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L’héritage portugais au Maroc

Romeo Carabelli

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Romeo Carabelli. L’héritage portugais au Maroc. Mutual Heritage - Citeres, 2012. �halshs-01257864�

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abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
L’héritage
portugais
au Maroc
un patrimoine d’actualité

Romeo Carabelli
Traduit de l’italien par Mme Marie-Anne Marin
Copyright ©2012 Mutual Heritage
ISBN : 978-2-9538332-2-5
Tout droits réservés
L’héritage
portugais
au Maroc

Romeo Carabelli
L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Cet ouvrage est le résultat d’un travail de longue haleine, qui


regroupe un grand nombre d’intérêts divers et qui trouve dans
le projet Mutual Heritage un espace significatif pour être publié.

L’épopée portugaise en Afrique du Nord marque une étape fon-


damentale de l’histoire : celle de l’ouverture à la globalisation,
qui trouve son aboutissement aujourd’hui, six siècles plus tard.
On assiste donc aux prémices de ce qui deviendra le patrimoine
mutuel que l’on connaît aujourd’hui, directement lié aux sites de
par sa matérialité mais aussi à la Terre dans son ensemble.

Des sites inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco


comme la Ville portugaise de Mazagan (El Jadida) - mais aussi
l’Ile de Mozambique ou le Fort Jésus à Mombasa (Kenya) - sont
des exemples incontournables des influences croisées entre les
cultures, portugaise et marocaine dans ce cas.

Bien évidemment, ce guide n’aurait pas pu exister sans le sup-


port de l’Association de la Cité portugaise à El Jadida, des amis
casablancais de Casamémoire et de Ninoway, de Florence Troin,
cartographe à Tours et d’Emilie Destaing, précieuse relectrice.

Merci à tous et à toutes et … bonne lecture.

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La présence portugaise le long de la côte nord-africaine - sites et dates
Seuls les lieux présentant des traces lusitaniennes importantes sont ici pris en considération.
L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Introduction
Du fait de leur proximité géogra- géopolitique “Maroc“ dans sa confi- Malgré sa persistance, la pré-
phique, le Portugal et le Maroc guration actuelle, conscients des sence portugaise le long des côtes
ont connu une série systématique problèmes frontaliers du royaume atlantiques n’a pas marqué la mé-
d’échanges. Situés aux limites occi- marocain mais qui débordent notre moire collective locale de façon
dentales de l’Europe et de l’Afrique propos. Nous pénétrerons dans le significative. Pour les Marocains
du Nord, ces deux pays ouverts sur territoire espagnol de Ceuta (Sebta), d’aujourd’hui, les affrontements
l’océan Atlantique se font quasiment à l’origine de l’aventure africaine du militaires, religieux et sociaux qui
face de part et d’autre de la Méditer- Portugal. opposèrent les deux royaumes ren-
ranée, à l’embouchure du détroit de voient à une histoire militaire désor-
Gibraltar. Les traces de cette présence ne ren- mais inconnue. Ils appartiennent
voient pas à des événements inéluc- à un espace temporel lointain, une
Ils ont développé des caractéris- tables de la construction des nations sorte de “passé du passé“, comme
tiques assez similaires : deux pays marocaine et portugaise mais elles s’il s’agissait de l’Antiquité classique.
relativement isolés ayant joué un ont certainement joué un rôle dont
rôle marginal dans la zone méditer- la valeur historique et les vestiges Nous nous concentrons sur les ves-
ranéenne à laquelle ils sont cepen- encore présents, méritent d’être tiges des édifices et des espaces pu-
dant particulièrement liés. mentionnés. blics monumentaux offrant encore
Au cours des grandes périodes his- une forme urbaine appréhendable. Il
toriques, phénicienne, romaine, Cet ouvrage est centré sur l’héritage s’agit en grande partie de remparts
génoise mais aussi d’Al Andalus, au matériel bâti par la couronne por- et de constructions militaires, dotés
temps des califes et des berbères, tugaise entre 1415, prise de Ceuta d’une plus grande inertie formelle
l’histoire de ces territoires que et 1769, libération de Mazagão (ac- que les édifices privés ; de ce fait, ils
sont devenus le Portugal et le Ma- tuelle El Jadida). Au cours de cette sont encore lisibles et plus proches
roc, retrace l’existence d’échanges épopée historique, les Portugais ont de leurs formes d’origine. Ce sont
complexes, parfois pacifiques et érigé un chapelet de fortifications des éléments constitutifs de quar-
commerciaux, parfois belliqueux, côtières qui font aujourd’hui partie tiers entiers dont ils structurent le
avec guerres et colonisations réci- de l’héritage monumental marocain. tissu urbain actuel.
proques. Initialement partie d’un parcours
vers le Grand Sud et l’Orient, via la Le caractère allogène du patri-
Ce guide du patrimoine bâti par route des Indes, elle devint le sym- moine architectural luso-marocain
les Portugais au Maroc aborde une bole d’une longue présence nord- lui confère des valeurs historiques
composante méconnue : la présence africaine. et symboliques particulières : il
portugaise en Afrique du Nord et son L’héritage matériel actuel n’est pas résulte d’une “géographie coloniale
héritage matériel, que l’on peut qua- plus portugais que marocain. Il est spatialement différée“ (Turco, 1988,
lifier de luso-marocain, aujourd’hui commun aux deux nations - portu- P. 184), révélatrice de pratiques ur-
encore clairement visible. Pour tous gais pour sa constitution, marocain baines portugaises exportées vers
les pays, nous utiliserons toujours pour sa localisation - et fort de son les territoires coloniaux, s’adaptant
les appellations nationales actuelles caractère mutuel, il dialogue avec au territoire local et générant une
qui sont différentes de celles du les autres patrimoines mondiaux, pratique nouvelle et spécifique.
passé. Nous adoptons donc le terme partagés ou non.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Introduction
La production architecturale luso- l’héritage portugais, on peut dire encore bien présents à Asilah et à
marocaine - entendue comme ap- qu’il s’agit d’un patrimoine sans Azemmour ou des remparts proté-
partenance statutaire des biens : pater. Le lien avec les fortifications geant la ville et qui assurent la jonc-
indubitablement portugais mais tout portugaises, en passe de devenir tion entre les différents châteaux
aussi indubitablement marocains - une mémoire patrimoniale, est plus - comme ceux qui relient la Kechla
et le processus de colonisation qui fort avec la population lusitanienne et le Château de la mer à Safi. On
la caractérise, est un cas intéres- - qui les connaît et les reconnaît - note ensuite les systèmes plus com-
sant au regard de l’intégration de qu’avec la population locale, qui tend plexes de la modernité, comme les
l’héritage au sein des espaces bâtis à les considérer comme mémoire proto-bastions d’Azemmour et la
contemporains. d’autrui. citadelle bastionnée d’El Jadida.

Ces édifices ayant perdu leur uti- Pour pouvoir inclure cet héritage Bien qu’il soit objectivement difficile
lisation première, il devient indis- matériel à l’espace patrimonial per- de trouver des activités appropriées
pensable de les doter de nouvelles sonnel, il est nécessaire de procéder à ce type d’espaces, les récents tra-
fonctions, d’un nouveau statut, afin à un passage non instinctif, d’une vaux de restauration ont permis une
de les intégrer à la vie actuelle et ne hérédité généalogique directe à une valorisation des différents éléments
pas risquer de perdre définitivement hérédité généalogique indirecte. de ce patrimoine.
l’héritage bâti. En les élevant au rang C’est une opération délicate et qui
de patrimoine culturel leur statut est demande du temps. Les institutions L’illustration de la mémoire d’ori-
modifié, intégrant les biens d’ori- des deux États l’ont officiellement gine portugaise implique la pré-
gine lusitanienne aux dynamiques reconnu et élevé au statut de patri- sentation de sites dépourvus de
actuelles. moine partagé ; de ce fait, sa valeur contiguïté territoriale puisque cha-
patrimoniale s’étend aux autres sec- cune des villes intégrées au patri-
Déjà reconnus comme patrimoine teurs sociaux. moine portugais tend à être un cas
pendant la période coloniale fran- indépendant et autonome. Aucune
çaise mais seulement récemment Bien que difficile à reconnaître, au lecture d’ensemble et systémique
intégrés à la vie patrimoniale active, regard de l’histoire de l’architecture des différents héritages n’a encore
ces vestiges restent relativement militaire, le patrimoine luso-ma- été trouvée ; il n’existe pas encore
marginaux, tant parce qu’ils sont rocain se révèle particulièrement de capacité globale permettant de
quantitativement limités que parce riche, diversifié et intéressant. Tous transformer la collection de biens
qu’ils ne portent pas de valeurs les types de défense de l’époque dite d’origine portugaise en une commu-
identitaires directement liées à la “de transition“ sont représentés : des nauté cohérente et unique de sites
population actuelle. structures médiévales, destinées à patrimoniaux.
protéger contre les armes obsidio-
Étymologiquement, le mot patri- nales antiques à celles érigées à la Les politiques de valorisation sont -
moine dérive du latin patrimonium, Renaissance, capable de résister aux encore ? - liées à l’unicité de chaque
composé de pater, racine de père tirs de l’artillerie moderne. site et elles n’ont pas développé de
qui indique ici l’hérédité généalo- narration en mesure d’impliquer
gique du bien et moenia, racine de Il s’agit de postes de contrôle et la totalité des biens. Les sites sont
monnaie, sa valeur reconnue. Pour de défense des anciennes portes, effectivement intégrés dans des sys-

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Introduction
tèmes culturels fonctionnant à deux Dès lors, la valorisation de l’héritage Au moment de l’acquisition du statut
échelles différentes : l’une ponc- d’origine lusitanienne se caracté- formel de “patrimoine“, ils adhèrent
tuelle, liée principalement à la di- rise par des approches multiples et également aux échelles intermé-
mension locale des vestiges l’autre, variables. Ces fragments patrimo- diaires d’interaction avec le terri-
globale, s’inscrit dans la construc- niaux existent à la micro-échelle lo- toire environnant et pénètrent les
tion de la “nation portugaise“ qui cale grâce à leur consistance maté- dimensions nationale et touristique.
voit les expansions océaniques en- rielle et ils intègrent simultanément
tamées par l’expansion en Afrique l’échelle globale de l’ouverture de Mazagão / El Jadida - forteresse vue de la mer, à
gauche le bastion de l’Ange, à droite le bastion de
septentrionale come un unicum nar- l’Europe au monde. Saint Sébastien. On reconnaît l’entrée du port et les
ratif. silhouettes de la tour/minaret et de l’église de Saint
Sébastien

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Les vestiges d’une épopée


Le 12 septembre 1297, Espagne l’emporterait sur Venise. Déjà, pour avec la conquête de plusieurs villes
et Portugal ratifient le traité d’Al- protéger son commerce, le Portu- côtières, en vue de contrôler la navi-
cañices (petite cité espagnole de gal s’était vu dans la nécessité de gation et le commerce jusqu’au point
Castilla y Léon) qui fixe les confins se créer une Marine. Mais, en fait, ou le désert saharien rejoint l’océan.
de leurs royaumes respectifs, assez tant que les Maures tiendraient de Pour la couronne portugaise, le Ma-
semblables aux frontières actuelles. Détroit [de Gibraltar], ils pourraient roc était un territoire géographique-
A la fin du XIIIe siècle, donc, le pro- intercepter quand il leur plairait le ment contigu et elle avait tendance
cessus de construction de l’espace trafic Italie-Lisbonne-Flandres“ à le considérer comme une sorte
territorial portugais est pratique- (Carvalho, 1942) ; d’extension de son territoire métro-
ment achevé et aucune possibilité et politain.
d’élargissement continental n’existe “ Après, les pirates musulmans …
plus, la seule possibilité d’expansion organisèrent le blocus du détroit Le titre même de Roi de Portugal fut
étant vers l’océan. de Gibraltar, tout en obligeant … d’ailleurs modifié et sous le règne de
le payement d’une très forte taxe“ Dom Alfonso V (qui régna de 1438 à
L’intérêt du Portugal pour l’Afrique (Cortesão,1993). 1481, et fut surnommé “le roi afri-
du Nord peut en partie s’expliquer cain“), il devint Rei de Portugal e dos
par la proximité de ses côtes, qui Il fut donc logique pour le Portugal Algarves, d’Aquém e d’Além-Mar em
permettaient une projection offen- d’envisager l’occupation des sites África[1] (Roi de Portugal et de l’Al-
sive, mais aussi par la volonté de stratégiques autour du détroit de garve de ce côté et de l’autre de la
protéger son territoire métropoli- Gibraltar. Cette occupation avait mer, en Afrique.) Plus tard, avec les
tain contre la pression des royaumes également pour fonction de suppor- conquêtes subsaharienne, indienne
musulmans nord-africains. ter la reconquête des territoires es- et la découverte de la route du Brésil
pagnols occupés par les royaumes on ajouta à ce titre “e dos territórios
La stratégie de la couronne portu- musulmans installés dans le Sud de ultramarinos“ (et des territoires
gaise était supportée par la volonté la péninsule. d’outre-mer.)
de contrôler les routes commer-
ciales maritimes qui reliaient l’Eu- Au début du XVème siècle l’expansion Alors que la plupart des possessions
rope du nord au bassin méditerra- militaire débute par une série d’as- portugaises d’outre-mer étaient
néen. sauts à Tanger et Ceuta ; en 1415, dirigées par un vice-roi, celles
le Portugal prend Ceuta qui passera d’Afrique du Nord furent toujours
Certains historiens portugais nous en 1640 au Royaume d’Espagne. La
rappellent cette situation : prise de Ceuta est le point de départ
de l’épopée des Grandes Décou- [1] Au cours de son règne, dom Alfonso V eut trois
“ A cette époque-là [fin du XIVème vertes au cours desquelles le Por- titres de roi, qui intégraient les nouveaux territoires
siècle, début du XVème siècle], Lis- tugal dissémine une longue succes- conquis :
• Pela Graça de Deus, Rei de Portugal e do Algarve, e
bonne [.....] possédant un des plus sion de places fortes sur les côtes Senhor de Ceuta (1438-1458)
beaux ports du monde, à mi-che- africaines et asiatiques, jusqu’au • Pela Graça de Deus, Rei de Portugal e do Algarve, e
min par mer, entre l’Italie et les Japon. Senhor de Ceuta e de Alcácer em África (1458-1471)
• Pela Graça de Deus, Rei de Portugal e dos Al-
Flandres, elle commençait à deve- Les premières expéditions se li- garves, d’Aquém e d’Além-Mar em África (1471-1481)
nir la ville commerciale qui, un jour, mitent au territoire de l’actuel Maroc

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Les vestiges d’une épopée


administrées par la métropole, par tiques, ne longeaient pas les côtes ici quelques unes des grandes expéditions, les plus
significatives. Diogo Cão réussi à franchir la partie
l’intermédiaire de l’évêque de Crato africaines mais pointaient directe- désertique de la côte africaine et le Golfe de Gui-
(et du duc de Medina Sidonia pen- ment vers les îles océaniques de née : la route pour l’Afrique australe était ouverte.
dant la période de la corégence his- Madère ou du Cap Vert. Paradoxa- C’est Bartolomeu Dias qui continua l’aventure et,
premier dans l’histoire, il arriva à franchir le Cap
pano-portugaise entre 1580 et 1640.) lement, avec la découverte de la de Bonne Esperance et, par conséquent, à montrer
“véritable“ route des Indes, les for- la possibilité d’accéder à l’Océan Indien par la mer.
Les places fortes marocaines furent teresses destinées à en protéger la En même temps, Pêro da Covilhã et Afonso de Paiva
démontre la difficulté d’un chemin terrestre mais
le point de départ de l’extension de route perdirent leur raison d’être. aussi l’existence d’un monde possible auquel se
l’influence portugaise vers le Grand Les océans et les grandes traversées greffer via des parcours alternatifs. Vasco da Gama
Sud africain. Suite à la découverte de devinrent alors les nouveaux centres fut le premier à assurer la liaison maritime entre
la route vers l’océan Indien par Vasco d’intérêt des Portugais ; l’aube du l’Europe et l’Inde, Lisbonne et Calicut. Une fois
franchi le Cap, il s’arrêta dans des lieux qui devien-
de Gama qui doubla le Cap de Bonne XVIème siècle marqua ainsi la fin de la dront des comptoirs incontournables de l’expansion
Espérance en 1497 et de celle vers centralité de l’Afrique du Nord dans portugaise - Sofala et l’Ile de Mozambique (Ilha de
le Brésil par Pedro Álvares Cabral en l’espace colonial portugais. Moçambique). Pedro Álvares Cabral passa à l’his-
toire avec la découverte de la route pour le Brésil,
1500, l’importance des places nord- parcours curieux pour atteindre l’Océan Indien.
africaines diminua. Carte des principales expéditions et routes océa- Malheureusement, Bartolomeu Dias, qui avait déjà
Les routes vers ces nouvelles terres, niques ouvertes par les Portugais. La couronne accompagné Vasco da Gama dans son périple afri-
cain, trouva la mort dans cette expédition, suite à un
économiquement plus intéressantes portugaise finança une série d’expéditions - la plu-
naufrage Atlantique.
part maritimes - censées découvrir des chemins
et militairement moins probléma- vers l’Afrique australe et les Indes. Nous retenons

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

PÊRO DA COVILHÃ
& AFONSO DE PAIVA
Archipel Barcelone
des Açores LISBONNE LISBONNE (ESP.) Naples
(POR.)
DC1 : 1482-1483 1487 (ITALIE)
Rhodes (GRÈCE)
DC2 : 1485-1486 Valence
BD : août 1487/déc. 1488 (ESP.) Suez (ÉGY.)
Îles Canaries Alexandrie
(ESP.) (ÉGY.)
Le Caire
Tropique Tropique (ÉGY.)
du Cancer CAP- du Cancer Aden 1489-
VERT 1488 (YÉMEN) 1490 ✝
1er Padrão PÊRO DA
COVILHÃ 1488-
1483
Équateur Équateur ABYSSINIE 1530 ✝?
Embouchure du fleuve Congo
SAO TOMÉ- Chutes du Ielala
ET-PRINCIPE D. CÃO AFONSO
nov.1485
Voyage1 Voyage2 DE PAIVA
2e Padrão Cap Ste-Marie (ANG.)
Tropique 1483 Tropique
3e Padrão
Cape Cross (NAM.) B. DIAS
du Capricorne du Capricorne
1485 ? (NAMIBIE) déc.1487 Aller Retour
(AF.SUD)
3 2 1 Baie d’Algoa
Point extrême atteint
= Baie d’Algoa (1) ;
DIOGO CÃO PÊRO DA COVILHÃ
Cap des Aiguilles
Caps des Aiguilles (2)
Cap de Bonne
Espérance et de B. Espérance (3)
découverts au retour

& BARTOLOMEU DIAS © FT 2012


& AFONSO DE PAIVA © FT 2012

Archipel Archipel
des Açores LISBONNE des Açores LISBONNE
(POR.) (POR.)
Dép. juill. 1497 Dép. 9 mars 1500
Ret. sept. 1499 Ret. 21 juillet 1501 Massacre
Îles Îles de Calicut
Canaries Canaries
(ESP.) (ESP.)
17 déc. 1500
Tropique Tropique
du Cancer CAP- août 1498 Goa du Cancer CAP- Beseguishe Cananor
VERT Calicut VERT 1488
(SÉN.) Calicut
(INDE) 22 mars 2 juin 1501 Cochin
mai 1498 1500 2 août 1500 (INDE)
Malindi Malindi
Équateur
(KENYA)
Équateur (KENYA) 24 déc.1500
Mombasa 16 jan. 1501
Quiloa (MOZ.)
(KENYA)
Porto
Île de Mozambique Seguro Île de Mozambique
(BRÉSIL)
Tropique Sofala (MOZ.) Tropique 24 avril 1500 Sofala
du Capricorne
ALLER du Capricorne (MOZ.)
ALLER
Cap de Bonne RETOUR RETOUR
Espérance
Île de (Af. du Sud)
Ste-Hélène Naufrage et 22 mai Calicut > Kozhikode auj.
1501
✝ de B. Dias Beseguishe > Dakar auj.

PEDRO
(RU) nov.
1497 29 mars 1500

VASCO DA GAMA ÁLVARES CABRAL Bartolomeu Dias


accompagné de accompagné de
Bartolomeu Dias © FT 2012 © FT 2012

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Au plan local, la présence en Afrique Le dispositif littoral portugais au Les (anciennes) colonies portugaises. Le Portugal
est un petit pays qui, dans le cours de l’histoire,
du Nord fut drastiquement limitée Maroc était constitué de ports qui ne s’est trouvé à la tête d’un très vaste empire colo-
lorsqu’en 1578 Sébastien Ier (Dom développèrent que très rarement des nial. L’ouverture de l’expérience lusitanienne extra-
Sebastião I), roi du Portugal, perdit relations stables avec l’arrière-pays. européenne commence en 1415 et se termine avec
la rétrocession de Macao à la Chine, fin 1999. Dans
la vie au cours de la fameuse bataille Ce dispositif fonctionna toujours de un premier temps, l’empire vise en priorité l’Afrique
des Trois Rois (également connue façon autonome, lié à Lisbonne plus du Nord et l’Inde, qui pilote les commerces dans
come bataille de l’oued Al-Makhazin, qu’à son voisinage immédiat. L’évo- l’Océan Indien. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, c’est
le Brésil qui polarise les attentions de la Couronne
du nom de la rivière sur les rives de lution du dispositif fut presque tota- pour terminer avec la déclaration d’indépendance
laquelle se déroula la bataille mais lement séparée de celle des places en 1822. C’est à ce moment-là, et jusqu’à la Révolu-
aussi comme bataille de Ksar el fortes littorales qui, de fait, fonction- tion du 25 avril 1974, que l’Afrique sub-saharienne
Kebir - Alcazar-Quivir en portugais nèrent toujours comme des entités prend le relais.

