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Analyse économique 1 TD n° 4

Le rapport salarial et le chômage

CM de Mme Liliana Cano et TD de M. Nicolas Pinsard

Objectifs du TD

• Pouvoir définir ce qu’est le rapport salarial


• Connaître les principales explications du chômage
• Savoir les évolutions de l’emploi de ces dernières décennies

Documents de la brochure de TD

1. Document 1 – Naissance du salariat


2. Document 2 – Définitions du chômage
3. Document 3 – Le chômage néoclassique : le chômage volontaire
4. Document 4 – Le chômage keynésien : le chômage involontaire
5. Document 5 – Les causes du chômage selon Marx : l’armée de réserve industrielle
6. Document 6 – 1968-2018 : du plein-emploi au chômage de masse
7. Document 7 – Les dangereuses mutations du travail et de l’emploi
8. Document 8 – L’emploi en miettes
Partie 1 - Rapport salarial et chômage
Document 1 - Naissance du salariat

De la société familiale aux débuts de l'industrialisation


Nous vivons dans une société salariale : en France, comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis, près de neuf
dixièmes des emplois sont salariés. Le phénomène est récent, mais pas autant qu'on pourrait le penser : au
milieu du XIXe siècle, le salariat était déjà majoritaire en France, puisqu'on comptait alors environ neuf
millions de salariés sur un peu moins de dix-sept millions d'emplois. Travailler pour le compte d'autrui,
plutôt que pour le sien propre, a été le lot d'une partie non négligeable de la population dès le XVe siècle,
c'est-à-dire dès que les liens féodaux ont été suffisamment relâchés pour permettre l'apparition d'hommes
pouvant disposer librement de leur force de travail.
Sans doute, cette « liberté » était-elle plus juridique qu'économique, plus formelle que réelle : lorsqu'on ne
dispose, pour subsister, que de la force de ses bras, la liberté de choix est bornée par la nécessité d'assurer la
subsistance du lendemain. Et le terme de « prolétaire » – dont on sait l'usage qu'en fera Marx –, qui désignait
initialement ceux dont la seule richesse était leur descendance (proles, en latin), était utilisé dès 1560 pour
désigner ces pauvres dont l'existence précaire dépendait uniquement de leur capacité à louer leurs bras.
[…]

