NOUVEAUTÉS EN

MÉDECINE 2023

Médecine d’urgence :
ce qui a ­changé en 2023
Dre DAPHNÉ CAHEN a ,*, Dr MAIC GAY b ,*, Dre FANNY JOGNA a ,*, Dre ELENA GARCIA b,*, Dr MARC-AURÈLE ADLER a ,*,
Dre PERRINE TRUONG b,*, Pr THIBAUT DESMETTRE a, Dr VINCENT DARIOLI b et Dr CHRISTOPHE A. FEHLMANN a

Rev Med Suisse 2024 ; 20 : 63-6 | DOI : 10.53738/REVMED.2024.20.856‑7.63

La recherche en médecine d’urgence, tant sur le plan préhospi­

talier qu’hospitalier, est nécessaire et même indispensable à la TABLEAU 1 HEAR score
fois au développement de cette discipline, mais également à la Histoire Suspicion haute 2
­re­connaissance de ses spécificités. Par la remise en question de Suspicion moyenne 1
Suspicion basse 0
certaines pratiques (thrombolyse pour les AVC mineurs, utilisa­
tion de facteurs de la coagulation pour le polytraumatisé ­sévère), ECG Sous-décalage ST significatif 2
l’accès à de nouvelles technologies (vidéo-laryngoscopie, tropo­ Troubles de la repolarisation non spécifique 1
Normal 0
nines POCT en préhospitalier) ou le questionnement sur de
­nouvelles pratiques (double défibrillation, US pulmonaire dans Âge ≥ 65 ans 2
> 45 – < 65 ans 1
la pneumonie), la recherche permet aux urgentistes d’adapter ≤ 45 ans 0
leur pratique quotidienne à l’état de l’art.
Facteurs ≥ 3 facteurs de risque, ou antécédents d’athérosclérose 2
de Risque 1‑2 facteurs de risque 1
Pas de facteur de risque 0
Emergency medicine : what’s new in 2023
(Traduit et adapté de réf.20).
Research in prehospital and in-hospital emergency medicine is
­essential to the development of this discipline. By calling certain
practices into question (thrombolysis for minor strokes, use of coa- urgences sans mesure de troponine. L’issue primaire était
gulation factors for patients with severe polytrauma), providing l’analyse des coûts médicaux à 30 jours et l’issue secondaire
a­ccess to new technologies (video-laryngoscopy, POCT troponins in était la survenue d’événements cardiaques indésirables
pre-hospital care) or questioning new practices (double defibrilla- ­majeurs (MACE).
tion, pulmonary US in pneumonia), research enables emergency
physicians to adapt their day-to-day practice. Sur les 863 patients inclus, une économie significative de
611 euros par patient en faveur du GTROP a été mise en
­évidence. Parmi les patients pour lesquels un NSTEMI était
TROPONINES POINT-OF-CARE : EXCLURE LE NSTEMI ­exclu, le taux de MACE était très faible (0,5 % dans le GTROP
vs 1 % dans le GC ; p = 0,41).
EN PRÉHOSPITALIER
La majorité des patients pris en charge en préhospitalier avec Il est important de noter que l’analyse de la différence de
une douleur thoracique sont admis aux urgences, participant MACE était sous-puissante et demande de futures investiga­
à l’augmentation des consultations, des coûts et de l’engor­ tions, qu’il s’agissait d’une mesure des troponines standards
gement. L’étude ARTICA a évalué l’intérêt d’une stratégie (et non hypersensibles), et que cette stratégie repose sur un
­d’exclusion du NSTEMI (infarctus sans élévation du segment système de garde de médecine générale performant. Malgré ces
ST) en préhospitalier par les ambulanciers, combinant le limitations, cette pratique serait potentiellement intéressante
HEAR score (tableau 1) et une mesure de troponine.1 vue la médicalisation préhospitalière en Suisse r­ omande.

