actions courageuses, faute de quoi certains cas singuliers de cette
classe rentreraient en contradiction, et le nom qui serait
principe d’unité ne le serait alors plus puisqu’il désignerait des
choses contradictoires. Cela donnerait alors lieu à deux classes
différentes, et le nom ne serait plus le principe d’unité d’une
classe une. Par exemple, le courage consiste parfois à résister à
l’ennemi, parfois à le fuir − c’est ce qui distingue dans ce cas le
courage de la témérité. Or, fuir s’oppose à résister. Dès lors, il
n’est pas possible de regrouper les différentes actions
courageuses sous le seul nom courage. Par conséquent, le nom
courage ne désigne pas une classe. Il renvoie donc à autre chose
qu’à la simple similitude entre les individus singuliers.
Si certains noms ne sont pas l’étiquette d’une simple
classe, il faut qu’ils signifient l’essence, c’est-à-dire le ce que c’est
de la chose. Prenons le cas de l’égalité. Considérons deux bouts
de bois ou deux cailloux égaux. Ceux-ci apparaissent tantôt
égaux, tantôt inégaux : ils ne sont pas parfaitement égaux.
Pourtant, nous avons une conception de l’égalité par laquelle
nous jugeons de l’égalité des choses ; nous avons une certaine
connaissance de l’égalité qui dépasse les individus singuliers en
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Conclusion