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MUSIQUE & HANDICAP

I
HANDICAP
Généralités, histoire et représentations
GÉNÉRALITÉS

Dans le monde, combien de personnes sont


considérées comme porteuses d’au moins une
forme de handicap ?
GÉNÉRALITÉS

+1
MILLIARD DE
PERSONNES
Soit :
~15% de la population mondiale
~ 1 personne sur 7

Sources : OMS (www.who.int)


GÉNÉRALITÉS

+1
Tendance à l’augmentation :
MILLIARD DE — Vieillissement de la population
mondiale
PERSONNES — Augmentation des maladies
chroniques

Sources : OMS (www.who.int)


GÉNÉRALITÉS

En France, combien de personnes sont


considérées comme porteuses d’au moins une
forme de handicap ?
GÉNÉRALITÉS
GÉNÉRALITÉS

D’après une étude de l’INSEE (HSM,


2008) :
~ 4,6 millions de 20 à 59 ans vivant à domicile
présentent une forme de handicap
Soit 14% du total de cette population
GÉNÉRALITÉS

Ce recensement repose sur trois


approches :
— les limitations fonctionnelles reconnues
médicalement
— la reconnaissance administrative (indemnisations,
carte d’invalidité, etc.)
— le ressenti des participants (auto-déclarante).
GÉNÉRALITÉS

Cependant :
— ces approches tripartites ignorent certaines considérations et sont donc incomplètes (ex : limitations
fonctionnelles basées sur une liste d’activités non exhaustive de la vie de tous les jours) ;
— ces chiffres (estimations) sont issus d’un échantillon de populations (de 20 à 59 ans, vivant en
ménage) et sont donc ni révélateurs à l’échelle globale (nationale), ni inclusifs d’autres populations ;
— statistiques vieillissantes (2008), insuffisantes et éloignées des réalités actuelles.
GÉNÉRALITÉS

En France, comment et par quoi est défini le


handicap aujourd’hui ?
GÉNÉRALITÉS

« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de


participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une
altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. »

Article L114 du Code de l’action sociale et des familles, introduit par la Loi
no2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Texte intégral disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/
GÉNÉRALITÉS
« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de
participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une
altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. »

Article L114 de la Loi no2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et
des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

PREMIÈRE DÉFINITION « LÉGALE » DU HANDICAP EN FRANCE


Basée sur la Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la
santé (CIF) proposée par l’OMS en 2001
GÉNÉRALITÉS
« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de
participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une
altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. »
GÉNÉRALITÉS
« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de
participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une
altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. »

AINSI, CETTE LOI :


Est une tentative d’impersonnaliser le handicap et de le décentrer
de la personne (volonté d’égalité des droits et des chances)
Préférant le définir comme une limitation d’activité et une
restriction de participation sociétale
Dont la source est l’articulation de deux composantes :
Altération(s) de structure ou Contexte environnemental
de fonction (caractéristique (caractéristique
personnelle) impersonnelle)
GÉNÉRALITÉS

Versant « BIOMÉDICAL » du handicap

= handicap moteur
(< 2005 : « déficience motrice »)

Altération(s) de structure ou Contexte environnemental


de fonction (caractéristique (caractéristique
personnelle) impersonnelle)
GÉNÉRALITÉS

Versant « SITUATIONNEL » du handicap

Situationnalise le
handicap
déresponsabilise l’individu
au profit de la société
Remet en cause le facteur
environnemental (favorable
ou défavorable)

Altération(s) de structure ou Contexte environnemental


de fonction (caractéristique (caractéristique
personnelle) impersonnelle)
GÉNÉRALITÉS

D’où les notions de « situation de handicap » et de « personne en


situation de handicap » plutôt que « personne handicapée » (< 2005).
GÉNÉRALITÉS

Dans cette situation : l’individu présentant un handicap moteur ne peut gravir les
marches, contrairement aux autres individus (environnement défavorable à son
évolution, inadéquate et inégalitaire, donc « handicapant »).
La responsabilité ne repose alors pas sur sa condition personnelle (stigmatisation),
mais sur la société (cadre de vie ou organisation sociale) qui doit permettre une
accessibilité à tous les individus (obligation dans l’espace public).

