L'adjectif pygméen(ne) est utilisé pour qualifier leurs langues.
Les langues parlées par les groupes Baka et Aka sont plus proches des langues des populations qui les entourent qu'elles ne le sont entre elles18. Du point de vue lexical et morphologique, le Baka se comporte comme une langue oubanguienne, et l'Aka comme une langue bantou18. De la même manière, parmi les Mbuti de RDC, les Efe parlent une langue soudanique proche de celle des Lese, alors que les Sua parlent une langue bantou, le bila, comme leurs voisins directs.
Relation avec les autres peuples[modifier | modifier le code]
Dans le mode de vie nomade des Pygmées les relations avec leurs voisins étaient peu fréquentes, basées sur le troc. Les familles pygmées sont assujetties à un « patron » bantou qui gère le troc : contre du gibier ou du travail, il fournit des pointes de flèches et de la nourriture pendant la saison sèche, période à laquelle la chasse est difficile. La relation se faisait donc à l'initiative des Pygmées. Les outils et pointes de lance en fer étaient utilisées par les Pygmées dans les échanges entre campements et échanges entre familles dans les mariages. Parallèlement, la viande boucanée obtenue des Pygmées était considérée comme importante ; elle était consommée lors des fêtes de fins de deuil, ou lors des banquets visant à sceller ou renouveler les alliances, chez les villageois. Dans des cas de bon voisinage, des cérémonies impliquant à la fois des Pygmées et des villageois pouvaient avoir lieu13. Ainsi, durant une très longue période, sans doute de plusieurs siècles, les relations entre les Pygmées et leurs voisins ont pris la forme d'un rapport d'association reposant sur une réciprocité équilibrée de services : troc de produits de la métallurgie et de l'agriculture contre produits forestiers sauvages, et actions rituelles sur les puissances surnaturelles du milieu forestier. Mais ces échanges comportaient néanmoins, au détriment des Pygmées, un ferment inégalitaire constitué par la supériorité technologique de leurs partenaires, en particulier la maîtrise de la métallurgie. À ce facteur s'ajoute le poids d'une idéologie de la domination développée par ces derniers, qui considèrent les Pygmée, même s'ils les craignent, comme des êtres inférieurs. Comme analysé par Henri Guillaume, cet embryon de domination va évoluer en une dépendance plus large des Pygmées à la faveur de bouleversements économiques et politiques qui touchent l'Afrique Centrale à partir du 18e siècle19.
Un peuple menacé[modifier | modifier le code]
Fichier:Femmes Pygmées du Cameroun.jpg Groupe de femmes pygmées au Cameroun.
La culture pygmée a connu de profonds changements au cours du dernier siècle, suite à
l'introduction des cultures d'exportation chez leurs voisins à partir de 1950 : une transition vers la sédentarité débute alors. Le bouleversement que subit la communauté est décrit dès 1956 par Gérard Althabe chez les Baka dans l'Est du Cameroun20. Les cas des différents villages étudiés sont différents, et il est difficile de généraliser ce modèle à tous les Pygmées. Cependant des points communs se dégagent. Les Pygmées pratiquent alors, à des degrés divers, la culture en bord de piste, les relations avec l'extérieur augmentent. Les échanges avec les Bantous s'intensifient : gibier et travail contre objets en fer et nourriture à la saison sèche. Les relations avec les Bantous se tendent, la sédentarisation entraîne des bouleversements dans la société et l'économie. Les groupes sédentaires sont plus nombreux, les familles se réunissent. Les mariages deviennent basés sur la dot (et donc la possession), les unions deviennent de plus en plus souvent polygames. La propriété des produits de la culture, des objets européens et des logements est accaparée par les hommes et consécutivement l'autorité. Une hiérarchie voit le jour. Les mêmes constatations sont faites par la Banque mondiale, en 2010, après une étude de terrain en RDC21. Par ailleurs, Serge Bahuchet13 (1991) identifie deux étapes antérieures qui ont contribué à déstabiliser les relations entre Bantous et Pygmées :
• l'installation des comptoirs et la demande en esclaves dans le cadre de la traite