La « grande transformation »
Du sweating system (« système de la sueur »), comme l'appela Marx, on a retenu l'exploitation dont il était
porteur. Et il est vrai qu'elle était considérable : la relation était trop inégale, entre la survie des uns et les
surprofits de l'autre. Cependant, cette intrusion des premières formes d'industrialisation s'est accomplie sans
bouleverser la société familiale traditionnelle : elle l'a consolidée plus qu'elle ne l'a désagrégée. Tous ces
salariés à domicile – les uns travaillant chez eux, les autres logeant chez leur employeur – « n'avaient pas,
comme la classe ouvrière dans le monde industriel contemporain, un horizon de travail en commun », écrit
Peter Laslett. Mais le ver était dans le fruit : pour contrôler cette main-d'œuvre dispersée, comme le soutient
Stephen Marglin, pour réduire les « coûts de transaction », comme l'estime Oliver Williamson, ou pour
bénéficier des avantages techniques de la division et de l'organisation du travail, comme l'analyse Adam
Smith avec l'exemple célèbre de la manufacture d'épingles, la main-d'œuvre ouvrière allait désormais être
rassemblée dans un même lieu, l'usine. Au salariat traditionnel, encastré dans des réseaux familiaux, avec un
mode et un niveau de rémunération fixés par la coutume – voire par le juge de paix, comme c'était le cas en
Angleterre – succédait le salariat moderne : un lieu de travail distinct de celui de la famille, des relations
dictées par l'« eau glaciale du calcul égoïste », selon l'expression de Marx dans Le Manifeste du Parti
communiste, la transformation du travail en une marchandise et du salaire en un prix. Ne pleurons pas trop
ce « monde que nous avons perdu », dur pour les pauvres et les sans- grade, condamnés à un labeur incessant
pour une vie précaire. Mais il nous faut prendre conscience que, sous l'apparence d'une continuité de statut
ou de relation juridique, la révolution industrielle marque une coupure, un changement de nature : dans la
société rurale, le salariat était immergé dans un monde de relations personnelles, voire familiales, qui lui
donnaient sens ; dans la société industrielle, les liens personnels ne comptent plus, seul subsiste un échange
matériel – travail contre argent. La relation salariale devient le mode dominant de mobilisation et de
rémunération de la force de travail.
Le salaire lui-même devient, au XIXe siècle, un prix comme un autre, soumis aux fluctuations de l'offre et de
la demande. C'est non plus le juge, ou la coutume, qui le fixe, mais l'intensité de la concurrence. En
Angleterre, l'abolition de la « loi sur les pauvres », en 1835, marque le tournant. Cette loi, datant du règne
d'Élisabeth Ire, au début du XVIe siècle, faisait obligation aux paroisses de prendre en charge les indigents de
leur ressort
[…]
la loi sur les pauvres fut donc abolie, et le salaire devint le résultat d'un mécanisme de marché. Pour
reprendre l'expression de Karl Polanyi, il s'agissait d'une « grande transformation », puisque le prix de la
force de travail relevait désormais de mécanismes strictement économiques, et non plus politiques ou
sociaux.
Cette « marchandisation » de la force de travail engendra des conséquences non seulement sur le salaire et
ses modalités de fixation, mais aussi sur l'ensemble des relations qui se nouent à l'occasion du contrat de
travail. . Ce dernier est analysé, par le Code civil de 1804, comme une forme de « louage de service » :
comme tout contrat, il résulte d'un échange de libres volontés, et le salarié n'a donc pas à être protégé plus
que l'employeur en cas de conflit. […]
Il faut attendre la fin du siècle pour que l'évidence soit reconnue : »Il est logique de faire supporter la
réparation du dommage causé par le travail à ceux qui ont l'initiative, la direction et le profit du travail, c'est-
à-dire au patron. C'est lui qui place l'ouvrier devant la machine et il dépend de lui, par les précautions qu'il
prend, d'augmenter ou de diminuer les risques, c'est à lui qu'il convient de protéger l'ouvrier contre ses
propres imprudences », écrit Martin Nadaud, l'initiateur de la proposition de loi sur les accidents du travail en
1891. L'adoption de cette loi marque un tournant fondamental : en reconnaissant qu'un lien de subordination
caractérise le contrat de travail, que l'un commande et l'autre obéit, elle reconnaît aussi que la balance n'est
pas égale entre les deux parties, qu'il existe un fort et un faible, et que les obligations de chacun ne peuvent
être identiques. C'est la naissance du droit du travail et du salariat moderne, la reconnaissance d'une
responsabilité de l'employeur, même sans qu'il y ait faute de sa part : le rapport salarial s'institutionnalise, il
est désormais régi en partie par des règles qui s'imposent aux parties, au lieu d'être déterminé par la
confrontation et la concurrence.

Document 2 - Définitions du chômage

Définition selon l’INSEE :


Le chômage représente l'ensemble des personnes de 15 ans et plus, privées d'emploi et en
recherchant un. Sa mesure est complexe. Les frontières entre emploi, chômage et inactivité ne sont
pas toujours faciles à établir, ce qui amène souvent à parler d'un « halo » autour du chômage.
Il y a en France deux sources statistiques principales sur le chômage : les statistiques mensuelles du
Ministère du travail, élaborées à partir des fichiers de demandeurs d'emploi enregistrés par Pôle
Emploi et l'enquête Emploi de l'Insee, qui mesure le chômage au sens du BIT.

INSEE – définitions – chômage

Définition selon le BIT :


En application de la définition internationale adoptée en 1982 par le Bureau international du travail
(BIT), un chômeur est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément
à trois conditions :être sans emploi, c'est à dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une
semaine de référence ;être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;avoir cherché
activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de
trois mois.

