Vous êtes sur la page 1sur 1

Pourquoi et pour qui agir ?

LeForum
dossier

Burkina Faso : une insécurité foncièrement féminine


Georgette Konaté, sociologue, consultante in-
dépendante et coordinatrice du bureau Yiriwa-
Consult, konate_georgette_traore@liptinfor.bf__
A u Burkina Faso, les agricultrices, majoritaires parmi les
femmes, doivent se contenter de sols souvent dégradés,
de superficies réduites. Les retours de migrants les exposent
à des expropriations qui compromettent leurs activités agri-
coles et menacent l’alimentation familiale. La solution pour
s’en sortir : négocier.

A
„ Mettre en  S, la situation foncière des femmes se posent plus en termes ensemble, ils ont fait appel au Haut
scène une des femmes peut être résumée d’insécurité et d’instabilité que d’ac- commissariat de Manga qui a tranché
initiative de par ces propos empruntés en cès. La segmentation de la famille ou le contentieux au profit des femmes.
femmes pour partie à Catherine Goilard dans un les retours de migrants les exposent Elles continuent encore à produire
accéder à la terre article sur le droit des femmes sur la aux expropriations pour satisfaire les du riz dans leurs champs au bord de
puis susciter la terre et selon laquelle : dans les systèmes besoins d’extension de l’exploitation la route et ambitionnent même de se
participation du sociaux où la filiation est en général familiale ou ceux de nouveaux chefs faire établir un titre de jouissance par
public pour lui patrilinéaire, les droits fonciers sont d’exploitation. Cette situation porte l’administration pour être à l’abri de
donner une issue uniquement transmis par les hom- préjudice à leurs activités agricoles toute mauvaise surprise.
heureuse, tel est mes ; les femmes n’ont aucun droit à quand elle ne menace pas la sécurité Dans la région des Cascades, où la
l’objet du la propriété de la terre, notamment alimentaire de la famille. Les pro- production de riz est traditionnelle-
théâtre-forum en raison du principe de l’exogamie ductions des femmes ont en général ment l’apanage des femmes, le projet
organisé lors des (mariage hors du groupe d’origine). trois destinations : l’autoconsomma- Opération riz Comoé a donné aux
journées Donner aux femmes le droit de pos- tion en complément du grenier fami- rizicultrices la possession des ter-
nationales du séder la terre équivaut à hypothéquer lial, la vente pour la satisfaction des res mises en valeur dans le cadre du
foncier, à une partie du patrimoine foncier du besoins personnels et la scolarisation projet et le droit de les transmettre
Ouagadougou, et lignage. Ceci est en contradiction avec des enfants, les dons pour entretenir en héritage à leurs filles. Grâce à une
relaté dans le le rapport initial à la terre fondé sur les liens sociaux. recherche-action initiée en  par
numéro d’avril des éléments religieux (l’alliance du Avec l’évolution socio-économique un projet de développement dans la
 de Graf premier occupant avec les génies du et l’augmentation des besoins, les res- province du Boulkiemdé, les femmes
infos, le bulletin lieu) et économiques (le rôle de la terre ponsabilités familiales des femmes ne du village de Guillé ont pu bénéficié
de liaison du dans la reproduction du groupe). cessent de croître. Il est donc évident d’un protocole d’accord dans lequel le
Groupe de que, tout comme les hommes et quel- village leur accordait un accès sécurisé
recherche et La tradition restreint l’accès des quefois plus, les femmes ont besoin pendant au moins quatre ans dans les
d’action sur le femmes. Les chefs de lignage ainsi de terres et surtout d’avoir le contrôle champs de sésame et d’arachide et au
foncier : que les chefs de famille n’accordent de ces terres. Des expériences menées moins vingt ans dans ceux où elles
http://graf.zcp.bf donc aux femmes que des droits de ça et là montrent qu’il est possible de avaient effectué des investissements
jouissances précaires et révocables parvenir à un changement pour le bé- importants (plantation d’arbres,
sur des terres qui restent toujours néfice de tous. utilisation de la fumure organique,
sous leur contrôle. Au Burkina Faso, etc.). Cette contractualisation leur
la négation du droit des femmes à la La négociation et la sensibilisation a permis de jouir des retombées des
propriété foncière se traduit de diver- pour le changement. Dans la province efforts consentis en vue d’accroître
ses façons selon l’ethnie, le village, le du Zoundwéogo, au village de Siltouko, leurs productions.
statut social, la position de la femme un groupe de femmes s’est organisé
dans les familles polygames, etc. Tra- pour produire du riz sur des portions Des changements s’opèrent, mais
ditionnellement, dans la plupart des de terres en bordure de route, inonda- ils restent encore trop isolés pour faire
ethnies, les femmes n’ont qu’un accès bles en hivernage. La demande faite tache d’huile. Si la politique foncière
indirect à la terre, occupant une partie aux coutumiers a été favorablement en cours d’adoption au Burkina peut
du domaine foncier du lignage de leur reçue. Avec l’appui des intervenants susciter d’énormes espoirs pour tous
mari. Elles peuvent certes cultiver leurs dans le domaine agricole de la zone, (femmes, hommes, jeunes, éleveurs,
propres champs, mais n’exercent aucun les femmes ont aménagé des parcelles migrants, etc.), les femmes devront
contrôle sur les lopins de terre acquis qu’elles se sont redistribuées pour leur encore se battre pour réduire l’insé-
par l’intermédiaire du mari, du chef de production. La première campagne a curité foncière dont elles sont les pre-
lignage ou de tout autre parent. Dans été bonne, ce qui a attiré la convoitise mières victimes. Par ailleurs, le déve-
certains sous-groupes ethniques, les des hommes qui ont voulu leur retirer loppement des transactions foncières
femmes n’ont pas de champs person- les parcelles. Le groupe de femmes qui peut être une opportunité pour elles :
nels et pratiquent alors des cultures de ne voulait pas se laisser exproprier aussi là où les ventes sont reconnues, il n’y
contre-saison avec l’autorisation des facilement a demandé conseil dans le a guère de restrictions à ce qu’une
chefs de famille. village à un vieil instituteur à la re- femme loue une terre, ou en achète
traite. Il les a accompagnées dans leur une. Le problème est alors une ques-
Préjudice sans recours : l’insécuri- lutte pour continuer à bénéficier de tion de capacité financière, et non de
té de l’accès. Les problèmes fonciers la jouissance des parcelles de riz et, sexe et/ou de genre. §

Grain de sel 19
nº 36 — septembre – novembre 2006

Vous aimerez peut-être aussi