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revue

Douleurs thoraciques en médecine


ambulatoire. Sans oublier les patients
qui n’ont «rien au cœur»

Les douleurs thoraciques (DT) constituent une plainte fré-


quente en médecine. Les stratégies diagnostiques et théra-
peutiques ont été essentiellement développées et évaluées
aux urgences et en milieu hospitalier. Il s’agit avant tout, bien
sûr, pour le médecin de premier recours (MPR) comme pour les
services d’urgences, de reconnaître rapidement les urgences
vitales nécessitant une prise en charge rapide et hautement
spécialisée.
Pour la médecine de premier recours, néanmoins, l’enjeu ne
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s’arrête pas là ! Un patient ne présentant pas de maladie d’ur-
gence vitale, mérite de recevoir un diagnostic, des informations
L. Herzig et un traitement adéquats. Nous proposons dans cette revue,
N. Mühlemann de revoir les modes de présentation des DT, leur diagnostic
différentiel et les principaux défis que nous posent de tels
F.Verdon patients en ambulatoire.
N. Jaunin-Stalder
B. Favrat INTRODUCTION
Drs Lilli Herzig, Nicole Mühlemann et
Que ce soit en médecine ambulatoire ou hospitalière, les dou-
François Verdon
Institut universitaire de médecine leurs thoraciques (DT), fréquentes, restent un défi diagnosti-
générale, Université de Lausanne que. Un article sur les douleurs thoraciques se doit de rappeler
Drs Nicole Jaunin-Stalder
et Bernard Favrat
que reconnaître le plus rapidement possible les causes d’im-
PMU, 1011, Lausanne portance vitale, nécessitant une intervention rapide et com-
Lilli.Herzig@hin.ch pétente, reste évidemment le plus important. Néanmoins, force
nicmmh@romandie.com
Francois.Verdon@mcnet.ch est de constater que nombreux sont les patients avec dou-
Nicole.Jaunin@hospvd.ch leurs thoraciques qui n’ont «rien au cœur» ou «rien de grave»,
Bernard.Favrat@hospvd.ch comme on le leur dit, quelquefois, en les «libérant» des urgen-
ces. Reste que pour le patient, bien souvent, ce «rien au cœur»
n’est pas si libérateur et le médecin de premier recours (MPR)
se retrouve seul face à une personne, qui semble bien plus
Thoracic pain in primary care. Don’t forget obnubilée par la liste diagnostique, infarctus et autres hypothèses obscures et
the patients without heart disease
inquiétantes, que rassurée par ce «non-diagnostic» si réconfortant pour les mé-
Thoracic pain is a frequent medical complaint.
decins.
Diagnostic and therapeutic guidelines have
been developed and evaluated mostly in Le travail du praticien et celui des services des urgences hospitalières se dis-
emergency and hospital settings. The primary tinguent sur des points multiples. Ainsi, le défi de l’urgentiste consiste à exclure
care practitioner, as the emergency room les diagnostics de gravité, donc en particulier les pathologies cardiovasculaires.
doctor, has to identify quickly any severe En médecine ambulatoire, une fois l’urgence vitale exclue, il est important de
condition needing urgent and highly specia- construire un diagnostic et de prescrire un traitement en fonction des éléments
lized treatment.
apportés progressivement dans la consultation et finalement de suivre le pa-
But in primary care, the process is not fini-
shed then ! A patient with no vital and urgent
tient à long terme.
problem still needs a diagnosis, information Nous voulons ici rappeler le diagnostic différentiel de cette symptomatologie
and adequate treatment. This review goes complexe et démontrer l’importance de la clinique. Cette démarche trouve son
over the presentation of thoracic pain, the importance dans le besoin des médecins et des patients de mieux orienter diag-
differential diagnoses and the challenge of nostics et prises en charges, et ainsi éviter le plus possible le tourisme médical
treating such patients in ambulatory care. et l’utilisation abusive de moyens techniques et peut-être d’améliorer le pronos-
tic des patients. Rappelons cependant que cette revue ne saurait être exhaustive
(plus de 80 étiologies décrites dans la littérature !), mais nous nous efforcerons
de rapporter les causes les plus fréquentes et les plus importantes.

