Egalité femmes/hô -

(
\

Si beaucoup d'entTf!pds"essont prêtes àjouer lejeu, le écarts de salaires

sont encore esti/nés en'tr-e9 et 18%. Le gouvernement a écidé de s y attaquer
avec une loi. En passant de l'obligation de moyens à elle de résultats.

44 • CHALLENGES W562 - 19 AVRIL 2018

 La ministre sir son avenir professionnel », a été neutralisée ou presque par la
du Travail Muriel présentée en Conseil des ministres S ède, pays pionnier en la matière
Pénicaud, le 27 avril par la ministre du Tra- irep.56).
la directrice vail Muriel Pénicaud. Dès 2020, les urtant l'arsenal législatif existe.
générale
entreprises de plus de 50 salariés premier texte sm l'égalité profes-
de Gecina Méka
Brunei, devront utiliser un logiciel libre et s onnelle date de 1986.Depuis il n'a
Emmanuel gratuit qui compare les salaires des c ssé de s'étoffer en 2001,2002puis
Macron et la unes et des autres. Une solution ins- e 2006.Sans effet véritable. « L'éga-
secrétaire d'Etat pirée de la Suisse. « En cas d'écart, l' professionnelle n'est jamais
é

Marlène l'entreprise devra consacrer une u priorité pour les employeurs,

Schiappa, dans
les locaux de la
enveloppe au rattrapage salarial a firme Marie-Andrée Séguin,
société foncière, pour les femmes, à étaler sur un s crétaire nationale de la CFDT,
le 8 mars. A deîai de trois ans », précisait le mi- p u connue pour ses diatribes anti-
partir de 2020, nistère, le 8 mars. Et celles qui refu- p trons. Surtout, il n'y avait pas
les entreprises seront de coopérer seront sanction- d sanctions avant 2012. » Cette
de plus de nées d'une amende allantjusqu'à 1% ée-Ià,justement, la ministre des
50 salariés de la masse salariale. Doits des femmes Najat Vallaud-
devront,
en cas d'écart, L'objectif affiché par Muriel Péni- B lkacem introduit une petite révo-
consacrer caud est d'en finir avec les 9% lion: toutes les entreprises de
une enveloppe d'écarts de salaires« àposte égal ou pl de 50 salariés devront négocier
au rattrapage de valeur égale », soit « la partie accord relatif à l'égalité profes-
salarial pour les injustifiée de l'inégalité salariale si nnelle avec leurs représentants
femmes. Sinon,
entre les femmes et les hommes, d personnel, comprenant des me-
elles seront
sanctionnées. celle qui ne s'explique pas par des s es favorisant l'articulation entre
critères objectifs », selon la rue de vi privée et professionnelle, la pro-
Grenelle. Le gouvernement a préfé- m tion des femmes et la mise en
ré s'attaquer à ce chiffre qui corres- pl ce d'une « enveloppe de rattra-
pond à « la discrimination pure », p ge salarial» pour les oubliées.
telle qu'elle est constatée au sein A ec une amende à la clé en cas de
des entreprises. TI n'ira pas plus loin, n n-respect de la loi.
pour l'instant. Or l'Insee estime au-
jourd'hui les inégalités à 18,6%sur D,ceptions à Engie et EDF
l'ensemble des contrats à temps D s la pratique, cette nouvelle
plein, quelles que soient les situa- « bligation de moyens» se soldera
tions. Pour l'économiste Rachel Sil- p un semi-échec. Beaucoup d'em-
vera, auteure d'Un quart en moins, pl yeurs ont été effrayés par l'as-
ouvrage de référence sur le sujet, pe t contraignant et le coût des rat-
c'est une trace de l'Histoire. « En tr ages salariaux à un moment où
France, le travail des femmes a le s marges étaient encore fragiles.
longtemps été considéré comme se- « eules 34% des entreprises de
condaire - on y compte encore 30% 50 à 299 salariés ont signé un ac-
de temps partiels - et leur revenu co d », rappelle ainsi la« contribu-
comme un salaire d'appoint. » tio au Tour de France de l'égalité »
du Conseil économique et social,
Arsenal législatif et amendes pu liée enjanvier 2018.Les négocia-
« Les stéréotypes influencent en- te « méconnaissent souvent cette
corefortement les représentations th atique. Les plans et accords
des employeurs », précise Brigitte sa t de simples rappels à la loi sans
mmanuel Ma- Grésy, secrétaire générale du ob ctif, stratégie, ni indicateurs
cron voulait Conseil supérieur de l'égalité pro- ch ffrés pour parvenir à l'égalité »,
faire de l'éga- fessionnelle. Les femmes sont sou- re ette le Conseil.
lité femmes- vent jugées comme moins dispo- En .e, par exemple, a beau avoir été
hommes « la Dossier nibles ... Soit leurs carrières sont la remière entreprise du CAC 40
grande cause coordonnépar moins longues à cause des congés . gée par une femme, IsabeUe Ko-
du quinquen- Anne Tézenas maternité, soit les employeurs l'an- ch r, l'entreprise a vu son accord
nat ». Les Fran- du Montcel. ticipent, quand l'âge moyen du pre- 20 5-2017 retoqué par l'Inspection
çais aussi: d'après la Fondation mier enfant est atteint. C'est dans du avail, faute d'objectifs chiffrés.
Jean Jaurès, 61% d'entre eux jugent cette période que la différence sala- Le ouvel accord signé en décembre
prioritaire la suppression des iné- riale entre femmes et hommes se de .er s'intéresse désormais à la
galités salariales entre femmes et noue souvent, comme en té- mi ité des métiers et au déroule-
hommes. Ce sera donc un pilier moignent les pratiques des entre- me t de carrière. Autre déception :
de la loi « pour la liberté de choi- prises en France (lire p. 48) et qui ED , qui avait obtenu le •••