Remarque :
Un chômeur au sens du BIT n'est pas forcément inscrit à Pôle Emploi (et inversement).
Partie 2 - Les raisons du chômage
Document 3 - Le chômage néoclassique : le chômage volontaire

Selon les néoclassiques, le salaire est déterminé par la confrontation de la demande de travail et de
l’offre de travail sur un marché : le marché du travail. L’offre de travail émane des travailleurs et
correspond à la demande d’emploi. La demande de travail émane des entreprises (des employeurs)
et correspond à l’offre d’emplois.

La demande de travail est décroissante avec le salaire : plus le salaire augmente, moins les
entreprises demandent du travail. L’entreprise n’embauche un travailleur que si sa productivité
(marginale) est supérieure au coût salarial unitaire.

L’offre de travail est croissante avec le salaire : plus le salaire augmente, plus les travailleurs
accroissent leur offre de travail : d'un côté, il y a davantage de travailleurs qui désirent travailler ; de
l'autre, chaque travailleur désire travailler plus longtemps. En effet, un individu effectue un
arbitrage entre le travail et le loisir. Plus le salaire en vigueur augmente, plus le coût d’opportunité
du loisir augmente : en ayant une heure de loisir plutôt qu’une heure de travail, l’individu « se prive »
du salaire horaire.

GRAPHIQUE1 L'équilibre sur le marché du travail

Il existe un niveau de salaire (qualifié de « salaire d’équilibre ») pour lequel l’offre et la demande de
travail sont égales (cf. graphique 1). En l’occurrence, si le salaire est à son niveau d’équilibre, alors
il n’y a pas de chômage : l’ensemble des travailleurs désirant travailler au salaire courant sont
effectivement embauchés. Par contre, si le salaire en vigueur est supérieur à son niveau d’équilibre,
alors il y a un excès d’offre de travail (cf. graphique 2) : plusieurs travailleurs désirent travailler au
salaire courant, mais ils ne trouvent pas d’emploi, si bien que l’on peut éventuellement parler dans
leur cas de « chômeurs involontaires ». Si le salaire est pleinement flexible, une situation d’offre
excédentaire devrait entraîner une baisse du salaire (cf. graphique 3). La baisse du salaire se
poursuit tant que l’excédent demeure, c’est-à-dire tant que le salaire n’est pas revenu à son salaire
d’équilibre.

GRAPHIQUE 2 Le chômage involontaire apparaît si le salaire en vigueur est supérieur à son niveau
d'équilibre

Tant que le salaire est flexible, le marché du travail devrait être à son équilibre ou, tout du moins,
tout épisode de déséquilibre ne devrait être que temporaire. Par contre, le chômage devrait perdurer
si le salaire en vigueur est supérieur à son niveau d’équilibre et si des rigidités l’empêchent de
diminuer. Ces rigidités trouvent souvent leur origine dans l’intervention publique. Par exemple, si
l’Etat instaure un salaire minimum, alors les entreprises ne peuvent rémunérer leurs salariés en-deçà
de ce dernier. En outre, en instaurant des prestations sociales, l’Etat génère de fait un salaire
plancher, car les travailleurs ne désireront pas travailler pour un salaire inférieur au montant des
prestations sociales dont ils pourraient bénéficier sans travailler. Enfin, en exigeant des hausses de
salaires et surtout en combattant les baisses de salaires, les syndicats contribuent à pousser les
salaires au-delà de leur niveau d’équilibre et à les rendre rigides à la baisse. Par conséquent,
l’élimination du chômage néoclassique passe par la suppression du salaire minimum, par la
réduction des prestations sociales, par la suppression des syndicats… pour que le salaire soit
pleinement flexible à la baisse.

