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Assurance-chômage contra-cyclique :

pourquoi ?
Rédigé par DG Trésor • Publié le 27 janvier 2023

 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2023/01/27/assurance-chomage-contra-
cyclique-pourquoi

Selon les enquêtes de conjoncture de l’Insee pour le 4ème trimestre 2022, 62 % des entreprises
dans les services (hors transport), 65 % dans l’industrie manufacturière et 81 % dans le
bâtiment déclarent encore rencontrer des difficultés de recrutement. Ce sont les plus hauts
niveaux jamais enregistrés. À l’inverse, les difficultés d’approvisionnement sont en reflux. Ce
diagnostic est confirmé par l’enquête de la Banque de France de janvier 2023.

La baisse du taux de chômage au cours des années 2021 et 2022 (environ -1 point entre le
premier trimestre 2021 et le troisième trimestre 2022, soit à peu près 200 000 chômeurs en
moins au sens du BIT sur la période) montre que les entreprises ont réussi à pourvoir de
nombreux postes vacants avec des personnes auparavant sans emploi. Sur une période plus
longue, on constate que la baisse quasi continue du taux de chômage depuis 2015 s’est
accompagnée d’une hausse relativement modeste de la proportion d’emplois vacants
(graphique 1). Toutefois, avec 7,3 % de chômage (chiffre du 3ème trimestre 2022), nous
sommes arrivés à un point où l’augmentation de la proportion d’emplois vacants ne
s’accompagne plus d’une baisse significative du chômage : la courbe de Beveridge, qui relie
taux de chômage et taux d’emplois vacants, est devenue nettement plus pentue en France.

Graphique 1
Or, il n’y a pas vraiment de raison d’en rester là. Si l’on dézoome de nouveau en juxtaposant
les courbes de Beveridge de différents pays avancés, on se rend compte que le taux de
chômage au-dessous duquel le taux d’emplois vacants augmente se situe plutôt autour de 3-
4 % en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis (graphique 2).
Graphique 2
Sources : INSEE, Dares, Eurostat. Calculs DG Trésor.

La pentification prématurée de la courbe de Beveridge en France trahit une relative


inefficacité du marché du travail à mettre en relation les chômeurs et les emplois : certains
chômeurs ne parviennent pas à trouver un emploi tandis que, simultanément, certains
employeurs ne trouvent pas la main d’œuvre dont ils ont besoin. Une partie de ce
désajustement entre offre et demande est de nature structurelle : les qualifications et
contraintes géographiques des personnes en recherche d’emploi ne sont pas nécessairement en
ligne avec la demande des entreprises, du moins à court terme. Toutefois, les travaux de
recherche existants pointent également le rôle du système d’assurance chômage. En France, il
prévoit des indemnités pouvant aller jusqu’à 2 ans avant 53 ans et 3 ans à partir de 55 ans, une
durée relativement longue en comparaison internationale (graphique 3).
Graphique 3 : durée maximum de l’indemnisation chômage dans quelques pays européens

Source : Panorama des systèmes d’assurance chômage en Europe, Unédic, janvier 2022 ;
L’assurance chômage en Europe – Etude de 15 pays, Unédic, juillet 2019 ; « L’indemnisation
du chômage en Suisse », Unédic, 2014 ; « L’indemnisation du chômage en Allemagne »,
Unédic, 2019 ; Agence pour le développement de l’emploi (ADEM) du Luxembourg ; «
L’indemnisation du chômage en Finlande », Unédic, juin 2022 ; Commission Européenne –
Allocations chômage au Portugal.

Incitations des assurés

Quel que soit son objet (habitat, automobile, risques professionnels, maladie, chômage), le but
d’une assurance est de protéger un individu ou une organisation contre un risque. Cette
protection se heurte au problème bien connu de l’aléa moral : le fait d’être assuré modifie le
comportement de l’individu ou de l’organisation. Les assureurs développent des stratégies
pour se prémunir contre l’aléa moral. Par exemple, ils imposent un malus aux conducteurs
après un accident ; ils exigent des équipements de sécurité à leurs assurés (portes blindées) ;
ou ils réalisent des contrôles aléatoires, par exemple auprès de personnes en arrêt-maladie.

