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Enfance

Qu'est-ce qu'un stéréotype?


Mohamed Kamel Doraï

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Doraï Mohamed Kamel. Qu'est-ce qu'un stéréotype?. In: Enfance, tome 41, n°3-4, 1988. pp. 45-54;

doi : https://doi.org/10.3406/enfan.1988.2154

https://www.persee.fr/doc/enfan_0013-7545_1988_num_41_3_2154

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Abstract
In this work, we try to define the stereotype notion. In this field, the littérature scrutiny lets appear two
important current in the research. Asociological current which seems to be in continuity with the
medical using term, dating back XlXth century. In this tradition the stereotype looks like pathological :
pathology of the group, but sometimes of the stereotyped peoples. The second current is more
experimentalist. It considers that the stereoped peoples are not pathological, the stereotype normaly
follow from the way by the people deal with information, for exemple the putting into place of illusory
correlation into Hamilton (1981) or perceptive bias from wich Tajfel and al. of Bristol school theorize. .

Résumé
Dans ce travail, une tentative de définition du concept de stéréotype est proposée. Vexamen de la
littérature dans ce domaine laisse apparaître deux courants de recherche. Un courant sociologique,
remontant au XIXe siècle, paraît en continuité avec V usage médical du terme. Dans cette tradition le
stéréotype a quelque chose de pathologique : pathologie du groupe mais parfois aussi pathologie des
individus stéréotypés. Le deuxième courant, plus expérimentaliste, considère que les individus
stéréotypés ri ont rien de pathologique. Le stéréotype découle normalement de la façon dont les gens
traitent l'information, comme par exemple la mise en place des corrélations illusoires chez Hamilton
(1981) ou les biais perceptifs à partir desquels théorisent Tajfel et l'Ecole de Bristol.
Qu'est-ce qu'un stéréotype?
Contribution à la définition d'un concept

Mohamed Dorai*

RÉSUMÉ
Dans ce travail, une tentative de définition du concept de stéréotype est proposée.
Vexamen de la littérature dans ce domaine laisse apparaître deux courants de recherche.
Un courant sociologique, remontant au XIXe siècle, paraît en continuité avec Vusage
médical du terme. Dans cette tradition le stéréotype a quelque chose de pathologique :
pathologie du groupe mais parfois aussi pathologie des individus stéréotypés. Le deuxième
courant, plus expérimentaliste, considère que les individus stéréotypés ri ont rien de
pathologique. Le stéréotype découle normalement de la façon dont les gens traitent
l'information, comme par exemple la mise en place des corrélations illusoires chez Hamilton
(1981) ou les biais perceptifs à partir desquels théorisent Tajfel et VEcole de Bristol.

SUMMARY

In this work, we try to define the stereotype notion. In this field, the littérature scrutiny
lets appear two important current in the research. Asociological current which seems
to be in continuity with the medical using term, dating back XlXth century. In this
tradition the stereotype looks like pathological : pathology of the group, but sometimes
of the stereotyped peoples. The second current is more experimentalist. It considers that
the stereoped peoples are not pathological, the stereotype normaly follow from the way
by the people deal with information, for exemple the putting into place of illusory correlation
into Hamilton (1981) or perceptive bias from wich Tajfel and al. of Bristol school
theorize. .

* Université de Poitiers, Laboratoire de psychologie du langage, ua cnrs 666, 95, avenue du


Recteur-Pineau, 86022 Poitiers Cedex.
ENFANCE, Tome 41, n» 3-4/1988, p. 45 à 54
46 MOHAMED DORAI

