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1. INTRODUCTION :
Le traumatisme crânien (TC) est un problème majeur de santé publique
responsable de nombreux décès et de nombreuses séquelles neurologiques
sources de handicap, le plus souvent chez des adultes jeunes. La prise en charge
en urgence d’un patient qui présente une hypertension intra- crânienne (HIC) est
une situation fréquente.
La prise en charge anesthésique du patient traumatisé crânien grave survient
dans deux contextes : chirurgie intracrânienne urgente des lésions traumatiques
et/ou de l’hypertension intracrânienne (HTIC) ou chirurgie extracrânienne du
polytraumatisé urgente (choc hémorragique) ou semi-différée (traumatologie).
Dans les deux situations, les principes physiopathologiques guidant l’anesthésie
sont similaires.
L’evaluation pré-opératoire se fera en général chez un patient pris en charge en
préhospitalier, voire en réanimation.
La gestion anesthésique périopératoire doit permettre d’initier ou de poursuivre
la réanimation cérébrale et systémique afin de limiter l’aggravation secondaire
des lésions traumatiques.
2. 1. Installation du patient
L’existence potentielle d’une lésion du rachis cervical associée au traumatisme
crânien incite à une plus grande prudence en raison du risque d’une atteinte
médullaire haute lourde de conséquences. L’absence de lésion osseuse à la
radiographie standard ou au scanner n’élimine pas le risque d’une luxation en
rapport avec des lésions ligamentaires le plus souvent.
L’installation du patient doit être soigneuse obéissant aux règles de la chirurgie
endocrânienne en situation d’HIC et à celles de la tête et du cou
La tête est immobilisée sur une têtière avec maintien de la minerve ou du collier
cervical. Toute flexion, extension ou rotation de la tête est proscrite, en raison du
risque cervical mais aussi de la gène au retour veineux que cela représente
pouvant considérablement majorer l’HIC. La tête est maintenue dans l’axe du
corps tout le long de la procédure chirurgicale
La tête étant peu accessible à l’équipe d’anesthésie, une fois les champs
opératoires posés, il est indispensable de renforcer au préalable la fixation de la
sonde d’intubation, tout en l’éloignant du champs opératoire et d’assurer une
protection oculaire, avec occlusion palpébrale. Toutefois les pupilles doivent
être accessibles et examinables à tout moment en raison de l’importance de la
réactivité pupillaire dans l’évaluation neurologique, seul paramètre évaluable
même sous anesthésie.
2.2. La mise en condition :
La pose de deux voies veineuses de gros calibre ou d’une voie veineuse
périphérique pour l’injection des drogues, et d’un cathéter central multi-
lumières, permet le remplissage rapide, l’administration éventuelle de
catécholamines.
Le cathétérisme artériel pour monitorage de la pression artérielle, servira entre
autre, à la réalisation de prélèvements pour les différents examens biologiques.
La pose d’une sonde vesicale est indispensable pour des raisons multiples, en
particulier l’administration fréquente de mannitol responsable d’une diurèse
osmotique importante.
Le risque hémorragique impose la mise à disposition dans la salle d’opération
du matériel de transfusion de même qu’un accélérateur de perfusion. Il est
nécessaire de pouvoir disposer des culots globulaires en quelques minutes en cas
de nécessité vitale.
2. 3. Le monitorage :
Il est standard et n’a rien de spécifique, toutefois la mesure de la pression
artérielle doit être invasive en raison du risque hémorragique chirurgical mais
aussi de la nécessité de prélèvements des gaz du sang pour apprécier le niveau
de la PaCO2 essentielle en neuro-anesthesie-réanimation, et établir le gradient
entre la PetCO2 et la PaCO2.
Le monitorage de la température est important. Une hypothermie modérée à
35°-36° participe aux mesures de protection cérébrale.
En urgence, la préparation du patient, son installation, sa mise en condition, doit
se faire dans un mouvement d’ensemble et une synchronisé, en parallèle à la
préparation du site opératoire évitant ainsi toute perte de temps synonyme de
perte de neurones.