RAMPE D’ACCÈS
PMR
GÉNÉRALITÉS
Le handicap, s’il peut être apparenté à un processus (P. FOUGEYROLLAS, 1998), reste
donc le fruit d’une situation dynamique qui prend en compte les facteurs personnels
ET environnementaux.

Dynamique car, dans cette perspective, il n’est plus univoque, constant et


irrémédiable, mais au contraire susceptible de varier (P. ANCET, 2011), sans toutefois
remettre en cause le caractère durable de l’altérité sur le plan médical.
GÉNÉRALITÉS

Et ce caractère dynamique se manifeste notamment en art et en musique,


Où l’individu social est d’abord perçu en tant qu’auteur de l’œuvre, passant ainsi du
statut de « sujet-handicapé » à celui de « sujet-créateur ».
Ainsi, l’environnement artistique peut, sous certaines conditions, générer des
situations dans lesquelles l’altération (ou les altérations) du sujet s’efface(nt) derrière
ses capacités de production créatrice.
GÉNÉRALITÉS

Cependant, au-delà de la loi de 2005, la situationnalisation dynamique du handicap


permet aussi de porter le regard sur l’histoire et le vécu de l’individu (aspect social).

Ainsi, deux individus, présentant une même altération dans un environnement donné
et au même moment, ne seront pas forcément dans la même situation de handicap,
car leurs vécus ne sont pas identiques.

À l’inverse, on remarque facilement que deux personnes que l’on peut considérer
« légalement » dans une même situation de handicap ne sont jamais les mêmes
(portée limitée de la loi de 2005).

Paralysie cérébrale (périnatale) Paraplégie acquise (causes accidentelles)


GÉNÉRALITÉS

De plus, la notion de situation peut parfois être discutée face aux réalités engendrées
par certains types de handicap, ex : TSA et troubles associés ; polyhandicap ; etc.

Auquel cas, la modification de l’environnement de la personne peut ne pas être un


aspect suffisant.

Paralysie cérébrale (périnatale) Paraplégie acquise (causes accidentelles)


GÉNÉRALITÉS

EN RÉSUMÉ :

La loi de 2005 a permis de définir et de donner en France un cadre légal au handicap,


positionnant ce dernier comme un élément central de la vie sociétale, civique, sociale,
institutionnelle et environnementale.

En situationnalisant le handicap, elle inculpe, dans une perspective de protection et


d’égalité des droits et des chances de l’individu, la responsabilité sociétale plutôt que
celle de la personne.

Intégrée dans une discussion plus large, elle permet également d’interroger le
rapport à la norme en société.
GÉNÉRALITÉS
Pour bien comprendre ce rapport à la norme et comment en sommes
nous arrivé là :

D’où vient le « handicap »


Quelles sont ses représentations ?
HISTOIRE

ANTIQUITÉ
HISTOIRE
Le mythe d’ŒDIPE (en grec « Oidipous », « Οιδιπους »,
signifiant : « celui qui a les pieds enflés »)

Abandonné à la naissance par ses parents (le roi Laïos et la reine


Jocaste de Delphes) suite à une funeste prédiction, Œdipe est
condamné à être « exposé » au mont Cithéron en ayant les chevilles
clouées sur un arbre (d’où son nom).

Il existe plusieurs interprétations du mythe, dont une où l’altérité


d’Œdipe serait congénitale et non due aux suites de son exposition
(M. DELCOURT, 1938).

Dans l’interprétation la plus célèbre (Œdipe roi de SOPHOCLES),


lorsque qu’Œdipe prend conscience de son parricide et de son
inceste, il se condamne à la cécité totale en se crevant les yeux.
Gustave MOREAU, Œdipe et le Sphinx, Huile sur
toile, 1864.