Ailleurs1, l'étude des stéréotypes ethniques et sociaux a été référée à des cadres
théoriques différents. Des filiations diverses ont été proposées pour l'analyse de ce
domaine. Le travail indiqué a cependant volontairement contourné le problème de
définition du concept. Ici, nous souhaitons combler cette lacune en proposant les
éléments essentiels pour une définition de la notion de stéréotype. En effet, il semble
au chercheur que la multiplication des recherches et l'accumulation des résultats seront
nécessairement fragmentaires et de portée limitée tant que les problèmes de définition
du concept ne seront pas résolus.
A première vue, il peut sembler inutile de définir la notion de stéréotype, son sens
paraît simple et surtout évident car ce terme est d'un emploi courant dans le langage
quotidien. La plupart des stéréotypes semblent se cristalliser autour de certains termes
et notamment des adjectifs. Ces termes inducteurs désignent des catégories plus ou
moins larges et concernent : des races (les Noirs, les Jaunes...), des nationalités (les
Chinois, les Allemands, les Japonais...), des professions, des classes et des groupes
(les ouvriers, les métallos, les professeurs, les capitalistes, les immigrés...) et des
personnes en tant que symbole d'une idéologie (Mao Tsé-Toung, Fidel Castro, Che Guevara,
Adolf Hitler...).
Ainsi, nul n'éprouve de difficulté à comprendre, se représenter ce que le discours
a d'implicite lorsqu'il entend parler du Noir, du Juif, du délinquant, de l'immigré ou
du communiste.
Le terme « stéréotype » provient de l'art de l'imprimerie. Il vient du grec stereos,
solide, et de tupos, empreinte; un stéréotype est par suite une plaque d'imprimerie
coulée dans un moule. Comme cette plaque est en métal, il est difficile de la changer
lorsqu'elle est moulée. Chaque fois qu'elle imprime, elle produit la même impression,
la même image. L'usage quotidien du terme a retenu les éléments essentiels de cette
définition puisqu'il fait apparaître l'idée d'une répétition, d'une duplication du
phénomène toujours identique à lui-même. Le dictionnaire anglais d'Oxford a repris cette
signification : « ils (les stéréotypes) rendent (les choses) inchangeables, leur impriment
une régularité monotone fixe dans tous les détails, formalisent... ». Cette définition
statique contraste nettement avec la perception de la signification sociale notée par
Stallybrass dans The Fontana Dictionary of Modem Thought qui a écrit que le stéréotype
est « une sur-simplification de l'image mentale de quelques catégories de personnes,
institutions ou événements qui est partagée dans ses traits essentiels par un grand
nombre de gens. Ces catégories peuvent être larges (les juifs, les gentils, les Blancs,
les Noirs...)2 ou plus limitées (les socialistes, les royalistes, le mouvement de libération
de la femme...). Les stéréotypes sont ordinairement mais non nécessairement
accompagnés par, des préjugés c'est-à-dire par une prédisposition favorable ou défavorable
envers chaque membre de la catégorie en question ». La définition proposée a l'avantage
de faire ressortir à la fois le mécanisme par lequel s'opèrent le stéréotype (simplification
de l'image mentale) et la dimension des groupes ou agents catégorisants (un grand
nombre d'individus). L'auteur mentionne dans la dernière partie de la définition
l'accompagnement du stéréotype par une prédisposition éventuelle favorable ou défavorable
envers ceux à qui il est adressé. Ce qui jette un pont entre le stéréotype et l'attitude.
En effet, le terme de stéréotype apparaît en sciences sociales avec le développement
de la théorie des opinions. Lippman (1922) utilisa le terme dans son livre Public opinion

1. M. Dorai, Cadres d'étude des stéréotypes ethniques et sociaux, 1985, Ethnopsychologie, 3t


159-171.
2. Les précisions entre parenthèses sont des précisions de l'auteur.
qu'est-ce qu'un stéréotype? 47