GRAPHIQUE 3 Retour du salaire à son niveau d'équilibre et disparition du chômage involontaire...


si le salaire est flexible
Plus largement, les néoclassiques expliquent le chômage volontaire par un coût du travail excessif.
Dans le raisonnement précédent, nous avons ramené le coût du travail au seul salaire. En réalité, le
coût du travail se compose du salaire et des cotisations sociales. Dans l’optique néoclassique,
chaque entreprise décide d’embaucher (ou de garder) un travailleur que si la productivité de ce
dernier est supérieure au salaire en vigueur. L’instauration de cotisations sociales vient donc réduire
la demande de travail pour un niveau de salaire donné.

Traduction concrète et néolibérale :


« Ce n'est pas seulement à la périphérie de l'emploi que le salariat se transforme, c'est en son sein même.
Sous la pression d'un taux de chômage élevé, le droit du travail est de plus en plus regardé comme un
obstacle à l'emploi : dans le droit fil de la théorie néoclassique, tout ce qui contribue à rigidifier la relation de
travail est analysé comme un frein au fonctionnement optimal du marché, donc comme une source de
moindre efficacité se retournant, en fin de compte, contre l'emploi lui- même. Depuis le début des années
1990, de nombreuses réformes ont été adoptées dans ce sens, afin de rendre le marché du travail plus souple :
création des « chèques emploi service » pour les services à domicile, valant contrat de travail entre
l'employeur et le salarié concerné ; réduction de cotisations sociales sur les salaires modestes en faveur des
employeurs (2005) ; possibilité de mettre fin au contrat de travail par « rupture conventionnelle » entre le
salarié et son employeur (2007) ; accord de flexibilité (2013) permettant à l'employeur de réduire les salaires
durant deux ans en cas de difficultés de l'entreprise, etc. Il s'agit d'assouplissements limités, qui ne
concernent que les marges du régime salarial commun, mais qui témoignent d'un renversement de tendance,
face à l'ampleur de la montée du chômage en période de crise et de croissance économique faible ou nulle. »

Denis Clerc, « Salariat », Encyclopœdia Universalis

Document 4 - Le chômage keynésien : le chômage involontaire

Sous-emploi et demande effective

Dès le deuxième chapitre de la Théorie générale, Keynes affirme son refus de ce qu'il appelle le «
second postulat de l'économie classique ». Ce postulat résulte d'une application directe de la théorie
de l'utilité marginale (Stanley Jevons, Carl Menger) au comportement des salariés. Ces derniers sont
censés offrir leur travail jusqu'à ce que la désutilité marginale de celui-ci, c'est-à-dire le sacrifice de
loisir qu'il représente à la marge pour le travailleur, soit égale au salaire réel. Ils sont donc en
mesure, lorsqu'ils se présentent sur le marché du travail, d'exprimer une offre de travail qui soit
fonction croissante du salaire réel. Le salaire réel, qui est égal au salaire nominal – celui qui est
mentionné sur le contrat de travail et le bulletin de salaire – divisé par le niveau général des prix,
mesure le pouvoir d'achat du salaire.

Si l'on admet ce postulat, l'emploi et les salaires réels résultent d'une négociation entre les
entrepreneurs et les salariés, négociation où les deux parties sont sur un pied d'égalité. La flexibilité
du salaire réel permet alors à l'offre et à la demande de travail de s'égaliser, et les salariés ne
travaillant pas sont des chômeurs « volontaires » qui se sont retirés de la négociation pour cause de
salaire réel jugé insuffisant. Keynes affirme, au contraire, que les préférences des salariés ne sont
pas prises en compte : pour lui, le volume de l'emploi est choisi par les entrepreneurs de manière
unilatérale, en fonction de leur objectif de maximisation des profits. Plus précisément, les
entrepreneurs anticipent un certain niveau de recettes, et choisissent ensuite un niveau d'emploi et
de production tel que leurs coûts de production soient exactement couverts par les recettes
attendues. En choisissant le volume de l'emploi, les entrepreneurs déterminent les revenus distribués
et donc finalement les recettes qui leur parviendront grâce à la consommation des salariés. Ces
recettes constituent ce que Keynes appelle la « demande effective ». Plus les recettes anticipées sont
élevées et plus les entrepreneurs sont prêts à embaucher un volume important de main-d'œuvre.