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DÉFINITION DE LA DOULEUR THORACIQUE


telle origine est retrouvée dans 28 à 49% des DT se pré-
La DT est définie comme une sensation anormale et sentant en MPR.1,3-5
pénible, localisée dans la région du thorax antérieur, elle Avec le temps, le diagnostic de «rhumatisme intercos-
peut avoir des caractéristiques différentes, peut être aiguë tal» a pris des noms multiples et souvent mal identifiés :
ou chronique, localisée ou étendue et peut irradier ou non. ostéochondrite, chondrocostite, costochondrite, douleurs
Son mode d’apparition et de déclenchement, ses carac- thoraciques atypiques, douleurs musculo-squelettique ou
téristiques et son évolution sont importants. Décrite avec syndrome de Tietze. Actuellement, on préfère le terme plus
précision ou de façon floue, comme toute douleur, elle a global de douleur pariétale (DP), définie par une douleur de
avant tout un caractère subjectif et la rencontre de ce que la paroi reproductible à la palpation.5
le patient dit et de ce que le médecin entend peut prêter à Parmi les DT d’origine pariétale, le syndrome pariétal
bien des malentendus. Le savoir personnel du patient, son thoracique ou chest wall syndrome (CWS), entité définie comme
imprégnation culturelle et ses croyances peuvent influencer une douleur de la paroi thoracique, d’origine indéterminée,
sa manière de vivre, d’interpréter et de décrire sa douleur. prend épidémiologiquement une place importante.5 Si sa
Néanmoins, une anamnèse précise permet le plus sou- localisation est variable, elle prédomine le plus souvent
vent d’évoquer une hypothèse diagnostique. Il s’agit donc dans l’hémithorax gauche, elle est de type mécanique en
d’y mettre le temps et l’attention nécessaire. Le diagnostic relation avec la mobilisation de la paroi thoracique ou de
différentiel des DT est retrouvé dans le tableau 1. Les clas- l’épaule. De durée variable (en principe plusieurs heures
ses diagnostiques y sont présentées selon leur fréquence ou jours), le CWS est le plus souvent bénin, mais peut être
de survenue citée dans la littérature.1,2 profondément anxiogène pour le patient. Il est souvent de
pathogénie peu claire. Par contre, son caractère non inflam-
matoire et surtout sa reproductibilité à la palpation et/ou
DOULEURS PARIÉTALES (DP) aux manœuvres de provocation peuvent contribuer à ras-
En médecine ambulatoire, les douleurs de la paroi tho- surer le malade et le médecin.
racique d’origine pariétale sont les plus fréquentes. Une D’autres maladies rhumatismales, plus spécifiques, peu-
vent provoquer une douleur de la paroi thoracique : la ma-
Tableau 1. Etiologies des douleurs thoraciques ladie de Bechterew, le syndrome de Tietze avec les signes
SAPHO : synovite, acné, pustulose, hyperostose et ostéite. inflammatoires des jonctions chondrocostales, le syndrome
SAPHO (synovite, acné, pustulose, hyperostose et ostéite)
Classes Diagnostic différentiel
ou encore la fibromyalgie. Le diagnostic est alors posé en
diagnostiques
fonction de la pathologie sous-jacente.
Pariétale • Douleur pariétale thoracique Beaucoup de patients ayant subi une thoracotomie se
• Traumatismes, fractures, postopératoire
• Cancer et métastases osseuses plaignent également de douleurs pariétales, souvent diffi-
• Bechterew, SAPHO, autres maladies rhumatismales ciles à différencier de la maladie qui a occasionné la tho-
• Douleurs radiculaires, douleurs irradiées racotomie. Des douleurs d’origine radiculaire (y compris
Cardio- • Origine ischémique (infarctus, angor) cervicale) ou neurogène peuvent aussi provoquer une DT
vasculaire • Dissection et rupture d’anévrisme par irradiation sur la cage thoracique.
• Embolie pulmonaire Les traumatismes, en particulier les fractures, ne de-
• Valvulopathie
• Trouble du rythme
vraient bien sûr pas échapper à une sagace anamnèse. En
• Cardiomyopathie revanche, les douleurs liées à des maladies de l’os, en par-
• Péricardite ticulier les métastases osseuses, doivent être évoquées et
• Hypertension pulmonaire exclues. Cependant, il ne s’agit pas d’un diagnostic à poser
Psychogène • Troubles anxieux – attaques de panique (DSM-IV) en urgence, comme c’est le cas pour les douleurs d’origine
• Episode dépressif, états anxio-dépressifs cardiovasculaire.
