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2 stegmueller
sol-la-si
do
Il m’est revenu que vous n’étiez encore pas
à votre leçon de violon
un banjo
vous dites un banjo
comment dites-vous
un banjo vous dites un banjo
Non monsieur
vous saurez qu’on ne souffre chez nous
ni ban
ni jo
ni gui
ni tare
les mulâtres ne font pas ça
laisse donc ça aux nègres
1
Jean-Claude Bajeux, « Une attente à la sû reté de l’état: Pigments de L.-G. Damas » in Hommage posthume à Léon
Gontran Damas, Paris, Présence Africaine, 1979, p. 356.
2
Ibid, p. 350, 354.
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étudiait à Paris. Cette dédicace peut s’expliquer pas les mots du destinataire même : dans un
article où il parle de la relation qu’il entretenait avec Damas, Cook dit que « Hoquet » était « un
de [leurs] poèmes favoris »3. Les vers racontent la jeunesse de Damas, qui a grandi dans une
famille de mulâ tres bourgeois, et témoignent le processus d’assimilation à la culture française
que les colonisés suivaient.
À propos du titre, selon le Petit Larousse de la Médecine le hoquet est une « contraction
spasmodique subite et involontaire du diaphragme, accompagnée d’une constriction de la
glotte avec vibration des cordes vocales et émission d’un bruit guttural. Dans des cas plus
rares, le hoquet provient d’une irritation du diaphragme ou du nerf phrénique »4 5. Les termes
à retenir dans cette définition sont « involontaire » et « irritation » : ces deux mots peuvent
très bien s’appliquer à la jeunesse que Damas décrit dans ce poème. L’assimilation du jeune
enfant est involontaire car imposée par sa mère, et toutes les règles de comportement
énumérées – souvent à implication religieuse, semblent assez l’irriter. Le titre semble par là
donner le ton du poème. Mon axe de lecture pour la première partie de ce poème serait donc
une rébellion dénonciatrice mais impuissante contre l’Eglise, une des institutions qui a joué
un rô le dans l’assimilation culturelle des colonisés.
Le mouvement du poème est assez fluide, surtout grâ ce à l’énumération aux vers 12 à
17, et aux trois vers « désastre / parlez-moi du désastre / parlez-m’en » qui en guise de
refrain sont répétés deux fois dans cette première partie, et quatre fois dans l’entièreté du
poème (vv. 7-9, 35-37, 50-52, 63-65). Selon Keith Q. Warner, cette dernière particularité,
ajoutée à l’ironie, au récit d’une expérience personnelle et à la fin humoristique, donne à ce
poème un ton et un rythme typiques du calypso6 – danse à deux temps originaire de la
Jamaïque ou musique de type antillais qui accompagne cette danse7. Les nombreuses
anaphores et répétitions dénotent encore la musicalité de ce poème en rappelant les textes à
transmission orale comme par exemple les chansons de gestes8 : « le pain » est répété 6 fois
en début de vers (vv. 12-17), « parlez » apparaît 4 fois anaphoriquement (vv. 8, 9, 36, 37) et la
première partie se termine avec la répétition de « cet enfant sera » (vv. 43-44).
3
Mercer Cook, « In mémoriam Méon-Gontran Damas » in Hommage posthume à Léon Gontran Damas, Paris,
Présence Africaine, 1979, p. 20.
4
Le Petit Larousse de la Médecine, Paris, Larousse, 2007.
5
Une autre interprétation aurait pu être guidée par la définition donnée par le Petit Robert, qui dit que le hoquet,
dans la polyphonie médiévale, est une alternance de deux voix se répondant. Dans ce poème on a la voix de la
mère et celle de Damas, mais leur interaction n’est pas vraiment un dialogue.
6
Keith Q. Warner, Critical perspectives on Léon-Gontran Damas, Boulder, Three Continents Press, 1988, p. 149.
7
Le Petit Robert 2014.
8
Les anaphores et les répétitions des contenus facilitent la compréhension et l’écoute des chansons de geste.
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9
Ces définitions sont tirées du Petit Robert 2014.
