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Thierry ARNAL

STAPS Valenciennes
Thierry ARNAL
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Au XVIIIe siècle, l’anglais Thomas Topham


impressionnait ses contemporains en réalisant des tours de force
prodigieux comme celui de soulever trois tonneaux, remplis
d’eau. Un siècle plus tard, c’est la même fascination pour
l’exploit qui élève le fameux coureur Culveran au rang d’athlète
extraordinaire après qu’il eut réalisé le tour de Paris en moins de
trois heures.

Thomas Topham

Toutefois, si chacun de ces deux hommes trouve sa place


dans le panthéon de l’athlétisme moderne, rien chez l’un ne rappelle
l’autre. Thopham est un homme « extraordinairement musculeux ».
Au contraire, Culveran, comme tous les coureurs de fond, est sec,
presque maigre. S’il impressionne, ce n’est pas par sa force ou par
sa stature, mais par l’incroyable énergie qu’il produit et dépense.
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Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles,


la figure de l’athlète se confond avec celle de
l’hercule. A l’image de « celui qui combattoit dans
les Jeux solennels de la Grèce », l’athlète moderne
incarne, parmi les hommes, ceux qui sont «forts &
robustes, adroits aux exercices du corps »
(Dictionnaire de l’Académie françoise, 1777). A ce
titre, l'athlète demeure un être exceptionnel, doué de
qualités physiques extraordinaires. Charles
Rousselle, l’Hercule du Nord, qui exhibe ses talents
et sa plastique parfaite sur la scène d'un théâtre
parisien en est une des figures exemplaires : « Ce
petit homme, peut-on lire dans la Gazette de santé
de 1812, porte le long des épaules un poids de 2000
livres réparti sur une longue table inclinée qu’il
soulève à volonté …. Doué d’un jarret bondissant,
assis à terre, il se relève sans appui et portant deux
hommes dans ses bras. … ».

Charles Rousselle
L’hercule du Nord
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Ces qualités physiques incontestables et


impressionnantes justifient la place occupée par
Rousselle dans l’anthologie des hommes forts que
dresse le professeur Desbonnet au début du XXe
siècle. Inspiré par les canons de la beauté antique,
l’athlète idéal est alors un être chez qui « la force
physique s’exprime par l’énergie des muscles ». Il est
une combinaison quasi-parfaite de force et de beauté.
Cette représentation de l’athlète perdure tout au long
du XIXe siècle. Elle a ses figures archétypales, sortes
de « demi-dieux de l’athlétisme », qui se produisent à
travers le monde sur les scènes des plus grands
music-halls : Louis Cyr, Apollon, Cyclops ou encore
le sculptural Sandow dont le corps est moulé, en
1901, dans le but « d’offrir aux artistes un superbe et
nouveau modèle de mâle beauté ».

Sandow
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Toutefois, cette représentation


traditionnelle de l’athlète, fort car
musculeux, va être contestée dès le milieu
du XIXe siècle. Et cela au sein même des
arènes athlétiques. En 1852, l’énergie et la
souplesse de Marseille, « infatigable
lutteur », viennent à bout de la force brute
d’Arpin, le terrible savoyard. Un nouveau
stéréotype du corps athlétique substitue peu
à peu l’énergie à la force, modifiant le
regard porté sur l’enveloppe corporelle du
champion. Marseille peut -on lire dans la
presse est « un jeune homme mince,
nerveux et qui semble fluet auprès de son
colossal adversaire ». « Le gladiateur »
triomphe de « l’Hercule Farnèse » et
propose une représentation nouvelle de
l’efficacité corporelle dans laquelle la
1852
souplesse de « l’anguille » vient
concurrencer la force du taureau.
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Avant même le milieu du XIXe


siècle s’opère donc un glissement important de
la définition du corps athlétique qui révèle
l’effacement progressif du modèle traditionnel
au profit de celui qu’offrent désormais les
sportifs d’outre-manche et notamment les
boxeurs. Certes, ce sont encore des indices
visibles qui définissent le corps des boxeurs :
« les muscles sont durs et saillants et très
élastiques au toucher», mais ces indices
renseignent désormais autant sur l’état des
tissus que sur leur volume. Ils suggèrent
également des modifications internes touchant
au développement des fibres du cœur ou à la
résistance des parois des vaisseaux. Le corps de
l’athlète n’est donc plus systématiquement
associé à celui de l’hercule. Il n’est plus
seulement valorisé par les signes apparents de Boxeurs anglais
la force mais par un état de forme ou une
condition qui révèlent d’autres qualités
physiques et autorisent d’autres types
morphologiques.
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C'est ainsi que les coureurs dont


l’« ’apparence (est) pourtant frêle et
délicate,» entrent à leur tour dans ce
nouveau panthéon athlétique.
L’entraînement les a, nous disent certains
médecins de l'époque, rendu « mieux
portants et plus forts ». Peu à peu, une
représentation totalement nouvelle de
l’efficacité corporelle s’impose dans
laquelle « on préfère la maigreur à
l’embonpoint [au motif que]… chaque once
de chair, au-delà du poids voulu, est une
chance de défaite, en cas de lutte
prolongée »
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Au tournant des XIX et XXe siècles, la


figure de l’athlète efficace et racé, à la fois puissant
et énergique, celle des athlètes américains qui
dominent les épreuves internationales de sports
athlétiques : « avec leur silhouette longue levrettée,
d’une coupe légère mais robuste, la charpente
habillée de muscles longs » ils incarnent l’efficacité
corporelle du champion.