• Troubles somatoformes douloureux
Dans la DP, le traitement dépend de la maladie d’origine.
• Fibromyalgie
• Hypochondrie, syndrome de Munchausen, simulation En particulier, dans le CWS une réassurance et une simple
antalgie suffisent généralement. Néanmoins, la chronicité
Respiratoire • Bronchite, pneumonie, pleurésie
• Cancer pulmonaire et les récidives sont fréquentes d’où l’importance d’un
• Pneumothorax diagnostic correct pour assurer une prise en charge opti-
Gastro- • Maladie de reflux
male. Malgré la bénignité évidente de cette affection, la re-
entérologie • Maladie peptique mise en question diagnostique reste de mise, d’autant plus
• Troubles moteurs de l’œsophage (casse-noisette) qu’une douleur pariétale peut tout à fait coexister avec
• Cholécystite une douleur d’autres origines.
Divers • Mastopathies
• Zona, herpès simplex, hypodermite, abcès cutané,
chéloïdes DOULEURS D’ORIGINE CARDIOVASCULAIRE
• Pyélonéphrite (CV)
• Sarcoïdose
• Affection de la rate Tant aux urgences qu’en médecine ambulatoire, tout est
• Névralgies mis en œuvre pour infirmer ou confirmer une étiologie car-
Sans diagnostic • Idiopathique diovasculaire de la douleur thoracique. Le pronostic vital
peut dépendre d’une démarche diagnostique efficace et

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rapide. Dès lors, on comprend bien que cette hypothèse L 20/min, cyanose, pâleur, sudation, altération de l’état de
suscite un déploiement de moyens cliniques et paraclini- conscience.
ques importants. Les douleurs cardiovasculaires se répar- Les examens paracliniques sont indispensables dans
tissent entre maladie ischémique et des pathologies non l’approche d’un diagnostic pertinent. Un laboratoire patho-
ischémiques (tableau 1). logique (CK et troponine, D-dimères) et/ou un ECG positif
Si la fréquence d’une affection cardiovasculaire aux ur- vont déclencher une attitude interventionnelle du méde-
gences reste élevée (jusqu’à 80% des DT),3,6-8 elle concerne cin, souvent une hospitalisation et/ou une intervention. En
tout de même 12-16% des cas de DT en médecine ambu- l’absence d’une situation aiguë, ce sera l’ergométrie, la
latoire.9-11 scintigraphie cardiaque ou l’échocardiographie et/ou la co-
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler le consensus ronarographie qui seront indiquées, donc le recours au
définissant une douleur thoracique ischémique typique, spécialiste dans un délai variable laissé à l’appréciation
décrite par Heberden en 1768 déjà !12 Il s’agit d’une sen- du praticien.12
sation douloureuse rétrosternale, ou en barre, oppressante, C’est sur la base des symptômes cliniques, de la pré-
anxiogène, pouvant irradier dans les bras (à prédominance sence ou non d’antécédents cardiovasculaires, de facteurs
gauche) ou dans les mâchoires. Elle peut être déclenchée de risque, d’éléments positifs ou négatifs du status et des
ou aggravée par l’effort. Mais elle peut aussi être nocturne examens paracliniques que le clinicien peut poser un diag-
et indépendante de tout effort, comme elle peut être aty- nostic. C’est cet ensemble qui détermine l’attitude thérapeu-
pique et même parfois silencieuse. tique du praticien.12
Les douleurs de la coronaropathie, de la péricardite, de Parmi les pathologies cardiovasculaires, nous trouvons
la dissection, de la rupture d’anévrisme et de l’embolie aussi l’embolie pulmonaire (EP), la «grande mystificatrice» de
pulmonaire sont classiquement décrites comme intenses, nos anciens maîtres. Elle reste un diagnostic à évoquer
et les autres causes de DT cardiovasculaires comme moins toujours et à manquer le moins souvent possible. D’autant
bruyantes. Le caractère éventuellement dramatique, ou en plus que les embolies les moins douloureuses sont sou-
tout cas inhabituel, de ces affections attire l’attention des vent les plus centrales, donc les plus graves. La douleur
patients et des médecins. thoracique de l’EP est avant tout liée à l’irritation pleurale.