19 AVRI 2018 - CHALLENGES N"562 • 45

En couverture
Des inégalités salariales tenaces
Ecart de rémunération entre les femmes et les hommes
(calculé sur le salaire mensuel net moyen)
••. en fonction de l'âge
Moins de Entre30 50 ans
O 30 ans et 49 ans
-~._- ---- ---
et plus
-
-9,2%
-26,7%
« Tout employeur assure, pour
un même travail ou pour
un travail de valeur égale,
l'égalité de rémunération entre les
femmes et les hommes. " Tel est le
principe posé par l'Article L3221-2
du Code du travail. Pour éviter des
écarts salariaux au seul motif que
femmes et hommes ne font pas la
même chose, le législateur a défini
cinq indicateurs transversaux de
la « valeur du travail" : le diplôme,
le niveau de qualification, celui
de la responsabilité, l'expérience
acquise et la charge physique et
nerveuse. Une équation d'emblée
complexe. Et, pour la résoudre,
comme le montre l'enquête
réalisée par Challenges sur l'égalité
salariale, chacun affûte
sa méthodologie (voir p. 49).
Si l'obligation légale d'émettre un
« rapport de situation comparée"
fournit un socle de données brutes,
« ces rapports sont difficifes à
utiliser, car if n'y a pas une norme
précise, décrit Denis tesigne,
directeur capital humain chez
Deloitte. Chaque entreprise peut
construire un état dans sa logique
propre ". La mesure des
rémunérations médianes ou
moyennes, souvent calculées sur
le salaire fixe, s'appuie sur
l'lndicateur . équivalent temps
plein », Avec deux inconvénients:
elle neutralise l'impact des revenus
à temps partiel, majoritairement
féminins, et surtout ne tient pas
compte des primes. Or c'est sur la
rémunération variable - qui
concerne en France un cadre sur
deux d'après le baromètre Expectra
2017 - que se jouent les plus
grands écarts: les objectifs les
plus rémunérateurs étant, dans
certains secteurs, proposés
systématiquement aux hommes.
« Les entreprises conditionnent
46 • CHALLENGES N°562 - 19 AVRIL 2018
€I11!1 ~~ « Label égalité profession-
elle» pour son accord de 2014, l'a
erdu. Le nouveau texte signé en
017 «constate un écart de salaires
énérai de 17% et une partie injus-
ifiée de 5%, se désole une déléguée
u personnel CGT. Mais aucune
... en fonction du statut
veloppe dédiée au rattrapage sa-
Profession arial n'a étéprévue. »
Cadre intermédiaire Employé Ouvrier
irs de barrage patronaux
a situation économique des entre-
rises s'améliorant, le gouverne-
ent leur donne trois ans pour trou-
-15% -15,2% er l'équilibre tant attendu. La
éthode Pénicaud sera-t-elle effi-
-19,9%
ace? Sur les 9% des inégalités
SOURCE: LES 250 PORTRAITS STATISTIQUES STRUCTURELS, DARES, MARS 2018
< non justifiées» sûrement, car elle
ransforme l'obligation de moyens
rarement les primes variables n obligation de résultat. Mais tout
à des objectifs sociaux notamment 'est pas joué: la concertation sur le
d'égalité professionnelle ", poursuit exte, programmée jusqu'au 4 mai
Tanguy d'Orange, analyste chez rochain avec les partenaires so-
Syndex, un cabinet d'expertise
iaux, est en train de se durcir. Le
au service des représentants
des salariés. edef avait d'abord fait appel dans
Autre critère difficile à mesurer: a délégation à Armelle Carminati-
le profil du secteur et des métiers. abasse, entrepreneuse et spécia-
Un DRH sera toujours moins bien .ste de ces questions. Lors de la réu-
payé qu'un directeur financier, ion du 5 avril sur les violences
et les femmes restent minoritaires
existes, une nouvelle délégation
au sein de certains bastions
masculins, plus rémunérateurs. atronale a fait deux heures de tirs
Dans leurs réponses, les e barrage contre toutes les me-
entreprises du secteur ures obligatoires. La CGPME, elle,
informatique sont ainsi unanimes: révient que « les entreprises vont
la surreprésentation masculine
rendre des contre-mesures,
favorise d'autant moins l'égalité
salariale que les hommes
'adapter en refaisant les intitulés
occupent, en outre, les fonctions e postes ». Son vice-président na-
hiérarchiques les plus élevées. ional, Jean-Marie Pottier, enfonce
Enfin, il arrive que la statistique clou:On n'est pas contre l'éga-
«
soit trompeuse. « Il est difficife de .té, mais on s'oppose à la com-
disposer de comparaison stable lexité administrative. » Il aurait
dans le temps », explique l'assureur
référé un système d'incitation pour
Covea. Le parcours des femmes
est plus complexe: " Les s entreprises vertueuses.
promotions sont importantes dans Arrêtez avec ça, ça fait trente-
les tranches d'âge où les femmes inq ans qu'onfait de l'incitatif et
ont des enfants, regrette Cristina a ne marche pas du tout! », aurait
Lunghi, déléguée générale du Fonds A ché une Muriel Pénicaud agacée.
Arborus, en charge du label Gender
Equality European & International
rudence donc. Y compris du côté
Standard (GEElS). Et if n'est pas On sefélicite de la
es syndicats. «
rare que ces dernières, en congé eprise d'une partie de nos revendi-
maternité, sautent une évaluation ations, avance Sophie Binet, diri-
annuelle ou soient évaluées eante confédérale de la CGT en
sur une partie de l'année. " C'est harge de ces questions. Pour Tins-
sur ces process que les entreprises
labellisées GEEIS agissent
nt, le gouvernernent souhaiterait
pour rétablir l'égalité. arder l'âge, l'ancienneté et le di-
A tous ces obstacles s'ajoute lôme, ce qui serait très e.fficace,
souvent un autre: « les biais ais je doute que lepatronat laisse
inconscients de la part des asser. ii Le Medef effectivement
managers ou des collaborateurs mporise : « La lutte contre cesiné-
et des collaboratrices ». Sans nul
alités peut passer par différentes
doute les plus difficiles à mesurer
et à faire évoluer. Véronique Pierré ~oies et pas uniquement finan-
cières. Nous ne croyons pas à l'effi-
cacité, à défaut à la faisabilité,
d'un logicielunique. »
Tout le monde a pourtant intérêt à
construire de façon consensuelle
les conditions de l'égalité salariale.
Car, si les partenaires sociaux ne se
mettent pas d'accord, le débat
risque de se déplacer devant les tri-
bunaux : de l'industrie à la banque,
des entreprises du CAC 40 aux
PME, les procès en discrimination
se multiplient. Comme les motifs de
recours: inégalités strictes de rému-
nération, retard dans l'évolution
professionnelle, retours de congés
maternité mal gérés ou licencie-
ments abusifs ... « Nous utilisons la
méthode Clercqui compare l'évolu-
tion de carrière d'unefemme à une
poignée de collègueshommes entrés
dans l'entreprise la même année
avec un même niveau de diplôme,
témoigne maître Emmanuelle Bous-
sard-Verrecchia, avocate spéciali-
sée sur le sujet. Et les discrimina-
tions sont plus fréquentes qu'on ne
pourrait lepenser. » Selonplusieurs
arrêts et jugements de cours d'ap-
pel, la Société générale, la RATP,le
Bureau Veritas, la SNCF, Colgate-
Palmolive et Hispano-Suiza (filiale
de Safran) ont déjà été condamnées.
D'autres procédures sont en cours
contre Credit suisse, le Crédit agri-
cole, IBM, Sopra Steria, STMicroe-
lectronics, les Galeries Lafayette,
PSA, KPMG,Sodexo ...
BNP Pari bas condamnée
Les femmes cadres s'impatientent
en particulier dans les entreprises
où la prime est une grosse compo-
sante du salaire et une source ma-
jeure d'inégalité (voir tableau
p. 49). En 2010, la Cour d'appel de
Paris a ainsi condamné BNPParibas
à verser 351 000 euros à une salariée
brillante, diplômée d'HEC, dont la
carrière a été ralentie par ses congés
maternité. L'affaire Marie-Guyty
Niel- du nom de la plaignante - a
fait date car la Cour d'appel a relevé
« une inégalité générale de traite-
ment entre les hommes et les
femmes dans l'entreprise». Depuis,
la banque s'efforce de gommer ces
inégalités, mais elle est de nouveau
sous le coup de poursuites pour dis-
crimination en raison du sexe ...
Preuve que le sujet ne se règle pas
qu'avec de la bonne volonté.
Léa Lejeune
"L'égalité n'est pas une edistribution,
mais un nouvel éq ilibre"
ernard Michel est président de Geci-
B na, numéro un du palmarès de la
féminisation des grandes entre-
prises, où Emmanuel Macron s'est rendu
le 8 mars. Il a préfacé L'égalité femmes-
hommes au travail, le livre de Christophe
Falcoz, professeur à l'lAE Lyon et conseil
en ressources humaines, paru en janvier.
Challenges. Dans votre ouvrage, quel
constat dressez-vous?
Christophe Falcoz. Bien que le non-respect
de l'égalité salariale soit puni par la loi, et
que des milliers d'entreprises ne soient
pas en conformité, seule une centaine
d'entre elles a été sanctionnée à ce jour.
Les écarts de salaires bruts entre les
hommes et les femmes sont passés de
34% en 1971 à 24% en 2017. A ce rythme,
il faudrait un siècle pour les faire dispa-
raître! On comprend pourquoi le gouver-
nement prend le sujet à bras-le-corps.
Comment justifier de telles différences?
C. F. Les 24% s'expliquent d'abord par le
temps partiel, auquel ne recourent que 8 %
des hommes, contre 30% des femmes, qui
ont en moyenne 1 heure 20 de tâches do-
mestiques de plus à effectuer quotidienne-
ment. La deuxième cause d'inégalités est
le plafond de verre auquel s'ajoute le fait
qu'elles exercent des métiers moins re-
connus et moins rémunérateurs. Reste la
part inexpliquée, qui se situe entre 9 et
10,5%, et qui représente la discrimination
pure. Cela commence dès l'embauche,
avec un écart de 5 à 10%. Et cela s'accen-
tue avec l'âge, au fil des maternités qui
freinent les carrières.
Et pourtant, l'égalité salariale est possible,
comme le montre l'exemple de Gecina.
Comment avez-vous fait?
Bernard Michel. Question de conviction.
Pour moi, la mixité est un facteur de
performance, une idée qui commence à
faire consensus. Encore fallait-ilpasser à
l'action. En 2011, comme 3500 entre-
prises, nous nous sommes engagés
à lutter contre les discriminations en
signant la harte de la diversité. L'étape
suivante a
salariale.
étions à
'té la mise en place de l'égalité
es statistiques existent, nous
5% d'écart à niveau égal de
responsab lité.
Quel est le coût d'un tel rattrapage?
B. M. Sur rois ans, dans une société qui
comptait 50 salariés, nous avons consa-
cré un bud et de 584 000 euros à cet objec-
tif d'égali é, que nous avons atteint en
2014. Po une entreprise prospère, c'est
un investi ement comme un autre.
Cela peut-i suffire à instaurer l'égalité
profession elle?
B. M. No car on ne fait que régler des
écarts: il f ut rechercher comment créer
la dynami ue pour que cela devienne na-
turel. C'es un travail de fond, qui passe
par la cré ion d'un réseau de mixité qui
intéresse es femmes, mais aussi des
hommes c ncernés par l'équilibre entre la
vie profes .onnelle et la vie privée. TI faut
aussi s'as urer, à chaque nomination,
qu'on a ex . é autant de candidatures
féminines ue masculines.
C. F. Ilyaq elque chose d'essentiel com-à
prendre: 1 s écarts de salaires sont le ré-
sultat syst mique de tout le reste. Quand
une entre rise consacre une enveloppe
pour faire u rattrapage, c'est bien, mais il
reste le pl ond de verre, le temps partiel,
et la questi n de la mixité des métiers. On
ne réduit q e la partie visible de l'iceberg.
Nous so es au milieu du gué, et il y a de
la crispatio chez certains hommes. 11 faut
prendre c cience qu'il ne s'agit pas de
prendre a hommes pour donner aux
femmes, c qui conduirait à une guerre
des sexes. 'égalité n'est pas une redistri-
bution, m s un nouvel équilibre.
Propo recueillis par Anne-Marie Rocco
L'ÉGALITÉFEMMES-HOMMES
AU TRAVAIL,de Christophe
Falcoz, préface de Bernard
Michel, EMS Managernent
et Sociétés, 262 pages,
22 euros.
----------- ~
19 AV IL 2018 - CHALLENGES N"562 • 47
En couverture

