Vous êtes sur la page 1sur 4

Coopérer entre collègues, la solution pour ne plus souffrir au travail https://theconversation.com/cooperer-entre-collegues-la-solution-pour-ne...

L’expertise universitaire, l’exigence journalistique

Coopérer entre collègues, la solution pour ne plus


souffrir au travail
2 avril 2017, 23:30 CEST •Mis à jour le 5 juin 2017, 14:07 CEST

Auteur

Christophe Dejours
Professeur en psychodynamique du
travail, Conservatoire national des arts et
métiers (CNAM)

Dans les espaces de convivialité informels de l'entreprise, comme la kitchenette ou la machine à café,
la solitude est conjurée. Alejandro Escamilla/Unsplash

Les pathologies mentales au travail n’ont cessé de s’accroître au cours des 25 dernières années.
L’expérience du travail peut générer le meilleur, mais aussi de la dépression, des pathologies post-
traumatiques en rapport avec les violences dont les salariés sont victimes en provenance des clients,
des pathologies de harcèlement provenant cette fois, non des clients, mais de l’intérieur de
l’entreprise. Et enfin, des tentatives de suicide et des suicides.

Si la santé des corps dépend des conditions du travail, la santé mentale est principalement en rapport
avec l’organisation du travail. Quatre méthodes introduites dans les années 1990 sont principalement
en cause : l’évaluation individuelle des performances, la qualité totale et les critères de certification
comme les normes Iso, la flexibilisation (travail intérimaire, CDD, travail à temps partiel en vacations
imposées, statut de petit entrepreneur, travail au noir, travail clandestin, sous-traitance) et la
standardisation des tâches.

Pour les chercheurs et les cliniciens, il n’y a donc plus aucun mystère dans l’aggravation de la
pathologie mentale au travail, comme je l’ai expliqué en ouverture de la journée Santé mentale et
travail, qui s’est tenue le 16 mars à Paris à l’initiative de MGEN. J’y ai décrit des voies que l’on peut

1 sur 4 10/11/2017 à 14:12


Coopérer entre collègues, la solution pour ne plus souffrir au travail https://theconversation.com/cooperer-entre-collegues-la-solution-pour-ne...

tracer pour mettre un terme à cette évolution désastreuse, et que je reprends ici.

Une réalité, pas une fatalité

La brutalité du processus est telle, non seulement en France mais dans le monde entier, qu’on en
vient à croire que cette évolution est incoercible, irrémédiable, que c’est une fatalité. Il s’agit d’une
erreur.

En effet nombre de cadres supérieurs et de dirigeants d’entreprise sont aujourd’hui assaillis par le
doute sur la rationalité de ces orientations gestionnaires qui forment ce qu’après le juriste Alain
Supiot, professeur au Collège de France, on désigne sous le nom de « gouvernance par les nombres ».

Ces dirigeants qui doutent sont généralement à la tête de PME. Ce ne sont jamais des dirigeants
d’entreprises du CAC 40. Certains ont pris le risque de rompre avec les méthodes gestionnaires et il a
été possible, depuis une dizaine d’années, de procéder à des expérimentations qui démontrent qu’on
peut organiser le travail autrement et rétablir des rapports de qualité entre les salariés et
l’organisation du travail, avec des améliorations spectaculaires en matière de santé mentale.

L’intelligence au pluriel, condition à la qualité du travail

Le principe de cette transformation repose sur la connaissance de certaines dimensions du travail. À


savoir que le travail n’est pas seulement un rapport entre l’individu et la tâche à accomplir. La qualité
et la productivité du travail dépendent de la mobilisation de ressources personnelles qui relèvent de
son intelligence à lui, mais pas seulement. Elles dépendent aussi de l’intelligence au pluriel, c’est-
à-dire de la formation de collectifs ou d’équipes de travail qui conjuguent les trouvailles des
intelligences individuelles pour forger ce qu’on désigne sous le nom de coopération.

En effet, si chacun se met à être intelligent de son côté, sans tenir compte de la façon dont procèdent
les collègues, c’est alors comme dans un orchestre, on aboutit à la cacophonie.

La coopération ne tombe pas du ciel, elle se construit grâce à la mobilisation d’une autre forme
d’intelligence, qui est une intelligence délibérative (désignée par le mot de grec ancien phronesis).
C’est par la discussion collective sur les différents modes opératoires possibles à l’intérieur d’une
équipe que l’on parvient à des accords entre collègues sur les manières de faire. Et c’est sur la base de
ces accords issus de la délibération collective que peuvent se construire des règles de travail.