2. 4. Conduite de l’anesthésie :
2. 4. 1. Induction anesthesique
Tout patient qui présente un traumatisme crânien grave doit être considéré
comme ayant un estomac plein. Une séquence d’induction rapide doit donc être
utilisée.
La survenue d’ une hypoxémie, d’ une hypercapnie, ou d’ une hypotension
artérielle doit être évitée.
L’anesthésique utilisé ne doit pas aggraver l’HIC, il doit être protecteur cérébral
en réduisant la consommation d’oxygène (CMRO2), et doit conserver l’auto-
régulation. Son effet anti-convulsivant apporte un bénéfice.
Une pré-oxygénation correcte est la règle. La présence d’une lésion associée du
rachis cervical est fréquente et impose une protection rachidienne, qui peut
rendre l’intubation difficile.
- Choix du narcotique
L’étomidate permet une induction rapide. Il induit une vasoconstriction
cérébrale qui diminue le débit sanguin cérébral et la PIC. Il préserve la pression
artérielle moyenne (PAM) et donc la PPC. Il réduit la CMRO2. Le faible
retentissement tensionnel dont il est responsable, et la gravité potentielle d’une
hypotension artérielle dans ce contexte, font de l’étomidate un anesthésique de
choix, notamment en période pré-hospitalière. Un réveil rapide est possible
même si la chirurgie est courte. La faible profondeur d’anesthésie obtenue peut
toutefois favoriser la survenue d’une hypertension artérielle.
Le propofol permet une induction rapide, une anesthésie profonde, une
excellente protection cérébrale. Toutefois, le retentissement tensionnel est
important, notamment si son injection est rapide. L’utilisation d’un dispositif d’
administration avec objectif de concentration peut limiter l’hypotension, mais ne
permet plus une séquence d’induction rapide. Si la stabilité de la PAM peut être
obtenue, le propofol est un narcotique de choix pour l’induction au bloc
opératoire.
Le thiopental est l’anesthésique de référence pour l’induction des patients à
estomac plein. C’est un excellent protecteur du métabolisme cérébral, un
puissant anti- convulsivant. Par ailleurs, son utilisation est difficilement
compatible avec un réveil rapide des patients neurochirurgicaux si la chirurgie
doit être courte. Il n’est pas recommandé en raison de l’hypotension artérielle
qu’il induit. Son utilisation est réservée aux HIC réfractaires.
Les benzodiazépines ne permettent pas une induction rapide sans retentissement
tensionnel important.
La kétamine est en cours de réévaluation. En effet, l’augmentation de la PIC qui
contre-indiquait son utilisation dans l’HIC, semble liée à une augmentation de la
PaCO2. Ses qualités analgésiques et la stabilité tensionnelle qu’elle permet
pourraient relancer l’intérêt pour cet anesthésique.
- Choix du curare
L’induction du traumatisé crânien grave nécessite l’utilisation d’un curare. Il
améliore les conditions d’intubation, et évite les réactions motrices qui
augmentent la PIC. Aucun curare n’augmente la PIC.
Le suxaméthonium est le curare de référence dans ce contexte, puisque c’est le
seul à associer un faible délai d’action à une durée brève de curarisation.
L’augmentation de la PIC dont il serait responsable est actuellement remise en
cause.
Le rocuronium présente l’avantage d’un délai d’action court et peut être une
alter native, mais son effet prolongé est dangereux en cas de difficulté
d’intubation.
Les séquences d’induction qui associent le propofol à un morphinomimétique, et
permettent l’intubation trachéale sans curare, ne sont pas indiquées dans ce
contexte. L’estomac plein est en lui-même une limite à ces techniques. Les
posologies de propofol nécessaires, et le délai d’ouverture des cordes vocales
après induction, ne sont compatibles ni avec les impératifs d’induction en cas
d’estomac plein, ni avec les impératifs tensionnels à respecter chez le traumatisé
crânien.