pour rendre compte du caractère à la fois condensé, schématique et simplifié des


opinions qui ont cours chez les gens. Historiquement, l'étude des stéréotypes était liée
à la notion d'attitude. L'attitude est une position du corps qui exprime un sentiment
et prépare en principe à une action. Exemple : une attitude conquérante traduit le
désir de conquête et peut se transformer en acte visant à la conquête. L'attitude
désigne donc une disposition psychique ou affective envers un but (objet, individu
ou groupe d'individus). Ainsi peut-on parler d'attitude bienveillante ou d'attitude
hostile à l'égard de... L'aboutissement à un acte de bienveillance ou d'hostilité se
traduit par un ou plusieurs comportements du sujet. De fait, l'attitude est antérieure
au comportement, autrement dit elle en est inférée. L'attitude s'exprime par des actes
mais aussi par des croyances (qui constituent l'armature cognitive des attitudes), par
des préjugés et par des stéréotypes. Pareillement à la distinction entre attitude et
comportement, une différenciation peut être opérée au sein du couple préjugé et
stéréotype. On peut dire qu'un préjugé est une attitude favorable ou défavorable,
positive ou négative vis-à-vis d'une personne (ou groupe de personnes), d'un objet
ou d'un concept en dehors de toute expérience personnelle. Un stéréotype est un
jugement qualitatif vis-à-vis d'une personne (ou groupe de personnes), d'un objet ou d'un
concept toujours en dehors d'une expérience personnelle. A l'examen conceptuel, le
préjugé semble se confondre avec l'attitude, il en serait le génotype. Le stéréotype en
découle et le manifeste; ce serait le phénotype. Par exemple, à propos du Noir (dans
un grand nombre de situations), le préjugé c'est la haine du Noir, le mépris du Noir.
Les stéréotypes en conséquence sont : le Noir est malpropre, paresseux, malhonnête,
incapable, dangereux...
La recherche de Katz et Braly (1933) établit de façon nette la distinction entre
préjugé et stéréotype et détermine les rapports qu'ils entretiennent avec les attitudes.
Pour la clarté de l'exposé, rappelons brièvement cette étude fondamentale.
1 / Un groupe de 25 juges établit une liste de traits qui, à leur avis, peuvent
caractériser des groupes raciaux. D'où une liste A de 84 traits bipolaires. Exemple : propre
s'oppose à sale...
2 / Les expérimentateurs choisissent 10 groupes raciaux ou nationaux. D'où une
liste B : Allemands, Japonais, Noirs, Chinois...
Les sujets de l'expérience se répartissent selon trois conditions expérimentales :
Condition 1 : les sujets disposent de la liste A et doivent y choisir cinq traits convenant
à chacun des groupes de la liste B.
Condition 2 : les sujets reçoivent la liste A et doivent y choisir les traits qu'ils
désireraient voir chez leurs amis.
Condition 3 : les sujets reçoivent la liste B et doivent évaluer en sympathie sur l'échelle
de distance sociale de Bogardus les groupes qui y sont portés.
Il fallait trouver pour chaque groupe de la liste B un indice de stéréotypie. Les
auteurs ont fabriqué une échelle sur la base du nombre minimum de traits qu'il fallait
grouper pour arriver à 50 % des suffrages. Moins il faut d'adjectifs (ou de traits) pour
réunir 50 % des suffrages, plus le stéréotype est fort. L'échelle construite allait de 2,5 traits
(accord total) à 42 traits quand le stéréotype était minimum et les jugements étaient
totalement dispersés. Sur la base des résultats des sujets de la première condition
expérimentale, les indices de stéréotypie étaient les suivants :
Noirs 4,6 Italiens 6,9
Allemands 5 Chinois 12
Juifs 5,5 Turcs 15,9
48 MOHAMED DORAI