Dans le cas du chômage, la limite temporelle de l’indemnisation constitue le principal


mécanisme pour limiter l’aléa moral, en incitant à la reprise d’emploi, notamment lorsque la
date de cessation des indemnités se rapproche. Ce mécanisme a été corroboré empiriquement
par Marinescu et Skandalis (2021) sur le cas français. À partir d’un échantillon de 500 000
demandeurs d’emploi entrés au chômage entre 2013 et 2017, les deux chercheuses montrent
que l’effort de recherche d’emploi (mesuré par les candidatures envoyées via une plateforme
en ligne) augmente de 50% dans l’année qui précède la fin de l’indemnisation. Dès lors, un
raccourcissement de la période d’indemnisation serait de nature à réduire la période chômée.
Toujours sur données françaises, Le Barbanchon, Rathelot et Roulet (2019) estiment qu’un
raccourcissement de 10 % de la durée potentielle d’indemnisation réduit en moyenne de 3 %
la durée effective d’indemnisation du chômage, un chiffre comparable à celui qu’on obtient
dans d’autres pays européens (voir Roulet, 2018). D’après ces mêmes études, le temps de
retour à l’emploi se réduirait quant à lui de 1% suite à une baisse de 10 % de la durée
potentielle d’indemnisation.

Toutefois, on peut se demander si une indemnisation plus courte ne détériorerait pas la qualité
de l’emploi retrouvé à l’issue de la période de chômage, l’assuré étant incité à accepter un
emploi en inadéquation avec ses qualifications et aspirations. Les employeurs pourraient aussi
tirer profit de cette précipitation en proposant des salaires plus faibles. Si la littérature
économique n’est pas unanime sur ce point (Les droits rechargeables - UNÉDIC - Octobre
2019), plusieurs études réalisées dans des contextes français et européen mettent en évidence
des effets quasi nuls de l’allongement de la durée d’indemnisation sur la qualité de l’emploi :
le salaire retrouvé ne serait pas plus élevé de même que la durée d’emploi (Le Barbanchon,
2016), l’emploi ne serait pas plus stable (Fackler, Stegmaier et Weigt, 2019), le nombre
d’heures recherchées, le type de contrat recherché, ou encore le trajet maximum accepté entre
le domicile et le lieu de travail ne seraient pas non plus affectés (Le Barbanchon, Rathelot et
Roulet, 2019). En réalité, deux effets contraires semblent se compenser : d’un côté, un
allongement de la durée d’indemnisation permet une forme de sélectivité de la part des
demandeurs d’emploi, et donc l’accès à un meilleur emploi ; de l’autre, un temps plus long
passé au chômage réduit les perspectives d’embauche, ce qui se traduit par une pénalité sur la
qualité de l’emploi retrouvé.

Contracyclicité

Lorsqu’on réfléchit à un système d’assurance-chômage optimal, il faut aussi prendre en


compte la situation du marché du travail, comme l’ont montré Landais, Michaillat et Saez
(2018). Si peu d’entreprises cherchent à recruter, un effort de recherche limité de la part d’une
personne au chômage fait le bonheur d’un autre chômeur plus motivé, qui trouvera plus
facilement un travail. Ainsi, lorsqu’il y a peu d’emplois vacants sur le marché, les effets
désincitatifs de l’assurance ont relativement peu d’impact sur le chômage agrégé. À l’inverse,
si, comme c’est le cas aujourd’hui, de nombreuses entreprises cherchent à recruter, alors au
contraire la recherche d’emploi des uns ne porte pas ombrage à la recherche des autres, et le
chômage diminue plus rapidement lorsque l’effort de recherche augmente. La prise en compte
de la situation du marché du travail et de son possible engorgement amène à préconiser une
assurance-chômage contracyclique : plus généreuse en bas de cycle économique, moins en
haut de cycle. En outre, une assurance-chômage contracyclique remplit mieux son rôle
assurantiel puisqu’elle protège mieux le travailleur dans les périodes où la probabilité de
retrouver un emploi est faible (Andersen, 2014).

Aux États-Unis et au Canada, les indemnités chômage augmentent en période de crise et elles
sont versées plus longtemps qu’en période dite « normale ». En France, au contraire, les
paramètres de l’assurance chômage ne varient pas au cours du cycle d’activité. Les règles
d’indemnisation tendraient même, selon Cahuc, Carcillo et Landais, 2020 à être légèrement
procycliques. Or, Schmieder, von Wachter et Bender (2012) montrent, sur données
allemandes, que les effets désincitatifs au retour à l’emploi de l’assurance chômage sont plus
limités en période de récession, suggérant des gains de bien-être associés à la modulation
contracyclique de la durée potentielle d’indemnisation.

Travaux pratiques

Faut-il moduler la durée potentielle d’indemnisation, le montant de l’indemnisation (taux de


remplacement) ou bien les conditions d’éligibilité ? Le choix a des conséquences en termes
redistributifs et incitatifs. En particulier, moduler le taux de remplacement au cours du cycle
pourrait avoir pour conséquence de toucher plus fortement les travailleurs contraints
financièrement en bas de cycle, qui sont aussi les plus modestes (Chetty, 2008). À l’inverse,
moduler la durée potentielle d’indemnisation via le taux de conversion permet de toucher tous
les travailleurs, y compris ceux qui ont accumulé de l’épargne durant leur période d’emploi, et
sans effet notable sur la qualité de l’emploi retrouvé (cf. supra). Une modulation de la seule
durée maximale d’indemnisation aurait un effet plus lent et risquerait de pénaliser plus
fortement certaines catégories de chômeurs (ceux disposant des droits les plus longs). Enfin,
une modulation des conditions d’éligibilité aurait des effets difficilement contrôlables compte
tenu de l’antériorité de la période d’emploi et pourrait priver certains actifs de leurs droits, en
particulier les jeunes.