Blandine Thibault Blacabe, DRH

France de L'Oréal. "Chez nous,
les recruteurs ont une partie de
leur part variable en fonction
de l'attention portée
à la diversité."

Les entreprises pas

.
comptés vers la arue
,/

Les ressources humaines font tourner leurs statisti ues pour corriger
les inégalités salariales. Mais, pour beaucoup, se l un travail sur
l'évolution professionnelle et la gestion de carrière per ettra d'y parvenir.
aura
l fallu une décennie à « Nous souhaitions aooir des don- raire et le recrutement, Randstad

I L'Oréal pour faire passer de 10

à 3 % les inégalités salariales
hommes-femmes. Si l'écart de
salaire reste de 14% chez les cadres,
il n'est plus que de 4 % à âge, ancien-
neté et localisation égales, et proche
de zéro pour les ouvriers et em-
ployés. Pour y parvenir, le géant des
cosmétiques, qui figure au premier
rang des 3000 entreprises mon-
diales auditées sur leur politique en
matière d'égalité professionnelle
par l'ONG .Equileap, s'est appuyé
depuis 2007 sur l'Institut national
d'études démographiques (lned).
Depuis, sa démarche a fait école.
nées incontestables et valider nos
propres résultats montrant un
écart nonjustijié de 1,3% pour les
cadres », confirme Jean-Paul Chiee-
chetti, DRH de Michelin France.
Travaillant également avec l'Ined,
l'entreprise s'appuie, chaque année,
sur une cartographie de la situation
réalisée par les chercheurs et trans-
met à chacun de ses collaborateurs
une « lettre de transparence »,
Celle-ci leur permet de se position-
ner par rapport à leurs collègues
ayant la même ancienneté et le
même niveau de responsabilité.
Spécialisée dans le travail tempo-
fait valider ses statistiques par le
cabinet AON Hewitt quand,
d'Orange à BNP Paribas en passant
bioMérieux, les employeurs sont de
plus en plus nombreux à faire tour-
ner leur logiciel RH pour disséquer
les informations sur leurs salariés
dont ils disposent.
La voie Orange et Faurecia
Objectif de ces démarches: traquer
l'existence d'une différence inexpli-
cable qui rétrécit au fur et à mesure
que le nombre de critères retenus
augmente. De 6% par exemple chez
Orange, elle passe à 1% ~~~

48 • CHALLENGES N"562 - 19 AVRIL 2018

 Des écarts de salaires souvent compris e tre 5 et 10%
EFFECTIFS SALAIRES FIXES
AGE MOYEN JOURS D'ABSENCE
ENTREPRISE CADRES À TEMPS MOYENS ANCIENNETÉ
DES CADRES EN MOYENNE
TOTAL
PLEIN (ETP) (K e BRUT PAR AN)

AFDtech 360 720 300 562 33 3 5 5 1 1

Airbus 12000 45000 7000 22000 42 4 15 17 Ne NC

Assystem Technologies 900 3 100 560 2 040 34 3 5 6 8 3

Aviva France 1599 1150 914 901 44 4 15,7 14,5 8 4

Covéa 13958 7371 3923 4340 44,8 467 17,7 17,4 12 6

Danone 3462 5577 1744 1341 Ne N Ne Ne Ne NC

Gifi* 1406 845 193,5 236 38 4 7 6 14 6,6

Groupe SGS France* 913 1803 326 578 42 457 12,5 13,7 9 5

Ikea France 5223 4841 339 373 42 4 13 13 13 5

JCDecauxSAet JCDecauxFrance* 995 2191 358 542 37,8 395 8,5 9,8 3,1 3

L'Oréal France* 7717 5323 3872 2804 38 4 10,5 11,7 Ne NC

Michelin 3302 15863 1486 4480 55,2 63,8 39,7 442 11,3 17,1 12,2 3,2

02 (Groupe Oui Carel 11375 533 153 45 34,8 43,4 39,2 385 3,1 2,6 Ne NC
Orange SA et Groupe Orange* 34123 58356 12632 25549 60,1 63,5 48 5 22 24 21 17

OVH 248 1279 98 590 55,7 35,7 3 1,6 3 34 16

PepsiCo France 332 309 245 233 59,6 33,4 36,5 5,8 7,8 20,5 !-2,7

Schneider Electric* 5177 12214 1459 5504 76,6 43 4 15 19 Ne NC

Solvay France 1312 4054 461 1075 108,3 42,3 12,8 16,3 Ne NC
Sopra Steria 3429 9364 3275 9078 100% 36,6 8,1 7,4 6,3 5,8

STMicroelectronlcs 3236 7670 1215 4502 59,5 43,8 16,9 17,4 5,2 3

SOURCE: SOCIÉTÉS. DONNÉES 2016 - (SAUF POUR L:ORËAL, OVH, SOLVAY ET STMICROELECTRONICS, DONNÉES 2017)· • RÉMUNÉRATION TOTALE MOYEN E (AXE + PART VARIABLE) iii Femmes Hommes

our la première fois, au travail (QVT),l'équilibre vie cadres hommes plus vieux, plus

