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Le jeu en classe

Dossier coordonné par Yvana Ayme

Sommaire, n° 448, décembre 2006 - Édition au format PDF

CRAP-Cahiers pédagogiques, 10, rue Chevreul, 75011 Paris.


Tél. : 01‑43‑48‑22‑30 - Fax : 01‑43‑48‑53‑21
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Cercle de Recherche et d’Action Pédagogique


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À lire sur le site
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Michelle Ayme : Pour que chaque enfant trouve sa


place
Billet du mois : Patrick Lebigre et Fabienne Ledys : Le jeu sans
Hervé Hamon : Qu’est-ce qu’un bon ministre ? temps mort
Paroles du Crap : Assises de la pédagogie Laurent Tremel : Les jeux vidéo : outils
Actualités éducatives pédagogiques ou vecteurs de l’idéologie dominante ?
Odile Chenevez : Vers un B2i réactualisé Michel Arnaud, Mehdi Serdidi, Pierre Madiot :
Entretien avec Serge Boimare : Remettre en route la Controverse sur le rôle pédagogique des « jeux de
machine à penser rôles » (article paru dans notre numéro 396)
Florence Castincaud : Cap Canal, un nouveau départ 3- Objectifs spécifiques d’apprentissage
Jean-Pol Rocquet : La réserve du fonctionnaire, un Jean-Michel Faivre et Marcelle Pauvert : Se poser
droit, une obligation, une valeur ? les bonnes questions
À propos du décret sur les parents d’élèves… Entretien avec Didier Faradji : Calcul mental
Faride Hamana : Un travail d’adultes responsables et stratégie - Une mine d’émotions et d’énergie
intellectuelle
Anne Kherkove : De bonnes pratiques qui deviennent Joëlle Aden : To play, to act… perchance to learn ?
la règle pour tous Monique Ferrerons : Comprendre le commerce
mondial
DOSSIER : Le jeu en classe Marc Berthou : Je suis Marcus, plébéien
Éditorial : Le jeu en classe : point(s) Pauline Trachet : Dessine-moi un mouton, ou
d’interrogation(s) comment apprendre à lire un énoncé
Ronan Glemarec : Franchir le pas
1- Définitions et limites Béatrice Jouin : Jeu de l’oie et calcul littéral
Gilles Brougère : Parlons-nous vraiment Jacques Audebrand : Variantes autour d’un « brise-
de la même chose ? glace »
Laurent Lescouarch : L’impossible quête ? Yannick Mével : Mac Li a disparu
Blandine Turki : Faire semblant et jouer pour de Barbara Villez : En langues étrangères à l’université
vrai Martha Boeglin : Donner un langage à ce qui n’en a
Marc Berthou : Les jeux, mes collègues, pas
l’administration et moi… Marc Berthou : Un stage ludique, forcément !
Jean Houssaye : « C’est pas du jeu ! » Relecture, par Mario Asselin : « Jeu de mains, jeu
Chantal Barthélémy-Ruiz : Conseils pour marier de vilain ? »
l’eau et le feu Gilles Pedreno : Nous ne sommes pas tout seuls !
À lire sur le site Références bibliographiques
Évelyne Vauthier : Un mode d’apprentissage
Tire-livres
efficace
Anne Touzeau : La lecture comme jeu
Chantal Barthélémy-Ruiz : Le mariage de l’eau et
du feu ? Et chez toi, ça va ?
Françoise Bailly : On m’avait dit…
2- Compétences transversales et Marie-Annick Doremus : Ce jour-là
socialisation Catherine Caviale et Agnès Mahieu : Témoignages
Laurence Le Gallo : Doser subtilement plaisir et de jeunes professeurs des écoles
intérêt Florence Castincaud : Quand les élèves remontent le
Michael Nachon : De l’action au sens moral des profs
Monick Lebrun : À la maternelle, enfant ou élève ?
Marc Prouchet et Jean-Pierre Sautot : Une Faits et idées
indispensable liberté Daniel Favre : Émotion et cognition : un couple
Richard Mailhé et Marc Tabory : Pour instruire… inséparable
et pour éduquer Des livres pour nous
Carlo Bianchi : Cadre du jeu, cadre du travail :
quel transfert ?
Couverture : Mini la Caille
Philippe Meirieu : Le désir et la règle
Illustrations : Martin Vidberg
Billet du mois

Qu’est-ce qu’un bon ministre ?


Un ministre, finalement, est toujours décevant. S’il dérange, on le lui reproche. S’il ne
dérange rien, on le lui reproche. Mais à tout prendre, on préfère celui qui ne dérange
rien. L’excellent La Fontaine, là-dessus, avait tout dit.
Du côté des hommes politiques, la perception du ministère de l’Éducation nationale a

© DR
énormément changé. Le portefeuille était, jadis, considéré comme « technique », peu
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attrayant, peu porteur aussi. On savait la machine lourde et les syndicats puissants. Hervé Hamon,
Tout pour déplaire. Mais la démocratisation de l’accès au collège et l’investissement écrivain.
des familles, en période de crise sociale anxiogène, dans l’école et dans la quête de Auteur de
qualification pour les jeunes, ont modifié la donne. « Tant qu’il y
Ce ministère reste jugé périlleux, et il l’est. S’agissant d’éducation, la réaction des usa- aura des élèves
gers comme des personnels est terriblement impulsive, affective : on descend dans la » (Seuil, 2004).
rue d’abord, et on réfléchit après. Un candidat au poste doit savoir que, l’espace d’un
mandat, il connaîtra un jour ou l’autre manifestations et incidents.
Hors micro, il n’est, par exemple, pas un homme politique, en France, qui ne considère
que l’université a besoin d’une augmentation raisonnée des droits d’inscription. Tout
le monde le pense, tout le monde le sait, tout le monde s’accorde sur l’idée qu’il faut
revoir les systèmes d’aide et de bourses (là passeront les fractures programmatiques).
Il n’empêche : le premier candidat qui le dit risque la mort.
Le portefeuille de l’Éducation nationale a cependant d’autres attraits. D’abord le bud-
get. Le premier. Un ministre qui a cela en charge ne peut que peser lourd. Ensuite la
visibilité. L’école concerne tout un chacun. En cette saison où les carrières se font ou
se défont sur les plateaux de télévision, la chose n’est pas à négliger.
Rien ne sert de demander aux politiques de ne pas faire de politique. C’est une acti-
vité exténuante, dangereuse, où le temps file à une vitesse effrayante, spéciale. En
revanche, on a le droit de leur demander de le faire bien. On a même le droit de les
y aider.
Qu’est-ce, alors, qu’un bon ministre de l’Éducation nationale ?
Premièrement, quelqu’un de compétent et d’investi. Nous venons, sous le dernier
mandat de Jacques Chirac, de voir défiler trois ministres médiocres (je ne dis pas des
hommes médiocres). Que dirait-on d’un médecin ignorant des travaux et des recher-
ches ? Un ministre n’est pas un expert mais doit savoir solliciter l’expertise. Ceux-là se
sont crus libres de s’en passer.
Deuxièmement, quelqu’un qui met son ambition dans l’éducation même. Trop de poli-
tiques ont regardé la rue de Grenelle comme une simple étape. François Bayrou était
compétent. Mais il a agi le moins possible car, ce qui l’intéresse, c’est l’Élysée et rien
d’autre. Je suggère que nous introduisions dans la constitution un article stipulant
qu’un ancien ministre de l’Éducation nationale ne peut être candidat à la présidence.
Troisièmement, quelqu’un de calme, quelqu’un qui réussit à gérer le présent pour pen-
ser l’avenir. Claude Allègre, par exemple, a brassé beaucoup de bonnes idées. Mais les
bonnes idées n’avancent pas quand on sacrifie au plaisir narcissique de la formule à
l’emporte-pièce. Ses bonnes idées, au bout du compte, il les a fait reculer.
Ça existe pourtant, un bon ministre. À droite Christian Beullac, à gauche Alain Savary
– qu’on partage ou non leurs options idéologiques – ont agi avec conviction et avec
efficacité.
Oui, ça existe. Encore faut-il que, chez ceux d’en haut comme chez ceux d’en bas, on
en finisse avec les réflexes du camarade Pavlov.

Sommaire
Paroles du Crap
Assises de la pédagogie
organisées par le Crap-Cahiers pédagogiques
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RÉSISTER ET PROPOSER : IL FAUT CHANGER L’ÉCOLE !


à résister.» C’est ainsi que se terminait ce texte qui fut repris
À Paris, le samedi 3 février 2007 quelques jours plus tard dans Le Monde sous forme de pétition
La précédente année scolaire a vu beaucoup d’attaques contre que le Crap a signée.
la démocratie et contre l’école publique. La campagne pour Dans ce contexte, le Crap-Cahiers pédagogiques a eu l’idée d’or-
l’élection présidentielle est l’occasion de placer la scolarité au ganiser une grande manifestation pour fédérer les protesta-
cœur des débats dans une perspective de changement. tions et les actions contre ce qui est, pour nous, l’abandon de
Le 6 janvier dernier, Libération publiait un article cosigné par la démocratisation de l’école publique et la fin des efforts de
Samuel Johsua, Philippe Meirieu et Jean-Yves Rochex, cher- transformation progressiste du système éducatif français.
cheurs en sciences de l’éducation, ainsi qu’une vingtaine d’autres Les réflexions déboucheront sur des propositions concrètes
universitaires. Ce texte dénonçait, entre autres, une politique de qui seront transmises aux candidats pour l’élection présiden-
renoncement de la part du gouvernement en matière d’éduca- tielle. Elles mettront aussi en valeur les efforts de tous ceux qui
tion (apprentissage à 14 ans, mesures sur les ZEP à moyens font changer l’école dès maintenant, sur le terrain.
constants et donnant la priorité aux élèves et non plus aux zones). Nous avons souhaité y associer des organisations amies qui
«Quand cette politique s’accompagne d’une multitude d’autres renon- animeront des groupes de travail et, pour prolonger les
cements plus ponctuels mais tout aussi significatifs […], alors il n’est échanges, nous vous proposons le midi, sur place, un buffet
plus temps de s’inquiéter, il est urgent de chercher, par tous les moyens, que vous serez nombreux, nous l’espérons, à partager.

Groupes de travail :
Bulletin d’inscription à retourner à :
1 : Le métier d’enseignant (CRAP- CRAP-Cahiers pédagogiques,
Cahiers pédagogiques). 10 rue Chevreul, 75011 PARIS
Programme de la journée 2 : Démocratie/citoyenneté (FOEVEN). Nom,
3 : Coopération entre élèves (OCCE).
9 h 30 : Accueil à la mairie du 13e
arrondissement, Place d’Italie. 4 : Travailler en équipe pédagogique pour prénom :
changer l’école (ICEM-Pédagogie Freinet).
10 h 00 : Ouverture.
5 : Accompagnement à la scolarité (La
10 h 15 : Table ronde 1 suivie d’un profession :
Maison des enseignants).
débat « Résister et proposer » avec
Samuel Johsua, Françoise Lorcerie, 6 : Pédagogie des sciences : comment
Philippe Meirieu, Jean-Yves Rochex. changer (MATh. en. JEANS). Adresse :
Animation : Michel Tozzi. 7 : Ouvrir à la culture et au monde : tous
12 h 15 : Buffet. capables ! (GFEN).
13 h 45 : Groupes de travail animés 8 : Pôles d’excellence et école pour tous
par des associations amies. (Éducation et Devenir). Tél. et e-mail :
16 h 00 : Table ronde 2 suivie d’un 9 : Relations avec les parents (FCPE).
débat « Changer, c’est possible ! » 10 : Filles-garçons : ensemble à l’école Je souhaite m’inscrire aux Assises
avec Marie-Christine Chycki, Peggy (CEMEA). de la pédagogie du samedi 3 février
Colcanap, Gilbert Longhi, Xavier (inscription gratuite). Je prendrai le
11 : Quelle priorité en ZEP : diminuer le
Sorbe. Animation : Marie-Christine repas sur place : dans ce cas je joins
nombre d’élèves par classe ou changer
Ledu. un chèque de 20 € à l’ordre de
les pratiques ? (OZP).
18 h 00 : Clôture. CRAP-Cahiers pédagogiques :
12 : Ateliers-relais : une parenthèse pour
oui – non (rayer la mention inutile).
remobiliser le collégien (Ligue de
Groupes de travail choisis :
l’enseignement/FRANCAS/CEMEA).
Choix 1 : n°….. Choix 2 : n°…..
13 : Socle commun (Café Pédagogique).

Tous renseignements sur notre site ou au secrétariat des Cahiers pédagogiques, 01 43 48 22 30.

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 1
A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

INFOS - PUBLICATIONS

Comment motiver
les élèves ?
Vers un B2i réactualisé
Le dossier de juillet-octobre 2006 de On trouvera ici toutes les références aux textes récemment parus. Les nouveaux
la revue de l’OCCE Animation & Édu-
cation est consacré à la question de référentiels mettent l’accent sur d’intéressantes procédures de validation, espérons
la motivation et constitue un utile que le terrain et la formation suivront !
prolongement de notre numéro 429-
430 de février 2006. On y trouve
d’ailleurs des échos d’un travail en
Par arrêté du 14 juin 2006, paru au BOEN sable», et sont porteurs d’une réactualisation
atelier mené lors des Rencontres n° 29 du 20 juillet 2006, un nouveau référentiel des compétences liée à l’évolution des TIC
Crap, et d’intéressantes contributions définit les capacités et compétences exigibles dans la société. Ce qui en revanche reste flou,
de François Dubet, Philippe Meirieu, pour le B2i (brevet informatique et Internet), c’est le temps scolaire nécessaire pour assurer
Jacques Lévine, ainsi que la repro- et ceci aux trois niveaux de l’enseignement: le la formation qui va avec. Car il ne suffit pas
duction intégrale de la note du grou-
pe du Manifeste : « Faut-il vraiment niveau 1 pour le B2i école, niveau 2 pour le col- d’instaurer un système de validation très per-
s’ennuyer à l’école ? » Des expériences lège, et niveau 3 pour le lycée. Ce certificat est formant pour que les apprentissages soient
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nombreuses complètent ces textes de le support tangible de la validation des connais- effectifs…
réflexion, visant toutes à « rallumer la sances pour tout un «pilier» du socle commun.
flamme » lorsque celle-ci tend à De leur côté, pendant leur année de formation
s’éteindre.
Ce qui suppose, à terme, que tous les élèves à l’IUFM, les nouveaux enseignants se
scolarisés devront avoir acquis les compétences confrontent à un processus de certification
Site Internet : www.occe.coop
B2i niveau 2 à l’issue du collège, et que l’entrée similaire – avec feuille de position et validation
Enseigner le fait à l’université nécessitera l’acquisition du B2i par les formateurs –, ce qui entraîne les IUFM
religieux niveau 3. Tous les enseignants sont supposés à assurer ce qu’ils peuvent de formation, avec
participer à sa validation utilisant un logiciel ad peu ou pas d’heures dédiées, pour en per-
Rattaché à l’École pratique des
hautes études, l’IESR (Institut euro- hoc dans leur établissement. mettre l’acquisition. Une circulaire de généra-
péen en sciences des religions) a Une circulaire d’application est prévue très lisation du C2i2e (certificat informatique et
pour objectif de relier les centres prochainement, qui publiera les modèles natio- Internet niveau 2 enseignant) est parue au
d’étude trop déconnectés les uns des
autres, et de rapprocher pratique
naux de «feuilles de position» pour les trois BOEN n°33 du 14 septembre 2006. On trou-
pédagogique et recherche scienti- niveaux. On peut déjà en voir l’état au 15 sep- vera toutes les références et liens sur la page
fique. Actions de formation continue tembre sur le site Educnet. C2i2e du site Educnet. La plupart des sites des
pour les enseignants, rencontres IUFM proposent une rubrique C2i2e.
scientifiques dans un cadre euro-
Le processus de certification du B2i présente
péen, cycles de conférences, les l’intérêt non négligeable d’impliquer les élèves À propos des B2i et C2i, on consultera avec
actions menées convergent vers un dans la validation: le professeur valide une intérêt le dernier numéro (55) des «Dossiers de
même but : constituer dans un esprit compétence à la demande d’un élève. Les bre- l’ingénierie éducative», dont ce thème est le
rigoureusement laïque, un lieu d’ex- vets de la pédagogie Freinet procédaient déjà dossier principal.
pertise et de conseil sur la place et
l’impact des questions religieuses. ainsi. Les nouveaux référentiels semblent don-
ner plus d’importance à «l’attitude respon- Odile Chenevez
Programme complet des cycles de
formation : www.ephe.sorbonne.fr
(rubrique formation continue).

Parole, l’héritage Dolto


Ce film documentaire de Vincent
Blanchet retrace la chronique d’une
école différente, l’école de la
Neuville, qui développe une expéri-
mentation depuis 30 ans, la seule
Remettre en route la machine
promue par F. Dolto. C’est à la fois un
témoignage sur les apports de
F. Dolto aux questions éducatives et
à penser
l’occasion de balayer certaines inter-
prétations abusives des travaux de la
Entretien avec Serge Boimare
psychanalyste. Avec la participation
de Catherine Dolto, Caroline Éliacheff Serge Boimare est directeur pédagogique du CMPP (centre médico-psycho-
et Michel Plon. pédagogique) Claude Bernard à Paris. Ce centre accueille, avec leur famille, les
Informations sur le film : enfants et les adolescents en difficulté sur le plan affectif, relationnel ou sur le plan
http://www.parole-lheritage-
dolto.com scolaire. Nous l’avons rencontré pour l’interroger sur son approche de l’enfant qui
Sortie en salles : le 29 nov. 2006. « a peur d’apprendre et de penser » et les démarches qu’il met en place pour l’aider
Sortie DVD le 23 nov. 2006. à dépasser cette peur. Au-delà de son travail de soignant au CMPP, il intervient dans
des collèges ordinaires ainsi qu’en formation auprès des enseignants.
Ça t’apprendra à vivre,
Algérie janvier 1958, Que transférez-vous dans les classes ordinaires de coup d’évidence que leur difficulté d’appren-
France décembre 1958 ce que vous faites auprès des enfants qui viennent tissage est avant tout le résultat d’un empêche-
Le spectacle Ça t’apprendra à vivre a vous consulter? ment de penser. Cette idée est essentielle à
été créé du 8 au 19 novembre 2006, transmettre aux professeurs.
à l’Espace 44 à Lyon. C’est la seule Au centre Claude Bernard, je fais un travail de
œuvre autobiographique (éd. Denoël) psychopédagogue qui m’amène à rencontrer Si un jour nous voulons réduire l’échec sco-
de Jeanne Benameur qui a écrit dans régulièrement des adolescents qui sont au col- laire, je suis persuadé qu’il faudra cesser de
notre Cahier ZEP, sept. 2006. Une lège sans maîtriser les bases de la scolarité pri- regarder la difficulté d’apprentissage comme
occasion pour la compagnie La
Poursuite de continuer à explorer le
maire – ceux qui ne réussiront pas à avoir le étant la conséquence d’un manque de compé-
brevet des collèges. Ils me montrent avec beau- tence, d’un manque de motivation ou d’un

Sommaire
2 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

sous-entraînement. Deux fois sur trois, ce pos- qualifiée, bien au contraire. Les ressorts qui
théâtre-récit, et les voix innom-
tulat de départ qui semble pourtant en concor- aideront ces jeunes à renouer avec leur capacité brables et diverses des diasporas
dance avec notre observation quotidienne est à penser sont éminemment pédagogiques. Il venues d’Afrique. Un récit qui éclaire
faux. Deux fois sur trois ce postulat à partir faut les aider à affronter ces peurs qui parasi- la guerre, la colonisation et l’exil
duquel nous bâtissons quasiment toutes nos tent leur fonctionnement intellectuel en les d’une lumière singulière.
remédiations pédagogiques ne nous permet pas mettant en forme et en les universalisant grâce Des matinées scolaires (classe de 4e
d’appréhender les mécanismes qui sous-tendent à la culture. Quand je dis culture, je pense avant et 3e et toutes classes de lycées)
seront proposées les 23, 24 et
l’échec scolaire et encore moins d’y faire face. En tout à notre littérature et à notre histoire. Qui 25 janvier 2007, salle Garcin à
focalisant notre attention sur les lacunes, nous ne serait mieux placé que l’enseignant pour enga- Lyon 1, opération menée en partena-
voyons pas que ces enfants se coupent de leur ger ce travail de sublimation indispensable? riat avec la ville de Lyon. Pour les
capacité réflexive, nous ne voyons pas qu’ils ne Retrouver le désir de savoir, lorsqu’il est resté enseignants qui le souhaitent, la
font plus ces liaisons intérieur-extérieur indis- représentation pourra avoir un pro-
empêtré dans l’archaïque, le voyeurisme ou le longement en classe : rencontre avec
pensables à certains apprentissages. Nous ne sadisme, peut sembler délicat pour un profes- l’auteur Jeanne Benameur, et avec la
voyons pas qu’ils sous-utilisent leur capacité seur mais si, pour ce faire, il s’appuie sur les compagnie théâtrale.
imageante qui joue un rôle capital dans la fixa- textes fondateurs ou l’histoire de nos civilisa-
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Contact : compagnie La Poursuite


tion des savoirs fondamentaux. tions, il conserve son identité de pédagogue. au 04 78 28 98 35.
La raison essentielle de ce fonctionnement Vous parlez de mythes comme moyen de «réconci-
intellectuel tronqué est assez facile à repérer, Ressources
liation» de ces enfants avec le désir d’apprendre.
même dans une classe ordinaire. Le retour à Comment s’organise cette rencontre avec les mythes
pédagogiques autour
eux-mêmes, le passage par le monde interne, dans la classe? de Jules Verne
réactive chez ces adolescents des inquiétudes La célébration en 2005 du centenai-
parfois profondes et anciennes et des senti- Très concrètement, la rencontre avec les grands re de la mort de Jules Verne a été
ments de frustration intenses. C’est ce parasi- textes ne peut se faire qu’avec la lecture journa- l’occasion de faire découvrir (ou
tage qui empêche le jeu normal de la pensée et lière du professeur. Je préconise deux fois vingt redécouvrir) l’auteur français le plus
minutes tous les jours de la maternelle à la fin des lu et le plus traduit dans le monde.
qui est responsable de ces troubles du compor- Dans cette perspective, Lionel Dupuy,
tement qui se déclenchent spécifiquement années collège. Depuis que l’école existe, nous chargé de projets « Arts et culture »
dans la situation d’apprentissage. savons que l’échec scolaire s’alimente très préco- (CDDP des Pyrénées-Atlantiques) et
cement à deux sources. Le manque d’apport cul- passionné par l’œuvre de l’auteur, a
Comment les enseignants peuvent-ils, à leur place turel d’une part, et la sollicitation insuffisante de développé un site Internet qui pro-
de pédagogues, prendre en compte cette dimension l’expression personnelle d’autre part. Comment pose de nombreuses ressources
psychique? pédagogiques exploitables par les
imaginer que l’école ne soit pas pleinement enga- enseignants : dossier pédagogique
Avec les enfants et les adolescents qui sont
empêchés de penser, la pédagogie n’est pas dis- été le moins servis par leur éducation? …
gée dans cette mission d’étayage de ceux qui ont sur l’homme et son œuvre, exposi-
tion sur l’espace et le temps dans les
Voyages Extraordinaires, pistes péda-
gogiques, sélections de liens pour
une meilleure exploitation pédago-
gique de Jules Verne en classe.
L •’ •é •c •o •l •e • d •e c •h •a •r •b Contact : Lionel Dupuy, cddp64.arts-
culture@ac-bordeaux.fr

Agenda 2007 de la
solidarité internationale
Des associations de solidarité inter-
nationale (Ritimo, la Ligue des droits
de l’homme, Artisans du monde,
Peuples solidaires) et la revue
Alternatives économiques publient
un agenda pour célébrer des dates
symboliques pour l’humanité et les
grands rendez-vous solidaires de
2007 : Déclaration des droits de
l’homme, droit de vote des femmes,
journée mondiale de lutte contre le
Sida, semaine du développement
durable… En vente à partir du
1er octobre en librairies, dans les
centres des associations engagées ou
par correspondance à :
commandes@orcades.org.

Noël solidaire avec


Handicap International
Créée en 1982, Handicap International
est une organisation de solidarité
internationale, non gouvernementale à
but non lucratif. Elle est colauréate du
prix Nobel de la paix 1997. Son action
est centrée sur l’aide aux personnes
handicapées, leur insertion profession-
nelle, le respect de leurs droits fonda-
mentaux, les aides d’urgence en

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 3
A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

Les textes fondamentaux nous fournissent sans Sur quoi insisteriez-vous dans la formation des
situation de crise et la lutte contre les
mines antipersonnel et les bombes à aucun doute le meilleur support pour engager ce enseignants pour que cette démarche soit intégrée?
sous-munitions. Pour rassembler les travail de restauration de la pensée. Ils permet- Revenir aux fondamentaux de la pédagogie.
fonds nécessaires à son action, elle tent à ces enfants de mettre des mots, de donner Comment trouver la bonne distance relation-
propose son traditionnel «sac à sapin» une forme à ces inquiétudes, à ces frustrations
pour les fêtes de Noël. Disponible dès
nelle avec les élèves qui ne jouent pas le jeu de
le premier novembre dans les com-
qui les poussent à la rupture dès qu’ils sont remis l’apprentissage? Comment utiliser le désir de
merces. 1,30 € est reversé à l’associa- en cause. Ne laissons pas les adolescents seuls savoir quand il est resté accaparé par des pré-
tion sur le prix conseillé de cinq euros. face à leurs interrogations, elles ne peuvent pas occupations personnelles et infantiles?
être traitées seulement avec les pairs ou les
Journée de travail Je trouve regrettable que ces deux grandes
médias. C’est comme cela qu’elles débouchent
questions, qui marquent la carrière de tous les
de l’ADMEE-Europe sur des réponses simplistes qui font une place
professeurs qui travaillent dans des classes
Sous le titre général : Comment prépondérante à la violence et à la soumission de
hétérogènes, ne soient pas prises en considéra-
l’évaluation interroge-t-elle les l’autre. S’appuyer sur une histoire, comme un
démarches et processus d’analyse des tion dans la formation.
mythe, qui traite de ces questions fortes, en faire
pratiques professionnelles ? Cette un support pour favoriser l’expression person-
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journée aura lieu à l’IUFM de Propos recueillis par Marie-Christine Chycki.


Montpellier, le vendredi 26 janvier nelle et créer de l’énigme avant d’amener les
2007. Elle sera consacrée à la mise savoirs, est certainement la meilleure voie pour
en perspective évaluatrice des ana- redonner une chance à la pensée.
lyses de pratiques dans la formation
professionnelle initiale et continue. Il
s’agit de commencer à traiter la
question suivante : comment l’analy-
se des pratiques intègre-t-elle des
dispositifs d’évaluation ?
Inscriptions à réaliser auprès de :
Richard. Etienne@univ-montp3.fr
(objet : journée ADMEE).
Cap Canal, un nouveau départ
Cap Canal, chaîne éducative mise en place par la ville de Lyon en 1991 et jusqu’ici
Logiciel libre dédiée essentiellement aux enfants d’école primaire, à leurs parents et enseignants,
L’exposition Informatique : Vive la
liberté ! est le fruit des efforts met en place une nouvelle grille et devient la chaîne de l’éducation et de la
conjoints de la Ligue de l’enseigne- formation tout au long de la vie.
ment, d’Apitux et de l’association
Linux-Alpes pour contribuer à faire
connaître au plus grand nombre les
Dans un paysage audiovisuel marqué par l’em- Elles sont ensuite soumises à un collège d’ex-
possibilités offertes par le logiciel preinte de la publicité, la course effrénée à l’au- perts qui s’efforce d’apporter des réponses pra-
libre. Ce travail a reçu le soutien du dience, le traitement rapide et souvent superficiel tiques ou des pistes de réflexion. Outre la
conseil régional Provence-Alpes- de questions majeures pour notre époque, Cap diffusion antenne, un visionnage collectif est
Côte-d’Azur et du ministère de la Canal veut représenter une véritable alternative organisé avec les parents participants.
Jeunesse, des Sports et de la Vie
Associative. Cette exposition en dix
audiovisuelle. Une chaîne de service public, arti- L’émission Cap Sup, en partenariat avec le pôle
panneaux est mise à disposition gra- culée à l’Éducation nationale, mais aussi aux universitaire de Lyon, propose chaque mois la
cieusement sur le site de la Ligue de associations qui œuvrent dans le champ éducatif chronique d’un universitaire sur un sujet de
l’enseignement : et social. Elle vient d’engager en octobre 2006 son choix; un plateau consacré à une question
http://www.expolibre.org/ une évolution importante: des émissions pour vive avec des reportages, dans une visée tantôt
tous les publics (enfants, parents, enseignants, d’explication, tantôt de débat; le portrait d’un
La FCPE lance le site éducateurs, travailleurs, sociaux,etc.) et des «évé- chercheur ou d’un laboratoire; un reportage
Internet de son conseil nements» autour de ces émissions qui, outre leur sur la vie des établissements.
scientifique. diffusion sur le câble, seront disponibles par
Enfin, des «quinzaines thématiques» offrent un
La FCPE a mis en ligne le site Internet Internet et en DVD.
du conseil scientifique dont elle a
ensemble de films, documentaires et plateaux
Le public des enfants reste prioritaire avec la qui donnent une vision globale et permettent
impulsé la création en novembre der-
nier. Ce conseil scientifique, rassem- production de documentaires, des recréations d’aller plus loin dans l’information et la
blant des chercheurs, des experts et de spectacles vivants, des films d’animation. réflexion. En octobre: théâtre et éducation, en
des gens de terrain, tente d’apporter Ces films sont mis à disposition des ensei- janvier: les relations familles/école, en avril:
des réponses aux difficultés de l’éco- gnants sur les temps scolaires de l’école pri-
le. Le site se veut un lieu d’échanges
l’entrée dans le livre et la lecture.
maire mais ils peuvent également être vus dans
avec les parents d’élèves et aussi de
les familles à d’autres horaires. Ainsi la série Dans le projet de Cap Canal comme dans ses
publication de tous les travaux qui réalisations, on sent la volonté forte d’œuvrer
aideront ces derniers à se forger une «Lucie raconte l’histoire des sciences», huit
opinion sur le système éducatif. films de 24 minutes où Lucie la luciole raconte pour un service audiovisuel exigeant, accessible
Sectorisation, gratuité, discrimination aux enfants l’histoire des sciences, des origines sans démagogie, construit sur la richesse des
positive : une série de contributions à nos jours. rencontres et qui parie sur la durée: les émis-
sont déjà en ligne. sions constituent des ressources durables,
http://www.eduquerensemble.fr/ Cap Infos, magazine de l’école présenté par regardées à l’antenne, consultées sur Internet,
Philippe Meirieu, s’ouvre à des sujets sur le empruntées ou achetées puisqu’elles seront
GFEN : Dialogue n° 121 collège et le lycée: Pourquoi ne lisent-ils pas au bientôt disponibles en DVD.
Pour son numéro « Savoirs. Culture collège? L’enseignement professionnel n’est pas une
poubelle… L’orientation… On retrouve aussi Site: http://www.capcanal.com. Pour s’abon-
de paix de par le monde », Dialogue
a ouvert ses colonnes à l’interna- Philippe Meirieu dans Le magazine des familles: ner à la newsletter: capcanal@mairie-lyon.fr
tional. Comment articuler éthique avec ses invités, il répond à des questions enre-
et culture de paix avec des pra- Florence Castincaud
tiques concrètes d’éducation ?
gistrées auprès d’un groupe de parents dans
une école, un centre social, une bibliothèque.

Sommaire
4 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

La réserve du fonctionnaire, un Comment en finir avec l’auto-


exclusion, le mesurage forcené de
l’être humain, la servitude ? Des

droit, une obligation, une valeur? pratiques dans de nombreuses dis-


ciplines sont proposées. On peut y
lire aussi l’interview d’une auteure
et animatrice d’ateliers brésilienne,
Qu’est-ce donc que cette « obligation de réserve » opposée aux fonctionnaires qui un témoignage venu d’Inde après le
s’opposent à une décision officielle ? Un détour par les textes s’impose… Pour tsunami…
comprendre qu’il est souvent moins question de légalité que d’enjeux de pouvoir. Ce numéro revient également sur
les attaques faites au constructivis-
Fin d’année scolaire. Le jury académique chargé - Quelle est cette obligation de réserve? me pour comprendre sur quoi por-
de la titularisation des professeurs des écoles sta- tent les confusions et détaille les
- C’est un texte que vous devriez connaître, caractéristiques d’une recherche en
giaires se réunit au rectorat. C’est la seconde monsieur l’inspecteur. Comme vous devriez classe pour que le savoir puisse
réunion de ce jury, présidé par un inspecteur connaître ce qu’est l’évaluation, après tout, être construit dans une visée
d’académie, directeur des services départemen- c’est votre métier. Il tourne les talons et s’en va émancipatrice.
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taux (DSDEN), par délégation du recteur. On d’un pas pressé. Ainsi, c’est à moi de faire À commander au siège du GFEN,
m’a demandé d’inspecter une jeune stagiaire preuve de réserve. Je me sens inutile et humi- 14, avenue Spinoza, 94200 Ivry-
dont la validation avait été refusée par l’IUFM. sur-Seine.
lié. Ma compétence professionnelle est niée,
Je suis allé observer sa pratique en classe de CP. d’autant que l’IA met en cause mon savoir en
La conclusion de mon rapport est sans ambi- ICEM Pédagogie
évaluation1 ; elle est inutile, car ce que j’ai fait ne Freinet
guïté, je propose au recteur le licenciement. sert à rien. J’ai assez de distance pour recon-
Mon rapport est lu; le président est visiblement Le numéro 182 (octobre 2006) du
naître la vacuité des rituels bureaucratiques. Je Nouvel Éducateur propose un dossier
ennuyé. Il me demande si je ne suis pas un peu sens également qu’il s’est joué dans cette scène sur la classe : « Penser sa classe pour
sévère; il sollicite l’avis d’autres formateurs qui bien autre chose que la titularisation ou le licen- accueillir l’imprévu ». Préparer la clas-
ont connu cette stagiaire. Quelqu’un dit qu’elle ciement d’une enseignante. se, c’est recueillir l’expression brute
n’est pas aussi incompétente que le prétend le des enfants pour la façonner collecti-
rapport. Le président propose un vote; aupara- Des textes officiels ? vement, l’organiser, la structurer,
pour que chacun polisse ensuite sa
vant, il précise qu’il n’est pas partisan du licen- Je ne me suis jamais senti enclin à la réserve. propre pierre. La quotidienneté de la
ciement, sur la foi d’un seul rapport. Il votera Mais il paraît que c’est une obligation, et classe résiste toujours aux belles
pour la reconduction du stage en responsabilité comme le DSDEN y avait fait allusion, j’ai théories, aux grands préceptes, à la
à l’issue duquel un autre inspecteur ira de nou- difficulté à mettre en place les textes
cherché un texte qui en assurerait au moins la officiels. L’écart entre travail prescrit
veau «mesurer les progrès accomplis». Le vote légalité, sinon la légitimité. J’ai pu lire sur le site et travail réel est analysé à la lueur
conforte la proposition du président, malgré de la direction générale de l’administration et des pratiques réelles d’organisation
une forte abstention. Le président vient me de la fonction publique: «L’obligation de réserve et de préparation de la classe.
trouver, comme pour s’excuser. Je lui réponds : est une construction jurisprudentielle complexe qui - Site http://www.icem-pedagogie-
« C’est un vote qui décide, sans que quiconque, varie d’intensité en fonction de critères divers freinet.org
à part moi, n’ait rencontré cette personne. On (place du fonctionnaire dans la hiérarchie, cir-
pourrait s’épargner bien des peines si on votait constances dans lesquelles il s’est exprimé, modali- Céméa : vers
auparavant » et je lui dis que cette scène mérite- tés et formes de cette expression). C’est ainsi que le l’éducation nouvelle
rait d’être rapportée dans la presse. Conseil d’État a jugé de manière constante que Le dossier d’octobre (n° 524) de la
revue VEN est consacré à « La
- Mais ce n’est pas possible, ajoute-t-il, inquiet. l’obligation de réserve est particulièrement forte lecture : questions d’apprentissage ».
Tous les présents sont soumis au secret des pour les titulaires de hautes fonctions administra- Les Céméa ont réagi en leur temps,
délibérations et à l’obligation de réserve. tives…» L’interprétation m’incline à penser
… avec les autres mouvements pédago-
giques – dont le Crap –, à la poli-
tique de régression menée par le
ministre en la matière. Ce dossier
apporte leur contribution au débat
N O T R E P R O C H A I N N U M É R O Janvier 2007 — n° 449 dans le sens d’une approche globale
de l’apprentissage de la lecture.
Qu’est-ce qui fait changer l’école ? Site : http://www.cemea.asso.fr/

Coordonné par Richard Étienne et Michel Tozzi Étudier l’histoire récente nous permettra de faire
Concours de poésie
état d’un impact plus ou moins fort de diverses
La prolongation de la scolarité en 1958 a entraîné Créée fin 2005 par des professeurs de
mesures institutionnelles. Elles sont si nombreuses lettres, l’association A l’Ami Poème se
de facto la massification et la secondarisation de
que toutes ne pourront être présentes dans le dos- propose de promouvoir la poésie dans
tous les élèves en France, puis la création du col-
sier : les ZEP, la rénovation de l’enseignement les collèges de France. En 2005-2006,
lège unique en 1975. C’est cette école qui est
accusée par certains de s’être fourvoyée et par technologique, les TPE, les IDD, les PPCP, l’au- elle a organisé un concours national
tonomie des établissements, etc. Celles que nous d’écriture pour le niveau 6e ainsi que
d’autres de ne pas répondre encore suffisamment le prix lecture « Les Veilleurs de mots »,
à la détresse d’un dixième de ses élèves qui la évoquons devraient aider à situer le rôle nouveau
soutenu par le Printemps des poètes.
quittent sans diplôme et avec amertume. d’un ministère de l’Éducation nationale dont l’ac- Pour l’année 2006-2007, l’association
Dans ce dossier, nous ne prétendons pas traiter par tion faciliterait la transformation des pratiques et organise un concours local autour de
de grandes déclarations une question aussi diffi- l’amélioration des performances du système. Saint-Quentin, intitulé « Les
cile. L’école n’est pas seule dans cette affaire et Mais jamais une réforme n’abolira la capacité de Carillonneurs », pour le niveau 6e
la politique scolaire ne s’y décide pas ; mais elle changement des individus et des collectifs qui déve- (thème : les métamorphoses) ; un
loppent la citoyenneté, trouvent des démarches concours national pour le niveau 5e
ne peut non plus être dédouanée de toute res- (thème : le voyage).
ponsabilité dans la pérennisation de certains inédites pour permettre aux décrocheurs de se rac-
Pour plus d’informations, voir sur le
échecs. Il est donc important de combiner les crocher, développent l’aide personnalisée aux
site de l’association : http://alami-
dimensions qui s’entrecroisent dans la réalité des élèves… Toutes ces belles pages que continueront poeme.hautetfort.com.
transformations éducatives. à écrire les personnes et les groupes !

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 5
A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

que ma fonction n’est pas si «haute» que je sois Réserve et autonomie


lesite.tv assujetti à cette obligation. Je reste donc investi
France 5 et le Scérén-CNDP ont de ma liberté d’opinion. Certes, je reconnais La réserve peut être envisagée dans une autre
développé, avec le soutien du minis- que publier une affaire aussi ridicule est plus perspective. C’est aussi un droit, celui du fonc-
tère de l’Éducation nationale, un ser-
qu’une faute de goût. Mais de quel recours tionnaire de ne pas se sentir lié par une décision
vice éducatif de vidéos à la qui ne lui paraît pas légitime. Le fonctionnaire
demande : lesite. tv. Réservé aux éta- puis-je disposer? En appeler au recteur relève
blissements scolaires, ce site propose de la méconnaissance du système hiérarchique se met «en réserve», il se met en retrait sans
aux enseignants, documentalistes et dont la solidarité fonctionne un peu à la pour autant condamner la décision. C’est par
élèves d’utiliser, en classe ou au CDI,
manière de «l’amitié féodale» qui lie le suzerain exemple, la réserve qu’on peut avoir à l’usage
de courtes séquences audiovisuelles qui est fait des indicateurs de pilotage: évalua-
éducatives. Depuis 2003, lesite. tv ne à son vassal2. Mais le silence n’est-il pas aussi
cesse de s’enrichir. À l’occasion du coupable? tions, Signa, etc. Cette réserve se comprend
Salon de l’éducation, il ouvrira une également dans une perspective évaluative. Par
rubrique physique-chimie et, en fin
On pourrait croire l’affaire exceptionnelle, exemple, en se plaçant dans la temporalité, il
d’année, des informations sur mais elle n’est que banale dans une institution s’agit de savoir ce que va donner l’application
l’orientation. Chaque mois, une vidéo peu fidèle aux textes qu’elle produit. Trop d’une disposition qui est a priori contestable ou
et ses documents d’accompagne- nombreuses et contradictoires, les normes sont
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ment sont en libre accès. difficilement réalisable. Aucun inspecteur n’a


fixées par usage et par commandement direct, contraint les enseignants à travailler en cycles.
Pour en savoir plus : au gré de quiconque se croit en position de le
http://www.lesite.tv/ C’était pourtant l’organisation de la scolarité
faire. La déconcentration a eu pour effet de res- voulue par la loi d’orientation de 1989, mais
EducMed : Salon euro taurer les prérogatives d’un ordre hiérarchique. cette mesure est vite apparue inapplicable, dans
Dans cet ordre, la loyauté est synonyme
méditerranéen d’obéissance et de déférence3. Plutôt qu’au
les faits.
des outils et systèmes texte ou au service public, la loyauté est due au Quant à la réserve, considérée comme attitude,
pour l’éducation supérieur.4 Parmi toutes ces dérives qui préci- elle relève de l’usage et des codes comporte-
et la formation pitent le déclin d’une institution, on pourrait mentaux. La réserve est une «vertu» qui relève
Ce salon se tiendra du 21 au 23 mars citer celles de la gestion des moyens qui réduit de la pudeur. C’est également dans sa version
2007 au Parc des Expositions de la formation continue, l’enseignement des psychologique un synonyme de timidité.
Montpellier. Salon professionnel,
EducMed s’adresse aux prescripteurs langues vivantes, la municipalisation de l’en- Quelle que soit son acception, la réserve n’ap-
et décisionnaires : collectivités, seignement primaire, les programmes qui ne paraît guère comme une valeur de la seconde
enseignants, chefs d’établissement, sont pas appliqués et l’illusion de la mixité. modernité. Quand on en appelle à la transpa-
responsables de formation, orga- Faut-il taire par réserve que la lecture ne se rence, à la prise de risque, quand on condamne
nismes de formation continue, ins-
pecteurs… Pour sa deuxième édition,
réduit pas à la méthode syllabique? les officines et les coups fourrés, la réserve est
il ciblera l’enseignement secondaire
(collèges et lycées) mais également
le supérieur (prépas, IUT, universités,
IUFM…) en France et dans les pays
du pourtour méditerranéen. Il offrira APPEL À CONTRIBUTIONS
un éventail de secteurs proposant
des outils et systèmes pour l’ensei-
gnement technique et professionnel,
les TICE, les langues, l’enseignement
Piloter et faire vivre un établissement
scientifique…
Site web : www.educmed-expo.com
scolaire dossier coordonné par Christian Frin et Jacques Piron
Les réponses à la lutte contre les échecs sco- nombre, l’appropriation d’outils de négociation,
Comprendre pour agir laires dépendent bien plus souvent d’une dyna- l’évaluation des dispositifs ?
Orcades (organisation pour la mique locale et originale que de démarches Quels sont les outils qui permettent d’expliciter
recherche, la communication et l’ac- standardisées, même si aucun établissement les priorités que l’établissement s’est fixées et
tion en faveur du développement n’est efficace à part entière. Il ne sera donc pas
solidaire) est une association d’édu- de rendre compte des actions menées au regard
question, dans le dossier que nous préparons, des attendus envisagés ?
cation au développement, basée à
Poitiers, qui s’est donné comme prin- de changement pour le changement, mais d’une
Quelles garanties de qualité du service public
cipaux objectifs l’information, la for- recherche de sens pour diriger.
d’éducation pouvons-nous donner aux familles
mation et l’éducation de divers Là est la marge d’autonomie de ce qu’on appelle en construisant des dispositifs d’enseignement
publics sur les enjeux du développe- maintenant un ÉPLE (établissement public local
ment et les relations nord-sud. Elle qui répondent au souci de démocratisation du
d’enseignement): identifier en son sein les leviers système scolaire ?
propose un fonds documentaire
important disponible à la média- possibles du changement, donner du sens aux
Entre un dispositif d’intérêt général et la sin-
thèque François Mitterrand de actions collectives, faire que les professionnels
gularité des acteurs, quels modes d’actions pour
Poitiers : près de 2 500 ouvrages qui y travaillent se sentent responsabilisés. Ainsi
le chef d’établissement ?
consacrés aux pays en développement doit-on pouvoir lire dans un projet d’établisse-
et aux relations nord-sud ; mais aussi ment le « vécu » d’une communauté éducative Comment faire évoluer nos pratiques profes-
des revues et des dossiers dans son qui sait partager et négocier. sionnelles pour répondre aux enjeux institu-
centre de documentation, au 6 bis, tionnels définis dans le cadre de la politique
rue Albin Haller, zone République II, à Comment faire vivre un établissement en ce
éducative de l’établissement ?
Poitiers. Elle édite un important cata- sens ? Diriger un établissement scolaire au quo-
logue de productions éducatives : tidien est une tâche compliquée mais le pilo- Heureusement, on peut se dire avec Picasso
développement durable, environne- ter est encore plus complexe… que « si l’on sait exactement ce que l’on veut
ment, emploi, et aussi alimentation, faire, à quoi bon le faire ? »… Nous attendons
droits des enfants, racisme… (cata-
Comment éclairer ce que « piloter un établis-
donc vos contributions, témoignages, récits de
logue envoyé sur simple demande). sement » signifie lorsqu’on cherche à promou-
pratiques… sur les questions ci-dessus, et sur
voir le « pédagogique » ?
Site : www.orcades.org. ; e.mail : bien d’autres sans doute !
infos@orcades.org Comment mettre en œuvre des modes de tra-
vail qui recueillent l’implication du plus grand christian.frin@club-internet.fr

Sommaire
6 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

plutôt dévaluée. Elle s’oppose à l’autonomie conçue comme la quand obligation est faite d’attirer l’attention sur les effets des
liberté limitée par les textes. dérives personnelles. Il est évident qu’en évoquant l’obligation
Malheureusement la notion d’autonomie est actuellement de réserve, des politiques, mais aussi des administratifs et les
revendiquée et dévoyée par certains personnels de l’Éducation conservateurs de tout poil signifient l’obéissance qu’ils estiment
nationale qui s’estiment libres, refusent d’appliquer les pro- qu’on leur doit. Mais ce que nous leur opposons n’est pas la
grammes, se moquent ouvertement des textes ou les ignorent. désobéissance, c’est la résistance. Ce sont deux conceptions de
Ils sont dans l’idéologie. En réalité, cette liberté totale est la pire l’organisation de l’école qui s’opposent, radicalement.
des servitudes quand elle est dictée par les lobbies, par les son-
Jean-Pol Rocquet, IEN retraité
dages ou par l’extrême dépendance au chef.
La loi, les normes explicites garantissent le jeu autonome des
acteurs. Les textes qu’on juge contraignants sont en réalité le
1 Le DSDEN confond contrôle et évaluation, mais son statut lui permet de faire
cadre dans lequel il est permis d’agir, et ces textes autorisent comme si son savoir était supérieur au mien.
beaucoup plus qu’on ne croit. Les programmes de cycle 2, en 2 « Horizontalement, (l’amitié qui obligeait) maintenait la paix entre les pairs ;
matière de lecture garantissent l’autonomie des enseignants et verticalement, elle astreignait à révérence au-dessus de soi, à bienveillance au-
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dessous ». Duby G., Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde.


des inspecteurs, en même temps qu’ils garantissent la valeur et 1984.
la légalité des pratiques. On ne peut en dire autant d’un ministre. 3 Cf. le texte de Gauzente G., La loyauté de l’IEN est-elle un obstacle à l’exer-
cice de son métier ?, site « métiers d’IEN ».- http://crdp.ac-reims.fr/ien
Si je souhaite ériger l’autonomie en valeur fondatrice du métier
4 Bien évidemment, chacun feint de croire que le texte et le supérieur se fon-
d’enseignant et d’inspecteur, alors je peux m’affranchir de l’obli- dent dans le service public. Ce qui surprend surtout c’est l’ignorance des textes
gation de réserve. En tant qu’inspecteur, je sors de la réserve de la part de ceux qui ont pouvoir de décision.

À propos du décret sur les parents d’élèves…


Sur ce texte récemment paru (décret n° 2006-935 du 28 juillet 2006), nous avons demandé leur avis à la FCPE et à
la PEEP : qu’apporte ce nouveau texte ? Qu’est-ce qui a motivé leur approbation et malgré quelles insuffisances ou
réserves? Comment convaincre les enseignants, s’ils sont de bonne volonté, que ça n’est pas fait «contre eux»? Allons-
nous vers un «partenariat» véritable?