- la ville la plus proche). La défaite extérieures autonomes et distinctes.


marqua la fin des tentatives lusita-
niennes d’implantation au Maroc.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

354 ans de présence - Trois siècles et demi d’histoire

Frise avec les dates de présence portugaises dans


les villes d’Afrique du Nord La constitution du protec- En 1504, le roi Manuel Ier (Dom
Manuel I) renouvelle le traité d’allé-
torat : 1415 à 1541 geance conclu entre son prédéces-
Pendant la période d’occupation en seur Jean II (Dom João II) et le caïd
Afrique du Nord, le Portugal poursuit L’occupation portugaise commence de Safi :
deux stratégies d’intervention. La par une forte volonté d’instaurer
première, de 1415 à 1541, vise à ins- un protectorat africain, à travers la “Dom Manuell, per graça de Deos
taurer un contrôle territorial par le constitution d’entités territoriales rey de Purtuguall e dos Allguarves
biais de deux protectorats, un dans mixtes, dirigées par des représen- d’aaquem e d’aalem mar em Affrica,
la péninsule tingitane et l’autre, plus tants de la couronne portugaise en senhor de Guinee, e da comquista,
au sud et dont le noyau sera la ville concertation avec des notables lo- navegaçam e comercio d’Etiopia,
de Safi. caux. Quelques-uns des pouvoirs ci- Arabia, Perssia e Imdia, a quamtos
vils sont transférés in situ alors que esta nossa carta virem, ffazemos
Au cours de la seconde, de 1542 à la stipulation d’une série de contrats saber que Abderramam, alcaide
1769, le périmètre d’action se réduit d’assujettissement de cheikhs lo- da nossa cidade de Çaffy, ..... vos
et finit par se limiter aux dépen- caux au roi du Portugal légitime fazemos saber que, tamto que el
dances directes des remparts d’El l’action de ce dernier. rey Dom Joham, meu senhor - cuja
Jadida. C’est pendant cette seconde Les vestiges de cette politique se alma Deos aja - finou, fomos loguo
période qu’est organisée l’expédi- reconnaissent dans la cathédrale de em lembramça do amor e boa vom-
tion royale menée par Dom Sébas- Safi, dans la tour de Menagem à Asi- tade que elle tinha a essa cidade e
tien, brusquement interrompue par lah et dans le palais du gouverneur do comtrauto que sobre ello com
une dure défaite militaire le 4 août d’Azemmour, des édifices destinés o alcaide da dita cidade e covosco
1578 au cours de laquelle le jeune à l’administration des compétences fez. ...... E, porque pareceo que era
roi trouvera la mort. transférées par la métropole.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

354 ans de présence - Trois siècles et demi d’histoire


bem de sobre ello vos tornarmos Après s’être implantés sur quatre Poursuivant leur politique expan-
a escrepver, pera vos lembrarmos sites de la péninsule tingitane (Asi- sionniste vers l’Atlantique méri-
esta coussa e vos fazermos saber lah, Ceuta, Ksar Seghir et Tanger), dional, les Portugais décidèrent
nossa vomtade, mamdamos fazer les Portugais placèrent sous pro- d’installer un protectorat le long
esta, pella quall vos notificamos o tectorat la ville d’Azemmour qui ne du littoral, avant l’espace saharien.
amor e boa vomdade, mamdamos fut pas conquise par la force mais à La localisation de la capitale tint
fazer esta, pella quall vos notifica- travers un acte d’allégeance. compte de l’importance et de la di-
mos o amor e boa vomtade que a mension des villes existantes et le
toddos teemos e como queremos Initialement, une feitoria (terme in- choix se fixa sur Safi.
comvosco estar nos propios aponta- diquant une sorte de comptoir com-
mentos do dicto comtrauto que com mercial) fut installée. Elle était des- Le gouverneur du futur protec-
o dicto alcyde e comvosco fez o dicto tinée au contrôle économique de la torat y avait sa résidence tout
rey meu primo; e assy o mamdar- ville dont les habitants furent ensuite comme l’évêque nommé par le pape
mos comprir e quardar com aquelas considérés comme sujets portugais, Alexandre VI le 17 juin 1499. Le 23
homrras, graças, privillegios nelle comme l’indique le contrat du 3 juil- août 1499, ce même pape accordait
comtheudas“ (de Cenival, 1934). let 1486 intitulé “Comtrauto sobre au roi du Portugal le droit de patro-
e senhorio d’Azamor, feito amtre el nage dans toutes les églises établies
Le cas d’Asilah illustre de façon Rey e o povos dos Mauros da dita ou à établir en territoire musulman.
exemplaire cette période : sa cidade“. Ce contrat établissait qu’à En 1514, une bulle émise par le pape
conquête en 1471 fut reconnue par partir de 1488 les tribus de la Ré- Léon X confirmait le choix de son
le sultan Wattasside par un contrat publique d’Azemmour se seraient prédécesseur.
vicennal. Quatre décennies plus tard, soumises au roi Jean III (João III),
Diogo Boytac, l’architecte de la cour qu’elles le reconnaîtraient comme L’année 1515 connut la plus forte
fut chargé d’ériger une tour qu’il leur seigneur et, entre autres condi- expansion : les capitaines alliés de
réalisa plus soucieux des exigences tions, elles s’engageaient à payer un Safi, Azemmour et Mazagan arri-
de gestion symbolique de la place tribut annuel de 10.000 aloses. vèrent même à attaquer la ville de
que des impératifs purement mili- Marrakech ; ils l’assiégèrent mais
taires. “... Boytac realizou em Arzila Mais en 1513 une flotte portugaise n’arrivèrent ni à la conquérir ni,
... e torre de menagem de carácter envahit la ville et la vida de ses habi- comme ils en avaient probablement
quase feudal ...“ (Moreira, 1992). tants. Des travaux de renforcement l’intention, à la saccager.
et de modernisation des fortifica-
Excessif pour des fins militaires et tions furent immédiatement entre- Safi et Azemmour étaient difficiles à
surtout techniquement dépassé, son pris. Dirigés par les frères Diogo et défendre. Leurs ports n’étaient pas
volume révèle que cette tour devait Francisco de Arruda - ingénieurs adaptés aux besoins maritimes et
être davantage une manifestation de militaires très célèbres de l’époque les ressources portugaises ne pou-
la présence de la maison royale de - les travaux portèrent sur la réali- vaient financer les modifications
Portugal qu’une structure défensive, sation d’un atalho, une citadelle à indispensables pour faire front aux
rôle des autres fortifications réali- l’intérieur des murs d’enceinte, dans risques de guerre de plus en plus
sées selon les derniers progrès de la partie donnant vers l’océan. pressants.
la technique militaire.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

354 ans de présence - Trois siècles et demi d’histoire


Au fil du temps la pression locale terie diminuait grâce aux nouvelles transformation eut lieu lorsque,
augmentait et, pour répondre à ces routes empruntées qui privilégiaient suite à la modification des condi-
adversités, le roi Jean III (João III) les îles de Madère et du Cap Vert. tions militaires, le port de Mazagan
décida de réduire la présence de fut choisi pour y ériger une fortaleza
la couronne portugaise et d’aban- “Les forteresses du Nord de l’Afrique roqueira, qui désigne les premières
donner quelques places ; en 1532 il n’avaient aucune utilité pour le Por- fortifications à remparts de la Re-
demanda au pape la permission de tugal, rendaient peu et coûtaient naissance.
retirer ses garnisons d’Azemmour et très cher. Il fallait tout importer de
de Safi et de faire rentrer leurs habi- la métropole ou des autres colonies. L’objectif était de construire une
tants au Portugal. Leur maintien était plus une ques- fortification moderne, “à semel-
tion de tradition et de prestige que hança das que se fazem em Itália“
L’autorisation lui fut accordée par la de stratégie et de politique effective“ (ressemblante à celles réalisées
bulle Licet Apostolicæ Sedis du 8 no- (de Oliveira Marques, 1998). en Italie - Carabelli, 1999 et Morei-
vembre 1541 mais ces villes étaient ra, 2001) ; une machine de guerre
déjà tombées aux mains ennemies. inexpugnable, conçue et réalisée
Le retranchement : par Benedetto da Ravenna[2], ingé-
La dynastie Saadienne conquit nieur militaire en chef du royaume
presque toutes les enclaves portu- 1542 à 1769 d’Espagne qui travaillait à l’époque
gaises, même dans le nord du pays à Gibraltar.
où elle arriva à prendre Asilah en La seconde forme d’occupation por-
1550. Celle-ci redevint vassale ibé- tugaise (1542-1769) est une sorte de Réalisée entre 1514 et 1542, la
rique entre 1577 et 1589 date à la- retranchement autour de la dernière construction de la forteresse repré-
quelle elle fut définitivement aban- enclave de Mazagan/El Jadida, si- senta un effort énorme, géré sur le
donnée. tuée dans une vaste baie qui consti- terrain par Miguel de Arruda, le pre-
tue un excellent mouillage, à une mier à pouvoir revendiquer le titre
La série d’avant-postes formait une centaine de kilomètres au sud de d’ingénieur militaire du royaume
structure réticulaire dont l’arrière- Casablanca. portugais. La construction de Maza-
pays connectif était l’océan ; la perte gan - qui correspond aujourd’hui
de plusieurs des comptoirs jalonnant Ce site est déjà mentionné aux au quartier intra-muros d’El Jadida
la côte et la découverte de routes époques phénicienne et romaine ; - fut le dernier acte d’implantation
océaniques plus intéressantes et les Portugais réalisèrent une tour portugaise en Afrique du Nord.
plus rentables modifia profondé- côtière en 1503 (la tour El Boreja),
ment les politiques portugaises. autour de laquelle fut édifié, en 1514,
le nouveau Castelo Reál. [2] La conception de cette forteresse a été pendant
Les nouvelles voies maritimes ré- longtemps attribué à Francisco da Hollanda, alors
cemment ouvertes offraient à la cou- Initialement, comme cela semble que l’attribution à Benedetto da Ravenna est plus
récente. Dernièrement, l’historien Rafael Moreira,
ronne lusitanienne des avantages naturel, Mazagan dépendait de la qui avait tranché sur la question avec sa publication
bien supérieurs dans d’autres lieux ville d’Azemmour et elles avaient de 2001, revient sur ses pas pour reproposer l’attri-
du vaste empire ; le besoin même de toutes deux comme point de réfé- bution à Francisco de Hollanda. Pour le moment,
donc, l’attribution de paternité est à considérer
protection contre les actes de pira- rence la puissante cité de Safi. La comme non certaine à 100%.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

354 ans de présence - Trois siècles et demi d’histoire


Construite suivant les principes du Doukkala. Cette autorisation fut Ksar Seghir - Vue des vestiges de la couraça, de la
ville vers la mer
en cours à la Renaissance, la nou- accordée en 1607 par le roi des deux
velle fortification subit un très vio- États ibériques réunis, Felipe III
lent siège en 1562 et de nombreux (Philippe III, roi d’Espagne) / Felipe II
assauts tout au long de la présence (Philippe II, roi du Portugal).
lusitanienne en territoire marocain. Ce n’est qu’en 1769 après un très
Mais la pression militaire ne gênait long siège et un traité de reddi-
pas le commerce comme le montre tion conditionnée que les Saadiens
la demande d’autorisation à trans- conquirent la ville et mirent un
former la ville en port franc entre terme à l’expérience portugaise en
la péninsule ibérique et la région Afrique septentrionale.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Le processus de valorisation de l’héritage culturel :


la construction du fait patrimonial
Le patrimoine d’origine lusitanienne tisser des liens avec le passé et inté- biotiques de la période coloniale
est morphologiquement différent du grer l’héritage bâti. C’est un acte qui moderne et le caractère de ces no-
patrimoine d’origine locale et de ce vise à rendre contemporain - donc tions porte en lui un grand nombre
fait sa reconversion implique des vivant - une période du passé, une de thèmes culturels liés à la protec-
procédures et des actions spéci- série d’objets voués à l’abandon. tion de l’identité, aux revendications
fiques. De la prise de Ceuta à l’aban- L’ancienneté des vestiges - qui sont territoriales et culturelles, au métis-
don de Mazagan (Mazagão), les rela- coloniaux mais remontent à une pé- sage culturel, à l’indépendance des
tions entre Portugal et Maroc ont été riode précédant celle de la colonisa- peuples et à leur autonomie…
caractérisées par des situations de tion récente - et leur caractère allo- La politique marocaine de sauvegarde
conflit qui interdisent toute fusion gène placent l’héritage architectural et de reconversion du patrimoine his-
entre la mémoire lusitanienne et et urbain portugais dans un espace torique a poursuivi les activités et les
l’histoire du peuple marocain. mental autonome. Un espace qui pos- choix mis en œuvre en situation colo-
Compte tenu de ces spécificités, le sède son indépendance spécifique et niale. Elle respecte les dispositions lé-
processus de valorisation des ves- n’interfère ni avec l’espace mental de gislatives et les réglementations éta-
tiges lusitaniens est une démarche la colonisation du XXéme siècle, ni avec blies entre 1912 et 1956, bien qu’elles
particulièrement intéressante qui les grandes narrations de la constitu- s’inscrivent dans la droite ligne du
permet d’observer l’évolution du fait tion de la nation marocaine. droit administratif français.
patrimonial. Elle permet également La réglementation propre à la re- Une grande partie des “objets“ por-
de voir comment sa “conquête“ - connaissance et à la sauvegarde du tugais a été intégrée au patrimoine
suite à son “invention“ - en permet patrimoine bâti fut introduite lors de formel et officiel du Maroc dès l’éta-
l’intégration active au sein de l’es- la toute première période du protec- blissement du protectorat, quoique
pace contemporain. torat. À l’instigation du commissaire rarement à travers des activités ca-
Pour pouvoir établir un lien immé- résident de la République française pables de le rendre “actif“.
diat avec les vestiges et pouvoir les au Maroc, le général Lyautey, le 1er Ce n’est qu’avec le développement
utiliser directement, ces derniers novembre 1912 le sultan Moulay récent et l’intensification de l’ouver-
doivent être supportés par un acte Youssef émit un décret (dahir) qui ture au tourisme que cet héritage
d’invention fonctionnelle (l’invention étendait les servitudes militaires spécifique est pris en considération.
patrimoniale peut être une fonc- aux remparts anciens et à de nom- Initialement, d’une manière quelque
tion légitime) ; en cas contraire, les breux autres édifices monumentaux. peu “ingénue“, suivant une interpré-
vestiges ne peuvent être utilisés Le 26 novembre de la même année, le tation très approximative des carac-
que comme un habitat informel, un général Lyautey plaça la totalité des téristiques des “objets“ portugais et
bidonville en maçonnerie au centre monuments du pays sous le contrôle avec leur intégration et leur traite-
de la ville. L’invention d’une activité du Makhzen et deux jours plus tard ment selon les standards admis pour
pour ces vestiges, la raison de pé- un service autonome de protection les “remparts“, avec les colorations
renniser leur existence et leur offrir du patrimoine fut institué : le Ser- s’y rapportant (au Maroc, les rem-
un statut patrimonial est un artifice vice des Antiquités, Beaux-arts et parts par antonomase sont ceux de
de l’époque contemporaine visant à Monuments Historiques. Marrakech et de Rabat. Ils sont donc
Le développement de la notion de “ocre“ comme la terre contrairement
Asilah - vue du front mer de la ville, prise de la cou-
raça, on peut remarquer la tour des Moines, sur le patrimoine culturel, à l’instar de sa aux remparts portugais qui sont par-
fond la jetée du port contemporain. sauvegarde, sont des entités sym- fois blanchis à la chaux).

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Le processus de valorisation de l’héritage culturel :


la construction du fait patrimonial
La vision de plus en plus commerciale Un tremplin privé en faveur Conscients des capacités écono-
du binôme tourisme/patrimoine n’est miques de leur ville et du contexte
pas un fait purement marocain et, du développement local marocain, après une analyse digne de
comme le souligne Françoise Choay : la realpolitik la plus clairvoyante, les
“Notre patrimoine doit se vendre et La petite ville d’Asilah est située sur élus locaux constatèrent que celle-ci
se promouvoir avec les mêmes argu- l’océan Atlantique, à une quaran- ne disposait pas d’éléments phares
ments et les mêmes techniques que taine de kilomètres au sud de Tanger pouvant fournir l’élan nécessaire au
ceux qui ont fait le succès des parcs dont elle est aujourd’hui l’une des développement local. Ils décidèrent
d’attraction“. Dans le même texte, cités satellites. Entre 1912 et 1956, d’introduire un artifice immatériel
l’autrice cite une déclaration du Mi- elle fut placée sous protectorat es- susceptible d’imprimer l’impulsion
nistre français du Tourisme le 9 sep- pagnol et jusqu’aux années 1970 elle indispensable au décollage.
tembre 1986, faisant écho à l’un de vécut comme un peu “engourdie“. Ils ont donc planifié scientifique-
ses collaborateurs qui affirme qu’il Ses activités économiques étaient ment l’introduction sur le marché du
faut “passer du centre ancien comme centrées sur une flottille de pêche et potentiel patrimonial de la ville, un
prétexte au centre ancien comme sur un tourisme estival, modeste et véritable investissement sur le long
produit“ (Choay, 1992). familial. terme. Cette logique de valorisation
Ce type de vision conduit à une ap- du patrimoine était encore incon-
proche théâtrale standardisée qui, Son histoire récente aurait pu res- nue au Maroc et il est incontestable
dans le cas qui nous occupe, ne sembler à celle de bon nombre de que leur capacité à gérer une vision
peut être appliqué compte tenu de petites villes du sud méditerra- conceptuelle à si longue échéance
la différence et de la spécificité du néen, en constante transformation est tout à fait remarquable.
patrimoine luso-marocain. Parallè- et exposée à un risque systéma- Parmi les principaux acteurs deux
lement à des opérations simplistes, tique d’appauvrissement pouvant personnages en particulier se dis-
des cas de sauvegarde et de préser- conduire à une croissance désor- tinguent - du moins symbolique-
vation particulièrement intéressants donnée et à une dévaluation de ses ment - et pilotent la principale trans-
ont été développés. qualités esthétiques traditionnelles. formation de la ville, notamment
Deux de ces cas sont particulièrement En revanche, la mise en place d’une la création d’un festival artistique
significatifs parce qu’ils mettent en stratégie de développement à long international basé sur le chant et les
valeur le patrimoine luso-marocain, terme a permis de la transformer arts picturaux et plastiques. Il s’agit
permettant simultanément de valori- en un site privilégié, capable d’atti- de deux notables locaux, représen-
ser leurs villes ; il s’agit de la restau- rer de nouveaux habitants, de nom- tant les plus puissantes familles
ration et de la couverture d’une tour à breuses résidences secondaires et de la région et membres de l’élite
Asilah et de la valorisation du quartier un flux considérable de touristes économique et culturelle du pays :
portugais d’El Jadida. Deux opéra- marocains et étrangers. M. Ben Aïssa, figure institutionnelle
tions dont la réalisation a fait appel à Pour engager un processus de déve- (ancien ministre de la Culture puis
des procédés totalement différents : loppement, la ville devait trouver un des Affaires étrangères, ancien am-
la première est directement liée à une tremplin capable de provoquer le dé- bassadeur aux États-Unis et ancien
structure “non gouvernementale“ et clic : un artifice, une différence, un maire de la ville), et M. Melehi, figure
touristique et la seconde à une struc- événement extraordinaire pouvant artistique et grand organisateur
ture scientifique et institutionnelle. servir de catalyseur. d’événements culturels.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Le processus de valorisation de l’héritage culturel :