Au niveau macroéconomique, les ventes des entrepreneurs sont égales à la somme de deux éléments
: la consommation de biens et services et les achats de biens d'équipement nécessaires à la
production (investissement). La première dépend du revenu distribué et donc du volume de l'emploi
et des salaires. Les seconds résultent de la comparaison entre le taux d'intérêt, qui est le coût de
financement de l'investissement, et l'« efficacité marginale du capital », qui est son taux de
rendement anticipé. Les entrepreneurs ne décident d'investir que si le taux d'intérêt est plus faible
que l'« efficacité marginale du capital ».

Le principe de la demande effective peut finalement se résumer ainsi : ce sont la consommation


décidée par les salariés et l'investissement décidé par les entrepreneurs qui déterminent le niveau de
l'activité (emploi et production), et cette demande effective n'est pas nécessairement suffisante pour
assurer le plein-emploi des facteurs de production (main-d'œuvre et capital). La loi de Say (« l'offre
crée sa propre demande ») est donc fausse ; le chômage provient en général d'une insuffisance de la
demande.

Document 5 - Les causes du chômage selon Marx : l’armée industrielle de


réserve

L’Armée industrielle de réserve (ou « Armée de réserve de travailleurs ») est un concept utilisé
par Karl Marx pour désigner la masse de travailleurs inemployés. Cette population, par son
existence, fait pression à la baisse sur les salaires des travailleurs et explique pourquoi ces derniers
sont maintenus à un niveau proche de la seule subsistance.
« Si l’accumulation, le progrès de la richesse sur la base capitaliste, produit donc nécessairement
une surpopulation ouvrière, celle-ci devient à son tour le levier le plus puissant de l’accumulation,
une condition d’existence de la production capitaliste dans son état de développement intégral. Elle
forme une armée de réserve industrielle qui appartient au capital d’une manière aussi absolue que
s’il l’avait élevée et disciplinée à ses propres frais. Elle fournit à ses besoins de valorisation
flottants, et, indépendamment de l’accroissement naturel de la population, la matière humaine
toujours exploitable et toujours disponible. »
Karl Marx, Le Capital, Chapitre 25
Source : financedemarche.fr

La concurrence incite les capitalistes à sans cesse substituer du capital au travail. Concrètement,
pour obtenir une meilleure productivité du travail leur offrant temporairement un avantage sur leurs
concurrents, ils investissent dans des moyens de production plus performants.

Cela signifie qu'avec des débouchés (une demande solvable) constants, il y a tendance à avoir un
"surplus" de travailleurs par rapports aux besoins de la production capitaliste. Par conséquent dans
le capitalisme, la croissance économique est une contre-tendance au chômage. Mais celle-ci est
forcément limitée, ne serait-ce que par les contradictions internes du système. Au niveau des faits,
on constate effectivement qu'en dehors de la période exceptionnelle des "30 glorieuses", il y a
toujours eu un chômage de masse, fluctuant au grès des cycles du capitalisme.

[…]

Les travailleurs étant en concurrence sur le marché du travail, cela tire vers le bas l'ensemble de la
classe laborieuse :

• les menaces de licenciement ont d'autant plus de poids que le chômage est élevé
• les travailleurs précaires (et a fortiori au chômage) sont quasiment exclus de toute activité
syndicale, ce qui affaiblit le collectif