Dans cette étude randomisée contrôlée multicentrique néer­

landaise, les patients à bas risque (HEAR score ≤ 3), présentant
une douleur thoracique depuis plus de 2 heures, ont été
­randomisés en deux groupes. Dans le groupe intervention
(GTROP), une mesure de troponine était effectuée sur site,
puis, en fonction de sa valeur, le patient était soit référé à la
garde de médecine générale, soit transporté aux urgences.
Ceux du groupe contrôle (GC) étaient tous transportés aux
aService des urgences, Département de médecine aiguë, Hôpitaux universitaires de Genève,
1211 Genève 14, bService des urgences, Département des centres interdisciplinaires,
Centre hospitalier universitaire vaudois, 1011 Lausanne
daphne.cahen@hcuge.ch | maic.gay@chuv.ch | fanny.jogna@hcuge.ch
elena.garcia@chuv.ch | marcaurele.adler@hcuge.ch | perrine.truong@chuv.ch
thibaut.desmettre@hcuge.ch | vincent.darioli@chuv.ch | christophe.fehlmann@hcuge.ch
*Ces six auteurs ont contribué de manière équivalente à la rédaction de cet article.
À retenir : une stratégie d’exclusion du NSTEMI en préhospitalier
chez des patients à bas-risque en combinant le HEAR-score
et une mesure de troponine permettrait de diminuer les coûts
médicaux .
AVC MINEURS : FIN DE LA THROMBOLYSE ?
La thrombolyse intraveineuse (TIV) par alteplase est la
­thé­rapie de choix en cas d’accident vasculaire cérébral (AVC)
­ischémique aigu accompagné de déficits invalidants.2‑4 Cette­
indication est beaucoup moins claire dans l’AVC mineur,
­
­défini par un score NIHSS initial inférieur ou égal à 5 points.5