Un travail d’adultes responsables


Il y a dix-sept ans que les fédérations de parents d’élèves atten- former et être formé sur le fonctionnement de l’école notam-
daient un texte de nature réglementaire concernant les rela- ment lors de l’entrée en maternelle, du passage en CP, en 6e et
tions entre les parents et l’école. Ce texte a été construit sur le en 2de.
fondement d’une relation de confiance entre les enseignants et L’intérêt du présent texte est de nouer des relations claires
les parents dans l’intérêt de l’enfant. Il harmonise des pra- entre les parents et les enseignants reposant sur la confiance
tiques existantes et les généralise de façon plus institutionnelle. réciproque. Les parents demandent à comprendre ce que fait
Parmi les points les plus marquants: l’obligation d’organiser leur enfant à l’école pour mieux l’aider à la maison. C’est
en plus d’une réunion de rentrée avec les parents des élèves d’ailleurs ce que demandent les enseignants eux-mêmes
nouvellement inscrits, deux réunions entre les parents et les quand ils sont parents d’élèves. «Un bon dialogue», c’est s’as-
enseignants (rencontres collectives ou individuelles). Les surer que l’on répond aux questions des parents, cela relève
horaires des réunions et des instances où siègent les parents des compétences de l’enseignant et donc de son professionna-
élus sont fixés de manière à leur permettre d’y participer. lisme. Les parents doivent pouvoir comprendre ce que fait
Enfin, il garantit un véritable droit d’expression en permettant l’enseignant, cela leur permet de le soutenir dans le cadre de
la diffusion des documents aussi bien pour les associations que ses projets pédagogiques.
pour les parents élus. Ce décret nous aligne sur le droit com- Il n’y a pas d’enjeu de pouvoir, pas de forteresse assiégée. Il
mun de la presse et nous obtenons enfin le même droit d’ex-
s’agit simplement d’un travail d’adultes responsables pour
pression que les lycéens!
permettre à l’enfant de s’épanouir à l’école, d’apprendre. Il
Enfin, le rôle de médiation des fédérations de parents d’élèves s’agit de lui donner les instruments lui permettant de
est reconnu. construire son propre chemin dans sa vie.
Néanmoins, nous regrettons que ce décret n’aborde pas le rôle
institutionnel des parents élus dans les instances académiques Faride Hamana, président national FCPE.
et en particulier un congé rémunéré pour pouvoir mieux ins- Voir sur http://www.eduquerensemble.fr/le conseil scientifique
truire les dossiers et mieux représenter, informer et former les créé en 2005 par la FCPE pour apporter, à travers la communi-
parents d’élèves. Nous revendiquons, en effet, le droit pour cation de travaux de recherche et d’actions sur le terrain, des
chaque parent de disposer de jours de congé pour pouvoir s’in- réponses positives aux difficultés de l’école.

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 7
A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

À propos du décret sur les parents d’élèves…


De bonnes pratiques qui deviennent
la règle pour tous
La fédération PEEP, depuis sa création, a revendiqué l’impor- aux parents d’élèves, associations de parents d’élèves et aux
tance d’une participation active des parents à la vie de l’école, représentants de parents d’élèves vont homogénéiser les choses
condition nécessaire à la réussite des enfants à l’école. Le sur un rythme de rencontres et d’échanges qui nous paraît satis-
décret sur la place des parents est un texte important car il ins- faisant, et à des horaires compatibles avec ceux des parents.
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crit dans le code de l’éducation le droit prioritaire des parents La question concerne également les relations avec les représen-
à l’information concernant la scolarité de leur(s) enfant(s). Son tants de parents que nous sommes et là, nous progressons. Il y a
importance réside également dans le fait de la reconnaissance encore ici ou là des responsables d’établissements qui pensent
des apports constructifs des parents fédérés. que les parents n’ont rien à faire dans les établissements scolaires
Le décret donne obligation aux établissements d’organiser des mais fort heureusement leur nombre diminue. Nous espérons
réunions à destination des parents dont l’enfant est nouvelle- que la place des parents, premiers éducateurs des enfants, ira en
ment inscrit dans l’établissement: cela leur permettra de faire grandissant dans l’école. Nous ne souhaitons pas remplacer les
connaissance avec une partie de l’équipe éducative; et à desti- enseignants mais tout le monde commence à voir que la réussite
nation de tous les parents sous forme de deux réunions par doit être évaluée par ceux qui en sont les «bénéficiaires» directs,
classe, individuelle ou collective, deux fois par an. Les parents les enfants et les parents et nous souhaitons pouvoir un jour nous
doivent aussi être informés régulièrement des résultats et du impliquer dans ce chantier important qui est à nos yeux une des
comportement scolaires de leur enfant. étapes obligée d’une mutation de l’enseignement en France.
Ces bonnes pratiques, appliquées dans certains établissements, Nous pensons par ailleurs que, si ce décret affirme des droits,
deviennent donc la règle pour tous. Les relations entre école et il ne va pas sans un corollaire tout aussi important, à savoir les
parents sont, sans être excellentes, d’un bon niveau (87 % des devoirs des parents. Les conditions d’un dialogue fructueux,
parents ont une perception plutôt positive de leurs relations avec dans un seul et unique but, la réussite de tous les élèves, ne se
les enseignants selon le 23e observatoire de la PEEP). La plupart feront que sur cette base.
des parents s’estiment suffisamment informés et ne ressentent
pas de difficultés majeures pour rencontrer les enseignants, sauf Anne Kherkove, présidente de la PEEP.
en ce qui concerne les horaires. Le décret et la circulaire relatifs

Courrier des lecteurs


Un lecteur nous écrit au sujet de notre dossier 446, «Le numérique On ne peut lire que des mots, et aussi des structures grammati-
à l’école». cales, textuelles et stylistiques que l’on possède dans ses dic-
Bonjour, tionnaires internes, ceux de la langue orale. Il est donc nécessaire
de doter tous les enfants, et le plus tôt possible d’une «haute
Le dossier sur le numérique à l’école est excellent. En tant que
langue orale» et c’est l’objet de mon livre de dire comment.
documentaliste, j’en fais une publicité auprès de tous mes col-
lègues, ne serait-ce que pour leur montrer que ce que je leur ai La maîtrise d’une langue orale de qualité est vitale pour lire, créer
expliqué pendant la prérentrée au sujet des représentations du sens, penser, comprendre les manuels et ce que disent les
d’Internet n’est pas né dans mon imagination. Mais quel dom- maîtres. Il faut donc nourrir les enfants par l’oreille très tôt, d’une
mage de ne pas avoir de contribution de professeur documenta- langue très riche et profiter des formidables capacités de rétention
liste! Cela manque vraiment car ce dossier semble fait pour nous! qu’ils ont au cours de leurs sept premières années. L’écrit proposé
doit être varié, et aussi polysémique et utilisant les langages sym-
Cordialement,
boliques, requérant une interprétation, faisant appel à la fiction et
Johann Jambu, professeur documentaliste, lycée Niepce, non à la vie quotidienne. Pour ce qui est de la haute langue orale,
Chalon-sur-Saône. la poésie, les textes théâtraux, les textes de la tradition orale consti-
tuent un excellent corpus qui permet de transmettre à tous les
Un lecteur, enseignant retraité, nous écrit à propos des débats sur la enfants la clef indispensable de la culture et des savoirs.
lecture. Le rôle de tous les «transmetteurs de langue» est donc très
[…] La lecture n’est pas une compétence qui se réduit à l’in- important et il faut qu’ils en prennent conscience, les parents
terprétation de graphèmes. C’est un acte beaucoup plus géné- en premier lieu […] L’espace de la parole est un lieu de liberté
ral. On lit une carte, on lit un paysage, on lit un sentiment sur et la maîtriser une source de pouvoir. Il faut aussi transmettre
un visage: on crée du sens, on ne se contente pas de décoder. cette maîtrise aux enfants. Or, si on apprend à lire-écrire, on
De manière plus générale, on lit constamment des milliers enseigne peu l’écouter-dire…
d’indices qui nous permettent d’interpréter le monde. Cette
Christian Montelle, La Parole contre l’échec scolaire - La haute
capacité de repérer des indices, de les décoder et de les inter- langue orale, l’Harmattan, 2005. moncri@wanadoo.fr
préter dans le monde qui nous entoure, il faut la développer
très précocement chez les enfants. […]

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8 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
dossier
Le jeu en classe
Coordonné par Yvana Ayme
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«L’homme est une création du désir, non pas une création du besoin.»
(Bachelard, La psychanalyse du feu, 1938)

Sommaire
Éditorial
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Le jeu en classe: point(s) d’interrogation(s)


Yvana Ayme

Ludique: le terme est servi à toutes les sauces, pour les jouets L’heure de la revanche a sonné, les renforts arrivent. Les
bien sûr mais aussi les courbes de voiture, les concepts com- domaines disciplinaires entrent dans le jeu. Quelles disci-
merciaux, les sites Internet et bien d’autres «indispensables» plines? Si les programmes et une sorte d’élan naturel canton-
de notre époque. Dans la forme ou la démarche, les nouveau- nent le jeu à l’éducation physique et sportive, les autres
tés se revendiquent ludiques. Indéniablement, le jeu fait par- disciplines se sont laissé tenter par la démarche. Le jeu pour-
tie de notre société. Et en classe? rait permettre d’atteindre des objectifs spécifiques d’appren-
Si on le définit comme «une dépense d’activités physiques ou men- tissage? En Maths? Géographie? Anglais? Philosophie? Des
tales qui n’a pas de but immédiatement utile, ni même de but défini, comptes rendus d’expérience, des analyses didactiques nous
et dont la seule raison d’être, pour la conscience de celui qui s’y livre, accompagneront dans cette découverte du champ des pos-
est le plaisir même qu’il y trouve1.», a-t-il sa place alors au sein de sibles.
lieux dont la vocation première est de travailler? Et si nous Ce dossier se veut un état des lieux et un début de réflexion sur
l’utilisons en classe, qu’est-ce que cela apporte? À nous? Aux le sujet, bref un point sur les interrogations. La démarche n’est
élèves? À nos pratiques de classe? Et puis, dans quels ni utopiste ni vaine. Des stages IUFM sur l’apprentissage par
domaines? Et surtout comment? Des points d’interrogation, le jeu sont organisés, nos confrères canadiens s’y intéressent
nous allons en rencontrer beaucoup dans ce dossier. Celui-ci, au même titre que nous et ce dossier montre la richesse de cette
d’ailleurs, n’y apportera pas de réponses précises mais des approche. Le jeu en classe est simplement à employer à bon
pistes de réflexion pour se poser d’autres questions, inlassa- escient. Il faut y réfléchir, s’y former, s’enrichir des autres pra-
blement…: le propre de la pédagogie. tiques, le tester, y retravailler et l’adapter comme pour toute
Les difficultés apparaissent dès qu’on tente une définition autre option pédagogique. Il suffit de voir la fréquentation des
unique et cadrée. Jacques Henriot écrivait: «Le jeu est une chose espaces dédiés ou la quantité de propositions pour ce dossier,
dont chacun parle, que tous considèrent comme évidente et que per- pour être convaincu que nous sommes face à une réalité: point
sonne ne parvient à définir2.» Non, ce n’est pas simple de savoir d’interrogations! L’Homo Ludens3 est dans la classe.
si un quiz est un jeu, de distinguer un enfant qui joue à comp-
ter sa fortune et un enfant qui compte sa fortune, de savoir si Yvana Ayme, animatrice et formatrice spécialisée dans les
un enfant qui gagne des bons points et les collectionne joue, de pédagogies ludiques, association Permis de Jouer.
comprendre la différence entre le jeu, le jeu éducatif, le jeu
pédagogique et le jeu libre. La première partie de ce dossier se
propose de nous éclairer sur ces questions. Elle nous aidera à
mieux cerner le jeu, ses spécificités et sa relation avec la classe.
Nouvelle partie, nouvelle donne. Pourquoi introduire le jeu en
classe? À l’instar de Freinet, pour qui «baser toute une péda-
gogie sur le jeu, c’est admettre implicitement que le travail est
impuissant à assurer l’éducation des jeunes générations», nous
sommes en droit de nous questionner sur la pertinence péda-
gogique d’une telle pratique. Les auteurs de cette partie nous
1 A. Lalande, (1968) Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris,
amènent à réfléchir sur les rapports entre le jeu, les jouets, l’en- Presse Universitaire de France.
seignant, les individus et le groupe. Portrait d’une méthode 2 J. Henriot, (1989) Sous couleur de jouer, La métaphore ludique, Paris, José Corti.
pour éduquer, pour instruire. 3 Y. Huizinga, (1951) Homo Ludens, Paris, Gallimard.

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10 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
1- Définitions et limites
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Parlons-nous vraiment de la
même chose ? Entretien avec Gilles Brougère
Parler de « jeu » ou de « ludique » est bien commode, définir ce qu’on entend par là l’est beaucoup moins ! Il
faut pourtant savoir ce que l’on fait sans se cacher derrière les mots. Pour y voir plus clair, nous avons interrogé
Gilles Brougère, responsable du DESS en sciences du jeu (université Paris 13) qui travaille sur les liens entre
jeu et éducation.

Dans «Jouer/Apprendre», vous expliquez Il est des polysémies plus complexes à substitution du terme ludique, adjectif
que le mot «jeu» renvoie à différents réduire et plus intéressantes, celles qui savant construit en référence au latin,
niveaux de signification. Comment l’expli- utilisent «jeu» ou «jouer» pour désigner conduirait à produire un sens nouveau.
quez-vous? des activités variées dont on peut se Je ne le crois pas et je ne trouve rien qui
Tous les mots sont polysémiques et leur demander en quoi elles sont semblables, permette d’en donner la preuve. En
usage ne renvoie que rarement aux exi- si elles ont quelque chose de commun. revanche le terme «ludique» appliqué à
gences d’une langue scientifique qui ferait Qu’y a-t-il de commun entre l’enfant qui des réalités différentes conduit souvent
que chaque terme serait étroitement déli- jette ses jouets par-dessus son berceau et à un usage vague signifiant que c’est un
mité; cela est vrai de «jeu». Cette polysé- le joueur professionnel lors d’un match peu du jeu, sans en être complètement.
mie peut être, non pas réduite, car elle est de football? C’est une question impor- On comprendra aisément qu’il ne s’agit
nécessaire au langage ordinaire, mais ana- tante qui ne peut être résolue en présup- pas d’un emploi scientifique, mais plu-
lysée. Je l’ai fait de façon plus approfondie posant que le mot commun implique tôt d’une stratégie d’acteur pour faire
dans un précédent ouvrage, Jeu et éduca- quelque chose qui serait de l’ordre d’une avec des situations d’entre-deux.
tion (L’Harmattan, 1995). Une première essence commune. Et s’il n’y avait de À défaut de définir le jeu, je me propose
dimension de cette pluralité de sens ren- commun que l’usage du mot? C’est à par- de déterminer des critères ou caractéris-
voie à ce que l’on peut appeler les diffé- tir de cela que je mène l’enquête pour tiques qui permettent d’analyser les
rents niveaux de signification qui ne comprendre le jeu dans les sociétés situations créditées des termes «jeu» ou
posent pas de problème de repérage, contemporaines, en traquant autant ce «ludique». Il ne s’agit pas d’une défini-
même si certains usages peuvent conduire qui est commun que ce qui est différent. tion dans la mesure où la présence des
à passer insensiblement d’un niveau à Je me refuse à définir le mot jeu, prenant cinq critères ne délimite pas ce qui s’ap-
l’autre. En effet «jeu» se dit du matériel comme point de départ la diversité des pellerait légitimement une telle activité.
(jeu de cartes, de construction, etc.), des usages, et essayant de penser les logiques On peut au contraire comprendre que la
principes ludiques sous-jacents ou du sys- sociales sous-jacentes à l’usage d’un seule présence d’un critère puisse
tème de règles en partie indépendant du même mot pour des réalités différentes. conduire dans certaines circonstances
matériel (jeu d’échec, jeu du ballon pri- Qu’est-ce qui définit une activité ludique? les acteurs à parler de jeu. Mais pour
sonnier, etc.), de l’activité à laquelle on se Je ne définis pas plus cette expression celui qui tente de saisir les logiques, cela
livre quand on joue. Dans le dernier cas qui pour moi est synonyme de jeu dans permet d’analyser les pratiques.
qui est l’objet de mon livre, j’ai utilisé le son troisième niveau, celui, bien évi- Ces cinq critères sont les suivants.
verbe «jouer» pour éviter toute confusion, demment, de l’activité. Son emploi évite Le second degré, ce qui conduit le jeu à
mais il est assez facile de distinguer les de confondre «jeu» avec un objet ou un être une situation à laquelle les acteurs
usages qui visent les trois différents système de règles, mais ne dit rien de engagés confèrent une autre significa-
niveaux. plus que «jeu» sauf à supposer que la tion que celle liée aux comportements

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 11
DOSSIER Le jeu en classe

utilisés. Ainsi, un jeu de bagarre n’est loin de l’appréhender de manière uni- Ainsi, les notions de «jeu éducatif», «jeu
pas une bagarre même si la grammaire voque, mais il semble difficile de trouver pédagogique», sont considérées comme
comportementale utilisée est semblable. un modèle d’analyse qui permette de désignant des artefacts. Ce sont des pro-
Le sens en est différent dans la mesure penser les relations entre jouer et duits culturels complexes, associant des
où les êtres qui jouent ne lui donnent pas apprendre sans tomber dans le mythe.. caractéristiques propres au jeu (mais pas
une signification de bagarre mais de faire J’ai proposé une approche en recourant toutes) et des caractéristiques propres à
semblant. à la notion d’éducation informelle, m’ap- l’exercice scolaire, selon des modalités
La présence d’une décision, non seulement puyant sur de nouvelles conceptions de très variables. Il ne faut pas croire que l’on
celle de jouer ou d’entrer dans le jeu, l’apprentissage autour du paradigme de y trouvera du jeu au sens où le vocable est
mais le fait que le jeu n’est qu’une suc- la participation. Mais il s’agit de pers- utilisé quand il s’agit du loisir des enfants
cession de décisions et disparaît de facto pectives qui sont encore loin d’avoir ou des adultes, mais des activités mixtes
quand on arrête de prendre des déci- pénétré le monde éducatif. On peut qui conjuguent forme ludique et forme
sions, car c’est un univers de second cependant parier que des propositions éducative. Certains restent très proches
degré qui n’existe que pour autant que seront faites dans les années à venir per- du jeu, d’autres sont plus proches de
des joueurs continuent à le soutenir. mettant de saisir comment la participa- l’exercice. Tout cela est légitime pour
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tion à une communauté d’apprenants autant que l’on sait ce que l’on fait et que
La règle, qu’elle soit préalable ou
peut passer, entre autres, par des activi- l’on ne croit pas donner une place au jeu
construite au fur et à mesure du jeu. C’est
tés ludiques. loisir quand on construit une nouvelle
elle qui donne consistance à cet univers
La variété de pratiques enseignantes et sa réalité, une forme éducative s’inspirant
de second degré et elle est le résultat de la
justification ne sont pas toujours claires. de certains aspects du jeu, parfois uni-
décision, de l’accord des joueurs. Elle n’a
Quelles sont les différentes façons qu’ont les quement un contenu, d’autres fois cer-
pas l’aspect contraignant d’une loi.
éducateurs de percevoir cet outil? tains principes ou critères.
La frivolité ou l’absence de conséquence de
Il n’est pas dit que tout le monde le per- Le jeu est une réalité sociale complexe,
l’activité, critère certes relatif (d’où
çoive comme un outil. Pour certaines construite, reconstruite dans divers
peut-être l’incompatibilité avec l’idée de
contextes sociaux, culturels, institution-
définition), mais permettant de distin- enseignantes, plutôt du côté des sys-
nels. Un jeu doté des caractéristiques
guer des activités dont l’objectif est exté- tèmes préscolaires issus du « jardin
que nous avons évoquées renvoie au loi-
rieur de celles qui ne visent rien d’autre d’enfants » et dominant largement au
sir et s’il porte des apprentissages c’est
que l’activité elle-même. niveau international, il s’agit de l’acti-
de façon fortuite, non intentionnelle. On
peut imaginer que ce jeu pénètre l’école
ou d’autres systèmes éducatifs en tant
Côté français, le jeu est un complément nécessaire que tel, mais il a de fortes chances, dans
du fait de l’âge des enfants, mais qui doit disparaître ce transfert, d’être transformé, conta-
miné, modifié par le contexte, ce qui
au plus tôt. On lui reconnaît tout au plus une valeur aboutit à des situations hybrides où il
faut moins voir des exemples de jeu, que
affective et sociale. ceux de la créativité humaine quand il
s’agit d’étendre le domaine de l’éduca-
tion. Les mondes sociaux se sont ainsi
L’incertitude, l’idée que l’on ne sait pas vité centrale par laquelle l’enfant emparés du jeu et l’ont transformé en
où le jeu conduit – contrairement, par apprend. C’est donc bien plus qu’un profondeur, mais il existe aussi des acti-
exemple, à un rite. outil, c’est une façon d’être au monde vités ludiques totalement extérieures
Cette activité ludique est-elle toujours qui permet de le comprendre, de l’ex- aux logiques éducatives. Analyser les
appréhendée de la même manière par les périmenter et donc de le connaître. relations entre jouer et apprendre néces-
enseignants? Pour d’autres, plutôt du côté français, site de s’intéresser à ces différentes pra-
c’est prioritairement un complément tiques sociales.
Une telle analyse du jeu conduit à mettre nécessaire du fait de l’âge des enfants,
en évidence les tensions avec une pra- mais qui doit disparaître au plus tôt. On
tique pédagogique qui peut être souvent lui reconnaît tout au plus une valeur Gilles Brougère,
une activité de second degré dotée de affective et sociale. C’est alors moins université Paris 13.
règles, mais ne se définit pas comme fri- qu’un outil. En faire un outil, c’est l’in- Entretien réalisé par Yvana Ayme.
vole ou sans conséquence, quoi qu’elle tégrer dans une démarche pédagogique
puisse l’être à l’insu des enseignantes1 et qui lui donne sens, c’est-à-dire se situer
qui va éviter, autant que possible, l’incer- entre ces deux voies, ce qui ne me G. Brougère, 1995, Jeu et
titude en tâchant d’atteindre des objec- semble pas très répandu ou plutôt qui éducation, Paris, L’Harmattan.
tifs. Quant à la décision, elle sera d’autant conduit très souvent à transformer le
plus absente que l’on refusera toute ini- G. Brougère, 2005 Jouer/Apprendre,
jeu, du fait d’une volonté de maîtrise de Paris, Économica.
tiative enfantine. l’action et de ses conséquences, en exer-
Appréhender le jeu conduit donc soit à cice. Le programme de la maternelle est
être dans la logique du miracle, le jeu à cet égard explicite dans la mesure où
étant sans trop savoir pourquoi, consi- l’enseignante ne doit pas perdre la maî-
déré comme éducatif, soit dans l’exclu- trise qui caractérise son rôle dans la
sion du centre, pour être relégué aux logique qui y est développé. Sans doute
marges, car pensé comme antinomique à pour donner un rôle au jeu faut-il pen-
l’éducation. Le paradoxe est là. Selon les ser que l’initiative et la dynamique de
1 L’emploi du féminin est volontaire et vise à refu-
pays et les systèmes éducatifs, le jeu est l’enfant, de l’élève, importent au moins ser l’emploi du masculin pour désigner un groupe
présent ou absent, les enseignantes sont autant que celle de l’enseignante. d’individus composé majoritairement de femmes.

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12 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
1- Définitions et limites

L’impossible quête ? Laurent Lescouarch


La construction de l’apprentissage par le jeu est un fantasme récurrent à l’école : le jeu serait une forme
pédagogique privilégiée pour rompre avec la « forme scolaire ». Un maître de RASED interroge ces évidences.

O
n ne compte plus les classifica- mation et le discours des enseignants, la avancer et participe d’une conception de
tions, les typologies de jeux à la justification théorique de l’utilité du jeu l’apprentissage dans laquelle l’enfant
disposition de l’éducateur pour à l’école est de deux ordres distincts. n’est pas perçu comme capable de moti-
«faire apprendre par le jeu». Enseignant Le premier argument, le plus fréquent vation intrinsèque. Il y a donc bien une
spécialisé «maître E» en Rased, j’ai moi- dans les entretiens conduits auprès forme de manipulation à l’égard de
même été formé à l’idée d’une pédago- laquelle il nous faut être vigilant.
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d’enseignants, est l’aspect motivationnel


gie du détour dans laquelle le jeu était qu’on pourrait résumer ainsi: l’enfant Le «jeu» des didacticiens relève de ce type
mis en avant comme un moyen d’ap- aime jouer mais n’aime pas travailler. et, de notre point de vue, n’en est donc pas
prendre innovant présentant l’immense Rendons la situation attrayante par le jeu un. C’est un exercice déguisé qui n’a pas
avantage de motiver les élèves et de leur pour faire passer la pilule. les caractéristiques de ce qu’est le jeu
faire acquérir des connaissances à leur Distinguons ici deux types de pratiques: naturel: gratuité et spontanéité. Ce n’est
insu. les «exercices à connotation ludique» et en soi ni bien ni mal, mais cela n’a rien à
Dans mes pratiques quotidiennes les «jeux de tradition instrumentalisés». voir avec le jeu moteur du développement
d’aides aux élèves en difficulté, j’ai de l’enfant que l’on retrouve chez Wallon
Emballage ludique et Piaget. Des situations-problèmes sont
donc cherché à l’utiliser comme sup-
port d’apprentissage et ai pris progres- Ce concept de jeu éducatif est intéres- étiquetées «jeux» parce qu’elles impli-
sivement conscience de l’ambiguïté de sant puisqu’il constitue une forme de quent une manipulation, comme dans
ce type de situations pédagogiques. Ne pléonasme. Pour la psychologie du déve- l’incontournable «jeu du banquier» pour
s’agit-il pas souvent de simples activi- loppement, le jeu n’a pas besoin qu’on apprendre les échanges en base 10; pour-
tés d’entraînement finalisées par des lui accole cet adjectif puisqu’en soi il a tanton est très loin du jeu symbolique tra-
décomptes de points favorisant la moti- des vertus éducatives dans le développe- ditionnel de la marchande qui ne se
vation par l’émulation ? Ces situations ment de l’enfant. Cette expression sup- résume pas à des échanges monétaires
restent donc à forte connotation sco- poserait également par exclusion qu’il y mais implique une dimension d’identifi-
laire puisque ce « jeu » garde en fait
toutes les caractéristiques d’un exer-
cice: objectifs d’acquisitions scolaires; L’habillage ludique participe d’une conception de
entraînement à une compétence pré- l’apprentissage dans laquelle l’enfant n’est pas perçu
cise et médiation instrumentale orien-
tée par l’adulte sur ces objectifs. comme capable de motivation.
Cette interrogation a été renforcée par
des constats identiques lors de travaux aurait une catégorie de jeux qui n’au- cation, de socialisation que les «ersatz»
en co-intervention dans les classes raient pas ces caractéristiques et on s’in- didactiques n’ont pas.
«ordinaires». Quand joue-t-on réelle- terroge sur ce que seraient des jeux qui
ment à l’école? À la récréation, dans les Dans ce cas de figure, nous sommes
ne seraient pas éducatifs. dans une dynamique de transformation
coins aménagés en maternelle? Et pour
le reste? Le jeu utilisé comme support Je pense plutôt que ce concept entérine de l’exercice en jeu mais un autre pro-
pédagogique, instrumentalisé, «scolas- l’idée fortement répandue dans le milieu cessus apparenté est également en
scolaire qu’il y aurait des jeux qui seraient œuvre, tout aussi problématique de mon
ticisé » au sens de Freinet… n’a peut-
plus éducatifs que d’autres et ce sont ceux point de vue.
être plus rien d’un jeu et tout d’un
qui ressemblent le plus à des exercices
exercice, hormis un emballage plus Avatar du jeu de l’oie
scolaires. En fait, ce ne sont pas des jeux
attrayant. Mêmes constats quand on L’autre versant de l’idée du «jeu éduca-
mais une catégorie particulière d’exer-
analyse des catalogues de fournisseurs cices «à connotation ludique». Ils ont tif» consiste à utiliser les jeux de tradition
de supports pédagogiques, qui ont quelque chose à voir avec le bon point car pour des objectifs scolaires. Cette dimen-
construit une véritable offre de «jeu il s’agit d’habiller un exercice ou une sion est flagrante dans les approches
éducatif». Leurs outils constituent, de situation problème typiquement scolaire didactiques des mathématiques et de la
fait, des exercices d’entraînement systé- de façon plus attrayante en mettant en lecture. On ne joue plus à la bataille
matiques face auxquels les enseignants œuvre une émulation entre les enfants navale pour le plaisir de jouer mais pour
n’ont pas des grilles de lecture très éla- par comptage des réussites. Pour ma part, apprendre à se déplacer dans un tableau
borées pour distinguer ce qui est de j’ai fréquemment utilisé ce type de situa- à double entrée… Le jeu de l’oie modi-
l’ordre du jeu et ce qui n’en est pas réel- tions tout en ayant le sentiment de ne pas fié est un prétexte à identifier des gra-
lement. être vraiment dans une dynamique phies quand on tombe sur une case…
C’est à l’affinement de cette grille de lec- ludique comme j’avais pu la connaître Les livres scolaires (notamment en
ture que je souhaite contribuer. Sans dans de nombreuses expériences de jeux mathématiques) regorgent de ce type de
revenir sur la théorisation pédagogique de société ou de jeux de tradition en ani- situations…
du jeu qui a été sujette à une littérature mation. De plus, l’habillage ludique Des jeux qui ont traversé des siècles et
abondante, je constate que dans la for- constitue une forme de carotte pour faire nourri notre patrimoine culturel sont

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 13
DOSSIER Le jeu en classe

vidés de leur substance symbolique et Par conséquent, dans le fonctionnement sation des jeux de tradition sont relati-
ramenés à de simples situations d’entraî- actuel, le jeu sans contrainte n’a pas sa vement fréquents.
nement comme s’ils n’étaient pas intéres- place à l’école (mis à part en maternelle)
Être clair pour les élèves
sants en eux-mêmes. Cette logique a été car le cadre programmatique reste un élé-
particulièrement utilisée dans le cadre de ment fondamental du système. De plus, Utiliser de cette manière des jeux à fina-
l’EPS, quand les jeux de tradition étaient il ne faut pas oublier que le milieu scolaire lité d’exercice ou des exercices à conno-
ramenés dans une catégorie «présportifs» obéit généralement (mis à part quelques tation ludique pose un problème de
et servaient à préparer l’approche de fonctionnements particuliers issus de lisibilité du contrat didactique pour l’élève
compétences plus «nobles» relatives aux l’éducation nouvelle) à une logique tota- et comporte un risque de sentiment de
sports institutionnels. Or, des chercheurs lement artificielle. C’est un artefact… et manipulation (comme dans le cadre
comme Pierre Parlebas ont depuis long- il n’y a donc pas de place pour ce jeu d’une pédagogie de projet d’activité ini-
temps démontré la richesse des jeux de spontané et libre, naturel à l’enfant. tiée par l’adulte et présentée comme
tradition et l’appauvrissement lié à leur De ce fait, dans les pratiques observées, venant des enfants) qui peut aller à l’en-
instrumentalisation. 1 les moments de «jeu» s’inscrivent essen- contre des apprentissages.
Ces entrées pédagogiques s’apparentent tiellement dans la logique d’exercices Quand on dit à un enfant: «Maintenant
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donc à la tentation pointée par Célestin déguisés. Récemment, un article de Luc on va jouer» alors que l’activité n’a pas
Freinet de «changer l’eau du bassin pour Cédelle a pu mettre en évidence ces cette finalité mais est de fait un exercice,
donner à boire au cheval qui n’a pas ambiguïtés à travers l’exemple de la on le trompe et cela pose un problème
soif». 2 Elles en ont les limites. On maternelle. 3 Cette réflexion peut être d’éthique. Certes, de nombreux élèves
préfèrent plutôt être face à ce type de
situations que face à un exercice tradi-
Le jeu est suffisamment riche de vertus éducatives tionnel et c’est déjà positif si l’on n’en
abuse pas (nos élèves sont également là
intrinsèques pour ne pas servir uniquement de caution à pour apprendre à travailler). Mais l’abo-
des pratiques scolaires traditionnelles. lition de la frontière «jeu/exercice» liée
à ces situations peut avoir des effets per-
vers dont les enseignants doivent avoir
contourne l’obstacle de la motivation prolongée par la construction d’une conscience. Il ne s’agit pas ici de stigma-
momentanément mais les élèves n’ont grille de lecture des situations «ludiques» tiser ces pratiques qui ont un intérêt évi-
toujours pas plus envie d’apprendre. nous permettant de caractériser plus dent mais d’inviter à une vigilance dans
finement les différentes pratiques péda- leur utilisation.
Un moyen naturel ? gogiques et les distinguer (voir tableau En effet, le développement de l’usage de
La seconde justification part d’amal- ci-dessous). «jeux éducatifs» a un impact sur la place
games parfois un peu rapides appuyés Ces distinctions n’ont rien de novateur, que peut prendre le jeu réel dans les
sur les théories psychologiques mettant des mouvements comme les Céméa ont apprentissages. Si, lorsqu’on prétend
en avant l’importance du jeu dans le de longue date réfléchi à cette différence faire du jeu, on fait des exercices, quand
développement de l’enfant. Le raison- entre jeux de tradition et «jeux éduca- joue-t-on vraiment à l’école? Presque
nement est alors: le jeu est naturel à l’en- tifs». Mais l’impact de ces analyses s’es- jamais. Ironie du sort, ce constat devrait
fant. Le jeu est un moyen d’apprendre pour tompe avec le nomadisme des concepts rassurer les tenants du délabrement du
l’enfant. Utilisons le jeu et il apprendra. et le développement de la «ludopédago- système scolaire par le jeu car la thèse
Tout en ayant à l’esprit que de grands gie», alors que leur actualité reste impor- que je défends est effectivement que
pédagogues comme Freinet pensaient tante. On peut renvoyer ici aux écrits de bien souvent on ne joue pas à l’école
plutôt que c’était le travail qui était François Chobeaux sur le «confusion- même quand on croit le faire!
naturel à l’enfant (et pas le jeu) et sans nisme pédagogique»: «… didactiser le Pourtant le jeu est suffisamment riche de
entrer dans des querelles de chapelles, jeu, en faire non plus cette dialectique déve- vertus éducatives intrinsèques pour ne
je peux souscrire à cette conception à loppée dans la liberté mais simplement un pas servir uniquement de caution à des
condition que ce qu’on propose soit moyen technique mis au service d’objectifs pratiques scolaires traditionnelles. C’est
effectivement des jeux. Cela n’est pas opérationnels d’acquisition de savoir, c’est peut-être faire fausse route que de l’ins-
garanti d’autant plus que dans le jeu en faire autre chose que du jeu 4.» trumentaliser pour un profit motivation-
spontané, on ne peut pas prévoir ce que Si l’on applique cette grille aux pra- nel sans en avoir conscience. La pratique
l’enfant va apprendre, c’est une affaire tiques de classes en élémentaire et dans d’une pédagogie de l’«exercice ludique»
d’expérience personnelle. Le jeu réel les aides spécialisées, il apparaît très net- devient souvent l’art de travestir… Je ne
(libre et gratuit) ne peut pas s’inscrire tement que le jeu libre y occupe une crois pas que les enfants soient dupes et
dans un cadre pédagogique d’objectifs place très faible alors que les exercices à cela peut à terme remettre en question le
éducatifs préétablis. connotation ludique ou l’instrumentali- plaisir même de jouer pour certains. Je

Exercices à connotation ludique Jeu de tradition instrumentalisé Jeu libre


Aspects liés aux apprentissages Objectifs scolaires Objectifs scolaires Dimension éducative
Conséquence indirecte
Vécu pour l’enfant Exercice à forme attrayante Plaisir de jouer dans la limite Plaisir de jouer
de l’intervention de l’adulte Gratuité
Cadre de la situation Obligatoire Obligatoire Facultatif
Négociable
Place de la dimension ludique Habillage Prétexte Fin en soi

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14 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
1- Définitions et limites

me suis trouvé à maintes reprises face à


des élèves pour lesquels les jeux de tradi-
tion de type «petits chevaux» ou loto, uni-
quement rencontrés à l’école, sont vécus
comme des exercices. Pourquoi ne les
Faire semblant
incluraient-ils pas dans leur rejet du sco-
laire? C’est un risque non négligeable,
surtout avec les élèves en difficulté.
Clarifier
et jouer pour de vrai
Il nous faut donc distinguer ce qui relève Blandine Turki
de la valorisation du jeu pour des objec-
tifs éducatifs (et qui conduit à son instru- Les jeux à règles, jeux d’assemblage, de construction, sont très utilisés
mentalisation et son appauvrissement) et en maternelle pour leurs multiples ressources. Mais les jeux
de la valorisation du jeu pour ses effets symboliques, très présents visuellement dans les classes, peuvent-ils eux
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éducatifs (imprévisibles par définition). aussi être des supports privilégiés ?


Certes, la posture critique est facile, l’ac-
tion pédagogique est faite de compromis.

L
Ayant pris conscience de ces dimensions, es jeux symboliques sont tous les tifs, plus facilement évaluables. (comme
j’ai essayé pour ma part d’adapter mon jeux de faire semblant. Ils per- les assemblages et les jeux à règles).
discours pédagogique. Quand on fait un mettent l’imitation: l’enfant attri-
Un enseignant discret
jeu, on joue… parce que les enfants ont bue toutes sortes de significations aux
objets, simule des évènements imagi- Comment utiliser ces jeux symboliques?
besoin de jouer y compris à l’école. Il est À l’accueil? À la fin d’un travail, en
possible de réserver dans nos classes des naires au moyen de rôles fictifs ou réels.
Grâce à ces jeux, il s’approprie la vie «récompense» pour attendre les autres
moments pour les jeux de société mais à enfants de son groupe ou même l’ensei-
condition de sortir un moment de la sociale et développe l’imaginaire, l’expé-
rimentation, l’acquisition du langage. Il gnante qui se partage entre plusieurs ate-
logique programmatique a priori. Dans
exprime ses craintes, ses joies. Le jeu lui liers? Est-ce qu’on peut les utiliser
ce cas, je m’interdis toute médiation por-
permet de libérer ses émotions, de réali- comme support d’apprentissage?
tant sur les connaissances scolaires pen-
dant ce moment-là. ser certains de ses désirs, de s’approprier Dans le jeu symbolique, l’enfant s’épa-
un rôle qui ne lui serait pas permis nouit. Il s’adapte affectivement et émo-
Par contre, quand c’est un exercice ailleurs.
déguisé, je ne le présente pas de la même tionnellement. Il doit tenir compte des
manière: «c’est un exercice dans lequel Si ces espaces de jeux semblent évidents autres, de leurs interactions: cela le socia-
on va compter les points» et le contrat en toute petite et petite section, j’ai noté bilise et l’aide à développer son langage.
didactique est différent, les enfants une diminution progressive de leur uti- Je l’ai donc utilisé comme support idéal
savent que l’intervention de l’adulte lisation en moyenne et grande section. en le considérant comme un espace d’ap-
portera alors sur des aspects scolaires. Très fréquentés en début d’année, les prentissage à part entière. L’espace de jeu
Cette distinction peut paraître futile et enseignants leur préfèrent rapidement est organisé dans la durée selon une pro-
anecdotique, elle me semble cependant des ateliers de jeux dits plus construc- gression. Le nombre d’enfants pouvant y
éthiquement nécessaire pour que l’élève
puisse savoir à quoi s’attendre.
Une fois ces points explicités, je crois
qu’il est maintenant important de pour-
suivre le travail engagé par les mouve-
ments d’éducation nouvelle pour que le
jeu réel trouve enfin la place qu’il mérite
dans le champ scolaire. Le jeu n’a pas
fini d’être un enjeu.

Laurent Lescouarch,
enseignant spécialisé Rased
et université de Rouen.

1 Parlebas (1988), « Sports en jeux », Vers l’Éduca-


tion Nouvelle, hors série.
2 Freinet (1994) « Les dits de Mathieu », dans
Œuvres pédagogiques, éditions du Seuil, p. 113,
chroniques du nouvel éducateur de 1945 à 1954.
3 Luc Cédelle (2004), « On dirait qu’on va jouer à
travailler » dans le dossier « L’empire des jeux, à
quoi on joue ? », Le Monde de l’Éducation, n° 331,
décembre 2004, p. 30-31.
4 François Chobeaux (2000), « Jeu et éducation
nouvelle » dans la revue Vers l’Éducation nouvelle
n° 497, novembre 2000.
http://www.cemea.asso.fr/pdf/VENtextejeux.pdf
(consulté le 12/05/2006)

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 15
DOSSIER Le jeu en classe

évoluer est anticipé : le matériel indis- Le jeu pour le jeu ? pace pourront servir à construire ou à
pensable est prévu en nombre suffisant Mettre en place un nouvel espace de jeu étayer les différentes phases du projet.
(un atelier dînette pour cinq enfants com- entraîne toujours des questions. Dans ce cadre ludique, ce climat de plai-
prendra cinq couverts, cinq chaises sir, l’enfant sera ouvert et curieux de
Pourquoi est-ce que je mets en place
autour d’une table, une nappe, des ali- découvrir de nouvelles situations.
dans ma classe un espace de jeux sym-
ments, boîtes en tous genres, accessoires boliques? Quelle place vais-je lui réser- Par exemple, au moment d’un projet
de cuisine, four…) ; le moment où les ver, comment vais-je le faire vivre, cuisine (confection de gâteaux, soupes,
élèves peuvent y avoir accès est également comment vais-je ou non l’exploiter? Je compotes, ou autres) j’installe dans l’es-
prévu ; le matériel n’est pas donné d’un sais que la force du jeu est liée à sa gra- pace symbolique, une semaine avant le
seul coup dès le début afin de permettre tuité. Alors faut-il toujours vouloir l’uti- début du projet, un coin cuisine. Les
une évolution des situations et du lan- liser, l’exploiter? L’enfant ne joue pas enfants se familiarisent avec le matériel,
gage... Ces espaces de jeux, je les range pour apprendre mais apprend en jouant. les ingrédients, le modèle de la recette…
après chaque utilisation, ils doivent être Donc, régulièrement, je ne prends en Nous avons ainsi une base de départ et
jouables dès que l’élève y entre et entre en compte que l’aspect gratuit du jeu et je ils peuvent par la suite réinvestir en jeux
jeu. Le rangement ordonné est impor- ce qui a été mis en place dans les ateliers.
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mets en place des espaces de jeux pour


tant: s’il n’est pas respecté, l’enfant est le plaisir des enfants et uniquement Pour un projet carnaval: créer un espace
détourné de son jeu; par exemple, si le pour cela. déguisement, marionnettes, maquillage
thème est «camions, véhicules de chan- de têtes selon le thème choisi. Pour un
Je sais aussi le développement du lan-
tier» et que des cubes ou petites plan- projet sur les rois et les reines: mettre en
gage que permet et développe le jeu
chettes de bois servent de matériaux à place un espace «châteaux, châteaux
chez l’enfant de moins de 6 ans. Dans un
transporter dans les bennes ou avec la forts»; pour la ferme: plusieurs fermes
espace de jeu symbolique, les enfants
grue, ils doivent à chaque utilisation avec leurs animaux (on peut solliciter les
sont obligés d’entrer en interaction lan-
retrouver leur place dans les bennes et parents pour le prêt de matériel).
gagière. Ils échangent leurs expériences,
donc leur fonction, sinon l’enfant se ils construisent des situations, les parta- Alors cet espace sera toujours riche,
détournera de son jeu initial et le trans- gent, les expliquent. Ils sont obligés de vivant, pourra servir de support à d’autres
formera en jeu de construction. se faire comprendre des autres, de activités et permettra à chaque enfant d’y
Je ne pénètre pas dans leurs espaces de défendre leur situation, de négocier, de évoluer en sécurité et d’y grandir.
jeux, et je les observe avec discrétion. la faire évoluer.
Les thèmes peuvent varier : épicerie, Alors, une idée: pourquoi ne pas asso- Blandine Turki,
marchande, dînette, docteur, nursery, cier le thème de l’espace-jeu avec les professeur des écoles dans le Doubs,
cuisine, ferme, poupée, chevaliers et projets en cours dans la classe? Les moyenne et grande section.
châteaux… situations de langage vécues dans l’es-

Les jeux, mes collègues,


l’administration et moi…
Marc Berthou
Jouer et enseigner ? Prendre du plaisir et apprendre ? Le vieux fonds de civilisation judéo-chrétienne
et le sentiment de culpabilité sont encore bien là et les pionniers ont du mal à convaincre leurs collègues.