la construction du fait patrimonial
M. Ben Aïssa est expert des poli- développement, il fallait qu’elle soit Visibles de toutes parts, les rem-
tiques publiques et des outils qu’elles étayée et consolidée par des opé- parts transmettent une image forte
peuvent mettre à disposition pour rations plus matérielles et mieux et caractéristique de la ville. Leur
soutenir une activité locale et, en appréhendables ; il était indispen- périmètre est quasiment intact et à
1972, il constitue l’association Al Mu- sable d’en rendre l’exploitation plus leur aspect spectaculaire s’ajoutent
hit qui - sous sa présidence - conçoit simple et plus directe, il fallait as- un petit mais pittoresque marabout,
et gère le Festival International seoir la transformation par un acte le palais Raïssouli et aujourd’hui,
d’Asilah, l’étincelle qui alluma les ac- d’appartenance territoriale. après la reconstruction du dernier
tivités locales, comme il le confirme étage, la silhouette de la tour de
lui-même : “Il y a vingt-cinq ans [sic, Il était essentiel de communiquer la Menagem.
la 25e édition en 2003 est à 31 ans de puissance de l’action de développe- La ville possède un centre historique
la fondation], c’était la naissance du ment culturel et de consolider “défi- suffisamment compact pour pouvoir
projet artistique et culturel d’Assilah nitivement“ la transformation, de la être maîtrisé par l’administration
connu par la suite sous le nom du rendre constamment visible, appré- publique et parfaitement appréhen-
Festival Culturel International d’Assi- hendable, clairement rentable. dé par le touriste mais suffisamment
lah. C’était le début, le tout début. Le Pour ce faire, une stratégie fondée grand pour offrir un stock d’imagi-
début de toutes choses dans la ville sur la valorisation de l’environne- naire utilisable au plan touristique.
: tous les services, infrastructures et ment bâti ordinaire et monumental
installations. La ville en avait cruel- fut mise en œuvre afin de matéria- La reconstruction de la tour
lement besoin. (…) Nous avions créé liser cette transformation. L’opéra- “de Menagem“ comme consolida-
l’Association Culturelle Al Mouhit qui tion fut possible grâce à la présence tion d’une stratégie active.
était la première organisation non d’un quartier intra-muros poten-
gouvernementale dans notre pays“ tiellement valorisable où l’on note L’héritage matériel était en mesure
(Ben Aïssa, in Association Culturelle aujourd’hui encore les traces de la de servir de catalyseur symbolique
Al-Mouhit, 2003). longue présence portugaise, dans du développement de toute la ville
le tracé et dans les dimensions des et la tour de Menagem - également
Le festival - qui se déroule tous les rues et de la place qui fut le Ter- connue sous le nom de tour “El
ans au mois d’août - a eu et continue reiro[3], jusqu’à cette époque siège Kamra“ - pouvait constituer l’objet
d’avoir beaucoup de succès, offrant du marché donc animée et connue. iconique recherché.
une belle vitrine à la ville, surtout A ce patrimoine ordinaire s’ajoute le Au moment de sa réalisation, cette
les premières années lorsque les patrimoine monumental des anciens tour, datant de la période médiévale
ouvertures internationales du pays remparts portugais qui ceinturent la finissante, n’avait pas une fonction
étaient extrêmement limitées. médina. militaire de premier ordre ; elle était
Malgré ce succès, le festival n’en est plutôt destinée à véhiculer l’image
pas moins une activité éphémère, du pouvoir local et du roi de Portu-
capable de donner une forte visibi- [3] Terreiro est le terme portugais indiquant gal, Dom Manuel I. Esthétiquement
lité immatérielle mais non pas de l’esplanade qui s’étend immédiatement devant un puissante, située entre le port et la
consolider le développement glo- édifice - une ferme, une fortification, un site de
vieille ville, visible de toutes parts,
production - et qui devient, dans le monde moderne,
bal réel de la ville. Pour que l’action une place. Voir “Terreiro do Paço“ à Lisbonne. Cf. Un de la ville comme de la plage elle
culturelle puisse être le moteur du “semblant“ de glossaire.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Le processus de valorisation de l’héritage culturel :


la construction du fait patrimonial
pouvait, à juste titre, incarner l’élé- trepris avec la création du festival se Le président de la République portu-
ment de communication recherché. perpétue aujourd’hui encore. Ceci, gaise, M. Mario Soares commente et
Une opération de coopération grâce à l’installation d’étrangers et confirme que “Le Maroc et le Portu-
aussi intéressante que fructueuse de Marocains aisés qui - contrai- gal sont liés par une amitié multisé-
fut organisée entre l’Association rement à ce qui s’est produit dans culaire, elle-même construite par un
Culturelle Al Mouhit d’Asilah et la d’autres villes d’Afrique du Nord - voisinage géographique, une relation
Fundação Calouste Gulbenkian de commencèrent dès la fin des années historique et un dialogue culturel“ et
Lisbonne. La première eut l’idée de 1970 à investir le quartier ancien affirme le rôle de support matériel
faire appel à la fondation portugaise, comme lieu de résidence. d’un bien patrimonial partagé dans
qui avait déjà travaillé au Maroc, à Il est bien difficile d’établir avec pré- le monde contemporain : “Le nou-
Cap Bojador, et possédait une ligne cision le poids réel de la composante veau monde multipolaire exige, des
de financement dédiée à la recon- culturelle donc de la composante pays et des peuples, le renforcement
version et à la valorisation des biens patrimoniale portugaise. Il semble des formes de coopération et l’affir-
patrimoniaux expression de l’expan- cependant que les transformations mation des zones géographiques
sion portugaise dans le monde. réalisées au cours des deux der- d’un grand intérêt stratégique (...).
La fondation Gulbenkian finança la nières décennies ne sont pas liées L’inauguration du donjon d’Asilah a
plus grande partie de la restauration uniquement à une simple et “inex- été un acte de confirmation de cette
de la tour et de sa couverture, activi- plicable“ explosion immobilière. volonté universelle“ (Soares, Fond.
tés qui s’achevèrent par son inaugu- L’action de ces “acteurs privés“ a Gulbenkian, 1995).
ration officielle fin 1994. sans conteste le mérite d’être l’in- La publication qui regroupe les in-
Très loin des chartes patrimoniales tervention la plus spectaculaire sur terventions et présente la tour com-
internationales en matière de res- l’héritage luso-marocain. Le rôle de prend également un texte de l’ancien
tauration, le style choisi est digne la tour de Menagem comme cataly- roi di Maroc, Hassan II, qui renvoie
des dessins animés de “Walt Disney“ seur des récits liés aux faits patrimo- à l’esprit de l’échange internatio-
mais il est en mesure de devenir une niaux de la ville fut expliqué à l’occa- nal : “En effet, ce sont surtout nos
formidable icône et il est sans aucun sion de son inauguration. Le mythe villes situées au bord de l’Océan,
doute représentatif de la puissance de l’universalisme de la culture et comme Qsar es-Sghir, Assilah, La-
des “pères reconstructeurs“. de l’ouverture internationale se re- rache, Safi, El Jadida, Azemmour et
La tour incarne donc l’effort de mo- trouve dans quelques passages des Essaouira, qui portent la marque de
dernisation de la ville ; elle est le discours officiels de l’inauguration. ces échanges et qui distinguent, si
symbole capable de la diversifier et M. Ben Aïssa présente l’opération on sait méditer, l’esprit de tolérance,
de la caractériser. Elle permet de la menée par des entités des deux pays : d’espérance et d’amitié“.
reconnaître et de valoriser la nou- “Vous voilà donc parmi nous, M. le Certes, ce genre de manifestation ne
velle territorialisation de la ville, tant Président [de la République Portu- peut être l’occasion de rappeler les
par rapport à sa partie intra-muros gaise, ndr], pour inaugurer le donjon incidents et les tensions entre les
que par rapport à son front de mer. enfin restauré grâce au concours de États ; elles servent au contraire à
Petit à petit, les édifices du quartier la Fondation Gulbenkian et l’asso- exalter les moments plus fructueux
intra-muros sont restaurés et adap- ciation culturelle Al-Mouhit que j’ai et pacifiques. La démarche de valo-
tés à la nouvelle vie de la petite ville l’honneur de présider“ (Ben Aïssa, risation du patrimoine portugais et
dont le processus de valorisation en- Fond. Gulbenkian, 1995). marocain commun sert, dans un

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Le processus de valorisation de l’héritage culturel :


la construction du fait patrimonial
contexte de paix et d’échange, la vo- mour. La tour est devenue la pièce téristiques différentes : les remparts
lonté de développement, également maîtresse de l’ensemble du patri- de type renaissance, aujourd’hui
et peut-être surtout, touristique. moine historique de la ville, objet quasiment intègres, constituent l’un
La rénovation de la tour conjugue de contemplation et sujet photogra- des points forts de l’attrait touris-
activités culturelles immatérielles phique ; c’est un bien patrimonial tique de la ville.
et activités matérielles. Elle est un parfait pour représenter la ville. A l’intérieur des murs, un quartier
signe fort et tangible qui permet de plutôt homogène et unitaire qui
rendre visible une nouvelle phase Les acteurs publics du porte deux noms : un nom correct
de la ville, phase qui était déjà opé- et formel - cité portugaise - et “Mel-
rationnelle mais encore quasiment patrimoine et l’impact lah“, ghetto juif. Ce dernier rappe-
invisible. local. lant son histoire récente, lorsqu’elle
était habitée par la communauté
Le secteur touristique est certaine- Le cas d’El Jadida est assez diffé- israélienne d’Azemmour qui avait
ment celui qui tire le plus avantage rent. Deux stratégies de valorisation colonisé la ville après un siècle
de la valorisation du patrimoine lo- des vestiges portugais ont été défi- d’abandon.
cal et, au fil des décennies, la quan- nies. L’une, élaborée au cours des
tité et la richesse de sa proposition années 1980 fut à l’époque pilotée La stratégie des travaux entrepris
touristique augmentent comme le par le gouverneur de la région du dans les années 1980 consistait à
notait M. Mohamed Berriane - pro- Doukkala ; l’autre, à cheval entre opérer une sorte de mise en scène
fesseur expert en dynamiques tou- les deux siècles, fut conduite par le du cône optique de la rue principale
ristiques au Maroc - au début des Centre d’Etudes Maroco-Lusitanien. qui, de la porte principale conduit à
années 1990 : “Que ce soit la profon- La première consistait principale- la porte de la mer. Outre le crépis-
deur historique ou la vie quotidienne ment en une spectacularisation de sage homogène des façades et la
d’aujourd’hui qu’abrite la médina, l’héritage portugais avec l’idée, plus démolition du passage aérien reliant
l’une des mieux conservées, ou, en- ou moins explicite, de s’appuyer sur l’église et le presbytère, l’opération
fin, l’animation culturelle entretenue le patrimoine bâti pour développer a consisté à raser les édifices rési-
par ses habitants et ses élus, tout un tourisme principalement “tou- dentiels situés près de la citerne et à
cela constitue une sérieuse base ristique“. A ces fins, plusieurs quar- reconstruire ex-nihilo une des tours
pour un produit touristique diversi- tiers de la ville furent “embellis“. qui, entre-temps avait été démolie.
fié, de plus en plus recherché au- La seconde fut menée à plus grande
jourd’hui aussi bien par le tourisme échelle - au moins nationale - et elle Au fond de la rue principale, vers
d’élite que par le tourisme de masse pointait davantage sur la “culture“, l’océan, fut construit un mur-écran
qui montre des signes de lassitude plus attentive aux variables histo- destiné à cacher le “misérable“ four
vis-à-vis du produit exclusivement riques et aux spécificités des biens qui en bouchait la perspective. Les
balnéaire“ (Berriane, 1994). patrimoniaux pris en considération. rues principales furent pavées de
Le quartier intra-muros de la ville grandes plaques de pierres alors
L’utilisation du catalyseur patrimo- d’El Jadida a une histoire différente que les restes abandonnés des
nial à Asilah fut un moteur pour le de celle de tous les autres places constructions mineures furent rasés
Maroc. Il fut ensuite proposé, par fortes maghrébines donc des carac- au sol qui fut ensuite bétonné.
exemple à Essaouira et à Azem-

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Le processus de valorisation de l’héritage culturel :


la construction du fait patrimonial
Le tout - édifices monumentaux ressort de l’entretien de sa première La première tentative d’inscription
internes, ensemble des remparts directrice, Mme Bujibar El Kha- a été refusée à cause du manque de
renaissance et cône optique de la tib avec M. Zurfluh, journaliste au coordination de l’organisation terri-
rue centrale - fut ensuite peint d’une Matin Magazine “car il ne suffit pas toriale du quartier avec le reste de la
couleur ocre pour rappeler le sté- de restaurer, il faut aussi réhabiliter ville comme on peut le lire dans le
réotype des murs en terre des villes ces monuments, les faire revivre“ compte rendu officiel :
marocaines (Marrakech et Rabat (Zurfluh, 1994), un large espace est
principalement), consacré à la collaboration interna- “The redefinition of the nominated
tionale, base de l’activité culturelle site so as to include the whole area
Une dynamique internationale du centre. of the defensive system, the exten-
“cultivée“ succède à une dyna- Contrairement aux activités de res- sion of the buffer zone, the com-
mique hyper locale tauration précédentes, dont la naï- pletion and implementation of the
veté était probablement le fait d’ac- management plan and conservation
En 1994 un nouvel acteur patrimo- teurs dépourvus des compétences guidelines for the nominated site,
nial est né : le Centre d’Etudes et nécessaires, les chantiers pilotés and the establishment of planning
de Recherches Maroco-Lusitanien par le Centre sont bien structurés et control for the surrounding area,
(CEML). Cette institution dépend du la conception opérationnelle a sen- including the clarification of the im-
Ministère de la Culture et elle a été siblement élevé la qualité des tra- pact of proposed new development
créée en collaboration avec l’État vaux et assure une intégration éle- near the fortification“ (Unesco world
portugais. Son siège se trouve à El vée avec les acteurs locaux. heritage convention, 2002, 23).
Jadida. Après le nettoyage du toit de la ci-
Le CEML est le bras opérationnel de terne, le CEML a mis en sécurité Au cours de la session suivante -
la volonté officielle de valorisation l’ancienne chapelle Saint- Sébastien après résolution des critiques sou-
du patrimoine lusitanien au Maroc ; et s’est chargé des fouilles archéo- levées - le dossier a été approuvé
à ce titre, il s’occupe de toute la mé- logiques dans l’église principale. et depuis 2004, le site est l’un des
moire d’origine portugaise présente A leur issue - en 1999 - il a entre- patrimoines mondiaux reconnus
dans le royaume. pris les travaux de récupération et par l’Unesco sous le nom officiel de
Sa philosophie d’action est conçue de valorisation des salles latérales “ La ville portugaise de Mazagan (El
au plus haut niveau de l’État et réa- de la citerne. Il a également dressé Jadida) “.
lise des restaurations de qualité par- un inventaire organisé et organique Ce résultat est significatif et permet
faitement intégrées à la dialectique des biens existants et du mobilier à la cité portugaise de donner une
internationale sur le patrimoine, retrouvé (canons, fusils et autres forte visibilité à la ville qui souffrait
comme nous avons pu le constater armes) qu’il a stocké. du manque de rattachement à un
à l’occasion de l’inscription de la cité Ces activités généralisées se sont noyau historique.
portugaise sur la liste du patrimoine organisées autour de la préparation
mondial de l’Unesco. d’un dossier d’inscription de la cité El Jadida / Mazagão - Vue du port avec l’église de
Saint Sébastien sur le fond. A la gauche on peut
Les missions du Centre sont de res- portugaise sur la liste du patrimoine voir l’actuelle porte de la mer, en face, plus petite
taurer mais aussi et surtout de dy- mondial, dossier en grande partie et bien protégé par la couraça, on voit l’ancienne
namiser la vie des vestiges comme il réalisé par le Centre Maroco-Lusi- porte, qui donne actuellement sur un four à pain.
tanien.

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Les installations dans la péninsule tingitane


La péninsule tingitane est une langue C’est par la péninsule tingitane que sa fonction militaire et aujourd’hui
de terre africaine pointée vers l’Eu- les Portugais ont commencé leur ce patrimoine est utilisé comme at-
rope face au district de Cadix, à son expansion extra européenne en trait touristique.
tour pointé vers le sud, en direction occupant plusieurs villes qu’ils ont La zone est actuellement en pleine
de l’Afrique. Ils forment quasiment modifiées afin de les adapter à leurs transformation, à cause principale-
un pont entre les deux continents exigences militaires et commer- ment du gigantesque projet du nou-
séparés par le Détroit de Gibraltar ciales. Dans un rayon de moins de veau port de Tanger-Med qui modifie
qui, dans sa partie la plus étroite, ne 50 kilomètres, se trouvent les ves- complètement le rapport de Tanger
mesure que 14 kilomètres. tiges des anciennes places fortes de et de Ksar Seghir à la mer.
Ceuta - ville espagnole depuis 1640
Aujourd’hui, il est très facile de se - Ksar Seghir, Tanger et Asilah.
rendre dans la péninsule tingitane : Ceuta/Sebta (Espagne) -
l’autoroute met Tanger à seulement La couronne lusitaine a donné à la
3 heures et demie de Casablanca et péninsule tingitane le nom d’ “Al- 1415 à 1640
deux heures et demie de la capitale. garve d’outre-mer“, du nom de sa
Avec une heure de plus, les liaisons région la plus méridionale. Ce fai- Points d’interêt remarquables :
ferroviaires nationales relient ces sant, elle l’intégrait en quelque sorte
mêmes villes mais, dans un futur à son territoire national. • Front défensif sur l’isthme - rem-
relativement proche, un TGV maro- Les Portugais rêvaient de constituer parts et bastions sur le canal arti-
cain reliera Tanger à Rabat et Casa- une espèce de protectorat organisé ficiel
blanca en deux heures environ. autour d’un système d’asservisse- • Place d’Afrique (Plaza de Africa)
ment, d’allégeance à Lisbonne.
Depuis l’Europe, la liaison est ex- Ceuta, dont le nom dérive de celui
trêmement simple, avec les ports Aujourd’hui, on y trouve encore un de l’époque romaine, Sebta, fut la
de Tanger et de Ceuta qui offrent grand nombre de vestiges directe- première installation portugaise
de nombreuses traversées quoti- ment rattachés à l’histoire des dif- hors d’Europe. La ville conserve des
diennes. Tanger possède également férentes implantations : des ruines traces archéologiques remontant à
un aéroport international dont le de Ksar Seghir, site archéologique la préhistoire et, avec sa “jumelle“
trafic ne cesse d’augmenter. qui, après un travail consciencieux Gibraltar, elle ferme et contrôle le
Malheureusement, les déplace- de réorganisation et de valorisation détroit éponyme.
ments vers l’est sont moins aisés. a récemment rouvert au public à
Les montagnes du Rif ne possèdent la spectacularisation des vestiges La ville est bâtie sur une étroite
pas d’infrastructures autoroutières d’Asilah. péninsule à l’extrémité de laquelle
ni ferroviaires et les liaisons avec culmine le mont Acho, (Facho pour
Chefchauen, Melilla ou Nador sont La mémoire portugaise de Tanger les Portugais), un point d’observa-
assez difficiles. est estompée par la très forte pré- tion privilégié du détroit. La pénin-
sence historique de la ville alors sule, dont la largeur est extrême-
qu’à Ceuta le patrimoine militaire ment réduite - moins de 300 mètres
Ceuta (Espagne) - Fossé Royal, bastion de la Bande-
ra (du drapeau) et, sur le fond, l’oreillon du bastion
est encore bien présent. Au fil des dans sa partie la plus étroite - abrite
Saint Sébastien. siècles, la ville a en effet maintenu une baie relativement calme.

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Ces caractéristiques facilitent sa protéger le plus possible la liaison Le front actuel, entre les deux
défense et en ont fait un site parti- vers la mer). A la fin du siècle, les grands bastions de la Bandera et
culièrement intéressant au cours murs sont à nouveau consolidés et Saint Sébastien, est extrêmement
des siècles ; le centre ville actuel adaptés aux nouvelles armes pyro- élevé et son action défensive est ren-
se dresse à l’emplacement des ins- techniques mais ce n’est que sous forcée par le percement d’un canal
tallations des Phéniciens, Carthagi- le règne de Dom Manuel I (à cheval artificiel qui transforma Ceuta en île.
nois, Romains, Vandales, Byzantins, entre le XVème et le XVIème siècle) que
Visigots jusqu’aux conquêtes mu- le premier bastion est réalisé pour Un pont routier permet d’admirer
sulmanes et la prise de la ville par protéger la porte de “Almina“ (Porte de près le bastion de la Bandera et
le califat de Damas puis de Cordoue. du port). d’apprécier la géométrie des lignes
défensives : l’embrasure réalisée
Les Almohades s’y installent lors Front défensif sur l’isthme - dans la casemate située derrière
de leur expansion vers l’Espagne remparts et bastions sur le l’orillon du bastion de Saint Sébas-
continentale avant de la céder aux tien vise parfaitement le bastion de
royaumes ibériques : les musul- canal artificiel la Bandera et le dièdre de la contres-
mans d’Al Andalus conservent le carpe.
contrôle de la ville jusqu’à l’époque Tels qu’ils nous apparaissent au-
mérinide, lorsqu’en 1415 la ville, jourd’hui les remparts furent réali- On notera que cette enceinte bas-
déjà florissante, est conquise par les sés d’après les plans de Benedetto tionnée est très curieuse et frag-
Portugais. da Ravenna et de Miguel de Arruda mentaire, les bastions sont partielle-
(conception contemporaine à celle ment asymétriques, atrophiés dans
La configuration géomorphologique de la forteresse de Mazagan/El Jadi- leurs parties vers la mer. La défense
de la ville impose à ces derniers d’en da) qui, en 1541, dessinèrent le sys- assurée par le système typique des
réduire les dimensions suivant le tème bastionné qui encercle la ville remparts bastionnés est ici limitée
traditionnel atalho (réduction des di- - aujourd’hui quartier historique - par la présence objective de deux
mensions de la ville par la construc- vers la terre. seuls grands bastions renforcés par
tion de remparts, Cf. Un “semblant“ une série d’ouvrages mineurs.
de glossaire) et de concentrer la for- Les fortifications comprennent les
tification côté “terre“. anciens remparts ; de récentes acti- La fortification de la forteresse de
vités archéologiques ont libéré des Sagres, en Algarve, offre un sché-
La ville était ceinturée de remparts pans de murs internes qui laissent ma géométrique similaire, presque
médiévaux qui furent progressive- clairement voir les remparts cali- comme la branche d’une tenaille.
ment modernisés afin de suivre le faux et ceux qui les ont suivi, appelés Son thème défensif est assez sem-
développement des plus récentes “more“. Pour augmenter l’épaisseur blable et le fonctionnement des bas-
techniques militaires ; les premiers des fortifications afin de les adap- tions s’organise sur un minimum de
renforts ne modifièrent ni le tracé ni ter aux progrès de l’artillerie et à deux.
le plan des murs mais se limitèrent l’impact des boulets de canon, les Il est vivement conseillé de parcou-
à les consolider et à ajouter une ingénieurs militaires réutilisèrent rir le canal à bord d’une embarcation
couraça (pan de mur qui se prolonge les remparts précédents qu’ils élar-
vers la plage et vers la mer afin de girent démesurément.