- Choix d’un morphinomimetique
L’utilisation d’un morphinique n’est pas recommandée pour l’induction
anesthésique de patients à l’estomac plein en raison du risque d’inhalation. Mais
leur utilisation limite le retentissement tensionnel de l’intubation trachéale et
peut-être proposée en cas d’HIC, notamment en association à l’étomidate. Seuls
l’alfentanil et le rémifentanil ont une pharmacocinétique compatible avec une
séquence d’induction rapide. L’alfentanil a probablement moins de
retentissement sur la pression artérielle que le rémifentanil.
Le traumatisé crânien grave est donc un patient à l’estomac plein, dont
l’intubation est potentiellement difficile en raison du rachis cervical, et dont
l’induction anesthésique doit éviter la survenue d’ACSOS.
L’antibioprophylaxie obeit aux règles habituelles en fonction de la chirurgie.
2. 4. 2. Entretien de l’anesthesie :
Les anesthésiques utilisés doivent diminuer la CMRO2, diminuer la PIC, et
maintenir la PPC. Ils doivent garantir une excellente stabilité tensionnelle quel
que soit le stimulus chirurgical et préserver l’autorégulation cérébrale.
L’administration continue est préférable aux bolus qui diminuent la PAM et
peuvent augmenter la PIC.
Tous les morphinomimétiques (fentanyl, sufentanil, alfentanil, rémifentanil)
sont utilisables, aucun d’entre eux n’a démontré sa supériorité.
Le protoxyde d’azote est contre-indiqué, il entraîne une vasodilatation cérébrale
et une augmentation de la PIC.
Le sévoflurane est l’halogéné de prédilection. Il est faiblement vasodilatateur
cérébral, n’augmente pas la PIC à des valeurs cliniquement préjudiciables, et
préserve l’autorégulation cérébrale. Son utilisation est donc préférable à celle de
l’isoflurane. Comme le sévoflurane, le desflurane diminue la CMRO2 et
preserve la réactivité au CO2, mais il augmente davantage la PIC et n’est donc
pas recommandé.
Les benzodiazépines, et notamment le midazolam, possèdent toutes les qualités
recherchées.
L’étomidate n’est pas recommandé si l’administration doit être prolongée, en
raison de son retentissement sur la fonction surrénalienne. Il est par ailleurs
susceptible de majorer l’hypoxie tissulaire par vasoconstriction artérielle
cérébrale.
Le propofol diminue la PIC et la CMRO2, il préserve l’autorégulation.
La sédation et l’analgésie doivent être choisies en fonction des impératifs post-
opératoires. En effet, il faut opposer le patient dont on souhaite un réveil rapide,
au patient pour lequel la sédation et l’analgésie seront poursuivies en
réanimation.
2. 4. 3. Reanimation per opératoire :
Le remplissage vasculaire est souvent nécessaire pour maintenir la PPC, ou pour
compenser les pertes hydro-électrolytiques. La PPC doit être maintenue
supérieure ou égale à 70 mmHg, ce qui impose fréquemment l’obtention d’une
pression artérielle moyenne comprise entre 90 et 110 mmHg. La pression
artérielle systolique doit être supérieure à 90 mmHg.
La mesure de la pression veineuse centrale est utile, une PVC inférieure à 8 cm
H2O amène à poursuivre ce remplissage. Il doit être ralenti lorsque la PVC
augmente (supérieure à 8 cm H2O), et l’administration d’une catécholamine est
alors indiquée.
Les solutés utilisés ne doivent pas majorer l’œdème cérébral, les solutions
hypotoniques sont donc contre-indiquées (solutés glucosés, Ringer lactate). Le
sérum salé isotonique à 0,9 % est utilisé. Il peut être associé à des
macromolécules en cas d’hypovolémie, afin de limiter le volume des apports.
Les hydroxyéthylamidons 6 % peuvent être utilisés en première intention sous
réserve de respecter les quantités maximales autorisées. Les gélatines sont une
alternative, l’albumine n’a pas d’indication particulière dans ce contexte.