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despises and regards as one of the greatest tragedies of his life »10. Le lien entre le je-lyrique et
le thème de la rébellion est opéré par la similitude mise en place avec le « tel » au début du
vers 6 qui vient d’être analysé : son hoquet secoue son instinct comme un policier secouerait
un malfaiteur. L’instinct du je-lyrique est donc du cô té de la transgression des règles. Le fait
que « Hoquet » soit écrit en vers libres est aussi important à remarquer, en ce contexte de
règles et impositions. Les choix lexicaux sont également significatifs : « flic » et « voyou » ne
sont pas exactement les mots les plus canoniques pour construire cette comparaison. On
aurait pu trouver « policier » et « voleur » ou « délinquant », mais le poète a choisi d’utiliser
des versions plus familières et moins conventionnelles de ces termes. Au vers 38, l’utilisation
du mot « mémorandum » est aussi un peu frappante, car aucune des trois définitions données
dans le vocabulaire pourraient être appliquées à un fils : un mémorandum est dans tout cas
une note écrite. Le vers peut quand même être compris en passant par l’origine latine du mot :
« mémorandum, substantif neutre du latin memorandus ‘qui doit être rappelé, mérite d’être
rappelé’ »11. Le poète refuse donc toute règle stylistique et utilise un vocabulaire qui contraste
le contexte très stricte et réglé décrit dans le poème, et par là avance son désir de rébellion.
Le caractère dénonciateur de ce poème est ensuite surtout souligné par les vers-
refrain : le « désastre » dont le je-lyrique veut qu’on lui parle serait sa jeunesse, ce que ce
poème raconte (vv. 7-9). Le poète trouve donc désastreuse l’imposition d’une certaine façon
de se comporter et de paraître : comme Bajeux résume, pendant cette jeunesse il était
question « d’une imposition massive de valeurs, bonnes manières à table, prière, leçon
d’histoire, langue française, monuments aux morts, [et] leçon de violon »12. Les pronoms
relevés dans la première partie de « Hoquet » sont surtout liés à la première personne du
singulier (« je » au vers 1, « me » au vers 3, « moi » aux vers 8, 9, 36, 37 et le possessif aux vers
3, 5, 10 et 38). On peut par là conclure que cette dénonce a surtout un caractère personnel.
Cependant, l’utilisation du « vous » (vv. 16, 26, 39, 40, 42) laisse entendre que cette situation
n’est pas restreinte à la seule personne du je-lyrique : le « je » et le « vous » sont présentés
comme étant en train de subir le même traitement. Grâ ce surtout au deux derniers vers du
poème, Damas met en place ce que Bajeux appelle « la loi structurelle de la poésie noire : celle
de l’amplification du sujet »13. Le désastre dont parle le je-lyrique semble apparemment
circonscrit « à un cas particulier qui met en scène la mère et l’enfant. L’éclatement final . . .
10
Keith Q. Warner, op. cit., p. 103.
11
Le Petit Robert 2014
12
Jean-Claude Bajeux, art. cit., p. 353: mon italique.
13
Ibid, p. 354.
8 stegmueller
14
Idem.
15
Ibid, p. 352.
16
The New Oxford Companion to Literature in French, éd. par Peter France, Oxford, Clarendon Press, 1995, p. 218.
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une remarque intéressante : il dit que « le ton de l’ironie [est l’]arme de l’impuissance »17. On a
donc une rébellion, une dénonciation, mais toujours une sensation d’impuissance.