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pour pouvoir admirer la puissance et Le tracé des anciens remparts et de Le bastion le plus méridional, celui
la hauteur de ces fortifications. Le l’enceinte défensive extérieure se qui vise la côte méditerranéenne du
service public de navigation permet perçoit par la position de la Calle de Maroc, s’est bien appelé, successi-
le passage et, en cas de vent et de Teniente Olmo et le toponyme Paseo vement, baluarte del Sur, baluarte
courants favorables, également la del Revellin (le ravelin est la petite grande de la banda de Tetuão, ba-
circumnavigation du mont Acho. fortification destinée à protéger une luarte de D. Luis, baluarte de San
(S’adresser au service touristique porte). Les murs ayant été englobés Sébastian, baluarte de la Coraza et,
qui se trouve dans l’ancienne demi- dans une coulée de béton, ils ne sont enfin, baluarte del Caballero.
lune de la porte de la Campagne, plus visibles, sauf l’escarpe des bas-
vers le port de plaisance). En 2011, tions que l’on devine dans les murs Nous avons décidé de l’appeler avec
le chemin de ronde et les deux bas- occidentaux du parking souterrain la dénomination qu’il avait au mo-
tions sont sur le point d’être ouverts du marché couvert. ment de l’union des deux couronnes
au public qui pourra ainsi jouir ibériques. En effet cela permet de
d’une vue splendide. Grâce aux an- Bastions de Ceuta, souligner non seulement la liaison
ciennes contraintes militaires, il est une question de noms de la ville avec son passé portugais,
aujourd’hui possible d’embrasser mais aussi un moment incontour-
tout l’horizon et d’observer la ville, Les deux grands bastions appelés à nable de l’histoire des Portugais au
le littoral méditerranéen marocain la défense de la Ceuta “portugaise“ Maroc.
et d’entrevoir la côte andalouse de ont souvent changé de noms, nous
l’autre côté du détroit. essayons ici d’en présenter les plus
Place d’Afrique (Plaza de Africa)
importants.
Immédiatement derrière les for-
L’intégration de la ville aux posses-
tifications bastionnées côté terre,
sions espagnoles en 1640 n’a pas li- On garde leurs noms “ibériques“
se trouve la place d’Afrique. Selon
mité le développement des fortifica- (bastion se traduit baluarte aussi
le plus pur schéma portugais de
tions : les remparts furent doublés, bien en espagnol qu’en portugais).
l’époque -que l’on retrouve d’ail-
côté terre, par une autre enceinte Le bastion le plus septentrional, ce-
leurs dans toutes les places portu-
bastionnée réalisée à l’extérieur lui qui se trouve dans la partie vers
gaises d’Afrique du Nord - à côté des
puis d’une troisième, encore plus le détroit, s’est bien appelé, succes-
remparts et à proximité de la porte
à l’extérieur. Dans ce vaste espace sivement, baluarte del Norte, ba-
s’ouvre la place où sont présents les
anciennement militaire se trouve luarte grande do banda do Albacar,
pouvoirs religieux et temporel. Elle
maintenant un musée municipal et baluarte de San Antonio, baluarte
sert également de place d’armes et
une zone de détente et de restaura- del Caballero. Aujourd’hui sa déno-
accueille les différents rassemble-
tion. mination populaire est baluarte de
ments.
À l’opposé des grands remparts côté la Bandera, bastion du drapeau, car
terre, la ville portugaise était fermée c’est bien ce bastion qui s’affiche of-
La vaste Plaza de Africa est au-
par une fortification bastionnée des- ficiellement sur le drapeau national
jourd’hui encore la place repré-
tinée à la protéger contre les éven- espagnol. Nous avons donc décidé
sentative de la ville avec la cathé-
tuelles attaques provenant du mont de l’appeler avec sa dénomination
Acho d’où pouvaient débarquer les populaire actuelle. Ceuta, vision de la forteresse, à partir du niveau
ennemis. des eaux.

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drale (Sé Catedral - Notre Dame de beaucoup plus tard, lorsque la ville Ayant appartenu d’abord à l’Ordre du
l’Asunción) et l’église Notre-Dame était déjà sous domination espa- Christ, puis aux Trinitaires elle était
d’Afrique (Santa Maria d’Africa), le gnole. À noter la curieuse disposi- la destination de pèlerinages, en
bâtiment moderne de l’Hôtel de tion diagonale de l’église par rapport particulier à l’occasion de la fête de
Ville de Ceuta et l’hôtel Parador “La à la place. l’Assomption. Une série de miracles
Muralla“ adossé à la partie interne furent attribués à la Vierge qui fut
des remparts (et dont les chambres Sur la partie de la place vers l’Atlan- choisie comme sainte patronne de
les plus luxueuses ont été aména- tique, l’église Santa Maria d’Africa, Ceuta. L’église fut reconstruite entre
gées directement dans les anciens doit sa réalisation à une légendaire le XVIIème et le XVIIIème siècle.
locaux militaires à l’intérieur des découverte de l’image de la Vierge.
remparts.) Le commandement mili- Cette image aurait été offerte par Bien que le drapeau de la cité auto-
taire de Ceuta, qui jouit aujourd’hui l’empereur byzantin au gouverneur nome soit pratiquement identique à
encore d’un droit domanial sur les de la ville. Dans son testament, l’In- celui du Portugal, dont elle se sent
bastions, ferme la place. fant Dom Henrique (surnommé Hen- très proche, il est bien difficile de
ri le Navigateur, à cause de son rôle retrouver des vestiges bâtis de la
La cathédrale (Sé en portugais) fut capital dans le développement de la présence portugaise dans le reste
réalisée selon la tradition, à l’empla- marine portugaise), fait part de sa de la ville.
cement de la mosquée principale de décision de faire construire l’église
la ville. Érigée en 1421, elle fut dé- et de la doter d’une image très dé- Ceuta - Fossé Royal, embrasure de tir pour canons
du bastion de la Bandera, protégé par l’oreillon. Sur
diée à Nossa Senhora da Assunção. vote de Sainte Marie, ordonnant de la droite, le fil du bastion de Saint Sébastien.
L’église actuelle a été reconstruite l’appeler “Sancta Maria d’Africam“.

Ceuta - le bastion
désormais inclus
dans les fondations du
marché de la ville.

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Ksar Seghir - Alcàcer Le déclin du pouvoir musulman sur conservèrent sa forme urbaine en en
l’Andalousie et la prise de Ceuta lui renforçant les caractéristiques mili-
Ceguer 1458 à 1550 furent fatals. Elle n’avait plus un rôle taires. Les remparts furent consoli-
exclusif et courait systématique- dés et dotés d’une escarpe et d’une
Points d’interêt remarquables : ment un risque : les flottes des puis- douve extérieure.
sances internationales et des pirates
• Couraça marine et forteresse ma- croisaient dans ces eaux attirées par Aux XIVème et XVème siècles, les bancs
nuéline les bénéfices matériels qu’elles au- de sable de la rivière et de la plage
raient pu retirer de la rencontre avec étaient moins étendus et l’eau ef-
Le long du détroit de Gibraltar, Ksar d’autres navires de transport. fleurait presque la forteresse mais il
Seghir (petit château) est connue fut quand même réalisé une couraça
pour être une baie bien protégée. À l’agonie, la ville céda aux pressions vers la rivière dont toute trace a dis-
Dès l’Antiquité, cet emplacement de la puissance en pleine expansion paru au début du XXème siècle.
stratégique fut habité par des popu- et le 23 octobre 1458 elle passa sous
lations qui s’y installèrent de façon domination portugaise. Elle y resta La couraça marine et la forte-
durable. jusqu’en 1550, date à laquelle les resse manuéline
Portugais furent chassés et elle fut
À l’occasion des invasions de l’Anda- abandonnée. Après de longs travaux,
lousie par les Almohades et les Al- En 1502, l’éloignement progressif
le site archéologique de Ksar Seghir de la rivière et de la mer conduisit
moravides, Ksar Seghir joua un rôle a été ouvert au public à l’automne
fondamental comme poste d’embar- à la réalisation d’une couraça très
2011, avec inauguration du parcours longue, en direction de la mer. C’est
quement des troupes et support de visite des vestiges et du nouveau
technique et logistique des expédi- certainement le signe le plus évident
musée. et caractéristique de la fortification,
tions. Au cours de cette période, la
ville eut également d’autres noms, aujourd’hui encore présent sur toute
La position de la ville est due à la sa longueur.
notamment Ksar al-Madjaz (Châ- présence d’une rivière qui permet-
teau de passage). Elle se détache du donjon et poursuit
tait d’ancrer les navires en sécurité. en direction de la mer sur une cen-
Sa conformation présentait une cir- taine de mètres. C’est un petit corri-
C’est au XIVème siècle, lorsque la conférence presque parfaite, et elle
zone faisait partie de l’État mérinide, dor maçonné et protégé qui termine
possédait une petite forteresse en par un petit bastion (bastion de la
qu’elle acquit définitivement son direction de la rivière, du port. La
toponyme actuel. Sa position était Plage), réalisé dans le but précis de
morphologie de la ville est unique défendre cette très longue construc-
particulièrement intéressante, dans et il n’est pas possible de compa-
un site charnière pour les relations tion éloignée de la protection directe
rer son système défensif aux forti- des remparts et offrant de ce fait le
entre les continents, et elle fut très fications Almohades, Almoravides
florissante au cours des premiers flanc à une éventuelle attaque enne-
ou Mérinides ni à celles d’aucune mie.
siècles du deuxième millénaire. autres périodes. A l’intersection de la couraça et des
Ksar Seghir est le seul site où les remparts de la ville, là où existait
Ksar Seghir - Vue d’ensemble du site, avec fleuve
Portugais ne procédèrent pas à la déjà la porte de la Mer - née comme
et plage.
réduction de la ville par l’atalho. Ils

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Ksar Seghir - vue des vestiges de la couraça de 37


l’extérieur
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porte de la Rivière - la structure En 1549, cette proposition fit l’objet la Ville“ (Casa da Câmara) pourrait
défensive de la porte fut renforcée d’une analyse et l’année suivante la avoir servi de magasin commu-
par la réalisation d’un véritable petit ville fut abandonnée et désertée par nal alors qu’on aperçoit encore des
château quadrangulaire (1508-1510) les populations locales. Le site s’est traces du bâtiment des prisons qui,
doté de deux donjons circulaires donc transformé en site archéolo- avant l’occupation lusitanienne, ac-
permettant l’usage des bombardes gique, riche des traces d’une histoire cueillaient des bains publics (ham-
(malheureusement il ne reste plus très significative de la ville qui se mam).
rien du second donjon vers la rivière). conclut à la moitié du XVIème siècle.
Pour achever cette petite forteresse, L’abandon séculaire et la destination Le système défensif “château-cou-
une tour monumentale semblable à exclusivement militaire des espaces raça“ de Ksar Seghir peut être par-
celle d’Asilah avait été prévue mais il ont entraîné la croissance d’un luxu- couru dans sa totalité, de la struc-
n’en existe plus aucune trace. riant bosquet qui, en plus de signa- ture défensive intégrée aux remparts
ler la présence du site, procure une jusqu’à la plage où une récente clô-
En 1514, la place reçut la visite de ombre particulièrement appréciable ture protège le site contre les incur-
l’architecte de la cour - Diego Boytac pendant les chaudes journées esti- sions sauvages. Dans les parements
- qui ne semble pas y avoir apporté vales. muraux de la forteresse on peut en-
de transformations particulières, core noter des traces de la période
à l’instar des différentes missions Sur le site archéologique, on peut mérinide. Sur l’ensemble du site,
d’autres ingénieurs militaires de admirer les restes des remparts de des panneaux explicatifs judicieu-
la couronne. La configuration de la la ville comme les traces au sol des sement disposés permettent de se
fortification et sa localisation ne per- deux églises présentes à l’époque repérer et de suivre les transforma-
mettaient pas des transformations lusitanienne toutes deux profondé- tions de la ville, principalement au
significatives, son système défensif ment transformées à l’époque ma- cours de la période pré-portugaise.
était désormais totalement obso- nuéline. L’église paroissiale sainte
lète et la proposition de réaliser un Marie de la Miséricorde se dressait
second fort pour la protection exté- sur les restes de la précédente mos-
rieure, sur les hauteurs de l’adjacent quée, alors que l’église saint Sébas-
promontoire du Seinal, peut être in- tien remplace un précédent temple
terprétée comme un chant du cygne, chrétien, démoli en 1508. Ksar Seghir - Le donjon, vue sur la porte, à partir de
une tentative extrême de sauver la L’édifice appelé - peut-être de fa- l’église de la Miséricorde. A remarquer la porte en
coude et son système de protection.
place des incursions ennemies. çon inappropriée - “Assemblée de

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Tanger - 1471 à 1662 taine d’années après la prise de (1661), lorsque la ville lui fut donnée
Ceuta. Il s’agissait logiquement de en dot avec la ville de Bombay. La
prendre l’autre extrémité du détroit position de Tanger n’était pas straté-
Points d’interêt remarquables : de Gibraltar pour pouvoir mieux en gique pour le Royaume-Uni qui n’en
contrôler les trafics marchands et fit pas une de ses places fortes et, en
• Cubelo do Bispo et les Atalho militaires. 1684, elle fut reprise par les locaux.
• Baluarte dos Fidalgos - Borj el Trois autres assauts furent repous- La réduction des dimensions de la
Kasbah sés entre 1462 et 1464 mais ils per- ville, à travers la réalisation d’un
mirent à l’assaillant de connaître atalho en forme de “L“ en changea
Tanger est une grande ville, plutôt parfaitement la structure de la ville l’orientation et renforça son lien
dynamique, qui possède un héritage et de ses défenses et c’est ainsi que avec la mer qui, - rappelons-le -
bâti extrêmement diversifié. Parmi le 28 août 1471 le roi Alphonse V était le principal élément d’union de
les nombreux vestiges dus aux fré- (Affonso V) entra en vainqueur dans la structure coloniale portugaise.
quentes dominations et au dyna- la ville. Auparavant, les troupes lusi-
misme local, quelques témoignages taniennes avaient pris possession de La cathédrale - dont il ne subsiste
proviennent également de presque Ksar Seghir (1458) et huit jour avant aucune trace - se dressait à proxi-
deux siècles de présence portugaise. Tanger d’Asilah, encerclant ainsi mité de la mer, là où aujourd’hui se
À cause des colonisations répétées la ville à une quarantaine de kilo- trouve la mosquée principale. La ca-
et de son ouverture au monde pen- mètres. thédrale donnait sur la “rua Direita“
dant la période où elle était “zone Dans ce cas également les Portugais (rue des Siaghins et rue de la Marine)
internationale“ - 1923-1956 - (avec réduisirent le périmètre général de qui, aujourd’hui encore, conduit vers
une interruption pendant la seconde la ville à travers un double atalho au le Petit Socco, véritable noyau de la
guerre mondiale), Tanger est parfois sud et à l’ouest de la ville historique. vie intra-muros, avant de poursuivre
surnommée la “ville des étrangers“. jusqu’à Bab Fahs, porte débouchant
Contrairement aux autres sites, il est A l’issue de la période dite “philip- sur la place “9 avril 1947“ (date de
plutôt difficile à Tanger de trouver pine“ (la période de corégence ibé- l’entrée en ville du sultan du Maroc,
des traces de la période portugaise rique des rois “Philippe II, III et IV, Mohamed V, qui le lendemain aurait
ou tout au moins de les reconnaître respectivement Philippe I, II et III de prononcé un fameux discours sur
comme telles. L’expérience sur Portugal commença suite à la dispa- l’indépendance du Maroc) et vers le
place ne pourra qu’être fragmentée rition du roi Sébastien I en 1578 et Grand Socco.
et ouverte à d’autres périodes. se termina le 1er décembre 1640),
Déjà bien avant la domination portu- contrairement à la ville de Ceuta, Dans le centre historique, à côté de
gaise Tanger était une grande ville. Tanger décida de se soumettre à la mosquée principale se dresse un
Elle sut résister à quatre offensives nouveau à la domination portugaise centre culturel (en cours de restau-
lusitaniennes avant de céder. L’in- (1643). ration), qui aurait un rapport avec
térêt de la couronne pour la ville la présence portugaise, comme
de Tanger se manifesta en 1437 Tanger passa sous contrôle britan- l’indique également son nom : “Tour
avec un premier assaut, une ving- nique à l’occasion du mariage entre portugaise, Bab el Marsa, borj el
Charles II d’Angleterre et la prin- Hatoui“. Sur la ligne des remparts
Tanger, Baluarte dos Fidalgos. cesse Dona Catarina de Bragança il est probable qu’au toponyme cor-

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responde une ancienne présence Cubelo do Bisbo - Tour de subsiste aucune trace des remparts)
lusitanienne, qui n’est plus visible l’évêque (Tour des Irlandais) sont plus éloignées et plusieurs édi-
aujourd’hui et non-mentionnée par fices ont été interposés.
les principales sources portugaises. Les dimensions de la ville furent ré-
duites suivant le traditionnel modus À l’intersection de ces deux cour-
Bien qu’elle ait subi des transfor- operandi alors en cours à savoir la tines maçonnées se dresse la Tour
mations, la forme de la ville rappelle réalisation d’une courtine murée des Irlandais, Cubelo do Bispo (Tour
encore le passage lusitanien, non qui, bien que conservant une partie de l’Évêque pour les Portugais), point
seulement par le tracé des murs - des remparts existants, en raccour- focal de la défense urbaine. Il s’agit
de soutènement de la structure géo- cissait la longueur totale, excluant la d’une tour carrée, encore haute, de
morphologique du site - mais aussi partie de la ville considérée comme style médiéval finissant mais déjà
par la localisation de certains lieux indéfendable. influencé par les nouvelles formes
qui furent construits sur l’emplace- Pour Tanger, la ligne des remparts bastionnées de la Renaissance. Sa
ment de précédentes installations vers l’océan et celle face à la plage et restauration fait suite à la mission
lusitaniennes : la mosquée princi- au port étaient essentielles. La pre- de Miguel de Arruda, envoyé par le
pale sur la cathédrale, le palais de mière était militairement trop sûre roi Jean III en 1549, qui souligne la
Mulai Ismail sur le château portu- alors que la seconde constituait un nécessité d’une transformation et
gais et une partie du réseau routier lien indispensable avec la mer. C’est d’une adaptation de l’ouvrage mili-
qui rappelle - surtout dans la partie donc par l’autre côté que l’espace de taire.
vers le port - les conceptions lusita- la ville fut réduit. Les transformations furent finale-
niennes. ment exécutées par les ingénieurs
L’atalho occidental (solution tech- militaires Diogo Telles et Isidoro de
La forteresse de Dar le Baroud, nique de réduction du périmètre de Almeida en mission à Tanger pen-
avec ses embrasures modernes, se la ville) se dresse sur une disconti- dant la régence de Dona Catarina
dresse sur un ancien site fortifié qui nuité qui, grâce à sa pente naturelle, (1557-1568 - en attendant la majo-
fut renforcé à l’époque portugaise, facilite la défense alors que l’atalho rité de Sébastien I). En effet, leur
lorsqu’il était appelé Château Nou- méridional ferme la ville “basse“ mission principale était d’organiser
veau, pour le distinguer de la plus avec une défense qui raccorde l’atal- les défenses d’une citadelle mo-
ancienne fortification, surélevée, la ho occidental aux murs longeant le derne, qui fut achevée en 1565. Leur
kasbah. port. citadelle présentait de puissantes
La Rue des Portugais longe l’exté- défenses bastionnées capables de
Deux points situés aux extrémi- rieur de l’atalho sud à l’emplace- résister à des armées dotées de
tés des remparts occidentaux per- ment des douves, asséchées. La rue canons. Elle disposait de forteresses
mettent de bien mettre en évidence permet d’observer les remparts et en mesure de résister aussi bien à
les transformations réalisées à la série de dents qui les renforcent. l’impact des projectiles qu’aux très
l’époque portugaise : la Tour des L’atalho ouest est moins évident fortes vibrations occasionnées par
Irlandais au sud et le Bastion de la parce que les rues qui le longent les tirs de canon défensifs.
Kasbah au nord. (rue de la Plage et rue de la Kas-
bah, et entre elles, rue d’Italie où ne

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Baluarte dos Fidalgos - Borj el réalisées sous domination portu- notamment la cathédrale, déjà men-
Kasbah gaise. Reste à souligner une curiosi- tionnée, dédiée à Nossa Senhora da
té : en 1610, pendant la période Phi- Conceição (au moment de la prise de
La composante la plus visible et la lippine de corégence ibérique, une Tanger, la ville était déjà siège d’un
plus spectaculaire de la citadelle nouvelle réduction de la ville fut pro- évêché et son évêque accompagna
fortifiée est le bastion dit “dos Fi- posée. Un nouvel atalho, parallèle le roi lors de la guerre de 1471), et
dalgos“ (bastion de la kasbah) qui à la rue Direita aurait dû exclure le une dizaine d’autres édifices entre
ferme en haut le tracé de l’atalho quartier méridional de la ville murée églises et ermitages. Aujourd’hui,
occidental. et condamner les murs de l’atalho leur localisation relève de l’hypo-
Il était intégré au nouveau système précédent, désormais obsolètes et thèse ; d’éventuelles fouilles ar-
de remparts réalisé au XVIème siècle inutilisables. chéologiques pourraient permettre
qui renfermait l’ancien fort Alfonsin Outre les réalisations militaires, d’en définir la position exacte.
(réalisé sous le règne d’Alphonse V - pendant les deux siècles de pré- La période portugaise de cette
1438-1481 - avec une curieuse inter- sence portugaise de nombreux ville s’achève, comme nous l’avons
ruption de 4 jours, pendant l’automne édifices religieux furent réalisés, vu, avec le passage de la ville au
1577 lorsque son fils Jean II accéda royaume d’Angleterre en 1662.
au trône) avec une large muraille
Tanger, Atalho Ouest, tour polygonale.
dominée par les lignes horizontales
des fortifications modernes, dont Tanger - Atalho Ouest, à remarquer l’usage poussé
l’élément défensif n’était plus repré- de la différence de niveau pour aider la protection
de la ville.
senté par la hauteur.