P
Challenges a envoyé une
enquête sur l'égalité
salariale à 250 entreprises dont
celles du CAC40. Nous
remercions vivement les
pionnières qui ont répondu dans
le cadre d'une démarche que
nous souhaitons installer dans
la durée, Ce premier retour (voir
aussi sur Challenges.fr) témoigne
de la volonté des entreprises
d'agir. Si certaines n'ont pas
souhaité faire connaître l'écart
précis des rémunérations,
d'autres, très nombreuses, nous
ont assuré de leur participation
lors d'une prochaine édition.
Outre leurs données chiffrées,
les entreprises figurant dans le
tableau ont détaillé les mesures
prises en faveur de l'égalité
salariale. Beaucoup ont cité la
signature d'accords sur l'égalité
professionnelle, la qualité de vie
------------------------------------------------------------~~-------------------~
privée-vie professionnelle ou
encore de parentalité. Car, à
quelques rares exceptions
(AFDtech, JCDecaux et Sopra
Steria), les entreprises font état
d'un nombre de jours d'absence
des femmes bien supérieur à
celui des hommes, pouvant
atteindre 18 jours: une raison
de penser que l'égalité salariale
est indissociable de la maternité
et plus généralement de la
parentalité? Certaines ont
institué un congé parentalité
(Aviva, Ikea), d'autres permettent
aux femmes de reprendre en
douceur avec un salaire à 100%
(PepsiCo), ou ne tiennent pas
compte du congé maternité dans
les évaluations annuelles
(Solvay, PepsiCo). Nombreuses
sont celles qui ont institué un
système de validation des
rémunérations comme JCDecaux
et sa " commission paritaire ",
ou de détection des écarts:
STMicroelectronics s'appuie
désormais sur le « Profil
référent », son outil d'évaluation
de l'équité de rémunération.
Orange a son diagnostic des
écarts salariaux. Michelin fait
appel, comme L'Oréal, à l'INED
pour s'assurer de la pertinence
des données. Pour autant, les
chiffres moyens ne sont pas
toujours au rendez-vous. Seules
trois entreprises affichent une
égalité salariale quasi parfaite
pour les cadres: JCDecaux,
AFDtech et Assystem
Technologies. Toutes trois ont
d'autres points communs: pas
ou peu de différences en termes
de journées d'absence, une
ancienneté et un âge moyen
sensiblement identiques pour
les deux sexes, Pour toutes,
l'effet de l'âge est patent: des
responsables, donc mieux
payés. Pour t'Oréal.« un top
management majoritairement
masculin" constitue une des
raisons des écarts qui
subsistent. Idem chez Orange,
où il reste. nécessaire d'ancrer
les politiques d'égalité dans la
durée et dans la culture
managériale », Si quelques
entreprises déplorent
l'autocensure des femmes,
beaucoup mettent en avant la
difficile bataille à mener contre
les préjugés, notamment
managériaux, et l'impératif de
mener de front deux combats :
égalité salariale et parité. Pour
les entreprises à forte tradition
masculine (informatique,
industrie) en particulier, recruter
des femmes et les faire monter
dans la hiérarchie constitue
encore un challenge. V, p,