En observant avec plus de précision, il est possible de relever que même si cette
dénonciation porte généralement contre le phénomène de l’assimilation, il y a une institution
en particulier qui est ici beaucoup appelée en cause : l’Eglise. Les références religieuses sont
dispersées sur toute la longueur du poème, et avec une intensité particulière dans la première
partie. Tout d’abord, la deuxième règle qui indique que « le pain ne se coupe pas / le pain se
rompt » (vv. 12-13) fait allusion à l’expression utilisée dans les Actes des Apô tres, et même à
la coutume juive de rompre la galette de pain en ouverture de repas18. Au vers 15, « le pain de
Dieu » rappelle un passage du Pater Noster qui récite « donne-nous aujourd’hui notre pain de
ce jour » : ce qui est reçu est donc le pain de Dieu justement. Le vers suivant, « le pain de la
sueur du front de votre Père », s’ouvre à deux interprétations : à un premier niveau, la mère
pourrait juste être en train de parler du père de famille, qui en travaillant se charge de porter
les aliments sur la table familiale. Cependant, une phrase similaire se retrouve aussi au
troisième verset de la Genèse, quand après la chute Dieu s’adresse à Adam en lui disant « à la
sueur de ton visage tu mangeras du pain »19. La majuscule choisie pour « Père » semble
indiquer que ce serait plutô t la deuxième interprétation, celle à caractère religieux, qui devrait
être prise en considération. Aux vers 30 à 33, on retrouve encore un autre renvoi à la religion :
« au nom du Père / du Fils / du Saint-Esprit » fait référence à la règle religieuse qui impose de
réciter les Grâ ces « à la fin de chaque repas ». Toutes ces références à l’Eglise sont cependant
connotées négativement par les derniers vers de cette première partie. En disant « vous n’irez
pas à la messe / dimanche / avec vos effets des dimanches » le poète met un accent particulier
sur le paraître20, ce qui ne devrait religieusement pas avoir beaucoup d’importance (vv. 40-
42). Aller à la messe n’est donc pas présenté ici comme une activité spirituelle mais plutô t
comme un rite social d’exhibition21. Avec cette conclusion de propos toute la religiosité
contenue en ce poème est rabaissée à une simple farce, et on pourrait comprendre que les
peuples colonisés suivent ces règles de dévotion que dans le but d’imiter les Français et leur
lien à la religion, et pas vraiment dans une optique spirituelle. Autre élément de moquerie à
l’égard de la doctrine religieuse est le vers sans sens « le pain du pain » qui a déjà été analysé
17
Jean-Claude Bajeux, art. cit., p. 353.
18
http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/862.html
19
Genèse 3 :19, La Bible : traduction œcuménique, Villiers-le-Bel : Bibli’O – Societé biblique française/Paris :
Editions du Cerf, 2010.
20
L’importance du paraître se retrouve aussi aux vers 24 et 25, quand à l’enfant il est interdit de se moucher
publiquement.
21
http://yjohri.pagesperso-orange.fr/Negritude_Damas_texte.html
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plus haut22. Comme Pierre Akinwande l’écrit dans son ouvrage, « le poète non croyant [se]
sert aussi [de ce poème] pour faire une satire du dogme catholique chrétien en vigueur en
France »23.
Par le ton du poème, son rythme, les choix lexicaux opérés et la structure du texte, il a
été possible de montrer comment « Hoquet » véhicule une dénonciation impuissante du rô le
joué par l’Eglise dans le procès d’assimilation culturelle des peuples colonisés. Ce poème a
donc une importance historique, car il offre un point de vue intérieur sur les événements
vécus par Damas24 et ses compatriotes, et souligne l’importance que certaines institutions ont
eue dans l’imposition de la culture française dans les départements d’outremer. Pour un avis
plus personnel, la lecture de ce poème a été très intéressante et captivante surtout grâ ce à son
rythme musical et à l’ironie perceptible. Le vocabulaire utilisé a particulièrement attiré mon
attention et j’ai bien apprécié avoir pu en analyser l'impact.
22
Cf. supra, p. 4.
23
Pierre Akinwande, Négritude et francophonie: Paradoxes culturels et politiques, Paris, L’Harmattan, 2011, p.
144.
24
Keith Q. Warner, op. cit., p. 40.
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Par quelles stratégies poétiques ce poème répond-il aux engagements pris par la Négritude?
25
Cf. supra, p. 3.
26
Cf. supra, p. 4.
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BIBLIOGRAPHIE
Source
DAMAS Léon-Gontran, Pigments—Névralgies, éd. par Sandrine Poujols, Paris, Présence
Africaine, 2005.
Ouvrages consultés
ROBERT Paul, REY-DEBOVE Josette (dir.), et REY Alan (dir.), Le Petit Robert : dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française [millésime 2014], Paris, Le Robert, 2013.
The New Oxford Companion to Literature in French, éd. par Peter France, Oxford, Clarendon
Press, 1995.
WARNER Keith Q., Critical Perspectives on Leon Gontran Damas, Boulder, Three Continents
Press, 1988.
Sites internet
À propos de Mercer Cook : http://en.wikipedia.org/wiki/User:Royalmate1/Sandbox, consulté
la dernière fois le 23.4.14.
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