C’est un bastion lancéolé avec une


escarpe très puissante et très vaste
sur laquelle s’élève un large mur
destiné à supporter un plan de tir
surélevé. Il ne possède pas d’orillons
car il s’agit d’un bastion de la période
de transformation des remparts
médiévaux en enceinte bastionnée,
développée à la Renaissance et qui
trouvera sa forme définitive dans les
ouvrages de Vauban. Aujourd’hui,
sur le côté du bastion, la porte de la
Kasbah permet d’y pénétrer et d’ob-
server l’épaisseur de la muraille.

Ces transformations furent les der-


nières d’une certaine importance

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Les installations dans la péninsule tingitane

Asilah - Arzila merces et d’une puissante garnison naux, donc sans fait de guerre, elle
militaire. Mais au fur et à mesure repassa en 1577 sous l’autorité du
1471 à 1589 que grandissait l’importance de Tan- roi de Portugal qui vint en personne
ger, celle d’Asilah diminuait. à Asilah pour préparer sa malheu-
Points d’interêt remarquables : Avec la conquête portugaise du 20 reuse mission de conquête de 1578.
août 1471 - reconnue par le sultan Le roi Sébastien I passa à Asilah -
• Tour de Menagem (El Kamra) Wattasside par un contrat vicennal peut-être dans la tour de Menagem
• Bab el Homar et le rempart vers - Asilah retrouva de l’importance, - sa dernière nuit avant la mission.
la terre intégrée dans le système tingitane En 1589 la ville intégra à nouveau et
• Couraça et le rempart vers l’océan de la couronne lusitanienne à l’ins- définitivement un royaume local.
tar de Ceuta, Ksar Seghir et Tanger. Elle fut de nouveau occupée en 1912
La petite ville d’Asilah se trouve à une En 1510 les remparts furent mo- lorsque l’Espagne obtint le contrôle
quarantaine de kilomètres de Tanger, dernisés selon leur configuration de la partie nord du Maroc - à l’ex-
sur le littoral atlantique. Des chan- actuelle. En effet, lors de la prise de ception de la zone de Tanger - dans
tiers de transformation entrepris la ville, les Portugais procédèrent à le cadre du protectorat qui dura
au cours des dernières décennies l’habituelle réduction (atalho), qui jusqu’en 1956. Ville de frontière au
lui permettent aujourd’hui d’offrir n’est autre que le tronçon de mur XXe siècle, à la fin du statut inter-
un patrimoine bien mis en valeur et vers la ville moderne. Les rem- national de Tanger, elle devint pro-
facilement accessible ; depuis le 24 parts précédents s’étendaient plus gressivement une sorte de satellite
janvier 1996, l’ensemble de la médi- avant, suivant un tracé curviligne, et du pôle régional tangérois.
na est classé monument historique aujourd’hui encore en partie recon- Intégrée au système de communi-
national. naissables puis qu’ils accueillent un cations nationales marocaines, la
Historiquement la ville naît comme tracé routier réalisé pendant le pro- ville d’Asilah a vu augmenter forte-
satellite du monde méditerranéen ; tectorat. ment sa connectivité au cours des
le site était déjà habité à l’époque En 1508, à la suite d’un siège parti- dernières années: la nouvelle gare
des Phéniciens et des Romains ; il culièrement dur, la couronne portu- de chemin de fer a un important
fut choisi parce que pour commercer gaise décida de moderniser la petite rôle d’échange depuis que, avec la
avec ces régions il était préférable ville. Elle dépêcha son propre archi- construction de la bretelle autorou-
de passer les colonnes d’Hercule tecte - Diogo Boytac - qui eut pour tière qui contourne Tanger en direc-
et d’accoster sur la côte atlantique mission de consolider l’appareil dé- tion du nouveau port, elle est deve-
plutôt que dans les eaux difficiles du fensif de la place forte et de supervi- nue un centre pour la liaison avec
détroit. ser la reconstruction du réseau rou- Tétouan.
tier interne, fortement endommagé Cette même autoroute a une sortie à
Nous retrouvons mention de la lors du siège. Asilah, la ville est donc parfaitement
ville dans le texte d’Idriss qui, au À la moitié du XVIème siècle, en desservie tant depuis le sud que de-
XIIe siècle en pleine époque des 1549, après la perte d’Agadir et de puis le nord. Il est par ailleurs très
Omeyyades d’Andalousie, le dési- Safi, conquises par les troupes sa- facile d’y accéder depuis l’Espagne,
gnait comme un site doté de com- diennes, fut ordonné l’abandon de la surtout maintenant que les ferries
place qui eut lieu l’année suivante. arrivent au nouveau port de Tanger-
Asilah, tour de Menagem à partir du “Terreiro“. À la suite d’échanges internatio- Med, directement relié à l’autoroute.

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Les installations dans la péninsule tingitane


Situé au sud de Tanger en direc- des voies typiques des médinas ma- tialité “homogène“ de la mer Médi-
tion d’Asilah, le développement de rocaines de l’époque - permettaient terranée au cours des siècles ; il
l’aéroport, également ouvert aux le déplacement rapide de la garni- porte les armoiries de Philippe II
compagnies “low cost“, permet des son et son déploiement immédiat à d’Espagne : l’écusson de la cou-
liaisons économiques avec les prin- l’endroit où l’ennemi attaquait. Au fil ronne d’Espagne - héritée de son
cipales villes d’Europe. des siècles son plan n’a que partiel- père - auquel il a ajouté les armes
Le quartier intra-muros est ouvert lement été modifié et il est encore de la couronne de Portugal - trans-
sur l’océan et les remparts qui le parfaitement identifiable tant sur mise par voie matrilinéaire après
ceinturent, érigés entre 1700 et une carte que sur le terrain. la bataille de Ksar el Kebir. Le ca-
1720, sont quasiment inaltérés, sauf Les murs sont parfaitement visibles non fut fondu dans les arsenaux du
trois ouvertures - une porte et deux sur le côté extérieur et en partie vi- royaume de Naples en 1604 avant
petits passages - réalisés pendant le sibles également depuis l’intérieur d’être transporté au Maroc.
protectorat : la porte de la kasbah, et la lisibilité de l’ancienne structure Comme nous l’avons déjà souligné,
ouverte en 1920 ; l’entrée piétonne s’en trouve accrue. Dans de nom- la municipalité est particulièrement
à côté de la mosquée principale et breuses zones, les murailles sont à attentive au développement qualita-
un petit passage ouvert dans l’angle l’état de claveau brut et exposées aux tif et culturel de la ville. De ce fait, la
opposé, en bord de mer. intempéries ; bien que sensibles aux médina est très agréable et conser-
La porte de la kasbah permettait d’ac- problèmes de protection des pierres vée de façon très homogène.
céder au quartier militaire - la kasbah et de leurs joints contre les intempé- Il s’agit de l’un des premiers - et
était justement à l’époque la caserne ries, nous ne pouvons que constater encore trop rare - cas au Maroc où
de l’armée espagnole - sans passer que leur présence fournit une de toile le fait d’habiter dans la médina n’est
par la ville qui restait séparée par un de fond très intéressante à de nom- pas perçu comme dégradant. M. Ben
mur ouvert suite à l’indépendance breux établissements de la ville. Aïssa, le principal personnage poli-
nationale et au départ des militaires. Côté terre, au sud de Bab Homar, tique de la ville, possède d’ailleurs
Actuellement, la kasbah accueille un marché partiellement souterrain une résidence dans la médina.
entre autres la mosquée principale a été réalisé en 1985. Il permet de En effet, à la fin des années 1980, la
et le Centre Hassan II de rencontres jouir pleinement du rapport entre le restauration du quartier historique a
internationales, clé de voûte des acti- terrain environnant et l’élévation des valu à la ville le prix Aga Khan pour
vités culturelles de la ville. murs. Au nord du donjon d’accès, un l’architecture. Nous retrouvons,
La structure de la médina est for- vaste trottoir sert de terrasses à plu- dans l’article “Rehabilitation of Asi-
tement influencée par l’occupation sieurs cafés. Il se prolonge jusqu’à lah, Marocco“ publié dans The Archi-
lusitanienne. Le tissu urbain interne la partie orientale de l’enceinte des tectural Review en 1989, une lecture
est plutôt régulier et dérive directe- remparts, entre les bastions de la claire de la situation : “L’importance
ment d’un réseau étudié pour pou- Sainte Croix et de la Plage. Là, un croissante du Festival était liée à un
voir être le plus efficace possible en petit jardin, parfaitement entretenu accroissement des revenus pour la
cas de conflit ou de siège sans une souhaite la bienvenue aux visiteurs ville et même, fait plus important au
grande dotation de canons. arrivant par la porte de la Kasbah, moins au début, à un changement de
Les rues rectilignes à largeur aujourd’hui porte principale. mentalité d’une partie des habitants
constante - caractéristiques tout à Petite anecdote : dans le jardin se de la ville“. Dans le même texte, on
fait différentes de celles des rues et trouve un canon, exemple de la spa- trouve également une polémique

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Les installations dans la péninsule tingitane


à propos des modifications qui se la rupture définitive de la référence Elle est actuellement entourée des
dessinaient : “L’eau courante, le continentale et l’a projeté vers une vestiges du mur qui séparait la for-
système d’égouts et des pavements vision coloniale qu’il a conservée teresse portugaise du reste de la
adaptés sont installés - même si, jusqu’en 1974. ville. La forteresse fut consolidée
aujourd’hui, il est évident que ces De ce fait, Diogo Boytac propose une et valorisée à l’occasion des travaux
améliorations étaient liées à la gen- tour rigoureusement médiévale et de construction du Centre de Ren-
trification, et que la communauté particulièrement grande, beaucoup contres Internationales Hassan II.
était détruite par le succès même de plus grande que ne l’imposaient les Le mur-diaphragme est aujourd’hui
ses propres efforts“. seules raisons militaires. Né égale- partie intégrante de la nouvelle
ment pour célébrer la puissance du icône urbaine et une belle plaque
roi Manuel I aujourd’hui, à l’issue commémore la rencontre luso-ma-
Tour de Menagem (El Kamra) des travaux de restauration, ce mo- rocaine de 1987 qui eut lieu juste-
nument célèbre le dynamisme de la ment à Asilah et qui a marqué la
Le nom de la tour indique le lieu où ville. naissance formelle de l’intérêt pour
était célébrée l’investiture du sou- Côté terre, la tour se trouve sur la la récupération de la tour.
verain et tous les actes de souverai- grande place interne, esplanade En très mauvais état de conserva-
neté. Le nom “El Kamra“ avec lequel ouverte qui servait aux rassemble- tion, la tour fut restaurée (Voir cha-
elle est parfois désignée dérive de la ments, processions et autres acti- pitre “Un tremplin privé en faveur du
déformation du portugais “camara“, vités publiques de la garnison et de développement local“) et inaugurée
salle où s’exerce la souveraineté et, toute la communauté. Jusque dans en 1994.
par extension tout l’édifice. les années 1970, la place accueillit le
La fonction militaire de la tour, éri- marché hebdomadaire qui a depuis Asilah, Bastion de la plage. Image qui permet de re-
gée après le grand siège de 1508, est été déplacé hors les murs, entre Bab
marquer l’importance de la protection au bas de la
tour et l’existence d’embrasures de tir pour canons
de protéger la Porte de la Mer qui el Homar et le bastion de Tambalalão. sur la tour bastionnée.
permet la connexion entre la ville et
son port.
Mais ce n’était pas sa seule et prin-
cipale fonction. Élevée lors de la
reconstruction et de la modernisa-
tion du système défensif, elle avait
certainement pour rôle d’affirmer
la puissance de la maison d’Aviz et
en particulier du souverain Manuel
I dit “l’Aventurier“ et “le Bienheu-
reux“, (qui régna de 1495 à 1521).
Ce quart de siècle à cheval entre
XVème et XVIème coïncide avec la for-
midable expansion ibérique. Pour le
Portugal, petite nation à la popula-
tion limitée, cette période a marqué
Azemmour, embrasures de tir à
50 protection de la porte d’entrée à la Kasbah
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Les installations dans la péninsule tingitane


Le choix conceptuel prévoyait la res- tir rasant. Nous sommes encore loin de couraça - permettait la pratique
tauration des étages existants, avec de la réalisation d’un front bastionné du tir défensif rasant, à partir de
remplacement des parties man- mais les impératifs de guerre com- cinq embrasures s’ouvrant dans les
quantes, notamment les ornements mençaient à suggérer la voie à suivre. différentes directions.
en pierre des fenêtres et la construc- La porte de la ville - Porta da Vila Dans l’angle sud-occidental, le bas-
tion ex-nihilo du dernier étage. Cette pour les Portugais et aujourd’hui tion de la couraça est composite car
dernière partie, très scénographique, Bab el Homar - est réalisée dans le il est formé d’un véritable bastion,
suscite quelques doutes quant à la donjon éponyme doté d’un plan de avec puissante escarpe et plan de
méthodologie choisie qui pourrait tir élevé, avec embrasures capables tir surélevé, et d’un autre rempart
être interprétée comme une falsifi- de couvrir tout le périmètre environ- mineur qui se détache franchement
cation historique. S’inspirant unique- nant et d’assurer la défense active de la ligne fortifiée pour s’enfoncer
ment d’une gravure du XVIème siècle, de l’entrée de la ville. La morpholo- dans la mer. À son sommet un bel-
tout le dernier étage, - y compris le gie de cette tour est beaucoup plus védère particulièrement suggestif
chemin de ronde et la crénelure - ont moderne que celle de la tour de Me- a été réalisé qui permet d’obser-
été reconstruits à l’identique certai- nagem, et ceci nous conduit à pen- ver tout le front de mer de la ville,
nement à l’aide de matériaux récents ser qu’il y avait une volonté explicite y compris un très agréable mara-
de façon à ne pas s’exposer à des de réaliser une tour “médiévale“ bout installé dans la partie la mieux
attributions erronées. Aujourd’hui, la et qu’il ne s’agissait aucunement protégée du bastion. Depuis le bel-
tour est ouverte au public et accueille d’un manque de compétence des védère il est possible d’observer le
réunion, congrès et expositions. ingénieurs militaires chargés de la palais du Raïssouni (Moulay Ahmed
conception de la tour. Raïssouni), célèbre caïd du début du
Bab el Homar et le rempart vers Le donjon porte aujourd’hui encore XXème siècle - héros et briguant - qui
la terre les armoiries portugaises à l’entrée eut son fief justement à Asilah. Bâti
et à la sortie du passage en chicane entre le XIXème et le XXème siècle, son
Les remparts de la ville forment deux qu’il faut emprunter pour entrer ou palais accueille souvent des événe-
quadrilatères presque réguliers, jux- sortir de la zone intra-muros. ments culturels ; il a été construit
taposés le long de leurs côtés courts. sur le site de l’ancien monastère
Le plus petit des deux, au nord-est, Couraça et le rempart Saint-François, aujourd’hui dispa-
est la kasbah alors que le plus long vers l’océan ru. Il n’en subsiste des traces que
encercle toute la ville historique. À l’opposé des remparts vers la dans le toponyme désignant le petit
Dans sa partie côté terre, le tracé qui terre, l’atalho, on trouve les rem- bastion en vis-à-vis : bastion Saint-
du bastion de la Sainte-Croix porte à parts érigés face à l’océan qui en François ou des Moines.
celui du Tambalalão résulte de la for- lèche la base. Ils courent du bastion Bien qu’elle n’ait jamais eu de
tification qui a suivi l’atalho. de la “Patte d’araignée“ au bastion ghetto, la petite ville possédait une
Réalisés dès l’arrivée des Portu- de la Couraça. Le premier, malheu- synagogue et plusieurs églises dont
gais sur le site, les remparts furent reusement disparu, tire son nom de il ne subsiste aujourd’hui plus au-
remodelés après le siège de 1508 et sa forme caractéristique. Le bastion cune trace.
complétés par une série de “dents de en saillie par rapport à la fortifica- Bab el Homar, tour canonnière et porte vers l’inté-
scie“ qui permettaient la défense à tion - et qui faisait entre autres office rieur des terres.

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La région centrale
Une longue partie du littoral ne fut gion fit l’objet des convoitises expan- La volonté de ne pas quitter l’Afrique
pas colonisée. À cause des flottes sionnistes lusitaniennes. du Nord conduisit les Portugais à éri-
corsaires et des pirates qui y sévis- Au cours de la première décennie, ger une forteresse “inexpugnable“ :
saient, les Portugais n’étaient pas Mazagan, Safi, Mogador et Aga- Mazagan, aujourd’hui El Jadida.
enclins à s’installer dans les villes dir (appelée Santa Cruz de Cabo de Grâce au front bastionné qui la proté-
de Rabat et de Salé. La seule ten- Guer) furent conquises par la force. geait, elle était imprenable et demeu-
tative d’implantation fut l’expédition Elles formaient un noyau important ra une présence isolée pendant plus
malheureuse de Mamora en 1515. et permettaient de laisser entre- de deux siècles. Au cours de cette
voir une plus vaste installation, une période, la présence lusitanienne
Même la cité d’Anfa - ancien site de construction territoriale en terre était organisée autour d’un seul site
l’actuelle Casablanca - n’offrait pas d’Afrique. commercial et militaire, justification
une position suffisamment intéres- En 1513 un terme fut mis au contrat de la guerre contre l’infidèle.
sante et elle fut tout simplement avec la cité d’Azemmour qui fut En 1769 cette présence prit fin. La
pillée (en 1468 ou 1469, d’après les conquise, vidée de ses habitants forteresse capitula et un accord
sources : Damião de Góis pour la musulmans et convertie en cité por- permit le départ des Portugais par
première et Rui de Pina pour la se- tugaise. Ce fut la période de plus la mer, vers leur patrie ; les exilés
conde.) Bien qu’elle représenta un large expansion dont Safi devint le furent envoyés pour coloniser une
point de ravitaillement en eau pour chef-lieu et qui eut un certain rayon- partie du très vaste Brésil.
les marins, on lui préféra l’actuelle nement vers l’intérieur du pays.
ville de Doukkala, plus au sud. Azemmour - Azamor -
Cette dynamique d’implantation et
Au cours de la seconde moitié du d’expansion était cependant minée 1471, 1513 à 1541
XVème siècle, les villes portuaires à la base. D’un côté, par un appel
d’Azemmour, Safi et Agadir, deve- à la guerre sainte contre les Portu- Points d’interêt remarquables :
nues florissantes suscitèrent les gais, en 1511, la dynastie saadienne
convoitises lusitaniennes. avait commencé de remonter vers le • Palais du gouverneur
nord en s’organisant pour reprendre • Fortifications et proto-bastions
Dans la foulée de la prise de Tanger les places lusitaniennes ; de l’autre
et d’Asilah en 1471, les premières l’expansion portugaise, grâce à Située sur une petite butte, Azem-
implantations portugaises commen- l’ouverture de nombreuses routes mour se trouve à une centaine de ki-
cèrent dans la région centrale du commerciales, dispersait les forces lomètre au sud de Casablanca, légè-
Maroc et un contrat de protection militaires du petit royaume et trou- rement en retrait de l’océan, sur la
et de soumission de la cité d’Azem- vait des sites plus avantageux pour rive gauche du fleuve Oum er Rbia.
mour permit la première installa- la colonisation. Cette petite ville, qui jouit de la
tion. Jusqu’au début du XVIème siècle, Mais en 1541, la volonté de confi- transformation générale du pays,
elle fut le seul avant-poste portugais gurer un territoire dépendant du est en pleine gentrification, sous
mais au changement de siècle, la ré- Portugal s’évanouit définitivement : l’influence de nombreux résidents
Agadir, Safi et Azemmour furent re- de l’agglomération casablancaise
conquises et toute possibilité d’im- que la nouvelle autoroute met tout
Azemmour, vue de la médina sur l’Oum er Rabia. plantation échoua. près de cette cité historique.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale
En marge des longues années de elle se trouve, voire le pays où elle En 1513 les relations du Portugal
transformations, elle a su conserver se trouve. Cela est aussi vrai pour avec la population locale s’étaient
un réel cachet historique, composé les petites que les grandes villes. détériorées au point de faire accep-
de présences musulmanes et por- [...] Par contre, aucune personne ter la proposition de D. Jaime - duc
tugaises. Malheureusement, depuis ne peut se sentir égarée si nous la de Bragance et cousin du roi Manuel
une vingtaine d’années, cette margi- déposons à Azemmour. Il lui suffirait Ier - : organiser une expédition pour
nalisation a entraîné la ruine d’une de voir l’Oum Errabii et d’apercevoir conquérir la ville.
grande partie de l’habitat tradition- les vieux remparts pour se rendre
nel. compte qu’elle se trouve au Maroc. Bien qu’organisée d’un point de vue
Elle dira qu’il s’agit d’une ville cô- strictement militaire et stratégique,
Les références à cette situation sont tière sous le règne de Souverains cette expédition avait un autre ob-
nombreuses comme nous pouvons Marocains, qu’ils soient Saâdiens ou jectif : la rédemption dudit duc de
le lire dans les textes centrés sur Alouites“. Bragance. En effet, selon l’usage de
l’étude sociale des populations : l’époque, une expédition militaire
“Dans de nombreux cas, les espaces Il y avait déjà plus de 2000 ans que le contre l’ennemi infidèle aurait per-
“oukalisés“ peuplés de néo-cita- site avait été colonisé mais son im- mis d’expier la faute d’un homicide,
dins et lieu privilégié d’exercice de portance fut considérablement ac- dans ce cas un uxoricide, puisque le
la petite production marchande crue par la conquête arabe et l’isla- duc avait commandé la mort de sa
aboutissent à des conditions de vie misation du pays. Sa position le long femme, accusée d’adultère, et de
déplorable (Casbah d’Alger, Annaba, du fleuve lui permettait de bénéficier son amant présumé.
Bizerte, Azemmour) “ (Troin, 1985). des avantages d’un port océanique
naturellement protégé mais aussi Ainsi, “... le 27 août 1513, une forte
Malgré la dégradation matérielle et d’une précieuse réserve de poisson. expédition de 15.000 hommes, sous
le niveau de vie médiocre des habi- le commandement du duc de Bra-
tants du quartier intra-muros, la En 1471, immédiatement après la gance, arrive au port de Mazagan,
cité peut revendiquer une référence prise d’Asilah et de Tanger, un ac- choisi comme base d’opération... Le
identitaire explicite dans le fameux cord fut signé avec le caïd local qui 3 [septembre] au matin, il n’y avait
discours prononcé par le précédent permit d’installer une mission éco- plus un Maure à Azemmour“ (Car-
souverain Hassan II, le 14 janvier nomique portugaise dans la ville. valho, 1942).
1986 : “Si le Maroc est considéré, Après sa conquête, la petite ville fut
de par ses monuments, comme un Dès 1507 les Portugais manifes- modernisée afin d’être adaptée aux
beau pays, il n’en est pas de même tèrent leur ressentiment dans leurs exigences politiques et militaires
pour toutes ses constructions. Nous rapports avec la cité, qui n’était que portugaises et prit sa forme actuelle.
ne faisons pas ici allusion aux bidon- partiellement soumise. Une expédi- En effet, le quartier intra-muros
villes mais aux artères principales tion militaire guidée par Duarte de n’est que partiellement caractérisé
de nos villes... Si nous faisons dé- Armas, s’installa à l’embouchure par la présence portugaise. Basé sur
barquer d’un hélicoptère une per- du fleuve, à quelques centaines de une forme rectangulaire irrégulière,
sonne aux yeux bandés dans une mètres seulement des murailles de
ville marocaine, elle ne sera pas la ville.
en mesure de reconnaître la cité où