19 AVr'L 2018 - CHALLENGES W562 • 49

 En couverture
Jean-PaulChiocchetti, DR!-l
de Michelin France. Tous les ans,
l'entreprise transmet à ses
collaborateurs une" lettre
de transparence» qui leur permet
de se positionner.
~~~ lorsque sont pris en compte
l'âge, le poste et le niveau de respon-
sabilité des collaborateurs. Elle se-
rait même de seulement 0,1%à 0,2%
chez l'équipementier Faurecia qui,
en plus de ces critères, a comparé
les salaires en retirant les éléments
de rémunération variable. L'étude a
été étendue à six pays dont la
France. « L'année dernière, sur les
12 000 profils de cadres étudiés
dont 2 800 femmes, 195 dossiers
sont ressortis, explique Bérengère
de Lestapis, vice-présidente Com-
pensations & Benefits du groupe. ils
ont été transmis aux RH et aux
managers concernés pour appro-
fondir l'analyse. Enfin de compte,
seuls 71 cas présentaient une diffé-
rence injustifiée et les salariés
concernés ont été augmentés pour
rattraper leur retard. » Pour éviter les différences qui se
Radiographie et enveloppes
Comme Faurecia, les employeurs
utilisent ces radiographies pour ef-
fectuer un rattrapage salarial des
collaborateurs concernés à l'occa-
sion des négociations annuelles sur
les augmentations. « Chaque année,
nous allouons une enveloppe desti-
née à gommer ces écarts. EUerepré-
sente 0,2 % de notre masse sala-
50 @ CHALLENGES W562 - 19 AVRIL 2018
riale », indique Patrick Lepagneul,
DRH Europe Moyen-Orient Afrique
du leader de la microbiologie bioMé-
rieux. A BNP Paribas, 2,4 millions
d'euros ont été alloués cette année,
soit un doublement des sommes
mobilisées depuis plusieurs années.
« Nous travaillons également dans
la durée pour éviter que les inégali-
tés constatées se reproduisent dans
les augmentations de salaire en
raison de biais dus à des stéréo-
types, illustre Barbara Levéel, res-
ponsable diversité du groupe. Les
managers disposent d'indicateurs
par postes types et leurs proposi-
tions sont passées en revue par un
comité dans lequel siègent le DRH
groupe et le Comp & Ben qui peu-
vent pratiquer des corrections en
cas de différence inexpliquée. »
manifestent, à poste égal, lors de
recrutements externes où des
hommes mieux rémunérés dans
leur ancien poste que les femmes
ont tendance à négocier sur la base
de leur précédent salaire, L'Oréal
«pèse» ses postes sur la base d'en-
quêtes de rémunération annuelle et
en se référant au marché local pour
éviter toute surenchère. Même pra-
tique pour PepsiCo, où les grilles de
rémunération sont transparentes.
« Chaque année, nous publions les
nouveaux chiffres, suite aux négo-
ciations sur les augmentations de
salaire, explique Belen Moreu, DRH
France. Chacun peut donc savoir à
quoi il peut ou pourrait prétendre
en cas depromotion. »
Le cas des congés maternité
Nombre d'employeurs choisissent
aussi de « neutraliser» les congés
de maternité. Non sans raison: « ils
génèrent une inégalité de salaire de
2 à 8% », observe Denis Lesigne,
directeur Capital humain chez De-
loitte. Pour ne pas pénaliser les
femmes enceintes, la loi oblige les
entreprises à leur faire bénéficier
des mêmes augmentations qu'aux
salariés de la même catégorie. Mais
certains employeurs vont plus loin.
« La part variable des femmes en
congé maternité ou d'adoption dé-
pend de l'évaluation de ses objectifs
pendant son temps de travail, ex-
trapolé sur la période d'absence »,
souligne Blandine Thibault Biacabe,
DRH France de L'Oréal. Elles sont
aussi assurées de retrouver leur
poste à leur retour, et certaines
peuvent même êtrepromues quand
elles reviennent. » Randstad s'at-
taque pour sa part aux discrimina-
tions dues à l'importance des temps
partiels. « L'entreprise prend à sa
charge les cotisations retraite sur
la base d'un plein-temps », met en
avant François Béharel, le PDG du
Groupe Randstad France.
Tout irait donc pour le mieux dans le
meilleur des mondes? Pas si sûr ...
« Si nous avançons sur le dossier de
l'égalité salariale consistant à ac-
corder à poste, âge et niveau de res-
ponsabilité identiques un salaire
identique aux femmes et aux
hommes, nous avons, en revanche,
des progrès àfaire sur la gestion de
carrière et lapromotion desfemmes
pour atteindre la parité, explique
Line Pélissier, directrice de la diver-
sité groupe Orange, car c'est là que
se situent aujourd'hui les princi-
pales inégalités qui ont des réper-
cussions sur les salaires. »
Alors que certains employeurs,
comme Engie ou Alcatel-Lucent, ont
vu leur accord Egalité profession-
nelle retoqué par l'inspection du tra-
vail, faute de s'être fixé des objectifs
chiffrés, Orange a choisi une autre

approche : « Nous nous sommes
engagés à atteindre pour chaque
niveau un pourcentage defemmes
équivalent à celui qu'elles repré-
sentent au niveau inférieur. En
2020, nous visons 35% defemmes
(31 % aujourd'hui) dans le conseil
de direction et un taux identique
dans le Top 1 000 (29 % actuelle-
ment) en les repérant en amont et
en les accompagnant », poursuit
Line Pélissier. Même logique chez
Michelin,qui a fait de la féminisation
des 500 « cadres groupes » une de
ses priorités. « Chaque année, nous
sélectionnons 8 à 10femmes qui
vont être coachées pendant un an
pour prendre rapidement des res-
ponsabilités », mentionne Jean-Paul
Chiocchetti.
L'international, un tremplin
Alimenter le « pipe », c'est aussi
l'ambition de Blandine Thibault Bia-
cabe. L'Oréal favorise notamment
l'expatriation des femmes, un pas-
sage à l'international étant un moyen
de s'envoler vers les hauteurs: 42%
d'entre elles affichent aujourd'hui
une expérience hors des frontières
contre 27% il Ya dix ans. « Pour les
inciter à en béruficier, nous avons
1 Barbara Levéel,
recours au réseau !DCN qui re-
groupe d'autres grands groupes,
comme Total ou Nestlé, dit-elle. Ce
réseau aide leurs conjoints à s'inté-
grer localement. » En introduisant
une plus grande flexibilitépour per-
mettre aux femmes de conjuguer vie