ANTIQUITÉ
HISTOIRE

Ainsi :
L’exposition est une pratique qui, en Grèce antique, consiste a
abandonner un nouveau-né (P. BRULÉ, 2009), notamment lorsque
l’enfant présente une « tare physique ».
Représentée à travers les arts et la mythologie (ex : Héphaïstos),
cette pratique révèle que, dans cette société, l’altérité (physique)
était considérée comme la marque défavorable d’un châtiment
divin (pratique religieuse).
De plus, à travers l’automutilation d’Œdipe, la cécité est bien
associée à un châtiment, mais symbolise aussi un rejet du réel, de la
vérité (représentation qui est entrée de nos jours dans le langage
courant : « être aveugle à … »).
Gustave MOREAU, Œdipe et le Sphinx, Huile sur
toile, 1864.

ANTIQUITÉ
HISTOIRE

Dans les empires gréco-romains, l’amalgame entre altérité physique congénitale


et châtiment divin va ainsi forger la condition civile et juridique des personnes.

ARISTOTE recommanda une loi qui interdit de nourrir


les nouveaux-nés mal formés (Dans Politique).

ANTIQUITÉ
HISTOIRE

Dans les empires gréco-romains, l’amalgame entre altérité physique congénitale


et châtiment divin va ainsi forger la condition civile et juridique des personnes.

ARISTOTE recommanda une loi qui interdit de nourrir


les nouveaux-nés mal formés (Dans Politique).
Dans la République, PLATON, suivant une politique en
usage dans les cités grecs antiques et en particulier à
Sparte, réserve la reproduction aux élites sociales afin
d’éviter que la société ne s’effondre.

ANTIQUITÉ
HISTOIRE

Dans les empires gréco-romains, l’amalgame entre altérité physique congénitale


et châtiment divin va ainsi forger la condition civile et juridique des personnes.

ARISTOTE recommanda une loi qui interdit de nourrir


les nouveaux-nés mal formés (Dans Politique).
Dans la République, PLATON, suivant une politique en
usage dans les cités grecs antiques et en particulier à
Sparte, réserve la reproduction aux élites sociales afin
d’éviter que la société ne s’effondre.
Depuis Romulus, la loi romaine (« des Douze Tables »)
autorisait à tuer un enfant de moins de trois ans si
celui-ci présentait une altérité physique congénitale.

ANTIQUITÉ
HISTOIRE
« Et l'Éternel [le Seigneur] parla à Moïse, en disant : “Parle à
Aaron, en disant : Aucun homme de ta descendance, dans ses
générations, qui a quelque défaut corporel, ne s'approchera pour
présenter le pain de son Dieu. Car quiconque a un défaut corporel
ne s'approchera pas : l'homme aveugle, ou boiteux, ou qui a le
nez déformé ou un membre plus long que l'autre ; […]. »

Lévitique, Chapitre 21.

Dans le troisième livre (Lévitique) de l’Ancien Testament et dans les


sociétés juives d’avant l’ère chrétienne, l’altérité physique (en
particulier liée à la lèpre) est synonyme d’impureté et est exclue du
culte (séparation sacré-profane).

ANTIQUITÉ
HISTOIRE

« Beaucoup de premiers seront derniers, beaucoup de derniers seront premiers. »


Évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu, Chapitre 19, verset 30.

« Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara : “Heureux, vous les pauvres,
car le royaume de Dieu est à vous”. »
Évangile de Jésus-Christ selon Saint Luc, Chapitre 6, verset 20.

ANTIQUITÉ
HISTOIRE
Le terme récurrent de « pauvres », récurrent dans l’exégèse biblique, désigne et
assimile alors un ensemble hétérogène de populations, dont les personnes
porteuses d’altérités physiques, les malades, les sans abris, les mendiants, les
opprimés, etc.

À travers ses voyages décrits dans les différents Évangiles, J. -C. est régulièrement
amené à côtoyer ces populations et à leur porter assistance, notamment en
provoquant des guérisons miraculeuses (ex : épisodes des « secrets
messianiques »).

Ainsi, le Nouveau Testament va introduire de nouvelles


valeurs : la charité, l’humilité, la pitié, la miséricorde et la
compassion.