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La région centrale
le quartier a subi une subdivision in- dental, relie directement la citadelle Sur le côté s’ouvre l’esplanade qui fut
terne destinée à créer une citadelle - la kasbah - à l’extérieur et n’est la place de la ville, la place d’armes
à l’intérieur du cadre urbain. Par la pas fortifiée. Il s’agit d’une porte ou- sur laquelle s’ouvrait le palais du
suite, la citadelle se transforma en verte tardivement, lorsque les murs gouverneur.
quartier juif. avaient déjà perdu leur fonction
En octobre 1541 le roi Jean III donna défensive. L’autre, Bab Jdid, - Porte Palais du gouverneur
l’ordre d’abandonner les villes de neuve - située à côté de la tour de la
Safi et d’Azemmour et les matériaux couraça, permet l’accès côté océan. Malgré une restauration récente
de construction de cette dernière En revanche, les deux portes per- (2006), il est difficile d’interpréter
furent transportés vers la place de cées à l’époque portugaise suivent aujourd’hui la morphologie du palais
Mazagan - El Jadida, alors en phase les impératifs militaires classiques du gouverneur d’Azemmour. L’édi-
de construction. Ce n’est que le 8 de l’époque. Une ouverture permet- fice, qui fut par la suite utilisé comme
novembre 1541 que le pape édita la tant le passage de la citadelle au prison, a été presque complètement
bulle Licet Apostolicæ Sedis auto- fleuve puis à l’océan et qui, outre la détruit et on ne peut qu’imaginer les
risant l’abandon des places. Mais protection naturelle assurée par la divisions internes à partir de l’ex-
celles-ci étaient désormais tombées différence de niveau entre le plan de ploration du front de mur interne,
aux mains des Maures. la ville et celui du fleuve, est proté- destiné à la composante “civile“ de
En 1822 la population juive demanda gée par une saillie construite dans l’édifice. Selon l’usage de l’époque,
de s’installer dans les murs aban- les remparts. l’édifice fut conçu par les mêmes
donnés de l’actuel El Jadida. Seuls Une seconde porte s’ouvre entre la maîtres d’œuvre que ceux chargés de
les moins aisés s’y installèrent mais, citadelle murée et le reste de la ville la réalisation des remparts, les frères
dans l’impossibilité de maintenir le intra-muros. Elle a la forme d’un Arruda. Ils y laissèrent l’empreinte
cadre urbain, celui-ci déclina peu à coude et elle est dotée d’un double manuéline (gothique flamboyant)
peu pour arriver au niveau de pau- portail avec rainures verticales pou- que l’on aperçoit aujourd’hui encore
vreté actuel. vant supporter une lourde porte et dans le style des fenêtres alors que
Aujourd’hui encore l’enceinte des des grilles métalliques. En emprun- tout le reste a disparu. Ce type de
murs entoure le quartier historique tant ce passage, on passe sous les fenêtre nous permet de comprendre
et, bien que le chemin de ronde ne restes du bastion réalisé pour dé- que, comme dans le cas concomi-
puisse être emprunté dans sa tota- fendre la porte et on sort de l’atal- tant d’Asilah, la couronne portugaise
lité, les murs côté nord permettent ho, la “réduction“ habituellement souhaitait doter ses têtes de pont de
d’admirer le système fortifié et la réalisée dans la ville pour pouvoir fonctions civiles en vue d’administrer
ville, objet des principales transfor- concentrer la défense et l’adapter au le futur territoire colonisé.
mations pendant la période lusita- nombre de défenseurs. Il s’agissait de véhiculer l’image d’un
nienne. royaume du Portugal riche, puissant
Deux portes permettent l’accès à À droite de l’entrée de la citadelle se et noble. Le palais était constitué de
l’intérieur des murs de la kasbah ; trouve la mosquée qui se dresse sur deux corps en forme de “L“, une aile
l’une d’elle, située sur le front occi- l’emplacement de l’ancienne l’église s’appuyant sur les remparts exté-
principale de la ville, déjà construite rieurs et l’autre sur ceux de l’atalho ; à
Azemmour, tour/bastion de St. Christophe. Palais
du gouverneur sur la gauche et, au fond, les rem-
sur les fondations du précédent lieu l’intersection du “L“ se dresse la tour
parts de la médina. de culte musulman. bastionnée de Saint Christophe.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale
Malheureusement, cet espace a au- Ce ne fut pas une reconstruction tionnement, nous préférons appe-
jourd’hui été abandonné ; il ne sert totale, au contraire, les frères Ar- ler ces constructions militaires des
que de décor à l’ensemble de la ville ruda choisirent de consolider les “proto-bastions“ car ils préfigurent
qui voit les points des fuites pers- remparts locaux, principalement en le fonctionnement défensif qui sera
pectives se concentrer sur la grande terre, avec des escarpes en pierre et spécifique des fortifications de la
tour-bastionnée, de la même famille briques. L’utilisation des structures Renaissance.
morphologique que la tour proté- existantes peut s’expliquer d’une
geant l’entrée d’Asilah côté terre. part par leur conformité partielle Le proto-bastion de Rayon et le pro-
et par le problème rencontré par to-bastion en “U“ sont deux protubé-
Du haut de la tour-bastion de Saint de nombreux constructeurs d’autre rances qui permettent l’étagement
Christophe, il est possible d’admirer part. En effet, la région ne dispo- des plateformes de tir - trois dans le
le tracé de l’atalho mais également sait pas de chaux de bonne qualité, cas du plus puissant proto-bastion
tout le mur d’enceinte de la cité et comme le confirme les requêtes de Rayon - donc de battre le terri-
son dense tissu urbain actuel. faites aux techniciens de leur en en- toire environnant. Les constructions
voyer du Portugal, donc forcément sont totalement extérieures aux
en quantité limitée. remparts parce que ces derniers
Fortifications et proto-bastions Alors que les fortifications côté terre n’auraient pas supporté les innom-
et vers l’intérieur de la ville sont brables et très puissantes vibrations
En 1513, les frères Arruda arrivèrent principalement traditionnelles, ex- produites par les canons défensifs.
à Azemmour comme ingénieurs cepté la tour-bastion de Saint Chris- La possibilité d’introduire une dé-
militaires chargés d’améliorer l’effi- tophe, côté mer on peut noter une fense croisée et réciproque entre les
cacité des défenses de la citadelle série de modifications dans la tech- deux proto-bastions place ces élé-
qui venait de tomber aux mains des nique de construction militaire. Les ments à la pointe de la technologie
Portugais. À côté de la réduction frères Arruda décidèrent en effet, en militaire de l’époque et nous permet
du mur d’enceinte, rigoureusement plus de consolider fortement le pied d’en apprécier la conception et la
portugais, ils commencèrent à ren- des remparts, d’introduire deux bas- finesse de construction.
forcer les remparts existants pour tions en saillie vers l’extérieur.
introduire des éléments morpholo- À cause de leur forme en “U“, en
giques de modernisation des struc- saillie par rapport à la ligne des Azemmour, proto-bastion du Rayon ; au fond on
tures défensives. remparts, mais surtout de leur posi-
aperçooit l’autre proto-bastion, dit en “U“.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale

El Jadida - Mazagão - Al la grande baie où ils se trouvaient, le Portugal décida de ne maintenir


[...] et [ils] laissèrent à la tour douze que trois places : Ceuta et Tanger au
Mahdouma - Mazagan - hommes bien approvisionnés en nord et Mazagan au Maroc central.
1502 à 1769 armes et en vivres, ils retournèrent Ce choix dériva de l’impossibilité de
à Lisbonne, solliciter du Roi l’auto- maintenir Azemmour, limitée dans
Points d’interêt remarquables : risation de construire un château son accès à l’océan, et de la néces-
fort en ce coin du Maroc“ (Goulven, sité de construire une fortification
• Remparts Renaissance 1917). moderne et extrêmement puissante.
• Citerne En 1513 la puissante expédition qui A cette fin, Miguel de Arruda fut
• Quartier intra-muros devait conquérir Azemmour débar- chargé d’identifier le site approprié
qua ici et utilisa le site comme point à la construction.
El Jadida se trouve à une centaine de de rassemblement et de support lo- Les plans fournis par Francisco da
kilomètres au sud de Casablanca et gistique. Le duc de Bragance en per- Hollanda - artiste/espion, précé-
à une vingtaine d’Azemmour. C’est sonne - organisateur de l’expédition demment dépêché en Italie pour
une ville de plus de 150.000 habi- et cousin du roi - indiqua le besoin collecter des informations sur les
tants qui s’est développée dernière- de consolider la présence dans cette nouvelles techniques de fortification
ment surtout grâce au grand port de baie afin de doter Azemmour d’un des villes - servirent à définir avec
Jorf Lasfar et à l’industrie des phos- débouché vers l’océan qui risquait précision la localisation de la nou-
phates. d’être compromis à cause de son velle forteresse.
Les références dont nous dispo- implantation sur les rives du fleuve.
sons concernant ce lieu datent de L’année suivante fut construit un Pour parfaire le plan de la fortifica-
l’époque phénicienne à laquelle château doté de quatre tours d’angle. tion, on fit appel à Benedetto da Ra-
semble remonter le nom de Ma- Plus tard, dans le château primitif venna, ingénieur militaire au service
zagão qui lui fut attribué à la période fut intégrée l’actuelle citerne. L’ins- du roi d’Espagne, qui proposa une
lusitanienne. Les premières traces tallation prit le nom de capitania[4] de géométrie du début de la Renais-
liées au monde portugais remontent Mazagão, et le 10 août 1514 Martin sance, avec une ville en étoile, do-
à 1503 lorsqu’une tour fut érigée, Afonso de Melo en fut nommé capi- tée de bastions modernes capables
peut-être sur les restes d’une tour taine. La nouvelle installation dé- d’assurer la défense réciproque et
précédente. pendait d’Azemmour et toutes deux rasante. Pour garantir un bon accès
Le site se prête bien à la construc- de Safi, chef-lieu régional du monde maritime, presque la moitié des cinq
tion, grâce à une zone rocheuse qui portugais. hectares de la ville furent construits
ceinture une vaste plage sableuse La très grave crise survenue suite à sur l’eau, avec les fondations des
aux caractéristiques nautiques favo- la perte d’Agadir en 1541 fut signi- remparts ancrées directement sur
rables. “Les Portugais [...] appré- ficative pour la ville ; conscients de les fonds rocheux.
cièrent particulièrement le climat l’impossibilité de contrôler toutes La nouvelle cité subit un violent siège
ainsi que les qualités nautiques de les installations d’Afrique du Nord, en 1562, au cours duquel la solidité
de sa conception et de son arme-
ment furent testés. “The test of the
El Jadida, murs de la citadelle vers le bastion de [4] Forme juridique d’intervention portugaise qui
l’Ange. A remarquer le fossé et les protections des déléguait à des particuliers, en les reconnaissant et
strenght of the new fortress came in
embrasures. en les légitimant, l’exploitation de la colonie. 1562 when Mazagão was besieged

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale
for several weeks by a Moorish army En signe de mépris, le monarque lo- le trafic maritime connut une forte
allegedli 150.000 strong, which was cal décida d’abandonner la ville qui croissance. “Le premier navire à
however forced eventually to with- fut rebaptisée Al Mahdouma (l’Aban- vapeur de la compagnie Blend Line
draw after suffering heavy casual- donnée). est arrivé à El Jadida vers 1855 et, en
ties in many unsuccessful attempts Un demi-siècle plus tard, en 1821, la 1883, plus de 115 navires ont visité la
to penetrate the defences“. (Bury, colonie juive d’Azemmour demanda ville“ (Jmahri, 1987).
1979). au sultan Moulay Abderrahmane En effet, vers les années 1860,
Pendant la corégence hispano-por- l’autorisation de s’installer dans la la construction de la route reliant
tugaise (1580-1640) la ville fut auto- citadelle fortifiée. Le droit de coloni- El Jadida à Marrakech favorisa la
risée à devenir port franc, de façon sation fut accordé ainsi que le chan- croissance du port au détriment de
à faciliter les échanges commer- gement de nom de la ville : El Jadida celui d’Essaouira qui, étant plus au
ciaux entre la péninsule ibérique et (la Nouvelle). Pendant le protectorat, sud, obligeait les navires à une route
la région de Doukkala, alors grande le nom portugais fut repris et fran- plus longue depuis et vers l’Europe.
exportatrice de froment. On proposa cisé en Mazagan. La croissance se poursuivit et en
également de procéder à un échange 1911 on compta jusqu’à 462 navires
entre les villes de Mazagan et de La- La reconquête de la ville portugaise immédiatement après l’occupation
rache au nord afin d’empêcher que est facilement compréhensible, sur- française et même 662 en 1923.
cette dernière s’enrichisse grâce tout à une époque d’expansion de la
aux pillages des convois espagnols navigation et de l’économie en gé- Le développement du port de Ca-
perpétrés par les pirates locaux. néral. Les limites de navigation qui sablanca limita celui d’El Jadida,
avaient induit les Portugais à aban- marginalisant la ville qui connut
En 1769 l’armée conduite par le sou- donner Azemmour touchaient éga- une profonde crise jusqu’à ce que
verain Mohammed Ben Abdallah lement la navigation commerciale la nouvelle subdivision administra-
assiégea à nouveau la ville et, après du XIXème siècle. El Jadida offrait une tive du royaume la place à la tête de
plusieurs tentatives militaires, un meilleure baie et un port déjà creu- la Province de Doukkala (1967.) En
accord de reddition conditionnée fut sé. 1978 le site de Jorf Lasfar fut choisi
signé : les Portugais pouvaient s’en De plus, compte tenu de son passé, pour accueillir un grand port indus-
aller, par la mer, pendant une trêve la cité n’avait pas une bourgeoisie triel et de grandes usines destinées
spéciale. musulmane florissante en mesure au traitement des phosphates et à
C’est ainsi que 11 mars 1769 fut de contrôler les échanges commer- la transformation pétrochimique ; le
abandonnée la place forte qui avait ciaux et pour la population juive - et complexe est actif depuis 1983 et il a
résisté à plus de deux siècles d’as- pour celle des Consulats européens permis à la ville de sortir définitive-
sauts constants. Lors de leur départ, - les possibilités commerciales ment de la marginalité. Aujourd’hui,
les Portugais ne respectèrent pas étaient très favorables. les échanges maritimes posi-
les clauses de l’accord ; ils tuèrent tionnent la Préfecture d’El Jadida au
tous les animaux et minèrent les Suite à la défaite marocaine d’Isly troisième rang national derrière Aïn
bastions côté terre qui, en explosant (1844), les ports atlantiques furent Sebaâ (Casablanca) et Safi.
au passage des troupes marocaines, progressivement ouverts aux com- Malheureusement le quartier por-
provoquèrent de très nombreuses merces occidentaux. La cité acquit tugais n’a pas connu le même déve-
victimes (on parle de 8.000 morts). un grand nombre de consulats et loppement que le reste de la ville et,

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale
au cours des années qui suivirent souvent proposée comme alterna- totalement aboutie, l’innovation de la
l’indépendance, il a connu un déclin tive à la peine de mort… défense à géométrie croisée appa-
général qui l’a conduit à devenir un La fortification fut construite entre raissait déjà clairement.
quartier pauvre et marginal. 1541 et 1542 et fut le fruit d’une La forteresse fut partiellement
importante collaboration entre des construite les pieds dans l’eau,
À partir des années 1980, on note un personnages éminents de l’époque. une part importante est en effet
certain intérêt pour les ruines portu- Francisco da Hollanda - l’agent dé- construite sur la mer. Cette solution
gaises et une attention pour le quar- pêché par la couronne portugaise apportait l’assurance de la liaison
tier intra-muros qui, après plusieurs en Italie pour s’emparer des nou- maritime à partir du petit bassin
chantiers de rénovation et de valori- velles techniques de construction extrêmement bien protégé qui se
sation, a débouché sur l’inscription des fortifications - doit avoir fourni trouve au-delà de la porte de la mer.
de la cité portugaise de Mazagan (El les premiers plans qui ont servi à Un reste morphologique de couraça
Jadida) sur la liste Unesco du patri- déterminer la localisation exacte de est identifiable dans la tour en saillie
moine mondial (Voir “les acteurs la fortification. Benedetto da Raven- qui couvre l’accès à la porte et aux
publics du patrimoine et l’impact na - ingénieur militaire de premier embarcations éventuellement au
local“). ordre au service du roi d’Espagne mouillage.
et temporairement “prêté“ au roi de Pour la construction, deux entrées
Les remparts Renaissance Portugal pour une supervision des furent réalisées mais furent en-
forteresses nord africaines - conçut suite fermées. La plus importante
La silhouette de la cité portugaise la forteresse. Fancisco de Arruda - est celle de la porte de la mer,
d’El Jadida est, avant tout, représen- la première personne pouvant se aujourd’hui une vaste arcade qui
tée par la ligne monumentale de ses parer du titre innovant d’ingénieur ne présente pas une morphologie
remparts Renaissance. militaire - choisit la position et resta défensive raisonnable. Cette porte
sur le site pendant la conception, n’est d’ailleurs présente sur aucune
La construction de cette forteresse secondant Benedetto da Ravenna. carte ancienne de la ville, d’où une
devait répondre à un critère fonda- João de Castilho et João Ribeiro la certaine recherche quant à sa réali-
mental pour toutes les défenses de réalisèrent et suivirent les travaux, sation et à son utilisation.
l’époque : elle devait être inexpu- faisant les modifications et adapta- Actuellement la théorie interpréta-
gnable. D’une certaine façon on peut tions appropriées. tive la plus accréditée - qu’aucune
dire que le résultat fut atteint car Son plan reprend l’une des théories source inéluctable ne confirme
nonobstant l’absence totale de sou- schématiques du début de la Renais- d’ailleurs - indique le grand portail
tien dans le voisinage, cette place sance selon laquelle l’étoile défen- comme effectivement portugais,
forte résista pendant presque deux sive à quatre branches en saillie réalisé pendant la construction de la
siècles et demi ; sans doute au prix s’appuyait sur la transformation fortification et laissé ouvert pendant
d’investissements et de sacrifices de tout le rempart en un très vaste la période de construction pour per-
particulièrement lourds. bastion chargé de fonctionner de mettre aux embarcations chargées
Certes la vie de garnison devait y concert avec le rempart adjacent afin des lourds matériaux de construc-
être très difficile. Il suffit de dire que de couvrir un très vaste champ, battu tion d’aborder - rappelons qu’envi-
trois ans de service constant dans un par le tir croisé. Bien que la morpho- ron la moitié du quartier était natu-
avant-poste africain étaient la peine logie des bastions ne soit pas encore rellement inondée.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale
Par la suite, l’arc portant de la porte Antoine, Saint Esprit) et celui dit “du la manutention des pièces d’artille-
fut comblé par un large parement Gouverneur“, qui protégeaient l’en- rie. La défense était très différente
maçonné sur lequel s’adossaient trée centrale. Ce dernier a été com- de celle des techniques militaires
des habitations. Pour l’instant, au- plètement détruit. précédentes : il n’y avait plus besoin
cune source historique primaire Le front rappelait le schéma défensif de passages à l’intérieur de la ville
ne peut confirmer cette thèse mais de la florentine forteresse da Basso fortifiée pour le transfert rapide des
l’absence d’indications dans les réalisée au cours de la décennie pré- hommes armés d’un point à l’autre.
cartes du XVIIème siècle et l’archéolo- cédente. Aujourd’hui, la seule porte Les liaisons et les déplacements
gie architecturale de la porte - ab- vers la terre a été doublée d’une étaient très limités et empruntaient
sence de structure défensive, tech- portée pour faciliter le passage et directement le chemin de ronde.
niques de construction élaborées et surtout elle a été flanquée en 1916 A l’époque portugaise, le chemin de
supérieures à la qualité des modi- de ce qui semble être l’entrée princi- ronde s’ouvrait directement sur la
fications du XIXe siècle - indiquent pale : une ouverture ménagée dans ville et tous les édifices intérieurs
cette lecture comme assez probable l’axe de la rue principale, alignée sur avaient une hauteur inférieure à
bien que non irréfutable. la porte de la mer. celle des remparts. Il était ainsi pos-
Les bastions sont dotés de case- sible d’embrasser du regard toute la
Aujourd’hui l’entrée à la ville s’ef- mates avec embrasures mais on structure défensive et de protéger
fectue côté terre ; la présence du n’aperçoit que celles du Bastion les constructions internes.
port cache la vision des murs méri- Saint Antoine avec, côté nord, la Actuellement les habitations sont
dionaux - entre le bastion du Saint petite porte dite “de la Trahison“ qui plus hautes que les remparts. Cer-
Esprit et celui de l’Ange - et la route permettait le passage à l’extérieur à taines - rares - permettent même de
réalisée sur les anciennes douves partir d’un angle relativement pro- voir à l’extérieur. En outre, un mur a
permet la vue côté occidental - entre tégé, derrière l’orillon, à côté d’une été réalisé à l’intérieur (1880) pour
le bastion de Saint-Antoine et le bas- embrasure affleurant l’eau. cacher l’intérieur des maisons de-
tion du Saint Esprit. Au niveau inférieur du bastion du puis les remparts.
Au cours de la période portugaise, Saint Esprit, les ouvertures se sont
les remparts de la ville étaient aujourd’hui presque toutes écrou- Les bastions cavaliers principaux
entourés d’un fossé défensif rem- lées et ne sont accessibles que sont plus vastes, même si aujourd’hui
pli d’eau de mer et doublés d’un depuis l’intérieur du chantier naval cette sensation est faussée par les
appareil mural plus extérieur pour annexé au port. démolitions. Le bastion de l’Ange se
protéger l’entrée. Pour faciliter les Il est possible de monter sur les dresse entièrement sur la mer et a
conditions de vie, ces défenses ont remparts à partir des deux bastions une forme significative : une riche
été démolies. ainsi que depuis la rampe qui longe batterie de meurtrières à embra-
Le front intérieur est le plus dété- la porte de la mer et le chemin de sures pointent vers la mer, pour dé-
rioré. Outre des bombardements ronde peut être emprunté sur trois fendre le port et la ville alors que le
plus lourds, il a également été miné des quatre côtés de la forteresse. bastion à proprement dit est doté de
lors du départ des Portugais. Ini- Ledit chemin de ronde est large et casemates et de plans de tir décou-
tialement composé d’une courtine protégé par une muraille extérieure verts. La forme n’est pas encore lan-
continue, sans créneaux ni merlons de forme paraboïdale. Il était desser- céolée, mais il s’agit probablement
et défendue par deux bastions (Saint vi par cinq plans inclinés permettant d’un choix délibéré : la principale