Sur la base des jugements des sujets de la condition 2, on obtient une échelle de
désirabilité des traits en dehors du contexte national ou racial. C'est en comparant les
conditions 1 et 2 que les auteurs déduisent une désirabilité théorique des groupes.
Enfin, à partir de l'analyse des résultats de la condition 3, on obtient une échelle de
désirabilité des groupes nationaux ou raciaux. Katz et Braly ont constaté une absence
de corrélation entre la désirabilité des traits et la désirabilitédes groupes. Ils obtenaient
donc la décantation du préjugé (attitude exprimée par les sujets de la condition 3). Ainsi,
il est possible de dire que le préjugé existe non seulement dans le prolongement du
stéréotype mais il bénéficie d'une existence propre. Les auteurs, Katz et Braly,
montrent qu'il n'est en corrélation ni avec la force du stéréotype ni avec la
désirabilité des traits qui est accordée aux groupes. Par exemple les Allemands ont un
stéréotype fort (accord élevé sur peu de traits) et un préjugé peu soutenu (les sujets
de la condition 3 ne les situent pas aux extrêmes de l'échelle) alors que les Turcs
qui ont un stéréotype faible sont l'objet d'un préjugé défavorable et sont rejetés par
les sujets de la condition 3. Au total, s'il existe bien des préjugés et des stéréotypes, il
semble que les deux termes ne recouvrent pas totalement la même réalité. Il n'est
guère possible de passer simplement de l'extérieur vers l'intérieur i.e. du stéréotype
au préjugé. Y. Castellan (1970, p. 210) a écrit que « le préjugé peut exister plus fort
que les mots, plus fort que le revêtement verbal. Le préjugé rend justice des forces
irrationnelles dont le stéréotype dans sa tentative de rationalisation ne revêt qu'une
partie ». Dans l'étude de Katz et Braly, citée plus haut, le préjugé se déduit des
conditions expérimentales 2 et 3 et fait apparaître l'hostilité d'un groupe vis-à-vis de tout
autre groupe; hostilité, habituellement notée dans l'opposition in-groupjout-group. Le
stéréotype, lui, se manifeste et s'exprime par l'attitude des membres du groupe 1. Il est
donc clair que sans trahir la complexité théorique des rapports entre préjugé et stéréotype,
on peut affirmer que le préjugé est au stéréotype ce que l'attitude est au comportement.
Depuis cette expérience princeps, descriptive, de Katz et Braly beaucoup d'auteurs
ont exploré le domaine des stéréotypes, l'ont renouvelé et ont proposé des travaux
variés en fonction de leurs intérêts. Ce qui a donné lieu à des définitions larges du
terme, parfois contradictoires, cependant toutes d'inspiration cognitive. Compte tenu
de la grande diversité des travaux, il paraît difficile de proposer une définition en
compréhension du concept. Le recours à une définition en extension paraît plus approprié.
Il est donc intéressant de passer en revue quelques travaux significatifs des principaux
auteurs.
L'examen de la littérature sur les stéréotypes laisse apparaître deux grands courants
dans les recherches. Un courant sociologique qui paraît en continuité avec l'usage
médical du terme remontant au xixe siècle sous la forme « stéréotypie ». Dans cette
tradition, le stéréotype a quelque chose de pathologique : pathologie du groupe mais
parfois aussi pathologie des individus stéréotypés. Le deuxième courant est plus expé-
rimentaliste, pour qui les individus stéréotypés n'ont rien de pathologique : le stéréotype
découle normalement de la façon dont nous traitons l'information, par exemple :
la mise en place de corrélations illusoires chez Hamilton (1981) ou les biais perceptifs
à partir desquels théorisent Tajfel et les chercheurs de l'école de Bristol.
Dans sa revue de questions Brigham (1971) a distingué deux courants dans les
travaux réalisés dans le domaine. Sa distinction peut être considérée comme adoptée
par la majorité des chercheurs puisqu'elle n'a pas suscité de critiques, de plus elle ne
paraît pas avoir subi de modifications majeures. A peu près la moitié des auteurs
répertoriés définissent le stéréotype comme une « mauvaise » généralisation, une
« mauvaise » catégorie (bad generalization, bad category). L'autre moitié, les autres,
qu'est-ce qu'un stéréotype? 49

n'incluent pas de jugement de valeur dans la définition du terme. Développons ces


deux courants.

]tr courant : Les stéréotypes sont définis comme des processus déficients de la
pensée. Les stéréotypes sont considérés comme des processus déficients de la pensée
pour quatre raisons. Ces raisons sont développées par des auteurs différents et ne sont
jamais réunies chez un même chercheur.