ANTIQUITÉ
HISTOIRE

Ces idées, qui rompent avec la norme sociale de l’Ancien Testament, vont forger des
représentation de l’altérité qui se répandront dans toute l’Europe à travers le
christianisme.
Car, si l’altérité n’est ici plus considérée comme un péché et stigmatisée dans l’accès
au culte, elle est toutefois associée à une faiblesse et reste l’empreinte de la volonté
divine, d’une force démoniaque, d’une conséquence subie du destin, à travers
laquelle l’œuvre de Dieu doit se réaliser.
Ainsi se créé un paradoxe : avec, d’une part, l’exaltation de la « pauvreté », lui
conférant des valeurs positives inspirant la vénération et la charité (inclusion), et,
d’autre part, l’infériorisation sociale de la condition du « pauvre », comprise comme
une faiblesse et un châtiment démoniaque (exclusion).

ANTIQUITÉ
HISTOIRE
De ce fait, ce paradoxe sera le socle de représentations ambivalentes durant la
période du Moyen-Âge :

Au XIIIe siècle, la figure de l’« INFIRME » inspire aux sociétés médiévales de


généraliser les pratiques d’hospitalité (création des hôtels-Dieu) et d’aumône. Elle
devient, à travers l’Église, un support de rédemption pour racheter ses péchés
(l’acte de miséricorde comme système politique).

Conformément aux idées du christianisme, la guérison devient la condition


d’inclusion des infirmes dans la société.

À l’opposé, c’est dans ce contexte que ce renforce la figure sociale du


« MONSTRE » (déjà existante durant l’Antiquité). C’est-à-dire un être dont l’apparence
physique hors-norme provoquait passion, anxiété et horreur.

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE
HISTOIRE

LE MONSTRE
Du latin « monstrum » et « monstrare » : « ce qu’il faut montrer ».
À la fois craints et vénérés, les monstres, parfois considérés d’origine
bestiale, attiraient les foules et interrogeaient les autorités et les
penseurs.
Sur le plan juridique, la figure du monstre est un être qui, par son
existence, viole les lois de la société (civile et religieuse) et de la
nature, à la différence de l’« infirme » (M. FOUCAULT, 1999).
Au Moyen-Âge, il est à la fois le messager de la colère divine et,
intégré dans la pastorale manichéenne de l’enfer et du péché, il est
un envoyé du diable et annonciateur de malheur.
Ambroise PARÉ, « Figure d’un enfant monstrueux,
de défaut de la semence », 1598.

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE
HISTOIRE

L’INFIRME

Du latin « infirmus » : « ce qui qu’est pas ferme, qui n’a


pas de force, qui est faible, malade ».

Ainsi, la figure de l’infirme, normocentrée, est associée à


la représentation biblique du « pauvre » (amalgames de
plusieurs populations) et induit donc, comme nous
l’avons vu, une connotation religieuse et stigmatisante.

Jean RESTOUT, La Guérison du paralytique à la piscine de Béthesda,


Huile sur toile, 1725.

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE
HISTOIRE
À la fin du Moyen-Âge, l’organisation de société (norme sociétale) va s’élaborer
autour de la capacité d’un individu à travailler (pénurie de main d’œuvre due à la
peste noire).
Dans différents pays européens, des mesures de répressions apparaissent à
l’encontre des « vagabonds » et des « mendiants ».
En France, on discrimine les « pauvres méritants » (infirmes) des « mauvais »
indigents oisifs (rôle de la « police des pauvres »), les premiers étant éligibles à la
charité, les autres étant condamnés (prison, châtiments corporels, pendaison, etc.)
et parfois marqués au fer rouge (détermine leur statut social).
À partir du XVIe siècle et à la Renaissance, ce climat politique va conduire au modèle
du « grand renfermement ».

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE
HISTOIRE
Promu par l’Église de Rome et progressivement répandu dans toute l’Europe du
XVIIe siècle, le « grand renferment » désigne une période de concentration et
d’enfermement des individus présentant un danger pour la société, c’est-à-dire
faisant obstacle à l’ordre social et à la norme fondée sur le travail
(M. FOUCAULT, 1961).
Cela coïncide avec l’apparition du capitalisme durant la Renaissance, rompant avec
la tradition médiévale fondée sur la charité et le salut divin.
La figure du « pauvre », à laquelle on attribuait auparavant une connotation positive,
se dégrade davantage pour devenir alors « le misérable » et « l’inutile ».
C’est dans ce but que Louis XIV, principal investigateur de ce dispositif en France,
créera plusieurs « hôpitaux généraux » (exemples à Paris : Hôpital de la Salpêtrière,
des Incurables, Hôtel des Invalides, etc.).

