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L’AVC ischémique 4
une responsabilité d’équipe
Ernest Prégent
M. Rémi Parézi revient me voir pour une aphasie d’expression et une hémiparésie brachiofaciale droite
importante ayant commencé il y a 90 minutes, malgré sa fidélité au traitement.
Je lance les démarches urgentes nécessaires pour déterminer si mon patient pourrait bénéficier d’une
thrombolyse. Toutefois, au cas où cette intervention ne soit pas utile pour mon patient ou ne donne
pas les résultats escomptés, je me demande ce que je fois faire pour m’assurer que ce dernier reçoive
un traitement adéquat.
UELS SONT LES GESTES À POSER pour lui assurer une Pour clarifier la chronologie, la phase aiguë d’un
Q récupération optimale, prévenir les complica-
tions, faire participer sa pauvre épouse ? Cette der-
AVC se définit comme la période d’environ quinze
jours suivant la manifestation soudaine d’un AVC.
nière, qui est à son chevet, me demande d’ailleurs à
L’unité neurovasculaire
l’écart qui va s’occuper de son mari à l’hôpital, s’il
pourra marcher et m’informe qu’il n’a pas mangé de- Il est important de réaliser que l’hospitalisation
puis ce matin, etc. Je retourne au poste donner un dans une unité neurovasculaire réduit de façon signi-
coup de fil à la neurologue de garde : « Jeanne, qu’est- ficative la mortalité, la dépendance et l’institution-
ce qu’on peut faire pour un patient de 52 ans qui a nalisation par rapport à l’hospitalisation dans un ser-
fait un AVC constitué (completed stroke) ? ». Elle me vice non spécialisé.
répond : « Je communique avec l’équipe de l’unité et La littérature est unanime et abondante à ce sujet.
je descends. ». Même la revue Cochrane va dans ce sens. L’analyse
Les récents guides de pratique européens, améri- des études cliniques à répartition aléatoire montre que
cains ou autres arrivent tous à la même conclusion : tous les patients (sauf les comateux) bénéficient des
« Seuls la thrombolyse dans certains cas précis et le soins intégrés d’une unité neurovasculaire sans égard
traitement dans une unité neurovasculaire (stroke à l’âge, au sexe et à la gravité de l’AVC. Globalement,
unit) ont permis d’améliorer le pronostic et de réduire le nombre de patients nécessaire pour établir une
la morbidité et la mortalité d’un patient présentant différence statistique (nombre de sujets traités) est
un AVC aigu ». de 25 pour l’AVC léger et d’environ 17 pour l’AVC
modéré et d’AVC grave.
Le Dr Ernest Prégent, urgentologue, exerce à l’Hôpital Mais qu’est-ce qu’une unité neurovasculaire? Existe-
du Sacré-Cœur de Montréal et est professeur adjoint t-il un seul modèle béni par la médecine factuelle ?
à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Il n’y a pas de définition unique. D’ailleurs, le
Il est directeur des Services médicaux de recherche chez plus récent guide sur la prise en charge de l’AVC et
Merck Frosst Canada. sur la réadaptation, endossé par l’American Heart
Seuls la thrombolyse dans certains cas précis et le traitement dans une unité neurovasculaire ont
permis d’améliorer le pronostic et de réduire la morbidité et la mortalité d’un patient présentant un
AVC aigu.
Repère
Le Médecin du Québec, volume 41, numéro 6, juin 2006 71
Tableau I Tableau III
Caractéristiques d’une unité neurovasculaire Évaluation
O Prise en charge globale des patients, intégrant le diagnostic, Évaluation initiale du patient
les soins en phase postaiguë immédiate, la prévention
O Facteurs de risque de récidive d’AVC
des complications et des accidents vasculaires secondaires,
et d’athérosclérose coronarienne
le traitement des complications et la réadaptation
O Maladies concomitantes
O Équipe multiprofessionnelle spécialisée se rencontrant
O État de conscience et état cognitif
régulièrement pour évaluer les plans de soins et participant
à des activités de formation continue
Évaluation et prévention des complications
O Emplacement physique consacré à la prise en charge de O Fonction de déglutition et dysphagie
ces patients et disponibilité d’un plateau technique
O Lésions cutanées aux points de pression
O Coordination des soins dès l’admission
O Risque de phlébite
O Intégration des objectifs du patient et participation de la famille O Problèmes vésicaux et intestinaux
immédiate à la prise en charge
O Malnutrition
O Douleur
Tableau II O Risque de chute
Formation continue
Causes de détérioration en phase aiguë d’un AVC ischémique
Causes générales Causes liées à l’infarctus cérébral
O Hypoventilation, hypoxie,
autres anomalies électrolytiques baisse de la pression d’irrigation
rétention de CO2 O Hydratation excessive O Herniation du compartiment cérébral
O Ischémie myocardique
des lésions sténosantes multiples
O Extension de la pénombre ischémique
Formation continue
hypoperfusion cérébrale.