1'/ Les stéréotypes sont des produits d'un processus déficient de la pensée parce
qu'ils sont incorrectement appris.
Beaucoup de travaux ont été réalisés pour comprendre comment les enfants
acquièrent les stéréotypes dans des domaines divers, Del Boca et Ashmore (1980)
se sont intéressés aux stéréotypes sexuels, Cauthen et al. (1971) puis Brigham (1971)
se sont centrés sur les stéréotypes ethniques. Dans ces recherches et bien d'autres les
auteurs ont privilégié le contenu des stéréotypes mais peu d'attention a été accordée à
la question de savoir comment ce contenu influence la croyance des individus. Les auteurs
cités considèrent que l'apprentissage des stéréotypes se réalise à travers les médias. De fait,
si des progrès ont été réalisés dans le domaine général des apprentissages sociaux
(Bandura, 1980) et des processus vicariants (Robert, 1970) et si des éléments de réponse
ont été donnés sur la manière dont la radio, les bandes dessinées et le cinéma affectent
l'acquisition des stéréotypes chez l'enfant (Munoz, 1973) quelques interrogations
subsistent, notamment celle qui pose le problème des différences individuelles ou de
groupes dans l'apprentissage des stéréotypes à partir des médias. La seconde question
pose davantage de difficultés au niveau théorique, si le stéréotype est considéré comme
une généralisation d'apprentissage, qu'est-ce qui le distinguerait d'une généralisation
ordinaire, autrement dit peut-on dire que toute généralisation est un stéréotype?
Pour beaucoup de chercheurs, la différence essentielle réside dans la manière avec
laquelle le stéréotype apparaît. Lippman (1922) insiste sur le fait que le processus de
stéréotypie est un court-circuit qui « précède l'usage de la raison ». Aussi, deux
variantes apparaissent dans ce « jugement déficient »; dans un premier sens, le
procédé lui-même est considéré comme inférieur parce qu'il peut s'agir d'un
raisonnement illogique. Deuxièmement, les acquisitions de l'individu sont occultées par des
normes sociales acceptables, ainsi il développe ses croyances à partir de sources qui
ne devraient pas être employées comme les rumeurs et les ouï-dire. Klineberg (1951)
développe cette idée comme suit : « Contrairement aux autres généralisations, les
stéréotypes ne sont pas basés sur une déduction à partir d'une série de données mais
sur des ouï-dire, rumeurs ou anecdotes, ce qui est à l'évidence insuffisant pour justifier
une généralisation », p. 5053. L'idée que les stéréotypes sont le résultat d'un processus
inférieur était déjà présente chez Bogardus (1950) et a été reprise par Stanford (1956).
Fishman (1956) partage cette conception et analyse le procédé pour y parvenir. Un
individu décrit par des faits objectifs et analytiques peut être perçu comme un individu
différent par le stéréotype. Cependant il peut y avoir convergence des descriptions dues
d'une part au stéréotype et d'autre part aux faits analytiques. Donc, ce ne sont pas
nécessairement les données qui provoquent le changement mais bien le procédé pour
parvenir aux faits.

3. Traduction de l'auteur.
SO MOHAMED DORAI

2 / Les stéréotypes sont des produits d'un processus déficient de la pensée parce
qu'ils sont des surgénéralisations ( overgeneralized) .
C'est Allport (1958, p. 187) qui définit le mieux cette position quand il dit « un
stéréotype est une croyance exagérée associée à une catégorie ». En fait la généralisation
portée sur les membres d'une catégorie (par exemple un groupe ethnique) doit être
considérée comme incorrecte selon deux directions proches mais distinctes. D'abord, une
première possibilité d'erreur réside dans la directionnalité ; elle consiste à attribuer la
caractéristique X à tous les membres d'un groupe quelconque, quand en réalité la
plupart des membres de ce groupe ne possèdent pas cet attribut. La 2e source d'erreur
est constituée par l'amplitude de la généralisation. Par exemple, la généralisation du
type « presque tous » les membres du groupe en question possèdent l'attribut X
quand en réalité seulement la plupart des membres ou une faible majorité possèdent
cet attribut. Ces deux types d'exagération sont habituellement appelés des
surgénéralisations. Beaucoup d'auteurs assimilent les stéréotypes à des généralisations ou à des
surgénéralisations qui décrivent des situations existant en fait mais en moindre étendue
que ce qui est exprimé par le stéréotype. C'est le cas de Bogardus (1950), Crutchfield
et Ballackey (1962) et Campbell (1967). Brigham affirme dans le même sens « dans la
plupart des cas, il n'y a pas de critères valables pour affirmer la validité de fait d'une
généralisation ethnique » (1971, p. 17). Par ailleurs, dans le cadre des stéréotypes sexuels,
Maccoby et Jackleur (1974) concluent que les stéréotypes masculins et féminins sont
seulement établis et vérifiés pour quelques variables.