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE


HISTOIRE
Toutefois, au sein de cet enfermement de masse qui perdurera jusqu’au XIXe siècle,
le principe de guérison subsiste sous la forme d’une volonté de restauration
sociale et d’éducation.

Ainsi, en remettant en cause l’état des connaissances par la raison et la pensée


scientifique, l’arrivée du siècle des Lumières marquera une évolution profonde
dans la représentation de l’infirmité (l’ordre divin, métaphysique, est supplanté par
l’observation, l’expérience et la description scientifique) .
Pour eux, le progrès social doit passer par la connaissance encyclopédique de
l’Homme, l’éducation, la philanthropie et la bienfaisance.
C’est ainsi qu’apparait le principe fondateur d’« éducabilité » : la compensation de
l’altérité par des techniques et des pédagogies « adaptées » (l’incurable devient
l’inadapté).

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES


HISTOIRE

Exemples :
Ambroise PARÉ, chirurgien et anatomiste français, va, dès le XVIe siècle
dans son Traité des monstres et prodiges (1575), remettre en cause
l’ancrage théologique de l’existence des « monstres » en développant
une catégorisation empirique (fondée sur l’observation et
l’expérience) des anomalies du corps humain : la tératologie.
Cette catégorisation, loin d’être rigoureuse et enclin à l’imagination,
va toutefois s’établir non pas en fonction des malformations du corps,
mais de leurs origines supposées, qui peuvent être issues du divin
mais aussi de causes naturelles et héréditaires (Y. BRAILLE, 2005).
Par une perspective médicale et anatomique, l’altérité devient ainsi
un objet d’étude et de connaissance qui caractérisera plus tard le
Ambroise PARÉ, « Figure d’un enfant monstrueux,
siècle des Lumières .
de défaut de la semence », 1598.

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES


HISTOIRE

Autres exemples :
Denis DIDEROT, Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749) : à travers cet essai, Diderot
met en scène un dialogue fictif entre deux aveugles et un mathématicien voyant. En faisant des
aveugles les sujets principaux de l’ouvrage et en plaçant ces deniers à l’égal du philosophe, Diderot
questionne l’altérité dans les perceptions du monde, de Dieu, et le primat du sens de la vue sur le
toucher. Cette réflexion (qui lui value la prison) renverse la statut d’infériorité de l’aveugle sur le
voyant.

Le développement des techniques d’éducation « adaptées » et collectives : Charles-Michel DE L’ÉPÉE


(méthode visuogestuelle d’éducation linguistique des sourds via un système basé sur les signes qui
sera à l’origine des langues des signes modernes) et Valentin HAÜY (techniques tactiles de mise en
relief du papier, permettant un accès primitif des aveugles à l’écriture et à la lecture et dont le
principe sera repris plus tard par Louis Braille).

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES


HISTOIRE

Au XIXe siècle, la révolution industrielle va entraîner l’émergence d’une pauvreté de


masse. La norme sociétale fondée sur la valeur du travail revient au centre des
considérations.
Avec les avancées scientifiques et technologiques, la médecine prend le pas sur le
traitement de la question sociale de l’altérité : c’est une période d’apogée dans
l’évolution de la spécialisation des lieux de prise en charge, de la catégorisation
des populations (initiée par le grand renfermement) et des traitements adaptés.
Ainsi, les « fous » et les « INSENSÉS », peu considérées dans les débats sociaux
jusqu’alors, sont désormais pris en charge dans la loi (1838) et sont traités dans des
asiles spécialisés, c’est la période de « l’aliénisme » initiée par Philippe PINEL.
Avec l’apparition de la psychologie, le « traitement moral » de Pinel (à la base de la
psychiatrie) sera un courant précurseur dans l’exploration de l’altérité « mentale ».