La deuxième question est celle de l’indicateur permettant de moduler la générosité de


l’indemnisation. Cet indicateur doit être capable de rendre compte de la situation du marché
du travail à laquelle est confronté un demandeur d’emploi, de façon rapide, objective,
compréhensible et robuste par rapport à d’éventuelles évolutions du marché du travail. Sur la
base de ces différents critères, le taux de chômage est préférable aux indicateurs de flux
d’entrées-sorties du chômage, au taux d’emplois vacants et à l’écart de production (entre PIB
et PIB potentiel). Le taux de chômage est calculé par une institution indépendante – l’Insee –
à partir d’une définition internationale donnée par le Bureau International du Travail. Il est
peu soumis à des révisions, bien connu du grand public et son lien avec le marché du travail
est clair pour tout le monde.

Une fois l’indicateur choisi, il faut définir la manière dont il déclenchera la modulation de
l’assurance-chômage. Le Décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023, applicable du 1er février au
31 décembre 2023, prévoit une baisse de 25 % de la durée potentielle d'indemnisation lorsque,
durant trois trimestres consécutifs, le taux de chômage reste en-dessous de 9 % et ne connaît
pas de variation trimestrielle supérieure à 0,8 point de pourcentage. Un complément de fin de
droit est octroyé lorsque le chômage dépasse, durant un trimestre, le niveau de 9 % ou si le
taux de chômage connaît une variation trimestrielle supérieure à 0,8 point de pourcentage. Ce
second critère est introduit pour pouvoir réagir rapidement à une dégradation soudaine de la
conjoncture, même si le taux de chômage reste faible, sans toutefois déclencher de trop
fréquentes modifications des paramètres. Le décret prévoit une durée d’indemnisation
minimum de 6 mois pour les personnes éligibles ayant cotisé au moins 6 mois, ce qui
maintient la fonction assurantielle du dispositif pour toutes les personnes éligibles, même en
période de haut de cycle, et permet un bon appariement sur le marché du travail. Les
conditions d’éligibilité et le montant de l’allocation versée mensuellement restent inchangés.

Le graphique 3 retrace quelle aurait été la durée potentielle d’indemnisation au cours de la


période 2003-2022 si cette modulation avait été appliquée. Le graphique est dans une zone en
vert lorsque la situation du marché du travail est favorable et dans une zone rouge lorsqu’elle
est dégradée. Si les règles d’indemnisation contenues dans le décret avaient été en place dès
2003, les chômeurs auraient disposé d’un complément de fin de droit à partir de la crise
mondiale de 2009 et jusqu’en 2018, puis de nouveau, brièvement, en 2020. Ainsi, sur vingt
ans, la combinaison des deux critères (niveau et variation du taux de chômage) aurait permis
d’identifier les deux principales crises, la crise de 2009, et la crise Covid, et uniquement ces
deux épisodes.
Graphique 4

Lecture : Au premier trimestre 2018, selon les règles de modulation introduites par le nouveau
décret, le cycle aurait été considéré comme défavorable : le niveau de chômage était au-dessus
de 9 %. Au deuxième trimestre 2019, il aurait été au contraire considéré comme favorable du
fait de la baisse prolongée du chômage en dessous de 9 % (sans variation trimestrielle
supérieure à 0,8 point de pourcentage sur la période). À partir du troisième trimestre 2020, il
aurait été de nouveau considéré comme défavorable durant trois trimestres, du fait de
l’augmentation soudaine du taux de chômage au deuxième trimestre 2020.

Source : DG Trésor, à partir des données Insee.


Le décret proposé par le gouvernement remplit le cahier des charges établi par la littérature
académique, en rapprochant le régime français de l’arbitrage « optimal » entre assurance et
incitations, qui varie au cours du cycle. La modulation selon une règle claire donne de la
visibilité aux travailleurs et permettra d’équilibrer le régime d’indemnisation au cours du
cycle d’activité, contribuant à la fois à la stabilisation macroéconomique et à la soutenabilité
des finances publiques. La maximisation de l’emploi en haut de cycle répond aussi aux
besoins des entreprises. Au-delà des cotisations à l’assurance-chômage, la richesse créée
fournira des ressources fiscales bienvenues pour les finances publiques dans leur ensemble.

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