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 REVUE MÉDICALE SUISSE
TABLEAU 2 Score de Rankin modifié
0 Pas de symptômes
1 Symptômes mineurs n’interférant pas avec les activités de la vie
courante
2 Handicap mineur : restriction de certaines activités de la vie courante,
mais patient autonome
3 Handicap modéré : nécessité d’une aide partielle, marche possible
sans aide
4 Handicap modérément sévère : marche impossible sans assistance,
restriction notable de l’autonomie mais sans nécessité d’une aide
permanente
5 Handicap sévère : grabataire, inconscient et nécessité de soins
de nursing constant
6 Décès
Ce type d’AVC représentait jusqu’à 47 % des AVC en 2019.
Certaines études comparant un traitement par TIV versus
­aspirine sont non conclusives,6 motivant la réalisation de
l’étude ARAMIS.7
Cette étude chinoise multicentrique et randomisée a testé la
non-infériorité d’une double antiagrégation plaquettaire
(DAPT) par aspirine et clopidogrel par rapport à une TIV
chez des patients avec un AVC mineur aigu (moins de
4,5 heures depuis le début des symptômes). L’issue primaire
était le taux d’excellent devenir fonctionnel à 3 mois, défini
par un score de Rankin modifié de 0 à 1 point (tableau 2).
Sur un total de 760 patients, 93,8 % des traités par DAPT et
91,4 % des traités par alteplase ont présenté un excellent
­devenir fonctionnel à 3 mois (RR 1,38 ; IC 95 % : 0,81‑2,32). La
marge de non-infériorité fixée à -4,5 % a été largement
­respectée (p < 0,001). Les résultats secondaires ont montré
une discrète diminution des détériorations neurologiques à
24 heures et un risque de toute forme de saignement légère­
ment réduit dans le groupe DAPT. À noter qu’une origine
­cardioembolique n’avait été retenue que pour deux patients.
Il s’agit d’une étude robuste, avec un important échantillon et
un recrutement dans de multiples centres. Toutefois,
­l’absence d’aveuglement, le haut taux de crossover (20,4 %) et
une population épidémiologiquement différente de la nôtre
impactent la validité des résultats et leur généralisabilité.
À retenir : dans l’AVC ischémique mineur (NIHSS ≤ 5) aigu
d’origine non cardioembolique, une double antiagrégation
plaquettaire semble non inférieure à une thrombolyse
intraveineuse quant au devenir fonctionnel à 3 mois.
ULTRASON PULMONAIRE ET PNEUMONIE :
SOMMES-NOUS PRÊTS ?
La prescription inappropriée d’antibiotiques en cas d’infec­
tion des voies respiratoires basses est un problème majeur
en médecine de premier recours. L’ultrason pulmonaire
(USP) est un outil sensible et spécifique dans la détection
des pneumonies.8 Il a récemment intégré les guidelines de la
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Société suisse d’infectiologie dans le diagnostic des pneu­
monies sous certaines conditions.9 Dans l’étude UltraPro, le
dosage de la procalcitonine (PCT) avait permis de diminuer
l’utilisation d’antibiotiques de 26 % ainsi que le nombre de
radiographies du thorax. L’USP, effectué en cas de taux
de PCT ≥ 0,25 ug/l, n’avait en revanche pas permis d’obtenir
une diminution supplémentaire de la prescription d’antibio­
tiques.10
L’étude de Geis et coll. s’est intéressée aux barrières et
­facilitateurs à l’usage de la PCT et de l’USP via une analyse
qualitative sous forme d’entretiens semi-structurés auprès de
12 des 60 médecins généralistes romands impliqués dans
l’étude UltraPro.11 Alors que la PCT est reconnue comme un
outil ­objectif et utile dans la prise en charge des infections des
voies respiratoires basses, l’USP se heurte à plus d’obstacles :
le temps pris pour effectuer l’examen, ainsi que le manque
de confiance du clinicien dans son interprétation (self-
confidence). La mise à disposition d’un examen plus perfor­
mant que la radiographie standard, non irradiant, reproduc­
tible, et favorisant la relation patient-médecin est c­ ependant
perçue comme une plus-value. Il convient cependant de noter
que le faible nombre de médecins inclus dans cette analyse ne
permet pas d’exclure d’autres barrières ou facilitateurs.
L’ultrason pulmonaire est un examen plus sensible et spéci­
fique que la radiographie standard pour le diagnostic des
pneumonies. Son application, en association ou non à des
biomarqueurs, est en cours d’étude dans plusieurs centres
d’urgence suisses.
À retenir : le défi principal à relever pour le succès de
l’implémentation future de l’USP dans la pratique concerne les
aspects de formation, de pratique régulière,
et de « self‑confidence » du clinicien qui en découlent.
DÉFIBRILLATION : 1 OU 2 DÉFIBRILLATEURS ?
En Suisse, 75 % des personnes en arrêt cardiorespiratoire
(ACR) bénéficient d’une réanimation cardiopulmonaire (RCP)
extrahospitalière.12 En présence d’un rythme choquable
(fibrillation ventriculaire (FV), tachycardie ventriculaire
­
(TV) sans pouls), la défibrillation standard avec des patchs
positionnés en antéro-latéral est la méthode recommandée.
Des alternatives ont toutefois été proposées, d’où l’étude
DOSE VF.13
Cette étude canadienne a inclus des adultes présentant un
ACR extrahospitalier avec une FV réfractaire (persistance
d’une FV ou d’un TV sans pouls malgré trois chocs) et a
comparé trois méthodes de défibrillation : défibrillation
­
standard (DS, patch antérolatéral), changement vectoriel
­
(CV, changement de la position des patchs en antéroposté­
rieur) et double défibrillation séquentielle externe (DDSE,
deuxième défibrillateur avec patch en antéropostérieur avec
second choc immédiatement après le premier). De manière
randomisée, chaque service d’ambulances a appliqué chacune
des trois méthodes pendant 6 mois. L’issue primaire était la
survie à la sortie de l’hôpital.