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale
fonction de ce bastion était probable- pêche tant la consolidation de points La citerne
ment de tirer sur des embarcations, d’attaque terrestres que l’approche
une forme de tir plus directe, plus d’embarcations). Cette formidable forteresse fut réa-
incidente, que celle des défenses des Ce bastion abrite la chapelle Saint lisée autour du plus ancien château
bastions de terre. Sébastien - ancienne synagogue royal qui perdit toute valeur militaire
du XIXéme siècle - dotée d’un front et fut transformé en citerne d’eau
A l’opposé, de forme plus classi- assez scénographique et d’ouver- douce. Il s’agit de l’édifice le plus
quement Renaissance, le bastion de tures directes sur l’océan. A partir connu et le plus emblématique de la
Saint Antoine est doté d’orillons - ce- du balcon d’entrée, il est possible de ville ; bien que l’extérieur soit plutôt
lui côté ouest a été détruit - pour la jouir de la vue sur tout le quartier. insignifiant, à l’intérieur il abrite un
défense rasante et d’un vaste plan de Côté méridional, entre le bastion de espace hautement scénographique.
tir surélevé qui permet d’embrasser l’Ange et celui du Saint Esprit, on peut Construit autour d’une tour érigée
du regard tout le quartier extérieur. encore voir le fossé défensif d’environ par les frères Diogo et Francisco de
Côté nord, outre la porte de la Trahi- 14 mètres de largeur. Il permettait le Arruda - probablement la tour Bore-
son, il accueille également la porte mouillage temporaire des embarca- ja aujourd’hui entièrement recons-
des Bœufs, utilisée au moment de tions et, chose importante, une pêche truite et qui accueille un poste de
la construction de la forteresse pour qui apparemment était particulière- police - il constituait à lui seul une
permettre l’entrée des matériaux de ment fructueuse. La seule partie en- forteresse destinée à appuyer la ville
terrassement du fossé, utilisés pour core présente est utilisée comme port d’Azemmour et à lui assurer un ac-
remplir l’intérieur des remparts. et comme crique pour le chantier na- cès vers la mer en cas de problèmes
D’abord laissée ouverte, et elle fut val situé immédiatement à l’extérieur de navigation fluviale, aléatoire en
fermée lors du siège de 1562 car elle du bastion du Saint Esprit. Depuis ce fonction des saisons et surtout facile
constituait un point faible de la forte- dernier il est possible de jouir d’une à interrompre en cas de pression
resse et n’a été rouverte qu’au XIXéme vue panoramique sur la forteresse, le militaire.
siècle. quartier central de la cité d’El Jadida
Au nord-est, la fortification est re- et la vaste plage du golfe. Trois autres tours vinrent complé-
présentée par le bastion de Saint Sé- ter la première, aux quatre coins du
bastien. Sa position par rapport à la Les expérimentations menées sur château. La plus évidente est celle
mer explique sa forme asymétrique : la forteresse de Mazagan furent qui anciennement s’appelait do Re-
seul le côté nord est doté d’un orillon exploitées sur d’autres sites portu- bate (Tocsin) parce qu’elle abritait
qui interagissait dans la défense avec gais notamment lors de réalisation le système de guet et d’alarme. Ac-
le bastion de Saint Antoine, alors des défenses bastionnées de Ceuta tuellement elle sert de minaret pour
que le côté est - vers la mer, visible et de Diu (Inde) mais l’exemple le la mosquée adjacente.
aujourd’hui grâce à la jetée du port plus significatif est sans conteste la
moderne - était quasiment dépourvu forteresse de San Sebastian de l’Ilha D’après plusieurs sources - non
d’appareils défensifs, comme d’ail- de Moçambique, capitale de l’Afrique entièrement confirmées - la tour
leurs les remparts qui le raccordent orientale portugaise de 1570 à 1898, de la Cigogne, dépouillée de ses
à la porte de la mer, privée d’espace lorsqu’elle fut déplacée à Lorenço équipements rigoureusement mili-
de tir (ici la forteresse s’appuie sur Marques, actuel Maputo. taires, accueillit la résidence du
un fond rocheux affleurant qui em- gouverneur portugais. La dernière

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

tour, celle de la prison (cadeia en Sa reconstruction semble assez im-


portugais) sert aujourd’hui encore probable mais on la reporte ici par
d’habitation et elle est connue pour curiosité et pour montrer le côté
avoir été occupée par Driss Chraibi, “mystique“ que revêt cette salle ci-
écrivain contemporain bien connu, terne. Un voile d’eau y est constam-
disparu le 1er avril 2007. ment maintenu pour permettre d’en
Le long de la rue principale du quar- admirer les reflets. Partiellement
tier - entre la tour de la prison et hypogée, elle est constituée de
celle de la police - se trouve l’entrée voûtes à croisées d’ogives reposant
au château dont la cour carrée ser- sur des piliers ronds et portant les
vait de dépôt et, partiellement, de armes de la maison du Portugal.
résidence.
Séduit par son caractère scénogra-
Perdant complètement sa fonction phique, Orson Welles y a tourné en
militaire, l’édifice fut transformé 1952 quelques séquences significa-
et la cour centrale fut couverte et tives de son “Othello“, partiellement
transformée en réserve d’eau d’une tourné au Maroc, ici et à Essaouira.
capacité maximum d’environ 50.000
mètres cubes d’eau. Elle était par- Déjà ouverte au public à l’époque du
tiellement remplie d’eau de pluie protectorat, lorsque furent démo-
- recueillie sur le toit et acheminée lies les constructions qui y avaient
dans le réservoir par une ouverture été adossées, la citerne a fait l’objet
circulaire d’environ 3 mètres de dia- d’importants travaux de réhabilita-
mètre - et surtout à travers un petit tion et de valorisation au cours de la
aqueduc qui y convoyait les eaux première décennie du siècle. Depuis
d’une source extérieure aux rem- 2008 deux salles, souvent ouvertes
parts. au public, accueillent des exposi-
tions temporaires.
L’édifice avait une fonction fonda-
mentale à l’époque portugaise mais Dans l’entrée, sont présentés des
il fut totalement oublié après l’aban- objets - principalement à usage mi-
don de la place. Réutilisé comme litaire - retrouvés lors des derniers
habitation à partir de la réoccupation travaux et parfaitement restaurés. À
du site, il semble que la découverte côté de l’entrée on peut également
de la magnifique salle centrale ait voir l’ancienne maquette de la ville
été tout à fait fortuite, suite à l’ou- portugaise qui, malgré son mauvais
verture d’une faille dans le mur qui état de conservation et son manque
aurait inondé l’extérieur. de précision, permet de se faire une
idée assez claire de la structure du
El Jadida, Tour de Rebate / Minaret quartier.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale

Le quartier intra-muros Sur la rue donnent la citerne et rieur, un simple plan rectangulaire
quelques édifices résidentiels de à une seule nef. Après une étude
À l’intérieur des remparts se dresse standing datant de l’époque mercan- archéologique réalisée directement
un quartier d’origine Renaissance. tile du XIXéme siècle. Vers la terre - par le Centre d’Études Maroco-lu-
Bien qu’il n’existe pas de plans ni côté occident - on peut noter la place sitanien, elle a été restaurée et est
de cartes de sa conception - les d’armes, partiellement transformée aujourd’hui ouverte au public, à l’oc-
concepteurs étant occupés par la au XIXéme siècle, place publique re- casion d’expositions et autres mani-
conception des ouvrages de défense présentative de la ville. festations culturelles.
- le résultat est évidemment une mi- Le clocher fut étêté au XIXème siècle,
ni-ville de conception Renaissance. Sur la place, anciennement dotée lorsque l’église déconsacrée ser-
d’une fontaine publique, se dressait vit d’habitation. Il fut reconstruit -
Aujourd’hui encore et malgré d’in- la résidence du Gouverneur - minée et rehaussé - à l’époque coloniale
nombrables transformations, cette lors du départ des Portugais - à l’em- lorsque l’église recouvra sa fonction
origine donne du quartier une image placement de laquelle se trouve au- religieuse.
assez homogène et discrète, réservée. jourd’hui la mosquée, l’hôpital de la Aujourd’hui, le quartier intra-muros
Miséricorde, qui jouxtait les murs de n’est plus qu’un simple quartier de
Le tracé urbain se fonde sur un axe la citerne et l’église Notre Dame de l’agglomération, isolé et peu inté-
rectiligne principal qui divise le quar- l’Assomption (Nossa Senhora da As- gré au reste de la ville. Il retrouve
tier en deux parties asymétriques. sunção), sainte patronne de la ville. un certain intérêt grâce aux activités
Les dimensions de la partie nord La façade de l’église, édifiée à par- touristiques, à l’attention des insti-
sont approximativement le double tir de la seconde moitié du XVIème tutions et au dynamisme de l’asso-
de la partie sud. De cet axe partent siècle, rappelle vaguement l’église ciation de la Cité portugaise.
des rues orthogonales à droite et à Sant’Andrea réalisée à Mantoue par
gauche qui organisent l’espace sui- Leon Battista Alberti., avec, à l’inté- El Jadida, Citerne, vue de la salle centrale.

vant un maillage continu de pâtés de


maisons dotés d’espaces pour petits
animaux domestiques et jardins
potagers. Suite à sa réutilisation
au cours des deux derniers siècles,
cette configuration a été partielle-
ment transformée et adaptée aux
coutumes locales.

L’axe principal, dont les extrémités


étaient fermées à l’époque portu-
gaise, aboutit aujourd’hui à deux
portes : l’une d’accès à la mer - à
l’intérieur du bassin portuaire - et
El Jadida, Intérieur du bâtiment de la Citerne : croix
l’autre à la ville extra-muros. de l’Ordre du Christ (Real Ordem dos Cavaleiros de
Nosso Senhor Jesus Cristo).

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale

Safi - Safim - 1481, La cité était formellement contrôlée ture fut percée pour permettre aux
par les cheikhs de Marrakech mais soldats de pénétrer à l’intérieur des
1508 à 1541 elle jouissait d’une grande autono- murs et se jouer facilement de la
mie et était, de ce fait, en proie à défense locale.
Points d’interêt remarquables : différentes factions : pro-espagnole, Ici encore, comme dans presque
pro-portugaise mais aussi sceptique toutes les places d’Afrique du Nord,
• L’ Ex-Cathédrale vis-à-vis des Européens et réso- les Portugais revirent la structure
• Ketchla - Le château du Haut lument liée aux dynasties musul- défensive de la ville, opérant une sé-
• Le château de la Mer manes. rie de réductions des parcours mu-
raux - atalho - et leur régularisation.
Plutôt imposante, la médina de Safi Ce conflit permanent pour la supré- Dans le cas de Safi, la réduction se
n’est désormais qu’une petite par- matie faisait régner le chaos et le fit sur les deux côtés de la ville, sans
tie de la vaste agglomération ur- 28 août 1481 les émissaires du roi limiter cependant sa profondeur
baine. Toute la ville est dominée par Alphonse V réussirent à arracher un vers l’intérieur afin de permettre
le port destiné à l’exportation des contrat de protection. Ce contrat fut l’intégration du château érigé sur la
phosphates et par le chemin de fer confirmé et prorogé le 16 octobre colline, l’actuelle Ketchla. Côté nord,
qui coupe le centre, longe le quar- 1488 lorsque le contrat de protecto- où les remparts portugais longent
tier historique et l’isole de la mer. A rat fut reconduit par le nouveau roi un vallon, une tour de l’enceinte pré-
l’emplacement des anciens docks se Jean III. cédente a été maintenue, formant
trouve une place et tout le matériel Malgré la présence portugaise, la une sorte de tenaille - indiquée en
est déchargé directement dans le ville continuait d’être mal adminis- portugais comme couraça -, parfai-
port industriel situé en aval du très trée et en perpétuel conflit. En 1508, tement visible aujourd’hui encore.
grand port de pêche. Diogo de Azambuja, émissaire royal, Globalement, les remparts restent
arriva à Safi avec la mission de cal- de type rigoureusement médié-
Pour les Portugais du XVème siècle, mer les esprits et de trouver une val : hauts, droits et sans aucune
Safi représentait un point d’accès solution aux litiges permanents. concession aux possibilités de dé-
important aux richesses du Douk- Après avoir évalué la situation, il fense rasante de l’artillerie. Tout le
kala ; la cité était déjà influente et se rendit compte de l’impossibi- périmètre est doté d’un chemin de
cosmopolite lorsque des marchands lité d’administrer une ville de cette ronde, mais seule la partie septen-
portugais commencèrent à s’y ins- façon et, animé par la nécessité de trionale est ouverte au public (entrée
taller. Dès les années 1470 le site mettre un terme à cette situation, depuis la tour de protection de la
abritait une feitoria, suffisamment il s’empara militairement de la ville porte Almedina.)
grande et peuplée pour posséder sa qui fut donc directement adminis- La protection de la ville contre les
propre chapelle et un aumônier. trée par les Portugais. attaques était confiée à deux châ-
teaux : la Ketchla (Château du Haut)
Safi - Château de la Mer. En haut, une vue de l’in-
Il semble que la conquête militaire sur la colline pour les attaques por-
térieur de la ville, le donjon (une tour carré dans de la ville eut lieu sans trop d’effu- tées depuis l’intérieur des terres et
ce cas), résidence pour le commandement mili- sion de sang ; la feitoria portugaise le Château de la Mer pour les at-
taire. En bas, une vue de l’extérieur, avec les tours
rondes, sur la gauche la tour qui est en train de
se trouvait près des remparts occi- taques depuis la mer ou le sud. Ce
s’écrouler à cause de la houle marine. dentaux, vers le port et une ouver- dernier protégeait également les

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale
installations commerciales et por- des droits et libertés accordés. Bien pour le développement d’un secteur
tuaires. L’expansion et la puissance qu’aucun ghetto n’ait été consti- industriel lié à ces produits miniers,
de la ville furent telles qu’en 1515 tué, la communauté juive s’établit installé principalement à Sidi Rosia,
les capitaines réunis de Safi, Azem- dans la partie basse de la ville qui au sud de la ville, sur le littoral.
mour et Mazagan attaquèrent la était également la moins salubre et Proche de la ville historique se trouve
capitale Marrakech, sans arriver à la la plus proche des lieux dédiés au la colline des céramistes où pendant
conquérir, ni à la piller. commerce maritime. des siècles ont été produites - et au-
Malheureusement, la découverte À l’intérieur des murs, l’influence jourd’hui vendues - les céramiques
de mines de phosphates dans la de l’orographie est évidente : la rue traditionnelles de Safi, répandues
région et la construction d’un port principale - l’ancienne rua direita sur tout le territoire marocain.
industriel à côté du port de pêche a portugaise - divise le quartier en
conduit à la construction d’une ligne deux parties hétérogènes. Vers la L’Ex-cathédrale
de chemin de fer le long de la côte. mer, la ville est plate et outre le
En 1936, sa construction a nécessité ghetto juif, elle accueillait les diffé- À l’intérieur de la médina, près de
la destruction d’une partie des rem- rentes activités commerciales, pro- la mosquée principale érigée sur
parts et modifié totalement le rap- duisant un tissu urbain plutôt régu- l’emplacement de la cathédrale por-
port de la ville à la mer, aujourd’hui lier. De l’autre, la colline couronnée tugaise se trouve un édifice appelé la
encore limité par l’impossibilité d’un par la Ketchla est restée une zone cathédrale de Safi et qui est effecti-
accès direct. résidentielle aux ruelles destinées vement ce qu’il en reste : une partie
La ville fut le pôle principal de la en grande partie à desservir les es- du transept.
présence portugaise au Maroc cen- paces de voisinage. Quelques années après leur instal-
tral qui accueillait le Gouverneur de Portugaise jusqu’en 1541, lorsqu’elle lation, en 1519, les Portugais lan-
la région et l’Évêque. Pour faciliter la fut conquise par les armées saa- cèrent la construction de la cathé-
reprise rapide et le développement diennes, elle ne connut pas de drale dédiée à Sainte Catherine afin
du commerce, des privilèges parti- développement particulier, basant d’accueillir dignement l’évêque. Il
culiers furent octroyés à la commu- ses activités sur la pêche et la pro- s’agit d’un édifice manuélin, peut-
nauté juive locale. duction de poterie. Au XIXe siècle, être le seul édifice non militaire de
“Aux Juifs, il [le capitaine de la place elle fut le premier port de pêche du style gothique de toute l’Afrique sep-
de Safi] communiqua l’édit royal du Maroc, spécialisé dans la transfor- tentrionale. La communauté locale
4 mai 1508 qui leur donnait l’assu- mation industrielle du poisson. La en finança directement la construc-
rance de n’être jamais expulsés de grande transformation de la ville est tion, soulignant la richesse du com-
la ville ni contraints d’embrasser la due à la production des phosphates merce.
religion catholique, tout au moins provenant des gisements de Yous- La présence d’un évêché rend cette
sans en être prévenus deux ans soufia, à environ quatre-vingts kilo- ville unique : toutes les églises de
d’avance et même dédommagés“ mètres à l’intérieur des terres. l’actuel Maroc dépendaient formel-
(Goulven, 1938). Après la création du port moderne lement du roi de Portugal, comme
Les conditions furent telles qu’un à l’époque coloniale - qui fonctionne l’avait établi le pape Alexandre VI en
certain nombre de juifs portugais aujourd’hui encore et est spécia- 1499 et comme l’avait confirmé son
décidèrent d’abandonner la mère lisé en produits semi-ouvrés dérivés successeur le pape Léon X par une
patrie pour s’installer ici et profiter des phosphates - la ville fut choisie bulle de 1514.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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Le premier évêque de Safi fut nom- que le Roi a l’intention d’abandon-
mé par le pape Alexandre VI le 17 ner..., pour leur épargner la honte
juin 1499 alors que les Portugais ne de tomber aux mains des Infidèles“
contrôlaient pas encore complète la (Goulven, 1938, 39). À l’emplace-
ville. Ce n’est qu’après la perte de ment de la cathédrale fut réalisée
la ville que les églises d’Afrique du la mosquée principale, isolant et
Nord furent incorporées au diocèse abandonnant le transept qui servit
de la capitale, avec pour intermé- de dépendance au hammam voisin.
diaires les évêques de Ceuta et Tan- Dans l’ouvrage intitulé “Les sources
ger, à leur tour liés à l’archevêché de inédites de l’histoire du Maroc“ (de P.
Lisbonne. de Cénival, D. Lopes et R. Ricard) on
Lorsqu’ils abandonnèrent la ville, les peut lire que l’accès était obligatoi-
Portugais démolirent la plupart des rement fait à quatre pattes à cause
constructions religieuses “L’ambas- de la présence séculaire des détritus
sadeur à Rome, Brás Neto, par ordre du hammam.
du Roi, demanda à Paul II l’autori-
sation de supprimer les églises et Safi, voute en style “manuélin“ (gothique flam-
boyant) de la salle dite “Cathédrale portugaise“, en
couvents des possessions d’Afrique effet transept de l’ancienne cathédrale.