A chaque collectif, ses règles

Chaque collectif construit ainsi ses propres règles. Une équipe infirmière, dans tel service, adopte des
règles qui ne sont pas les mêmes que dans le service d’à côté. Et c’est une très bonne chose. Dans deux
collèges, voire dans deux classes du même établissement, on n’adopte pas les mêmes règles de travail,
non seulement parce que les élèves sont différentes, mais parce que les enseignants ne sont pas les

2 sur 4 10/11/2017 à 14:12


Coopérer entre collègues, la solution pour ne plus souffrir au travail https://theconversation.com/cooperer-entre-collegues-la-solution-pour-ne...

mêmes.

Or on peut montrer que toute règle de travail élaborée par délibération collective a toujours deux
dimensions. La première, une dimension relative à l’efficacité ; tous les travailleurs et toutes les
équipes souhaitent que leur travail soit efficace. La seconde, une dimension éthique, qui vise à
permettre que chacun puisse apporter une contribution personnelle à l’œuvre commune ; on peut
montrer que toute règle de travail est en même temps une règle de vivre ensemble.

Lorsque la coopération existe, la solitude est conjurée, et l’on bénéficie de l’entraide, de la prévenance,
du savoir-vivre et de la solidarité des autres. L’élément décisif en matière de prévention des
pathologies mentales au travail, c’est la coopération.

La santé mentale au travail dépend de la solidarité

Ma santé mentale au travail ne dépend pas que de moi-même, de mes talents et de mes faiblesses
personnelles. Elle dépend fondamentalement aussi des autres, de la confiance, de la loyauté et de la
solidarité mises au service de l’œuvre commune.

Dans les entreprises qui ont pris le risque de s’écarter de la « gouvernance par les nombres », la prise
en considération de la coopération fondée sur la délibération collective, sa mise en avant comme
objectif prioritaire de la réorganisation, se sont montré efficaces pour prévenir la souffrance au
travail. Le rôle des espaces de convivialité formels, comme les réunions d’équipe, et informels, par
exemple devant la machine à café ou dans la kitchenette, est essentiel.

Il devient souhaitable de transformer en profondeur les méthodes de management ou de

3 sur 4 10/11/2017 à 14:12


Coopérer entre collègues, la solution pour ne plus souffrir au travail https://theconversation.com/cooperer-entre-collegues-la-solution-pour-ne...

gouvernement de l’entreprise. Il est question, alors, d’apprendre de nouveaux savoir-faire qui


permettent aux managers de concentrer leurs efforts en vue d’aider, d’entretenir et de développer les
formes de la coopération au sein des équipes dont ils ont la responsabilité. Il s’agit plus ou moins d’un
nouveau métier qui repose sur l’effort du manager pour connaître, pour comprendre le « travail
vivant » des salariés qu’il dirige, c’est-à-dire le travail intérieur relevant de leur intelligence.

Une amélioration conjointe de la productivité et de la santé mentale

Cette méthode permet peu à peu non seulement de connaître la coopération mais, en la connaissant
mieux, de la protéger et de la développer, ce qui aboutit à l’accroissement des compétences collectives
de l’entreprise, laquelle a des effets spectaculaires à la fois en accroissement de la productivité et sur
l’amélioration de la santé mentale au travail. Les expériences réalisées ces dernières années montrent
que c’est possible.

Cependant, ces expériences restent ponctuelles et rares. Elles ne pourront se développer que si elles
sont soutenues par des politiques publiques qui les feront connaître et aideront à les transmettre, non
seulement dans les entreprises, mais dans l’enseignement et la formation au sein des écoles de cadres
et autres grandes écoles.

Mais pour parvenir à une telle conjoncture favorable, il faudrait d’abord que tous ceux qui souhaitent
réenchanter le travail s’emparent de ces connaissances. Il faudrait surtout qu’ils soient capables de
hisser la question de l’organisation du travail dans l’espace public, de façon à la faire reconnaître
comme un problème politique à part entière, irréductible à toute autre question politique, qui devrait
figurer dans les priorités de tout programme de gouvernement.

travail psychiatrie management psychologie intelligence santé mentale salaires conditions de travail

risques psychosociaux burn out

4 sur 4 10/11/2017 à 14:12

Vous aimerez peut-être aussi