Source : Wikirouge, Armée de réserve industrielle

Partie 3 - Evolution de l’emploi de ces dernières années

Document 6 - 1968-2018 : du plein-emploi au chômage de masse

Guillaume Duval
17/05/2018

La différence la plus spectaculaire entre 1968 et aujourd’hui sur le marché du travail concerne la
place que les femmes y occupent : il y a cinquante ans, quasiment deux fois moins de femmes que
d’hommes occupaient un emploi ; aujourd’hui, ce ratio dépasse les 90 %. Une quasi-parité, bien
qu’on soit encore très loin de l’égalité femmes-hommes dans la sphère professionnelle en matière
de rémunération ou de responsabilités. La quasi-totalité des emplois supplémentaires créés depuis a
été occupée par des personnes de sexe féminin : on ne compte aujourd’hui qu’un million d’hommes
de plus en emploi qu’en 1968, contre presque 6 millions de femmes supplémentaires.
Cette entrée massive des femmes sur le marché du travail s’est traduite par un accroissement
spectaculaire de la population dite active* : elle est passée de 20,2 millions de personnes en 1968 à
29,6 millions en 2016, une hausse de près de moitié. Face à cet afflux de main-d’oeuvre potentielle,
l’économie française n’a pas été capable de suivre et de créer suffisamment d’emplois
supplémentaires, du fait du ralentissement prolongé de la croissance économique et des crises
récurrentes. D’où une autre différence de taille entre 1968 et aujourd’hui : l’apparition du chômage
de masse. On est passé d’un taux de chômage de 2,6 %, soit un quasi-plein-emploi, à 8,9 %. Et
depuis maintenant trente-cinq ans, le chômage oscille autour de ce niveau.
Par ailleurs, à mesure que la file d’attente du chômage s’est allongée, les conditions d’emploi se
sont dégradées. Il y a cinquante ans, les contrats à durée déterminée (CDD) n’existaient tout
simplement pas. Ils n’ont été créés qu’en 1979. Quant à l’intérim ou aux temps partiels, ils étaient
marginaux. Aujourd’hui, 9,2 % des personnes en emploi sont en CDD et 2,3 % en intérim. Une
proportion qui grimpe respectivement à 31 % et 7 % pour les jeunes de 15 à 24 ans. Quant au temps
partiel, il concerne désormais 30 % des femmes en emploi, contre 8 % des hommes.

Des structures économiques figées


La sécurité de l’emploi qui prévalait en 1968 ne signifie pas pour autant que les salariés restaient à
vie au sein d’une même entreprise. Au contraire, le plein-emploi rendait possible une forte mobilité
des travailleurs. Quitter un employeur était peu risqué et si le nouveau ne convenait pas, on n’avait
aucun mal à en trouver un troisième. A l’inverse, c’est le chômage de masse qui a eu tendance à
figer les structures économiques. Et a poussé à la création de multiples statuts précaires pour
répondre quand même aux besoins de flexibilité des entreprises.
Cette pression du chômage s’est également traduite par une baisse sensible de la part des salaires
dans la richesse produite : en 1968, ils représentaient 69 % de la valeur ajoutée des sociétés non
financières. En 2016, ils n’en pesaient plus que 66 %, alors même que ce taux a remonté de trois
points depuis la crise de 2008.

Enfin, autre différence majeure entre 1968 et aujourd’hui : on comptait à l’époque près de deux fois
plus de travailleurs indépendants (artisans, commerçants, agriculteurs pour l’essentiel). Dans une
économie de plus en plus sophistiquée et capitalistique, il devient en effet de plus en plus difficile
de survivre en étant à son compte. Les indépendants pesaient 21 % de l’emploi en 1970 et étaient
tombés à 9 % en 2008, avant de remonter à 12 % en 2016. Depuis la crise de 2008, la part des
indépendants s’est en effet remise à monter un peu, avec notamment le recours croissant au statut
d’auto-entrepreneur.

* Population active
Tous ceux qui sont présents sur le marché du travail, qu'ils aient ou non un emploi ou en cherchent
un.