Q uand j’ai commencé à m’intéres-


ser à une pédagogie ludique, je
me suis empressé de ne pas le
dire! Au début, je rasais les murs du col-
séquences ludiques, leur terrible effica-
cité pédagogique. Petit à petit, quelques
collègues m’écoutèrent avec bien-
veillance, et m’interrogèrent quelque-
- Moi, jamais je ne pourrais faire des
jeux avec telle ou telle classe…
Dans des classes normales
lège lorsque je jouais en classe et je n’en fois avec naïveté: Cette phase d’approche ayant été faite,
parlais que très peu. Puis, l’expérience je passai à la phase 2: la démonstration.
- Mais alors, tes jeux, tu les fais en
ludique aidant, surtout celle du réseau «Qui veut venir dans ma classe, pour
Ludus 1, mais aussi la mienne, je devins dehors du cours ou pendant les cours?
voir une séance ludique avec la classe de
plus sûr de moi et de l’efficacité de cette - Comment rattrapes-tu le temps perdu 3e N?»… Ben, à vrai dire… Pas grand
méthode: le jeu. à jouer en classe? monde… Du coup, je me suis fait filmer
Je me mis à échanger plus volontiers et - Et le programme, tu as fini le pro- dans ma classe en train de jouer, sans
surtout à souligner la force de certaines gramme? trucages, sans effets spéciaux… Une

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16 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
1- Définitions et limites

séance de 55 minutes, avec une classe comporte trop de liberté), et démago- est respecté lors des séances ludiques:
normale, que tous connaissaient. La gique, où l’enseignant perd un peu de son respect de l’autorité, contenu scienti-
séance fut visionnée par quelques col- âme et l’élève, le «sens des vraies valeurs». fique, méthodes, argumentation…
lègues curieux, mais sceptiques. Rien que le mot «jeu» ferme beaucoup de Les autorités disciplinaires d’histoire-
Là, j’ai marqué quelques points. Le jeu portes et il n’y a pas de discussions pos- géographie en Picardie sont également
en classe a gagné ses galons. Il est devenu sibles… Je pense aussi que le jeu fait peur intéressées, curieuses et encourageantes
crédible, possible, et même parfois envi- car c’est un espace où «l’incertitude» a même s’il existe des discours récents
sageable. parfois sa place: réponses imprévues d’hommes politiques sur l’éducation
données par les élèves, incertitude des qui voudraient faire croire au retour de
Je pouvais alors passer à la phase 3: le problèmes posés au prof pendant le jeu,
harcèlement. Partant du principe que la discipline et du côté « faut en baver
incertitude des réactions. Les élèves sont pour apprendre ». Discours complète-
tout seul, on s’ennuie un peu, je persé- acteurs, parfois revendicatifs, et pour moi
cutai gentiment mes collègues un peu ment déconnecté de la réalité. J’ai peur
le jeu fait partie de l’éducation à la d’être mis un jour en porte-à-faux vis-
intéressés, jusqu’à ce qu’ils bricolent citoyenneté. Pour certains enseignants ce
une séance ludique, ou tout du moins à-vis de certains parents ou d’un supé-
challenge est grisant, pour d’autres cela rieur « psychorigide » à cause de ces
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une idée qui irait dans ce sens. fait peur. déclarations. Le jeu en classe n’est pas
En aidant, et en encourageant certains Dommage que l’on ne puisse pas ou peu très «tendance» en ce moment pour les
(surtout les jeunes), et en écoutant avec échanger avec les membres d’un même politiques. Quel dommage ! La piste
une vraie oreille curieuse les plus expéri- collège, sur des pratiques innovantes. ludique est tellement riche et tellement
mentés, nous sommes parvenus à une Dommage que l’on ne parle pratique- sous-exploitée…
vraie richesse pédagogique. Aujourd’hui, ment pas de pédagogie entre profs!
pour certains collègues d’histoire-géo, et
pour des points complexes du pro- Quant à l’administration, pour l’instant, Marc Berthou,
gramme, le jeu est devenu incontour- tout va bien. Je ne cache pas à mes supé- professeur d’histoire-géographie,
nable. rieurs que je joue souvent avec mes collège François Truffaut,
élèves; je les ai même invités à venir voir Charly-sur-Marne (02).
Bientôt on me mit devant le problème dans une de mes classes, quand ils le vou-
de la phase 4: l’évaluation du jeu, et ça, draient, pour constater par eux-mêmes
ça fait peur! que le cahier des charges du professeur 1 http://www.discip.crdp.ac-caen.fr/histgeo/ludus/
Là aussi, il faut rassurer, et dire que la
pédagogie ludique est une façon d’ap-
prendre comme une autre. L’évaluation
peut rester celle qui aurait lieu au cours
d’une séquence «normale». Par contre,
avec le jeu, les moyens de jauger les
capacités et les connaissances des élèves,
et les moyens que les élèves ont pour se
juger eux-mêmes (travail métacognitif)
sont beaucoup plus importants. L’élève
va très rapidement évaluer son travail au
« C’est pas du jeu ! »
cours d’un jeu et «rectifier» le tir, car s’il
n’applique pas la bonne méthode, s’il ne Jean Houssaye
respecte pas les consignes, la sanction
(minime) est immédiate: on perd le Les vacances, les loisirs, sont-ils, par contraste avec l’école, le domaine
point ou la partie. Ce type d’évaluation privilégié du jeu ? Pas si sûr, même en colo. L’opposition entre
très rapide et très réactive est plein de le jeu activité et le jeu libre permet à l’auteur de réaffirmer qu’il faut
sens pour l’élève. mettre ce dernier au cœur de la colonie de vacances. Un enjeu plus
L’évaluation sommative, après une actuel que jamais.
séquence ludique, peut être tradition-
nelle (ce qui rassure les parents et col-

L
a question des jeux libres pour- pour faire reconnaître sa spécificité et ne
lègues), ou plus approfondie: on peut
rait sembler totalement anecdo- pas paraître une simple préparation de
demander aux élèves de raconter cette
tique et nullement significative. l’école élémentaire. Les débats autour
séance de jeu, ce qui les a marqués, ce
qui s’est passé dans la classe et ce qui se Or, il n’en est rien: elle traverse l’histoire du jeu, de la socialisation et des appren-
passe lors d’un phénomène «réel», vécu. de l’éducation. Autrement dit, c’est tissages y contribuent.
On peut demander de trouver la diffé- toute une tradition qui est ici réactivée
par ce choix. Il faut commencer par sou- Au service de la ruse pédagogique
rence entre les deux et d’analyser cet En fait, c’est dès l’instauration de l’école
écart. Là, on voit la puissance de ce type ligner combien l’école élémentaire est
opposée au jeu libre, ne serait-ce que maternelle que la question devient brû-
de pédagogie, on obtient souvent des
réponses très pointues, des analyses très parce qu’elle se veut centrée sur les lante. Gilles Brougère 1 montre com-
poussées, même de la part de jeunes acquisitions. Elle concède une place au ment une des grandes inspiratrices de
élèves, et d’élèves en difficulté. jeu, mais uniquement sous deux angles: l’école maternelle française, Pauline
la récréation et le jeu éducatif, ce dernier Kergomard, inspectrice générale des
Un domaine inexploité pouvant s’intégrer dans la classe. Mais le écoles maternelles, tente dès 1886 de
Mais, malgré ces dépenses d’énergie jeu libre est historiquement beaucoup transformer les salles d’asile qui ser-
pour convaincre, certains pensent que le plus lié à l’école maternelle. On sait que vaient alors d’accueil aux petits enfants
jeu est quelque chose de dangereux (il cette dernière lutte continuellement pour faire advenir des écoles maternelles

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 17
DOSSIER Le jeu en classe

sur une base opposée. De quoi s’agit-il dès 1930 l’organisation en petits groupes sitif de formation: les jeux d’exercices
pour elle? De faire en sorte que la notion symbolisés par le rassemblement de moteurs et sensoriels pour les petits, les
d’école disparaisse de la philosophie de petites tables qui font des ateliers diffé- jeux d’imagination pour les moyens, les
l’école maternelle. Comment peut-on y rents autour des jeux sensoriels. jeux éducatifs pour les grands; la classe
parvenir? En érigeant le jeu libre comme Les principaux inspirateurs seront donc est organisée en coins pour les ateliers et
support privilégié. S’imprégnant d’un Montessori et Decroly. La première les exercices; la récréation est concédée
modèle familial et refusant un modèle insiste sur la liberté de l’enfant, le res- à tous comme l’occasion du jeu libre. Le
scolaire, Kergomard récuse les exercices pect de ses rythmes, la préparation de jeu en vient à ne plus être qu’une atmo-
et les apprentissages. Cela se fera-t-il? son environnement, l’adaptation du sphère, qu’une ambiance, mais il ne
Non, car la résistance scolaire sera forte. matériel, tant et si bien qu’elle aboutit à désigne plus rien de précis et de définis-
Maîtres et inspecteurs feront en sorte la notion de travail libre à travers des sable. Il a bien du mal à être autre chose
que le jeu devienne éducatif et qu’il soit jeux éducatifs qui n’intègrent pas le jeu qu’un moment: soit une concession à la
réintégré dans la sphère de la pédagogie de l’enfant comme tel. Ce dernier n’est rigueur de l’emploi du temps, soit un
strictement entendue pour éviter le plus reconnu que dans le moment de point de départ nécessaire qu’il faut
débordement du jeu spontané. L’école récréation après le repas. Decroly se base dépasser. On a volé le jeu à l’enfant. Il
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maternelle aura pour fonction de faire sur l’instinct du jeu chez l’enfant; le jeu demeure un témoignage de l’enfance
jouer pour agir, apprendre, s’éduquer est bien le lieu essentiel des apprentis- qu’il faut retourner vers des situations
sans le savoir. On débouche ainsi sur une sages car il est l’activité caractéristique et d’apprentissage adaptées aux besoins de
pédagogie de la ruse: la fin, qui est l’ap- incontournable de l’enfant. Seulement, l’enfance, articulées autour de l’appren-
prentissage, passe par un moyen qui se le projet de l’éducateur doit être le sui- tissage et des activités.
veut jeu, mais un jeu qui n’a de valeur vant: gérer la transition entre le jeu et le On a bien affaire à une culture ludique,
que par les activités et les exercices qu’il travail par des activités qui gardent l’ap- mais on voit que celle-ci affirme des prin-
permet. Les jeux, en tant qu’exercices parence du jeu tout en poursuivant un cipes et les renie dans les faits. Il n’est pas
amusants, sont à substituer au jeu spon- but de plus en plus contraignant et fina- jusqu’à certains jeux qui vont être recon-
tané de l’enfant. C’est tout le statut de lisé. On assiste ainsi à un transfert nus comme meilleurs sur le plan éducatif
l’enseignant qui est ainsi valorisé: son conscient des caractéristiques du jeu par les adultes. Ceux-ci «aiment» faire
rôle actif et indispensable est reconnu à vers des activités éducatives. Ce passage découvrir certains jeux plus anciens, plus
travers la nécessité de l’accompagne- a un nom: les jeux éducatifs, fondés à la «éducatifs» aux enfants, renouant ainsi
ment, de la qualification et du pro- fois sur du matériel et sur des exercices. avec leur propre enfance, gommant alors
ce qui fait l’enfance des enfants. On
apprend aux enfants les bons jeux, ceux
On apprend aux enfants les bons jeux, ceux qui semblent qui semblent rejoindre une culture. Le
jeu devient alors histoire, apprentissage
rejoindre une culture. Le jeu devient alors histoire, éducatif de l’enracinement de l’homo
apprentissage éducatif de l’enracinement ludens. La culture du jeu tue le jeu.
La relation entre le jeu et l’éducation se
de l’homo ludens. La culture du jeu tue le jeu. révèle ainsi paradoxale. Il reste à accep-
ter la déflation éducative et à saisir le jeu
dans le cadre de la sociabilité enfantine:
gramme. Que faire, face au jeu libre de Le jeu concédé c’est un prétexte pour maintenir ou
l’enfant? Est-on encore éducateur? La Telle sera la matrice du «modèle colo- créer le lien social entre les enfants, ou
question ne se pose plus quand le jeu est nial» en matière de jeux et d’activités. Les entre les enfants et les animateurs. Le
devenu organisé et exercé par le truche- exercices physiques, les travaux manuels contenu du jeu importe moins que le fait
ment d’un spécialiste… La réponse de éducatifs, les types de jeux, les coins acti- d’être avec d’autres. La frivolité du jeu
l’école maternelle servira de référent à vités, s’enracinent dans ce mouvement. est à préserver, respecter et fêter, loin du
l’encadrement des centres de vacances et Les exercices collectifs de l’éducation sérieux de l’acte éducatif. Certes, le jeu
de loisirs. La nécessité et l’inflation édu- physique reprennent les jeux collectifs rejoint l’action pédagogique sérieuse, ne
catives seront parallèles. serait-ce que parce que l’absence de
qui deviennent dirigés et quittent le
La théorie du jeu éducatif, qui suppose monde de la récréation pour accéder au conséquence offre à l’enfant un espace
l’élimination du jeu libre, sera le fait de monde de la classe. Le besoin d’exercice spécifique d’expérience. Encore faut-il
l’éducation nouvelle qui se développe se substitue au besoin de plaisir. Le jeu se garder de toute volonté éducative
entre les deux guerres mondiales et qui éducatif renvoie à l’exercice, à l’activité, dans le domaine. Même si le jeu éduque,
devient un discours commun et reconnu. aux jeux; il se distingue du jeu propre- la condition pour qu’il le fasse, c’est
C’est lui qui va être repris quand la for- ment dit. L’école maternelle et la colonie qu’on se garde de l’organiser, de le vou-
mation du personnel des colonies de de vacances vont ainsi récuser le jeu pour loir, de l’exploiter.
vacances se mettra en place dans les se justifier par les jeux éducatifs.
années cinquante. La vulgate éducative Le jeu antiéducateur
est de cet ordre. On y trouve toute l’atten- Est-ce à dire que le jeu disparaît? Non, Loin d’être un sous-jeu, le jeu libre est le
tion issue de la psychologie de l’enfant: il il reste très prégnant dans le discours. jeu. L’animateur se sent remis en cause
faut avoir confiance dans la nature de l’en- Dans les faits, il apparaît comme une par lui car il conçoit avant tout sa fonc-
fant, respecter sa spontanéité, favoriser concession provisoire faite à l’âge des tion comme éducative; il préfère l’ordre
l’épanouissement de sa liberté, dévelop- enfants (c’est bon pour les plus petits) et et la progression au désordre et à la spon-
per le jeu, que certains vont considérer il doit s’autosupprimer par sa contribu- tanéité. Il a besoin de conforter son
comme le travail naturel de l’enfant. tion même au développement de l’en- image et son fonctionnement d’adulte.
L’école maternelle devient active et nou- fant. Il est en quelque sorte en retard Pour maîtriser l’enfant, il lui faut maîtri-
velle; cela semble aller de soi. On y trouve d’une éducation. Il s’intègre à un dispo- ser son jeu. Et cela passera par la pri-

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18 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
1- Définitions et limites
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mauté donnée aux activités organisées; casser le modèle classique que les ou non, de faire ou non. Elle consacre le
elles renvoient aux apprentissages, aux enfants ont intégré. Il leur faut alors faire de l’agent éducateur sur le patient-
contenus, aux objectifs éducatifs. À force comprendre (en l’expérimentant), et à-éduquer. C’est une pédagogie de l’em-
de faire du jeu une panacée éducative au cela va rapidement, que l’on peut jouer prise au nom du savoir sur l’enfant. À
nom de la nature de l’enfant, on aboutit et s’amuser comme on veut dans le l’inverse, la pédagogie de la décision
tout simplement à sa marginalisation. centre de vacances. Mais cette rupture ouvre un espace qu’elle décide de laisser
C’est ce que nous dénonçons en prônant n’est pas suffisante. Il faut aussi donner ouvert, et par là peut-être non maîtri-
la primauté des jeux libres dans les un instrument de décision aux enfants sable, dont le jeu libre est le symbole et le
centres de vacances et de loisirs. eux-mêmes: il faut donc que chaque moyen. Elle est le lieu et le temps d’une
L’enjeu est d’importance puisqu’il s’agit jour, avec les autres, ils puissent se réunir construction commune pouvant toujours
de leur spécificité et de leur survie. Un et prendre leurs décisions sur ce qu’ils être remise en cause, pouvant toujours
modèle l’a emporté au fur et à mesure, veulent faire de leurs journées, de façon mettre à mal le désir de maîtrise et le
basé sur la reconnaissance du pouvoir de à ce que le champ des possibles s’élar- savoir déjà là de l’éducateur. Pour que les
choix accordé aux enfants et la satisfac- gisse au fur et à mesure. D’obligatoires, jeux ne soient pas toujours faits…
tion/saturation des activités. Un «bon» les jeux libres deviennent ainsi une pos-
centre de vacances est alors celui où on sibilité voulue et intégrée dans un Jean Houssaye,
peut choisir de faire le plus d’activités ensemble d’activités dont les enfants sciences de l’éducation – CIVIIC,
possibles parmi celles proposées par restent les maîtres. On peut certes alors université de Rouen.
l’équipe d’animation. On organise ainsi retrouver bien des activités classiques
la journée des usagers, en leur laissant des centres de vacances, mais l’esprit
tout de même, au moins dans certains n’est plus le même: elles s’originent 1 G. Brougère, (1995), Jeu et éducation, Paris,
centres, des moments libres, sorte de dans une décision et un contrôle des L’Harmattan.
récréations informelles. D’autres vont individus concernés au premier chef; et
aller un peu plus loin et affecter un ani- cette valeur n’a rien à voir avec la sur-
mateur pour les enfants qui ne veulent abondance qui est poursuivie par le
pas participer aux activités proposées. modèle centré sur le pouvoir de choix.
Ne serait-il pas temps de renverser la Le jeu, c’est donc sérieux. Mais le jeu, Bibliographie
tendance et d’estimer que la base même «c’est pas du jeu». Quel est l’enjeu en
du centre, ce sont les «jeux libres et J. Houssaye, (1989), Le livre des
effet de cette conception dans les centres colos. Histoire et évolution des
spontanés» des enfants? Dans ce cas, il de vacances? De promouvoir et de faire centres de vacances pour enfants,
n’y a pas à proprement parler à organi- vivre une logique de démocratie directe Paris, La Documentation Française.
ser des activités pour les enfants, mais et participative qui cherche à articuler en
plutôt à laisser se déployer ces jeux des J. Houssaye, (1991), Aujourd’hui les
permanence la dimension individuelle et centres de vacances, Vigneux-sur-
enfants (en considérant qu’après tout les la dimension sociale, ce dans un contexte Seine, éditions Matrice.
enfants savent encore jouer) et à per- de vacances. En changeant de jeu et le jeu,
mettre l’émergence éventuelle d’activi- J. Houssaye, (1998), « Le centre de
ce que nous appelons et tentons, c’est la vacances et de loisirs prisonnier de la
tés à partir de ces jeux. substitution d’une pédagogie de la déci- forme scolaire », Revue Française de
Comment procéder? Tout d’abord en sion à la pédagogie du choix. La pédago- Pédagogie, Paris, INRP, p. 125.
instituant les jeux libres comme «obliga- gie du choix «sait» pour l’enfant, elle
toires» dans un premier temps, pour l’encadre et encadre ses possibilités d’être

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 19
DOSSIER Le jeu en classe

Conseils pour marier


l’eau et le feu Chantal Barthélémy-Ruiz
Sous le titre « Le mariage de l’eau et du feu », l’auteure a écrit pour ce dossier un historique du jeu que le
lecteur trouvera sur notre site, faute de place ici pour ce long article. Nous en avons extrait ce vade-mecum en
huit points qui nous aidera à mettre tous les atouts dans notre… jeu.
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• Y croire • Porter sur le jeu, au moment du tromper (puisque ce n’est qu’un jeu) et
Est-ce que je crois que le jeu peut apporter choix, un regard plus technique recommencer. Pour autant, les jeux
quelque chose à ma pratique? Suis-je à Le jeu doit servir un objectif précis, compétitifs, qui introduisent un facteur
l’aise avec l’idée d’enseigner avec le jeu? simple de préférence et présenter des agonistique, gagnent à être adoucis, sous
avantages évidents tant pour nous que peine de provoquer de profonds décou-
Si les réponses sont négatives, ne vous ragements chez celui qui «ne comprend
forcez pas, car sans chaleur et sans la pour les élèves. Si ce n’est pas le cas, uti-
lisez une autre méthode et réservez le rien». Cette précaution amène souvent
conviction de l’animateur que le jeu est le créateur de jeu et l’animateur à placer
un «plus», l’outil ne fonctionnera pas. jeu à un moment dans lequel il déploiera
toute sa force. les joueurs en petites équipes, la défaite
• Avoir conscience du rôle ou la moindre réussite étant plus facile à
Par ailleurs, on gagne à sélectionner un supporter que si le joueur joue seul.
essentiel de l’enseignant ou du jeu dont le contenu mais surtout le
formateur et être prêt à perdre son mécanisme sont en cohérence avec l’ob- • Ne pas hésiter à se former
« pouvoir » d’enseignant. jectif pédagogique visé. Ainsi, un jeu qui Nul n’utiliserait les nouvelles technolo-
On ne distribue plus les connaissances, parle d’équipe et de cohésion de groupe gies ou une caméra sophistiquée sans
on accompagne plutôt les élèves dans ne peut s’appuyer sur le mécanisme l’avoir antérieurement prise en main.
leurs découvertes. D’enseignant, on compétitif du Monopoly ®, pas plus Pourtant, parce que nous savons tous
devient animateur, meneur de jeu… Il qu’un sujet qui comprend une démarche jouer, nous croyons savoir faire jouer.
faut donc coiffer une autre casquette, progressive et des étapes logiques, ou Quelques organismes spécialisés peu-
éviter de créer une trop grande distance encore la nécessité d’une approche vent vous aider à maîtriser la pédagogie
entre soi et le groupe d’élèves. Et, même exhaustive ne peut être abordée efficace- du jeu durant des stages. En toute hypo-
si l’on voit comment les élèves devraient ment à travers le parcours aléatoire du thèse, si vous faites vos premiers pas
s’y prendre, rester très discret pendant jeu de l’oie ou du Trivial Pursuit ®. dans le jeu pédagogique, optez pour un
le temps de jeu, consacré à une observa- matériel simple et de courte durée pour
• Laisser de la liberté aux
tion dont les éléments seront utilisés au ne pas perdre pied et inspirez-vous de
participants
moment du débriefing. règles de jeux connus afin de ne pas vous
Le jeu est un exercice convivial, dont la
• Savoir que le jeu pédagogique pratique, dans la vie sociale, est gratuite perdre dans de longues explications en
est précédé d’un avant-jeu et suivi et relève de la libre décision du joueur. amont de la partie, et d’éviter que vos
d‘un après-jeu. Même en classe, il est difficile de l’im- élèves ne perdent leur énergie à tenter de
À la différence du jeu de société dont poser, sous peine d’empêcher le partici- saisir le fonctionnement du jeu.
l’intérêt se situe durant la partie (on joue pant de bénéficier de la situation sans • Et se faire plaisir
pour jouer et se faire plaisir), le jeu en risque qu’il crée. Il est impératif de pré- Il est impératif de choisir un jeu avec
situation pédagogique est le moyen de senter votre projet et vos intentions; si lequel vous vous sentez à l’aise et qui
tenter d’atteindre un objectif. Passons vous emportez l’adhésion, parfait; dans vous plaît. Les participants ressentent
sur le choix du jeu qui doit être fait avec le cas contraire, soyez éthique et efficace votre état d’esprit et s’impliqueront
soin pour nous attarder sur l’après-jeu. en proposant aux élèves réticents d’at- d’autant plus que vous aurez créé un cli-
Il est illusoire de croire que le seul fait de teindre le même objectif avec une mat sympathique… et que vous vous
jouer, et même de réussir dans le jeu, méthode classique ou, mieux, de jouer amuserez vous-même.
crée chez le joueur les conditions d’une le rôle d’observateur durant le déroule-
évolution. ment du jeu et d’utiliser leurs commen-
taires au moment du débriefing. Ayant Chantal Barthélémy-Ruiz,
Si le jeu est bon, l’élève est impliqué et constaté que jouer n’était pas si dange- formatrice et enseignante au master
s’il sait qu’il a réussi, il n’a pas pris le reux, les réticents accepteront sans professionnel sciences du jeu,
temps d’analyser comment il s’y est pris. doute de changer pour le statut de université Paris XIII.
Ensuite, nombre de jeux fonctionnent joueur lors d’une prochaine partie.
sur le déplacement ou l’analogie. Il faut
donc permettre au joueur d’effectuer un • Laisser place à l’erreur, mais
transfert entre la situation de jeu et la éviter de stigmatiser le perdant
situation d’apprentissage, l’aider à ima- L’erreur est constitutive du jeu ; c’est
giner comment il va pouvoir remettre en souvent dans l’erreur que le joueur
œuvre les compétences dont il a fait comprend et mémorise une règle. Il
preuve durant la partie. faut donc le laisser oser, essayer, se

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20 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
2- Compétences transversales et socialisation
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Doser subtilement
plaisir et intérêt Laurence Le Gallo
Dans le supérieur, étudiants et collègues sont-ils prêts à accepter que le jeu fasse partie des méthodes
pédagogiques ? Oui, s’il est préparé et utilisé avec autant de rigueur que d’inventivité.

D
ès mes premiers pas dans l’ensei- Création ex nihilo L’idée du jeu de simulation m’est venue
gnement, je me suis intéressée à La première raison qui m’a incitée à uti- lors de mon stage IUFM au lycée hôtelier
l’utilisation du jeu en pédagogie. liser le jeu dans mes cours était de pro- de Biarritz où j’enseignais la gestion hôte-
Je cherchais alors des moyens pour varier poser des situations d’apprentissage lière. Je voulais faire appliquer aux élèves
les situations d’apprentissage et suivre variées, mais ce n’était pas le seul objec- différentes méthodes de gestion des
ainsi le conseil d’Alain Rieunier 1: «Variez tif. Je comptais également sur le jeu pour approvisionnements, ce qui nécessitait la
vos situations d’apprentissage, utilisez susciter l’intérêt et la motivation des étu- tenue de fiches de stocks sur lesquelles
toute la palette des possibles, amusez- diants et les inciter ainsi à participer acti- inscrire au jour le jour les entrées et les
vous, surprenez-les, c’est la meilleure vement au cours. sorties. Je craignais que cet exercice ne
manière de les intéresser.» soit terriblement fastidieux et c’est pour-
J’ai toujours pris beaucoup de plaisir à quoi j’ai eu l’idée de faire intervenir des
J’avais, au départ, quelques doutes sur le apprendre de nouvelles choses et je sou-
sérieux d’une telle démarche et sur la éléments ludiques tels que la détermina-
haitais faire partager ce plaisir à mes tion aléatoire des quantités consommées
façon dont elle allait être accueillie par les élèves: c’est pour moi un moteur essen- ou du respect des délais de livraison par
étudiants et par mes collègues. J’ai alors tiel à leur formation. En effet, les connais- le tirage de dés. De fil en aiguille, j’ai
effectué des recherches sur Internet et je sances qu’ils acquièrent dans le cadre de construit un véritable jeu de simulation
me suis aperçue que si le jeu disparaissait leurs études devront être complétées tout avec des règles soigneusement étudiées et
généralement de l’enseignement à partir au long de leur vie, au fur et à mesure de un matériel de fortune.
du collège, il réapparaissait par la suite leur évolution professionnelle; il ne suf-
dans les formations en entreprise (cf. les fit donc plus de leur enseigner les tech- Cette séquence de cours a été une
sites du CIPE et de l’association Permis niques qu’ils utiliseront durant les grande réussite:
de Jouer). Cette découverte m’a rassu- premières années de leur vie profession- - les étudiants ont été particulièrement
rée: si le jeu était assez sérieux pour les nelle, il faut également leur apprendre à intéressés et ont participé activement au
entreprises, il le serait aussi pour des étu- apprendre. cours;
diants. En fait, j’ai commencé par le plus diffi- - les résultats qu’ils ont obtenus à l’éva-
Par la suite, sa mise en œuvre a confirmé, cile, c’est-à-dire la création ex nihilo d’un luation ultérieure ont été meilleurs que
et même dépassé, mes espérances. jeu de simulation sur la gestion des ceux obtenus habituellement.
Depuis, je continue à utiliser avec convic- stocks. Ce n’est que par la suite que j’ai J’ai retiré de cette expérience la certitude
tion ce support pédagogique peu répandu découvert des astuces pour créer des que le jeu était un formidable outil péda-
et pourtant si efficace. jeux de façon bien plus simple. gogique, particulièrement efficace mais

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 21
DOSSIER Le jeu en classe

difficile à manier. En effet, il nécessite une l’IUT de Bayonne. J’ai ainsi créé un jeu très simple et ne nécessite aucune com-
préparation sans faille pour éviter les de bingo 4 pour faciliter l’apprentissage pétence particulière à condition de res-
temps morts et les «dérapages» qu’il de la structure des numéros de comptes pecter deux impératifs:
risque de susciter. De ce fait, il est néces- du plan comptable général. Pour y - tester de façon approfondie le jeu avant
saire de tester le jeu à l’avance dans ses jouer, je distribue aux étudiants des de l’utiliser afin d’éliminer tout ce qui
moindres détails et d’éliminer les facteurs grilles de 25 cases dans lesquelles sont pourrait nuire à sa fluidité,
de perte de temps. Il faut ainsi simplifier répartis au hasard les numéros des - expliciter l’objectif pédagogique de la
au maximum les règles à suivre, tout en comptes et les libellés correspondants, séquence ludique avant de faire jouer les
veillant à ne pas tomber dans un excès de puis je tire un à un des cartons sur les- élèves: jouer c’est sérieux!
simplisme. Trop de réalisme tue la joua- quels sont inscrits les mêmes numéros
bilité du jeu en multipliant les règles à et libellés. Contrairement au bingo clas- L’utilisation du jeu a répondu pleinement
mémoriser et à prendre en compte, mais sique, les cases validées ne sont pas à mes attentes. Elle a suscité l’intérêt et
à l’inverse, une trop grande jouabilité celles identiques aux jetons tirés mais l’adhésion de mes étudiants. Ceux-ci par-
éloigne la simulation de la réalité et lui fait ticipent activement à chaque fois que je
celles qui complètent les paires : par
perdre son intérêt pédagogique. Il faut leur propose des activités ludiques et ils
exemple, si je tire le jeton portant le
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trouver un compromis entre ces deux obtiennent d’ailleurs de très bons résultats
numéro 40, la case à valider est celle à l’évaluation finale.
extrêmes, qui ne sacrifie ni le plaisir du portant le libellé correspondant à ce
jeu (sa jouabilité) ni son intérêt pédago- numéro, c’est-à-dire «fournisseurs». La De plus, j’ai remarqué une évolution
gique (son réalisme). Pour cela il faut case portant le numéro 40 ne sera quant très favorable de leur attitude: ils pren-
veiller à distinguer l’essentiel de l’acces- à elle validée que si je tire le jeton por- nent plaisir à venir en cours et finissent
soire. J’ai d’ailleurs fait de cette étude le tant le libellé «fournisseurs». L’objectif par trouver intéressantes des matières
sujet de mon mémoire IUFM 2. du jeu reste le même que pour un bingo pourtant considérées comme rébarba-
classique: valider le maximum de cases tives en début d’année (la comptabilité
Les jeux-cadres
alignées. générale en particulier). De ce fait, ils
Cette séquence de cours m’avait demandé participent plus activement et s’investis-
tant de travail (plus de vingt heures de Dans le même esprit, j’ai créé des cartes sent davantage dans leurs apprentis-
préparation pour deux heures de cours) de memory pour faire travailler les sages, même lors de séquences de travail
classiques. Je pense que ce changement
d’attitude est essentiel, et qu’il justifie à
Il faut garder l’esprit en éveil car l’idée lui seul l’utilisation du jeu en cours.
Le jeu n’est cependant pas une solution
d’un détournement pédagogique ludique naît souvent miracle. Son utilisation n’est qu’un des
de façon inattendue à partir d’un détail. éléments de mon approche pédago-
gique 6 qui mise aussi sur la variété des
situations d’apprentissage, la progressi-
qu’il me semblait impossible de générali- numéros de comptes correspondant aux vité dans l’introduction des difficultés,
ser cette approche. C’est alors que j’ai chapitres étudiés dans des cours de l’évaluation formative, le renforcement
découvert le principe des jeux-cadres de comptabilité plus avancés: emballages, positif, etc. Si je suis persuadée que le
M. Thiagarajan tel qu’expliqué par paie, écritures d’inventaire, finance- jeu joue un rôle important dans sa réus-
Bruno Hourst 3 : «Les jeux comportent ment, etc. site, je suis incapable d’isoler celui-ci des
deux blocs bien distincts: le contenu du jeu Je trouve également l’inspiration dans autres éléments.
(l’idée du jeu) et les procédures pour jouer les jeux de mon enfance:
(les règles). Le concept de jeu cadre, au
- chercher l’intrus; Laurence Le Gallo,
départ, est de considérer le jeu comme une
- trouver les erreurs; gestion comptable et financière,
structure vide pouvant être remplie de diffé-
- associer des paires; IUT de Bayonne.
rents contenus, permettant ainsi de l’adap-
- remettre des éléments dans l’ordre;
ter à de très nombreuses circonstances
- remplir une grille de mots croisés;
d’apprentissage, de réflexion, de recherche
- suivre le cheminement d’un texte du
d’idées, de simulation, etc.»
type «un livre dont vous êtes le héros»;
Je me suis ainsi lancée dans le détourne- - etc.
ment de jeux connus. Je me suis tout
J’utilise en particulier souvent le logiciel
d’abord inspirée du Trivial Pursuit pour
gratuit 5 « mots entrecroisés ». Simple
créer un jeu de plateau permettant de
d’utilisation, il suffit de saisir les mots
réviser de façon ludique le programme 1 Alain Rieunier, Préparer un cours : 1 - Applications
clés du cours et de le laisser générer les pratiques, Paris, ESF éditeur, 2000 /Alain Rieunier,
de gestion hôtelière de première tech-
grilles à la taille souhaitée. Les mots Préparer un cours : 2 - Les stratégies pédagogiques
nologique. Là encore, l’idée a remporté efficaces, Paris, ESF éditeur, 2001.
croisés sont une excellente façon de faire
un franc succès. J’ai fait jouer mes élèves 2 http://le-gallo.chez-alice.fr//memoire.pdf
réviser des termes de normalisation
lors d’un cours planifié une veille de 3 Bruno Hourst, Former sans ennuyer, Paris, Éditions
comptable, des termes techniques du d’Organisation, 2004 / Bruno Hourst, Modèles de
vacances, moment habituellement peu
contrôle de gestion, etc. jeux de formation – Les jeux-cadres de Thiagi, Paris,
propice à la concentration et aux efforts. Éditions d’Organisation, 2004.
À ma grande surprise, ceux-ci se sont Changement d’attitude 4 Les éléments nécessaires à la réalisation du bingo
tellement pris au jeu qu’ils sont même et du memory sont disponibles sur mon blog à
Il faut garder l’esprit en éveil car l’idée l’adresse suivante : http://legallo5.canalblog.com
restés quelques minutes après la fin du d’un détournement pédagogique naît 5 http://www.ccdmd.qc.ca/ri/cgi-
cours pour terminer la partie. souvent de façon inattendue à partir bin/fiche.pl?id=61&gab=desc&l=61.
6 On trouvera des liens vers les documents en ligne
J’ai ensuite renouvelé à plusieurs d’un détail. Une fois le principe des jeux- de l’auteur dans le n° 74 du Café pédagogique,
reprises l’expérience du jeu cadre à cadres assimilé, créer des jeux devient http://www.cafepedagogique.net/disci/stt/74.php

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22 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
2- Compétences transversales et socialisation

De l’action au sens Michael Nachon


Une véritable activité ludique, en EPS comme ailleurs, doit être pleine de réflexion et d’incertitude.
Mais peut-être les adultes comprennent-ils encore mal la part de jeu potentiellement disponible dans les
activités physiques et sportives ? À moins qu’ils ne l’évitent, conscients qu’elle va bousculer le déroulement
programmé de l’apprentissage.

S
i les activités physiques, sportives Aussi, si les enseignants naviguent de Par exemple, au basket-ball, les croise-
et artistiques (Apsa) sont des jeux, proche en proche à l’infini entre les dif- ments et les possibilités de circulation de
l’éducation physique et sportive férentes formes de jeu que peuvent balle entre joueurs sont multiples, fré-
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n’est-elle pas qu’une discipline d’ensei- offrir les situations d’apprentissages, il quents, complexes, parfois disparates,
gnement dont l’objectif est d’apprendre est ici question de la construction d’un quel que soit le poste occupé dans le jeu.
à jouer? Présenté de la sorte, le propos patrimoine non seulement corporel, Ainsi, lors d’une attaque placée, les choix
semble provocateur. Pourtant, d’un mais aussi intellectuel, en se fondant sur de démarquage des joueurs attaquants
point de vue pédagogique, la question l’action motrice. Que le jeu vise une ou vont constituer une véritable circulation
reste fondamentale. Des jeux d’athlé- plusieurs des dimensions neurophysio- problématique pour les défenseurs.
tisme aux jeux sportifs collectifs, en pas- logiques, psychologiques ou sociolo- Dans une telle phase de jeu, que doivent
sant par les jeux corporels des activités giques du comportement des élèves, il faire ces derniers lorsque deux atta-
gymniques et artistiques, la définition s’agira toujours d’actions régies par un quants non-porteurs de balle se croisent
du jeu en EPS n’est pas univoque et corps de règles qui va lui-même impo- à l’opposé du ballon? Les adversaires
stable. ser sa règle aux corps. vont-ils recevoir la balle? Ceux-ci vont-
Toute tentative de définition reste donc ils réaliser un éventuel écran? Une infi-
délicate. Malgré tout, il est au moins De l’incertitude aux savoirs nité de questions devient envisageable
possible d’avancer que dans chaque La compréhension d’une APSA comme parce que le terrain de basket-ball impose
leçon, les élèves s’adonnent aux activités jeu n’est possible qu’au travers des une forte densité de joueurs, et que la
ludiques fondamentales de l’enfant, qui normes et lois de constitution qu’elle balle est quasiment toujours disponible
sont la locomotion (courir, sauter, grim- propose: l’EPS propose une acquisition pour un joueur démarqué.
per…), la manipulation (lancer, drib- de savoirs techniques, tactiques et stra- L’importance du rapport existentiel
bler, attraper…) et la stabilisation (se tégiques dont l’émergence dépend de qu’entretiennent joueurs et incertitudes
balancer, pivoter, flotter…). De ce point situations ludiques aux phénomènes d’actions est dégagée. Les uns n’existent
de vue, l’EPS reste donc avant tout jeux incertains et imprévisibles. pas sans les autres. Ils coexistent, se
de motricité. L’essence même de l’EPS
réside dans cette activité motrice où
l’élève, autrefois enfant jouant, a eu l’ha-
bitude de mettre toute son application et
tout son sérieux.
Des logiques d’activités
Il ne faut pas perdre de vue que ces jeux
moteurs sont liés, dans un dialogue
fécond, aux pratiques sociales de réfé-
rences que sont les sports. Prenons
l’exemple du lancer. À partir d’une
même exigence motrice de base, qui est
d’envoyer un objet en l’air, le jeu de lan-
cer devient spécifique en fonction des
contraintes imposées par APSA. Lancer
le javelot en athlétisme n’est pas lancer le
ruban en gymnastique rythmique et
sportive, tout comme lancer le marteau
ne sera jamais lancer la balle au base-ball.
Forme, taille, poids de l’objet, présence
ou non de partenaires où d’adversaires,
imposition ou non d’un espace de chute,
deviennent autant de paramètres qui
font que les jeux se diversifient avec les
logiques d’activités. En EPS, le jeu n’est
donc jamais très éloigné d’une expres-
sion motrice qui s’ouvre aux règles d’une
culture sportive, revivant à chaque fois
que des élèves sautent en fosbury 1 ou
nagent le crawl.

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 23
DOSSIER Le jeu en classe

cogénèrent dans un rapport d’identité nant à ce que les élèves se plaignent de ne élèves de l’expérience concrète au sym-
partagée pour donner naissance aux pas jouer! bolisme, de l’action au sens du jeu.
savoirs du jeu. Pourtant, le jeu n’a pas de frontière avec L’élaboration des savoirs peut passer par
Quand est-ce qu’on joue ? l’action. C’est bien cela l’essentiel en une co-construction située des propriétés
EPS. Aussi, lorsque des situations d’en- de l’environnement instauré par chaque
Si cette question revient fréquemment
seignement/apprentissage ne font pas APSA, entre enseignants et élèves. Ces
chez les élèves, c’est que le jeu surgit la
place à une véritable activité ludique de derniers ne sont pas des organismes qui se
plupart du temps à la fin d’une séance,
l’élève, pleine de réflexion et d’incerti- dirigent dans les jeux sans possibilité de
cas fréquent en sports collectifs. D’un
tude, c’est probablement parce que le jeu les réfléchir. Il ne suffit donc plus de «dire»
point de vue pédagogique, c’est naturel-
potentiellement disponible dans chaque pour que l’élève «joue», en s’inscrivant
lement afin de mettre en place ce qui a
APSA reste fondamentalement une acti- dans un rapport dogmatique au savoir.
été appris pendant la leçon. C’est égale-
vité que les adultes comprennent encore Cela va à l’encontre même d’un dévelop-
ment un moyen de récompenser l’élève
mal. C’est peut-être aussi parce qu’elle pement du sens du jeu. Comment l’ensei-
d’avoir travaillé, écouté et appris. Le jeu
permet aux élèves de déposséder partiel- gnant pourrait-il proposer des savoirs à
est certes ici une application, mais il
un individu dont il ne reconnaîtrait pas la
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devient ici, dans le même élan, la récom- lement l’enseignant du déroulement pro-
grammé de l’apprentissage. capacité de penser et d’apprendre par l’ac-
pense à l’effort consenti auparavant.
C’est sur la nature du savoir qu’il faut tion ludique, d’une façon autonome et
L’enseignant qui s’inscrit dans cette
porter la réflexion. L’enseignant qui partagée? C’est là, semble-t-il, l’un des
perspective conçoit souvent l’apprentis-
s’engage sur une orientation constructi- fondements de l’EPS.
sage du jeu autour d’une démarche
logique allant du simple au compliqué. viste envisage l‘action motrice comme
À partir du simple, l’objectif est d’abou- relevant de processus cognitifs qui s’ef- Michael Nachon,
tir au compliqué. Le singulier est extrait fectuent chez un élève à l’occasion d’un enseignant-chercheur à l’UFR Staps
du jeu global. De ce point de vue, les jeu qu’il doit lire. Il faut alors des temps de Besançon.
gestes techniques et les mouvements col- de prise de conscience partagée entre
lectifs sont très souvent décomposés et tous les acteurs de la leçon: verbalisa-
enseignés à l’aide de processus d’imita- tion, débats d’idées ou encore appren-
1 N.D.L.R. : L’athlète Dick Fosbury a popularisé une
tion, de mémorisation et de répétition. tissage par les pairs deviennent autant technique de saut en hauteur où on franchit l’obs-
Dans ce contexte «artificiel», rien d’éton- d’outils pédagogiques emmenant les tacle sur le dos (« fosbury-flop »).

À la maternelle ,
enfant ou élève ? Monick Lebrun
Les instructions de 1977 ont marqué la montée d’un discours sur l’école qui va s’intensifier avec les nouvelles
instructions de 1998 : retour à la rigueur des apprentissages disciplinaires… L’importance du jeu est reconnue
au niveau des discours, mais, en pratique, laisse-t-on jouer l’enfant comme un enfant ?

es coins jeux sont une vitrine de gies pour le travail disciplinaire, des nelle est faite pour apprendre, qu’elle a

L l’école maternelle qui confère à


celle-ci l’image d’une « école où
l’on joue » et les références à Piaget,
stratégies au service des connaissances
et des apprentissages scolaires.
Les orientations pour l’école mater-
des exigences. Affirmant la priorité de
l’éducation, l’école maternelle anté-
rieurement préscolaire perd son suffixe
Freud, Mélanie Klein et à Winnicott nelle de 1986 tranchent nettement sur et son discours sur les jouets et le jeu.
dans les manuels pédagogiques justi- celles de 1977 qu’elles abrogent : S’il n’est pas totalement évacué avec
fient l’association de plus en plus forte courtes et claires, elles s’adressent aux Pauline Kergomard qui a pu dire «le
du jeu et de la place faite à la vie affec- enseignants mais aussi aux parents, jeu, c’est le travail de l’enfant», il renvoie
tive de l’enfant. Mais dans l’Éducation puisqu’elles ont fait l’objet d’une publi- toujours à une certaine pédagogie de la
Enfantine de février 1984 1 nous pou- cation de poche accessible à tous. La ruse, non sans ce paradoxe qui conduit
vons lire qu’encourager le jeu est le seul dimension de l’école maternelle y est à considérer que le travail peut prendre
moyen d’introduire des activités sco- soulignée comme «une scolarité qui met la forme d’un jeu sans en être un. Ainsi
laires sur la base du ludique ; ainsi le en place les premiers apprentissages » 2 : le jeu et le jouet ne demeureraient
jouet tout comme le jeu n’ont de place à cette dimension est soutenue par une qu’un témoignage de l’enfance qu’il
l’école qu’en vue d’en faire des straté- circulaire 3 qui précise que la mater- faut dépasser pour l’apprentissage qui

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24 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
2- Compétences transversales et socialisation

est devenu un mot-clé du discours de maternelles qui va signer la disparition aux enseignants : dans leur esprit, un
l’école maternelle, y compris pour les des jouets et des jeux dans la classe. Le enfant qui a un projet d’élève a plus de
2/3 ans. 4 jeu éducatif comme forme nouvelle du chances de réussir sur le plan scolaire
jeu va diriger l’enfant vers autre chose et qu’un enfant qui n’en a pas. Par consé-
Quand le ludique est permis
va anticiper l’effort de travail propre- quent, les enseignants devaient donner
Jusqu’à 3 ans environ, les enfants ne par- ment dit en conciliant de manière un projet d’élève aux enfants de la
tagent pas leurs jeux. Ils jouent côte à côte, injonctive ce qui est appelé jeu de l’en- moyenne et grande section afin qu’ils
s’observent. Puis, l’entrée à l’école mater- fant et éducation. Ce qui était alors un réalisent une bonne année scolaire. On
nelle – dont l’objectif principal de la pre- but en soi va devenir un moyen, pour peut se demander si les enfants ont
mière année est la socialisation –, va faire l’école et les parents, de remplir un rôle encore le droit d’être des enfants ou bien
naître les premiers jeux à deux ou à plu- assigné par la demande des parents mais s’ils ne sont envisagés que comme des
sieurs. Garçons et filles jouent ensemble aussi sous la pression de la société. élèves.
aussi bien à la dînette, aux jeux de Nous retrouvons dans ce contexte la La dimension pédagogique prend donc
construction, aux jeux d’eau et partici- pédagogie de la ruse: «L’enfant doit jouer, toujours le pas sur la dimension ludique
pent avec autant de plaisir aux rondes et oui mais toutes les fois que vous lui donnez à l’école maternelle: cette importance du
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aux comptines. Tout au long de la mater- une occupation qui a l’allure d’un jeu, vous jeu éducatif est constante de la petite
nelle, d’ailleurs, les jeux sont communs donnez satisfaction à un besoin en même section de maternelle à la grande sec-
aux deux sexes, même si, en dernière sec- temps que vous remplissez un rôle éduca- tion. Le jeu moteur lui-même, en salle
tion de maternelle, les enseignants remar- tif 7.» Le jeu libre n’a plus la faveur des de motricité, est situé dans un contexte
quent que les filles préfèrent le coin enseignants et «l’éloge du jeu finit toujours d’apprentissage du corps; et les jeux
poupées et les garçons les jeux de cour de par déboucher sur la nécessité de l’organi- didactiques sont les plus nombreux
récréation. ser 8 ». Le jeu se marginalise par la suite dans les classes, dans toutes les sections.
Aux alentours de 4-5 ans, les enfants se car si l’école maternelle reste une école Si le jeu des enfants est un peu plus libre
tournent vers les jeux d’imitation qui cor- qui n’est pas tout à fait une école, elle à l’accueil, c’est que le temps didactique
respondent à l’évolution psychologique tend à y ressembler de plus en plus. Cette n’a pas encore commencé; dès que les
des enfants de cet âge: bien qu’en rivalité nouvelle philosophie des classes mater- parents s’en vont, le programme scolaire
se constitue comme un sevrage du jeu.

On peut se demander si les enfants ont encore le droit Monick Lebrun,


d’être des enfants ou bien s’ils ne sont envisagés que sciences de l’éducation,
anthropologie,
comme des élèves. université Bordeaux 2.

avec sa mère, la petite fille cherche paral- nelles est étroitement reliée à un climat
lèlement à l’imiter et le petit garçon veut intellectuel qui fait reposer les principes
faire comme son papa. Les garçons iront de l’éducation nouvelle sur le fait qu’il
plus facilement vers les voitures télécom- faut centrer l’éducation sur l’enfant.
mandées et les petites filles vers la maison Dans cette orientation différente, il est
de poupée. Des différences commencent pensé que l’enfant a mieux à faire que
à apparaître dans le choix des jouets, gar- jouer et qu’il doit préférer le savoir: l’en-
çons et filles adoreront néanmoins se seignant doit permettre à l’enfant de sor-
retrouver autour du jeu de la marchande, tir du jeu, comme le dit cette phrase
de la dînette ou des poupons! étonnante citée par Gilles Brougère:
Pauline Kergomard développe l’idée «Les pays sans jouets ont des enfants plus
selon laquelle l’école maternelle doit équilibrés qui s’inspirent dans leurs actions
adopter une pédagogie du jeu à travers la des activités qui les entourent.» 9
célèbre formule «le jeu est le travail de On perçoit toute la difficulté d’accorder
l’enfant» 5, le jouet et le jeu étant recon- quelque crédit aux jouets et au jeu dans
nus alors comme sérieux. C’est sur le une école maternelle sans cesse tiraillée
modèle pédagogique de la reproduction entre deux conceptions de l’enfant : 1 Éducation enfantine, fév. 1984, page 18, revue
de ce que fait la mère, que l’école mater- l’enfant, qui par nature est dans le jeu, des éditions Nathan.
et l’enfant que l’on doit tirer vers son 2 Ministère de l’Éducation nationale, L’école mater-
nelle est fondée au départ. Sur cette base, nelle, son rôle, ses missions, CNDP, 1986, p. 8-9.
il est donc possible d’avoir un modèle statut d’élève et qu’il faut sortir des jeux 3 Circulaire n° 86-046 du 30 janvier 1986.
pédagogique qui met le jeu et le jouet au de l’enfance. Pour illustrer cela, une 4 Chez Armand Colin, Expérimenter en moyenne
centre de l’éducation préscolaire. La stagiaire en psychologie scolaire nous a section (P. Dufayet et D. Perruchon, 1989) le para-
doxe s’installe quand il est évoqué un enfant « qui
petite section ou section des petits est dit qu’elle avait assisté à une évaluation découvre que tout n’est pas jeu » qui « passe du
une sorte de «garderie maternelle» 6 selon diagnostique des élèves de maternelle à plaisir du jeu à l’exaltation du travail » (p. 11).
P. Kergomard et le jeu y apparaît comme la rentrée. On demandait aux enfants 5 P. Kergomard, « Les écoles maternelles (anciennes
salles d’asiles) » Monographies pédagogiques,
un projet spécifique à la petite enfance. pourquoi ils venaient à l’école. Sur deux Exposition universelle de 1889, Imp. nationale, 1889.
La prise au sérieux du jeu comme travail écoles maternelles, la majorité des 6 P. Kergomard, L’éducation maternelle dans l’école,
s’enracine dans l’activité ludique. réponses des enfants étaient : « Nous éditions Nathan, 1886, p. 3.
venons à l’école pour jouer.» Quand l’en- 7 J. Girard, L’éducation de la petite enfance, éditions
L’âge de l’éducatif fant donnait cette réponse, la conclu- Armand Colin, 1908.
8 Gilles Brougère, Jeu et éducation, éditions
C’est l’apparition du jeu éducatif et plus sion était que ces enfants n’avaient pas L’Harmattan, 1995, p. 165.
encore le projet éducatif dans les écoles de projet d’élève, ce qui posait problème 9 Gilles Brougère, op. cit., p. 179.

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 25
DOSSIER Le jeu en classe

Une indispensable liberté


Marc Prouchet et Jean-Pierre Sautot
Libre, contraint, didactisé… Le jeu à l’école fait avant tout travailler la question de l’adhésion des élèves,
et celle de la place du maître, qui doit savoir se mettre en retrait.