3 / Les stéréotypes sont des produits d'un processus déficient de la pensée parce
qu'ils ne coïncident pas avec les faits qu'ils décrivent.
Dans cette perspective, les stéréotypes sont considérés comme le résultat des
représentations que le sujet construit à partir des événements, des objets et des individus.
Ce sont donc des déformations de la réalité par l'imaginaire. Cette situation est décrite
par Katz et Braly qui ont écrit « un stéréotype est une impression fixe qui est très peu
conforme au fait qu'elle prétend représenter et résulte d'abord d'une définition et en
second lieu d'une observation » (1935, p. 181). D'autres auteurs ont insisté sur ce
caractère erroné des stéréotypes. En effet, la représentation qu'un groupe forme à
l'égard d'un autre groupe ne suit pas simplement le déroulement de l'interaction entre
les deux groupes mais elle intervient pour l'anticiper activement. Plusieurs illustrations
expérimentales montrent qu'avant l'interaction Vout-group était déjà investi d'attributs
qui justifient le comportement adopté à son égard. Doise écrit : « Le groupe crée dans
l'imaginaire la situation qu'il veut atteindre » (1973, p. 210).

4 / Les stéréotypes sont des produits d'un processus déficient de la pensée parce
qu'ils sont rigides.
Nous avons déjà signalé au début de ce travail le caractère fixe et rigide des
stéréotypes en accord avec l'étymologie du terme. En fait, la rigidité a été retenue selon
deux acceptions; premièrement les stéréotypes sont considérés comme rigides parce
qu'on pensait qu'ils étaient persistants. Quelques chercheurs ont noté la stabilité des
stéréotypes à travers trois générations successives d'étudiants au Princeton College.
En ces termes, la rigidité est moins un type de croyance psychologique (niveau individuel)
que sociologique (niveau de groupe). Plus récemment, Brighman (1971) a défini la
rigidité en terme de persistance des stéréotypes face aux changements dans la nature de
l'interaction entre les groupes. Ce type de stabilité temporelle s'est avéré inexact car les
stéréotypes apparaissent plutôt comme étant reliés aux interactions intergroupes. Non
qu'est-ce qu'un stéréotype? 51

seulement, ils vont de pair avec l'évolution des relations (Avidgor, 1953; Scherif, 1962)
mais ils les justifient (Clarke et Campbell, 1955) et les anticipent (Doise, 1969).
La rigidité des stéréotypes peut s'inscrire également, dans le cadre de certaines
études psychanalytiques. Dans cette perspective la rigidité dénote une qualité
psychologique de la perception individuelle du percevant et implique de sa part une vue
indifférenciée des groupes sociaux et une difficulté d'intégration de toute nouvelle
information. Dans ce cadre, les chercheurs ont développé plusieurs concepts qui situent
la rigidité comme variable de personnalité et des travaux ont été conduits pour démontrer
une relation empirique entre ce style de pensée et le préjudice (Ehrlich, 1973). Le
concept de rigidité ; n'est pas nouveau dans le domaine des stéréotypes. Déjà Kerr
(1943) cité par Brigham (1971) écrivait que « les stéréotypes n'évoluent pas, ils restent
sclérosés ». Mais l'auteur le plus représentatif de cette position est sans doute Adorno
(1950, p. 228) qui écrivait que la' stéréotypie est « la disposition de penser dans des
catégories rigides ». Signalons enfin que Fishman (1956) parle de rigidité du stéréotype
si ce dernier ne subit aucune modification face à une information nouvelle parvenant
au sujet, ou face à des changements dans sa sphère motivationnelle ou encore face à
l'évolution des interactions chez l'individu. Ainsi, la rigidité peut constituer un aspect
de certains stéréotypes — et notamment de certaines attitudes en général — mais elle
n'en constitue pas la définition complète.
D'après l'ensemble des situations qui viennent d'être exposées (1, 2, 3, 4) les
stéréotypes peuvent être définis comme inadéquats pour une ou plusieurs raisons. Il ressort
donc qu'un stéréotype est un ensemble de croyances qui sont incorrectement apprises
et/ou surgénéralisées et/ou en contradiction avec les faits qu'elles représentent et/ou
rigides. Hamilton (1981) a discuté ces sources et s'est montré réticent à les intégrer dans
la définition des stéréotypes pour deux motifs. Premièrement, en définissant les
stéréotypes comme le résultat de processus déficients de la pensée conduit à inférer que les
stéréotypes et l'acte de stéréotyper génèrent des structures cognitives et des processus
déviants ou pathologiques. Ce point de vue, comme la tendance à confondre les
stéréotypes avec les préjudices, éloigne la recherche en question du domaine des
processus normaux de la psychologie et de la sociologie. Le deuxième argument n'est en
fait qu'une conséquence du premier motif; la notion de processus déficients de la pensée
n'a pas seulement coupé les stéréotypes d'une possible recherche de fond, elle a conduit
certains chercheurs à assumer les prétendues raisons de cet aspect négatif. Nous
reviendrons sur ces arguments ultérieurement lors des utilités sociales pour analyser le rôle
assumé par les processus cognitifs dans l'intériorisation des valeurs dominantes et
par suite dans la reproduction idéologique.