négrière qui a vu fuir une part des populations vers la forêt ; • l'économie de la traite coloniale : les villageois subissent alors le travail forcé pour le compte des entreprises coloniales. La banque mondiale, si elle estime que les critères habituels de pauvreté ne peuvent pas s'appliquer aux Pygmées nomades, écrit dans un rapport de travail que, dans les cas où ils se sont sédentarisés, le niveau de vie de cette communauté est systématiquement plus bas que celui de la population nationale prise dans son ensemble, en termes de bien-être, de capacité à satisfaire les besoins élémentaires, d'accès au soin, à l'éducation, de mortalité et de morbidité21. Et le rapport continue en décrivant l'exploitation des travailleurs pygmées par certains Bantous, une culture en voie de disparition et les abus et violations des droits de l'Homme que subissent les pygmées. Comme la majorité des sociétés nomades ou à forte mobilité spatiale, les Pygmées sont confrontés, depuis l'époque coloniale, à la logique des pouvoirs étatiques de contrôle renforcé sur les populations. Leur sédentarisation est présentée comme un gage de progrès social, économique, d'émancipation de leur domination par les sociétés voisines, et d'intégration aux communautés nationales. Le processus de sédentarisation et de développement de l'agriculture peut favoriser une certaine autonomie retrouvée sur le plan économique, au prix cependant de phénomènes d'acculturation marquée. Mais, dans la grande majorité des cas, la perte de la mobilité spatiale aggrave la dépendance et les formes de marginalité accompagnée de situations de profond déracinement social et culturel. Les Pygmées deviennent alors une main-d'œuvre bon marché et méprisée, intégrant les communautés nationales par le niveau le plus bas22. Un représentant du Fonds des Nations Unies pour la population affirmait en août 2011 qu'ils ne seraient plus que 43 500 en République démocratique du Congo, selon un recensement de 200723.
Discrimination, racisme et exclusion des droits
civiques[modifier | modifier le code] Les Pygmées sont soumis au racisme dans tous les états d'Afrique centrale, les stéréotypes associant globalement à leurs coutumes et pratiques un caractère primitif, et, corollairement, tout comportement considéré comme primitif est attendu des Pygmées11. Le terme « Pygmée » est extrêmement péjoratif en Afrique centrale, alors qu'il ne l'est pas du tout dans le monde occidental ou dans d'autres pays d'Afrique. Ils sont également très fréquemment considérés comme pusillanimes et lâches par leurs « patrons » bantous, note encore Alain Epelboin. De fait les Pygmées expriment leur politesse en regardant leurs interlocuteurs de biais en baissant les yeux. Le droit de vote ne leur a été reconnu qu'en 2006 en République Centrafricaine11. Bien que les États reconnaissent théoriquement la citoyenneté des Pygmées sur leur sol, l'exemple du Cameroun et du Gabon montre qu'il ne s'agit que d'une étape : pour faire valoir leurs droits, civiques, sociaux et juridiques, les Pygmées doivent (comme les autres citoyens) posséder des cartes d'identité. Les associations tentent donc de les convaincre d'entreprendre de telles démarches, puis d'obtenir auprès de l'administration les papiers24,25. Ceux-ci peuvent être difficiles à obtenir pour des raisons techniques (date ou lieu de naissance inconnus) ou à cause de réticences de l'administration. Aucun des pays africains concernés n'est signataire de la Convention no 169 de l'Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux. Si ces États venaient à ratifier ce texte, ils s'engageraient alors à reconnaître comme autochtone le peuple pygmée.
Violences et esclavage[modifier | modifier le code]
Dans son document de travail (présenté plus haut), la Banque Mondiale indique que le travail non-rémunéré est plus présent chez les Pygmées que chez les autres villageois voisins. Dans certains cas, la seule chose qui différencie la condition des Pygmées de l'esclavage est qu'ils ne soient ni vendus ni achetés21. Les ONG, comme Survival International, notent également qu'ils sont souvent payés en alcool, cannabis ou colle à sniffer, ce qui aggrave leur situation sanitaire. Les Pygmées sont régulièrement victimes de violences. En 2003, des Pygmées ont également été victimes de cannibalisme perpétré par des bandes armées dans la région de l'Ituri26.