L
’école ne détient, pas plus que tout Jeu et adhésion choisi. Jouer avec quelqu’un est syno-
autre organe éducatif, politique ou Jouer à l’école peut signifier deux nyme de liberté et de respect de l’autre
social, le pouvoir de décréter la choses, au moins: dans le respect des règles communes. Si
mise en activité d’un individu. Ainsi, elle l’on excepte la connaissance des institu-
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- L’enseignant crée un monde fictif qui


ne peut fonder en quelque support (par- tions républicaines, le programme d’édu-
va permettre aux élèves de manipuler les
fois appelé jeu) l’espoir du déclenchement cation à la citoyenneté est là…
concepts inscrits dans le jeu. La situation
d’une activité (parfois appelée jeu aussi) Dans les deux cas, le jeu nécessite que
de jeu, didactisée au profit d’une disci-
qui n’appartient qu’au joueur. Quelle soit préservée la liberté du joueur: celle
pline (on fait comme si on était des ban-
liberté l’activité du joueur procure-t-elle d’entrer dans le jeu et celle, relative, ins-
quiers et on joue au jeu des échanges),
à l’élève pour vivre ses épreuves d’ap- crite dans la règle du jeu. Le problème
peut y être analysée de deux manières:
prentissage? de l’enseignant désireux de faire jouer
dévoiement du jeu ou «ludicisation»
Le jeu est une transposition du monde, d’un problème scolaire. Dans un jeu dit ses élèves n’est donc pas de dichotomi-
une modélisation. La qualité du modèle didactique, l’élève n’a pas le choix de ser en jeu/non-jeu, voire en jeu didac-
dépend de sa capacité à rendre compte du jouer ou de ne pas jouer. Si le jeu s’inscrit tique/jeu libre, les situations qu’il
fonctionnement du monde et, très sou- dans une progression pédagogique, il propose à ses élèves. Il est bien plutôt de
vent, du fonctionnement de la société des devient obligatoire! Pour que le jeu rechercher en quoi chacune de ces
hommes. De ce point de vue, chaque jeu didactique fonctionne, il convient donc situations engage du jeu, en quoi elle
institue une forme d’organisation limitée de s’assurer de l’adhésion de l’élève, «tracasse» l’adhésion de l’élève, en quoi
dans le temps. Si l’on considère qu’une comme pour une résolution de pro- elle fait « vivre » l’expérience ludique.
Même bardée d’éducatif et d’instructif,
l’expérience ludique mérite de se voir
« Accepter de jouer à tel jeu avec tous les autres élèves, offrir les conditions de sa dévolution
aux élèves. La liberté de l’élève joueur
accepter de perdre, accepter d’entrer dans de nouveaux peut et doit s’exercer dans la diversité
jeux… autant de problèmes personnels que nombre des pratiques d’enseignement/appren-
tissage, qu’elles soient (comme le pro-
d’élèves doivent résoudre. » pose le tableau ci-dessous 1) didactiques
ou pas, et indépendamment de toute
approche psychologisante ou des velléi-
institution est une forme d’organisation blème, pas plus, mais pas moins. Dès lors tés de la différenciation pédagogique.
sociale, la règle est la loi du jeu et l’en- que cette adhésion est acquise, l’élève
semble des joueurs est le groupe humain devient le joueur et il convient de le lais- Des pratiques à renouveler
pour qui l’institution fonctionne. Cette ser bricoler ses solutions. Dans le jeu libre, l’objectif immédiat est
institution vise deux choses: manipuler - L’enseignant crée un espace dans lequel de jouer. Les objectifs à moyen terme
les concepts inscrits dans le jeu; per- les jeux sont possibles. Son action éduca- visent des compétences dites «transver-
mettre au(x) joueur(s) d’agir et donc tive vise alors à permettre une découverte sales» et la finalité en est le développe-
d’adapter son (leur) comportement aux culturelle, celle des jeux du monde et des ment d’une pratique socioculturelle
problèmes rationnels que le jeu pose. modèles qu’ils proposent. Si l’accès au jeu dans et par le jeu. Mais un paramètre
Ainsi le jeu suspend pour un temps et est libre, le positionnement de l’élève essentiel est la liberté donnée dans le
dans un espace donné les règles de la vie joueur change radicalement. Il décide par choix des jeux; et les contraintes qui
ordinaire. Il y est créé une fiction dans lui-même de s’imposer des règles contrai- pèsent sur le jeu doivent être minimales.
laquelle le joueur assume le rôle de gnantes de comportement. Pour jouer Les jeux proposés dans ce cadre sont
citoyen du monde fictif, avec un but, des avec quelqu’un, il faut accepter des règles variés: jeux d’assemblage (Kapla©,
droits et des devoirs, des problèmes… communes. Peu importe alors le jeu Lego©, matériel de technologie comme

Travail sur le savoir Travail sur l’individu


Situation de jeu didactique Situation de jeu contraint Situation de jeu libre
Jouer pour apprendre (à)… Apprendre à jouer à… Jouer à…
Connaissances scientifiques Connaissance des jeux Connaissance de soi
Développement Développement de connaissances et de Développement de connaissances et
de compétences «scientifiques» compétences dans et sur le jeu de compétences sociales

Sommaire
26 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
2- Compétences transversales et socialisation

les boites d’engrenages…), jeu de règles - L’enseignant a toute latitude pour inciter tissage. «On ne fait pas cours puis on joue
(dames, petits chevaux…), jeux symbo- les élèves à dépasser leurs comportements (si on a le temps). On joue à la place d’une
liques (dînette, poupée…). habituels. [séance] plus classique car on estime que le
Les situations de jeu libre visent des Le rapport à l’activité ludique que déve- jeu est la meilleure situation d’apprentis-
apprentissages sociaux et affectifs. loppe l’enseignant se traduit par des sage à un moment donné avec une classe
«Accepter de jouer à tel jeu avec tous les postures éducatives précises. La dévolu- donnée […] Le jeu n’est pas une pierre
autres élèves, accepter de perdre, accepter tion de la situation à l’élève rend celui-ci philosophale, il est un moyen pédagogique
d’entrer dans de nouveaux jeux… Autant disponible pour se consacrer aux pro- parmi d’autres.» 3
de problèmes personnels que nombre blèmes qu’il a à résoudre, soit dans sa Enseignant joueur ?
d’élèves doivent résoudre. Pour l’élève à qui relation aux autres, soit dans les parties Cette attitude de distance relative n’in-
ce type de problèmes se pose, l’apprentissage qu’il dispute. Si le contrat passé avec les terdit pas de pouvoir choisir une autre
socio-affectif exige du temps. Il convient de élèves stipule que le jeu est libre, alors les solution: celle de la participation aux
lui en donner dans une pratique ludique degrés de liberté dont disposent les jeux. Faut-il jouer avec ses élèves? Cela
renouvelée et fréquente. De même, en ce qui élèves seront aussi nombreux que pos- n’est ni obligatoire, ni indispensable,
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concerne l’apprentissage de nouveaux jeux, sible. Donner à jouer signifie donc une simplement possible. «La transmutation
l’élaboration de tactiques et de stratégies offre de jeux diversifiée. La demande du professeur en joueur est d’autant plus
réclame du temps… Le rendement pédago- des élèves n’est contrainte que par les intéressante que devenir joueur lui redonne
gique du jeu libre n’est donc pas bon à court limites du raisonnable dans cette offre. l’opportunité et même le droit de commen-
terme et interrompre la pratique du jeu libre Il convient alors de penser le jeu libre ter la partie et les coups de son adversaire.
trop tôt c’est perdre le bénéfice visé. On comme des temps institués où s’exerce- L’enseignant dispose des mêmes droits et des
n’acquiert pas une culture littéraire en ront la liberté de choix et la liberté de mêmes devoirs que le joueur qu’il ren-
allant une fois au théâtre ou en ne lisant jouer des élèves. contre: un élève. La symétrie de la situa-
qu’un poème par an!» 2. Comment assumer une attitude éduca- tion est extrêmement intéressante du point
Au-delà du fait que la culture en général, tive sans intervenir dans les situations de de vue relationnel. L’enseignant n’est plus
et la culture ludique en particulier, ne se jeu? Conseiller, observer, arbitrer, com- le détenteur d’un savoir, mais un parte-
satisfait pas d’une pratique épisodique, menter une partie ne sont pas des actes naire. Et il n’est pas exclu qu’il soit dominé
les modalités du jeu libre en classe impli- neutres. Ils sont éducatifs et évaluatifs. dans le jeu, ce qui, pour l’élève, est une déli-
quent quelques positionnements fonda- Les joueurs supportant généralement cieuse manière de bafouer l’autorité du
mentaux de la part de l’enseignant. assez mal l’intrusion dans le jeu de per- maître ou de la maîtresse.»4
sonnes qui n’y ont pas été invitées, l’en- L’enseignant doit savoir dans quelle
Savoir changer de blouse…
seignant se doit donc de laisser jouer ses modalité de travail il place ses élèves. S’il
Pour que fonctionnent ces temps de jeu élèves qui seuls possèdent les réponses
en classe, la non-intervention est fonda- choisit le jeu, il se trouve tenu d’adopter
quant à l’attitude à adopter dans le jeu. une réserve peut-être peu habituelle
mentale. Il reste que l’attitude de retrait
Il peut intervenir pour expliciter une pour lui. L’enseignant abdique ainsi une
attentif préconisée ici ne doit pas mas-
règle ou une situation mal comprise part de son pouvoir de conseil et d’éva-
quer trois faits:
voire mal décrite par la règle. Il est donc luation. Une pédagogie empruntant au
- L’enseignant décide du choix de jeux capable de mettre en sommeil son pou- ludique est donc d’abord une pédagogie
présents. voir de direction des évènements dans la non-directive et le pédagogue est alors le
- L’enseignant décide de son degré classe, bref ne pas tenter de vouloir récu- garant éthique de l’activité ludique du
d’implication dans le jeu. pérer le jeu afin d’accélérer un appren- joueur.

Marc Prouchet,
formateur permanent,
IUFM de Lyon.
Jean-Pierre Sautot,
maître de conférences,
IUFM de Lyon.

1 Extrait de « Jouer à l’école », Maison des jeux de


Grenoble, Jean-Pierre Sautot (dir.), CRDP de Grenoble,
2006.
2 Ibid.
3 Site « Ludus », http://www.discip.crdp.ac-
caen.fr/histgeo/ludus/, Février 2004.
4 Maison des jeux de Grenoble, Jouer à l’école,
Jean-Pierre Sautot (dir.), CRDP de Grenoble, 2006.

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 27
DOSSIER Le jeu en classe

Pour instruire... et pour éduquer


Richard Mailhé et Marc Tabory
Confrontation et compétition peuvent être de riches situations à partir du moment où la « rivalité » ne survit
pas à la rencontre : pour trouver sa place dans le groupe, l’élève est invité à s’affirmer pour exister, tout en
respectant l’autre pour être intégré.

Six critères action libre, sentie comme fictive et située en respect d’un règlement unanimement
Enseigner par le jeu, c’est tenter de dehors de la vie courante, capable néan- approuvé. Le contexte d’affrontement
moins d’absorber totalement le joueur; une (jeux sportifs en EPS), de productions
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transmettre des contenus spécifiques


tout en construisant et en intégrant la action dénuée de tout intérêt matériel et de décalées (jeu théâtral en français) ou
règle. Mais qu’est-ce que le jeu? Selon toute utilité; qui s’accomplit en un temps et encore de contrat à remplir (challenge
Roger Caillois 1, il s’organise autour de dans un espace expressément circonscrits, se par équipes en mathématiques, rallyes
six critères formels qui ne préjugent déroule avec ordre selon des règles données lecture collectifs…) sera source à la fois
pas de la qualité même du jeu. et suscite dans la vie des relations de groupe d’affirmation de soi, de confrontation
s’entourant volontiers de mystère ou accen- d’idées et d’ancrage dans un groupe
Libre: Le joueur n’a pas de contrainte social. Dès lors, les règles prennent tout
concernant sa participation, cette acti- tuant par le déguisement leur étrangeté vis-
à-vis du monde habituel.» leur sens, deviennent signifiantes 3.
vité est librement consentie. Autrement Certes le jeu est une action libre, mais le
dit, le joueur a la liberté d’arrêter: «Je ne Cette activité librement consentie, mais
joueur se plie à des conventions très
joue plus!» De plus, il existera une cer- cadrée strictement, parfois de façon
strictes qui, seules, organisent son bon
taine liberté dans l’évolution des règles, implicite, peut-elle être formative pour fonctionnement. Il serait d’ailleurs extrê-
à condition que celles-ci soient accep- nos élèves en pleine construction ou mement éducatif de proposer une acti-
tées de tous. reconstruction d’un idéal social? vité dans laquelle l’élève lui-même veille
au respect des règles communes: laisser
chacun s’exprimer, respecter les temps
Le bon joueur est celui qui sait gagner et perdre sans de parole et d’activité, accepter qu’un
avis différent du sien soit émis… dans le
se départir de son sang-froid, mais aussi celui qui respect des règles du jeu, des règles de
exercera son influence pour faire évoluer le jeu vie du groupe.
Le jeu favorise aussi la prise en compte
pour le plus grand plaisir de tous. de l’altérité de nos élèves. « C’est, pour
l’enseignant, accepter que ses élèves se mon-
trent autonomes et non totalement assujet-
Séparé: Quel que soit le jeu, il est cir- Un rituel librement consenti tis à ses intentions, c’est avoir le souci de
conscrit dans des limites d’espace, de Le jeu est une action perçue comme fic- voir exister autrui comme différent de soi 4.»
temps. Le règlement du jeu ne s’ap- tive et située en dehors de la vie courante Autrement dit, c’est favoriser la négo-
plique qu’à cet environnement spatio- par le joueur. Pourquoi, dès lors, cette ciation de la règle. Bien entendu tout
temporel prédéterminé. activité aurait-elle sa place à l’école? n’est pas négociable et certainement pas
Incertain: Le résultat ne peut être acquis Notons l’importance croissante du la sécurité! Si le jeu peut éduquer et ins-
par avance. Il n’y a plus de plaisir, de nombre d’élèves affirmant ne pas entre- truire par le biais d’une interpellation
motivation à s’engager dans une partie voir la nécessité, l’utilité des contenus des aspects à la fois moteurs, sociaux et
où le résultat est joué à l’avance. d’enseignement pour la «vraie vie», celle psychologiques de la personne, cette
Improductif: Le jeu de l’enfant ne crée qui se déroule à l’extérieur des murs de recherche de dissonance ne doit pas
pas de biens, de richesses. Nous pou- l’école.Visiblement, le «jeu» souhaité par occulter le nécessaire respect de son
vons dire qu’il est gratuit. C’est le plai- l’institution scolaire semble ne pas faire intégrité. Mais permettre la construc-
sir du jeu pour le jeu. sens pour de nombreux participants. tion de la règle par l’élève, n’est-ce pas
Prenons alors le contre-pied de nos tout simplement construire le citoyen de
Réglé: Il est soumis à des conventions, normes enseignantes et envisageons une demain, celui qui sera capable de réflé-
des règles impérieuses, spécifiques et nouvelle perspective de transmission chir sereinement aux codes sociaux,
incontestées le temps du jeu, qui sus- culturelle et disciplinaire. Quels seraient capable d’exercer un jugement critique
pendent les lois ordinaires. En ce sens, les bénéfices d’une telle pratique péda- et, par ses actions, capable de faire pro-
les actions des joueurs ne mettent pas en gogique? gresser la démocratie tout en respectant
danger l’ordre social établi. la juste concurrence et l’égalité des
L’élève n’est pas libre de sa présence en
Fictif: Il est accompagné d’une réalité cours. Par contre, lequel d’entre nous droits? Le bon joueur est celui qui sait
seconde, d’une irréalité par rapport à la peut prétendre que ce même élève n’est gagner et perdre sans se départir de son
vie courante. Le joueur est dans un uni- pas libre de son investissement en classe? sang-froid, mais aussi celui qui exercera
vers indépendant de l’espace social. Le jeu peut permettre de favoriser la par- son influence pour faire évoluer le jeu
Retenons que Roger Caillois s’inspirait ticipation de l’élève tout en organisant la pour le plus grand plaisir de tous.
déjà très largement des travaux de coexistence au sein du groupe de travail. Observons le joueur face à sa console,
Huizinga 2 définissant le jeu comme «une Cette participation sera pacifiée par le dans sa partie de cartes. Il est concentré,

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28 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
2- Compétences transversales et socialisation

calculateur, totalement investi dans son cette pression sociale pour renforcer son particulier d’informations. Aboutir dans
activité. Combien d’entre nous souhai- estime de soi et son idéal social. Il sera le le jeu, réaliser l’énigme: voilà l’ultime
teraient observer un tel comportement script, le rapporteur, le juge, le pareur, challenge qui grandit l’individu et lui
de la part de nos élèves, quelle que soit la l’arbitre… du groupe. «Le rituel fonc- donne le sentiment de s’être réalisé. Cette
discipline concernée! Le jeu est ainsi tionne à la manière d’un anxiolytique mais avancée sur l’estime de soi est un pas édu-
une activité capable d’absorber totale- aussi comme un moyen de contrôle social catif important, il serait dommage, en
ment le joueur. Est-il raisonnable d’af- extrêmement efficace. Rappel à l’ordre, le tant qu’enseignant, de l’ignorer.
firmer qu’il s’agit d’une action dénuée rite redit les règles de l’échange et conforte
de tout intérêt matériel et de toute uti- une hiérarchie en vigueur, prenant acte des
différences 7.» Richard Mailhé,
lité? C’est la recherche des émotions qui
l’UFR Staps,
organise l’activité, le calcul d’engage- Jeu et enjeux de l’école université de Rouen.
ment. Le joueur s’investit pour gagner
et donc acceptera une certaine quantité Le cadrage réglementaire induit par la
volonté de partager, de communiquer et Marc Tabory,
d’effort pour progresser. Staps de Tarbes,
de reproduire le jeu permet, de notre
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Se donner d’autres buts université de Pau


point de vue, de placer le registre social
et des Pays de l’Adour.
Cette autodétermination semble découler au cœur des préoccupations du collectif.
de trois facteurs que l’enseignant peut La règle n’est plus une contrainte, elle
reprendre à son compte lors de la devient l’élément autorisant l’expression
construction des situations pédagogiques. de chacun. Nous touchons du doigt le
Tout d’abord, la finalité. L’intérêt rejoint point sensible, le moteur de tout engage- 1 R. Caillois, Les jeux et les hommes. Le masque
et le vertige, Gallimard 1967.
ici toutes les injonctions institutionnelles ment: le sens de nos conduites. L’enjeu 2 J. Huizinga, Homo ludens, 1938, traduction fran-
concernant la nécessaire pédagogie du est de taille; une école porteuse de sens çaise 1951.
projet. L’école ne faisant plus forcément deviendrait un lieu où les élèves aime- 3 J.-A. Méard, S. Bertone, « Rendre les règles signi-
raient aller. Arrêtons peut-être de leur fiantes », revue Éducation Physique et Sport n° 288,
sens pour un nombre non négligeable mars-avril 2001.
d’enfants, il est de notre devoir pédago- parler systématiquement d’apprentis- 4 M. Develay, « La métacognition, une aide au tra-
gique d’œuvrer à une mise en perspec- sages pour l’avenir et risquons-nous à vail des élèves », in Préface ESF, 1997.

tive de leurs acquisitions scolaires. l’utilisation d’un processus faisant émer- 5 F. Cury, P. Sarrazin, Théories de la motivation et pra-
tiques physiques : état des recherches, PUF 2001.
ger le plaisir de l’instant.
Le second aspect relève des offres d’ac- 6 O. Pégard, « Insolence des pratiques ludiques ado-
compagnement. Qui n’a pas intensément Le jeu n’est pourtant pas antinomique de lescentes et réponses institutionnelles », Revue
l’acquisition de connaissances. Il revient Corps et culture, janvier 2005.
souhaité la présence d’un spécialiste 7 D. Féménias, Du rite au vertige : « L’épaisseur sen-
informatique à ses côtés lors de ses pre- à l’enseignant d’identifier l’énigme du jeu sible de la réalité sportive », Revue Corps et cul-
mières confrontations à un ordinateur? rendant incontournable l’accès à un type ture, janvier 2005.

En fait, le jeu est stimulant, non seule-


ment parce qu’il représente un challenge,
mais aussi parce qu’un système d’aide est
perçu comme disponible afin d’atteindre Faire la classe au quotidien, n° 406
plus facilement l’objectif. Il ne s’agit en Comment être un pédagogue au long
aucune manière d’évincer le concept cours et tenir la distance d’une vie
d’effort. Le rôle de l’enseignant semble entière d’enseignement ?
bien d’être en mesure de jouer sur le cur- Des enseignants disent leur passion
seur balançant entre, d’un côté, la mise en et scepticisme, leurs élans,
évidence d’un problème à résoudre asso- leurs désespoirs et leurs rebonds.
cié à une intense activité de recherche, et,
de l’autre, des propositions d’informa- Pour commander, voir page 71,
tions, de connaissances, autorisant une ou www.cahiers-pedagogiques.com
avancée dans le jeu. Cela incite l’élève à
dépasser la simple confrontation pour
tenter d’acquérir de nouvelles compé-
tences et ainsi montrer son efficacité dans
le domaine en question. Il transforme ses
buts de performance en buts de maîtrise 5.
Le dernier facteur est à raccrocher à la
nature même du jeu, cette activité qui
s’entoure volontiers d’un mystère
consenti, d’un «processus de ritualisa-
tion 6 ». Il nous appartient d’organiser
cette mise en scène par un déguisement Motivation, n° 429-430
constituant une étrangeté vis-à-vis du Comment aider les élèves à se
monde habituel. L’élève porte les attri- motiver en travaillant « autrement »,
buts de son rôle, de sa fonction: le sifflet, en bâtissant des projets, en utilisant
la tablette d’écriture, la blouse blanche, une diversité d’outils, en contribuant
le chronomètre… Qu’attendons-nous à rétablir leur estime de soi,
de lui? Simplement qu’il tienne son leur confiance dans leurs capacités…
rôle! Qu’il réponde aux attentes du
groupe classe, qu’il supporte avec brio

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 29
DOSSIER Le jeu en classe

Cadre du jeu, cadre du travail :


quel transfert ? Carlo Bianchi
On admet généralement que le jeu est un outil qui peut permettre d’apprendre, aussi bien pour l’enfant
que pour l’adulte. Mais comment assurer le transfert du fictif au réel ? La question se pose plus crûment
en formation professionnelle d’adultes où le jeu est fréquemment utilisé.
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A
fin de résoudre des anomalies de vivre pendant plus d’un an dans une des Les cadres modalisés
qualité de produit, une entre- îles Shetland. Il participe aux différentes Une activité déjà pourvue d’un sens
prise industrielle nous a confié la activités de la société, il bavarde avec les dans un cadre primaire peut se transfor-
mission de former les responsables de fermiers, fait la plonge dans les cuisines. mer en une autre en fonction de l’inter-
trois équipes de production aux outils de De la même manière, il étudiera le monde prétation qu’en font les participants.
résolution de problèmes, pour ensuite les «asilaire» en vivant une année à l’hôpital Goffman distingue cinq catégories de
accompagner dans la mise en pratique psychiatrique St Elisabeth à Washington. modalisations:
des acquis. Il publie en 1961 l’ouvrage Asiles où il - le faire semblant (exemple: les jeux
L’objectif à plus long terme était de tente de reconstruire «l’image sociale du imaginatifs des enfants, les brèves imita-
rendre les apprenants suffisamment monde» d’un malade mental enfermé. tions que nous faisons pour rire en cours
autonomes pour qu’ils puissent utiliser Un thème récurrent se retrouve dans tous de conversation);
la même méthodologie pour traiter ses travaux: l’individu placé dans une - la rencontre sportive (exemple: cer-
d’autres problèmes. situation sociale quelconque, de tous les tains sports, comme la boxe ou les
Dans la journée de formation en salle nous jours, va adopter un comportement déter- courses de chevaux, prennent pour
avons utilisé un jeu pédagogique: un miné par un code. Ce code est rarement modèle un combat réel);
groupe d’une douzaine d’apprenants explicite mais l’étude des interactions - la cérémonie (exemple: mariages,
simule le fonctionnement d’une entre- sociales permet d’en retrouver certaines funérailles…);
prise fabricant des crayons. Chaque parti- lignes de force. Sa structure peut évoquer
- la réitération technique (exemple:
essais et simulations qui visent l’appren-
tissage d’un savoir-faire, les répétitions
L’individu placé dans une situation sociale quelconque, théâtrales, les exercices de classe, les exa-
de tous les jours, va adopter un comportement mens blancs…);
déterminé par un code. - le détournement (exemple: un cadre
supérieur issu d’un milieu aisé qui le
dimanche aide au service de la soupe
cipant prenait en charge la responsabilité celle d’un langage et nos comportements populaire).
d’un poste du processus de production: sociaux sont une «rhétorique générale». Le jeu de formation est la modalisation
taillage des crayons, fabrication des embal- Dans son premier ouvrage de 1956, La d’un cadre primaire social (le travail) et
lages, mise en boite, logistique… présentation de soi, Goffman assimile le se situe, selon le type de jeu, entre le faire
Le but du jeu était de fabriquer un lot de monde à une scène d’un théâtre où les semblant et la réitération technique.
produits en un temps limité et en res- individus sont des acteurs qui tiennent Goffman estime que les cadres sont vul-
pectant les critères de qualité exigeants. des rôles et des relations sociales sou- nérables dans la mesure où ils relèvent de
Pour analyser les interactions entre les mises à des règles précises. l’interprétation subjective des partici-
acteurs de la formation, nous utilisons la Le concept de «cadre», très utilisé en pants et que par conséquent, ils peuvent
théorie des cadres d’Erving Goffman 1, psychothérapie, et présenté dans un être sujets à des transformations, à des
une approche qui permet de dessiner une autre ouvrage, Les Cadres de l’Expérience. glissements d’un cadre vers un autre, à
grille de lecture simple mais complète. Pour un individu, un événement ne des confusions, des erreurs de cadrages.
prend sa signification que s’il est placé On n’est jamais totalement dans un seul
Sa recherche porte sur les interactions cadre: on peut être à la fois engagé dans
en apparence les plus banales, celles de dans un cadre. Les activités du moment
font appel à un ou plusieurs cadres une activité principale et porter en même
la vie de tous les jours, pour découvrir la temps son attention dans une activité
«trame de l’ordre social» qui les sous- interprétatifs.
latérale hors cadre qui se produit au
tend. Les rencontres quotidiennes sont Les cadres primaires même moment.
pour lui les plus riches d’enseignement Ils sont utilisés pour donner une signifi-
pour l’observateur; elles livrent les cation aux événements, sans être rap- E. Goffman distingue quatre canaux
enjeux sociaux sans que les participants portés à une interprétation préalable. pour définir cette multiplicité de cadres:
en aient clairement conscience. Un employé en retard à son travail - La superposition: phénomène qui per-
(cadre primaire) comprend aussitôt la met aux individus de s’engager simulta-
Cadres interprétatifs signification de l’attitude de son patron nément et avec la même intensité dans
Ainsi pour sa thèse de doctorat, il va qui s’attarde à examiner sa montre. deux ou plusieurs cadres différents.

Sommaire
30 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
2- Compétences transversales et socialisation

- La distraction: défaillances physiolo- fonctions techniques de l’entreprise. nels complexes, peuvent influencer le
giques qui diminuent l’engagement choix de pratique des acteurs. Ce n’est
Du fictif au réel, pas si simple pas le propos de développer ici les prin-
(exemple: envies de bouger, de se grat-
ter, de bailler…). On constate donc deux effets: à court cipes qui favorisent l’implication des
- La dissimulation: maintient de l’engage- terme, «superposition» avec résultats individus dans le travail, mais il nous
ment dans l’activité principale en igno- satisfaisants; à moyen/long terme: dis- semble important de rappeler que l’or-
rant les événements accidentels hors solution de la «superposition» avec dif- ganisation est le résultat d’un processus
cadre. ficultés de continuité des résultats. Pour de négociation permanent et qu’il
comprendre les mécanismes qui font n’existe pas d’organisation sans soumis-
- La direction: signes verbaux ou non que ce qui est vécu dans un jeu n’est pas sion individuelle et sans liens de subor-
verbaux d’écoute ou d’encouragement. facilement transposable à la réalité du dination: c’est l’essence même d’un
Droit à l’erreur travail, il faut prendre en considération contrat de travail.
À l’issue de la journée de formation en deux facteurs: la nature virtuelle du jeu Les compétences d’un individu sont donc,
salle, le groupe avait parfaitement atteint et la complexité du fonctionnement de d’une certaine manière, fonction du cadre
les objectifs du jeu et donc manifesté sa l’entreprise. où il agit et où ses actions prennent sens.
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capacité à pratiquer efficacement les Le premier facteur nous conduit à


regarder les différences et les similitudes Pour conclure
concepts appris.
entre jeu et travail. Les principaux En acceptant de jouer, nous acceptons
Le fait de traiter un problème fictif, qui de nous déplacer dans un territoire pro-
n’impliquait pas de prise de risque, nous points de convergence qui se dégagent
de cette comparaison sont l’utilisation fessionnellement «neutre». Pendant ce
a permis de convaincre les apprenants bref voyage, rien n’est important, l’er-
d’adopter des nouvelles postures dont de compétences existantes qui permet-
tent de décider et d’agir; l’action et l’in- reur est admise, l’ambiance est déten-
ils n’avaient pas l’habitude, par exemple due, le chef est considéré comme un
l’écriture de cartes «anomalies/amélio- teraction entre acteurs; le résultat de
l’action qui se manifeste en terme de collègue… Dans ce cadre, nos représen-
rations» et l’utilisation d’un tableau d’af- tations mentales sont plus malléables et
fichage comme support d’animation de performance; les flux de l’entreprise qui
peuvent être reconstitués dans le jeu, l’acquisition de nouveaux concepts est
réunions. Ils étaient d’accord pour dire: ainsi favorisée.
«Essayons, on va voir ce qui se passe.» sous une forme fictive et simplifiée.
Il y a cependant des différences majeures. Mais le retour dans le cadre profession-
En outre, l’aspect matériel et concret du nel nous replace dans les zones affectives
jeu a favorisé la compréhension de Dans l’activité ludique, l’individu peut
prendre des risques, puisque ses actes et et conflictuelles du travail. Tout nous
concepts abstraits qui ont pu ainsi être semble plus difficile; nous doutons que
mis en pratique. Et c’est bien la pratique ses décisions n’auront pas de consé-
quences graves pour lui. Les règles du jeu l’organisation existante nous empêche de
et l’engagement dans de nouvelles activi- pratiquer ce que nous avons appris, et
tés qui constituent les indices de cohabi- peuvent être négociées et adaptées, tan-
dis que les règles imposées par la société cela affaiblit notre motivation à agir. Ce
tation ou mieux, comme le dit Goffman, doute ne relève évidemment pas de notre
de «superposition» entre jeu et appren- sont généralement acceptées par les indi-
vidus sans conditions. Dans le jeu, on imaginaire, mais plutôt des expériences
tissage. vécues et des histoires entendues.
La même méthode de résolution de pro- peut simuler le rôle d’autres personnages,
blèmes, apprise sur le tas, aurait demandé ce qui n’est pas possible dans la réalité.
plusieurs semaines de pratique dans un Les consultants et les formateurs, en tant Carlo Bianchi,
climat d’incertitude et dans la crainte de qu’éléments externes à l’entreprise, peu- consultant en formation,
commettre des erreurs qui, dans la réalité vent influencer la réalité en rendant pos- doctorant en sciences de l’éducation,
du travail, seraient considérées comme sible la superposition, c’est-à-dire la Rouen.
un manque de compétences, tandis que, transposition, entre le cadre de l’appren-
dans le jeu, l’erreur n’a pas de véritables tissage et celui du travail. Avec le temps,
conséquences pour les apprenants: et cette superposition peut se dissoudre et
pour le formateur elle constitue un «indi- disparaître à cause de la force du cadre de Références bibliographiques
cateur de processus» d’apprentissage 2. la réalité, lorsque ce dernier n’est plus C. Argyris, Savoir pour agir, surmonter
Trois mois après l’animation du jeu, les influencé par l’élément externe. les obstacles à l’apprentissage organi-
sationnel, Interéditions, 1995.
groupes ont obtenu des résultats consi- Le deuxième facteur de transposition
dérés très satisfaisants par l’équipe de problématique des acquis du jeu au J.-M. Barbier, Situations de travail et
direction (suppression d’environ 80 % domaine du travail relève du complexe formation, (ouvrage collectif)
des défauts de qualité du produit). L’Harmattan, Paris, 1996.
rapport de force entre homme et entre-
prise. Chez les individus, il existe une M. Fabre, Gaston Bachelard, La for-
Malgré tout, l’objectif d’autonomie de
tendance naturelle à utiliser la dissimu- mation de l’homme moderne, Paris,
pratique de la méthode de résolution de Hachette Livre, 2001.
problèmes n’a pas été atteint; et pour le lation pour cacher les effets de certaines
«routines défensives» et générer ainsi G. Le Boterf, Construire les compé-
traitement d’autres anomalies les appre-
une superposition apparente, le but tences individuelles et collectives,
nants ont continué à avoir besoin du Éditions d’Organisation, 2000.
soutien du responsable qualité qui maî- étant d’éviter des situations embarras-
trisait la méthode. santes et de préserver son emploi.
En effet, un questionnaire soumis aux A priori, la compétence à accomplir une
apprenants a révélé un certain sentiment tâche ne dépend pas du cadre particulier
d’efficacité vis-à-vis de la méthode en où elle est réalisée; l’individu la possède 1 E. Goffman (1922-1982) est un sociologue amé-
tant que telle, mais une capacité insuffi- au préalable. En fait, dans le contexte du ricain appartenant à l’« École de Chicago ».
2 Sur la place de l’erreur dans l’apprentissage, voir
sante à piloter les futurs projets et à gérer travail, ce n’est pas aussi simple; les J.-P. Astolfi, L’erreur, un outil pour enseigner, ESF,
les difficultés relationnelles avec certaines réseaux sociaux, tissés de flux relation- 2001.

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 31
DOSSIER Le jeu en classe

Le désir et la règle
Entretien avec Philippe Meirieu
En parodiant le titre d’un ouvrage célèbre de l’auteur de cet article, on pourrait l’intituler : « Le jeu, oui…mais
comment ? » Car il s’agit bien de cerner les questions pédagogiques et éthiques, en se gardant autant que
possible des phénomènes de confusion et de fascination.

Dans votre livre Le monde, n’est pas un dans un cadre prédéfini, où il apprend à Est-ce ainsi que le jeu permet d’accéder au
jouet 1, vous mettez en avant une finalité occuper une place – qui n’est pas toute la langage, au symbolique?
philosophique du jeu en classe. Pouvez-vous place –, où il expérimente sans risques
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Beaucoup de travaux, depuis long-


nous l’expliquer? une action possible dans et sur le monde. temps, insistent sur des corrélations
Pour l’enfant qui rentre à l’école, «on ne Or, tout cela, le jeu le permet, comme l’a fortes: les enfants qui ont des difficultés
joue plus, on travaille!» Certaines posi- bien montré, en particulier, Wallon dans d’accéder au langage sont aussi des
tions font effectivement du jeu à l’école L’évolution psychologique de l’enfant: «Se enfants qui jouent peu… Même si l’on
une hérésie : une régression et un non- permettre le jeu quand son heure paraît constate une différence entre les filles,
sens aux regards des finalités scolaires. venue, n’est-ce pas se reconnaître digne pour lesquelles la médiation du langage
Mais raisonner ainsi, c’est ignorer le vrai d’une trêve qui suspend, pour un temps, est très déterminante, et les garçons, qui
statut du jeu: c’est confondre le jeu et l’in- les contraintes, obligations, nécessités et utilisent surtout l’imitation de l’action 3.
fantile. Or, l’infantile n’est pas le jeu, c’est disciplines habituelles de l’existence? Au total, il semble bien que le jeu et le
la suppression, ou, au moins, la dilution, […] Le jeu résulte précisément du langage participent d’un même mouve-
de la frontière entre le jeu et le non-jeu. contraste entre une activité libérée et ment de mise à distance par rapport à
L’infantile, c’est le jeu permanent et sans celles où normalement il s’intègre. C’est l’immédiateté et à l’engluement dans un
véritable règle… Ce n’est donc pas le jeu! entre des oppositions qu’il évolue, en les présent sans forme ni perspective.
L’infantile, c’est réduire le monde à un surmontant qu’il se réalise 2.» Quand au symbolique, je crois à l’intérêt
gigantesque jouet, objet de notre toute- Ainsi le jeu constitue-t-il une médiation de l’analyse esquissée par Freud dans Au-
puissance. À cet égard, grandir, c’est se entre l’infantile, qui sans cesse menace delà du principe de plaisir et reprise, par
délivrer de l’infantile et, dans un même de reprendre le pouvoir en nous, et le exemple, par Philippe Gutton: «La char-
mouvement, renoncer à être le centre du monde extérieur qui se présente toujours nière du fantasme et du symbole ludique
est l’événement majeur. Ce mode de
compréhension prend toute sa dimen-
Ainsi le jeu constitue-t-il une médiation entre l’infantile, sion si l’on sait que le fantasme primor-
dial véhiculé par le jeu est de l’ordre de
qui sans cesse menace de reprendre le pouvoir en nous, l’omnipotence archaïque [ce que j’ai
et le monde extérieur qui se présente toujours comme nommé l’infantile]. Dans le jeu, le fan-
tasme s’efface au bénéfice du symbole…
un donné « à prendre ou à laisser ». Sous l’effet du désir qui le sous-tend, le
fantasme se répète indéfiniment, fixé,
asservi au passé. Le symbole ludique est
monde, cesser de croire que nous pou- comme un donné «à prendre ou à lais- lui une structure ouverte, création dans
vons commander au monde en le sou- ser». Jouer, c’est explorer notre rapport l’espace et dans le temps, construction
mettant en permanence à nos désirs, au monde dans un cadre circonscrit où le progressive modulant le fantasme qu’il
découvrir l’altérité et entrer en relation joueur sait que le monde qui est là a été véhicule.» 4
avec elle, s’associer à des pairs, confron- construit, que ce n’est pas «pour de vrai»,
qu’il est «en miniature», avec des carac- À cet égard, on peut considérer le jeu
ter son point de vue aux leurs pour accé- comme une étape absolument décisive –
der progressivement à l’objectalité… téristiques grossies pour être plus lisibles
et «manipulables». Il sait aussi que les et jamais complètement franchie – qui
C’est aussi apprendre à construire du permet de métaboliser les pulsions
«bien commun» à partir de la confronta- rôles ne sont pas définis une bonne fois
pour toutes, mais qu’ils tournent pour archaïques. La miniaturisation est, bien
tion raisonnée des intérêts individuels. évidemment, une composante essentielle
Piaget et les psychanalystes, les péda- que, précisément, chacun s’essaye «à
blanc» à chacun d’eux. Pas de différence de ce processus de symbolisation… Mais
gogues des «méthodes actives» et ceux il va au-delà: le symbole – et le jouet en
qui, dans la tradition protestante, pro- entre la marelle, les échecs, le golf, les
cubes, les mimes, etc.: on offre à un sujet tant que symbole – ne reproduit pas seu-
meuvent la démarche expérimentale et la lement le monde en plus petit, il lui
recherche documentaire, se rejoignent ici un espace-temps symbolique et qui se
donne comme tel, un espace-temps bien donne un sens pour un sujet et, plus lar-
complètement dans un même éloge de la gement, pour un sujet dans un collectif.
coopération bien comprise, comme arra- délimité qui permet de dire ce qui n’est
chement au narcissisme initial. pas «du jeu», ce qui n’est pas «un jeu». Que pensez alors de la relation entre «jeu»
En tant qu’espace-temps intermédiaire, et «travail»?
Le jeu aide-t-il à grandir ? le jeu a donc toute sa place à l’école… Il me semble que, sur le plan pédago-
Grandir suppose des espaces-temps dès lors qu’on assigne à cette dernière la gique, il n’y a pas superposition. Certes,
intermédiaires où le sujet articule le désir mission d’enseigner à entrer en relation tout jeu nécessite, à l’évidence, un cer-
et la règle, où il investit son imaginaire intelligente avec le monde. tain «travail» intellectuel; de même,

Sommaire
32 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
2- Compétences transversales et socialisation

nous savons bien que les «bons élèves» comme lui»; c’est vrai des jeux vidéos me semble qu’il y a là un danger.
sont ceux qui vivent les exercices sco- dont on connaît aujourd’hui le pouvoir D’abord, parce que le plaisir, le tâtonne-
laires comme des jeux et y trouvent un de «socialisation»… parfois excessif ment, la prise de sens, le contact avec le
vrai plaisir ludique. Mais ce qui caracté- d’ailleurs. C’est d’ailleurs là qu’on voit concret ne sont pas l’apanage du jeu.
rise le «travail» — toutes les formes de qu’il faut veiller aux deux autres dimen- C’est ce qui doit exister dans toute acti-
travail et, donc, aussi le travail scolaire – sions: un apprentissage qui permet de vité humaine réussie. Ensuite, parce que
c’est que, d’une part, la personne s’en- découvrir de la différence (d’accéder à de l’on aura beau être très inventif, je crains
gage et assume la responsabilité des l’altérité et non seulement de se perfec- qu’il ne reste dans le travail – en particu-
conséquences de ses actes et que, d’autre tionner dans un savoir-faire), un déve- lier dans le travail scolaire – une part
part, il y a irréversibilité du temps: on ne loppement de la personne par lequel le incompressible irréductible au processus
peut pas revenir en arrière parce qu’on sujet acquiert de la maîtrise de soi et ludique. Laisser croire le contraire est, à
est dans l’histoire, dans «son histoire» ou développe son intentionnalité… mon avis, trompeur. Enfin, parce que le
dans «la grande Histoire», mais dans Des ludothécaires ont défini le concept de jeu et le travail ne sont pas les deux seules
une temporalité où il est impossible de ludicité 6 en lien avec les travaux de activités humaines, ni les seules activités
rebattre les cartes, de faire ressusciter les où l’on apprend: il existe des activités
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Vygotsky. Un «bon» jeu étant un jeu qui


morts et de changer de place entre peut amener les élèves à adopter une atti- sexuelles, contemplatives, rituelles… qui
chaque partie. Ce n’est pas parce cer- tude ludique, en faisant référence à une échappent à cette dichotomie jeu/tra-
tains jeux traditionnels sont devenus des même «zone de compétences du joueur» vail. C’est pourquoi, je suis partisan de
«spectacles» ou des «guerres» et ont bien spécifier ce que l’on peut attendre
située entre un niveau de savoir-faire déjà
perdu leur caractère de réversibilité du jeu, dans quelle démarche il s’inscrit,
acquis, soubassement rassurant et sécuri-
temporelle que le jeu en soi a perdu cette à quel moment il commence et à quel
sant, et le niveau supérieur du problème à
caractéristique essentielle. moment il s’achève, etc. Si le jeu néces-
résoudre, induisant curiosité et désir de réus-
Ainsi, à l’école, il me semble important site et permet des apprentissages (la plu-
sir. Qu’en pensez-vous? part du temps – mais pas toujours — il
de distinguer les temps de jeu des temps Je trouve cette analyse tout à fait perti-
de travail: dans le jeu, le «résultat» n’est les permet parce qu’il les nécessite), alors
nente et importante pour les pédagogues. il est utile dans la classe et c’est la condi-
pas important, ce n’est pas «pour de Elle nous permet de comprendre quelles tion pour que son introduction soit vrai-
vrai»… Dans le travail, au contraire, le précautions il faut prendre quand on veut ment efficace.
«résultat» est ce qui compte, ce qui, utiliser le jeu en classe sans en faire un
d’une manière ou d’une autre, sera éva- Quelle vigilance convient-il d’avoir lorsque
outil de régression collective: le jeu doit l’on souhaite mettre en place un jeu en classe?
lué, ce qui permettra de franchir une être un défi, un outil de progression intel-
étape décisive, etc. Alors, qu’on puisse lectuelle. Cela dit, il y a aussi, à mes yeux, Une vigilance qui découle de ce que je
jouer pour s’entraîner à travailler, c’est d’autres précautions à prendre: bien spé- viens de dire: l’attention à la démarche du
une évidence, mais que tout travail soit cifier le temps du jeu et les règles du jeu; jeu et la non-totémisation du jouet. Car, si
un jeu et réciproquement, je trouve cela annoncer clairement que «ça ne compte Freinet condamne ce qu’il nomme le jeu-
dangereux. Encore une fois, le jeu n’est pas»… Pas parce que ça ne sert à rien, haschisch, c’est bien parce qu’il craint que
possible et intéressant que parce qu’il y mais, justement, parce qu’on est dans le maître et les élèves ne s’enferment dans
a des moments où «l’on ne joue plus!». l’exploration, dans un cadre où l’obses- une fascination du dispositif ludique au
sion du résultat ne doit pas paralyser détriment d’un apprentissage conscient.
Trois dimensions indispensables Il se méfie de la répétition, de la sidération,
Dans l’ouvrage de Jean Vial 5, on peut l’imagination, la recherche de solutions
du vertige dont parle Roger Caillois.
trouver une classification permettant de originales. Et, surtout, j’attache beaucoup
Privilégier le jeu sur le jouet, c’est com-
mieux analyser les pratiques ludiques. d’importance à la rotation des tâches et
prendre ce qu’on fait et non régresser
L’auteur distingue trois types de jeu: les des rôles. C’est peut-être là où le jeu dans l’infantile. Pédagogiquement et
jeux visant un apprentissage, ceux visant la rompt le plus efficacement avec les très concrètement, pas de jeu en classe
personne et les jeux à vocation sociale. Est- dérives tayloriennes trop souvent pré- – même avec des tout-petits – sans un
ce que cela correspond aux différentes utili- sentes dans l’univers scolaire: dérive de la minimum de ce que nous nommons la
sations possibles du jeu en classe? division du travail, de l’enfermement des métacognition. C’est ainsi que, sans «sco-
individus dans des images et dans des lariser» le jeu abusivement, l’école pourra
C’est une typologie intéressante et cer- places qui constituent en quelque sorte
tainement très utile. Mais elle désigne faire du jeu un de ses enjeux…
leur «nature», dérive du classement hié-
plutôt, à mon avis, une centration ou une rarchique systématique qui interdit fina-
entrée privilégiée. Il me semble que les lement à quiconque de s’essayer à être Philippe Meirieu,
trois dimensions sont toujours présentes autre, à différer, à tenter de faire ce qu’il professeur des universités
dans toutes les formes de jeu. Et j’aurais ne sait pas faire… pour apprendre à le et militant pédagogique.
tendance plutôt, de mon côté, à deman- faire. Parce que le jeu comporte des
der à ceux qui utilisent le jeu de bien s’as- Propos recueillis par Yvana Ayme.
règles, parce qu’il est un «espace hors
surer qu’elles sont là, identifiées et mises menaces», on peut y prendre des
en œuvre. Certes, on dira qu’il existe des risques… et, en particulier, prendre le 1 Philippe Meirieu, Le monde n’est pas un jouet,
jeux résolument individuels, mais c’est risque d’aller vers l’inconnu. Une autre Éditions Desclée de Brouwer, 2004.
une illusion: même un jeu qui se pra- manière de dire que le jeu peut donner le
2 H. Wallon, L’évolution psychologique de l’enfant,
tique seul a une dimension sociale. Il se paris, Armand Colin, 1965, p. 70 et 77.
goût et le courage d’apprendre. 3 Cf. J. Ditte, Le jeu comme mode de relation à
transmet dans un contexte donné et relie autrui chez l’enfant de 2 à 6 ans, 1973, Paris,
celui qui joue aux autres joueurs: il crée Comment analyser cette relation entre jeu Armand Colin – Bourrelier.
un collectif de joueurs qui a incontesta- et apprentissage? 4 P. Gutton, Le jeu chez l’enfant : essai psychana-
lytique, 1973, Paris, Larousse.
blement une dimension collective. C’est Je suis toujours un peu réticent quand on 5 J. Vial (1981) Les ludothèques, Paris, Presse
vrai pour les jeux des tout-petits qui leur investit massivement sur le jeu en le Universitaire de France.
permettent d’identifier que l’autre «fait parant de toutes les vertus possibles: il 6 Le ludoscope, Quai des ludes, 1998-1999.

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 33
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage
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Se poser les bonnes questions


Jean-Michel Faivre et Marcelle Pauvert
Des enseignants de maternelle découvrent, perplexes, qu’un cycle d’apprentissages mathématiques par le jeu
donne des résultats décevants. Leur constat d’échec, ici brièvement résumé, a été soumis à une didacticienne
des mathématiques qui propose quelques questions utiles pour affiner le diagnostic.

Jean-Michel Faivre: Suite à un travail en connaîtront bien cette partie qu’en CP de «jeu gagnant» étaient développées par
conseil de cycle, nous avons constaté que et même au CE1 pour les élèves qui pré- certains élèves et que la place du gagnant
les élèves de CP ne connaissaient pas sentent des signes de dyslexie. Par contre devenait motivante, voire l’objectif de
bien la comptine numérique, qu’ils ils peuvent « compter » beaucoup plus réussite pour tous.
avaient aussi des difficultés à ajouter et loin si quelqu’un les aide à « passer les En tant qu’enseignant de grande section,
retrancher 2 ou 3 à un chiffre donné. La dizaines», ce qui signifie qu’ils ont com- j’avais décidé de travailler l’ensemble des
reconnaissance des constellations du dé pris l’utilisation de la suite des noms de notions mathématiques avec l’outil jeu, ce
posait problème pour la moitié des élèves chiffres d’un à neuf. La découverte des qui m’a fait construire beaucoup de jeux.
de la classe. Il nous a semblé pertinent de règles de combinatoire des chiffres pour
écrire les nombres peut commencer en Or, lors des évaluations l’année suivante,
retravailler sur ces notions. Pour mieux les résultats ont été très décevants: les
les intégrer dans la vie de la classe, un tra- s’appuyant sur cette suite de noms de
nombres à un chiffre. compétences évaluées n’avaient pas pro-
vail de mise en place de jeux mathéma- gressé positivement. Il me semblait que
tiques a été systématisé sur une année, Une bande numérique installée dans la le travail mené n’avait pas porté ses
fruits. Pourquoi?
M. P.: Dans quel contexte culturel et
Il a expliqué que « maintenant il compterait en arabe social se situe cette école?
dans sa tête et en français dans la classe » ! - Quelle est la langue maternelle des
élèves?
Si ce n’est pas le français, les élèves peu-
tous les après-midis. Nous avons utilisé classe peut aider les élèves à prendre des vent-ils établir des «passerelles» à l’école?
les jeux de société traditionnels dans un repères, y en a-t-il une dans ces classes?
premier temps, puis des jeux mathéma- Alors que nous faisions des jeux mathé-
- Ajouter et/ou retrancher une quantité matiques dans une classe de grande sec-
tiques construits par nos soins.
Ajouter et retrancher 2 ou 3 est un objec- tion, la maîtresse s’étonnait de la passivité
Marcelle Pauvert.: Les objectifs méri- d’un élève qui d’habitude était partie pre-
tif «hardi» en grande section, par contre
teraient d’être précisés: nante des activités. Cet élève est arrivé un
découvrir et utiliser l’itération de l’unité
Connaître la comptine numérique, jus- est un passage important et fondamental jour en disant «J’ai compris, ma maman
qu’où et pour faire quoi? Pour repérer la pour les apprentissages ultérieurs. m’a traduit.» Il savait compter en arabe
date? Pour dénombrer des quantités? mais ne pensait pas qu’il s’agissait d’une
Pour calculer? Pour comparer des quan- J.-M. F.: Les évaluations au cours de activité similaire en français. Nous
tités ou des grandeurs? l’action étaient très positives: très bonne l’avons invité à «compter en arabe»
En grande section, certains élèves hési- implication, les élèves ayant plus de dif- devant les autres élèves et il a expliqué que
tent et se trompent souvent pour les ficultés semblaient très à l’aise. Nous «maintenant il compterait en arabe dans
nombres de onze à dix-neuf. Certains ne avons aussi constaté que des stratégies sa tête et en français dans la classe»!

Sommaire
34 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

- Les activités langagières autour des Mais alors… Pourquoi les élèves n’ont- Les jeux mathématiques eux-mêmes peu-
jeux mathématiques ont-elles contribué à ils pas transféré? Pourquoi la motivation vent être classés en fonction des activités
expliquer des procédures de comptage ou et la participation n’ont-elles pas permis sur le nombre qu’ils vont provoquer:
de calcul, à faire connaître et à comparer l’apprentissage? Pourquoi les élèves en - activité de dénombrement;
des expressions comme «un de plus», réussite scolaire ont-ils appris?
«ajouter un», «avancer d’une case»… à - activité de comptage;
M. P.: À propos des évaluations de l’an- - activité de comparaison;
comparer des grandeurs «qui a gagné?» née suivante et de la difficulté du trans-
«Pourquoi?» fert d’une connaissance: - activité de calcul.
J.-M. F.: Nous avons fait, en équipe, les Les élèves en difficulté ont du mal à Les enseignants peuvent se référer à dif-
constats suivants: transférer les connaissances qui sont, chez férents ouvrages, notamment Ermel
- les élèves en difficulté d’apprentissage eux, toujours très contextualisées. grande section (Apprentissages numé-
n’ont pas construit de savoirs mathéma- riques et résolution de problèmes,
Quelques pratiques qui peuvent aider: Grande Section, Hatier, 1985), c’est un
tiques, par contre ils les avaient utilisés - mettre en valeur les situations dans les-
dans les situations de jeux; ouvrage déjà ancien mais qui a le mérite
quelles le maître lui-même est amené à uti- d’approfondir ces différents aspects du
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- la forte participation des élèves lors des liser des nombres pour compter du nombre à travers des activités qui ont été
jeux et leur motivation n’ont pas permis matériel, pour donner le compte des élèves utilisées dans de nombreuses classes.
l’apprentissage mathématique; qui restent à la cantine, pour faire une Certaines de ces activités mathématiques
- les temps d’apprentissage étaient uni- commande à la directrice…; il est possible s’appuient sur des situations de jeux.
quement des situations de jeu, pas de d’inviter un élève à se joindre à ce travail;
temps de reformulation collective; - les travaux de calcul mental avec évo- Compte rendu de
- l’évaluation était centrée sur la réussite cation des situations rencontrées dans les Jean-Michel Faivre,
dans le jeu; jeux puis dans d’autres contextes; professeur des écoles dans le Doubs.
- les élèves en réussite depuis la - des activités de jeux mathématiques
Questionnement de
moyenne section avaient des résultats communes aux élèves de grande section et
Marcelle Pauvert, IUFM de Créteil.
aux évaluations très positifs voire même de CP avec échange au sujet des règles du
plus importants que les autres années. jeu, des stratégies de calcul…

Calcul mental et stratégie


Une mine d’émotions et d’énergie intellectuelle
Entretien avec Didier Faradji
Jeu et langage s’associent ici pour faire vivre aux élèves la puissance du raisonnement dans des situations
où les notions mathématiques prennent sens tandis que se développent ingéniosité et esprit d’initiative.