L’anamnèse permet donc une première orientation. L’in- Actuellement, des scores cliniques tels que le score de
tensité, la durée, la localisation, l’association à des symp- Genève modifié 13 nous aident à évaluer le risque prétest
tômes neurovégétatifs et à l’angoisse signent souvent une d’une embolie pulmonaire (tableau 3).
atteinte cardiovasculaire et une urgence (tableau 2). La con- En dehors des signes du score de Genève, les signes
naissance d’antécédents cardiovasculaires et la présence de gravité (tachycardie, hypotension, insuffisance respira-
de facteurs de risque sont des éléments primordiaux d’ap- toire) déterminent l’urgence. La recherche de signes de
préciation de la probabilité d’une origine cardiovasculaire dysfonction ventriculaire droite, cause habituelle de décès
et doivent être recherchés par le MPR. dans l’EP, tels que turgescence jugulaire, accentuation de
L’examen clinique est souvent peu spécifique puisqu’il la composante pulmonaire du B2, ne devient évidente à
n’existe aucun signe pathognomonique de la maladie co-
ronarienne. Pourtant, dans bien des cas, l’anamnèse et le Tableau 3. Score de Genève modifié13
statut cardio-pulmonaire soigneux permettent à eux seuls TVP : thrombose veineuse profonde.
d’orienter le diagnostic.12 De plus, la clinique permet de EP : embolie pulmonaire ; MI : membre inférieur.

déterminer les signes de menace vitale : troubles du rythme Variables Coefficients Points
cardiaque, troubles tensionnels sans oublier l’asymétrie, de régression
souffle cardiaque, frottement péricardique, tachypnée Facteurs de risque
• Age L 65 0,39 1
Tableau 2. Risques de maladie cardiovasculaire12 • Antécédents TVP ou EP 1,05 3
Evaluation des éléments spécifiques de l’histoire d’une douleur thoracique • Chirurgie (anesthésie générale) ou 0,78 2
en fonction du risque d’infarctus aigu ou de maladie coronaire aiguë. fracture dans le mois précédent
• Pathologie maligne (cancer solide ou 0,45 2
Risque bas hématologique, active ou considérée
comme guérie l une année)
Douleur de type pleural, se modifiant avec la position, ou repro-
ductible à la palpation ou encore décrite comme un coup de Symptômes
poignard • Douleur unilatérale d’un MI 0,97 3
• Hémoptysie 0,74 2
Probable risque bas
Douleur indépendante de l’exercice physique ou qui est limitée Signes cliniques
• Fréquence cardiaque :
à une petite aire sous-mammaire de la paroi thoracique
– 75-94/min 1,20 3
Risque probablement important – L = 95/min 0,67 5
• Douleur à la palpation des veines 1,34 4
Douleur constrictive, semblable à celle ressentie lors d’un pré-
profondes d’une jambe et œdème
cédent infarctus ou crise d’angor, et/ou douleur accompagnée unilatéral
de nausées, vomissements ou sudations
Probabilités cliniques
Haut risque • Basse 0-3 total
Douleurs irradiant dans une ou deux épaules ou dans les • Intermédiaire 4-10
membres supérieurs ou dépendant de l’exercice • Haute L = 11

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l’examen clinique que fort tardivement. Depuis quelques favoriser l’approche, le diagnostic et le suivi, mais aussi
années, le dosage des D-dimères en cabinet est utilisé fré- induire en erreur, si le clinicien ne reste pas attentif à des
quemment dans le souci de ne pas négliger un diagnostic signes et des symptômes non psychogènes.
d’EP (diagnostic d’exclusion si D-dimères l 500). Dans les Il est particulièrement important d’évoquer les inquié-
cas où la valeur est plus élevée, d’autres examens s’impo- tudes avec ces patients, qu’il s’agisse de la cause ou d’une
sent (CT-spiralé ou IRM) et l’hospitalisation reste souvent conséquence de la DT. Apprendre et comprendre le sens
de mise, mais n’est pas forcément obligatoire. qu’attribue un patient à sa douleur permet quelquefois de
le rassurer et de le soulager. La récidive est en général
aussi fréquente que la multiplication des investigations.