privée et vie professionnelle, l'entre-
prise PepsiCo est, elle aussi, en
passe de gagner son pari. « Nous
sommes à 49/51 pour le Top 60 et
33/66 pour le conseil de direction,
se félicite Belen Moreu. Et nous
avons le vivier pour réaliser là aus-
si la parité à court terme. »
Cette volonté de rééquilibrage est
aussi à l'œuvre à la SNCF grâce à
une sensibilisation des managers,
menée conjointement par les 33 diri-
geants de l'entreprise publique qui
ont signé en avril dernier un mani-
feste pour la mixité s'engageant à
promouvoir l'égalité dans le déroule-
ment de carrière. La DRH et le ré-
seau féminin interne dont les « am-
bassadrices » répartis dans les
différentes entités, suivent de près
sa mise en œuvre, vérifiant par
exemple qu'au moins une femme fi-
gure bien, à tous les niveaux dans la
short-list des candidats susceptibles
de prendre du galon.
A NP Paribas, l'engagement de
pr pulser les femmes n'est pas que
m ral, une part de la prime indexée
s des critères RSE perçue par les
5 00 top-managers de la banque
re ose sur la prise en compte de
ré alité hommes-femmes dans les
pr motions.« Chez nous, les recru-
t rs ont une partie de leur part
v . ble enfonction de l'attention
po tée à la diversité », pointe la
D H France de L'Oréal.
S éréotypes à la SNCF
R ste que de l'avis de toutes les en-
tr prises, ces politiques volonta-
. .es n'ont pas toujours les résultats
es omptés. Les déséquilibres entre
le types de postes proposés aux
h mmes et aux femmes, alors que
le premiers dans le domaine finan-
ci r par exemple sont beaucoup
ux rémunérés que les secondes
d les RH ou la communication,
responsable e~ retiennent les inégalités. « Le
diversité p , mènen'estpasnouveaumais
du groupe
BNPParibas.
il cesse de prendre de l'ampleur,
«Les métiers re arque Barbara Levéel, respon-
de demain, s le diversité du groupe BNP Pari-
portés par b . Les métiers de demain, portés
la digitalisation p la digitalisation et l'intelligence
et l'intelligence a ificielle, nécessitent toujours
artificielle,
nécessitent
pl d'ingénieurs et cesformations
toujours plus co naissent un déficit defemmes.
d'ingénieurs IV< us avons décidé de participe'!"à
et ces formations l'i itiative HeForShe lancée par
connaissent l' WU pour travailler sur la mixité
un déficit d ces métiers », poursuit Barbara
de femmes. Nous
avons décidé
L éel, qui réfléchit à la possibilité
de participer d recruter des profils atypiques
à l'initiative - ont des femmes.
HeForShe lancée A a SNCF, il y a moins de femmes
par l'ONU pour re rutées proportionnellement par-
travailler sur m les conducteurs de trains que de
la mixité de
ces métiers.»
c didates.« Quand on demande à
la direction pourquoi, elle répond
q e les femmes sont plus litté-
~ ·res. Ici, les stéréotypes sont en-
co e à l'œuvre », explique Maryse
T aëron, élue CGT. «Mais le dos-
si de l'égalité est en train d'évo-
lu r, grâce notamment aux
h mmes qui commencent à se
m biliser, sourit Francesca Aceto,
prê sidente du réseau SNCFau fémi-
. ,qui leur est désormais ouvert.
Il représentent 12 % de nos
m . bres et, comme lesfemmes, ils
so haitent eux aussi un meilleur
éq ilibre vie professionnelle et vie
·vée. » Une première brèche?
Laurence Estival ~
19 AVllL 2018 - CHALLENGES 1';1°562 • 51
En couverture
MARLÈNE SCHIAPPA
/
ne
Tout ce qui touche aux femmes la concerne. Convain ante ou agaçante,
l'empathique secrétaire d'Etat à l'égalité fait mouche au-delà des cercles
féministes. Âu point de s'être rendue indispensable au ommet de l'exécutif.
arlène Schiappa a ce
M quelque chose qui
manque à beaucoup de
femmes, et qui fait sa
force: un aplomb inébranlable. Un
mélange d'assurance et d'impu-
dence qui, selon les cas, séduit ou
agace. « Oh, gardez vos nerfs! »
lance-t-elle début octobre, à l'As-
semblée nationale, à des élus de
droite qui tentent de l'interrompre.
Puis elle reprend, le plus tranquille-
ment du monde, son discours sur le
« tour de France de l'égalité
femmes-hommes» qu'elle vient
juste de lancer, avec le Premier mi-
nistre. Une opération qui doit dé-
boucher sur l'annonce d'une série
de mesures en mars, à!'occasion de
la Journée internationale des droits
des femmes. Dans l'Hémicycle, plus
personne ne fait le fier.
Cinq mois ont passé. « J'ai voulu
faire de l'égalité entre lesfemmes et
les hommes la grande cause du
quinquennat», martèle le président
de la République, le 8 mars au siège
de Gecina, une entreprise exem-
plaire en matière de mixité (lire
p. 49). L'objectif étant de démontrer
la mobilisation gouvernementale,
Emmanuel Macron est entouré de la
ministre du Travail, Muriel Péni-
caud, de celui de l'Economie, Bruno
Le Maire, et bien sûr de Marlène
Schiappa, qui ferraille quotidienne-
ment sur ces sujets « femmes» dont
la campagne des « marcheurs » a
révélé qu'ils figuraient au premier
rang des préoccupations des Fran-
çaises. « A partir du moment où
l'on décide de trouver desfemmes,
on les trouve, affirme-t-elle. Nous
n'hésitons pas à pratiquer le name
and shame, mais aujourd'hui on
honore le bon élève. »
52 • CHALLENGES W562 - 19 AVRIL 2018
e
Cette secrétaire d'Etat de 35 ans qui mande conseil. »L'affaire Weinstein
UNE
ASCENSION
ÉCLAIR
1982
distribue bons et mauvais points,
certains patrons la trouvent plutôt
« culottée », D'autant que rien, dans
son parcours, ne correspond aux
schémas qu'ils reconnaissent
vient à point. Comment se séparer
d'une Marlène Schiappa dans de
telles circonstances?
Un autre front s'est ouvert depuis
qu'elle ajoué les bons petits soldats
Naissance à comme légitimes. «Je n'ai fait ni en exprimant sa solidarité gouverne-
Paris, d'un père
l'ENA ni Sciences-Po », admet vo- mentale avec Gérald Darmanin et
Corse et d'une
mère d'origine lontiers l'intéressée, qui a manifes- Nicolas Hulot. Deux ministres visés
italienne. tement cherché sa voie après le bac, par des plaintes pour viol, selon des
2008 entre des études de géographie pas révélations de presse. « Je suis très