Comment devient-on créateur de jeux n’est qu’une dizaine d’années plus tard, dans le domaine du calcul mental, de la
mathématiques? en juin 1997, que j’ai créé le Magix 34 géométrie et du raisonnement déductif.
Je suis juriste de formation et j’ai toujours qui allait être édité par le CRDP de Comment a évolué votre réflexion?
trouvé de nombreuses analogies entre la Franche-Comté en partenariat avec la Rapidement j’ai pris conscience que les
règle de jeu et la règle de droit. L’une et Cité des sciences et de l’industrie 1. Peu jeux ainsi créés n’avaient pas épuisé la
l’autre ont une portée générale et ont après, je mettais au point le Décadex et le matière, tant il m’apparaissait que le
vocation à régler une infinité de situations, Multiplay qui, avec le Magix 34, sont champ mathématique recelait de prin-
de la plus simple à la plus complexe. Je tra- actuellement réunis dans le Coffret Calcul cipes ludiques encore inexplorés. Je me
vaillais alors dans le secteur bancaire mental et Stratégie 2. Aujourd’hui, je conti- suis alors interrogé sur la nature des
lorsque je me suis lancé un défi. Celui de nue à créer des jeux, toujours avec le sou- leviers sur lesquels le jeu agissait pour
créer un jeu instaurant entre les joueurs tien du CRDP. Je forme également des rendre l’enfant aussi disponible aux
un antagonisme qu’ils résoudraient sans enseignants à l’utilisation du jeu en classe apprentissages mathématiques. En sim-
faire intervenir le hasard, par la seule pour amener l’élève à construire lui- plifiant à l’extrême, ils sont de deux
puissance de leur raisonnement. Ce même ses apprentissages mathématiques ordres.

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 35
DOSSIER Le jeu en classe

D’une part, le jeu confère au joueur le Multiplay, j’ai cherché à déterminer un l’occurrence quatre. Il y parviendrait en
statut d’un être volontaire, responsable objectif qui conduirait l’élève à faire posant ses quatre anneaux sur quatre des
et doué de raison, et qui à ce titre, va vou- preuve d’habileté dans le maniement neuf constellations composant le plateau.
loir conserver la maîtrise de sa destinée, des différentes structures multiplica- L’objectif consiste donc à sélectionner
aussi modeste soit-elle. En générant ainsi tives. Ensuite, j’ai créé un univers avec ses anneaux quatre collections tota-
une telle tension psychologique, le jeu adapté à l’objectif et j’ai défini des règles lisant quatre points. Afin de faire échec
fait entrer le joueur dans la rationalité en qui pousseraient l’élève à activer la aux stratégies de blocage de l’adversaire,
mettant en éveil ses capacités de concen- compétence visée et à mobiliser les dif- le joueur est contraint de déplacer ses
tration, d’analyse et d’observation. férentes notions mathématiques qui lui anneaux d’une constellation à l’autre,
D’autre part, en créant une incertitude sont attachées. modifiant à chaque fois son total de
sur la personne du gagnant, le jeu génère Dans le cas du Multiplay, le joueur doit points jusqu’à ce qu’il atteigne les quatre
une émotion, et stimule une activité intel- sélectionner trois nombres qui consti- points requis.
lectuelle intense qui est propice au dépas- tuent les trois termes d’une multiplica- Apprendre à abstraire
sement de soi, à la mémorisation et au tion (3, 8 et 24 par exemple) en déplaçant
développement de ses capacités d’inves- ses trois anneaux sur les cases numéro- En jouant au Quadruplay, l’enfant dès la
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tigation. Sous l’emprise de cette émotion tées du plateau de jeu, tout en empê- moyenne section parvient à effectuer la
générée par la crainte de perdre et la chant son adversaire d’y parvenir en somme de ses points en totalisant ceux
volonté de vaincre, l’enfant répète en premier. En jouant, l’élève consolide très contenus dans les quatre constellations
jouant inlassablement certains calculs et rapidement ses tables en établissant des sélectionnées avec ses quatre anneaux. Il
refait à l’infini certains raisonnements en relations de divisibilité entre les nombres s’ouvre également à la notion d’écart
faisant preuve d’une énergie intellec- et en élaborant des stratégies qui s’ap- numérique en pouvant dire à chaque
tuelle sans cesse renouvelée. Doué d’une puient principalement sur la notion de fois combien il lui manque de points
lorsque son total est inférieur à quatre ou
combien il doit en retirer lorsqu’il tota-
lise plus de quatre points.
Dans le jeu mathématique, le joueur va vivre une Quels intérêts trouvez-vous à l’utilisation
expérience purement intellectuelle, non transposable dans des jeux mathématiques en classe?
la réalité et exempte de toute matérialité, qui viendra Ils sont de trois ordres: logique, numé-
rique et géométrique. Dans le jeu mathé-
enrichir sa capacité à abstraire et à conceptualiser. matique, le joueur vit une expérience
purement intellectuelle non transpo-
sable dans la réalité et exempte de toute
fonction fortement désinhibante, le jeu multiples communs. Dès le cycle 3, l’en- matérialité, qui enrichit sa capacité à abs-
transforme ce qui est aride en plaisir tout fant construit des compétences parfois traire et à conceptualiser.
en favorisant l’ancrage des connaissances. même très élaborées dont il ignore le
plus souvent toute la dimension mathé- En présentant les objets et les relations
Donner aux savoirs un espace de vie matique sous-jacente. L’enseignant a mathématiques sous des aspects à la fois
L’idée de départ consiste à se dire ensuite tout loisir d’extraire les concepts inattendus et insolites, ces expériences
qu’une notion mathématique est abs- mathématiques fréquentés dans une vécues dans le jeu vont diversifier et
traite et qu’elle serait plus attrayante si situation de jeu pour les donner à voir, à enrichir les représentations que les
elle présentait davantage d’applications étudier et à expérimenter. enfants se font du réel.
dans sa réalité quotidienne. En fait, une Êtes-vous parvenu à concevoir un jeu au En jouant, l’enfant se met en phase avec
notion mathématique (un parallélo- moyen duquel l’élève va pouvoir véritable- l’univers fictif proposé par le jeu. Par le
gramme, un nombre pair, un angle ment construire une compétence? raisonnement logique, il met en adéqua-
droit…) est une construction purement tion une stratégie et les résultats pro-
intellectuelle qui existe en tant que telle, Le sujet qui m’a le plus occupé ces deux duits tels qu’ils peuvent être annoncés,
indépendamment de l’environnement dernières années concernait le fait que
constatés et vérifiés. C’est l’activité
dans lequel on peut la trouver. Elle est peu d’enfants qui entrent en cours pré-
même de résolution de problèmes que le
paratoire parviennent à abstraire le
par essence figée et peut être comparée à jeu mathématique permet de réaliser en
nombre. Or, nous savons aujourd’hui
un oiseau dans sa cage. Le jeu va en contribuant à développer chez l’élève
qu’une des raisons de l’échec scolaire en
quelque sorte offrir à cette notion un son goût pour la recherche de solutions
mathématiques provient du fait que les
espace à l’intérieur duquel elle va pou- et la confiance qu’il peut avoir en ses
élèves de cycle 2 savent dénombrer de
voir se déployer et interagir avec son grandes collections sans toutefois être capacités à raisonner juste.
milieu. La notion mathématique évolue capables de transformer la quantité; En laissant la part belle aux nombres,
à la vue du joueur qui l’emploie pour les autrement dit d’annoncer à l’avance la au quantitatif, le jeu mathématique
besoins de sa stratégie. Il la matérialise composition finale d’une toute petite col- promeut, et c’est là une de ses qualités
d’autant mieux qu’il n’a pas eu besoin de lection (initialement de quatre ou cinq essentielles, le développement des
passer préalablement par une approche objets) dont le cardinal va être augmenté compétences liées au calcul mental. Il
théorique pour l’appréhender. ou diminué d’un très faible nombre d’élé- stimule notamment les capacités calcu-
Ainsi, lorsque je crée un jeu, je pars tou- ments (deux ou trois objets). Cette com- latoires des joueurs mais il renforce
jours d’une compétence mathématique pétence fort subtile ne peut se construire également leur aptitude à mener simul-
plus ou moins délicate à acquérir et qu’au prix d’un travail d’appropriation tanément plusieurs calculs à la fois et à
m’interroge sur un objectif ludique qui dont seul l’élève détient les clés. Je me mémoriser l’ensemble des résultats
induirait sa mise en œuvre – implicite – suis fixé ainsi comme objectif de conce- obtenus. Ce sera notamment le cas lors-
dans des conditions propres à faciliter voir un jeu (le Quadruplay) qui aiderait qu’il joue au Décadex, au Multiplay ou
son renforcement. Par exemple, pour le l’enfant à construire un petit nombre, en au Magix34.

Sommaire
36 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

Quel est l’apport du jeu par rapport aux pensée de son partenaire par le débat plan, mais ce n’est pas le seul. On peut
méthodes dites traditionnelles? contradictoire qu’il engage avec lui en également évaluer plus finement un
Les mathématiques sont par essence confrontant son point de vue avec le sien. élève en le regardant jouer ou plus pré-
abstraites, celles contenues dans le jeu le Il s’enrichit enfin de la pensée de ses cisément en l’écoutant parler quand il
sont aussi. À la différence des autres adversaires qui, tout en échangeant éga- joue. Dans ce cas-là, on est plus particu-
sciences, les mathématiques ne peuvent lement à haute voix, valident ou invali- lièrement attentif à la consistance du rai-
pas en tant que telles être expérimen- dent la stratégie qui leur a été préparée. sonnement exprimé, à la justesse des
tées. La richesse du jeu, sur un plan Dans ce type de pratique, les coéquipiers mots utilisés pour le traduire, à l’exacti-
purement didactique, tient au fait qu’il sont disposés de manière alternée afin tude des calculs effectués ou à la bonne
offre aux élèves des occasions de mettre d’éviter toute communication chucho- articulation des étapes du plan proposé.
en œuvre ce que l’on pourrait appeler un tée. C’est toujours au joueur dont c’est le Ensuite, pour les évaluations de fin d’ap-
raisonnement expérimental. Celui-ci tour de jouer de décider de la bonne stra- prentissage c’est à l’enseignant de choi-
leur permet de mettre en pratique leurs tégie à mettre en œuvre. Son partenaire sir sa méthode.
compétences mathématiques sans pas- remplit alors le rôle de conseiller en lui Mais attention ici à la confusion des
signalant les éventuelles erreurs et en lui genres, le contrôle des connaissances ne
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ser par l’écrit. Ainsi, l’aptitude à recon-


naître les propriétés d’un losange ou proposant d’autres solutions. Au tour peut prendre la forme d’un jeu. Le jeu
d’un trapèze est capitale dans le Magix suivant, les rôles seront ensuite inversés. en classe doit se dérouler dans un espace
34 car elle permet de déterminer avec Quel est alors le rôle de l’enseignant? de liberté au sein duquel le droit à l’er-
précision un certain nombre de configu- reur doit être reconnu à chacun. C’est
Durant ce temps de jeu, l’enseignant est
rations gagnantes. Ces notions revêtent parce qu’il sait qu’il a droit de perdre et
là pour accompagner, permettre à l’enfant
bien entendu des fonctionnalités très que cela est sans conséquences pour lui
de «dire», l’observer dans sa démarche.
différentes selon qu’elles sont rencon- que l’élève prend des initiatives et peut
Lors de pratiques de jeux mathématiques
trées dans un manuel ou au détour d’un faire preuve d’ingéniosité. C’est parce
en situation collaborative, les apprentis- qu’il ne se sent pas jugé qu’il prend
de ces jeux. Le joueur ignore tout des sages s’effectuent au niveau du groupe
objets et des concepts mathématiques autant de plaisir à jouer en classe et qu’il
des quatre enfants qui jouent ensemble. peut, le temps d’un jeu, devenir un véri-
qu’il fréquente dans le jeu. Il les utilise La moindre lacune est toujours mal sup-
pour les besoins de sa stratégie et par- table petit chercheur.
portée par le joueur qui s’empresse à
vient ainsi à leur conférer une certaine chaque fois de demander conseil à son
matérialité. L’approche théorique de ces partenaire. C’est bien au niveau de la paire Didier Faradji,
compétences acquises lors de ces situa- que la mutualisation des savoirs va pleine- concepteur de jeux mathématiques,
tions de jeu peut être ensuite formalisée ment opérer, à condition toutefois que intervenant extérieur dans le cadre
par l’enseignant dans les séances tra- l’enseignant incite les partenaires à des inspections académiques
vaillées. débattre ensemble des différentes solu- et en IUFM.
Pas de jeu sans langage tions en présence. Il met à profit sa dispo- Entretien réalisé par Yvana Ayme.
Mais pour cela, on peut retenir parmi nibilité pendant le jeu pour veiller au
les différentes formes de pratique du jeu déroulement harmonieux des échanges
en classe, celles qui placent l’élève en entre les joueurs et rééquilibrer les
situation de devoir rendre compte ver- équipes lorsqu’elles sont de niveau inégal.
Il n’intervient pas directement dans le Jocelyne Richard, Éric Trouillot,
balement de la démarche utilisée. Jouer Didier Faradji, Philippe Le Borgne,
silencieusement n’est pas une activité fonctionnement d’une paire sauf si elle
Mathématiques et jeux au collège,
formatrice en mathématiques. Par le laisse un de ses membres en dehors de Hachette coll. Ressources Formation,
langage, l’enfant va pouvoir déceler une l’interaction. Dans ce cas, il exerce son 2005.
erreur et la démontrer en argumentant. rôle de médiateur en reprenant les propos
C’est en verbalisant sa stratégie qu’il de l’enfant passif pour les lui faire clarifier
apprend à construire un plan et à articu- ou expliciter. Inversement, il modère les
ler entre elles chacune des étapes, c’est ardeurs de l’enfant trop sûr de lui en
en passant par le langage que l’enfant l’amenant à expliciter les raisons du coup
entre dans la prédiction et l’anticipation qu’il projette de jouer. En incitant le
et qu’il peut justifier une décision en joueur à verbaliser sa stratégie, l’ensei-
détaillant les répercussions qu’elle peut gnant le conduit à entrer dans une
avoir sur la situation de jeu. démarche rationnelle au cours de laquelle
sa pensée gagnera sans cesse en profon-
Pour placer les joueurs en situation de deur et en fiabilité.
dialoguer à voix haute, on peut donc les
faire jouer à quatre en deux en équipes de Peut-on évaluer une progression des élèves
deux comme au bridge. On proposera au fil des séances de jeux mathématiques?
simplement à celui dont c’est le tour de La progression des élèves s’apprécie
jouer, de solliciter préalablement l’avis de tout d’abord par la durée des parties. À
son partenaire. De cette manière, les niveau égal, plus le niveau d’un joueur
stratégies sont débattues à haute voix est élevé, plus son temps de la réflexion
devant les adversaires qui écoutent atten- s’allonge et plus ses capacités de concen-
tivement. Ainsi, le joueur qui collabore tration s’accroissent. Il parvient à mini-
en dialoguant dans un jeu s’enrichit de sa miser par la même occasion ses risques 1 http://jeuxsoc.free.fr/index2.php?principal=/m/
propre pensée par le simple fait qu’il doit magix.htm&param=
d’erreurs et à mieux sécuriser ses straté-
2 Voir sur le site :
conceptualiser sa stratégie avant de la gies. L’allongement de la durée des par- http://www.cndp.fr/Produits/DetailSimp.
verbaliser. Il s’enrichit également de la ties est un indicateur de tout premier asp?ID=67431

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 37
DOSSIER Le jeu en classe

To play, to act…
perchance to learn ?
Joëlle Aden
Depuis les toutes premières expérimentations pour intégrer les langues vivantes à l’école primaire, l’approche
ludique reste un leitmotiv. Est-elle cependant garante que des apprentissages se font, au-delà de la motivation
de surface ?
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« To die, to sleep... To sleep, perchance to dream?»: lectuelles. Ce type de jeux correspond à ce S’il s’agissait seulement de manipuler
«Mourir, dormir… Dormir, rêver peut-être ? » que Winnicott 3 appelle «games», ils déli- des structures syntaxiques, les jeux
Shakespeare, Hamlet, acte III, sc 1. mitent des cadres à l’intérieur desquels «games» suffiraient probablement. Mais
les enfants testent et renforcent de façon apprendre à communiquer ne consiste

L
e jeu a une fonction clairement mécanique des attitudes langagières et pas seulement à construire des phrases
rappelée dans les programmes de comportementales. Dans l’apprentissage ou trouver les bons mots, mais à inter-
2002 pour l’école: ne pas «bloquer d’une langue, ils permettent la mémori- agir: percevoir avec tous ses sens, l’ouïe,
la volonté et le plaisir d’apprendre». C’est, sation et l’entraînement de certains le regard, le toucher, à décoder et orga-
en effet, la moindre des exigences si l’on domaines de compétence, mais leur por- niser le perçu et lui donner du sens pour
veut donner le goût des langues aux tée reste malgré tout limitée. pouvoir réagir. Apprendre une nouvelle
enfants. Ainsi, a-t-on vu se développer langue, c’est aussi faire l’expérience de la
Le jeu pour communiquer ?
nombre de méthodes et de supports: différence et de l’étrangeté. Pour que la
guides, fiches, CD.rom, etc., basés sur En cours de langue, à l’école, au collège langue soit une rencontre, il faut trouver
une approche ludique. et, même si c’est beaucoup plus rare, au des situations où il y a des choses à
lycée, on utilise le jeu surtout comme un découvrir, de l’émotion à vivre. C’est
Des jeux sans enjeu ? stratagème pour compenser le manque précisément cette dimension très large
Dans un rapport sur les langues à l’école 2, d’authenticité de la situation de com- du jeu que nous avons explorée dans un
l’inspection générale déplore que les jeux munication. En général, ni l’enseignant, ouvrage 6 destiné aux professeurs de
soient trop souvent utilisés dans la classe ni les élèves n’ont besoin de parler une l’école primaire et de 6e, en conjuguant
en fonction de la motivation des élèves et autre langue que le français dans la la didactique des langues et les tech-
ne répondent pas à des objectifs d’ap- classe; on fait donc le pari que la situa- niques théâtrales.
Nous proposons d’entrer dans la langue
au travers du jeu d’acteur. En faisant
L’utilisation du jeu dépend largement de l’idée que l’on se jouant des rôles, les élèves explorent un
espace de jeu que Winnicott appelle
fait de ce qu’est une langue vivante et de ce à quoi elle sert. «play» (par opposition à game) qui consti-
tue une aire intermédiaire entre le connu
et l’inconnu, le soi et le non-soi, où l’en-
prentissage: «Les activités ludiques sont tion de jeu reproduit le réel. Mais ce fant se constitue en tant que sujet social,
utiles et légitimes, mais uniquement lors- n’est vrai que jusqu’à un certain point cet espace est un lieu naturel d’apprentis-
qu’elles sont adaptées à un objectif d’appren- car c’est oublier une dimension fonda- sage. L’approche par le jeu théâtral est
tissage linguistique.» Des jeux, oui, mais mentale de la parole: elle est liée à la une entrée possible dans cet espace inter-
pour apprendre… Pour répondre à ce construction identitaire et aux affects. médiaire entre le monde des histoires et
besoin de cohérence entre un jeu et un Communiquer ce n’est pas seulement des personnages qui peuplent l’imagi-
type de compétence, l’offre éditoriale transmettre des informations pour agir. naire des élèves et le monde inconnu de
s’est orientée vers des catalogues d’idées Pour la linguiste Marina Yaguello 4, «la l’autre dont on prend la place et les senti-
ou des mallettes, véritables banques ou parole est aussi un exutoire, une forme d’ac- ments dans une langue étrangère. Le jeu
boîtes à outils prêts à l’emploi de jeux tion, un moyen de s’affirmer comme être d’acteur consiste précisément à entrer
interchangeables et adaptables à telle ou social, un lieu de jouissance et de souf- dans la peau d’un autre (je suis une prin-
telle compétence de communication: france» ou encore comme le dit Boris cesse, un sorcier, un ogre, etc.), dans des
Bingo, Mr Wolf, memory, jeu de kim, laby- Cyrulnik, neurologue et psychiatre: situations où les élèves sont capables
rinthe, etc. Suivant leurs caractéris- «Pour apprendre une langue, il ne faut pas d’empathie (tel personnage est triste, en
tiques, ces jeux favorisent la dynamique seulement assimiler les sons, les mots, les colère, méchant, etc.). Prenons l’histoire
de groupe, la socialisation, l’attention, règles, il faut acquérir la manière d’y tra- des frères Grimm, Rumpelstiltskin,
la prosodie, la compétition, l’interac- duire des sentiments.» 5 Pour que l’enfant dans laquelle un être maléfique fait un
tion – en particulier lorsqu’il y a une apprenne une langue, le jeu doit repré- chantage à une princesse, elle devra se
information manquante à trouver (infor- senter un défi cognitif et affectif. marier avec lui si elle ne devine pas quel
mation gap). Le professeur instaure des L’utilisation du jeu dépend largement est son nom. Tous les élèves explorent
règles qui permettent aux enfants de de l’idée que l’on se fait de ce qu’est une les personnages dans des jeux collectifs,
mobiliser leurs facultés physiques et intel- langue vivante et de ce à quoi elle sert. cherchent la façon dont ils se déplacent,

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38 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

se tiennent, le ton de leur voix et enfin les vraies questions pour pouvoir interpré- c’est-à-dire inventer des solutions pour
phrases clés qu’ils disent dans l’histoire ter leurs rôles: «Comment la princesse va- comprendre et se faire comprendre dans
comme par exemple: «Please help me! t-elle annoncer au prince qu’elle ne peut pas des situations inédites. Le drama repose
Guess my name! What’s your name? I can’t l’épouser? Doit-elle parler fort? Pleurer? sur la capacité à se projeter mentalement
find your name, etc.» Tous les jeux de lan- Implorer? Quand les couleurs s’affrontent, dans un monde imaginaire. En prenant
gage autour de l’histoire sont gradués, comment montrer son hostilité, avec sa la place des personnages, en marchant
contextualisés et correspondent à une voix, avec son corps? Qu’est-ce qu’il fau- comme eux, en utilisant leurs mots, en
réalité narrative authentique. drait faire pour que les couleurs se parlent? cherchant qui ils sont, ce qu’ils désirent,
Comment faire le premier pas? Etc.» Le comment ils pourraient réagir, les élèves
Du jeu au je
véritable enjeu de la langue apprise se construisent de nouveaux repères lin-
Quand on leur permet d’entrer dans devient précisément l’authenticité du guistiques et culturels dans un univers
une histoire par l’émotion autant que «faire semblant» du jeu d’acteur. qui fait sens.
l’intellect, les élèves vont beaucoup plus
Parce que les histoires sont un moyen Il est vrai que la tradition scolaire fran-
loin que de comprendre le sens des
d’explorer le monde, elles ont une place çaise est réservée sur la place à donner au
phrases en anglais ou les répéter avec la corps et à l’émotion dans les apprentis-
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bonne intonation. Ils saisissent l’enjeu de choix dans l’enseignement des


langues et des cultures. Ainsi, dans notre sages, et faire entrer le drama dans sa pra-
du discours et les intentions des person- tique représente une véritable révolution
nages derrière les mots et les gestes. Par ouvrage et dans les ateliers de formation
que nous menons avec les professeurs, didactique. Aucun discours sur le jeu
exemple, dans l’histoire, le «Guess my d’acteur ne saurait remplacer une expé-
name!» de Rumpelstiltskin est bien plus nous proposons de choisir les tâches et
activités, non pas à partir des fonctions rience, avec sa classe. Nous espérons
qu’une phrase dans un jeu, c’est aussi le avoir convaincu quelques-uns qu’elle
stratagème machiavélique du person- de communication, mais à partir de l’en-
jeu que représente l’histoire, du défi vaut vraiment la peine d’être tentée.
nage. Au-delà de la construction du
sens, les élèves accèdent à l’émotion et à cognitif et affectif qu’elle offre à la classe.
la signification Nous appelons drama Autrement dit, les formes syntaxiques Joëlle Aden,
tous les jeux en anglais qui amènent les ou lexicales enseignées sont dictées par IUFM de Créteil.
élèves à construire les personnages et l’histoire à découvrir. Approche linguistique et didactique
comprendre des situations. Le jeu «play» introduit également une de la différence culturelle,
Dans le premier jeu de l’histoire du nouvelle façon d’aborder la culture. On université de Cergy-Pontoise,
«Peuple de l’arc-en-ciel 7 », les élèves entre toujours dans une histoire à partir teaching adviser to Drama Ties
choisissent individuellement l’une des de son expérience culturelle propre. Il Theatre Company,
quatre couleurs de l’histoire à l’aide de appartient à l’enseignant de faire émer- www.drama-ties.com
rubans: «I’m blue, I’m green…». ger des questionnements sur le contexte
Rassemblés par couleurs, les groupes de l’histoire. Il lui faut aider les élèves à
s’inventent une identité (démarche, réduire la distance culturelle qui sépare
rythme, cri de rassemblement, signature leurs univers de référence et l’univers de
corporelle, totem, etc.), et se livrent une l’histoire et de son contexte. Si l’on fait
compétition orchestrée par le profes- jouer les fables d’Esope, il sera intéres-
seur: «We are the Reds! We are the sant de faire découvrir d’où viennent ces
Greens! Etc.» Les couleurs se séparent histoires, sous quelle forme elles sont
et en viennent à se haïr, parce qu’elles connues en France, pourquoi cette
possèdent des choses différentes: «We forme narrative, retrouver des fables
have water, but no shelter…/We have modernes et ainsi de suite.
shelter but no fire…», elles s’affrontent La place du corps et de l’émotion
dans un jeu théâtral qui leur permet
d’explorer l’instinct grégaire, familier La démarche que nous proposons peut
aux enfants, et les invite à chercher des paraître iconoclaste aujourd’hui dans
solutions à une situation de conflit blo- l’enseignement de l’anglais mais elle
quée. Le texte de cette histoire est écrit, s’appuie sur un étayage théorique en
1 Rapport de l’inspection générale : chapitre III,
mais les élèves sont invités, au travers psychologie cognitive et en linguistique, « L’enseignement des langues vivantes à l’école élé-
d’une succession de jeux de drama, à notamment pragmatique. Il faut aussi mentaire », La Documentation Française, 2002.

interpréter, inventer, s’ajuster au fur et à noter que plusieurs études scientifiques 2 D.-W. Winnicott, Jeu et réalité : l’espace poten-
tiel, Gallimard, 1971.
mesure de la découverte de l’intrigue. internationales ont mis en évidence les 3 Marina Yaguello, Alice au pays du langage, Seuil,
apports du drama intégré à l’enseigne- 1981.
Les histoires au fondement du jeu ment des langues. Notamment celle de 4 Boris Cyrulnik, Les nourritures affectives, Odile
Jacob, 2000.
En jouant à être dans une histoire, les Podlozny 8 qui a montré que la pratique
5 J. Aden & K. Lovelace, (2004c), 3, 2, 1, Action !
élèves sortent d’un enseignement des du drama renforce la performance des Le Drama pour apprendre l’anglais en cycle 3, CNDP
langues centré sur le jeu juxtaposé au élèves en compréhension, et développe la de l’académie de Créteil, coll. Devenir professeur
motivation et les compétences en lecture aujourd’hui.
commentaire: découvrir ce que dit, veut
6 The Rainbow People dans 321, Action ! (ouvrage
ou va faire le personnage de la bande et production écrite. Catterall 9 a, quant à cité).
dessinée, du livre, du film, etc. Les jeux lui, mis en évidence l’amélioration des 7 A. Podlozny, (2000). « Strengthening verbal
de drama n’ont pas pour seules fonc- compétences d’écoute et d’attention, le skills through the use of classroom drama : A clear
link », Journal of Aesthetic Education, 34 (3-4),
tions de fixer, entraîner ou mémoriser la développement de la confiance en soi et p. 239-276.
langue mais ils fondent la construction des stratégies de communication. L’enjeu 8 J.-S. Catterall, (2002). « Research on drama and
de l’histoire et des personnages. Les de l’apprentissage d’une langue ce n’est theater in education ». In R. J. Deasy (Ed.), Critical
Links : Learning in the Arts and Student Academic
élèves peuvent aussi adopter un point de pas seulement «recopier», «redire», «répé- and Social Development (p. 58-62), Washington,
vue interne: dire «I» et se poser de ter», mais c’est apprendre à être créatif, DC : Arts Education Partnership.

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 39
DOSSIER Le jeu en classe

Comprendre
le commerce mondial Monique Ferrerons
Dans cet IDD 1 sur le commerce équitable, un jeu inaugural permet de comprendre les injustices des échanges
entre pays riches et pays pauvres.

N
ous travaillons avec l’association Il est très difficile de faire revenir le est dure à faire. Difficile de comprendre
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«Artisans du Monde» qui nous calme lorsque la demi-heure prévue est le point de vue de l’autre! L’IDD dure
a proposé un jeu de rôle pour écoulée! dix semaines. Nous l’avons reconduit
entrer dans le vif du sujet. Nous les Personne n’est content: ni les pays trois fois. La séance de jeu a toujours
avons suivis, et… ça a bien marché: l’in- «riches» qui ont été harcelés, traités de généré le même genre d’ambiance!
justice liée au commerce mondial ne tous les noms par les autres, ni les pays Ensuite, les élèves ont toujours réussi à
pouvait mieux être comprise! pauvres qui n’ont rien pu faire ou mener à bien une action de promotion
Première séance d’IDD, les 4e n’en presque faute de moyens. du commerce équitable, dont ils sont
connaissent que le titre «le commerce fiers. Mais je pense que la séance initiale
Il est difficile de sortir du jeu: de jeu les marque tout particulièrement.
équitable», et aucune des finalités que
nous visons. Ils sont répartis par groupe «C’est pas grave, c’était juste pour vous
représentant des pays différents. faire comprendre ce qui se passe au
niveau mondial»… Monique Ferrerons,
Chaque pays a une pochette mention- collège Dargent, Lyon 3e.
nant le matériel auquel il a droit, un cer- « Ouais, mais tu aurais pu nous prêter des
tain nombre de feuilles de papier, un ciseaux, tu en avais deux paires.»
certain nombre de billets. «Tu m’as arraché la règle des mains, tu
Un adulte au bureau représente la trouves ça normal?»
banque mondiale et achète des formes Bien sûr nous leur donnons la parole,
1 Itinéraire de découverte, apprentissage interdis-
ayant des mesures précises qui doivent nous essayons de mettre des mots sur ce ciplinaire en projet que l’on peut mettre en place en
être découpées dans les feuilles trouvées qu’ils ont vécu. Mais la prise de distance collège en 5e et 4e.
dans les pochettes.
Le jeu démarre, l’adulte annonce
qu’il fera les comptes pour savoir
quel pays, dans le temps donné,
s’est le mieux débrouillé.
Le jeu commence dans le silence
le plus complet… Que peut faire
le Sénégal avec ses dix feuilles de
papier? Les élèves demandent la
permission d’aller chercher dans
leurs cartables mis à l’écart, qui
sa règle, qui son crayon. Refus
des adultes.
Commencent à s’agiter des pays
comme la France ou l’Italie qui
ont compas, ciseaux, crayons,
règles, argent. Ils viennent ache-
ter les feuilles. Les pays n’ayant
que ce qui représente les matières
premières, ne pensent pas tout de
suite à demander en échange des
outils ou à faire monter les prix,
et après il est trop tard: ceux qui
ont tout ce qui est nécessaire
pour accomplir la tâche, ne veu-
lent rien prêter, ni même vendre!
Il y a des tentatives de vol entre
pays, envers la banque mon-
diale, des gestes violents, des
élèves interloqués: «Mais com-
ment voulez-vous qu’on fasse?»

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40 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

Je suis Marcus, plébéien


Marc Berthou
Voici un cours d’histoire sous forme de jeu ; il s’agit de faire comprendre à des élèves de 6e l’équilibre des
pouvoirs dans la république romaine, rien de moins !

D
ans l’année scolaire, ce chapitre - réaliser que notre système politique actuel Première heure :
vient après le pouvoir absolu est largement inspiré de cette expérience les rôles et les mots
de Pharaon et la démocratie romaine. En cinq minutes, présentation du
grecque. Les objectifs de la séance sont Voilà, voilà, j’avais tout ça à faire passer contexte, du lieu, de l’époque romaine
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ambitieux. L’élève doit être capable de: à des enfants de 11 ou 12 ans, et j’étais qui nous concerne.
- comprendre qu’un deuxième type de pou- persuadé que cette séance était capitale. Distribution des cartes à chacun des
voir, cousin de la démocratie, est installé à Pendant de nombreuses années, j’ai élèves: cartes de plébéiens, de patriciens
Rome dans l’antiquité; bricolé quelques trucs, plutôt moins qui sont presque toutes différentes.
- comprendre que ce régime politique n’est satisfaisants que plus… Les enfants
J’énonce très rapidement les règles du
pas dans les mains d’une seule personne; méprisaient mes sénateurs et autres
jeu, la moitié de la classe n’a que vague-
magistrats, ils s’endormaient molle-
- réaliser que si ce système partage le pou- ment compris, mais c’est normal, ils se
ment avec mes plébéiens, ignoraient
voir, il n’est quand même pas égalitaire; rattraperont plus tard.
outrageusement mes patriciens.
Puis vint le jeu. Le déclic se fit (la décou-
verte de ce type de pédagogie est due en
grande partie à l’aide du réseau Ludus
de l’académie de Caen): pour que les
élèves soient motivés, il faut qu’ils
deviennent acteurs de leurs cours. Et le
jeu, pour être actif, c’est pas mal!
J’ai donc réalisé un jeu de rôle qui simu-
lerait un moment de la vie politique
républicaine à Rome. J’ai construit des
cartes à jouer pour tous les élèves (voir
ci-contre). Sur chacune de ces cartes, il
y a un nom, une fonction et un pouvoir,
voire une appartenance à un groupe. J’ai
distribué les cartes et donc les rôles, et
les élèves ont dû, avec leurs prérogatives,
faire fonctionner cette grosse machine
républicaine.
Voici le déroulement de ces deux heures
de cours.

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 41
DOSSIER Le jeu en classe

Chaque élève lit sa carte à toute la classe: lyse de situation, anticipation…), que pliqués, de plus rapides aussi qui néces-
«Moi je suis Aélius, citoyen patricien, j’ai scientifiques (du vocabulaire spécifique, sitent moins de préparation de la part du
des terres, et beaucoup d’argent, je peux les mécanismes de la politique…). professeur.
élire et faire partie des comices centu- Ce type de séance reste encore pour moi Ce jeu est aussi facilement transposable
riates.», «Moi je suis Marcus, citoyen un moment de pur bonheur; les élèves à d’autres matières; je pense aux sciences
plébéien, je suis marchand… je peux sont ravis, ils ne s’ennuient pas, ils ne tout particulièrement (j’ai dans l’esprit
élire et faire partie des représentants aux regardent pas leurs montres, ils tou- un jeu de rôle en SVT où des pompiers
comices tributes…» (à ce moment les chent du doigt des phénomènes impor- doivent éteindre un feu, mais avant ils
élèves ne savent pas un mot de ce jargon tants, voire décisifs. Certains élèves ont doivent interroger des témoins pour
républicain). été actifs plus que d’autres, d’accord, savoir quel produit utiliser… ou quelque
Tous ensemble, nous essayons de repé- mais tous ont été concernés et acteurs, le chose dans ce style-là, bref beaucoup de
rer les mots importants ou qui posent bilan en terme de motivation pour tout situations de problèmes sont jouables).
problème. Nous parvenons à les définir, le monde est surprenant et positif. Il est aussi facilement adaptable à
d’autant plus que l’on en a besoin pour d’autres niveaux: mes 3e étudient en
Cela fait la quatrième année que je fais ce
continuer à jouer. Comme les élèves sont
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cours avec des 6e, et à chaque fois cette partie la guerre froide sous forme de jeu
très motivés, ça va super vite! Je suis déjà de rôle. Un collègue, lui, joue dans une
moi aussi motivé, à ce moment, car les partie complexe du programme passe
toute seule, et le rendu après évaluation classe de 1re de trente-cinq élèves, en
échanges sont véritables, pendant cette histoire, pour étudier le déclenchement
heure et le rendu pédagogique est pour est carrément encourageant.
de la Première Guerre mondiale.
moi énorme. Si le lecteur se demande… Bref, ces situations ludiques sont mul-
deuxième heure : un organigramme Bon, je sens que quelques lecteurs se tiples et peuvent s’adapter à n’importe
qui a du sens posent la question du bruit dans la classe, quel domaine scientifique et à n’importe
Les élèves, aidés par le maître de jeu (je de l’excitation des élèves, de la perte quel type d’élève. Je pense que c’est une
veux dire le professeur.), se mettent à se d’autorité du professeur dans la classe. voie qui n’est pas assez explorée et
constituer en différents groupes (magis- C’est vrai qu’il y a durant ces deux exploitée, même si petit à petit elle gagne
trats, sénateurs, comices…). Ces groupes heures de séances un peu plus d’émula- en crédibilité… Alors lancez-vous…
sont notés aussi au tableau, et par une tion que lors d’un cours «classique», vous ne serez pas déçus!

Marc Berthou,
collège de Charly-sur-Marne.
Dans les cinq minutes qui précèdent ce type de jeu,
on est un peu fébrile, on se demande comment
ça va tourner... Cette « prise de risque » est utile et je sais
que les élèves m’en sont reconnaissants,
ce qui renforce nos liens de confiance mutuels.

pancarte sur les tables. Donc les élèves mais rien de très méchant; le prof reste
savent où ils sont et à quel ensemble ils le maître de son domaine et au contraire
appartiennent. renforce son autorité, car ce qu’il dit a du
Puis, le groupe des citoyens doit émettre sens pour l’élève («Si vous faites trop de
une idée de loi qu’il écrit sur une feuille et bruit, on ne peut continuer à jouer, si vous
fait passer au groupe des magistrats, qui réagissez de telle ou telle manière, vous blo-
discute du bien fondé de cette idée, qui quez le jeu»), etc.
doit en faire un texte de loi, passer ce texte C’est vrai aussi que dans les cinq minutes
(donc la feuille corrigée) aux comices qui qui précèdent ce type de jeu, on est un
doivent voter oui ou non. La loi passe peu fébrile, on se demande comment ça
ensuite aux sénateurs, etc. va tourner… Mais cela met du piment et
Tous ensemble nous élaborons le fameux pour une prise minimale de risques, (le
jeu ne fonctionne pas, la classe est trop
organigramme de la république romaine,
bruyante… ce qui reste très rare!) on
un organigramme qui a du sens.
peut lutter efficacement contre la rou-
Nous tirons des conclusions sur ce qui tine. Cette «prise de risque» est, je pense,
vient de se jouer, de se passer; «le pouvoir utile pour moi et je sais que les élèves
n’appartient pas à une seule personne et les m’en sont reconnaissants, ce qui ren-
idées circulent et sont modifiées; il y a beau- force nos liens de confiance mutuels.
coup de discussions entre les différents À la fin du jeu, au moment de la trace
groupes et à l’intérieur des groupes.» écrite, il y a un temps calme où l’on
Nous réalisons ensemble une courte décortique, où on l’analyse ce que l’on
trace écrite et mettons en valeur les mots vient de vivre.
de vocabulaire importants. Ce type de jeu n’est qu’un exemple
Pour moi, les objectifs sont atteints. Tant parmi tous ceux qui existent. Il y en a
méthodologiques (questionnement, ana- d’autres: de plus simples, de plus com-

Sommaire
42 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

Dessine-moi un mouton
ou comment apprendre à lire un énoncé
Pauline Trachet
Une jeune enseignante de mathématiques constate que ses élèves ne comprennent pas les consignes (ou ne les
lisent pas) et décide de travailler la compréhension de ce type de texte particulier. Alors rien de tel que des jeux !
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J e me suis fixé un objectif ambi-


tieux : dépasser le problème de la
langue en mathématiques…
Au cours de mes études supérieures,
taliste afin de faire découvrir aux élèves,
des livres et des revues en lien avec la
discipline. Deux animatrices (accompa-
gnées d’un professeur) assuraient l’ani-
obstacles personnels (conscients ou
non) à la communication objective.
Avec Points de repères 2, les élèves se sont
entraînés à transmettre une information
j’avais déjà eu l’occasion de travailler sur mation des séances. À la fin de chaque efficace, quel que soit son destinataire. À
le jeu d’une part, et la motivation des jeu, il était prévu un petit temps afin que partir des seules indications orales ou
élèves d’autre part. Dans ce contexte, il les élèves puissent remplir une grille écrites d’un émetteur, chacun des
m’a paru possible que le jeu crée la moti- individuelle d’évaluation. membres du groupe doit retrouver l’em-
vation et permette ainsi de tendre vers Les élèves, pourtant peu entraînés à tra- placement précis de monuments ou de
les objectifs fixés. vailler en groupe, n’ont eu aucun mal à lieux placés sur un plan de ville. À tour de
En classe de 6e et 5e, j’essayais de consa- se faire à cette ambiance de travail inha- rôle, chaque joueur devient émetteur et
crer du temps à des séances que j’avais bituelle. Pour eux, c’était ludique et dif- essaie de transmettre son message de
intitulées «méthodologie»: un contexte férent, ils n’avaient pas l’impression de manière claire et ordonnée à l’ensemble
de travail différent grâce à des activités et travailler et pourtant… du groupe. Il permet de s’entraîner à la
des supports différents, parfois ludiques. Certains groupes étaient plus bavards précision de l’information et d’aborder
Les élèves étaient habitués à ces pratiques que d’autres, mais globalement tous les les éléments essentiels de la transmission
et y participaient volontiers. élèves ont accepté de jouer le jeu. Il a aussi efficace d’un message et découvrir les dif-
C’est lors du cinquième salon «Culture été agréable de constater que certains férentes techniques utilisables pour adap-
et jeux mathématiques» que j’ai décou- élèves d’ordinaire en grande difficulté, ter sa communication aux destinataires.
vert l’association Permis de Jouer. J’ai fait
part à mes collègues (les uns enthou-
siastes, les autres sceptiques) de l’idée de À partir des seules indications orales ou écrites
faire venir l’association au collège. Nous d’un émetteur, chacun des membres du groupe
avons décidé que toutes les classes de 6e
du collège participeraient à ce projet, doit retrouver l’emplacement précis de monuments
ainsi que les deux classes de 5e dont ou de lieux placés sur un plan de ville.
j’avais la responsabilité. Le financement
une fois trouvé non sans mal, plusieurs
rencontres ont pu avoir lieu avec l’équipe osaient prendre la parole et semblaient Mais c’est avec Dessine-moi un mouton
de Permis de Jouer, puis ont eu lieu les libérés des contraintes habituelles de la que nous avons eu le plus de succès! On
deux jours de travail avec les élèves. classe. pense avoir affaire à un problème de
Les objectifs que nous nous étions fixés Oral, écrit, clin d’œil mathématiques complexe et fastidieux,
étaient les suivants: avec de nombreuses questions. Il com-
Praecisus 1 est un jeu pédagogique conçu mence par cet avertissement : « Pour
• Faire découvrir aux élèves l’impor- pour améliorer la capacité d’écoute sans
tance de la consigne dans les problèmes bien dessiner un mouton, il faut lire
interprétation et la précision des mes-
mathématiques; toutes les instructions avant de commen-
sages. Les joueurs doivent reconstituer
un dessin schématique avec pour seules cer. » Puis vient le détail de construc-
• Mettre en valeur le lien mathéma- tions géométriques interminables, où il
tiques/langage. indications les instructions orales d’un
émetteur. Chaque joueur prend à tour faut construire rectangles, demi-cercles
• Améliorer leur attention au texte des et autres médiatrices. Mais ce qui fait
problèmes. de rôle la place d’émetteur puis de
récepteur de l’information. Suivant le sourire ceux qui respectent la consigne
• Développer leur capacité à retranscrire. niveau de départ et le degré d’expé- et marque la mémoire des autres, c’est
Étant donné le nombre de classes rience des joueurs, on peut utiliser des que l’énoncé (qui prend plus d’une
concernées (six au total), nous avions fait modèles faciles ou complexes. Ce jeu page) finit ainsi: «Mais les moutons ne
en sorte que les séances se déroulent sur permet de travailler la précision de l’in- sont pas affaire de géométrie et il vaut
les heures des cours de mathématiques. formation et le passage d’un univers de mieux les faire de façon plus spontanée.
La rencontre était prévue au CDI sur les référence à un autre (du visuel à l’oral, Ainsi dessinez le mouton de vos rêves
deux jours, une heure par jour pour cha- de l’oral au visuel) et de prendre comme vous le désirez mais avant, pre-
cune des classes. Une exposition avait conscience de la notion de codage et de nez le temps de faire un clin d’œil dis-
d’ailleurs été organisée par la documen- décodage des informations ainsi que des cret à un adulte!»

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 43
DOSSIER Le jeu en classe

Paroles d’élèves de 6e : maths ne sont pas que source d’ennui et que


- «J’ai bien aimé travaillé avec vous car on l’on peut s’amuser en faisant des maths.»
apprend à bien raisonner en s’amusant.» Bien sûr je ne peux pas dire que les
- «J’ai beaucoup aimé ces jeux et cela m’a objectifs aient été entièrement atteints,
fait voir l’importance des énoncés.» parce que la lecture d’énoncés et de
consignes est présente dans toutes les
- « J’ai bien aimé ces séances car ça nous
disciplines et à tous les niveaux à l’école.
a obligé à travailler en équipe, et c’est
Mais je pense que nous avons tout de
aussi une façon très amusante de faire des
même réussi à toucher du doigt certains
maths. »
points faibles et provoquer quelques
- «C’était génial, car c’est des jeux amusants, prises de conscience, aussi brèves fus-
astucieux et plein de jeux. Ca m’a apporté la sent-elles pour certains. En tous les cas,
joie et l’envie de travailler. Je ne dis pas que cette animation pédagogique au collège Permis de Jouer est une association qui
je n’aime pas travailler, mais j’ai plus appré- m’a conforté dans l’idée qu’il fallait œuvre pour la promotion du jeu comme
cié de cette façon!!! Merci pour tout.» outil pédagogique. dans l’Est ou en Île
œuvrer dans ce sens. C’est en impli-
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de France, elle propose de nombreuses


Paroles d’élèves de 5e : quant directement les élèves qu’ils se animations en direction du public
- «J’ai trouvé que c’était bien parce que sentiront plus concernés et motivés par jeune : projets montés avec les ensei-
comme ça on peut faire plus attention main- la discipline. Nul doute que je renouvel- gnants, « Café-jeux » thématiques
tenant, on en sait plus sur nous.» lerai cette expérience motivante dès que (sciences et lettres), animations gran-
cela sera possible. deur nature (sur la préhistoire, le déve-
- «… cela nous a permis de voir nos loppement durable, la santé, etc.).
erreurs…» L’association assure également, sur un
Pauline Trachet, plus large territoire, des formations
- «Cela m’a fait apprendre de nouvelles d’animateurs, d’enseignants… Permis
choses en mathématiques.» professeur de mathématiques.
de Jouer a reçu le prix Irène Joliot-Curie
- «Je pense que c’était très instructif et très décerné par le ministère de la
amusant. Ca m’a appris à lire toute la Recherche pour ses jeux de vulgarisa-
feuille d’énoncé avant de commencer et à tion scientifique.
bien écouter les consignes.» 1 Praecisus © Permis de Jouer. Site : www.permisdejouer.com
- «Cette séance m’a permis de voir que les 2 Points de repères © Permis de Jouer.

Franchir le pas Ronan Glemarec


Trop peu d’enseignants envisagent d’utiliser le jeu comme un outil supplémentaire dans leur sac à malices
pédagogique. Pour l’auteur, enseignant en collège et Segpa, le jeu en géographie est irremplaçable.