DOULEURS D’ORIGINE PSYCHIATRIQUE
L’association entre une problématique psychologique
et une DT est fréquente et bien décrite dans la littérature. DOULEURS D’ORIGINE RESPIRATOIRE
Nous y trouvons une prévalence qui va de 4,7 à 7,5 et Le diagnostic différentiel des DT d’origine respiratoire
même à 17,5% des DT selon les études.1,3,4,7 Les diagnostics comprend : les causes infectieuses (bronchite aiguë, pleu-
retenus sont : résie, pneumonie, abcès pulmonaire) et non infectieuses
• troubles anxieux – attaques de panique (DSM-IV) ; comme l’asthme, la bronchopneumopathie chronique ob-
• épisode dépressif, états anxio-dépressifs ; structive (BPCO), les cancers et métastases bronchiques,
• troubles somatoformes douloureux ; les embolies pulmonaires (discutées sous «douleurs d’ori-
• fibromyalgie. gine cardiovasculaire»), le pneumothorax et les affections
Il existe une évolution historique dans l’utilisation des de la plèvre.
termes diagnostiques, peut-être liée à un certain phéno- Les causes infectieuses des DT ne sont en principe pas
mène de mode ou alors en fonction de nouvelles connais- trop difficiles à diagnostiquer avec leur anamnèse (souvent)
sances acquises. Ainsi, les bons vieux termes comme syn- typique et leur cortège de toux, fièvre et signes ausculta-
drome de Da Costa, soldiers’s heart, cœur irritable, névrose toires. Cependant, il n’est pas si rare de trouver des patients
cardiaque, syndrome d’hyperventilation, voire spasmophi- (surtout âgés) avec une baisse de l’état général comme seul
lie ont cédé la place à celui d’attaques paniques. symptôme d’appel. Les examens paracliniques (RX thorax,
La relation entre un problème psychologique, essentiel- laboratoire) ne sont pas systématiquement nécessaires et ne
lement de l’anxiété, et une douleur thoracique est com- trouvent leur sens que dans les cas de doute ou d’altération
plexe. Plusieurs hypothèses ont été formulées. Ainsi, ces pa- de l’état général. La dyspnée et les signes d’insuffisance
tients semblent présenter une fragilité psychique plus im- respiratoire (cyanose, tirage) doivent être recherchés.
portante, être plus attentifs à une gêne somatique qu’ils En revanche, les causes non infectieuses sont multiples
peuvent attribuer à une affection inconnue donc angois- et sont un défi diagnostique constant.
sante. L’anxiété peut induire une hyperventilation,14,15 une L’asthme et la BPCO ne s’accompagnent pas systémati-
tension exagérée de la musculature respiratoire et une quement de DT, les signes respiratoires (sibilances, râles,
sécrétion de catécholamines importante.16-18 toux) et l’anamnèse d’allergie ou de tabagisme orientent le
Les anxiétés et les attaques de panique sont particu- diagnostic. Parmi les causes respiratoires non infectieuses
lièrement fréquentes aux urgences hospitalières. Souvent des DT, il s’agit certainement du diagnostic le plus fréquent.
ce sont ces patients qui reçoivent le diagnostic de «rien au Le pneumothorax peut être spontané, primitif ou secon-
cœur», pourtant source d’anxiété supplémentaire. De plus, daire à une BPCO ou à n’importe quelle autre pathologie
la non-reconnaissance mène à des consultations à répéti- pulmonaire. Il peut aussi être d’origine traumatique. La dou-
tion, à la multiplication des investigations, des coûts im- leur a souvent un début aigu et est associée à une dyspnée.
portants et à une souffrance humaine non reconnue.19 L’anamnèse, une auscultation et une percussion asymétri-
A l’inverse, les attaques de panique s’accompagnent très que ainsi qu’une radio du thorax permettent normalement
fréquemment de DT (22-70%)20 à un point que le DSM-IV de poser le diagnostic. L’attitude thérapeutique dépend
utilise ce symptôme comme critère B du diagnostic. de l’importance du pneumothorax (sous tension ou non),
Parmi les causes non cardiovasculaires de la DT, les de l’état général du patient et de la cause sous-jacente.
causes psychogènes occupent une place particulière. Il n’est Les douleurs thoraciques sont inconstantes dans les
en effet pas rare que l’anxiété soit la seule cause d’une DT, néoplasies et apparaissent souvent tardivement par infil-
mais elle peut aussi accompagner les DT d’autres origines, tration de la plèvre. A ce stade, ce sont d’autres signes gé-
voire exister en tant que comorbidité. Il n’y a pas de symp- néraux qui sont prédominants.