Le sérum salé hypertonique diminue la PIC et permet une expansion volémique
importante pour de faibles volumes perfusés. Son utilisation est envisagée en
association avec des macromolécules, mais reste à évaluer et ne saurait être
préconisée.
L’utilisation de médicaments vaso-actifs est souvent nécessaire si le remplissage
vasculaire est insuffisant. Dans ce cas, la perfusion d’un vasoconstricteur est la
règle. Sa mise en place doit être précoce, afin d’atteindre les objectifs
tensionnels rapidement, et afin de limiter la vitesse du remplissage vasculaire.
Elle permet le plus souvent de rétablir la PPC. Le remplissage est alors
poursuivi et permet d’utiliser les posologies minimales de catécholamines. La
noradrénaline est la catécholamine de référence, mais son administration doit
obéir à des règles strictes. Elle est injectée sans bolus par voie veineuse centrale
sur une voie qui lui est allouée. Les faibles posologies nécessaires imposent la
perfusion de sérum salé isotonique à un débit continu sur la même voie, afin
qu’elle reste perméable. L’efficacité de la noradrénaline peut masquer une
hypovolémie qui doit être corrigée.
La température doit être monitorée. Une hypothermie modérée (34 à 36° C) a un
effet protecteur cérébral, et certains utilisent cette propriété. En pratique, le
réchauffement jusqu’à 37°C n’est donc pas indispensable, à moins qu’un réveil
rapide soit souhaité. Une hypothermie importante peut altérer l’hémostase et
n’est pas souhaitable en période opératoire où lorsque le patient présente des
lésions potentiellement hémorragiques. L’hyperthermie doit être traitée.
L’hémoglobine doit être maintenue supérieure à 10 g/dL chez le traumatisé
crânien grave. Les troubles de l’hémostase doivent être corrigés et anticipés. La
transfusion obéit aux règles sanitaires habituelles.
La glycémie doit être contrôlée régulièrement et l’hyperglycémie, fréquente
dans ce contexte, doit être traitée par insulinothérapie.
La position proclive à 30° favorise le retour veineux est doit être utilisée si
possible. La mise d’un patient en décubitus dorsal strict, et a fortiori en
Trendelenburg peut engager le pronostic vital. La compression des jugulaires
par les liens de fixation de la sonde d’intubation ou de la sonde gastrique doit
être évitée. La rotation de la tête peut également diminuer le retour veineux et
augmenter la PIC.
La prévention systématique des crises d’épilepsie n’est pas indiquée.
L’anesthésie participe à cette prévention. La survenue de crises convulsives doit
faire appel à un traitement spécifique.
3. La période post-opératoire.
Le réveil du patient, doit se faire sous contrôle très rigoureux et après
réchauffement. L’évaluation de la conscience, des réactions motrices à la
stimulation, de même que les chiffres de PIC, vont déterminer le maintien du
patient ou non sous sédation.
Un réveil de qualité, avec des réactions motrices normales et une PIC basse
permettent l’extubation du patient.
La surveillance sera poursuivie pendant 24 à 48 heures au moins en milieu
spécialisé avec dans les suites une hospitalisation en salle d’un service de
neurochirurgie.
En revanche, l’absence de réveil ou l’existence de réactions motrices inadaptées,
devront aboutir à la réalisation d’un scanner cérébral en urgence. Les mesures de
neuro-réanimation, déjà décrites, devront être remises en route et poursuivies
tant que persiste l’HIC. Dans ces conditions et en l’absence de lésion
chirurgicale sur le scanner post-opératoire, le patient sera transféré en
réanimation.
4. Conclusion
L’anesthésie en neurochirurgie contribue d’une manière directe à la qualité du
geste chirurgical. La protection contre l’ischémie qu’elle confère au cerveau de
même que la détente cérébrale contribue largement à l’amélioration du pronostic
des patients.
La rigueur, la coordination, et la rapidité, de l’ensemble des intervenants autour
du patient, sont le garant d’une prise en charge optimale. Toute improvisation
peut s’avérer désastreuse.