2e courant : les stéréotypes ne sont pas des processus déficients de la pensée.


Cette position est sous-tendue par deux arguments.

1 / Les stéréotypes ne sont pas des processus déficients de la pensée, ils sont plutôt
des catégories/concepts.
Secord rattache les stéréotypes à la catégorisation en les confondant avec elle.
Il les définit ainsi : « Un stéréotype est communément pensé comme englobant une
réponse catégorielle i.e. si une personne appartenait à une catégorie, cela suffit à
évoquer le jugement que cette personne possède tous les attributs appartenant à cette
catégorie » (1959, p. 309). Des orientations similaires ont été exprimées par d'autres
auteurs, par exemple Simpson et Yinger (1965). Parallèlement, Vinacke (1957) a proposé
52 MOHAMED DORAI*

que les stéréotypes soient considérés comme des systèmes conceptuels ayant les mêmes
propriétés générales que les autres concepts et servant à organiser les expériences
comme le font les autres concepts. Les concepts sont perçus comme des systèmes
d'organisation perceptive qui en conjonction avec des attitudes opèrent dans le contrôle
des réponses. Dans cette perspective, stéréotyper est un processus conceptuel dont
l'aspect essentiel est que les traits de personnalité (moraux, sociaux, affectifs et
intellectuels) et les caractéristiques physiques soient englobés dans le concept; le classement
des individus ou des groupes d'individus se fait sur la base des propriétés perçues par
le catégorisant.
Finalement, seule l'appartenance catégorielle, ce qui fait que l'on appartient à un
groupe et pas à un autre, a une réelle valeur sociale. Turner écrit : « Les sujets
s'identifient avec une catégorie sociale dans la mesure où cette identification leur permet de
réaliser une valeur, dans la mesure où c'est la catégorie la plus pertinente dans la situation
expérimentale pour réaliser! leur évaluation positive de soi » (1975, cité par.Leyens,
1983, p. -78).' Si ce raisonnement s'applique aux stéréotypes, on ne devrait donc pas
trouver des • stéréotypes négatifs vis-à-vis d'un 'groupe quelconque de la part d'un
autre groupe qui se sent supérieur au premier. Or, ce n'est pas le cas. Hartley (1946)
demandait à des étudiants américains de juger 35 groupes ethniques dont trois étaient
fictifs. La plupart des étudiants ont coté ces trois groupes fictifs de façon négative. Ces
groupes étaient les Danériens, les Pireniens et les Walloniens. Pourquoi adresser des
stéréotypes péjoratifs à l'endroit des groupes qui nous sont même inconnus? C'est ici
que la différenciation catégorielle rejoint la justification sociale : les stéréotypes
maintiennent notre cohésion et notre image, ils nous distinguent des autres, anticipent et
sustifient nos conduites et nos croyances, notamment celles qui font de nous un
groupe « meilleur » que les autres.
2 / Les stéréotypes ne sont pas des processus déficients de la pensée, ils sont plutôt
des généralisations.
Nous avons vu précédemment que les stéréotypes étaient considérés par certains
auteurs comme des surgénéralisations et nous avons indiqué les sources d'erreur de
cette position. Sans reprendre ce qui a été déjà exposé, il y a lieu de rappeler ce qui les
distinguerait des autres généralisations. Vinacke (1949, p. 265) écrivait « la stéréotypie
peut être définie comme une tendance à attribuer des caractéristiques générales et
mplifiées aux groupes de gens sous forme verbale et d'agir envers les membres de
ces groupes en fonction de ces attributs ». Il s'agit là d'une généralisation au sens
habituel du terme en psychologie : opération intellectuelle par laquelle on étend à
l'ensemble d'une classe les propriétés et les caractères observés sur un nombre limité
de cas appartenant à cette classe. De nombreux auteurs assimilent ainsi les stéréotypes
à des généralisations qui peuvent décrire des situations existant en réalité mais en
moindre proportion que celle exprimée par le stéréotype.
Comment estimer la validité d'une généralisation? Plus précisément, si l'on déclare
qu'une généralisation est erronée, cela impliquerait qu'un critère de validité soit
disponible et opérationnel. Or, il ne s'avère pas simple d'identifier un tel critère. Par contre,
la seule connaissance des différences individuelles paraît être un terrain suffisant pour
reconnaître l'invalidité de la généralisation.
3 / Les stéréotypes ne sont pas des processus déficients de la pensée, ils sont plutôt
des inferences fondées sur des théories implicites de la personnalité.
Leyens (1983, p. 67) définit les stéréotypes comme « des théories implicites de
qu'est-ce qu'un stéréotype? 53