tôme ni de signe spécifique, pas de test diagnostique pour L’hypertension pulmonaire peut être la cause d’un pseu-
confirmer une cause psychogène. On pourrait alors penser do-angor d’effort, pas très fréquent en médecine ambula-
qu’il s’agit d’un diagnostic d’exclusion, mais l’expérience toire. Mais ce diagnostic est souvent manqué ou posé tar-
et les recherches à ce sujet montrent que ce n’est pas le divement. Rappelons aussi que l’hypertension pulmonaire
cas. L’intuition, l’écoute attentive d’une anamnèse précise peut être secondaire à des embolies pulmonaires.
(à la recherche d’un facteur anxiogène déclenchant, par
exemple), l’interprétation des «non-dits» et des attitudes
corporelles des patients sont autant d’éléments détermi- DOULEURS D’ORIGINE DIGESTIVE
nants pour une appréciation diagnostique pertinente. La Les douleurs d’origine digestive représentent 4%3 à 20%7
connaissance qu’a le MPR de ses patients peut à la fois des cas de DT. C’est en principe les douleurs d’origine

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œsophagienne qui sont source de douleurs thoraciques, comprendre l’origine du mal et souhaite pouvoir lui don-
bien que certaines pathologies gastriques puissent être res- ner un nom. C’est certainement pour cela que le médecin
senties au niveau du thorax. s’efforce de trouver une terminologie explicative, même si
Ces douleurs sont souvent décrites comme des brûlures, cela va quelquefois à l’encontre d’une démarche scientifi-
avec ou sans irradiation et elles sont fréquemment mises que précise.
en relation avec l’alimentation (soit soulagement, soit ag- En résumé, dans la grande majorité des cas, la clinique
gravation). Une anamnèse de reflux et une aggravation de seule (anamnèse et statut) suffit pour établir des hypo-
la douleur par la position allongée sont souvent signalées thèses diagnostiques pertinentes. Le tableau 4 résume les
par les patients. Si les DT sont fréquentes chez les «re- éléments cliniques principaux du diagnostic différentiel
flueurs» (37,6% des DT d’origine digestive), elles existent des affections les plus fréquentes évoquées dans cet arti-
tout de même chez 12% des «non-reflueurs».21 Cela confir- cle. Il est bien évident que les examens complémentaires
me que la pathogénie des douleurs œsophagiennes irra- gardent toute leur place et peuvent apporter des confir-
diant dans le thorax est bien plus compliquée que le simple mations diagnostiques. Néanmoins, un choix critique du
reflux. D’autres hypothèses parlent de dysmobilité (œso- recours à de tels examens reste indispensable, ceci tant
phage en casse-noisette) ou d’hypersensibilité viscérale, pour des raisons d’économie que pour préserver l’intérêt
entre autres. du raisonnement clinique.
Cependant, les caractéristiques de ce type de douleurs
peuvent évoquer à s’y méprendre une affection cardiaque,
(en particulier le spasme œsophagien qui cause une pres- CONCLUSION
sion ou une constriction rétrosternale). D’ailleurs le mé- La DT est une entité fréquente, tant aux urgences hos-
decin cherche ici d’abord à exclure une affection CV (soit pitalières qu’en médecine de premier recours.
par l’anamnèse, soit par des examens complémentaires)
avant de se rabattre sur une problématique œso-gastrique, Tableau 4. Eléments cliniques
sauf si la symptomatologie est tout à fait typique. FRCV : facteurs de risque cardiovasculaire.
Il existe également quelques pathologies sous-diaphrag- EP : embolie pulmonaire.