Document 7 - Les dangereuses mutations du travail et de l’emploi


Gregory Verdugo
13/03/2018

Le travail a pris un nouveau tournant durant les trois dernières décennies. Si l’après-Seconde Guerre
mondiale avait vu les inégalités de salaires reculer, depuis les années 1980, les écarts se creusent
toujours plus. Aux Etats-Unis, un cadre gagne aujourd’hui cinq fois plus qu’un ouvrier, alors que
l’écart n’était que de trois en 1970. A cet essor des inégalités s’ajoute une recomposition profonde
des emplois dans un sens favorable aux plus qualifiés et défavorable aux moins qualifiés. Les
économistes parlent ainsi de polarisation pour désigner ce mouvement où s’accroissent
simultanément les emplois peu qualifiés et mal payés, d’un côté, et les bons emplois très qualifiés
mais devenus difficilement accessibles, de l’autre.
[…]

Les emplois peu qualifiés se trouvent surtout dans le secteur des services à la personne, tandis que
les emplois intermédiaires rassemblent des emplois d’ouvriers et d’employés. Les emplois très
qualifiés sont ceux d’ingénieurs et de cadres.

Alan Manning et ses coauteurs calculent comment évolue la part de ces trois groupes dans l’emploi
total. Leurs résultats indiquent que l’emploi se polarise dans la plupart des pays (voir graphique). La
part des emplois intermédiaires est en forte baisse au profit d’une hausse des emplois soit peu
qualifiés, soit très qualifiés. La chute est nette : l’emploi intermédiaire recule de 8 points de
pourcentage en France, 12 points en Espagne, 11 points au Royaume-Uni, 10 points en Suède et au
Danemark, 6 points en Allemagne et 5 points au Portugal.

A l’inverse, les parts des emplois peu qualifiés et des très qualifiés sont en nette expansion. En
France, ces deux groupes augmentent de manière symétrique, d’environ 4 points de pourcentage.
Autrement dit, pour deux emplois intermédiaires qui disparaissent, un emploi très qualifié et un
emploi peu qualifié sont créés.

En raison de leur coût et de leur efficacité, les ordinateurs se sont avérés très doués pour effectuer
les tâches dites "routinières" - élémentaires et répétitives - qui caractérisaient le travail humain dans
les emplois intermédiaires. Ces machines peuvent commander un robot industriel, établir des
feuilles de paye, distribuer de l’argent... Les emplois les plus détruits par l’informatisation furent
ainsi ceux des opérateurs sur des chaînes de production, massivement automatisées, mais aussi ceux
des employés de bureau.

Au contraire, les plus qualifiés ont été les vainqueurs du progrès technologique. En décuplant la
quantité d’information à portée de main, Internet facilite l’expertise et permet de se concentrer sur
les tâches d’analyse.

De la polarisation à Pôle emploi

L’ouverture aux échanges internationaux a pour vertu de décupler les choix des consommateurs et
de modérer les prix. En libérant du pouvoir d’achat, elle stimule la demande et l’emploi dans les
services. Mais derrière le consommateur se trouve aussi un travailleur dont les intérêts sont parfois
opposés. Si le commerce international favorise le premier, son effet sur le second est plus ambigu.

Ainsi, depuis les années 2000, l’emploi intermédiaire a été victime de la croissance du commerce
avec les pays en développement. L’accélération du commerce avec les pays à bas coûts du travail a
conduit les entreprises des pays développés à se spécialiser dans les tâches les plus sophistiquées de
conception, celles où l’analyse d’information et la créativité sont mobilisées. Au contraire, les
tâches basiques de production sont toujours plus externalisées, ce qui a entraîné la destruction d’une
grande partie des emplois industriels intermédiaires dans les pays développés.

Des études récentes sur les Etats-Unis et la France montrent que, durant les années 2000, à la suite
du boom des importations lié à l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), le marché du travail s’est dégradé dans les régions les plus concurrencées par la Chine.
Pour la France, les destructions d’emplois industriels liées à la concurrence chinoise sont estimées à
100 000 entre 2001 et 2007, soit 20 % des 500 000 postes perdus dans ce secteur.

Document 8 - L’emploi en miettes

Source :
Alternatives économiques n° 385

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