Prévention des complications thrombo-emboliques
Doit-on corriger l’hyperglycémie ? O Mobiliser le patient dès que possible. L’encourager à bouger
Quels sont les autres états à surveiller ? dans son lit, à s’asseoir, à se tenir debout et, enfin, à marcher.
L’hyperglycémie (6,7 mmol/l à jeun ou 8 mmol/l
O Utiliser l’héparine non fractionnée par voie sous-cutanée
non à jeun) s’observe, selon les études, chez de 20 %
(5000 U, 2 f.p.j., à moins de contre-indications) chez le patient
à 40 % des patients ayant subi un AVC. Une glycémie ayant subi un AVC ischémique. Selon certaines études, les
élevée pourrait être en relation avec une réaction au héparines de faible poids moléculaire semblent être légèrement
stress. Elle peut cependant aussi aggraver la lésion cé- plus efficaces et sont particulièrement à considérer chez
rébrale, entre autres par le métabolisme anaérobie du les patients ayant déjà connu des réactions défavorables à
glucose par les tissus ischémiques qui entraîne la pro- l’héparine, dont la thrombocytopénie. Dans deux méta-analyses,
duction d’acide lactique. Plusieurs études animales elles étaient cependant associées à une transformation
et humaines montrent que l’hyperglycémie nuit au hémorragique accrue. Notons que, dans la littérature actuelle,
pronostic. Plusieurs guides de pratique1,2,6 recom- il n’y a pas d’agent de choix ni de posologie spécifique qui ont
été recommandés.
mandent d’intervenir à partir de 10 mmol/l alors que
de nombreuses unités neurovasculaires commencent O Méthodes non pharmacologiques (port de bas de contention
un traitement pour maintenir la glycémie à moins de et diverses manœuvres comme lever le pied de lit, élévation
8 mmol/l. périodique des membres inférieurs, utilisation de bandes
Les troubles hydroélectriques importants sont peu élastiques de type Velpeau et autres manœuvres de soins
fréquents après un AVC ischémique. La surveillance infirmiers reconnues dans le domaine) comme traitement
préventif concomitant ou de rechange à l’anticoagulation
pour prévenir l’hémoconcentration chez un patient
en cas de contre-indication.
va de soi en cas de déshydratation ou de malnutrition.
La présence d’hyperthermie en phase aiguë com- O Il existe peu de données sur la prophylaxie de la thrombose
porte un pronostic plus sombre. Une méta-analyse veineuse profonde et de l’embolie pulmonaire en cas d’AVC
de Hajat7 portant sur 3790 patients souffrant d’un hémorragique ou de saignement intracérébral. Par contre,
AVC associe l’hyperthermie à une mortalité accrue. il n’existe pas de données concluantes sur l’aggravation
non plus. Quelques auteurs13-15 recommandent donc
Cependant, une élévation de la température basale
une anticoagulation empirique 48 heures après l’AVC.
est souvent observée dans la phase aiguë d’un AVC.
Donc, une hyperthermie peut être soit un signe de
la gravité de l’AVC et un facteur indépendant affec- selon certains auteurs. L’embolie pulmonaire cause
tant la morbidité et la mortalité du patient, soit une 15% des décès en phase aiguë. La thrombose touchera
manifestation potentielle de complications infec- le membre inférieur paralysé dans 90 % des cas…
tieuses. Un autre défi de l’équipe de l’unité. d’où l’importance de la prévention et de l’examen
Même si la littérature est en évolution dans ce do- journalier du membre atteint par l’équipe soignante,
maine, la majorité des unités neurovasculaires vont mais également de faire marcher si possible le patient,
traiter toute hyperthermie de plus de 37,5 °C par avec ou sans aide. Les effets positifs de la marche sur
l’utilisation d’acétaminophène de façon régulière. Si la diminution de l’incidence des thromboses veineuses
un foyer infectieux est soupçonné, les systèmes uri- profondes sont connus depuis longtemps, même pour
naires et pulmonaires en sont le plus souvent le siège. une distance de 50 pieds8.
Les recommandations des guides de pratique ré-
Et la prévention des complications cents sont résumées au tableau VII.
thrombo-emboliques ? Concernant l’aspirine (AAS), l’étude International
À ce titre, la littérature n’est pas seulement en évo- Trial Collaborative Group9, menée chez 19 435 patients,
lution, elle est en ébullition, selon Jeanne. ne révélait pas de différence quant au nombre d’em-
Chez les patients hémiplégiques, une thrombose bolies pulmonaires chez les patients sous aspirine
veineuse profonde est présente dans 30 % des cas, pendant les quatorze premiers jours de traitement.