matiques que l’on doit évoquer dans le diagnostic diffé- Affections Eléments cliniques
rentiel des DT, dont l’ulcère peptique, les cancers digestifs,
Pariétale • Douleur bien localisée
les pathologies biliaires (cholécystite, lithiase), pancréati- thoracique • Localisation gauche ou médiane gauche
ques et les colopathies (angles coliques). Là aussi, les • Douleur type mécanique
horaires et les caractéristiques des douleurs nous mettent • Douleur reproduite par palpation
souvent sur la piste. • Antécédents de douleurs pariétales
• Douleur non oppressante et non en barre
Grâce aux inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), la
prise en charge de ces patients se trouve simplifiée. Actuel- Coronarienne • Douleur oppressante ou en barre
• Douleur déclenchée par l’effort
lement un patient, chez qui une pathologie digestive est • Durée l une heure
suspectée, devrait être mis d’emblée au bénéfice d’un tel • Antécédents coronariens
traitement pendant un à deux mois, comme test diagnos- • L 50 ans
tique. Et ce ne serait qu’en cas de non-réponse, ou bien • L deux FRCV
• Signes neuro-végétatifs
sûr lors de symptômes d’alarme (tels que dysphagie, ody-
nophagie, perte pondérale, anorexie ou méléna), qu’une Cardio- • Douleur aiguë, brutale
vasculaire • Durée variable
endoscopie ou d’autres investigations sont indiquées. non • Localisation en fonction de la pathologie (EP,
ischémique dissection aortique)
• Dyspnée
DOULEURS D’ORIGINES DIVERSES • Tachypnée, tachycardie, hypotension
• Signes neuro-végétatifs
Le tableau 1 mentionne d’autres causes, plus rares, des
DT. Comme toujours avec les causes rares, il «suffit d’y Psychogène • Déclenché par un stimulus anxiogène
• Symptômes d’anxiété
penser…», ce qui n’est pas toujours évident pour le prati- • Signes d’anxiété
cien surchargé, seul dans son cabinet. Les diagnostics se • Douleurs non mécaniques
posent en fonction de l’anamnèse et du statut. Occasion- • Douleurs non reproductibles à la palpation
nellement des examens paracliniques (US, radiologie, plus • Absence de signes respiratoires ou digestifs
rarement laboratoire) peuvent être nécessaires. Les diag- Respiratoire • Symptômes et signes respiratoires (dyspnée, toux)
nostics des douleurs référées, (rupture de rate, kystes • Syndrome infectieux
• Douleur dépendant de la toux ou de la respiration
ovariens, annexites, grossesse extra-utérine) peuvent être • Douleurs non reproductibles à la palpation
difficiles à poser. • Douleurs indépendantes repas/effort/anxiété
Digestive • Douleur type brûlure
• Symptômes digestifs hauts
SANS DIAGNOSTIC • Douleur en rapport avec alimentation
Il est évident qu’une partie des symptômes des patients • Douleur centrale = non latéralisée
• Pas de déclenchement par l’effort
d’un MPR ne trouvera pas de diagnostic. Si l’évolution est • Indépendant de la toux/respiration
bénigne, ceci est probablement sans aucune importance • Douleur non reproductible à la palpation
pour le médecin. Cependant la majorité des patients désire

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Les études et les guidelines ont été élaborés essen- qu’il entend, devraient permettre une prise en charge op-
tiellement en milieu hospitalier et ne correspondent pas timale et une compréhension affinée d’une pathologie aux
toujours à la problématique rencontrée en médecine am- visages multiples.
bulatoire. Le praticien saura reconnaître les causes de gra-
vité et de mauvais pronostic en faisant une anamnèse et
un statut soigneux. Il saura adresser, si nécessaire, ses pa- Implications pratiques
tients sans délai à un centre hospitalier pour une prise en
charge optimale. > La douleur thoracique est une plainte fréquente en médeci-
ne ambulatoire. Les guidelines ont été essentiellement établis
Cependant, en dehors des DT dites graves, il existe des en milieu hospitalier et ne correspondent pas toujours à la
causes multiples, très fréquentes en médecine ambulatoire, réalité en médecine de premier recours
qui nécessitent une prise en charge spécifique après avoir
posé un diagnostic aussi précis que possible. Les compé- > Le diagnostic différentiel comporte plus de 80 affections et
tences cliniques des praticiens, la connaissance qu’ils ont l’épidémiologie montre une prédominance de douleurs d’ori-
de leurs patients, la possibilité d’un suivi au long cours gine pariétale en médecine ambulatoire (contre une prédo-
minance de douleurs d’origine cardiaque aux urgences)
permettent de créer un lien thérapeutique de confiance,
base importante pour soigner. Le regard critique du MPR, > L’anamnèse et un statut soigneux permettent souvent de
sa manière de remettre sans cesse en cause ce qui se poser des hypothèses diagnostiques pertinentes
passe dans la démarche clinique, de ce qu’il sait et de ce

Bibliographie
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