Création du terminées et un diplôme de commu- choquée, s'indigne sur France Info la
réseau et du blog nication (mention « écritures élec- socialiste Laurence Rossignol,qui l'a
Maman travaille. troniques ») obtenu à l'université de précédée en tant que ministre des
2010 Grenoble par validation des acquis Droits des femmes. Dans deux af
Premier livre, de l'expérience. faires consécutives, c'est dire que la
Osez l'amour des victime ment. » Dans les cercles fé-
rondes (éditions
La Musardine) « Très proche de Brigitte" ministes, Marlène Schiappa ne fait
Circonstance aggravante, on lui re- certes pas l'unanimité. « Mon pre-
2014
Adjointe au maire proche quelques bourdes de débu- mier rendez-vous en tant que secré-
du Mans (Sarthe), tante, telles que la promesse lancée taire d'Etat a été pour Yvette Rou-
Jean-Claude d'accorder à toutes le droit à la pro- dy », a-t-elleconfiéle 6juillet, devant
Boulard (PS), création médicalement assistée. Ou l'assemblée du Réseau des entre-
en charge encore son intervention intempes- prises et des structures publiques
des questions tive dans l'affaire du meurtre pour l'égalité. Une rencontre à haute
d'égalité.
d'Alexia Daval,alors que l'avocat du valeur symbolique avec une figure
2017 mari développait la thèse de la vic- du mouvement du Planning familial,
Secrétaire d'Etat
chargée time coupable. « Ce n'est pas un qui a imposé le remboursement de
de l'Egalité entre drame passionnel, c'est un assassi- l'IVG (en 1981) etfait voter la pre-
les femmes nat », a réagi trop vite Marlène mière loi sur la parité (en 1982).
et les hommes. Schiappa sur RTL, en écho à sa lutte Sila bataille n'est pas gagnée auprès
2018 contre les violences conjugales. Elle des féministes, le discours de Mar-
Parution, en mai, s'est aussitôt fait recadrer par Chris- lène Schiappa et sa personnalité
de son 17" livre: tophe Castaner, secrétaire d'Etat font souvent mouche dans les ré-
Lettres
chargé des relations avec le Parle- seaux féminins professionnels.
à mes filles
(Stock). ment:« Un ministre n'apas à com- «Elle incarne lafonction »,tranche
menter une affaire en cours. » une dirigeante de grand groupe, très
Une rumeur la donne alors sur le engagée dans le soutien aux car-
départ. C'est mal la connaître. Elle rières féminines. Peut-être, juste-
se défend bec et ongles, faisant état ment, à cause de ce parcours aty-
de la protection du couple présiden- pique dans lequel se reconnaissent
tiel, et ne se prive pas de le faire sa- nombre de jeunes femmes': un pre-
voir. « Je suis très proche de Bri- mier mariage très vite suivi d'un di-
gitte, on s'appelle souvent », vorce, un passage dans une agence
confie-t-elle au JDD. Et d'ajouter, de communication, une deuxième
faussement candide: « EUe me de- vie de couple, la naissance de ses
deux filles, un nouveau rythme pro-
fessionnel imposé par la materni-
té ... Et la création du réseau Maman
travaille, puis d'un blog et d'un site
Web, qui témoignent d'un engage-
ment personnel en faveur de l'éga-
lité entre les femmes et les hommes.
Des parents enseignants
Ses livres, axés sur la conciliation
vie privée-vieprofessionnelle, sont à
cent lieues des ouvrages de Simone
de Beauvoirou d'Antoinette Fouque.
Mais ils plaisent aux trentenaires,
depuis Les 200 astuces de Maman
travaille et J'arrête de m'épuiser,
jusqu'à Pas plus de 4 heures de som-
meil- son premier roman - ou en-
core Plafond de mère, paru en 2015
chez Eyrolles. Même ses ouvrages
coquins - Osez... l'amour des
rondes -la rendent sympathique aux
yeux de sa génération.
Qu'on ne s'y méprenne pas. La poli-
tique, elle l'a chevillée au corps,
même si elle n'y est véritablement
entrée que depuis quatre ans. Elue
en 2014 conseillère municipale au
Mans (Sarthe) sur la liste du maire
(PS) Jean-Claude Boulard, son men-
tor, elle est passée directement au
gouvernement, sans transition. Si
elle n'a décroché qu'un secrétariat
d'Etat, au lieu du ministère de plein
exercice promis par Emmanuel Ma-
cron, elle a bien compris qu'il vaut
mieux vanter son job directement
rattaché à Matignon, qui lui permet
de mobiliser tous les ministères sur
les sujets «femmes », plutôt que de
geindre. Quitte à devoir partager la
vedette avec d'autres ministres
19 AVR L 2018
co me Nicole Belloubet, pour le
pr jet de loi sur les violences
se elles et sexistes, ou MurielPéni-
ca d pour le plan sur l'égalité sala-
ri e. il est vrai qu'avec un budget d'à
pe e 30 millions d'euros pour 2018,
ell doit jouer collectif.
C rse par son père - lui-même fils
d' des fondateurs de FO sur l'île -,
d' rigine italienne par sa mère, Mar-
lè e Schiappa n'est pas tombée tout
de suite dans la marmite de la poli-
ti e. Mais elle en a très tôt respiré
le vapeurs. Sa mère institutrice est
en agée à gauche. Professeur d'his-
to re à l'université, spécialiste du
ré olutionnaire Gracchus Babeuf,
so père Jean-Marc Schiappa pré-
si e l'Institut de recherche et d'étude
de la libre pensée. Il fait partie de
l' rganisation communiste ~~~
- CHALLENGES W562 • 53
 En couverture
r------------------
Marlène Schiappa i

en première ligne 1

i
i
1

2. A l'Elysée, lors de la Joumée

pour l'élimination des violences
à l'égard des femmes, le
2S novembre 2017. Depuis
l'affaire Wenstein, elle tient un
rôle clé de la présidence Macron.

3. Durant le Tour de France de

----------'-'---"'"
:1...AI'E1ysée, avant son premier
Conseil des ministres, le 18 mai
20:17. Une consécration pour
celle qui durant la campagne des
«marcheurs» a ferraillé sur les
sujets «femmes» au quotidien.
l'Egalité entre les femmes et les
hommes, au Mans, le 22 février.
Sa méthode : «Ecouter et mettre
en place des politiques publiques
selon les besoins des territoires."
4. Au Théâtre Bobino, à Paris,
le 7 mars. Aux côtés de Myriam
El Khomri et Roselyne Bachelot,
anciennes ministres, elle y joue
Les monologues du vagin, de
Eve Ensler, un succès mondial.