A
yant participé aux stages sur le des dés et surtout une règle simple qui divertissement sans utilisation pédago-
jeu en histoire-géographie dans puisse être comprise par tous car le but gique possible). Un jeu doit s’intégrer
l’académie de Caen et apparte- est de rendre actifs tous les élèves de la dans une progression de séquence.
nant au réseau Ludus 1, j’ai fait du jeu un classe. En effet, certains élèves ont du Du plus simple au plus compliqué
outil pédagogique à part entière. Je ne mal à sortir du rôle d’écoute et de
rentrerai pas dans les détails de défini- consommation passive. Ne soyez pas découragés en lisant telle
tion. Mais si on reprend celle de J.-M. ou telle règle d’un jeu complexe néces-
- Une atmosphère propice au jeu est sitant la lecture de plusieurs pages, la
Lhote 2 sur le jeu de société, il y a au nécessaire: demander le calme, préparer
moins deux joueurs, il y a des règles, un création de centaines de cartes, d’un
la salle… Il s’agit de faire comprendre plateau à construire… Il faut adopter
support matériel, il y a un début et une aux élèves que le jeu va leur apporter des
fin qui débouche sur le gain, la perte ou une démarche progressive en allant du
informations pour mieux s’approprier la plus simple au plus compliqué. N’arrêtez
l’égalité. leçon. pas tout si votre première expérience du
Vade mecum - Une bonne gestion du temps est indis- jeu pédagogique a été un échec car il ne
- Les jeux du commerce ne pouvant être pensable: il faut pouvoir utiliser le jeu et faut pas oublier que c’est peut-être la
utilisés tels quels, il faut que l’enseignant faire son exploitation pédagogique pen- première fois que les élèves jouent au
invente ou s’approprie ceux créés par dant une séance ou deux mais pas plus. collège.
d’autres collègues comme il en existe sur - Il ne faut pas voir le jeu comme une Tous les enseignants ont un jour ou
le site Ludus. récompense, et en bannir la pratique à la l’autre utilisé des jeux comme des mots
- Il faut préparer tout le matériel veille des vacances (une façon de faire fléchés ou des rébus dans leurs cours.
ludique, des cartes, un plateau de jeu, penser aux élèves ce n’est qu’un simple Ceux-ci existent déjà dans les manuels où

Sommaire
44 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

peuvent être facilement créés par les (discrétion, opportunisme, tricherie… Il y a maintenant des jeux dans le manuel
enseignants grâce à des logiciels et un peu les bons joueurs et mauvais joueurs, les d’éducation civique de 6e aux éditions
d’idées. Nous pouvons même demander instables…). Hatier. Cela demande du temps de pré-
aux élèves d’en créer. Pour vous donner Pour l’étude du paysage de faible occu- paration, mais il est largement compensé
des idées, le magazine Arkéo junior 3 pro- pation humaine qui est celui de la grande par l’enthousiasme des élèves et aussi des
pose une batterie de jeux comme des forêt amazonienne, j’ai élaboré un jeu, parents que nous pouvons rencontrer.
phrases codées, des palais des connais- «Déforestia Amazonia». Les élèves doi- À votre tour de créer des jeux en vous
sances, des mots mystérieux, des jeux des vent empêcher ou ralentir la déforesta- inspirant de ceux déjà existants, en lisant
sept erreurs… On pourrait aussi citer des tion. À la fin de la séance, on fait le bilan, des revues spécialisées et en ayant sur-
livres récré-musées édités par la Réunion en complétant une carte et en comparant tout de l’imagination et un peu de temps
des Musées Nationaux 4. ce qui vient de se passer avec la réalité devant vous!
Dans un deuxième temps, on peut passer (images satellitales). L’utilisation des
au jeu d’émulation pour toute la classe. jeux coopératifs, même s’il surprend au
Ronan Glemarec,
Ce type de jeu porte avant tout sur l’assi- départ les élèves, est très bien accueillie
professeur d’histoire géographie
et les met en situation d’acteurs de l’amé-
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milation de connaissances car le principe au collège Molière à L’Aigle,


est de trouver la solution à partir d’une nagement des paysages. Et en évaluation
membre du réseau Ludus.
situation fermée. On forme des équipes terminale, un jeu de cartes «Le jeu des
de trois ou quatre élèves, qui se posent grands paysages» permet de faire un
mutuellement des questions à partir du bilan sur les quatorze paysages du pro-
1 www.discip.crdp.ac-caen.fr/histgeo/ludus
manuel. Cette situation a plusieurs avan- gramme.
2 Magazine « Des jeux sur un plateau » numéro 18,
tages car elle force les élèves à bien rédi- Pas sérieux, le jeu? On peut le comparer juillet/août 2005.
ger les questions et leurs réponses, à à la situation de la bande dessinée en 3 Mensuel Arkéo junior aux éditions Faton. Site
écouter leurs camarades et aussi à déga- internet www.arkeojunior.com
classe par rapport à la littérature. 4 Les jeux du Moyen Âge, les jeux de Versailles, édi-
ger les informations importantes de celles Longtemps décriée, elle est entrée dans tions Réunion des Musées Nationaux, octobre 1999.
qui le sont moins car vous trouverez tou- les manuels… Alors ne désespérons pas. 5 Pour tous les jeux évoqués ici, voir sur le site Ludus.
jours un élève qui demandera la taille de
telle ou telle statue. On constate qu’une
majorité d’élèves a retenu beaucoup plus
d’informations que lors d’un «cours
classique». Cette remarque est surtout
valable dans des classes où les élèves ren-
contrent de grosses difficultés comme
celles de Segpa dans lesquelles j’inter-

Jeu de l’oie
viens en 6e et en 3e.
Ensuite peuvent venir les jeux de simu-
lation qui visent à reproduire un méca-
nisme complexe en plaçant les joueurs

et calcul littéral
en situation d’acteurs. Il en existe de
nombreux sur le site Ludus comme «480
avant Jésus Christ» de Denis Sestier qui
traite des cités grecques face à l’invasion
des Perses.
On peut même jouer
Béatrice Jouin
contre le professeur
Voici un jeu proposé à des élèves de BEP en lycée professionnel,
La géographie est le parent pauvre des mais qui peut également se pratiquer au collège, voire en aide
jeux pédagogiques, on ne peut le nier. individualisée au lycée. Il a pour but de démystifier le calcul littéral.
Même s’ils sont moins nombreux que
ceux d’histoire, il serait dommage de
s’en passer. précis, car il peut prendre des valeurs

I
l s’agit de matérialiser le nombre « qui
Me posant la question de savoir com- se cache derrière le x » et qui est différentes !).
ment aborder la leçon sur les grands source de difficultés pour de nom-
Jeu de l’oie avec x
repères géographiques en classe de 6e, breux élèves. Beaucoup sont en effet
capables de calculer des expressions Dans ce jeu de l’oie figurent, dans les dif-
j’ai élaboré le jeu « Géotrouvetout » 5, à
numériques, et même de raisonner à par- férentes cases, des expressions mathé-
jouer en équipe mais une autre
tir d’expressions où les variables repré- matiques qui contiennent la variable « x »,
variante consiste à ce que toute la
sentent des grandeurs qu’ils peuvent qui va prendre pour valeur numérique la
classe joue contre le professeur, ce der-
rattacher à une réalité (par exemple prix marque du dé que chaque joueur va lan-
nier ne pouvant gagner des points
TTC = prix HT +TVA, ou bien V = L cer (voir encadré).
qu’avec les erreurs des élèves. Cette
formule stimule davantage les élèves x l x h, oùV est le volume d’un parallélé- Je fais jouer ce jeu quand les élèves sont
qui sont en situation de battre leur pro- pipède, L sa longueur, l sa largeur et h sa en demi-groupes, en modules ou aide
fesseur. Placé en début d’année sco- hauteur). Mais quand apparaît la variable individualisée.
laire, « Géotrouvetout » permet non « x », beaucoup restent bloqués, car elle Pour de bonnes conditions, il faut quatre
seulement de voir si les grands repères ne représente plus rien à leurs yeux (ils à cinq élèves par jeu (s’ils sont plus nom-
sont acquis mais aussi de voir les diffé- lisent une lettre, mais en fait il s’agit d’un breux, le temps d’attente entre deux
rentes réactions des élèves face au jeu nombre… mais ce n’est pas un nombre tours est trop long et les élèves risquent

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 45
DOSSIER Le jeu en classe

de se lasser), et donc trois à quatre tables


de jeu. Chaque groupe est assis autour
d’une grille de jeu (photocopiée sur une
feuille de format A4) posée sur une table.
Chaque élève du groupe se choisit un
« pion » : morceau de gomme, capuchon
de stylo, trombone ou tout autre objet de
petite taille de sa trousse. Il va sans dire
que je participe aux parties, avec l’un ou
l’autre groupe, les élèves ont ainsi le
plaisir de me voir au même niveau
qu’eux, avec la possibilité de gagner
avant moi s’ils ont de la chance !
Les expressions mathématiques sont
choisies pour que les élèves puissent
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avancer ou reculer. Quand ils reculent


plusieurs tours de suite, ils font grise
mine, mais ils peuvent ensuite avancer
très vite et « doubler » leurs camarades en
un seul coup (voir les exemples pris dans
la règle du jeu)…
Selon les groupes et mes objectifs, je
demande une formalisation différente
des calculs : parfois tous les élèves du
groupe doivent remplir leur tableau La variable prend sens condition de connaître les tables de mul-
pour vérifier le résultat de chaque joueur Il se crée une émulation entre les élèves tiplication jusqu’à celle par 6, ce qui est
(quand je suis dans une phase de réel pour trouver le résultat, qui va déterminer par ailleurs un bon moyen de les réviser !),
apprentissage ou bien quand je constate si le joueur recule ou avance et parvient à ils essaient de les faire seuls, parfois aidés
des calculs approximatifs et incorrects), la case d’arrivée. C’est celui qui a lancé le par les autres élèves du groupe, en décom-
parfois les élèves ne l’utilisent que dé qui donne le résultat, les autres contrô- posant les différentes opérations à effec-
comme brouillon de leur propre calcul, lent. Il peut utiliser une calculatrice pour tuer. Ils prennent confiance en eux et se
d’autres fois encore ils calculent « de effectuer les calculs, mais constate vite que détachent peu à peu de la calculatrice. Le
tête » sans remplir le tableau. Ils préci- ceux qui calculent « de tête » sont plus caractère répétitif des calculs en jeu est
sent alors oralement le calcul qu’ils ont rapides. Petit à petit, les élèves se rendent probablement aussi une aide : on repasse
fait en cas de désaccord. compte que les calculs sont simples (à souvent sur la même case, les mécanismes
de calculs se ressemblent, la seule compo-
sante qui change est la valeur de « x », ce
qui donne du sens au concept de variable.
Ainsi, remplacer le « x » par la valeur de la
marque du dé devient familier, même
Règle du jeu avant la fin d’une partie, et effectuer les
calculs de tête devient une opération de
Le jeu se joue à 4 ou 5 joueurs autour d’une grille de jeu. Chacun a devant lui une moins en moins laborieuse, les élèves fai-
feuille comportant un tableau qui lui permettra de noter les calculs (voir plus loin). sant preuve progressivement d’une agilité
Pour le premier tour, chaque joueur place son pion sur la case de départ « D ». Il jette peu ordinaire en lycée professionnel !
le dé à son tour et avance du nombre de cases correspondant à la marque de son dé. Parfois il arrive que, pressés de gagner,
Ensuite, les joueurs jettent le dé à tour de rôle et avancent (ou reculent) du nombre leurs calculs soient incorrects (par
de cases correspondant au résultat du calcul de l’expression mathématique figurant exemple, ils ont tendance à « oublier » le
sur la case où ils se trouvaient (nommée « case de départ »), en prenant pour valeur signe « moins » du résultat et avancent au
de « x » la marque du dé. lieu de reculer). Deux réactions sont alors
Exemple 1 : le pion était sur la case « - x + 3 ». possibles : les autres élèves corrigent le
Le dé marque 6, le résultat du calcul sera - 6 + 3 = - 3 et le joueur reculera de 3 cases. résultat et le joueur modifie son déplace-
Le dé marque 1, le résultat du calcul sera - 1 + 3 = 2 et le joueur avancera de 2 cases. ment ; le groupe laisse faire, soit pour ne
Exemple 2 : le pion était sur la case « x 2 ». pas entrer en conflit avec le joueur soit par
Le dé marque 4, le résultat du calcul sera 42 = 16 et le joueur avancera de 16 cases, paresse de contrôler, et l’erreur n’est pas
il arrivera directement à la case d’arrivée. rectifiée. Si je constate ces dérapages, j’in-
Le dé marque 6, le résultat du calcul sera 62 = 36 et le joueur avancera de 36 cases, terviens bien évidemment…
il parcourra plusieurs fois la grille.
Des élèves en projet
Chaque joueur remplit le tableau suivant où il effectue son calcul ou vérifie celui des autres:
Ce jeu de l’oie peut donc être utilisé dans
Joueur Case de départ Marque du dé Expression à calculer Résultat des situations pédagogiques diverses,
moments d’apprentissage ou de remé-
diation plus ou moins dirigés, ou encore
d’entraînement au calcul.
Pour gagner, comme au jeu de l’oie traditionnel, il faut parvenir exactement à la case Il arrive aussi que le jeu soit une « récom-
d’arrivée « A », sinon le joueur revient en arrière. pense », à la fin d’une séance de travail

Sommaire
46 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

sur un autre sujet (j’ai toujours dans de gagner, non de rendre un exercice de
mon cartable des grilles et dans ma mathématiques au professeur. Ce n’est
trousse quelques dés). Dans ce cas-là, pas non plus l’enseignant qui interdit
tous les élèves ne jouent pas, ou bien ils l’usage des calculatrices, ils constatent
jouent en équipe. Des élèves me deman- eux-mêmes que, pour ce genre de cal-
daient régulièrement, une année où ils y culs, il est assez aisé et plus rapide de par-
avaient pris goût, s’ils auraient l’autori- venir au résultat en calculant « de tête ».
sation de jouer à la fin d’un moment Ils sont plus efficaces que la machine,
d’exercices. La réponse dépendait de quelle expérience intéressante !
leur concentration et de leur efficacité !
Assez vite, les élèves se familiarisent avec Béatrice Jouin,
le remplacement de la variable par des PLP maths sciences
valeurs numériques et avec les règles de au LP Jean-Pierre Timbaud
calculs, car ils sont pris par la dynamique à Aubervilliers (93)
du jeu… Ils font des calculs pour savoir
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et IUFM de Créteil.
comment déplacer leur pion, l’enjeu est

Variantes
autour d’un « brise-glace »
Jacques Audebrand
Les brise-glace sont des mini-jeux fréquemment utilisés dans la phase de démarrage des formations d’adultes,
notamment dans les formations au management. Ont-ils une place dans les formations initiales ?

«brise-glace» ont toutes ces qualités. En

L
e «brise-glace» – ice-breaker dans glace» conçu par Claude Bourlès 1 pour
sa langue d’origine – a pour quelque sorte, il s’agit de jouer ensemble des formations d’adultes. J’ai proposé ce
fonction première, comme son pour travailler ensemble, apprendre à se jeu à deux groupes, dans des contextes et
nom l’indique, de rompre la glace entre connaître, lever les inhibitions dans une avec des objectifs différents, et bien
des participants qui ne se connaissent situation où l’enjeu est faible, l’erreur entendu une animation adaptée à chacun.
pas et qui s’engagent pour quelques autorisée, le rire possible et le plaisir per- Il s’agissait d’un groupe BTS du secteur
jours, parfois plus, dans un parcours manent. Favorisant la cohésion de groupe Métiers de l’eau dans le cadre d’une pre-
souvent impliquant professionnelle- en début de formation, ils peuvent égale- mière journée de regroupement et d’un
ment et personnellement. ment être utilisés pour leur fonction groupe de BEP du secteur Vente lors d’un
Pour devenir facilitateur dans la construc- redynamisante en cours de formation, on cours de mathématiques.
tion des apprentissages, le groupe, lieu parle alors de jeux «énergiseurs». «Station spatiale» met en compétition
d’échanges et de confrontations, doit Avec des jeunes en formation initiale des groupes de huit à dix participants
pouvoir exister dans le respect de chacun, face à un défi: «Communiquer verbale-
riche de la diversité des participants, et En formation et dans toute situation
ment l’information fournie pour, dans un
avancer ainsi dans une démarche de d’apprentissage, le jeu n’est pas un but
premier temps, déterminer la nature du pro-
coopération. C’est l’impératif préalable à en soi. Il est un outil au service d’objec-
blème et dans un deuxième temps trouver la
la possibilité d’un groupe apprenant. tifs pédagogiques. Le contexte d’ap-
solution.» La contrainte naît du fait que
C’est aussi le premier défi du formateur: prentissage, le niveau des apprenants et
chacun ne détient qu’une partie de l’in-
établir la cohésion du groupe dans un cli- les objectifs préalablement définis, ainsi
formation. Il faut donc:
mat de confiance. que le mode d’animation choisi vont
déterminer les variantes du jeu. - Prendre connaissance des informa-
Le jeu permet ce premier pas pour le tions (trois ou quatre cartes distribuées
groupe: un brin de compétition, une Les «brise-glace» ont-ils leur place dans
à chaque joueur) 2.
bonne dose de coopération, de la place à les centres d’apprentis? Et pour quels
l’imagination, pour relever ensemble un objectifs d’apprentissage? Connaissant - Transmettre les informations (unique-
défi dans une situation décalée de la réa- bien leur intérêt pour le travail de groupe, ment oralement).
lité. Simples, rapides à mettre en œuvre, j’ai tenté cette expérience au CFA de la - Rassembler, trier, organiser toutes ces
de déroulement court (10 à 20 minutes en chambre de métiers de La Roche-sur- informations pour repérer et réaliser la
moyenne, 30 au maximum), les bons Yon, avec «Station spatiale», un «brise- tâche à accomplir.

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 47
DOSSIER Le jeu en classe

ensemble. Je souhaitais les amener à


construire une méthode de travail
8 étapes pour la résolution d’un problème
transférable dans d’autres domaines y
Les données 1- lire les informations Qu’est-ce qu’on sait ? compris dans leur domaine profes-
2- organiser les informations sionnel.
3- identifier le problème Qu’est-ce qu’on cherche ? Pour tenir compte du nombre impor-
4- trier les informations De quoi a-t-on besoin ? tant de participants (trente), j’ai choisi
La résolution 5- organiser les calculs Comment va-t-on faire ? de mettre en compétition simultané-
6- effectuer les calculs ment trois groupes. Le déroulement du
7- estimer les résultats Les résultats sont-ils plausibles ? cours s’est donc fait en quatre temps:
8- vérifier les résultats Les résultats sont-ils exacts ? - La phase de lancement, 15 minutes:
présentation de l’objectif, «identifier les
étapes d’une procédure de résolution de pro-
Le but du jeu est de calculer le temps a-t-il défini une stratégie? Laquelle? À blème», et des modalités du déroulement
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minimum nécessaire à l’assemblage de la quel moment? Comment a-t-elle été de la séance. Constitution des groupes et
station spatiale. Il n’est pas annoncé au décidée? Tout le monde a-t-il participé? consignes de jeu.
départ: sa découverte fait partie inté- Y a-t-il eu des leaders? Comment les - La phase de jeu proprement dite, de 30
grante du jeu. L’enjeu n’est donc pas rôles ont-ils été répartis? Des informa- minutes.
mathématique (un simple calcul de tions ont-elles été oubliées? etc.
temps), mais réside dans la capacité du - La phase de discussion, 20 minutes,
La troisième phase, bien que très courte, incluant la vérification des résultats.
groupe à se construire en tant que tel: a été un temps de réflexion sur ce qui
qualité d’écoute et de communication, aurait pu être fait pour améliorer le - La phase de modélisation, 30 minutes:
organisation et procédure de résolution. fonctionnement du groupe: définir des établir une procédure de résolution de
rôles, organiser autrement la prise de problème.
Le groupe des BTS se construit
dans le jeu notes, prendre le temps d’écouter cha- La motivation s’est maintenue sur toute
cun… pour amener à établir des bases la durée de la séance y compris pendant
On peut considérer que pour ce groupe les phases post-jeu. Un seul groupe a
générales sur le «comment travailler
le contexte est très proche de celui d’une trouvé la bonne solution dans le temps
ensemble»: s’organiser, répartir les rôles,
formation continue inter-entreprises: imparti. Un groupe a manqué de temps
savoir écouter, faire une synthèse…
les participants ne se connaissent pas et
ce premier regroupement se déroule sur
une seule journée. Outre le contexte
général de formation initiale, les diffé- Chaque groupe a explicité le mode de fonctionnement qui
rences portent sur le nombre important l’a amené à la réussite ou à l’échec : c’est un point
de participants: une trentaine, et la
durée sur laquelle ils sont engagés: deux essentiel. L’analyse et les débats qui ont suivi ont permis
années de formation. d’élaborer ensemble une procédure de résolution des
L’objectif recherché ici est la cohésion
du groupe, que les jeunes apprennent à problèmes mathématiques
se connaître et prennent leurs repères
dans le groupe. L’équipe pédagogique a
Lors de la mise en commun du vécu en pour aboutir, l’autre a «oublié» des don-
décidé une séquence de 90 minutes à par-
fin de journée, les jeunes ont exprimé la nées en cours de route.
tir de situations ludiques, proposée après
satisfaction de s’être confrontés ensemble Les phases d’après-jeu rassemblant les
la présentation de l’ensemble de la for-
à un défi, et le désir de travailler ensemble trois groupes ont permis de riches
mation et des responsables et formateurs
dans le cadre de leur formation: les fonc- échanges d’expérience. Chaque groupe
qui vont les accompagner. J’y participe en
tions de brise-glace et d’énergiseur ont a d’abord explicité le mode de fonction-
tant que coordonnateur pédagogique du
joué à plein, participant à la création d’un nement qui l’a amené à la réussite ou à
CFA. Deux groupes sont formés qui par-
véritable groupe. l’échec, et cela est un point essentiel.
ticiperont successivement aux deux jeux
proposés: l’un orienté sur les valeurs et Le rôle du formateur est essentiel dans L’analyse et les débats qui ont suivi ont
les représentations, animé par un forma- le temps d’après jeu. C’est d’abord un permis d’élaborer ensemble une procé-
teur, et «Station spatiale» que j’anime. moment d’expression du vécu, du res- dure de résolution des problèmes mathé-
Les deux groupes seront rassemblés senti pendant le jeu. L’important pour matiques en huit étapes (voir tableau).
ensuite pour conclure la journée. le formateur est alors de laisser venir la
Je n’ai pu travailler la transférabilité de
parole, d’écouter, reformuler, puis d’ai-
Sur les 45 minutes allouées à chaque la méthode autant que je l’aurais sou-
der à relativiser, surtout si le groupe a
séquence, la phase de jeu même a été de haité, d’abord par manque de temps
échoué – «ce n’est qu’un jeu» - et à en tirer
25 minutes, la phase de discussion de dans le cadre du cours, et parce qu’une
le positif. Ce moment charnière permet
15 minutes, suivie par une courte phase démarche complète dans ce sens aurait
de prendre le recul nécessaire pour
de modélisation. Dans chaque groupe, nécessité un travail d’équipe avec les
aborder sereinement les phases d’ana-
les jeunes ont été très actifs, ils se sont autres formateurs: une dimension que
lyse proprement dite.
« pris au jeu » bien que l’aspect compé- je n’ai pas suffisamment prise en compte
tition ait été relativement restreint, les Les BEP se donnent une méthode au préalable. D’autre part le nombre de
deux groupes jouant indépendamment Pour les BEP, le contexte était tout participants a rendu plus difficile la ges-
l’un de l’autre. autre. Il s’agissait d’un cours de mathé- tion du temps de jeu, l’observation des
La phase de discussion a permis d’analy- matiques en début d’année. Les jeunes relations à l’intérieur de chaque groupe
ser le fonctionnement de chaque groupe: se connaissaient, avaient déjà travaillé et l’évolution vers la solution.

Sommaire
48 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

L’intérêt des jeunes pour ce «cours de math


pas comme les autres» ne s’explique pas
simplement par la compétition apportée
par le contexte du jeu. La dynamique
ludique a certes joué son rôle mais parce
qu’elle prenait sens à partir d’un objectif
d’apprentissage clairement annoncé et
répondant à un besoin identifié et
reconnu. L’intérêt du jeu est qu’il entre
dans une démarche inductive d’appren-
tissage: la phase de modélisation a été un
temps d’explicitation de l’expérience
vécue (ce qui marché, ce qui n’a pas fonc-
tionné…). À partir de cette expérience a
pu être construite une méthode, une
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trame de résolution de problème appli-


cable à des situations diverses.
Quelles précautions ?
De tels jeux, conçus pour des formations
d’adultes, peuvent tout à fait avoir leur
place dans les formations initiales à cer-
taines conditions: prendre en compte le
contexte particulier d’enseignement
(nombre d’apprenants, niveau, durée de
la séance…); définir et énoncer préci-
sément les objectifs d’apprentissage ;
choisir un jeu en cohérence avec les
objectifs; sans oublier de relativiser les
enjeux, gérer l’aspect relationnel et la
dynamique de groupe, et porter la plus
Mac Li a disparu
grande attention aux phases d’après-jeu,
moments essentiels de construction des Yannick Mével
apprentissages.
Comprendre l’urbanisme des capitales européennes, c’est raisonner,
construire des connaissances… Autant de compétences qu’une
Jacques Audebrand, résolution d’énigmes peut développer, en plusieurs temps bien
formateur consultant ingénierie identifiés : celui du jeu, celui de la mise en place des connaissances.
pédagogique.

Q uand je croise dans les couloirs


du lycée des élèves que j’ai eus
en 2de l’an passé ou il y a deux
ans, quand je rencontre en ville d’an-
Ils ont raison mes élèves: au lycée, en
cours, rien n’est vraiment gratuit; même
quand les élèves sont mis dans une
«situation de jeu», c’est toujours dans un
ciens élèves et que nous évoquons le dispositif d’apprentissage, le jeu n’est
«bon vieux temps», l’une des premières jamais une fin en soi…
questions qu’ils me posent est: «Alors, Qui est Mac Li 1 ? Un aventurier, le
comment va Mac Li ? ». Mac Li fait héros d’une série d’énigmes géogra-
partie des « grands souvenirs » de 2de, phiques qui me servent de support aux
presque au même titre que le voyage «études de cas» du programme de géo-
en Italie ou en Grèce, c’est dire ! graphie de 2de.
Lundi, à l’issue d’une heure de module Voilà comment ça se passe: les élèves
consacrée à l’une des énigmes de Mac cherchent par paire (un ordinateur pour
Li, j’ai demandé à Quentin qui venait de deux); ils ont leur manuel de géographie,
trouver (enfin) la solution d’une énigme: un atlas et de quoi écrire. Certains mani-
«D’après toi, Mac Li, c’est un jeu?» Sans pulent suffisamment bien la machine
hésitation il m’a répondu: «Oui, assuré- pour limiter l’écrit en faisant des couper-
ment, on cherche, on se paume, on trouve, on coller. Le texte de l’énigme s’affiche sur
est vraiment dans l’aventure… et sur l’or- l’écran. Par exemple:
dinateur, ça le fait…»; je me tourne vers
Chloé et lui pose la même question. Énigme n° 6: Mac Li a quitté Dunkerque
Chloé: «Un jeu? Oh non! Ça prend trop la en voilier, à sa première escale il vous envoie
tête, j’ai qu’une envie, c’est d’en être débar- ce message:
1 Claude Bourlès, Institut de psychologie et socio- rassée!» Quentin reprend: «De toute «Des quinze premiers adhérents c’est peut-
logie appliquée, université catholique de l’Ouest, façon à la fin, quand il faut rédiger le texte être le moins riche mais il ne manque pas
Angers.
2 Chacune des 24 cartes contient une information, c’est sûr, là c’est plus un jeu, mais avant si, d’ambition! Et puis, c’est une ville qui
les cartes ne peuvent être ni montrées, ni échangées. je persiste, c’est très ludique!» bouge! J’étais venu il y a vingt ans: tout est

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 49
DOSSIER Le jeu en classe

changé, on me dit que c’est «grâce au bon premiers adhérents à l’Union européenne a rire » (enthousiasme, déceptions, joie,
père»… Je ne comprends pas bien. On m’a l’indicateur de développement humain le plus agacement, abattement, persévérance,
dit aussi que le climat est méditerranéen mais faible, une carte du manuel ou de l’atlas satisfaction du vainqueur…), dans ces
ça n’est pas la Méditerranée! L’endroit où devient indispensable pour trouver moments-là, oui ! Mac Li est un jeu !
mon voilier est amarré est un emplacement «Portugal» et découvrir qu’on est sur la Chemin faisant, les élèves recueillent des
idéal au pied d’un bâtiment dont le nom bonne piste mais encore très loin de la informations sur l’IDH, la tertiairisation
évoque déjà l’aventure! Quel meilleur point solution… Entre-temps, Mac Li fait des des activités et des territoires urbains,
de départ si je dois faire le tour du monde?» siennes: il donne des rendez-vous, il dis- l’aménagement et l’évolution démogra-
Où se trouve le bateau de Mac Li? Quels paraît, se trompe lui-même et conduit les phique d’une grande ville européenne
sont les phénomènes géographiques chercheurs sur de fausses pistes réjouis- (Lisbonne), la mutation des paysages…
rencontrés dans cette énigme? santes ou agaçantes… Et, une fois l’énigme résolue (quand enfin
En «promenant» la souris sur les mots La salle retentit de «oh! Zut» «oui! l’équipe a trouvé l’endroit précis où se
du texte, on a accès à des liens qui ren- Gagné!» «Monsieur, ça marche pas…» cache Mac Li), tout cela redevient de la
voient à de nouvelles pages. Ainsi si je (là, je réponds «si, si, mais peut-être que les géographie scolaire: il faut mettre de
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l’ordre dans les informations recueillies


en rédigeant un texte organisé, réaliser
une carte schématique pour rendre
Chaque énigme doit être l’occasion d’une manipulation compte des évolutions urbaines… Dans
ces moments-là Mac Li n’est plus un jeu!
des concepts et des outils de la géographie: En classe entière, nous échangerons les
définition de territoires, identification d’ordres réponses: ceux qui ont résolu l’énigme 6
présenteront «l’urbanisme dynamique
de grandeur, changement d’échelle… d’une capitale européenne (Lisbonne)»,
ceux qui ont résolu l’énigme 5 présente-
ront «une métropole hypertrophiée dans
clique sur «Mac Li a quitté Dunkerque» noms propres doivent s’écrire avec une majus- un pays du tiers-monde (Mexico)» et le
la machine répond: cule, non?»). Deux équipes échangent des cours s’en suivra comme une synthèse
C’est souvent comme cela que commence tuyaux (un mot de passe, un numéro de sur le sujet «dynamiques urbaines et
l’aventure…Revenez au texte de l’énigme. page du manuel où trouver la bonne carte, environnement urbains».
Et si je clique sur «des quinze premiers le schéma, le texte qui permet d’avancer Au prochain module, Mac Li disparaîtra
adhérents» j’obtiens: dans le jeu…). D’autres se prennent tel- à nouveau et la magie opérera à nou-
lement au jeu qu’ils font la course (aux veau… la recherche de Mac Li se confon-
Un des quinze premiers adhérents? premiers qui auront trouvé…). dra à nouveau avec une quête de la
Adhérents à quoi? Si vous le savez, cliquez géographie… Du moins je l’espère!
sur le bouton bleu et inscrivez votre réponse Oubli du contexte (on est dans une
(deux lettres majuscules) dans la case «mot salle de classe, on fait de la géographie Mobiliser des connaissances
de passe» Sinon revenez au texte de mais la fiction se mélange au réel, l’en-
Il serait un peu vain ici de chercher la
l’énigme. jeu d’apprentissage s’efface derrière
limite introuvable entre le jeu et le travail.
l’envie de vaincre la machine et de sor-
Quand le contexte s’efface Le côté «ludique» de Mac Li n’est pas là
tir du labyrinthe), identification à la
pour «faire avaler la géographie» qui
Là, tout s’enchaîne: «UE» conduit à une quête du personnage, recherche de
serait, par nature, indigeste… Il vise à
nouvelle page qui demande quel indicateur raccourcis pour « trouver plus vite »,
mobiliser, à faire construire des compé-
permet de mesurer la richesse des pays (taper tentation de la concurrence et tenta-
tences de recherche, des raisonnements
IDH) puis il faut chercher lequel des quinze tion de la coopération, émotions « pour sur l’espace et le temps qui sont consub-
stantiels à de la géographie et qui ne se
construisent pas simplement en regar-
dant ou en écoutant le professeur les
employer lui-même, avant de s’y coller
dans le contexte stressant du devoir sur-
veillé ou du travail à la maison. La fabrica-
tion des énigmes est pour moi un exercice
périlleux, où je tente d’échapper au risque
du jeu de devinette, à la dérive de l’ha-
billage cybernétique d’une maïeutique
inutile. C’est pourquoi chaque énigme
doit être l’occasion d’une manipulation
des concepts et des outils de la géogra-
phie: définition de territoires, identifica-
tion d’ordre de grandeur, changement
d’échelle, repérage des relations entre le
milieu et l’occupation humaine (anthro-
pisation), flux… Ce sont ces concepts que
les élèves retrouvent à la fin de l’année
dans le «cahier des charges» de la dernière
énigme 2. Chaque équipe doit alors fabri-
quer le texte d’une nouvelle aventure de

Sommaire
50 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

Mac Li autour d’un phénomène géogra-


phique du programme. Les énigmes sont
échangées, testées, coévaluées selon une
série de critères qui reviennent à poser les
questions suivantes: «L’énigme permet-
En langues étrangères
elle de découvrir un phénomène géogra-
phique? Oblige-t-elle à mobiliser des
outils, des concepts de géographie ?
Permet-elle de définir un territoire
à l’université
concerné par ce phénomène ?… » et Barbara Villez
enfin « l’énigme est-elle jouable ? ». Ce
dernier critère permet de faire réfléchir
les élèves sur la forme : la mise en L’enseignement de la langue étrangère (obligatoire dans la plupart
intrigue et le plaisir d’apprendre en des cursus universitaires) est souvent placé en dernière position derrière
redécouvrant la géographie. les matières plus importantes. Les étudiants sont nombreux à avoir été
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marqués par une mauvaise expérience en cours de langue au lycée


ou au collège. Comment les rassurer en les faisant travailler ?
Yannick Mével,
lycée Angellier Dunkerque,

L
IUFM Nord-Pas-de-Calais. e problème est circulaire en fait, l’on vient de relever, ce qui corse, plutôt
car pour agir efficacement dans que de clore, le jeu). La relève de défis, la
un cours de langue, il faudrait se possibilité d’avoir plusieurs chances (a
concentrer moins sur soi, afin de se libé- contrario de la réponse unique qui en
rer de ses craintes et a priori. Mais com- classe de langue a tout intérêt à être la
ment apprendre une langue sans se bonne), la possibilité de se reprendre,
surveiller pour améliorer sa propre pro- d’améliorer sa performance, d’essayer
duction? Pour cette raison, le cours de des stratégies différentes, bref, des occa-
langue ressemble bien plus à la pratique sions pour s’exercer, conduisent à la
d’un sport qu’on ne le croit. Dans un maîtrise de soi et à un sentiment de réus-
sport, il faut moins se regarder comme site. En jouant on s’affirme, on exerce sa
dans une glace, moins s’occuper de son volonté, on met en exergue son autono-
image ou de ses craintes et plus se focali- mie, on acquiert de l’indépendance et on
ser sur ce que l’on fait, sur les mesures à éprouve un sentiment de pouvoir.
prendre pour atteindre des objectifs. Dans les situations de cours tradition-
Parce que le jeu peut être absorbant et sti- nels, les volontés sont dispersées, ce qui
mulant, il permet de déplacer l’attention est nuisible à la progression d’un groupe
de soi vers ce que l’on fait et par consé- et à l’accomplissement du programme.
quent, il présente de nombreux avantages Les pulsions des joueurs sont harmoni-
pour les apprentissages. sées au lieu d’être en conflit car le jeu

Pour agir efficacement dans un cours de langue, il faudrait


se concentrer moins sur soi, afin de se libérer de ses
craintes et a priori. Mais comment apprendre une langue
sans se surveiller pour améliorer sa propre production ?

Le jeu possède de sérieux atouts qui canalise les énergies de chacun, les
aident à combattre les difficiles condi- efforts des joueurs convergent vers un
tions mentionnées ci-dessus. Parce qu’il résultat commun. La coopération et la
ne comporte pas de conséquences mise à disposition des expériences et des
«graves» découlant des actes ou des connaissances des participants permet-
décisions des joueurs (contrairement tent aux uns et aux autres de progresser
aux réponses à des exercices classiques plus vite et de créer une vraie dyna-
ou aux examens), il permet d’installer mique de groupe fonctionnel. Le fait de
une atmosphère de confiance. La liberté perdre au jeu, si telle activité s’achève
d’entrer, ou non, dans le jeu encourage par la réussite des uns et la perte des
également la prise d’initiatives, et en autres, n’est pas une perte de pouvoir si
cours de langue étrangère, la prise de l’on a bien joué.
parole. L’incertitude de l’issue d’un jeu
ainsi que le nécessaire et constant réajus- Complicité et coopération
1 Il doit son nom au contexte de sa naissance quand
le programme de géographie nous faisait étudier les tement des stratégies maintiennent l’in- Mais les jeux les plus efficaces à l’univer-
différents milieux climatiques…. sité ne sont pas ceux que l’on gagne ou
térêt des joueurs. C’est aussi le cas de la
2 Y. Mével : «Mais où est Mac Li ? résolution de
problème en géographie en seconde» Spirale n° présence de défis évolutifs (à chaque que l’on perd. Les «jeux ouverts» sont
10/11, 1993. étape un autre défi s’ajoute à ceux que des jeux sans un but précis qui y mettrait

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 51
DOSSIER Le jeu en classe

fin. Ce sont des activités qui se prolon-


gent et s’adaptent pour ajouter une diffi-
culté à chaque étape franchie. C’est un
jeu de créativité, d’inventivité 1. On lance
un défi aux étudiants, à propos d’une
phrase, ou d’une scène de film, etc. À
chaque fois qu’ils y arrivent, on ajoute
une difficulté, qui les oblige à aller plus
loin. Par exemple, on peut demander aux
étudiants de reformuler une phrase
complexe en autant de façons possibles
sans en changer le sens, ensuite de faire
pareil mais en leur interdisant certains
mots qui rendent la tâche plus facile: par
exemple comment reformuler une ques-
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tion sans pouvoir utiliser les pronoms


interrogatifs. Ensuite, de nouveau la
reformuler en commençant par un mot
précis ou en utilisant un nombre obliga-
toire de mots (pas un de plus ou de
moins). L’étudiant peut suivre son idée,
exprimer sa propre observation par rap-
port à l’activité qui se déroule: avertir un
cojoueur, faire une blague, affirmer son
individualité. La place qui est accordée
aux joueurs en tant qu’individus assure pièce était choisie? Pourrait-on trouver sont installées de façon à empêcher le
également la complicité. Entre les trois autres pièces d’époques différentes déplacement des meubles, de changer
joueurs et en vue de la tâche à accomplir, qui pourraient servir le même objectif? de place, d’aller vers d’autres, etc. Il est
une sorte de contrat s’établit. On est Et les insérer dans la scène? Les compa- également quasi impossible dans des
obligé dans la situation d’apprentissage, rer? Comparer les époques, les styles, les salles banalisées de laisser en place un
qui est fondée sur la coopération, de attitudes envers la problématique de matériel particulier et la réinstallation
reconnaître l’existence et l’importance l’épisode du départ? Certains diront que d’un matériel de jeu peut prendre du
de l’autre. On doit répondre à ce qu’il dit, ce n’est pas un jeu. Ce n’est pas un jeu temps sur le cours.
réagir à ce qui se dit. Il devient ainsi précis mais il est improvisé avec une atti- - Il est de plus en plus souvent question
essentiel d’écouter vraiment les autres. tude précise. Parce que c’est difficile de de programmes dans ces enseigne-
Le manque d’écoute de l’autre gangrène les trouver des jeux qui répondent aux exi- ments. L’idée de programme est peut-
apprentissages de langues, dans lesquels on gences du cadre, du public et des pro- être plus floue qu’à l’école secondaire,
pense traditionnellement que seul l’ensei- blèmes universitaires, il faut des jeux mais les semestres sont aussi très courts
gnant mérite cette attention. ouverts. L’important est d’être très vigi- et s’il y a des connaissances requises, on
Le contrat qui s’installe ici garantit l’ef- lant pour qu’à chaque défi relevé, on soit va souvent directement au but, selon la
fort des partenaires et assure la recon- prêt à en lancer un autre. Les étudiants nature traditionnelle des enseignements
naissance de l’autre. Dans l’université ont beaucoup aimé ce travail, ils ont tous universitaires: cours magistraux et tra-
française, où les devoirs collectifs rebu- participé, ils ont continué le travail pen- vaux dirigés. Le concept de l’atelier de
tent les étudiants sous prétexte qu’ils ne dant la semaine entre les séances du langue est perçu comme étant trop
se voient pas en dehors des cours, le cours et cela a duré quatre semaines. informel dans ce milieu et lourd d’orga-
contrat du jeu crée une autre dynamique Quatre obstacles nisation.
de travail – qui permet en outre de com- - Ce qui nous amène à la question de la
battre l’inertie habituelle au début de Si le jeu apporte autant d’avantages à
l’apprentissage d’une langue étrangère et représentation du jeu à l’université.
chaque cours hebdomadaire; l’habitude Pour les étudiants, le jeu n’est pas
et l’ambiance de la coopération se remet- surtout aux apprenants, pourquoi l’uni-
versité lui réserve-t-elle une si petite sérieux, c’est un loisir, sa place n’est pas
tent en place plus facilement d’une vraiment en cours 2. En cours de langue,
semaine à l’autre. Une séquence dans place? La réponse est complexe, mais
peut se résumer par quatre mots: temps, toutefois, c’est imaginable car les ensei-
laquelle on part d’une scène de «Buffy gnants sont parfois encore associés à
lieu, programmes, représentation.
contre les vampires» pour travailler sur l’image du vieux colonel de l’empire de
«Othello» de Shakespeare, peut paraître - Le temps est très limité: la majorité des sa majesté qui propose aux étudiants de
surprenante et pourtant quels résultats! groupes se réunissent une fois par débattre autour de «la» façon de faire
On est parti d’un épisode de cette série semaine ce qui est très handicapant pour une tasse de thé: faut-il d’abord verser le
où dans une petite scène, Buffy et ses la reprise des activités. Comme le temps lait puis le thé, ou vice versa? La repré-
amis étaient en cours d’anglais et tra- est court, les préoccupations vont vers sentation du jeu est également problé-
vaillaient sur une scène d’Othello et on les examens de fin de semestre, plutôt matique pour le corps enseignant.
s’est posé des questions: Pourquoi cette qu’au jeu pour le jeu. Comme une langue étrangère n’est pas
scène-là? (Comment savoir?) Pourquoi - Le lieu est rarement idéal. Les salles ne vraiment considérée comme une disci-
dans cet épisode-là? Pourquoi cette sont pas adaptées aux activités qui pline, on craint souvent que l’enseigne-
pièce-là? Pourquoi Shakespeare? Que se nécessitent un travail collectif, un face à ment de la langue soit perçu comme un
serait-il passé, ou quelles auraient été les face. Il est difficile, voire impossible, travail qui ne demande aucune exper-
difficultés si une autre scène de cette dans beaucoup d’endroits où les salles tise, alors que nous venons de démon-

Sommaire
52 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

trer que devant tous les problèmes qui


persistent à s’opposer à l’apprentissage
d’une langue étrangère en milieu uni-
versitaire, une expertise considérable est
indispensable. Les cours de langue pour
Donner un langage
spécialistes d’autres disciplines ne sont
pas prisés par grand nombre d’universi-
taires dans les départements, souvent
vus comme une perte de temps, indigne
à ce qui n’en a pas
de leurs années de formation comme lit- Martha Boeglin
téraires, historiens ou linguistes. Si, de
surcroît, on joue, que vont penser les
autres? Comment réaliser une éducation à la citoyenneté avec des enfants
et des jeunes dont le quotidien est fait de violence, familiale et sociale ?
Il existe des solutions pratiquées dans cer- Une association berlinoise propose, en coopération avec l’école,
tains établissements universitaires: des
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cours intensifs qui permettent de bloquer des ateliers où le jeu permet d’engager le dialogue.
le temps, de bloquer une même salle, et de
maintenir une dynamique propice au tra- J’entends et j’oublie. leur choix, de présenter leur classe et de
vail continu et au progrès. L’utilisation Je vois et je me souviens. décrire les problèmes qui s’y posent.
des nouvelles technologies est envisagée Je fais et je comprends.
comme une solution majeure, mais le En général, on travaille avec des groupes
Confucius de douze à quinze enfants ou adolescents.
matériel ne se différencie pas toujours de
celui des exercices traditionnels et le tra- Un atelier peut durer d’un à quatre jours,
vail seul devant un écran, quels que soient à raison de deux à trois heures par jour.

N
ous nous trouvons dans l’asso-
ses avantages, ne permet pas de dévelop- ciation berlinoise Eine Welt im Avec ce qu’ils apportent
per la majorité des qualités d’un bon FEZ, dans l’ancien Berlin-Est, Il faut commencer avec ce que les jeunes
apprenant de langue. à la périphérie de la ville. Les enfants et apportent eux-mêmes, ce qui est là, sous
Il reste une dimension importante qui les jeunes qui y viennent habitent les la main, immédiat, brut, non traité; par-
doit trouver une place dans les cursus cités dortoirs de Berlin: tours de béton, tir du quotidien, du vécu; travailler avec
suivis par tous les futurs enseignants de taux de chômage élevé, niveau éducatif le mimétique et l’émotionnel pour pas-
langue: la formation au jeu. peu élevé, forte criminalité, forte pré- ser au réflexif et au cognitif. Jouer pour
sence de l’extrême-droite, etc. ensuite réfléchir et dialoguer: le jeu per-
Barbara Villez, Ce sont, pour la plupart, des enfants et met de dédramatiser, une forte charge
professeur des universités, des jeunes qui grandissent livrés à eux- émotionnelle peut être évacuée par le
anglais de spécialité et didactique, mêmes; pris dans des tissus inextricables rire, par le mouvement, par l’expression
université de Paris 8, de problèmes (ceux que leur abandon- corporelle.
département d’études nent les adultes) qu’ils ne savent pas À ce propos, il est nécessaire de distin-
des pays anglophones. résoudre, qu’ils ne peuvent pas résoudre, guer deux types de jeux:
dont ils ne savent même pas qu’ils pour- - les exercices d’échauffement en début
raient être résolus: ces problèmes sont de séance ; ils visent à briser la glace, à
devenus leur quotidien, leur normalité. se connaître, à s’accepter mutuelle-
Ils sont devenus la norme, comme est ment, à construire une atmosphère de
normal pour eux un comportement groupe. On va travailler ensemble, il
agressif, le mépris de l’autre, du différent, faudra bouger, s’exposer, se montrer; le
la violence, la non-communication, la fer- jeu comme exercice d’échauffement et
meture sur soi, etc. Autant de signes de désinhibition est un préalable indis-
d’une souffrance qui s’exprime par un pensable. Sinon, la peur du ridicule
comportement violent – qui ne peut bloquera les participants, surtout ado-
d’ailleurs s’exprimer autrement: car l’en- lescents. D’autre part, ne connaissant
fant, ou le jeune, n’a pas de mots pour la pas les participants, il faudra que je tra-
dire, ne sait pas la dire – ni personne à qui vaille à être acceptée par eux : quel
la dire. D’ailleurs, pourquoi le ferait-il? meilleur moyen que le jeu pour rire
Dans son entourage, le dialogue ne se ensemble, échanger des regards, se tou-
pratique pas. cher, construire une relation?
L’association propose un programme - les jeux qui consistent à donner un lan-
d’ateliers autour de thèmes tels que la gage à ce qui n’en a pas, ou à ce qui ne peut
violence, le commerce équitable, le travail s’exprimer qu’en silence: il faut donner
des enfants, l’identité, comment résoudre un une forme au diffus, au contradictoire – à
conflit, le respect des autres, le racisme, d’où ce qui blesse, à ce qui fâche, à ce qui fait
viennent mes vêtements?, etc. souffrir. Pour ce faire, nous travaillons
Ces ateliers se font en coopération avec toujours avec des éléments de communi-
1 Brunelle et Lief, Le Jeu pour le jeu, Paris, A. Colin, les écoles. Les enseignants prennent cation non-verbale: pantomime, sculp-
1976. contact avec l’association et choisissent tures vivantes, sketches.
2 Villez, « Réflexions sur l’enseignant comme agent
médiateur en anglais de spécialité », Revue ASp un sujet. Une discussion préalable avec Prenons l’exemple d’une séance d’ate-
31/33, 2001, Université Victor-Segalen, Bordeaux. l’animateur leur permet d’expliquer liers portant sur les conflits.