personnalité que partage l'ensemble des membres d'un groupe à propos de l'ensemble
des membres d'un autre groupe ou du sien propre ». Les théories implicites de
personnalité correspondent à « des croyances générales que nous entretenons à propos de
l'espèce humaine notamment en ce qui concerne la fréquence et la variabilité d'un
trait de caractère dans la population... Tout se passe comme si, dans notre tête, nous
transportions une matrice de corrélations de traits... Ces matrices de corrélation ou de
co-occurrence sont des portraits robots en quelque sorte... Enfin ces théories sont dites
implicites ou encore naïves parce que ceux qui les défendent n'en sont pas
nécessairement conscients et ne savent probablement pas les exprimer de manière formelle »
(Leyens, 1983, p. 38). Les théories implicites de personnalité sont des théories auxquelles
l'individu a recours pour se juger lui-même ou autrui, pour expliquer ou prédire son
comportement, celui d'autres personnes ou de groupes de personnes. On peut dire
que les tip jouent un rôle important dans la connaissance que nous avons d'autrui et de
la façon dont nous nous en servons pour inférer son comportement. Pour interagir
avec autrui, il est indispensable que nous possédions une représentation de ce qu'il est
et de son mode de fonctionnement; nous devons donc simplifier les informations
disponibles pour parvenir à cette représentation et avoir des a priori de jugements et de
conduites pour saisir son fonctionnement. La représentation d'autrui et l'inférence de
son fonctionnement sont d'autant plus favorisées que la théorie implicite de personnalité
à son égard est stable. Ce développement correspond au résumé de l'explication
cognitive des stéréotypes avancée par Tajfel (1981). Dans l'environnement les stimulus
sont ordonnés sur la base de certains critères. Cette classification aura des effets pré-
dictibles sur les jugements de ces stimulus et sur leurs relations. La catégorisation
ainsi obtenue a pour fonction d'introduire ordre, stabilité et prédiction subjectifs dans
l'univers.
En définitive, la définition du stéréotype, comme toute définition, pose le
problème de la fonction (ou des fonctions) du stéréotype. Un travail ultérieur sera réservé
à cette problématique; sans anticiper sur ce travail, on peut remarquer que : « Le
maintien d'un système de catégories sociales acquiert une importance qui va au-delà
de la simple fonction de mise en ordre et de systématisation de l'environnement. Elle
représente une puissante protection pour le système existant de valeurs et toute
"erreur" commise est une erreur dans la mesure où elle met le système en danger »
(Tajfel, 1981, p. 154).
La variété de ces définitions jointes aux fonctions des stéréotypes — non
développées ici — conduit à l'orée de ce qui pourrait être un fondement d'une théorie
cognitive de la reproduction idéologique c'est-à-dire des processus cognitifs que l'on peut
décrire au niveau individuel qui ont pour effet social de produire les croyances ou
représentations assurant le maintien, la stabilité et la reproduction des structures sociales
dominantes. Une telle théorie est déjà largement esquissée et développée par Beauvois
et Joule (1981) puis par Beauvois (1984).

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