Athlètes américains
1900
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Désormais, ce ne sont plus les volumes


musculaires qui intéressent les scientifiques qui étudient
l’efficacité corporelle. Il cherchent à comprendre comment
fonctionne l’organisme lors des efforts intenses. Ainsi, les
« jeux olympiques » de Paris, en 1900, se transforment en
terrain d’observation des échanges profonds et de leurs
conséquences sur la rentabilité du corps athlétique. Les
relevés du Dr Bianchi, qui, grâce à la phonendoscopie, arrive
à tracer sur la peau les contours des organes internes révélant
ainsi les transformations que subissent après l’effort « la
forme et le volume des viscères contenus dans le thorax et
dans l’abdomen » des sportifs, en sont un exemple des plus
significatifs. Ce sont maintenant les conséquences de la
dilatation des organes soumis à l’effort et à ses dégagements
de chaleurs qui inquiètent et mobilisent les scientifiques. La
crainte que l’oxydation et la « surchauffe » de l’organisme
n’en menacent les équilibres vitaux est alors bien réelle.
c’est désormais l’image d’un corps bruleur d’oxygène qui
s’impose dans les discours scientifiques. Ce n’est plus la
Relevés phonendoscopiques du Dr Bianchi référence à la mécanique animale, mais celle au « moteur »
1900 ou à la machine à vapeur qui alimentent les représentations
du corps efficace.
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Chronophotographie
d’un perchiste

Parmi les scientifiques qui étudient le mouvement Marey et Demeny dissèquent les
mouvements athlétiques avec l’ambition de comprendre comment « produire les effets voulus avec
le moins de dépense de travail ». Le corps athlétique moderne, soumis aux exigences de la
production, n’est alors plus seulement considéré comme un corps capable de déployer une énergie
extraordinaire, mais comme un corps capable de l’utiliser à bon escient, de l’économiser pour
optimiser et mieux répartir ses effets. Plus que par sa force brute, il se définit au travers de qualités
comme l’adresse, la souplesse et la coordination.
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Les muscles, mobilisés par l’exercice physique deviennent


alors non plus l’objet du développement souhaité mais l’outil par
lequel les centres nerveux sont affinés au travers d’une nouvelle vision
du corps sensible. C’est là un nouveau regard scientifique qui est porté
sur le corps ; un regard plus fin, plus intime qui scrute la complexité et
la profondeur de l’organisme.
Peu à peu, le corps athlétique, accoutumé à l’effort par l’exercice,
s’impose comme un modèle de résistance à la fatigue. Les cyclistes
notamment offrent aux scientifiques nombre d’occasions pour
observer les réactions de l’organisme face à l’effort soutenu et intensif.
Les records de distance sur douze ou vingt-quatre heures mettent en
évidence divers « phénomènes somatiques … mais aussi psychiques ».
Point d’orgue de cette exploration des limites des capacités humaines
de résistance, une course organisée à New-York, en 1896, sur une
durée de six jours et six nuits, permet d’étudier les effets extrêmes de
Georges Demeny
la fatigue. Mosso en Italie, comme Tissié en France, tentent d’en
Les bases scientifiques de l’éducation physique déterminer les seuils. Mais surtout, en constatant que « la fatigue des
1902 muscles n’est au fond qu’un phénomène d’épuisement nerveux », ils
en modifient la source. Apparaît alors, une notion nouvelle : le
surmenage qui, à la fatigue physiologique ajoute la fatigue psychique.
Désormais, nous dit Philippe Tissié, le « moteur ce n’est pas le muscle,
mais le cerveau ».
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Dès lors, l’éducation du sens musculaire,


c'est-à-dire du « sentiment que nous avons de la
force avec laquelle un muscle se contracte, et de la
direction dans laquelle il agit» devient l’un des
ressorts de l’efficacité corporelle. C’est ce qu’à bien
compris l'américain Bernarr Macfadden, l’inventeur
du bodybuilding qui, dès 1906, « crée des exercices
ciblant spécifiquement la prise de conscience
. musculaire», exprimant par là la précocité de la
culture américaine sur ce point.

[1]

Macfadden
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Si cette représentation du corps efficace


déconsidère totalement « ces monstres aux formes
athlétiques » que sont les hercules, elle n’en néglige
pas, pour autant, le rôle des muscles dans
l’optimisation de l’efficience d’un système
considérée dans sa dimension neuromusculaire.

Un lutteur professionnel
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Loin de la figure peu à peu


désavouée de l’hercule, le sportmen reste, à
l’aube du XXe siècle, un homme « qui désire
obtenir de son corps le maximum de
rendement et le minimum d’efforts ». En
cela, il incarne le prototype le plus abouti de
la machine et du moteur humains.
Cependant, au-delà du seul regard
scientifique la figure de l’athlète relève d'une
construction qui fait appel à l'imaginaire et
qui s'inspire d'une mythologie. Figure
emblématique d’un « panthéon des réussites
et des grandeurs » qui, au-delà de sa
supériorité corporelle, se doit d’exceller
également par l’exemplarité de son
comportement moral, par sa prestance ou par
Bouin – Kolehmainen
son style, l’athlète devient, à l’aube du XXe
5000 mètres – Jeux Olympiques de Stockholm - 1912
siècle, un héros à la fois moderne et
mythique.
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BIBLIOGRAPHIE

ARNAL Thierry, « De l’hercule au sportif », L’Histoire, n° 427, septembre 2016

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