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 53
DOSSIER Le jeu en classe

Les conflits font partie du quotidien. On comprendre aussi bien la position du réfléchissons sur ce que chacun veut
se comporte dans un conflit comme on l’a père que celle de la fille, de la mère, du obtenir, et comment faire pour que cha-
vu faire dans sa famille, comme on le voit fils. Enfin, il entrevoit les raisons qui font cun puisse obtenir ce qu’il veut.
faire dans son entourage. Comme on est que l’on ne trouve pas d’accord. Puis les mêmes sous-groupes de quatre se
toujours dans l’émotionnel, comme il y a En plénière, on écoute les résultats des reforment, et jouent la scène, cette fois
toujours un enjeu, il est difficile d’avoir sous-groupes: qu’est-ce qui a contribué avec, pour mission, de négocier et d’arri-
du recul, de s’essayer à d’autres modes de à attiser le conflit, qu’est-ce qui a contri- ver à une solution qui contente tout le
comportement. Nous allons donc faire bué à le résoudre? On remarque alors monde. Maintenant, chacun jouera un
des jeux de rôles pour connaître d’autres qu’il existe quatre comportements pos- seul rôle. L’atmosphère change du tout au
expériences, découvrir d’autres formes sibles dans un conflit: tout: on parle moins fort, on s’interroge
de conflits (voir encadré ci-dessous). La décision univoque: je m’impose et ne mutuellement, on s’écoute; souvent, il
me préoccupe pas de l’autre. arrive que la personnalité dominante dans
Prise de conscience le groupe prenne la négociation en main
L’adolescent prend alors conscience de Le renoncement: je ne me défends pas
et demande aux uns et aux autres quels
la diversité de facettes que peut avoir un et cède devant l’autre.
sont leurs besoins, leurs envies, les solu-
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même problème; non seulement il voit, L’impasse: on ne trouve pas de solution, tions qu’ils proposent. On peut s’essayer
mais encore il vit la multiplicité de le conflit reste sans issue. à diverses options, on peut expérimenter,
points de vue qui coexistent dans un La négociation: j’essaie d’obtenir ce que prendre des risques: il s’agit d’un jeu, il
conflit, tous aussi valables les uns que les je veux tout en prenant les préoccupa- n’y a pas d’enjeu réel. Faire l’expérience
autres. Cette expérience lui permet de tions de l’autre en considération: nous du dialogue, faire l’expérience de l’écoute,
faire l’expérience de soi dans le dialogue et
dans l’écoute, s’essayer à diverses attitudes
pour voir celle où l’on se sent le mieux,
voilà ce qui est important. Ce type de jeu
Un jeu de rôle sur les conflits est comparable à la répétition au théâtre:
on fait connaissance, on s’essaie à diverses
Public : adolescents de 14-15 ans Les personnes sont assises en cercle. possibilités, on les explore.
Durée : 2 heures Chaque chaise est celle d’une personne Il est évident qu’une seule «répétition»
Objectifs : prendre conscience des mul- déterminée : celle du père, de la mère, du ne suffit pas et que l’expérience devra
tiples facettes que peut avoir le même fils, de la fille. Celui qui est assis sur une être répétée – chose dont se chargera
problème, se mettre dans la situation de chaise donnée a automatiquement le rôle
l’enseignant en classe: les jeunes ont fait
l’autre, adopter diverses perspectives et correspondant. La discussion commence.
les comprendre, chercher ensemble des L’animateur l’arrête au bout de trois l’expérience d’un autre type de commu-
solutions. minutes : les participants se déplacent nication que celui auquel ils sont habi-
d’une chaise, dans le sens des aiguilles tués, leur professeur a constaté qu’ils
Démarche sont capables de communiquer autre-
d’une montre : le fils devient la mère, la
A. Exercices d’échauffement : mère la fille, la fille le père, le père le fils, ment qu’en hurlant et en gesticulant.
Cercle oui-non : on forme un cercle. On dira par exemple. Puis la discussion continue.
oui en tournant la tête vers la droite, non en Et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous aient
Le jeu, la communication non-verbale
tournant la tête vers la gauche. Une per- joué les quatre rôles. permettent de dire ce que les mots ne veu-
sonne commence, qui dit oui, la suivante Ainsi, par exemple, la situation initiale
lent ou ne peuvent pas exprimer. Elle rend
peut soit accepter le oui et le faire passer d’un groupe est la sœur cadette qui reçoit attentif à l’autre, au silence de l’autre et à
en tournant la tête vers son voisin de droite, moins d’argent de poche que son frère ses propres silences. D’autre part, quelle
soit dire non : dans ce cas, elle tourne la aîné. Elle réclame une augmentation, le que soit la part de jeu, quelle que soit la
tête vers la gauche, à son voisin de décider père refuse catégoriquement, la mère volonté qu’on pourrait avoir à se dissimu-
s’il dira oui ou non – et de le faire passer essaie d’intercéder en faveur de la fille, le ler, dans la communication non-verbale,
dans la direction correspondante. frère ne voit pas de raison pour que sa on ne peut pas se cacher. Si les mots peu-
Improvisation : oui-non. Former des sœur ait plus d’argent de poche que lui
vent mentir, travestir, camoufler, le corps
binômes. Au début, on ne dira que « oui » n’en recevait à son âge (plus : il craint
ou « non », aussi souvent et aussi long- qu’une augmentation de la somme allouée
ne le peut pas: il montre, il découvre – il
temps que nécessaire, jusqu’à ce qu’une à sa sœur n’ait des répercussions négatives trahit. Les enseignants présents expri-
phrase s’exprime, à partir de quoi on sur celle qu’il reçoit). Au fur et à mesure ment souvent leur surprise: ils décou-
improvisera une situation de discussion. que les acteurs changent, le père est plus vrent des aspects de la personnalité des
Afin de permettre à tous de s’exprimer, il ou moins prêt à céder, la fille a des argu- élèves qui leur étaient inconnus; ils
vaut mieux faire jouer tout le monde en ments plus ou moins convaincants, le frère découvrent aussi la réalité dans laquelle ils
même temps, sans spectateur : il s’agit tantôt plus proche de la sœur ou du père, vivent sous un autre angle, leur manière
d’un exercice d’échauffement pour prépa- la mère tantôt soumise aux décisions de
rer au jeu de rôle qui va suivre. son mari, tantôt dominant celui-ci.
de comprendre le monde qui les entoure.
D’autre part, tous s’étonnent de la
B. Jeu de rôles C. Discussion. concentration, de l’enthousiasme et de
On forme des sous-groupes de quatre per- Après quoi a lieu une évaluation dans les l’intérêt que montrent les enfants et les
sonnes, si possible mixtes. Chaque sous- sous-groupes. On commence par demander adolescents lors de ces séances de travail.
groupe est supervisé par un animateur. à chaque participant : D’ailleurs, les jeunes participants le disent
Son rôle sera de surveiller le temps pen- - Dans quel rôle t’es-tu senti le plus à l’aise ? eux-mêmes: on s’est bien amusés! On a
dant le jeu de rôle et d’animer la discus- - Le plus mal à l’aise ? Pourquoi ?
sion qui suivra celui-ci. - Est-ce que tu connais ce type de situation ?
appris beaucoup de choses intéressantes!
Le temps a si vite passé!
On improvise une situation où quatre per- Puis on réfléchit en groupe sur les ques-
sonnes – par exemple le père, la mère, le tions suivantes :
frère, la sœur - sont engagées dans un - Qu’est-ce qui a changé dans la discussion ? Martha Boeglin,
conflit. Le sujet de discorde est proposé par - À quel moment précis ? université d’Iéna, Allemagne.
les jeunes – par exemple : l’argent de poche. - En conséquence de quoi ?

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54 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
3- Objectifs spécifiques d’apprentissage

Un stage ludique, forcément !


Marc Berthou
Apprentissage par le jeu : ainsi s’intitule le stage proposé pour la première fois par deux compères qui en ont
une solide expérience en collège et lycée. Plutôt que de longs commentaires, on trouvera ici le déroulement de
la journée vu par l’un des deux formateurs. Un plan de formation qui donnera sûrement des idées à d’autres !
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Programme officiel de la journée Réactions des stagiaires Commentaires des formateurs


9h-9h15 Silence poli. Pour mon premier stage « officiel » sur le
Présentation aux stagiaires du programme Peut-être une certaine méfiance. ludique, j’ai un peu la pression !
de la journée + notre histoire perso : Certains doivent penser : « J’ai fait 2 heures Je ne voudrais surtout pas décevoir, et par-
« Comment sommes-nous devenus des de route, ça a intérêt à être bien. » venir à transmettre quelque chose.
pédagos joueurs ? » Dominique Natanson, lui, reste de marbre,
cela ne l’impressionne pas plus que cela.

9h15-10h Les stagiaires se « lâchent » un peu, ils Nous écoutons, nous notons au tableau et
« Qu’est-ce qui vous attire dans le fait de sont tous volontaires pour ce stage et sont on s’aperçoit vite que les peurs et les désirs
jouer en classe ? partants pour tenter des choses nouvelles ; sont à peu près communs à tous.
Qu’est-ce qui vous fait peur ? » mais pour ce qui est de jouer, on sent qu’ils « Jouer ça a l’air super-attirant et marrant,
Construction d’un tableau à 2 colonnes, voudraient, mais qu’ils n’osent pas, et qu’ils mais est-ce bien raisonnable ? »
avec les stagiaires : on dégage ne savent pas comment faire. « Je vais perdre du temps. »
les possibilités entrevues du jeu en classe, « J’ai peur de me laisser déborder… »
mais aussi les réticences, les craintes On va tenter de déminer tout ça !
et les complexes.
10h-11h15 On commence tout de suite par du concret :
Deux types de jeu :
- un jeu d’émulation : De la phase A… :
« Les conquêtes d’Alexandre le Tout le monde se met à jouer et Petite artillerie en premier ; avec un jeu qui
Grand »….Quelques remarques : 30 min à plaisanter ; l’ambiance est détendue fonctionne bien tout de suite et qui est très
(mise en activité des stagiaires, par du fait du jeu et des groupes. simple à transposer dans toutes les matières.
groupes, dans les conditions réelles) Les stagiaires jouent le rôle d’élèves Premières satisfactions ; pour nous, les sta-
qui jouent. Certains râlent (pour de faux), giaires ont l’air convaincus, et ils nous
d’autres argumentent... accordent une partie de leur confiance :
Certains sont déjà en train de prendre des nous sommes crédibles ! Nous surfons sur
notes et de transposer mentalement le sys- cette euphorie limitée pour passer...
tème dans leurs propres cours.
- un jeu de simulation : « Cuba 1962 »… Les stagiaires jouent les rôles de grands à la phase B...
(mise en activité, par groupe). hommes politiques qui auraient pu Artillerie lourde avec un jeu de simulation
déclencher une Troisième guerre mondiale en classe entière et en 3e.
en 1962. Nous sommes contents que les stagiaires
Les deux groupes (Russes et Américains) s’impliquent et nous observons leurs com-
jouent le jeu à fond, ça plaisante pas mal. portements pendant qu’ils jouent.
Les stagiaires sont très actifs et finissent…. Nous expliquons les avantages de ce type
par déclencher la Troisième guerre de jeu, développons sur la différence avec
mondiale ! un cours classique sur le même sujet.
Les stagiaires ont l’air enthousiastes,
mais se demandent quand même si ce type
de jeu n’est pas exclusivement réservé
Film : + discussion : 1h à l’histoire géo… Nos stagiaires sont dubitatifs… D’un côté
séance de jeu filmée en classe de 3e. nous pensons qu’ils trouvent cela intéres-
Tout le monde est très sage et regarde sant et « pédagogiquement puissant », mais
attentivement la classe de 3e jouer au de l’autre, c’est assez déstabilisant… Avec
même jeu qui les occupait cinq minutes des questions qui sont sous-jacentes :
auparavant. Combien d’heures pour préparer une telle
Les stagiaires comparent leurs réactions séance ?
à celles des élèves Vais-je réussir à « tenir ma classe » pendant
le jeu ?
Et la trace écrite ?
Comment puis-je transposer cela en EPS,
en anglais ou autre ?
Nous rassurons, expliquons et tout ça...

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 55
DOSSIER Le jeu en classe

11h30-12h Les stagiaires sont silencieux, attentifs, mais Mon collègue Dominique joue le rôle du
Le jeu et l’apprentissage pour eux, ça fait trop de théorie d’un coup ! grand méchant formateur IUFM qui fait de
la théorie.
Il explique le rôle du ludique dans la
construction de l’enfant ; le jeu dans la psy-
chanalyse ; l’objet transitionnel…
Nous pensons tous deux que peut-être le
moment était mal choisi. Nos futurs profs
ludiques ne posent pas de questions. Le
sujet est pourtant au cœur de la forma-
tion… Peut-être à l’avenir devrions-nous
insérer des petits moments de théorie plus
pointus après certaines séances pratiques ?

13h-13h30 Nos apprentis joueurs restent très sages et Dominique Natanson démonte et démontre
Le jeu et la motivation ont l’air convaincus par la démonstration. la mécanique de la motivation. Il prouve
Ils se doutaient du facteur « motivation » que le jeu prend naturellement sa place
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du jeu, mais là le doute devient presque dans cette machine.


une certitude ! Ce passage théorique est essentiel : il ras-
sure les stagiaires, et replace le jeu comme
une méthode pédagogique crédible et
« homologuée » car elle satisfait aux cri-
tères de l’enseignement.
Je pense que cette partie va rester dans la
tête de ceux que l’on a en face de nous.

13h30-14h30 Notre public, on le voit, s’accroche et Là, on enfonce le clou ; on sent notre public
Les ressorts de la mécanique ludique : tente mentalement de transférer ce qu’il « à point » ; en plus nous, on y croit vraiment
entend et ce qu’il voit, dans chacune de au jeu comme méthode pédagogique. On leur
- la pédagogie et le ludique (compétences, ses matières : sort des exemples vécus, testés, burinés par
objectifs…) « Comment vais-je transformer le jeu sur le les embruns scolaires, au collège et au lycée.
- les aspects pratiques (matériels, espaces, commerce au Moyen Âge en jeu sur les conju- Quelques questions viennent : « Ne faut-il
fabrication, test, manipulation, temps…) gaisons ? ! » pas être en petits groupes pour jouer ? »
- les aspects techniques du jeu (comment Les profs ont beaucoup d’informations à Lorsque Dominique Natanson leur répond
un jeu fonctionne-t-il ?, quels types de jeux gérer d’un coup… Peut-être trop ? qu’il a « joué » à la préparation de la
existe-il ?) Première Guerre mondiale dans une classe
- les limites du jeu (éthiques… techniques…) de 35 élèves au lycée, un murmure admira-
- la suite du jeu, les réexploitations possibles tif se fait ouïr dans l’assistance.
Cependant un reproche, tout à fait rece-
vable : « Vos exemples de jeux ne sont
qu’en histoire-géo, voire en éducation
civique, bref dans vos matières… c’est un
peu frustrant pour les autres disciplines ! »
C’est entendu, et nous essayerons de recti-
fier le tir, dans la mesure du possible.
14h30-15h30 Nos apprentis joueurs jouent le jeu, parfois Nous profitons de la circulation dans les
Construction d’un jeu par les stagiaires avec de la maladresse, mais c’est normal. groupes pour dialoguer de façon plus
mis en groupe par matière si possible. Des idées fusent de toutes parts et nous cir- « intime » avec les stagiaires. Certains
Les stagiaires mettent en place une situa- culons dans les groupes pour étayer les n’osaient pas trop parler en grand groupe.
tion de jeu. constructions et aussi pour comprendre Dans cette situation, nous pouvons aller
comment est vu et compris notre exposé plus loin et connaître les réticences pro-
Ils déterminent : fondes ou les projets futurs.
ludique dans les différentes matières.
- le moment du jeu (point du programme...)
- les objectifs à atteindre
- le type de situation ludique choisie
- les grandes trames du déroulement du jeu
Les formateurs donnent des conseils, ou
des sujets qui vont permettre la mise en
place du jeu, dans les groupes.
15h30-16h Le timing est scrupuleusement respecté, et Là, nous sommes très frustrés par le manque
Restitution et conseils : comment votre idée nos stagiaires ont déjà quelques idées de temps pour cette partie.
de jeu va fonctionner ; quelques conseils ludiques structurées et réalistes. D’ailleurs, l’année prochaine nous demande-
pour que cela tourne mieux…. (votre jeu Toutes leurs idées sont mises au tableau à rons deux jours de stage pour avoir cet espace
s’inscrit dans telle ou telle démarche et la vue de tous. de liberté qui permettrait à tout le monde de
pourra déboucher sur…). Pour deux groupes, les idées sont très très souffler, d’avoir du recul et de pouvoir vrai-
floues et le jeu n’a pas pris corps, mais les ment construire un jeu, pratiquement en
discussions ont été néanmoins constructives. temps réel, avec toutes les embûches et tous
les paramètres à prendre en compte.
Fiche compte rendu stage. Les profs échangent leurs impressions et Nous nous effaçons, et nous discutons
certains nous avouent que ça leur a plu entre les portes de sortie avec quelques sta-
mais que de là à le refaire en cours… giaires. Nous nous échangeons même nos
D’autres ont déjà attrapé le virus et nous adresses mail.
espérons vivement la pandémie ! Ce fut une belle journée.

Marc Berthou, collège de Charly-sur-Marne. Stage conçu et animé avec Dominique Natanson, lycée Gérard de Nerval, Soissons. IUFM d’Amiens.

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56 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
Relecture

« Jeu de mains, jeu de vilain ? »


Mario Asselin
L’équipe de la rédaction des Cahiers me renvoie la balle au-dessus du filet de l’Atlantique dans l’espoir qu’elle
revienne, « marquée » d’une relecture originale pour ce dossier sur le jeu en pédagogie. Depuis le temps que je
souhaitais en découdre avec ce sujet…

J e sors de ces échanges, qui compor-


tent vingt-sept réparties, beaucoup
plus avancé que je ne l’étais. Mon
maximum de temps passé tout en étant
centré sur une même tâche.
Pourtant, qui n’a pas ressenti le profond
(pas le jouet) fournit un cadre qui devient
un puissant révélateur d’apprentissage.
Jacques Audebrand aborde cette question
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propos ici risque de ne pas s’avérer très sentiment de culpabilité décrit par Marc avec brio également. Je conçois que
sérieux puisque j’écris, animé du senti- Berthou quand vient le temps de consi- «prendre un certain plaisir dans un cours
ment «des bons élèves» de Philippe dérer l’utilisation du jeu comme stratégie puisse encore aujourd’hui être considéré
Meirieu 1. J’ai cheminé dans ces exercices pour faire apprendre? Nous choisissons comme suspect» (Lebigre et Ledys), mais
de lecture comme dans un jeu, y éprou- souvent de ne pas nommer notre intérêt il faudra tôt ou tard s’affranchir de cette
vant «un vrai plaisir ludique». Je me sens pour la pédagogie ludique, de façon à ne prémisse insidieuse qui veut qu’on ne
comme l’élève que Michael Nachon pas avoir à raconter comment nous avons puisse gagner son pain qu’à la sueur de
décrit; en récompense de l’effort d’avoir fait pour rattraper «le temps perdu à faire son front… Chantal Barthélémy-Ruiz
lu, je demande: «Quand est-ce qu’on jouer en classe»?!? S’il vous a fallu, vous illustre de belle façon que nos traditions
joue pour que je puisse montrer ce que aussi, harceler des collègues pour qu’ils judéo-chrétiennes nous nuisent énormé-
j’ai appris pendant ma leçon?» intègrent le jeu à leur coffre à outils, vous ment quand vient le temps de considérer
avez peut-être aussi constaté jusqu’à quel l’importance du jeu dans l’acte d’ap-
Le jeu motive prendre. Je croyais «l’instit» français
point il est dommage que l’on ne parle
Comme l’affirment Patrick Lebigre et pratiquement pas de pédagogie entre affranchi de ce genre d’influence et je
Fabienne Ledys, je suis parti du principe profs!Voilà peut-être pourquoi la piste du constate par mes séjours et mes lectures
que «le jeu est mal vu à l’école» et que la ludique est en même temps si riche et si que Québécois et Français sont au même
preuve de sa pertinence en classe est à peu exploitée… point dans ce cheminement… à faire! Les
démontrer. Bien que peu de contribu- Américains ont parcouru plus de chemin
tions dans ce dossier aient réellement Jeu n’est pas jouet que nous sur cette question, il me semble.
pris le temps de faire la démonstration Deux caractéristiques de l’utilisation du Il faut lire James-Paul Gee pour s’en
des liens existants entre jeu et apprentis- jeu en classe m’ont quand même paru être convaincre… Dans un document qui
sage, j’ai goûté au plus haut point les ana-
lyses descriptives des usages en matière
de pédagogie ludique campés dans des Nos traditions judéo-chrétiennes nous nuisent
expériences bien françaises. Autant chez
Yannick Mével et son «Mac Li», que énormément quand vient le temps de considérer
chez Pauline Trachet qui fait «dessiner l’importance du jeu dans l’acte d’apprendre.
des moutons», ou Monique Ferrerons
dans son jeu de rôles pour comprendre
l’injustice liée au commerce mondial, le
jeu fait réfléchir. effleurées et pas assez pointées de façon s’intitule «Video games and the future of
rigoureuse: la perte d’une certaine inhibi- learning 2 » les auteurs dirigés par ce cher-
Beaucoup d’auteurs s’entendent d’ailleurs tion et la découverte du bien-fondé des cheur affirment qu’au-delà des critiques
sur les vertus de l’utilisation du jeu en règles et des conventions. Les entretiens faites à propos des jeux vidéo (simplifi-
classe. Les expériences de Gilles Pedreno avec Didier Faradji et Philippe Meirieu cations à outrance de la réalité, lieu de
illustrent bien que les élèves deviennent sont des exceptions parce qu’elles rap- violences extrêmes et gratuites et com-
engagés et actifs, Blandine Turki parle du portent jusqu’à quel point le jeu «trans- portements empreints de misogynie), il
jeu comme d’un instrument libérateur forme ce qui est aride en plaisir tout en est évident que jouer fait apprendre. La
d’émotion et BarbaraVillez élabore plu- favorisant l’ancrage des connaissances». question devient pour eux: «How can we
tôt sur les capacités de cet instrument Le «militant pédagogique» (terme que use the power of video games as a construc-
de motivation. Sur ce sujet, plusieurs Meirieu utilise comme signature) bien tive force in schools, homes, and at work?»
phrases de Martha Boeglin ont sonné connu au Québec décrit efficacement les (Comment pouvons-nous tirer partie de
comme de la musique douce aux oreilles distinctions à faire entre le jeu et le jouet la puissance des jeux vidéo qui peuvent
du chef d’établissement que j’ai été pen- (Monick Lebrun aborde cette distinction être utilisés de façon constructive dans
dant longtemps: «le jeu permet d’enga- également). Je suis moi aussi d’avis que le les écoles, à la maison et au travail?»)
ger le dialogue», «le jeu permet de dire ce jeu à l’école devient «une hérésie si on
que les mots ne veulent ou ne peuvent ignore le vrai statut du jeu, si on confond Vrai défi ou simple habillage ?
pas exprimer» et «pendant le jeu, les le jeu et l’infantile». À l’école, nous devons Il faut aussi lire Joëlle Aden et son article
jeunes sont concentrés, enthousiastes et aider les élèves à «se délivrer de l’infantile, au titre accrocheur pour se rendre compte
motivés». Il est vrai que l’observation des mais pas du jeu». Parce qu’il enlève cer- que «jouer pour jouer n’a qu’un intérêt
élèves en train de jouer peut faire rêver taines inhibitions empêchant les capacités immédiat et fort limité» qui n’a pas peut-
n’importe quel éducateur en quête d’un naturelles d’apprendre, le contexte du jeu être pas sa place dans les institutions sco-

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 57
DOSSIER Le jeu en classe

laires. Le jeu doit poser un défi cognitif de la prétendue possibilité «d’apprendre L’adage issu du jeu de paume (un sport
haut niveau pour qu’il soit permis à l’étu- sans s’en rendre compte» (l’utilisation de qui fut roi quatre siècles durant en
diant d’apprendre de la situation d’ap- cette expression me semble malheureuse France entre 1250 et 1650) ne se véri-
prentissage (et d’apprendre ce qui est au d’ailleurs et à éviter). J’ai une foi pro- fiera pas au travers de cette littérature.
programme). Si jouer ne sert que la cause fonde dans les pédagogues qui partagent Dans les mains des maîtres, le vilain res-
de la mise en contexte, il produira bien la conviction qu’on peut tirer profit du tera peut-être de ne pas reconnaître la
peu. Mais si comme au théâtre, il change jeu pour apprendre plus efficacement, valeur inestimable de celui qui utilise à
le rapport à la tâche de celui qui apprend précisément parce que le jeu permet de bon escient tout ce qui peut contribuer
et crée de nouveaux liens entre les procé- mieux comprendre certains rouages de à faire apprendre, dont le jeu, «pas pire
dures et les démarches pour apprendre, l’apprentissage (en ouvrant une voie pri- pantoute 5 » pour aller chercher la part
aurions-nous raison de le regarder de si vilégiée vers la dimension affective, d’enfant qui subsiste en chacun de nous.
haut? Selon l’apprentissage escompté, le notamment). Sans doute que les moda- Comme le dit ici Laurence Le Gallo:
ludique ne sert pas la même cause et c’est lités d’application en mathématique (voir «Doser subtilement plaisir et intérêt»:
très bien ainsi. Comme elle l’affirme, «le le jeu de l’oie de Béatrice Jouin visant à voilà un beau projet pour l’école!
jeu compense le manque d’authenticité démystifier le calcul littéral) sont diffé-
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de la situation de communication». Je rentes de celles en gestion hôtelière (voir


Mario Asselin,
voudrais bien être de ceux qui assistent la simulation sur la gestion des stocks de
Opossum, entreprise québécoise
aux classes de «drama» de Joëlle Aden, là Laurence Le Gallo); sur le plan cognitif,
spécialisée dans les technologies
où le jeu d’acteur en particulier, «introduit les raisonnements par le contexte du jeu
éducatives, l’accompagnement
une nouvelle façon d’aborder la culture». semblent porter davantage pour certains
stratégique et le développement
Béatrice Jouin et Ronan Glemarec décri- apprenants que dans l’abstraction pure.
pédagogique.
vent eux aussi des expériences intéres- J’ai rencontré en France un groupe de
santes à tenter en classe. chercheurs dans le domaine du ludo-

Si le jeu ne procure pas d’occasion d’apprendre, peu de


jeunes vont persévérer, à l’école comme ailleurs.

Je suis toujours surpris du peu de éducatif qui ne demandent qu’à pour-


confiance qu’on accorde à l’enfant qui suivre sur ce filon 3.
cherche à apprendre en jouant. Blandine
Des conditions nécessaires
Turki résume bien ma pensée sur ce
sujet: «Il ne joue pas pour apprendre, En parcourant ce dossier, on voit que la
mais apprend en jouant.» Si le jeu ne bagarre opposant les fervents de l’utilisa-
procure pas d’occasion d’apprendre, peu tion du jeu en classe à ceux qui leur repro-
de jeunes vont persévérer, à l’école chent d’être «dans une logique de
comme ailleurs. «Faire apprendre par le miracle» (article de Laurence Le Gallo
jeu est un fantasme» affirme le critique page 21) n’aura pas lieu. Mais ne nous
Laurent Lescouarch dans son article méprenons pas: il y a bien remise en
«Le jeu à l’école: l’impossible quête». cause de l’utilisation exclusive des straté-
Est-ce que trop souvent on utiliserait le gies plus traditionnelles pour faire
jeu «pour faire avaler la pilule parce l’en- apprendre (celles qui excluent le jeu, entre
fant aime jouer, mais n’aime pas tra- autres). Carlo Bianchi le dit tout haut:
vailler»? À l’inverse, si l’expression «jeu «Les formations traditionnelles se limi-
éducatif» est un pléonasme, pourquoi tent souvent à donner des réponses à des
est-ce qu’on tolère le mot «éducatif» à questions que les gens ne se posent pas.»
côté de «jeu»? Une chose est évidente À rebours, le jeu montre ici la pertinence
pour lui, «le jeu sans contrainte n’a pas de son rôle dans les apprentissages, sans
sa place à l’école!». Même en récréation, aseptiser le milieu éducatif des contraintes
je demanderais? Sur ce sujet d’ailleurs qu’il impose et qui sont nécessaires je
(les contraintes), Yvana Ayme évoque le crois. Il y faut cependant des conditions
livre «Jouer et apprendre» de Gilles de réussite précises, Chantal Barthélémy-
Brougère dans un entretien avec l’au- Ruiz en nomme huit qui vont faire du jeu
teur qui contribue à clarifier les concepts «une approche gagnant-gagnant pour
de jeu et de ludique; le parcours des l’élève et l’enseignant.» 4
cinq critères qui définissent le jeu et l’ac- La question est donc à traiter avec dis- 1 Voir ici son interview, «Le désir et la règle», page 32.
tivité ludique vaut le détour. Que penser cernement, et on ne suivra peut-être pas 2 http://www.academiccolab.org/resources/gappsp
aper1.pdf
de l’affirmation, relevée par Monick jusqu’au bout Jean Houssaye selon qui 3 Voir Ludovia, http://www.ludovia.org/2006.php
Lebrun, que venir à l’école pour jouer, «le jeu est un bon moyen de faire dispa- 4 Pour ma part, je dirais plutôt qu’une des grandes
s’agissant d’enfants de quatre ans, c’est raître la notion d’école à la maternelle» si vertus du jeu est d’éduquer à la réalité du perdant,
ne pas avoir de projet d’élève? À quel apprentissage primordial qui encourage au dépas-
l’on adopte l’idée que l’enfant de ce sement dans une société que ne fait de place
âge est-ce légitime d’exiger des enfants niveau «apprend et s’éduque sans le qu’aux gagnants, souvent dans un contexte de
qu’ils ne soient plus des enfants? savoir par le jeu libre». Cette pédagogie grande facilité.
5 Expression typique des anciens de mon coin de pays
Il y a toute la différence du monde entre de la ruse ne prête-t-elle pas le flanc à qui veut dire « pas mal du tout ». Le lecteur excusera
«apprendre en s’amusant» (par le jeu) et une certaine «démagogie du jeu?» ce souci d’en placer au moins une dans mon texte…

Sommaire
58 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
Nous ne sommes pas tout seuls !
Gilles Pedreno
Un partenariat avec une ludothèque en Segpa.

N
ous menons depuis quatre ans un démarches antérieures (essai/erreur); collaboration plus étroite entre les ensei-
partenariat avec la ludothèque développer des habitudes cognitives de gnants et les ludothécaires afin d’adap-
municipale de Pertuis (84). La réflexion (démarche heuristique); déve- ter au mieux les propositions aux
mairie met à notre disposition une ludo- lopper une attitude active vis-à-vis d’une capacités d’apprentissage et de réalisa-
thécaire à raison de deux à quatre heures recherche de solutions; améliorer la tion des groupes classes.
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par semaine pour intervenir dans les mémorisation; appliquer une démarche Un partenariat fructueux où les ludo-
classes de Segpa. L’axe de travail global de analytique de résolution de problème, thécaires apportent leur savoir-faire en
ce projet concerne la découverte, l’appro- aller jusqu’au bout d’une réponse ingénierie du jeu, où les enseignants
fondissement et la conception de jeux de méthodique pour couvrir tous les garantissent l’adaptation de la proposi-
société d’adresse, de coopération, de stra- champs possibles; développer, dans la tion aux capacités réelles des élèves.
tégie, de mémoire. conception d’un jeu, la capacité à antici- Nous avons vu des élèves motivés et
À travers ces activités, les enseignants de per et à réaliser. impliqués dans des apprentissages pré-
Segpa visent trois grands types d’acqui- - Une amélioration du «vivre ensemble», sentés de façon ludique et plus respec-
sition: c’est-à-dire un respect de l’autre et des tueux des contraintes de la vie de
- L’intériorisation des notions de règle et de règles de la vie collective (accepter de groupe, ce qui constitue une avancée
limite: comprendre une règle du jeu, la jouer ensemble, respecter le tour de très positive pour des adolescents très
respecter. parole). souvent en rupture avec les règles socio-
- Des apprentissages: développer le lan- La première année, le projet avait été culturelles de base.
gage (précision du vocabulaire, quantité trop ambitieux en regard des capacités à
d’échanges verbaux); développer l’at- mobiliser: la création d’un jeu d’énigme Gilles Pedreno, directeur adjoint
tention, la concentration; apprendre à n’avait pu être réalisée jusqu’au bout. chargé de Segpa à Pertuis (84).
ajuster ses réponses en fonction des Par la suite, le choix des jeux s’est fait en

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Des adultes qui jouent et qui apprennent en même temps ? • Jocelyne Richard, Éric Trouillot, Didier Faradji, Philippe Le
L’état des lieux par la spécialiste française dans ce domaine : Borgne (2005), Mathématiques et jeux au collège, Paris,
Hachette, coll. Ressources Formation.
• Chantal Barthélémy-Ruiz (1999), Le jeu et les supports
ludiques en formation d’adultes, reproductions autorisées
disponibles auprès de Permis de Jouer. Les liens entre le jeu, les théories de l’apprentissage, et leurs
applications sur le terrain :
Références dans le domaine ludique, ces deux ouvrages vous • Martine Mauriras-Bousquet (1984), Théorie et pratique
éclaireront sur le jeu, l’éducation et les rapports que ces deux ludiques, Paris, Economica.
mondes entretiennent :
• Gilles Brougere (1995), Jeu et éducation, Paris, L’Harmattan. Une réflexion philosophique sur le monde et ses « jeux » :
• Gilles Brougere (2005), Jouer/Apprendre, Paris, Economica. • Philippe Meirieu (2004), Le monde n’est pas un jouet, Paris,
Desclée de Brouwer.
Le jeu, les jeux, et les liens qui unissent les hommes à leurs
pratiques ludiques… Deux ouvrages indispensables sur le sujet : Sites Internet
• Roger Caillois (1958), Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard. • Permis de Jouer, animation et création de jeux pédagogiques
• Jacques Henriot (1989), Sous couleur de jouer, Paris, José Corti. sur divers sujets. www.permisdejouer.com
• Le réseau Ludus, utiliser des jeux dans l’enseignement de
La théorie, c’est bien, mais sur le terrain comment fait-on ? l’histoire, de la géographie et de l’éducation civique.
Deux ouvrages disciplinaires et pédagogiques : www.discip.ac-caen.fr/histgeo/ludus
• Alain Dalongeville et Michel Huber (2002), Enseigner • Le Comité international des jeux mathématiques, voir les
l’histoire autrement, Lyon, Chronique sociale. mathématiques autrement. www.cijm.org

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 59
TIRE-LIVRESme jeu
La lecture com par Anne Touzeau, professeur documentaliste à Nantes.
*

Le jeu est comme le langage, l’enfant joue sans se rendre compte qu’il joue. Il ne dis-
serte ni analyse les jeux dont il est partie prenante. Et dans la lecture, comme nous
l’a expliqué Michel Picard, il y a du jeu, du jeu de rôle et du jeu de règle, du
« playing » et du « game ». Les Anglo-Saxons disposent de deux mots pour notre
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unique « jeu », ce qui leur permet de différencier plus facilement, la lecture « identifi-
cation », celle qui, comme pour un jeu de rôle, joue surtout avec les affects, les émo-
tions, et la lecture « distanciée », celle qui met en action l’intellect et permet
d’apprécier les jeux de la langue et de l’écriture, les détournements subtils de l’auteur
avec les règles de l’art. Lire est donc un jeu permanent, mais parmi tous les
jeux/livres de la littérature de jeunesse, il y en a quelques-uns plus jouables, plus ori-
ginaux et plus merveilleux que d’autres…
*Titre du livre de Michel Picard, publié en 1986 aux éditions de Minuit, 1986.

que, livres après livres, la lecture reste un page de cet album cartonné offre une
jeu… Une pure merveille, un incontour- illustration chaleureuse, expressive et
nable à dénicher dans les bonnes biblio- colorée en lien avec les paroles de la
thèques car le prix n’en fait pas un objet chanson et le descriptif des gestes à
facilement accessible, à moins de faire, accomplir durant la chansonnette. Plein
de s’en faire collectivement un cadeau de de jeux de mains pour des jeux de câlins
naissance… au jeu de la lecture. sont à réapprendre et à pratiquer avec les
petits. La musique est inventive et distille
1 Voir l’interview de Philipe Catini sur
http://www.ricochet-
des rythmes variés et entraînants, très
Dans le jeu du lire, il y a de la surprise… agréables à écouter. À la fin du CD, pour
jeunes.org/parudet.asp?livrid=3166
Les Prélivres (I Prelibri), les plus grands, une version instrumen-
Bruno Munari, Éditions Corraine, tale des amusettes est rejouée et l’enfant
Diffusion Les Trois Ourses, (1980- est invité à retrouver l’image et la page de
2002). Pour tous. la chansonnette (et donc à lire et relire
Petits ou grands, ils ne veulent plus son livre). Un livre CD sympathique pour
lâcher, une fois qu’ils les ont découverts, des moments de jeux et de tendresse
les Prélivres. Ils ne contiennent qu’un avec les enfants.
mot, «Livre», imprimé sur les couvertures
en recto/verso. Les Prélivres sont en fait
douze petits livres (10X10 cm), imaginés
par Bruno Munari dans les années 1980, Dans le jeu du lire, il y a la langue
rangés dans un livre-coffret-biblio- et ses jeux2.
thèque. Ils diffèrent tous par les maté-
La course aux gâteaux, Thé Tjong-
riaux utilisés: papier, carton, rhodoïd,
King, Autrement, 2006. À partir de
bois, feutrine, tissu-éponge, pvc, mais
aussi bouts de laine, de sisal, de raphia, de 3-4 ans et pour tous.
lin qui assurent à chaque livre une reliure Sur la page de couverture, Monsieur et
et une émotion spécifique. Mais en plus, Dans le jeu du lire, il y a le plaisir Madame Chien semblent paisibles et bien
Munari a eu le génie de glisser au cœur du contact… occupés dans leur maisonnette de la
de chaque livre une «surprise». C’est Mon imagier des amusettes forêt. Plusieurs chemins se profilent à
pourquoi on ouvre, on ferme, on touche, (1 livre + 1 CD), Anne Bustaret, l’horizon mais notre regard est vite attiré
on sent, on feuillette, on trouve… On illustré par Olivier Tallec, Gallimard vers deux rats/souris qui reluquent le
s’amuse, on joue et rejoue avec le sui- Jeunesse/éveil musical (2001 ; «gâteau» en train de refroidir sur la table
vant… Munari disait: «La culture est faite réédité 2006). Dès 1 an. du jardin. Et on imagine, on anticipe le
de surprises, c’est-à-dire de la découverte Cet imagier et répertoire de seize de nos
de ce que l’on ignorait.»1 comptines et jeux de doigts traditionnels 2 Pour une approche ciblée autour des jeux sur la
Un moment joyeux, un plaisir sans fin à propose d’autres façons de jouer avec son langue et une bibliographie assez complète voir :
www.ac-creteil.fr/crdp/telemaque/comite/langue-
partager avec les petits et grands pour enfant et avec la langue. Chaque double jeu.htm

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60 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
Ces nains portent quoi ?, Paul Cox, que les autres. Autant de jeux qui fonc-
Seuil, 2001, À partir de 3-4 ans et tionnent merveilleusement bien grâce
pour tous. aux illustrations raffinées et très
Sept petits nains sur la couverture por- détaillées de Norman Messenger. Le lec-
tent chacun un sac. Sur chacun de ses teur lettré jouera en plus à reconnaître
sacs, un point d’interrogation. Mais que les multiples influences des Magritte,
portent ces nains? Ces nains portent Arcimboldo, Escher, etc.
n’importe quoi, et cela pourrait être Un ouvrage remarquable pour sa qualité
effectivement n’importe quoi sans le artistique et de fabrication, un ouvrage
génie de Paul Cox, un artiste brillant qui tout public pour stimuler l’observation et
joue avec les règles de son art à la basculer dans un imaginaire subtil mais
manière des Oulipiens. Car Paul Cox a non dénué d’humour.
distillé maints jeux de mots, jeux de cou-
leurs, jeux de matières et jeux de
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formes… Aux enfants de retrouver dans


les mots et les images, les paradoxes, les
vol du gâteau par les deux rats/souris et bizarreries, bref les n’importe quoi qui
la course de la famille chien pour le récu- font de ce livre un ouvrage à part où
pérer. Mais, voilà, de page en page de l’aléatoire (jeux sur les couleurs) et l’en-
cette histoire sans texte, le lecteur va fantin (dessin aux allures de gribouillis)
rencontrer et croiser une quinzaine de s’allient avec la contrainte pure et une
personnages (cigogne, cane, caméléon, pensée rigoureuse. Un album farfelu
grenouilles…) et chacun d’eux va vivre digne d’un Perec et d’un Queneau.
aussi de multiples aventures pleines de
rebondissements. Là encore adultes et
enfants s’amusent beaucoup à suivre les
différents chemins, à repérer visuelle-
ment le détail qui fera naître une nou-
velle histoire. La beauté de cet album
repose non seulement sur ces scénarios
croisés mais aussi sur la qualité de l’illus-
tration aux dessins précis (contours noirs)
et aux couleurs tendres. L’humour est le
petit plus qui nous pousse avec bonheur Dans le jeu du lire, il y a des jeux racontés, et
au jeu de la relecture et du partage. Un pour les grands, des jeux qui vous hantent…
livre très sympathique pour affûter ima- La chaise bleue, Claude Boujon,
gination et observation. L’école des Loisirs, 1996- À partir de
3-4 ans.
«Ce jour-là, Escarbille et Chaboudo se
promenaient dans le désert.» Ils aperçoi-
vent une chaise et le jeu commence:
«J’aime bien les chaises, déclara-t-il, on
peut se cacher dessous.» «C’est le mini-
mum du minimum, lança Escarbille. Une
Imagine, Norman Messenger, Seuil chaise, c’est magique. On peut la transfor-
2005, À partir de 5-6 ans. mer en traîneau à chien, en voitures de
Un livre jeu avec rabats, tirettes, images pompiers, en ambulance, […] en tout ce
dépliantes des plus classiques, mais qui qui roule et vole…» Et de l’imagination
entraîne rapidement le lecteur vers des nos deux lascars n’en manqueront pas.
univers imaginaires et magiques, Sur la Jusqu’à ce que, le chameau, au sens fami-
page de titre, une porte posée là et qui lier du terme, le dromadaire plus exacte-
s’ouvre (réellement) sur la campagne ment, déclare qu’une chaise est faite pour
anglaise avec cette légende: «… une s’asseoir dessus, et stoppe le jeu… Nos
porte sans pièce, serais-tu dedans ou deux amis le planteront là, ce mauvais
dehors?» Pages suivantes, le lecteur joueur, et s’en iront, mais sans doute pas
découvrira des objets impossibles et sans le lecteur qui lui, joue aussi le jeu et
introuvables à la Carelman puis devra se qui est déjà en train de se demander: et
lancer à la recherche de géants cachés de ma chaise, j’en fais quoi? Un classique
dans une forêt, mais aussi par des jeux des classiques à (re) découvrir.
de pliages/dépliages, faire face à des
créatures plus extraordinaires les unes

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 61
tuel…»4 Un livre captivant mais exigeant, préjudices, création, recherche scientifique,
et laissez-vous tenter par la suite, Andréas rites sociaux, prohibition, transgression,
le retour, même auteur, même collection. sexe, métaphysique, savoir, mort.»
Tout est là, à vous de jouer. Un livre
3 Voir le travail réalisé par une classe de 4e sur
www.lge.lu/site/travaux/410203/nopasaran.html splendide.
4 www.christianlehmann.net/fre/oeuvres/romans_jeu-
nesse/NoPasaran. php ? rub = oeuvres & ssrub = jeu- 5 Texte 1, Premier paragraphe d’Au pays des jouets,
nesse livre non paginé.
6 Texte 2, troisième paragraphe d’Au pays des jouets,
livre non paginé.
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No pasaran, le jeu, Christian


Lehman, École des Loisirs (Medium),
1996- À partir de 12 ans.
Thierry, Éric et Andréas visitent Londres
lors d’un voyage scolaire. Les trois amis
partent à la recherche d’un magasin de
jeux vidéo qu’ils avaient repéré sur une
publicité française, un lieu magique. Le Dans le jeu du lire, il y a le jeu de la
vieux gérant de la boutique se fige et nostalgie et donc des jeux de mémoire.
Dans le jeu du lire, il y a des recueils
devient livide à la vue d’un insigne sur le Au pays des jouets, cent ans d’aven- de jeux…
blouson d’Andréas, insigne que les deux ture : la collection du Musée des arts Jeux coopératifs pour bâtir la paix,
autres copains n’avaient jusqu’alors jamais décoratifs, Alberto Manguel, photo- Mildred Masheder, Université de la
remarqué. Il donne à Andréas une dis- graphie de Michel Pintado, Éditions Paix, Chroniques Sociales, 2005.
quette et lui conseille d’y jouer avec ses Xavier Barral, 2006. Un livre pour servir d’inspiration, de bases
copains. C’est un jeu qui sera plus qu’un «Le jeu n’est pas toujours l’exercice de la de données (plus de 300 jeux proposés) aux
jeu, une descente aux enfers. L’histoire liberté et parfois, afin de s’affranchir des parents, éducateurs, animateurs, grands
récente3 est au cœur de l’action puisque règles imposées, il faut subvertir celles du frères et grandes sœurs, à tous ceux qui
nos héros vont se retrouver dans les deux jeu, reprendre possession du jouet.»5 voudraient que la compétition ne joue plus
guerres mondiales, la guerre d’Espagne, et Dans ces textes, Alberto Manguel raconte un rôle majeur dans notre vie et dans les
celle de Bosnie. Ce livre est surtout une des histoires où vérité et fiction, réel et jeux pour enfants. À tous ceux qui préfére-
leçon de vie, les dilemmes moraux ne imaginaire, souvenirs d’enfance et digres- raient promouvoir les jeux coopératifs, sans
manquent pas. Si les jeux et les ordina- sions savantes cohabitent d’une page à perdants ni gagnants. L’objectif est de pro-
teurs décrits par Lehman en 1996 peuvent l’autre, comme dans les jeux et les jouets mouvoir la confiance en soi, le regard posi-
ne plus être à la pointe de la technique, le mis en scène sur de splendides doubles tif, le respect de l’autre à travers la
propos reste toujours d’actualité. Peut-on pages intercalées. Plus de 700 jouets, les résolution non-violente des conflits, la
tout dire et faire dans un jeu? Lehman, sur plus beaux et les plus originaux des col-
cohésion du groupe et la solidarité. «Le jeu
son site, nous livre un début d’explication: lections du Musée des arts décoratifs sont
coopératif, c’est d’abord une attitude diffé-
«Longtemps, je me suis couché tard. Je ainsi théâtralisés et photographiés pour
rente par rapport au jeu. C’est essentielle-
jouais à Doom, à Warcraft, à Duke plonger le lecteur au cœur de ses propres
ment une activité de participation où les
Nukem… Et quand je ne jouais pas, je me souvenirs, dans l’intimité de ses propres
éléments compétitifs sont limités. On y fait
posais des questions sur l’étrange addiction fictions où se jouaient les drames les plus
l’expérience d’aider et de supporter plutôt
que cela représentait, cette fébrilité à voir réels, les compétitions les plus acharnées
que d’affronter et de battre. Une nouvelle
ce qui se passait à l’autre bout de l’écran, à (tour de France ou combat de boxe par
perspective s’offre aux joueurs. L’enjeu, ce
survivre encore un moment dans un uni- exemple), les guerres les plus insolites et
n’est plus «toi ou moi», mais plutôt com-
vers virtuel. De plus en plus sophistiqués, de des moments de pure poésie.
ment «toi et moi» jouons pour la plus
plus en plus violents, les jeux m’attiraient et Impossible de ne pas reconnaître une part
grande satisfaction de chacun.»7
me répugnaient par moments. Et puis un de sa propre enfance, de ses propres jouets,
Un livre à garder par-devers soi quand on
jour, dans un manuel de règles, je suis dans cet incroyable inventaire de souvenirs.
s’occupe d’enfants.
tombé sur une citation de Mussolini, placée Car, comme l’écrit Manguel6, «Tout est là.
là sans scrupule, sans arrière-pensée, sans Réconfort, conflits, cauchemars, expé- 7 Extrait de « Plaisir de jouer, jeux coopératifs de
explication. J’ai commencé à me demander riences, hiérarchies, anarchies, liberté, disci- groupe », de Crevier et Bérubé, Institut du plein air
québecois et extrait sur http://users.skynet.be/ste-
si tout était permis dans un univers vir- pline, commencements, aventures, plamb/Jeuxcoop/jeuxcoop.htm

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62 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
( E T C H E Z T O I Ç A VA ? )
De petits textes… Pour parler du métier tel qu’on le vit, avec ses moments de crise ou de plaisir, avec le quotidien de la classe et l’extraordinaire
qui, parfois, nous surprend, avec des jeunes et des adultes qui aiment ou détestent l’école mais y passent ensemble leurs journées.
Pour raconter cela, de façon personnelle, avec passion, avec humour. Pour rêver par écrit. Pour saisir un moment sur le vif et le partager.