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Au total, 405 patients ont été inclus. Dans le groupe DDSE, 38
(30 %) ont atteint l’issue primaire contre 18 (13 %) dans le
groupe standard (RR : 2,21 ; IC 95 % : 1,33‑3,67). La DDSE
­permettait un arrêt plus rapide de la FV, une reprise de circu­
lation spontanée plus fréquente et un meilleur état neuro­
logique à la sortie de l’hôpital, y compris après ajustement
pour le sexe, l’âge et l’initiation d’une RCP.
Bien que l’étude ait été interrompue précocement et que la
réalisation de la DDSE puisse être compliquée en pratique,
la méthodologie robuste et l’excellente adhérence au
­pro­tocole renforcent la validité des résultats, confirmant
l’intérêt de cette méthode pour les fibrillations ventriculaires
­réfractaires.
À retenir : en cas d’ACR extrahospitalier avec fibrillation ventri-
culaire réfractaire, la double défibrillation séquentielle externe
pourrait améliorer le pronostic global.
HÉMORRAGIE MASSIVE DU POLYTRAUMATISÉ
ET FACTEURS DE LA COAGULATION
La mortalité des patients traumatisés présentant une
­hémorragie massive reste élevée, notamment en raison de la
coagulopathie induite par le trauma. Les recommandations
actuelles proposent l’administration précoce de culots
­érythrocytaires, plasma frais congelés et de plaquettes dans
un ratio 1 :1 :1.14 Certaines études observationnelles s­ uggèrent
une réduction potentielle de la consommation des produits
sanguins lors de l’utilisation de concentrés de complexe en
prothrombine (4F-PCC), avec une incertitude quant au risque
thrombotique.15 L’étude PROCOAG avait pour but d’investi­
guer l’efficacité et la sécurité de l­’administration de 4F-PCC
pour le traitement de ces ­patients.16
Dans cette étude française, multicentrique, randomisée en
double aveugle et contrôlée par placebo, les patients adultes
polytraumatisés à risque de transfusion massive étaient
­répartis en deux groupes (4F-PCC versus soins standards).
L’issue primaire était le nombre total de produits sanguins
­administrés dans les 24 premières heures suivant l’admission.
Les issues secondaires étaient le nombre d’événements
thromboemboliques, l’utilisation individuelle des d ­ ifférents
produits sanguins, et la mortalité à 24 heures et 28 jours.
Sur les 324 patients inclus, 164 ont reçu un traitement par
4F-PCC. Aucune différence statistiquement significative du
nombre total ou individuel de produits sanguins n’a été
constatée entre les deux groupes (12 vs 11 U/24 heures ;
p = 0,72). Le nombre d’événements thromboemboliques
était significativement plus important dans le groupe
4F-PCC que dans le groupe contrôle (35 vs 24 % ; p = 0,03).
De plus, il n’y avait pas de bénéfice sur la mortalité à court
ou moyen terme.
À noter certaines faiblesses, telles qu’une issue primaire
non centrée sur le patient, l’absence de monitoring de la
­coagulopathie ou encore l’administration concomitante de
plasma frais congelé.
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NOUVEAUTÉS EN
MÉDECINE 2023
À retenir : l’utilisation systématique de 4F-PCC ne semble
pas apporter de bénéfice dans la gestion des patients
polytraumatisés à risque de transfusion massive.
LARYNGOSCOPIE : VIDÉO OU DIRECTE ?
En cas d’intubation orotrachéale, deux approches sont
­fréquemment utilisées : la laryngoscopie directe (LD) et la
vidéo-laryngoscopie (VL). Si l’usage de la VL a augmenté au
fil du temps, plus de 80 % des intubations dans les services
­d’urgences (SU) et les unités de soins intensifs (USI) dans le
monde sont effectuées par LD.17 Une importante méta-
analyse de la Cochrane n’avait pas démontré de différence
­significative au bloc opératoire, que cela soit sur le nombre de
tentatives, les complications respiratoires ou la durée du
geste.18 Ces résultats ne s’appliquant cependant pas automati­
quement aux intubations réalisées aux urgences ou en USI,
l’étude DEVICE a été réalisée.19 L’objectif principal était de
démontrer que l’utilisation d’une VL augmentait le nombre
d’intubations réussies à la première tentative sur des adultes
en phase critique.
Cette étude, multicentrique randomisée, a été menée aux
États-Unis sur 17 sites (7 SU et 10 USI) sur des personnes de
plus de 18 ans nécessitant une intubation. Les patients étaient
assignés aléatoirement à la LD ou à la VL, et l’issue primaire
était une intubation réussie à la première tentative.
Parmi les 1417 patients inclus dans l’analyse, l’intubation a été
réussie au premier essai chez 85,1 % des patients (600 sur 705)
dans le groupe VL et chez 70,8 % (504 sur 712) dans le groupe
LD, soit une différence de risque de 14,3 % (IC 95 % : 9,9‑18,7).
Il n’y avait pas de différence sur le plan de la sécurité, dans la
difficulté prédite de l’intubation ou l’expérience préalable des
opérateurs.
Bien que certaines limitations (absence d’aveuglement,
manque de standardisation dans le matériel) doivent être
considérées, cette étude confirme l’intérêt du vidéo-
laryngoscope pour l’intubation aux urgences, milieu dans
­lequel les patients sont plus instables et les conditions
d’intubation plus difficiles.
À retenir : en cas d’intubation de patients critiques hors bloc,
la vidéo-laryngoscopie semble améliorer le succès à la première
tentative, comparée à la laryngoscopie directe.
Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation
avec cet article.
ORCID ID :
T. Desmettre : https://orcid.org/0000‑0003‑4585‑5494
V. Darioli : https://orcid.org/0000‑0002‑1337‑5296
C. A. Fehlmann : https://orcid.org/0000‑0002‑4163‑0338
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 REVUE MÉDICALE SUISSE

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