Le Médecin du Québec, volume 41, numéro 6, juin 2006 75
La revue systématique de Gubitz10 nous indiquait morragique. D’autres, comme Evans12, commencent
l’absence d’effets significatifs des antiplaquettaires sur une anticoagulation dans les 72 heures en cas de dé-
la prévention des thromboses veineuses profondes ficits légers et de lésions de moins de 2,5 cm et après
symptomatiques et asymptomatiques, mais signalait deux semaines pour des lésions plus importantes.
un effet significatif dans la prévention de l’embolie Les récents guides américains recommandent de
pulmonaire symptomatique… Ah ! La littérature ! ne pas utiliser systématiquement les neuroleptiques,
les benzodiazépines, le phénobarbital et la phény-
Mais l’aspirine en phase aiguë
toïne. On doit soupeser les bienfaits spécifiques de
pour la prévention d’une récidive d’AVC ?
Et une anticoagulation dans un AVC chaque agent en fonction de chaque cas. La sur-
en évolution ? veillance neurologique permettra de mieux dépister
les premiers signes d’œdème cérébral, se manifestant
Évidemment, en phase aiguë, la crainte est qu’il se le plus souvent dans les cinq à huit jours suivant un
produise un saignement dans le tissu lésé. Dans AVC chez un patient qui ne reçoit pas de médica-
l’International Stroke Trial 9 (IST) et la Chinese Acute ments agissant sur le système nerveux central. Au
Stroke Trial11 (CAST), les chercheurs administraient même titre, la prophylaxie des convulsions n’a pas
de l’AAS dans les 48 heures. Selon les données re- de fondement clinique.
groupées des deux études, l’AAS prévenait un décès
ou une récidive d’AVC pour 100 patients traités. Les
guides actuels parlent d’avantages modestes dans un L EST CLAIREMENT ÉTABLI et reconnu que M. Parézi, vu
contexte ischémique et recommandent de ne pas
commencer dans les 24 heures suivant l’AVC, mais
I il y a deux jours, tirerait profit de l’unité neurovas-
culaire et de l’équipe qui y travaille. Sa réadaptation
plutôt dans les 48 heures. commencera dès le premier jour, car il ne présente
L’utilisation systématique d’héparine à doses thé- pas d’altération de l’état de conscience susceptible de
rapeutiques n’est pas recommandée en phase aiguë nuire à sa participation.
d’un AVC ischémique, même pour les AVC dits « en Pendant la phase aiguë et la réadaptation, il faut
évolution ». Dans ce dernier scénario, il ne s’agit pas tenter à la fois d’éviter les complications connues
d’une augmentation du caillot, mais d’un trouble (pneumonie, récidive d’AVC et embolie pulmonaire)
neurologique. Pour des indications sélectives, telles et de les dépister précocement. Les problèmes cli-
que les cardiopathies entraînant des risques élevés niques demandant une attention particulière, soit
d’embolie, les sténoses artérielles graves et la présence l’hypertension, l’hyperglycémie, l’hyperthermie, les
d’un thrombus intraluminal, les bienfaits potentiels problèmes de déglutition, la déshydratation et la mal-
doivent être évalués par rapport au risque d’hémor- nutrition, sont au cœur des interventions de l’équipe
ragie cérébrale, qui est particulièrement élevé pen- de même que la réadaptation visant une récupéra-
dant le premier jour. tion optimale. J’ai donc présenté Jeanne et l’infir-
Le risque de récidive précoce en présence de fibril- mière de liaison de l’unité neurovasculaire à mon pa-
lation auriculaire n’est que de 0,1 % à 1,3 % par jour tient et à son épouse.
durant les deux premières semaines alors que le Mais est-ce que ce sera le même scénario avec le
risque de transformation hémorragique lors d’une patient qui redescend de l’étage de tomodensito-
anticoagulation précoce est élevé. Certains utilise- métrie à l’instant ? 9
ront un anticoagulant par voie orale, en sachant que
la dose thérapeutique sera atteinte après plusieurs Date de réception : 21 décembre 2005
jours, avec moins de risque de transformation hé- Date d’acceptation : 15 février 2006
Formation continue
hyperglycémie, unité neurovasculaire
Le Dr Ernest Prégent a reçu l’appui financier de Merck Frosst Canada Ischemic stroke management: a team responsibility.
à titre de directeur des Services médicaux de recherche. Acute strokes are a leading factor of morbidity and mor-
tality. Acute, post-acute and rehabilitation care of stroke
patients in specialized wards as well as in revascularising
therapies have been proven to be effective in treating acute
ischemic strokes. The bases of acute stroke treatments in-
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