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES ÈRE INDUSTRIELLE


HISTOIRE
Le « redressement » des populations est engagée à travers l’invention de
nombreuses méthodes anatomocliniques (otorhinolaryngologie, othologie,
orthopédie, etc.).
Mais l’industrialisation de masse, couplée à une surpopulation urbaine et à un
accroissement constant de la pauvreté va conduire à plusieurs épisodes d’épidémie
majeurs.
Toutefois, un mouvement politique et social s’organise pour dénoncer les
conditions d’hygiène déplorables des populations les moins aisées (classe
ouvrière) : c’est le début de « L’HYGIÉNISME ».

Ce mouvement sera à la base de la création de statistiques démontrant les


inégalités sociales et poussera, en France, à une légifération de la santé publique
(1902).

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES ÈRE INDUSTRIELLE


HISTOIRE
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la représentation de l’altérité, loin d’être
homogène, va, en parallèle de ces tentatives de réformes sociales, nourrir le spectre
d’idéologies fondées sur la « dégénérescence » (terme généralisé) de la société :
c’est l’apparition de « L’EUGÉNISME » (doctrine sur laquelle reposera le
« capacitisme/validisme » moderne).
L’eugénisme (terme apparu en 1883 en Grande-Bretagne) se fonde sur une lecture
fallacieuse de la théorie de l’évolution de Darwin et vise à rendre l’altérité mentale
et physique, représentées comme des obstacles au processus naturel de l’évolution
de l’espèce, responsables de l’effondrement de la société.

Cette conception (dont la forme la plus extrême sera menée aux États-Unis), qui
apparait dans une période de conflit (guerre franco-prussienne de 1870 et chute du
Second Empire), sera influencée par l’hérédité biologique et l’apparition des
premiers diagnostiques prénatals.

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES ÈRE INDUSTRIELLE


HISTOIRE

À la fin du siècle, la société industrielle se concrétise et le travail devient une valeur


indispensable à son bon fonctionnement. En France, la Troisième République entreprend
un chantier de réunification de la Nation qui, en écho au principe d’éducabilité initié par
les Lumières, place l’éducation au centre des problématiques sociales.

Ainsi, l’école est rendu obligatoire pour les enfants (6 à 12 ans) avec les lois de Jules FERRY
(1882), le premier institut médico-pédagogique est créé à Vitry par Désiré-M. BOURNEVILLE
(1890) et se penche sur l’éducation spécialisée des enfants « idiots », « DÉGÉNÉRÉS »,
« arriérés » ou « anormaux » (création de classes de « perfectionnement » en 1909).

L’intelligence devient une préoccupation scientifique (psychométrie), on cherche à la


mesurer et à la quantifier. Alfred BINET et Théodore SIMON introduisent en 1905 la
première « échelle métrique de l’intelligence » (socle du « tri scolaire »).

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES ÈRE INDUSTRIELLE


HISTOIRE
Au XXe siècle, la quête de main d’œuvre jumelée à la machinisation progressive
pousse la société à imposer de nouveaux modes de traitement social de l’altérité :
ceux de la « RÉADAPTATION » (adulte), « adaptation » (enfant) et de la « réparation ».

Ce contexte va préparer l’ère du handicap et sera marqué par deux évènements


majeurs : la loi sur les accidents du travail et la Première Guerre mondiale.

La loi sur les accidents du travail (adoptée le 9 avril 1898) vise à réparer le
préjudice subi par la victime sans pour autant engager la pleine responsabilité de
l’employeur.

Pour la première fois, la société, du fait de son activité, est jugée comme
responsable des risques et des préjudices encourus, et la loi lui incombe de devoir
réparer ses fautes. Les accidentés deviennent les « victimes du progrès ».

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES ÈRE INDUSTRIELLE XXE SIÈCLE


HISTOIRE
La Première Guerre mondiale va marquer un tournant important dans l’histoire du
handicap. L’explosion du nombre de victimes (1 500 000 « gueules cassées »,
aliénés et amputés en France) va donner à l’altérité une visibilité incontournable et
pousse l’État français à mettre en œuvre une forme de justice sociale.

L’indemnisation financière, sous forme de pensions d’invalidité, fait son apparition.


Plusieurs lois sont votées afin de garantir aux victimes un accès au travail
(ex : « droit de préférence » d’avril 1916 et loi des « 10 % » d’avril 1924).