On m’avait dit…
Mon histoire avec l’Éducation nationale commence comme une sentations qu’elle a, de ce à quoi elle a accès ou non! Une infor-
chanson de Patrick Bruel: «On m’avait dit…» On m’avait dit mation dynamique donnée par une «codeuse», des précautions
que j’apprendrais à lire et à écrire quand j’irais à l’école. Me voici prises auprès de la classe pour expliquer le plus simplement
en maternelle, en 1962, à cinq ans, confrontée à LA déception: possible la situation et… ça va bien! Impressionnante,
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pas de lecture, pas d’écriture, un ennui cosmique, juste de la pâte Noémie. Appareillée, elle entend souvent mieux que les enten-
à modeler, le jeu idiot du petit train, la visite d’un impression- dants, elle fait preuve d’une concentration et d’une vigilance
nant Père Noël! Mais littéralement rien qui nourrisse ma curio- remarquables, il suffit que son interlocuteur se place face à elle
sité! Même que je pleurais tous les matins. Même qu’un jour j’ai et articule correctement! Handicapée, Noémie? Je fais le pari
essayé de m’enfuir. Même que je faisais du cinéma pour ne plus qu’elle va nous aider à progresser (la classe ET les enseignants)
y aller. Si c’était ça, l’école, ça n’avait aucun intérêt! dans le travail et l’humanité. Déjà certaines copines ont appris
Et l’année suivante, ça continue à ne pas s’arranger: une salle d’elle des rudiments de communication dans la langue des
de classe exposée au nord, immense dans mon souvenir. Le signes. Bientôt les rieurs ne souriront plus leur gêne en enten-
soleil, rarement… Quelquefois le matin là-bas, au fond à dant sa prosodie un peu singulière. Nous espérons un stage de
gauche: nous lui tournions le dos. L’institutrice, très vieille LPC (langage parlé complété).
(elle avait au moins 25 ans!) et très méchante, envoyait volon- Toutes nos classes comptent en nombre variable des enfants
tiers valser les cahiers à travers la classe si nous avions l’imper- «sourds à ce que dit l’école», lieu où se parlent un langage et
tinence de nous tromper. Peur? J’ose dire terreur. Anne-Marie des valeurs humanistes qui leur sont un non-sens pour les rai-
ne parvenait jamais à répondre aux questions qui lui étaient sons socio-économiques que nous connaissons, enfants qui,
posées. On aurait dit qu’elle était imperméable à ce qui se pas- pas plus que s’ils étaient nés mal entendants ne sont justiciables
sait. Je tremblais comme elle, chaque fois que la maîtresse l’in- des déficits de la naissance.
terrogeait. Je ne comprenais ni pourquoi Anne-Marie ne savait Je voudrais croire que dans quarante ans on s’indignera de ce
pas répondre ni pourquoi la mégère se fâchait au lieu de l’ai- que notre société s’accommode de cette injustice et soit tentée
der. Anne-Marie n’est pas revenue en classe après le CP. Elle de surcroît de remettre à l’ordre du jour le dressage et la sélec-
avait une tumeur au cerveau dont elle mourut à 10 ans. tion précoce. Et que la confiance en l’éducabilité l’aura
Cette année, dans une classe de 4e où j’enseigne le français, est emporté sur la morbidité scolaire.
arrivée Noémie, qui est sourde. Et nous voilà paniqués…
Comment allons-nous faire, nous qui ne savons rien des repré- Françoise Bailly, professeur à Saintes

Ce jour-là
Recherchez dans votre parcours professionnel un événement qui a de mes élèves de 3e jusque-là sans histoire) était rentrée à la
servi de déclencheur dans la prise de conscience de votre responsabi- maison complètement saoule. Saoule au point d’aller se cou-
lité sous forme d’un récit court qui commencera par « ce jour-là… » cher dans la niche du chien, vous vous rendez compte ?
Consigne d’écriture donnée dans l’atelier « Sommes-nous respon- Ensuite elle a vomi partout avant de s’écrouler sur son lit. Mon
sables de l’échec de nos élèves ? » à la Rencontre de Giron en août 05 Dieu, qu’est-ce que je dois dire et faire en rentrant ? Jamais elle
(atelier coanimé par M.-Christine Chycki et Françoise Colsaet). ne m’a fait un coup pareil. Elle ne travaille pas très bien mais
c’est une gamine sans problèmes ! »
Ce jour-là, j’étais en plein conseil d’Administration du collège Éberluée, je compatis et je conseille de la laisser dormir. Et peut-
où je suis CPE. La routine qui reprend juste après les vacances être, si c’est possible, de la garder le lendemain pour parler avec
de Noël… Tout à coup, la concierge vient chercher une mère elle. La mère me déballe alors tous ses soucis du moment : son
d’élève, déléguée parent, car sa fille la demande d’urgence au père, son frère sont gravement malades, elle-même est un peu
téléphone. Elle sort quelques minutes puis revient sans mot dépressive. Elle se reproche de n’avoir pas assez fait attention à
dire sous nos regards indifférents. sa fille ces derniers temps. Nous parlons longuement, elle se
À la fin du conseil, il est déjà 20h30 et je suis pressée de rentrer calme peu à peu. Je lui propose de me téléphoner le lendemain
chez moi. Je passe à mon bureau chercher mes affaires et pour me tenir au courant. Nous nous quittons, il est au moins
j’aperçois la mère d’élève hésitante sur le pas de la porte : « Je 21h30, elle me remercie avec effusion. Personne ne s’inquiète de
peux vous parler quelques minutes ? » Difficile de refuser mais mon départ tardif ; quand je regagne le parking, les voitures du
je me souviens m’être dit : pourquoi moi ? principal et du principal adjoint ont disparu depuis longtemps.
Elle s’assied et aussitôt s’effondre en larmes : «Vous vous sou- Le lendemain, elle me téléphone et me raconte ce qui s’est
venez, tout à l’heure on m’a appelée au téléphone. C’était ma passé. Sa fille et quelques copains et copines ont voulu fêter le
fille aînée qui me prévenait que sa petite sœur (Stéphanie, une nouvel an ensemble. Ce jeudi ils sortaient à 16h et, comme les

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 63
( E T C H E Z T O I Ç A VA ? )

cars de ramassage ne passent qu’à 17h, ils avaient choisi ce tirer les rois mais, comme ils n’avaient pas assez d’argent, ils ont
moment. La moitié de la classe était rassemblée près du stade acheté de la bière. Pourquoi de la bière ? Parce qu’il n’y a pas de
derrière le collège. La fille est toute penaude et affirme qu’elle fête sans alcool. Après, ils ont organisé une sorte de concours,
n’osera plus jamais mettre les pieds au collège. En effet sa mère les filles contre les garçons. Les canettes ont été débouchées, les
lui a dit que, sous le choc, elle m’en avait parlé. Je demande à la bouchons posés dessus et quand on n’arrivait pas à le faire tom-
mère de la convaincre au contraire de venir me voir le plus ber en lançant un caillou à distance il fallait boire cul sec…
rapidement possible. Elle me passe sa fille : je lui précise que On se met alors à discuter, de tout, du plaisir de faire la fête, de
c’est pour parler, simplement. En principe, je n’ai pas à la punir l’alcool, des relations avec les adultes, parents ou profs, de la
puisque ça s’est passé en dehors du collège. confiance. Plusieurs m’avouent qu’elles aussi sont rentrées
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Le lendemain, Stéphanie débarque seule à mon bureau, un peu complètement bourrées mais comme les parents n’étaient pas
gênée mais sans plus. Nous commençons à discuter. Tout à encore là, ils n’en ont rien su.
coup, à l’heure de la récréation, j’entends toquer à ma porte, et Nous finissons par convenir que finalement c’est Stéphanie
cinq ou six de ses copines débarquent. Elles craignent que je la qui a eu le plus de chance : sa mère l’a su et, du coup, elles ont
punisse et viennent à la rescousse. Elles faisaient partie de la parlé comme jamais !
bande et, elles aussi, elles ont bu. Je me mets à rire devant cette
En mon for intérieur, je pense : felix culpa !
confession collective et je fais asseoir tout le monde. Je pose
quelques questions, j’apprends que le groupe s’était cotisé pour Marie-Annick Doremus, CPE
faire la fête. Au départ, ils voulaient acheter des galettes pour

Témoignages de jeunes professeurs des écoles


Suite des récits de situations vécues par de jeunes professeurs des impact chez les enfants en question. Quelle réaction adopter?
écoles qui se demandent comment réagir face à la violence verbale Quels mots choisir?
et physique de quelques élèves perturbés. Sabrina, ZIL (remplaçante)
Un des problèmes qui me tient le plus à cœur est de réussir à Durant une semaine, dans une classe de CE1, en ZEP, une
gérer la violence avec des élèves que je ne connais pas. Je me élève s’est « amusée » à m’insulter en classe : « grosse conne,
suis retrouvée confrontée à des situations critiques, et ces putain, j’emmerde… » Le climat de classe s’est vite dégradé
rares expériences m’ont choquée et m’ont fait me remettre en jusqu’à une perte d’autorité ne permettant plus de travailler.
question. Que ce soit la violence entre les élèves, verbale ou Les élèves m’ont signifié que je ne pouvais rien contre eux :
physique, l’insolence… j’ai toujours l’impression d’avoir « tu n’as pas le droit de nous punir, de nous frapper, et on ne
extrêmement peu d’impact. sera pas renvoyés… ». Ces propos s’accompagnaient de cris,
De plus, le fait de n’être dans une classe que très peu de temps l’élève frappait ses camarades et balançait des objets à tra-
m’empêche de mettre en place des projets qui s’inscrivent sur vers la classe.
une durée. Et reprendre des systèmes instaurés par les titu- Solutions tentées: dialogue, indifférence, convocation des
laires n’est pas toujours efficace: il faut avoir le temps de se les parents, sanctions, et, n’y tenant plus, conseil de discipline. Au
approprier, et les élèves m’accordent moins de crédit car ce bout de trois jours, l’élève a recommencé ses insultes. Je l’ai exclue
n’est pas moi qui ai mis les choses en place avec eux. de la classe durant une semaine et demie. J’ai mis plusieurs jours
Un exemple: lors d’un remplacement en CM1 en ZEP, j’ai à calmer les autres élèves et nous avons réussi, après beaucoup de
accompagné la classe en sortie au gymnase (sans autre accom- temps passé à dialoguer, à retrouver un climat propice au travail.
pagnateur). Au retour, nous sortons du bus, les enfants se ran- Le souci, c’est que j’ai trois élèves très fragiles, dans le même style
gent, je ferme la grille et en me retournant, je vois deux élèves que cette élève. J’ai l’impression de travailler toujours sous la
qui se battent. Je les somme d’arrêter, ils continuent. Je m’in- menace d’une «crise». Je suis en permanence sur le qui-vive et le
terpose, j’attrape l’un d’eux pour l’éloigner et je le maintiens. travail psychologique à faire dépasse certainement mes compé-
L’autre continue de le frapper (et me frappe en même temps, tences et est épuisant. Il est pourtant indispensable, il faut que je
involontairement). La scène m’a paru interminable. J’avais surveille constamment et que je jauge l’état émotionnel de ces
demandé à une élève de prévenir la directrice. Lorsqu’elle est enfants pour tenter de prévenir ou enrayer tout débordement.
arrivée, les enfants ont cessé de se battre. Je reçois l’aide de ma collègue de la classe d’à côté en cas de
Heureusement, les autres élèves sont restés calmes. Nous crise, mais nous n’avons ni médecin ou infirmière et la psycho-
sommes repartis en classe comme si de rien n’était ou presque logue scolaire n’est dans l’école qu’une journée par semaine!
(j’ai voulu éviter les discussions à chaud). J’entretiens le plus de relations possibles avec les familles, mais
Les deux élèves sont restés dans le bureau avec la directrice et là encore, cela ne suffit pas: les situations familiales sont géné-
elle les a privés du spectacle de l’après-midi. ralement à l’origine des comportements déviants et je ne suis
Le remplacement n’a duré qu’une journée, mais qu’aurais-je pas assistante sociale!
pu faire ensuite, si j’étais restée? J’aurais voulu gérer cette Comment se protéger un peu? Comment gérer les apprentis-
situation seule, mais ce que j’ai pu dire ou faire n’a eu aucun sages avec cette pression? Comment réagir face aux insultes?

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64 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
( E T C H E Z T O I Ç A VA ?)

Je passe, à mon sens, trop de temps à séparer les bagarres, cices de lecture. Les CE1 commençant à s’impatienter du fait
même dans la classe. que les CP rangeaient leurs affaires trop lentement, je répète
Les parents des élèves les plus stables demandent des comptes aux trois élèves qui n’avaient pas terminé de me donner leur
sur le fait que leurs enfants sont pénalisés par certains élèves. feuille (ils pourront finir le travail le lendemain, calmement) et
Que répondre? de ranger leurs affaires.
Comment enrayer l’alcoolisme naissant des jeunes enseignants À ce moment précis, une élève de CP refuse de me donner sa
sous pression? (it’s a joke) feuille parce qu’elle n’est pas finie. Je lui réexplique que ce n’est
pas grave, que je l’aiderai à la terminer le lendemain et qu’elle
Comment limiter l’agressivité de ces enfants et générer un bon
n’est pas la seule dans ce cas. Elle commence à s’énerver et à
climat de classe?
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pleurer en parlant fort, elle me lance sa feuille, puis balance sa


Tatiana chaise, met ses cahiers par terre, tape des pieds et hurle. Loin
À la fin d’une récréation, un de mes élèves se bagarre avec un de calmer les autres, cette crise les énerve et les voilà qui par-
autre (chose plutôt fréquente). J’ai du mal à les séparer. Je finis lent et en rajoutent au chahut.
par empoigner plus énergiquement Ahmed qui n’apprécie pas Je rétablis le silence pour faire sortir les enfants (il est alors
et me donne un coup de pied devant les autres élèves de la classe. 16h40), mais mon élève boude dans son coin tout en rangeant
Je le place tout de suite chez la directrice chez qui il terminera ses affaires. Les autres élèves sortent; elle reste en classe, tou-
l’après-midi. Aucune mesure envers l’enfant n’a été prise sur jours rouge de colère et prête à tout casser.
le moment. Je me suis sentie mal à l’aise: comment faire pour accompagner
Les jours suivants, Ahmed se fait de plus en plus virulent en mes élèves au portail et ne pas laisser cette enfant seule? Je
classe. Les autres élèves, témoins des scènes de confrontation décide donc, en la voyant venir vers la porte, lentement, parce
ou d’ignorance de ma part, commencent eux aussi à prendre qu’elle tapait le travail fait en arts visuels suspendu au mur, de
de l’assurance vis-à-vis de moi. Je suis alors en train de perdre lui prendre la main pour la faire sortir. Mais il s’agissait là d’un
ma classe! rapport de force. J’ai dû la tirer. Elle criait et certains parents
regardaient comme des bêtes curieuses. Je me sens encore mal
Je décide donc de vider mon sac auprès de mes collègues: pas rien que de repenser à cette situation qui m’a traumatisée: où est
toujours facile d’avouer que l’on a du mal à tenir une classe! la limite? Comment aurais-je pu faire autrement?
Un conseil de discipline est mis en place pour Ahmed, trois L’élève a ensuite pris son temps pour venir à la grille, mais je
jours plus tard. L’ensemble des collègues et des personnels est la surveillais. C’était plus simple. Certains enfants sont tout de
réuni, la maman a été convoquée. Le «tribunal» est ouvert. même partis alors que j’avais le dos tourné. Et si ce soir-là il y
L’enfant n’est ni impressionné ni effrayé et refuse de s’excu- avait eu un problème?
ser. Un cahier de suivi est mis en place.
Après m’avoir lancé «je vais le dire à ma mère!» (ce à quoi j’ai
Cela fait deux mois que cet événement a eu lieu. Ahmed est en répondu: «je veux bien la recevoir»), elle est revenue le lende-
pleine transformation et comprend que j’essaie d’être juste main heureuse, sans rancune, et a terminé sa feuille.
avec lui.
Comme mon poste est fractionné (je n’y suis qu’une journée
Comment gérer ces enfants en souffrance? Comment faire pour et demie par semaine), la titulaire m’a dit que cela se produi-
redonner de la place aux apprentissages? Que dire aux parents sait souvent aussi avec elle et qu’elle allait faire un bilan psy-
des enfants qui vont bien et qui demandent des comptes? chologique. Depuis, rien de nouveau.
Sophie, Classe de CE1 en ZEP Delphine, classe de CP/CE1 en ZEP
Alors que la journée se terminait, quelques élèves de CP de ma
Catherine Caviale, PEMF et Agnès Mahieu, PIUFM
classe de CP/CE1 n’avaient pas terminé leur feuille d’exer-

Quand les élèves remontent le moral des profs


Octobre. Sur la messagerie du site du collège, je reçois un mes- je le voulais). Je ne dois pas avoir l’air en forme, car deux
sage de Lina que j’avais l’an passé en 4e et que j’ai croisée deux jours après, le dimanche matin, je reçois ce message.
ou trois fois dans le couloir depuis le début de l’année. RE : rebonjour
Bonjour merci mme d’avoir repondu a mon message je voulais vous dire qui
Bonjour madame, faut tenir bon meme si vous n’etes que professeur de latin que vous
je voulais vous remercier de m’avoir aider l’anne derniere car main- n’avez pas de classe entiere et que vous n’etes pas professeur princî-
tenant je me debrouille mieux pal vous aider quand meme des eleves a s’ameliorer et c’est sa qui
Je lui réponds, puis je la rencontre au CDI. Je lui demande compte au revoir
de ses nouvelles (elle veut toujours aller en BEP pâtisserie). Mon dimanche en est tout éclairé.
Elle m’en demande aussi. Je lui dis qu’enseigner seulement
le latin cette année me contrarie un peu (et je ne lui dis pas Florence Castincaud
que je sors d’une heure de 3e qui ne s’est pas passée comme

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 65
FAITS & IDÉES

Du bon usage des neurosciences


en pédagogie
Daniel Favre

Les neurosciences sont parfois utilisées par les uns et par les autres pour donner plus de poids à leurs argumentations,
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il me semble que c’est ce qui est en train de se jouer pour les méthodes de lecture. En tant que neurobiologiste de
formation, je dirais qu’on fait souvent dire trop de choses aux neurones. Un exemple : au début de sa vie, tout enfant
va apprendre une langue (maternelle) sans dictionnaire, sans interprète, sans langue de référence, sans méthode,
sans pédagogue et avec un cerveau qui est loin d’être structurellement terminé. À ma connaissance, cette performance
inouïe mais combien banale (pas évidente cependant, l’autisme existe aussi) n’a pas d’explication neurobiologique
précise. En revanche, l’étude des lobes frontaux a montré qu’une conquête importante du développement cérébral
réside dans la possibilité de désapprendre. Cependant, il faut signaler que le désapprentissage (quasi impossible chez
certains animaux) reste même pour l’être humain difficile, long, coûteux en énergie, source d’émotions désagréables.
N’avez-vous pas, lecteur, quelques souvenirs douloureux sur ce sujet ? Le désapprentissage n’est pas en effet
uniquement cognitif, il est également affectif.
En conclusion, si on me demandait quelle méthode de lecture utiliserait au mieux les potentialités du cerveau humain,
je répondrais celle qui économise le plus les désapprentissages ! Exemple, si on dit à un enfant que la lettre A se
prononce « a » et que la lettre E se prononce « e » que va-t-il devoir faire pour lire le mot « femme » ?
Économiser le désapprentissage, dans ce cas, serait d’avoir connaissance, dès le début de l’apprentissage de la lecture,
de tous les graphèmes du phonème « a » et faire cela pour les trente-neuf autres phonèmes du français. C’est aussi
dépasser un obstacle, une idée reçue : pour les enfants, il faut faire simple, « vous n’allez pas leur parler des dix
graphèmes du son a ! » Le « il faut faire simple ! » se révèle très coûteux ensuite en désapprentissage, faisant oublier
que chaque enfant a déjà résolu tout seul l’apprentissage de sa langue maternelle. Ce qui faisait dire au mathématicien
pédagogue Caleb Gattegno1 que l’enfant qui avait réussi à parler disposait de l’équipement cognitif permettant de
progresser sans difficulté en mathématiques jusqu’au niveau de la maîtrise dans cette matière.
Voilà un échantillon de neurosciences que je trouve important de faire savoir aux pédagogues.
D’où l’idée de regrouper dans un thème de la rubrique Faits & Idées des Cahiers pédagogiques sous l’intitulé « Du
bon usage des neurosciences en pédagogie » de brefs éclairages sur les neurosciences que mon activité actuelle de
chercheur en sciences de l’éducation m’amène à trouver pertinents. Les rendez-vous avec cette rubrique seront-ils
réguliers ? Peut-être est-ce à vous, lecteurs, de faire connaître votre intérêt pour ce thème aux responsables de la
revue ? En tout cas, voici le premier éclairage, j’espère qu’il sera lumineux…

Émotion et cognition :
un couple inséparable
Dès qu’on met le nez dans un cerveau de mammifères, on lés aussi centres supérieurs. Cette dernière étape est d’ailleurs
est rapidement convaincu qu’il est anatomiquement et fonc- la seule qui n’échappe pas complètement à la conscience. Plus
tionnellement impossible de séparer des neurones, dont la tard à l’université, on apprend qu’en fait ce n’est pas un aller
fonction principale serait la cognition, de ceux dont la fonc- simple, tous les centres intégrateurs comportent des neurones
tion principale serait d’engendrer des émotions. Examinons qui vont réguler en retour le fonctionnement du centre qui les
par exemple le devenir d’un message sensoriel visuel. précède. Cela veut dire que la façon dont ces centres se sont
(voir schéma ci-contre) structurés au cours du développement du cerveau, va interve-
nir sur le contenu qualitatif et quantitatif du message senso-
L’impossible divorce riel. Autrement dit, les expériences vécues par l’individu
Ce qu’on apprend au collège et au lycée lors des cours de bio- déterminent en partie sa capacité à percevoir le présent, ici sur le
logie, c’est qu’il existe un transfert d’informations qui démarre plan visuel. On voit donc mieux ce que notre passé nous a pré-
dans la rétine et qui se termine dans les lobes frontaux, appe- paré à voir. Plus tard encore, si on poursuit des études en neu-

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66 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
FAITS & IDÉES

rosciences, on apprend que les neurones impliqués dans les enjeux affectifs, d’intervenir pour éviter que l’expression des
émotions (avec leurs neuromédiateurs: noradrénaline, dopa- affects ne trouble l’apprentissage et, enfin, d’analyser son impli-
mine…) modulent également le fonctionnement de ces cinq cation personnelle.» (p. 6, souligné par nous)
centres intégrateurs, et cela, pas seulement dans le cas de la Les deux seules phrases, dans ce rapport de trente-deux pages,
perception visuelle. où sont abordés les processus affectifs affirment que ceux-ci
Conséquence de cela, l’état émotionnel du sujet interfère en per- peuvent être néfastes à l’apprentissage. Or, ce texte a servi de
manence dans le traitement des informations. Il n’y a donc pas de fondement à la mise en place en France des IUFM.
fonctionnement cognitif indépendant d’un fonctionnement Et aujourd’hui?
émotionnel. Concernant la formation des enseignants, la visite «se déroule
Faut-il se prémunir contre les émotions ? dans la classe du stagiaire… il est observé pendant au moins 1h30.
Comment cette relation entre cognition et émotion est-elle Le temps d’analyse des séances se fait en différé… afin de permettre
au stagiaire de ne pas rester sur l’émotion d’une séance qui ne
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abordée? Dans le domaine scientifique, il est habituel, comme


l’ont fait Jean Piaget (pour la psychologie génétique) ou se serait pas bien passée… L’entretien différé réunit stagiaires et
Howard Gardner (pour les sciences cognitives) de dissocier formateurs… Le fait qu’il soit différé permet d’ôter l’émotionnel
pour des raisons de simplification méthodologique les proces- de ce temps de formation» (extrait d’un document de travail
sus cognitifs des processus affectifs et émotionnels. Ces rai- dans un IUFM en juin 2006).
sons, complètement légitimes dans le cadre de la recherche, ne Deux extraits qui illustrent donc la persévérance, que chacun
pourraient-elles pas amplifier la tendance dualiste, propre à la peut constater au quotidien dans le contexte scolaire, à vouloir
culture européenne et plus particulièrement française, qui tenir à l’écart un des membres du couple «émotion-cognition»,
amène à disjoindre artificiellement le corps (les émotions) et pourtant (neurobiologiquement) inséparables.
l’esprit (la cognition)? Serait ainsi privilégié le traitement
cognitif et plus ou moins ignoré, ou tout au moins considéré L’interaction entre émotion et cognition invite à accepter de
comme une source d’inconvénients, le rôle des émotions. considérer l’apprentissage comme un processus à la fois cogni-
tif et émotionnel où le rôle des émotions n’est pas seulement
Pour illustrer ce qu’il en est dans le monde de l’enseignement d’interférer négativement avec la visée éducative mais aussi
voici deux extraits de texte. d’apporter des ressources spécifiques sous forme de feed-backs
Hier nécessaires à l’apprentissage. Exemple d’interpénétration
Voici ce qu’on pouvait lire dans le rapport Bancel (1989): entre émotion et cognition: la compréhension ne se manifeste-
«La dimension relationnelle du métier d’enseignant est très impor- t-elle pas en nous d’abord par une émotion et par une satisfac-
tante. Elle implique que l’enseignant soit capable de comprendre les tion qui peuvent guider le raisonnement?

De l’œil aux lobes frontaux, le fonctionnement de chacun des cinq centres intégrateurs du message visuel est modulé par l’activité
du suivant et par l’activité de la partie du cerveau qui est associée aux émotions.

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les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 67
FAITS & IDÉES

La dopamine sympa situation-problème de l’apprentissage et surtout à éviter, en


Apprendre va donc engendrer des émotions. Des émotions multipliant les contrôles et les notes, de le placer en référence
différentes selon les personnes et aussi selon que l’apprentis- externe. L’important étant de ne pas le détourner de sa référence
sage en est à son début, en cours ou terminé. interne: le plaisir d’explorer, d’apprendre, de gagner de l’auto-
La nécessité de l’apprentissage se présente quand on s’aper- nomie. Le risque est grand, en effet, que la référence externe
çoit que nous n’avons pas les savoir-faire, les ressources, pour (la note, le jugement des autres) prenne le pas sur la référence
effectuer telle tâche ou résoudre tel problème. C’est déjà une interne. Si c’est le cas, les apprenants en contact avec un milieu
frustration! Tant que l’apprentissage n’est pas terminé, les qui favorise artificiellement la référence externe, en ignorant les
frustrations s’accumulent à chaque «raté». Ces frustrations émotions qu’ils peuvent ressentir, pourraient par la suite ne se
résultent presque toujours du fait que nous prenons motiver scolairement que si «c’est noté» et plus tard que si cela
conscience que nous ne sommes pas tout puissants et que nous rapporte de l’argent ou permet de se valoriser dans le regard
devons rectifier, dans le sens de la modestie, l’image que nous des autres.
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avons de nous-mêmes. C’est la motivation qui nous fait dési- La liaison essentielle entre cognition et émotion nous inter-
rer d’avoir «tout et tout de suite» qui, non satisfaite, engendre roge donc sur le type de citoyen que nous souhaitons former
ce type de frustration. dans nos écoles.
Cependant, des émotions agréables peuvent accompagner
l’apprentissage. Le cerveau de l’homme et de nombreux mam- Daniel Favre,
enseignant-chercheur en sciences de l’éducation,
mifères est biologiquement organisé pour fournir des «récom- Lirdef (IUFM/université Montpellier 2)
penses biologiques» sous forme de dopamine à l’individu qui
explore et qui résout des problèmes (pas forcément mathéma-
tiques) ou surmonte des difficultés. L’apprentissage se trouve D. Favre et C. Favre (1993) : « Un modèle complexe des
ainsi «naturellement» motivé. motivations humaines : application à l’éclairage de la crise
Il est donc opérationnel de penser que lors d’un apprentissage d’adolescence », Revue de Psychologie de la Motivation,
n° 16, p. 27-42.
deux types d’émotions et de motivations opposées et complé-
mentaires animent l’apprenant. Favoriser l’apprentissage va D. Favre et C. Favre (mars 1996) : « Crise et apprentissage,
consister à accompagner la première phase en permettant à quelles motivations ? », Cahiers pédagogiques hors-série La
l’apprenant de prendre conscience des multiples émotions qui Motivation, p. 41-49.
sont associées à la déstabilisation cognitive, et en créant un cli- D. Favre (2007) : Transformer la violence des élèves, cerveau-
mat de sécurité sans jugement positif ou négatif, sans contrôle, motivations et apprentissage, Dunod - Paris (à paraître en
sans comparaison ou compétition avec les autres, où tâtonner, février).
explorer, expérimenter, errer, sont des activités synonymes.
Favoriser l’apprentissage consistera ensuite à faire reconnaître 1 Caleb Gattegno : La Lecture en Couleurs (transcription de séminaire), Une École
pour Demain, 1997. Les ouvrages de Caleb Gattegno sont diffusés en France
à l’apprenant la satisfaction, proportionnelle aux difficultés de exclusivement par l’association Une École pour Demain 8, rue de la Maltournée,
la première phase, qu’il ressent quand il a réussi à résoudre la Cidex 26 bis, 25720 Larnod. Voir sur le site http://ame73.free.fr/couleur.htm#33

Collection « Repères pour agir » :


Fruit d’un partenariat entre le Crap-Cahiers pédagogiques et le CRDP de
l’académie d’Amiens, la série « Dispositifs » de la collection « Repères pour
agir » propose des livres alliant le concret des pratiques et une certaine théo-
risation, nécessaire à un emploi raisonné des « outils ». Elle s’appuie sur
l’expérience d’enseignants de terrain et sur les recherches les plus en pointe.
Jean-Michel Zakhartchouk, directeur de la collection, est professeur de col-
lège en ZEP, formateur à l’IUFM de l’académie d’Amiens et membre de la
rédaction des Cahiers pédagogiques.
Titres parus :
Accompagner les PPCP
Apprendre et vivre la démocratie à l’école
Classes relais, l’école interpellée
Croisements de disciplines au collège
Écrire, réécrire dans toutes les disciplines
Élèves actifs, élèves acteurs
Élèves, professeurs, apprentissages, l’art de la rencontre
Professeur principal, animer les heures de vie de classe
Les TPE, vers une autre pédagogie
Prévenir la violence au collège
Transmettre vraiment une culture à tous les élèves,
réflexion et exemples de pratiques

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68 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
Des Livres pour nous…
Nous connaissons Emmanuel
Réveille-toi, Davidenkoff comme partisan de la Lire des récits
démocratisation de l’école. Comment
Jules Ferry, ils peut-il concilier ici son refus de l’élitis- longs
me avec sa complaisance surprenante
sont devenus fous pour des groupes comme Sauver les
lettres qui luttent pour des classes de
Patrick Joole. Retz et Scérén-
CRDP de Versailles, 2006.
Emmanuel Davidenkoff, avec niveau et contre le collège pour tous ? Comment lire des œuvres complètes
la collaboration de six Comment peut-il trouver tant de ver- au cycle 3 ? Il faut éviter, dit l’auteur,
enseignants.Oh ! éditions, 2006. tus à des personnes qui sont des adver- de surcharger la lecture par une foule
saires résolus des projets, des TPE, etc. d’activités annexes (questionnaires ou
On a dit ici tout le bien qu’on pensait (mais aussi du socle commun de com-
du talent et de la compétence activités plus ou moins ludiques) ou
pétences et de connaissances valorisé de chercher à épuiser différents
d’Emmanuel Davidenkoff, chroni- dans le livre) ? L’auteur nous répondra
queur pertinent et impertinent de niveaux d’analyse du texte ; sa propo-
(et il l’a fait dans des échanges amicaux sition est de se concentrer sur la lectu-
France Info et ancien spécialiste de que nous avons eus) qu’il ne veut pas re elle-même et les difficultés de
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l’éducation à Libé. On en est d’autant se situer sur un terrain idéologique,


plus à l’aise pour faire part d’une compréhension rencontrées et de
camp contre camp. N’empêche… Les faire lire beaucoup. Et comme tous
incontestable déception. Cet ouvrage affirmations péremptoires sur l’effon-
au titre un peu convenu risque les élèves ne lisent pas au même ryth-
drement du niveau de l’orthographe me, il s’agit de jouer sur l’équilibre
davantage de faire glisser l’auteur et (la fameuse dictée de Sauver les lettres
les idées qu’il défend du côté des entre lecture autonome du texte de
en Bretagne) sont prises pour argent l’auteur, passages résumés et lecture
détracteurs de l’école d’aujourd’hui comptant, quand rien n’est dit sur le
que de contribuer à un débat argu- magistrale. En effet, l’acquisition
formidable travail de pédagogues qui d’une culture littéraire, par la lecture
menté sur les problèmes scolaires. sur le terrain mettent en œuvre de d’un nombre significatif d’œuvres, est
L’auteur et six enseignants ont exami- vraies solutions, et de chercheurs un atout pour lire de mieux en mieux
né manuels et programmes, sans tou- comme Jean-Pierre Jaffré qui clarifient en mobilisant du connu dans chaque
tefois nous livrer leurs références patiemment la question depuis des nouvelle lecture.
précises (le fait d’écrire pour un large années au service d’un enseignement
public ne justifie pas ce parti pris) et Ce livre pratique indique, exemples à
plus efficace (voir le dossier 440 des
pour se livrer à un jeu de massacre. l’appui, la manière de procéder pour
Cahiers pédagogiques sur l’ortho-
Les manuels participent-ils vraiment à préparer ces lectures à partir d’une
graphe). Nous pouvons difficilement
ce point de l’horreur pédagogique ? analyse de chaque œuvre et des diffi-
accepter l’idée que les uns (les antipé-
On dirait que les auteurs font comme cultés qu’elle présente. Les fiches d’ai-
dagogues) défendraient les « savoirs »
ces professeurs qui relèvent des perles de fournies sont parfaitement en
quand les autres s’intéresseraient plus
dans les copies des élèves (tout en en accord avec le projet annoncé et l’ac-
au comment faire. Sur quoi repose
commettant eux-mêmes, si on y cent est porté sur les échanges collec-
cette affirmation (p. 222) selon laquel-
regarde d’un peu près). Et il semble tifs dans la classe, garants d’une
le « les savoirs se sont un peu plus
parfois que sont regrettées les véritable réflexion sur les textes et sur
dilués chaque année » ? Il est assez
« leçons » de manuels d’autrefois qui les stratégies des lecteurs. Enfin la lec-
étonnant d’ailleurs que le discours des
étaient souvent bien réductrices et ture de six romans de jeunesse, de
auteurs retrouve là une modération
peu formatrices. D’ailleurs ne pour- longueurs variables, est préparée en
« centriste » quand par ailleurs l’insti-
rait-on pas relever autant d’absurdi- détail. Les difficultés concrètes des
tution prend une volée de bois vert,
tés jargonnantes par exemple dans la enseignants qui ont travaillé de cette
sans nuances.
grammaire « traditionnelle » que façon sont également exposées.
Bref, on attendait mieux d’un esprit
dans celle qui est critiquée ? On ne La dernière partie du livre présente
aussi avisé que celui d’E. Davidenkoff.
défendra pas ici le récent « complé- quelques notions littéraires.
Encore une fois, cela ne nous empêche
ment d’objet second » ; mais notre L’ouvrage, clair, concret et argumenté,
pas de souscrire à certains constats,
bien connu « attribut du sujet » est-il peut être d’un grand secours aux
d’adhérer à certaines propositions
plus clair et plus cohérent ? Et si enseignants du cycle 3. Un seul
comme l’interdisciplinarité, les projets,
enseigner la progression thématique regret : que l’auteur laisse penser que
un renouvellement de la formation….
(p. 35) de façon dogmatique aux la lecture en classe de quelques
Mais faire des manuels et programmes
élèves est bien évidemment ridicule œuvres chaque année (fût-ce la dizai-
les boucs émissaires d’un « crime »,
(pas plus pourtant que les analyses ne préconisée par les instructions offi-
laisser penser que les solutions sont
dites « logiques » d’autrefois !), les cielles) va suffire à construire la
simples (cela affleure par endroits,
auteurs oublient de dire qu’il s’agit culture littéraire qu’il se donne, à
heureusement pas toujours), exonérer
aussi là d’un outil intéressant pour juste titre, pour objectif. Certes, il est
les enseignants de toute responsabilité
varier l’écriture, que les élèves peu- important d’accompagner la lecture
dans la situation présente (c’est telle-
vent s’approprier si une vraie pédago- d’œuvres complètes pour en faire
ment plus simple de « taper sur l’insti-
gie est au poste de commande. découvrir la cohérence d’ensemble.
tution »), tout cela passe mal. Quant à
Pourtant, de bonnes questions sont Mais dans le même temps, multiplions
débattre, bien sûr ! Les Cahiers péda-
posées et on peut souscrire à certains la lecture d’extraits, tremplin vers des
gogiques n’ont pas hésité d’ailleurs à
reproches : la confusion, la profusion lectures personnelles, ouverture vers
donner la parole à des détracteurs dès
des manuels au détriment de l’essen- la diversité de la littérature et moyen
lors qu’ils renoncent à l’insulte et à la
tiel, la surabondance d’exercices au de créer des « réseaux » de textes
calomnie. En tout cas, nous serions
détriment de synthèses. Il est simple- denses.
heureux de mener le dialogue avec les
ment dommage que ce soit présenté auteurs de ce livre qui malgré tout Jacques Crinon
de cette façon-là au lieu de faire le avancent des propositions qui ne sont
choix de la nuance et de la mesure. Il pas éloignées des nôtres. Pourquoi pas
nous semble qu’il y a hésitation dans dans ces colonnes ?
le livre entre justes critiques et mise
au rebut du bébé avec l’eau du bain. Jean-Michel Zakhartchouk

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 69
Des Livres pour nous…
É. Bautier en distingue deux. Tout (p. 85) : qu’appelle-t-on pédagogie
Apprendre à d’abord, identifier les objets d’ap- de l’activité ? S’agit-il d’une activité
prentissage et les enjeux cognitifs motrice ou intellectuelle ? S’agit-il
l’école, apprendre des tâches qu’on leur donne à faire de jeux ? L’objectif de l’école n’est
n’est pas du tout évident pour cer- pourtant pas de « faire faire », mais
l’école. Des tains élèves. Par exemple, si l’ensei-
gnant n’y prend pas garde, quand il
de « faire apprendre ». La maternel-
le doit préparer les élèves à l’accès à
risques de donne aux élèves de grande section
une fiche sur laquelle ils doivent col-
l’écrit : mais alors, comment se pas-
ser de l’exercice, avec ses apprentis-
construction ler dans le bon ordre les différents
mots qui composent une phrase don-
sages structurés, sa temporalité et sa
progressivité ? Éviter de donner des
d’inégalités dès née en modèle en haut de la feuille,
certains enfants ne comprennent pas
exercices pour faire progresser ceux
qui n’entrent pas spontanément
l’enjeu cognitif de cette activité. dans les apprentissages, n’est-ce pas
l’école maternelle Pour eux, l’enjeu est la tâche de bien finalement prendre son parti des
découper et de bien coller, et pas du inégalités entre les élèves ?
Équipe Escol, sous la direction
Exemplaire réservé : IUFM NORD PAS DE CALAIS - UNIVERSITE D'ARTOISIUFM NORD PAS DE CALAIS

tout l’entrée dans l’écrit. Quant au choix de « thèmes de vie »


d’É. Bautier, Éditions ou de photocopies comme supports
La seconde difficulté concerne la
Chronique sociale, 2006 construction de la posture qui per- du travail individuel des élèves, il
L’équipe Escol (Bernard Charlot, Éli- met d’apprendre à l’école : la recon- nuit souvent à la cohérence didac-
sabeth Bautier, Jean-Yves Rochex, figuration des objets du monde en tique et à la progressivité des
etc.) s’efforce depuis de nombreuses objets de connaissance scolaire. apprentissages. L’élève est seul face
années de comprendre comment se Quand il s’agit d’apprendre le princi- à sa fiche, alors que la discussion
construisent les inégalités devant la pe de fonctionnement du vélo, ou le entre les élèves en travail collectif,
réussite scolaire et montre que la rôle des nageoires dans la locomo- dans une logique de confrontation
socialisation familiale n’est pas seule tion du poisson, certains élèves peu- et d’explications, pourrait permettre
en jeu : malgré la bonne volonté des vent être parasités par la familiarité à chacun de progresser et de réussir.
enseignants, les pratiques scolaires même de leur vélo ou du poisson Et ce sont ces échanges qui entraîne-
dominantes aujourd’hui, non seule- rouge de la classe et par leur relation ront tous les élèves à comprendre et
ment échouent à réduire l’écart affective avec eux. Ils racontent leur à s’approprier les usages scolaires du
entre les élèves de milieu favorisé et vécu et expriment leurs sentiments langage et ses visées cognitives.
les autres, mais contribuent souvent et leurs émotions, alors que l’École La troisième partie analyse les pra-
à l’accroître. C’est que les situations réclame une mise à distance pour tiques dans la classe qui peuvent
pédagogiques proposées dans les généraliser, abstraire et connaître. aider à apporter aux élèves les plus
classes peuvent induire des malen- La première partie du livre interroge éloignés des attendus scolaires
tendus chez les élèves qui n’ont pas l’évolution des textes officiels et les l’étayage nécessaire pour les faire
déjà acquis certaines habitudes lan- représentations que les enseignants entrer eux aussi dans le plaisir d’ap-
gagières et cognitives, alors que ce ont de la spécificité de la maternelle prendre. Bien identifier le savoir en
serait à l’école de leur apporter en insistant sur les « ambiguïtés de jeu dans l’activité, scolariser les objets
cette socialisation scolaire qui leur certains de ses mythes fondateurs pour qu’ils deviennent objets de
manque. Les recherches ont d’abord quant aux objectifs qui lui sont assi- questionnements et d’études pour
porté sur le collège, l’école, puis le gnés et aux moyens à mettre en les élèves, cibler ses interventions sur
lycée. L’ouvrage publié sous la direc- œuvre pour y parvenir. » (p. 31) : le le savoir et non sur l’effectuation de
tion d’Élisabeth Bautier par une mythe de la rupture avec la salle la tâche, réajuster, recentrer l’élève
équipe comprenant de nombreux d’asile, le mythe de la spécificité de sur les savoirs en jeu dans des
praticiens de l’école maternelle pré- l’école maternelle comme devant moments collectifs de discussion,
sente un intérêt considérable car il « imiter le plus possible les procédés insister sur l’apprentissage comme un
s’attache à comprendre comment, à d’éducation d’une mère intelligente processus en cours plutôt que sur des
la source, dès le début de la scolari- et dévouée », donc des procédés non tâches ou des activités motrices que
sation, des pratiques courantes à contraignants, une pédagogie du l’on arrête parce que c’est l’heure,
l’école maternelle peuvent produire concret, du jeu, adaptée au dévelop- tout cela peut permettre à tous les
et entretenir des difficultés chez les pement enfantin, une pédagogie élèves d’apprendre l’école.
enfants de milieu populaire et « invisible »… Bien sûr, ce livre n’évite pas cer-
empêcher leur entrée dans les La pluralité des conceptions de l’éco- taines redites entre les trois parties,
apprentissages. le maternelle engendre des ambiguï- certains chapitres reprennent des
Beaucoup d’ouvrages pédagogiques tés dans les pratiques des thèmes voisins et la lecture serait
ou didactiques considèrent l’élève en enseignants et entraîne chez les plus aisée si le plan et les titres met-
général, sans tenir compte des diffé- élèves un brouillage de ce qu’on fait taient mieux en valeur l’essentiel.
rences de milieu social. En revanche, à l’école. Or, il s’agirait de construire C’est souvent l’inconvénient d’une
É. Bautier, à la suite des travaux du non pas « un cadre pour faire », non écriture collective. Néanmoins le
socio-linguiste Bernstein, ne sépare pas des situations de routine, mais propos est suffisamment passion-
pas l’analyse des pratiques de celle un cadre scolaire, un « cadre pour nant et les exemples d’observations
de leurs effets sur des élèves de apprendre » en aidant les élèves à de classes assez convaincants pour
milieux sociaux différenciés. C’est clarifier l’objet de l’activité et les que cet ouvrage soit un outil indis-
ainsi qu’on peut mettre au jour des conditions de sa réussite. pensable à tous ceux qui veulent
récurrences dans les pratiques des La seconde partie de l’ouvrage que l’école maternelle joue vrai-
enseignants et dégager les malen- détaille ces ambiguïtés et les malen- ment un rôle dans la lutte contre
tendus que provoquent certaines tendus qui « risquent de s’installer l’échec scolaire.
auprès d’enfants de milieu populaire du fait de la récurrence des formes
Sylvie Cadolle
qui ne sont pas de plain-pied avec les de travail à la maternelle où le faire
exigences de l’école. et l’apprendre sont confondus »

Sommaire
70 les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006
Numéros disponibles & prix (port compris)
Pour certains numéros non répertoriés ici, il reste quelques exemplaires disponibles,
consulter notre bureau de Nantes au 02 40 52 36 93 ou cahier.peda.nantes@wanadoo.fr

280 Apprendre 1 .................................................................................................4,57 € 434 L’actualité du monde et la classe – L’école en Angleterre ..8,80 €
287 Violences à l’école ....................................................................................4,12 € 435 Enseigner, un métier qui s’apprend ...............................................8,80 €
298 Les contenus d’enseignement ...........................................................4,12 € 437 Des langues bien vivantes ....................................................................8,80 €
310 L’école après l’école ................................................................................4,12 € 438 L’évaluation des élèves ..........................................................................8,80 €
323 Les religions à l’école laïque ..............................................................4,12 € 439 Quel socle commun ? ..............................................................................8,80 €
336 Aider à travailler, aider à apprendre (ATP 4) .............................4,57 € 440 Orthographe ..................................................................................................8,80 €
339 École et familles : quel partenariat ?................................................4,57 € 441 L’EPS, embarras et inventions ...........................................................8,80 €
347 La pédagogie coopérative .....................................................................4,12 € 442 Éducation à l’Europe - La lecture en questions ........................8,80 €
348 La technologie pour tous ......................................................................4,12 € 443 La culture scientifique .............................................................................8,80 €
349 Un peu plus d’imagination ! ................................................................4,12 € 444 Décrocheurs… comment raccrocher ? ............................................9,10 €
352 L’école maternelle .....................................................................................5,34 € 445 Où en sont les ZEP ? ...............................................................................9,10 €
353 Les langues anciennes ...........................................................................4,12 € 446 L’école et le numérique .........................................................................9,10 €
354 L’effet-établissement ...............................................................................4,12 € 447 École, milieux et territoire ...................................................................9,10 €

Exemplaire réservé : IUFM NORD PAS DE CALAIS - UNIVERSITE D'ARTOISIUFM NORD PAS DE CALAIS

355 L’école dans les DOM — TOM ...........................................................4,12 € 448 Le jeu en classe .........................................................................................9,10
357-358 Apprendre avec la presse .....................................................................6,10 €
359 L’école allemande, un modèle ?..........................................................4,12 €
361 L’EPS, réalités et utopies .....................................................................8,80 €
362 À l’heure d’Internet + CD Rom ......................................................10,40 €
363
364
Lire et écrire à la première personne .............................................8,80
Le droit à l’école ........................................................................................8,80


Offre N° 309 : Les ZEP, années quatre-vingt-dix
365 L’école rurale, une école d’avenir ......................................................8,80 € N° 407 : ZEP-REP, l’éducation prioritaire
366
367-68
Quand les élèves posent problème .................................................8,80
Apprentissages et socialisation ......................................................11,20


spéciale N° 445 : Où en sont les ZEP ?

port compris
369
370
Du bon usage des manuels .................................................................8,80
Faut-il avoir peur de l’autoformation ? ............................................8,80

€ ZEP Tarif : 15 euros,
371 Le monde de l’art et l’école ................................................................8,80 €
372 Filles et femmes à l’école ....................................................................8,80 €
373 Décrire dans toutes les disciplines .................................................8,80 € Abonnements : voir page suivante
374 Des sens à la sensibilité : quelle éducation ? ..............................8,80 €
375 Face à la violence .....................................................................................8,80 €
376/377 Quelle pédagogie pour les lycées ? (N° spécial)............................9,60 €
Cahiers pédagogiques, vente au numéro, BP 72 402, 44 324
378 Apprendre des autres, l’éducation comparée ...........................8,80 € Nantes Cedex 3. Tél. 02 40 52 36 93 • Fax. 02 40 50 74 93
379 Mémoire, histoire et vigilance ............................................................8,80 € http://www.cahiers-pedagogiques.com
380 Notre métier, notre identité .................................................................8,80 € E-mail : cahier.peda.nantes@wanadoo.fr
382 La bande dessinée ....................................................................................8,80 €
383 L’administration tue-t-elle la pédagogie ? ....................................8,80 € Comment régler votre commande ?
384 L’autonomie de l’enseignant ...............................................................8,80 € • Par chèque postal ou par chèque bancaire (sauf Eurochèques).
385 Travailler aussi en grand groupe pour les commandes UE et DOM TOM.
+ Comment faire avec les réformes ? .............................................8,80 € • Par virement administratif (pour établissements et institutions).
386 Esprit critique, es-tu là ? .......................................................................8,80 € • Par mandat postal international ou virement à notre compte bancaire
387 Les examens ................................................................................................8,80 € Crédit Mutuel pour les commandes hors UE (Caisse de Crédit Mutuel Paris
388/389 Écrire pour apprendre ..........................................................................11,20 € 3e- 4e, le Marais-Bastille). Code banque : 10278 – Code guichet : 06041.
390 Peut-on être « conseiller » pédagogique ? ....................................8,80 € N° de compte : 00028882940 – Clé RIB : 67.
391 L’école et l’exclusion ............................................................................10,40 €
392 L’enseignement aux USA ......................................................................8,80 €
393
394
Accompagner, une idée neuve en éducation .............................8,80
Musique ! .......................................................................................................8,80


Complétez votre collection
395 L’éducation toujours nouvelle Les « Retours sur… » :
Comment fait-on avec les réformes (2 dossiers) .....................8,80 €
Retours sur… la question du voile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5,34 €
396 L’odyssée des réseaux .............................................................................8,80 €
Retours sur… le temps de l’élève . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5,34 €
397/398 Changer l’école primaire ....................................................................11,20 € Retours sur… l’éducation à la citoyenneté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6,10 €
399 La médecine dans l’école .....................................................................8,80 € Retours sur… le collège . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6,10 €
400 Osez l’oral ......................................................................................................8,80 €
401 Débattre en classe ....................................................................................8,80 € Autres publications :
402 Des grandes œuvres pour tous ...........................................................8,80 € Hors-série « Apprendre » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,20 €
403 Les lycées professionnels .....................................................................8,80 € Hors-série « Les représentations mentales » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,20 €
406 Faire la classe au quotidien ................................................................8,80 € Actes du colloque du cinquantenaire des Cahiers . . . . . . . . . . . . . . . . 8,80 €
407 ZEP-REP, l’éducation prioritaire .......................................................8,80 € Une idée positive de l’école . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,80 €
Écrire, un enjeu pour les enseignants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12,35 €
408 Savoir, c’est pouvoir transférer ? .......................................................8,80 € Comprendre les énoncés et les consignes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,80 €
409 Expérimenter en sciences ....................................................................8,80 € Élèves à problèmes ou problème(s) de l’école ? . . . . . . . . . . . . . . . . . .9,15 €
410 À quoi sert l’école ? ..................................................................................8,80 € Quels temps pour l’enfant et l’adolescent ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,64 €
411 Quand les élèves se mettent en danger .......................................8,80 € La règle… il faudrait peut-être qu’on m’explique . . . . . . . . . . . . . . . 15,80 €
412 Souffrances de profs ...............................................................................8,80 € Accompagner les PPCP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16,80 €
Apprendre et vivre la démocratie à l’école . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16,80 €
416 Analysons nos pratiques 2 ...................................................................8,80 €
Classes relais, l’école interpellée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16,80 €
417 Poésie poésies ............................................................................................8,80 € Croisements de disciplines au collège . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16,80 €
418 Premiers pas dans l’enseignement .................................................8,80 € Écrire, réécrire dans toutes les disciplines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16,80 €
419 L’école et la pluralité ethnique ..........................................................8,80 € Élèves actifs, élèves acteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16,80 €
423 75 langues en France, et à l’école ? ...............................................8,80 € Élèves, professeurs, apprentissages, l’art de la rencontre . . . . . . . . . .16,80 €
424 Le travail de groupe .................................................................................8,80 € Professeur principal, animer les heures de vie de classe . . . . . . . . . .16,80 €
Les TPE, vers une autre pédagogie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16,80 €
425 Les sciences humaines et les savoirs de l’école .....................8,80 € Prévenir la violence au collège . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16,80 €
429-430 Cette fameuse motivation… Transmettre vraiment une culture à tous les élèves
De la retraite .............................................................................................12,00 € (réflexion et exemples de pratiques) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17,80 €
431 La laïcité à l’école aujourd’hui ..........................................................8,80 €
Offres dans la limite des stocks disponibles, ces prix sont valables pour la France
432 La philo en discussion – L’école en Finlande ...........................8,80 € métropolitaine. Pour les DOM TOM et l’étranger ajouter 3,05 € par commande pour
433 La démocratie dans l’école ..................................................................8,80 € les frais de port en prioritaire.

Sommaire
les Cahiers pédagogiques n° 448, décembre 2006 71
Cahiers
pédagogiques
changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société

10, rue Chevreul, 75011 Paris.


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Cahiers pédagogiques dès le mois suivant. Envoyez vos noms et adresse complète accom-
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pagnés d’un chèque au secrétariat du Crap-Cahiers pédagogiques, 10, rue Chevreul, 75011
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• Jean-Michel Zakhartchouk ment par mandat administratif.

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helene.eveleigh@wanadoo.fr nadine.lanneau@laposte.net
Belgique : Martine Loiseau, 126, chaussée d’Ixelles, 1050 Bruxelles. 0032 (0) 25 12 36 60.
Faits & idées : Raoul Pantanella, martineloiseau@hotmail.com
chemin de Ste-Anne,
83170 Camps-la-Source. PAO : Marc Pantanella • Photogravure et impression : Groupe Horizon (Gémenos).

raoul.pantanella@wanadoo.fr Sommaire
N° d’inscription à la CPPAP : 0707G81944 • ISSN 008-042 X • Tirage : 5 700 exemplaires.

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