~~~ internationale (OC!), le parti
trotskiste fréquenté un temps par
Lionel Jospin.
Loin de ce pedigree qu'elle ne reven-
dique pas, Marlène Schiappajoue la
carte du pragmatisme et du terrain.
« Son idée de tour de France était
excellente,estime Marie-JoZimmer-
mann, ancienne députée (LR) de la
Moselle,et initiatrice de la loi sur les
quotas dans les conseils d'adminis-
tration, aujourd'hui conseillère mu-
nicipale à Metz. L'égalité femmes-
hommes reste trop souvent un sujet
dont on débat dans les salons pari-
siens. » Visitesde lycées profession-
nels, d'entreprises, d'associations ...
elle n'a pas ménagé sa peine. « Plus
de 55000 personnes ont participé à
cette consultation qui a permis de
parler directement des questions
d'égalité, sans intermédiaire », af-
firme Marlène Schiappa, ce 2 mars,
dans le TGV Paris-Poitiers, ultime
étape de son tour de France. Sa
méthode: « Ecouter les demandes,
recenser les bonnes pratiques,
mettre en place des politiques pu-
bliques enfonctum. des besoins des
territoires. » Ce jour-là, il ne sera
question ni de violences sexuelles,
ni de harcèlement, ni d'éducation,
mais de la retraite des femmes. Un
sujet difficilecar, souligne-t-elle, « il
est le résultat de toutes les inégali-
tés entre lesfemmes et les hommes
tout au long de la vie ».
« Ma grand-mère aussi ... )1
Responsables associatifs, créatrices
d'entreprises, représentants du rec-
torat ou de La Poste, chacun livre
son expérience, ses chiffres, ses
études. Marlène Schiappa écoute et
prend des notes. A la fin de la ren-
contre, quelqu'un évoque le durcis-
sement de la fiscalité sur les revenus
des veuves. Elle répond en mon-
trant qu'elle est sensible au sujet:
« Cet après-midi, j'ai bien entendu
quelques warnings. Ma grand-mère
aussi attend le rétablissement de la
demi-part des veuves. » Elle fonc-
tionne à l'empathie, mettant en
avant sa proximité avec les femmes
et sa propre expérience.
Fin janvier, lors d'une journée
contre le sexisme organisée par des
réseaux de femmes, la secrétaire
d'Etat avait expliqué à propos du
harcèlement de rue et des sanctions
qu'elle propose de mettre en place:
« Ma motivation, ce sont mes filles
de 11 et 6 ans. La plus grande me
demande d'aller à l'écoletoute seule
à la rentrée prochaine. J'ai huit
mois pour rendre les rues deFrance
plus sûres! » En octobre, pour la
publication du palmarès Ethics
& Boards de la féminisation des
grandes entreprises dont Chal-
lenges est partenaire, elle expédie
vite fait la remise des prix.
C'est un vendredi soir, il est presque
19 heures. « Je ne suis pas souvent
avec mes enfants et, ce soir, j'ai
promis d'être là pour un anniver-
saire. Je dois vous quitter. Bonne
soirée! » Et elle s'éclipse aussitôt.
Sa façon de tracer la voie pour
d'autres jeunes femmes qui hésitent
à s'engager par peur de devoir re-
noncer à leur vie familiale.
Anne-Marie Rocco ~

54 • CHALLENGES W562 - 19 AVRIL 2018