L’idéologie de la « réadaptation » prend le pas sur la politique de « l’assistance », et


la médecine s’oriente vers la création de services de « rééducation fonctionnelle ».

S’amorce alors le triptyque du « retour » (STIKER) : « rééducation fonctionnelle »,


« rééducation professionnelle » et « réemploi » qui doit servir la productivité.

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES ÈRE INDUSTRIELLE XXE SIÈCLE


HISTOIRE

L’INVALIDE
Du latin « invalidus » : « impuissant, faible, qui n’est pas vaillant ».

Présent dès le XVIIe siècle, les « invalides » désignaient à l’origine une catégorie
socioprofessionelle précise : celle des vétérans de guerre ayant subis des
blessures incapacitantes, morales ou physiques.

Si le terme s’est étendu dans le langage courant pour rejoindre le sens de


« l’infirme », il reste de nos jours toujours fortement corrélé à la condition de la
personne et à sa capacité de travail (ex : pension d’invalidité).

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES ÈRE INDUSTRIELLE XXE SIÈCLE


HISTOIRE

Ces principes de réadaptation et de réparation des préjudices fournira, durant


l’entre-deux-guerres, le creuset d’une société fondée sur un modèle « assurantiel ».

Les travailleurs les plus modestes ont l’obligation légale de souscrire à une
assurance sociale couvrant maladies, vieillissement, décès et invalidité, celle-ci
étant financée par des cotisations sociales et patronales.

L’avènement du régime de la sécurité sociale en France, ordonné les 4 et


19 octobre 1945, permet aux invalides d’obtenir des droits sociaux équivalents aux
victimes de guerre et aux « accidentés du travail ».

Ainsi, la période des « trente glorieuses » (1945–1975) à suivre deviendra le socle


de la vie sociale et marquera un renouvellement de la pensée représentative de
l’altérité avec l’avènement de la notion de « handicap ».

ANTIQUITÉ MOYEN-ÂGE RENAISSANCE LUMIÈRES ÈRE INDUSTRIELLE XXE SIÈCLE


CONCLUSION
L’altérité, physique ou mentale, n’est, dans aucune société humaine, quelque soit la
période ou le lieu, un épiphénomène mais représente, au contraire, une
composante de la condition humaine qui nous concerne tous.
Plusieurs moments clés de l’histoire de l’Homme et de nos sociétés ont contribué à
forger le champ de ce qui deviendra au XXe siècle le concept unificateur de
« handicap ».
Quelques soient ces moments, on remarque que l’altérité fascine autant qu’elle
dérange, révélant ainsi de fortes ambivalences dans les politiques de traitement
social qui ont pu être discutées et mises en place à travers notre histoire.
Toutefois, on remarque que le « fatalisme biologique », qui a souvent conduit à la
catégorisation et à l’exclusion des personnes de la collectivité, a progressivement
quitté une conception divine du monde et de l’humain pour une organisation
sociale ancrée autour du travail.
CONCLUSION
Ainsi, nos sociétés judéo-chrétiennes sont marquées par une représentation sociale
de l’altérité où se sont côtoyés système de charité bienveillante et politiques de
répression sociale (distinction des « pauvres » au Moyen-Âge).
L’empirisme des Lumières et le développement des méthodes pédagogiques
adaptées permettront de penser l’« éducabilité » des personnes. Ce principe mettra
en lumière la possibilité d’une curabilité et d’une adaptabilité.
Les avancées scientifiques et médicales du XIXe siècle vont contribuer à une vaste
entreprise de « redressement » morale, physique et social des populations où
s’opposeront les conceptions hygiéniste et eugéniste.
Enfin, le capitalisme de masse, reposant sur la valeur du travail comme cadre de
l’organisation sociale, ainsi que les périodes multiples de guerre vont, au XXe siècle,
pousser à concevoir un mode de réparation des préjudices : la réadaptation.
MUSIQUE & HANDICAP

? Alban BRICENO
Chargé de cours
Doctorant (5ème année)
EN CAS DE QUESTIONS Musicologie (Faculté des Humanités)
CEAC — SCALab
📧 alban.briceno@univ-lille.fr ou Moodle

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