Safi, fenêtre (actuellement fermée) de l’ancien transept de


la cathédrale. A remarquer les nervures de la voûte.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale
Les vestiges furent protégés comme Au cours de cette décennie, les his- Pour renforcer, même symboli-
patrimoine historique en 1924 toriens portugais ont essayé de re- quement, la présence portugaise,
lorsqu’ils furent vidés des détritus construire la ville à partir de sources les armes du roi Manuel Ier furent
du hammam. À l’indépendance du textuelles, de façon à pouvoir - dans sculptées sur la porte d’entrée (voir
Maroc, la “cathédrale“ a été à nou- le futur - entreprendre des son- la couverture de cet ouvrage).
veau abandonnée, les autorités de dages archéologiques qui pourraient
l’époque ayant d’autres priorités. mettre en lumière une partie de la Le côté vers la mer est radicale-
Ce n’est que dans les années 1990 mémoire de la ville du XVIème siècle. ment différent. En effet, alors que
qu’elle connut un regain d’intérêt En montant à l’intérieur de la ville le côté vers la terre est entièrement
et qu’elle fut utilisée comme siège murée, on arrive au sommet de la dédié à la guerre, donc dépourvu de
d’expositions. La restauration et Ketchla, forteresse imposante qui fenêtres, en pierre et extrêmement
l’ouverture au public datent de la domine le quartier. austère, l’autre côté, ouvert sur la
seconde moitié des années 1990 ville, est un hôtel particulier, rési-
lorsque, grâce à l’activité du Cen- Ketchla - Le château du haut dence du gouverneur et sans fonc-
tro Maroco-lusitanien, d’importants tion militaire directe.
travaux de nettoyage et de consoli- La Ketchla est un fort d’origine al-
dation furent entrepris. Depuis, la mohade (XIIème siècle) que les Por- Cette résidence est aujourd’hui un
“cathédrale“ est ouverte au public et tugais trouvèrent en parfait état de lieu de culture, de mémoire et de
accueille une partie des expositions fonctionnement et surtout, stratégi- formation, mais aussi de production
de la ville. quement positionné. d’art et d’artisanat. Siège de fonc-
Ils le renforcèrent immédiatement, tions administratives publiques, il
Actuellement, la Fondation Calouste le dotant d’une énorme demi-lune est construit sur deux niveaux de
Gulbenkian a un projet de restaura- fortifiée complétée de quatre case- référence. Le niveau supérieur -
tion qui permettra à l’édifice d’at- mates avec embrasures et d’un avec l’entrée principale - accueille
teindre un niveau de conservation plan de tir découvert. Ces aména- des bureaux, une salle de prière et
optimal. gements permettaient de frapper le un espace d’expositions culturelles ;
flanc de la colline et d’en assurer la depuis la cour voisine on peut accé-
L’intérieur de la ville murée possède protection. der au musée national de la poterie
une autre présence patrimoniale reli- qui propose des objets en terre cuite
gieuse d’origine portugaise : le cou- Pour renforcer le système, sur la de tout le pays, d’un grand intérêt
vent sainte Catherine. Les sources droite et sur la gauche de la forti- technique et historique. Dans cette
historiques mentionnent ce couvent à fication, aux angles du mur d’en- partie haute, la Ketchla accueille
partir de 1514 bien que les principaux ceinte, deux tours semi-circulaires également le conservatoire, pour la
travaux n’aient été enregistrés qu’en bastionnées furent réalisées. Elles formation de jeunes musiciens.
1517. Les restes, qui semblent être permettaient de défendre une vaste Plusieurs antennes du Ministère
particulièrement imposants et de étendue de terre tout en renforçant de la Culture trouvent également
qualité, se trouvent à l’intérieur d’une l’image de puissance. On attribue place à l’étage supérieur aligné sur
résidence privée et l’accès y est donc la conception de cette défense aux le sommet de la colline. Grâce au
extrêmement difficile. fameux frères Diogo et Francisco de dénivelé, deux locaux ayant servi de
Arruda, mais sans certitude. prison hébergent aujourd’hui deux

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale
laboratoires artisanaux du Ministère ton, entraînant la fermeture du châ- de plans de tir sur le sommet. La
de la Culture, un atelier de menui- teau au public et la réalisation d’un seconde tour, vers la mer, est réa-
serie et une ferronnerie d’art. Ils soutènement de la structure, côté lisée à l’extrémité d’un pan de mur
sont chargés de la production des mer. En 2010 un autre glissement qui l’éloigne de la rigide structure
pièces nécessaires à la restauration important a provoqué l’éboulement du château, composant ici encore,
des grands palais nationaux et des partiel de la tour ronde à l’extrémité comme dans le cas de la tour exté-
demeures royales. de la couraça. rieure sur le front septentrional des
remparts, une tenaille - couraça.
La liaison interne entre les différents La construction du château date de Cette tour s’est en partie écroulée
étages n’est pas ouverte au public, 1516. Suite aux sièges des années en 2010.
mais l’accès y est souvent toléré. précédentes les Portugais déci-
Depuis cet édifice, on jouit d’une dèrent de fermer le pas aux attaques Le reste du château gravite autour
vue panoramique sur la ville, tant à ennemies en provenance du sud où d’un patio central qui, grâce à des
partir des balcons des bureaux prin- le système défensif de la ville était rampes inclinées, dessert les vastes
cipaux que des anciens plans de tir plus fragile. De cette position, le terrasses de tir tournées aussi bien
desquels on peut observer toute la château pouvait assurer la défense vers la terre que vers la mer.
structure défensive de la place forte. et la protection de la ville même Il est bien difficile d’apprécier la vue
En regardant la mer, on distingue contre les assauts provenant de la de ce château à cause de la voie de
nettement, en contrebas sur la mer. chemin de fer qui l’isole de la ville ;
gauche, le château de la Mer et les par ailleurs, les problèmes statiques
remparts nord et sud. Ces derniers, Le site avait déjà été occupé puisque récurrents ne permettent pas d’éva-
comme les autres d’une épaisseur d’anciennes constructions forti- luer correctement l’importance et
d’environ 5 mètres, supportent le fiées mineures y avaient été réali- l’opportunité des travaux à entre-
chemin de ronde qui menait directe- sées. Ce que nous pouvons admirer prendre pour sauvegarder cet ou-
ment au château de la Mer, construit aujourd’hui a été achevé en 1523, vrage monumental.
sur un piton rocheux à pic sur le port. un ouvrage à base quadrangulaire
d’une soixantaine de mètre de côté,
Le château de la Mer archétype de la fortification de la fin
du Moyen Age.
Juché sur un piton rocheux, le grand
château médiéval surplombe la baie La forteresse est dotée d’une demi-
de Safi. Malheureusement, cette lune, protégée par un puissant don-
Safi, Ketchla. En haut, vue de la Ketchla de l’inté-
position se révèle aujourd’hui dan- jon d’angle carré qui accueillait la rieur de la médina, sa partie “palais, résidence“ (et
gereuse parce que les flots sont en résidence du commandant du châ- actuellement bureaux de la Délégation régionale du
train d’effriter lentement le pic ce teau. Sur le front nord, à pic sur la Ministère de la Culture). En bas, vue de l’extérieur,
sur la droite l’immense bastion rond avec plan de tir
qui conduira à la destruction de la mer, on peut observer une fenêtre sur le sommet. Sur la gauche, une tour-bastionnée
forteresse. de type manuélin. à protection de l’angle de la muraille. A remarquer
Les deux côtés exposés aux assauts les canonnières couvertes, aussi bien dans le bas-
tion rond que dans la tour-bastionnée. Couverte par
En 2002, une forte tempête a entraî- sont dotés de deux tours rondes les deux appareils, la porte d’accès au fort, directe-
né l’éboulement d’une partie du pi- avec casemates à embrasures et ment ouvert vers l’extérieur de la ville.

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Souira Kedima - Aguz La petite fortification - un rectangle Selon une légende locale, la place
d’environ 40 mètres par 25 - est ren- forte fut construite en une seule
1521 à 1525 forcée sur deux angles par de larges nuit. Cette légende trouve fonde-
tours rondes, dépourvues d’habita- ment dans l’habitude portugaise de
La forteresse d’Aguz a été construite tions. l’époque de préparer, au Portugal,
en 1521, à quelques kilomètres au les éléments préfabriqués destinés
sud de Safi et elle a été abandonnée Ce type de fortification la situe dans aux fortifications. Ce mode opéra-
seulement quatre années plus tard. l’histoire de la typologie entre le bas toire permettait la réalisation extrê-
A la limite rocheuse d’une vaste baie Moyen-âge - comme Asilah - et le mement rapide des premières lignes
sableuse, le site fut choisi en 1519 début de la Renaissance - comme de défense, la première protection
par l’évêque de Safi, en quête d’un Mazagan/El Jadida -. Elle rappelle contre les attaques de la population
site sur lequel ériger une nouvelle le fort de Vila Viçosa aux confins de autochtone.
fortification destinée à renforcer le l’Espagne qui, à son tour rappelle
contrôle portugais de la côte. plusieurs plans de Léonard de Vinci “C’est surtout avec Dom Manuel
figurant dans le Code Atlantique. que cette technique se généralisa :
Le site fut abandonné en 1525 et il s’agit de l’utilisation systématique
pendant plusieurs siècles il n’eut Cette forteresse isolée peut être de châteaux de bois préfabriqués
plus aucune fonction. Les qualités considérée comme une transition et transportés en Afrique et en Ex-
nautiques de la baie ont conduit, au entre les fortifications médiévales trême Orient“ (Vieira da Silva, 1994).
cours de la seconde moitié du XXème et renaissance et entre les deux pé-
siècle, à la construction d’un petit riodes de la présence lusitanienne Après les restaurations extrême-
port de pêche, juste à côté de la for- sur les territoires d’Afrique du Nord. ment fragmentaires et partielles
teresse et à proximité du village de des années 1980, la forteresse est
pêcheurs. Même pendant la période d’expan- aujourd’hui (2011) en phase de res-
sion, les Portugais commencèrent tauration et de consolidation. Mal-
Au cours des deux dernières décen- à fortifier une nouvelle place forte heureusement, l’organisation du
nies, un quartier touristique a été en mesure de contrôler une autre chantier et les premiers travaux
implanté le long de la plage, profi- base océanique dotée d’un arrière- effectués ne laissent pas présager
tant ainsi de la baie et de la longue pays riche et cultivable. Seulement d’un soin particulier des travaux,
plage de sable. Dans les environs quatre ans plus tard, la pression mi- ni d’une attention aux spécificités
immédiats du port et de la forteresse litaire décrétait la faillite de ce pro- patrimoniales et authentiques de
plusieurs édifices ont été réalisés jet qui fut abandonné en faveur d’un l’édifice.
qui accueillent - au premier étage premier retranchement à l’intérieur
- des petits restaurants, simples et de murs plus robustes, ceux de Safi
conviviaux. dans ce cas.

Souira Kedima, tour sud-est, à protection de la


porte. Il s’agit de la partie déjà “restaurée“ de la
forteresse.

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Souira Kedima, tour nord-ouest. Tour ouverte à


82 l’érosion des vents et des vagues océaniques.
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La région centrale

Agadir - Santa Cruz de l’autorisation au constructeur - João sur le sommet de la colline - et la


Lopez de Sequeira - de pouvoir ainsi défense de la place fut impossible.
Cabo de Guer - 1505 à pénétrer dans une zone d’intérêt En mars 1541, celle-ci tomba aux
1541 espagnol. mains des Marocains entraînant une
série de défaites et d’abandons de
Dans la navigation vers le sud, les Au cours des années qui suivirent, places qui caractérisèrent la poli-
Portugais croisèrent cette baie qui, la forteresse en bois fut remplacée tique portugaise de l’époque.
outre des conditions de mouillage par une enceinte plus grande et plus
favorables, offrait une source d’eau solide que le roi acheta en 1513. Les La ville fut toujours habitée et les
douce presque en contact avec la travaux furent poursuivis jusqu’à la structures fortement modifiées au fil
mer. réalisation d’une petite cité allon- des siècles, jusqu’au terrible trem-
gée suivant les courbes de niveau du blement de terre de 1960 qui anéan-
C’est autour de cette source, à la promontoire - le Cabo de Guer. tit toute la ville et n’épargna pas les
base du promontoire d’Agadir, fut vestiges portugais. Il est aujourd’hui
construite en 1505 une première Dans les années 1530, le cheikh du impossible de trouver des restes
fortification en bois dotée d’un accès Sus occupa le promontoire - il reste matériels de la présence portugaise.
direct à la mer. Il semble que le roi aujourd’hui encore des traces, forte-
Manuel Ier avait secrètement donné ment remaniées, d’une fortification

Agadir, emplacement de l’ancien site portugais, à la


base de la colline. Les remblais qui ont été réalisés
après le tremblement de terre de 1960 ont effacé
tout vestige de l’époque portugaise.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La région centrale

Essaouira - Le château de Mogador mais sur la terre ferme, tion de la forteresse. Il est cepen-
où aujourd’hui se trouve le port de dant sûr qu’il n’existe aucune trace
royal de Mogador - 1506 à pêche. évidente et visible de sa présence.
1541 Il ne resta aux mains des Portugais Souvent et de façon erronée, le fort
que quelques années - certaines récent et abandonné sur la plage est
La baie d’Essaouira est particuliè- sources anciennes soutiennent qu’il indiqué comme fort portugais.
rement bien protégée par l’île de a résisté jusqu’en 1541, et qu’il est
Mogador qui, en plus lui donner tombé en même temps qu’Agadir, La ville actuelle fut fondée en 1769,
son nom colonial, brise la force des Safi et Azemmour alors que des longtemps après le départ des Por-
ondes océaniques. Cette caracté- sources plus récentes indiquent tugais, par ordre du sultan Sidi Mo-
ristique est extrêmement appréciée la fin de la présence portugaise en hammed Ben Abdallah qui voulu,
aujourd’hui par les nombreux sur- 1510 - et aujourd’hui il n’en reste par cet acte, donner un port à la ville
feurs qui fréquentent la baie. pas de traces visibles. de Marrakech et marquer le contrôle
réel des côtes et des routes océa-
Le développement touristique et pa- Sa démolition au départ des Portu- niques.
trimonial de la ville -inscrite depuis gais ne fut pas immédiate ni totale.
2001 sur la liste du patrimoine mon- Il existe des plans et des références Essaouira intra-muros fut conçue
dial de l’Unesco - en fait un point qui remontent aux XVIème et XVIIème par un prisonnier français converti
d’attraction majeur le long du littoral siècles. Certains plans de Théo- - Théodore Cornut - suivant un plan
marocain. dore Cornut, concepteur de la ville qui rappelle fortement la disposi-
actuelle, indiquent le fort portugais tion classique gréco-romaine des
Compte tenu des conditions mari- à l’emplacement actuel de la Skala espaces urbains, avec deux rues -
times, la baie accueillit tous les qui aurait donc été construite sur cardo et decumanus - se croisant
navigateurs depuis l’Antiquité - Phé- les bases de l’ancienne fortification. au centre de la ville où se tient le
niciens, Romains, Vénitiens, Génois, Ces plans montrent également des marché et une place ouverte, sorte
Marseillais, Catalans, Aragonais… - canons frappés aux armes du Por- d’agora de la nouvelle ville.
et elle fut certainement une escale tugal.
commerciale pour les Portugais.
Ceux-ci s’y installèrent en 1506, avec Malheureusement, aucune source
un château royal qui, contrairement plus précise ne peut permettre
à son nom, n’a pas été bâti sur l’île d’identifier précisément la localisa-

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Les places mineures ou incertaines


La fréquentation portugaise du ter- fleuve, trop bas pour pouvoir consti- Azrou Maheli, Azrou Use-
ritoire marocain ne se limite pas tuer une véritable défense militaire
uniquement à ces lieux où ils se - finirent par convaincre le roi d’ac- queden, Beni Boufrah,
sont établis mais il subsiste d’autres cepter de se retirer. Un accord fut Dahar Entegusef, Meccó
sites où la présence lusitanienne fut donc signé le 27 août 1489 avec le roi
fugace, voire parfois supposée. de Fès qui laissa partir les Portugais Patrice Cressier, archéologue,
Parmi ceux-ci : sans les attaquer. évoque la possibilité d’attribuer cer-
tains restes fortifiés présents sur
Larache - El Araich - Entre temps, une muraille avait été la côte méditerranéenne du Marco
commencée dont il reste quelques à une présence portugaise. Cette
La ville de Larache, pointe méridio- traces des fondations. attribution s’appuie sur des bases
nale de la péninsule tingitane, ne fut archéologiques tirées de compo-
jamais conquise par les Portugais. Ksar el-Kebir - Alcácer santes matérielles et des techniques
Lors de la prise de Tanger et d’Asilah typiques du bâti militaire portugais.
en 1471, les populations locales se
Quibir - Aujourd’hui cependant, aucune
dispersèrent et cette zone fut concé- source primaire ne permet une attri-
C’est sur ce site qu’eut lieu la fa- bution précise et il est bien difficile
dée en 1473 au duc de Guimarães meuse bataille des Trois Rois le 4
qui ne parvint jamais à la rendre flo- de penser à une présence portu-
août 1578. La puissante armée por- gaise marquante où les traités avec
rissante. tugaise, renforcée de mercenaires l’Espagne indiquaient clairement la
espagnols et italiens, guidée par souveraineté de cette dernière.
A cette époque, le fleuve Loukos le roi Sébastien et appuyée par les
était navigable et les Portugais pré- On peut penser qu’il s’agit effective-
troupes fidèles à Mulay Mohamed ment d’édifices bâtis selon les prin-
férèrent s’installer sur le site de Almutuaquil, fut lourdement défaite
Graciosa. cipes de construction lusitaniens
par les armées de Mulay Abdel- par des Portugais au service du roi
maleque. de Fès, fait relativement fréquent à
Graciosa - l’époque.
Plusieurs milliers d’hommes furent
En 1489, la volonté d’interrompre le faits prisonniers et on parle de plus
lien entre le royaume de Fès et la de 10.000 morts dont le roi Sebastien Immourane - Ben Mirao -
mer poussa les Portugais à planifier et Mulay Mohamed Almutuaquil. Ce 1505 à 1513
la réalisation d’une citadelle fortifiée fut le plus grand désastre militaire
sur une île du fleuve Loukos, à une du Portugal qui, avec la mort du roi, En 1505, après avoir achevé le châ-
dizaine de kilomètres de Larache, se retrouva sans descendance royale teau d’Agadir, il João Lopez de Se-
vers l’intérieur des terres. directe et aboutit à la période de la queira partit sur la côte plus au nord
corégence. pour installer une forteresse de sup-
L’ordre fut donné en mars de la port qui fut baptisée Ben Mirao. Ce fut
même année mais les réactions le prélude d’une forme d’occupation
vives et constantes des populations territoriale qui devait se développer
locales - outre le niveau estival du autour des places du sud marocain.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Les places mineures ou incertaines


À quelques kilomètres d’une ville, El Ma’moura - Mamora - avoir construit une muraille d’envi-
les Portugais avant tendance à ron 70 mètres, les troupes portu-
construire une forteresse en me- 1515 gaises durent se retirer, sous la
sure, à la fois d’atténuer l’éventuelle pression du vice-roi de Marrakech.
pression d’un siège et d’assurer une L’embouchure du fleuve Sebou sem- Il ne reste qu’une vague trace d’une
couverture logistique en cas de pro- bla particulièrement favorable à longue muraille difficilement visible
blèmes. Suite à Immourane, il y eu l’installation d’une fortification entre sur les rives du fleuve, où l’archi-
El Jadida, pour protéger Azemmour, les villes du nord - Asilah et Tanger tecte Diogo Boytac décida d’installer
et Suira Kedima pour protéger Safi. - et celles du centre - Azemmour et la fortification.
Il n’est pas fait mention de la for- Safi.
teresse de Ben Mirao dans l’acte Le 29 juin 1515, une expédition de
d’achat de la forteresse d’Agadir 8.000 hommes débarqua et entreprit Azemmour, vue du coin sud-occidental de la ville,
avec une porte protégée par une tour ronde et une
rédigé par le roi Manuel Ier en 1513. de construire une structure défen- tour angulaire. Les deux précédent l’époque portu-
On ne peut voir aujourd’hui que sive, d’abord en bois puis en pierre. gaise et ils ont été légèrement consolidés par les
quelques restes des fondations. Le 10 août de la même année, après Portugais.

89
L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Un “semblant“ de glossaire
Pendant la rédaction de ce guide, exploiter au mieux les conditions faciles à défendre. À Safi, la modi-
nous nous sommes aperçu que géomorphologiques des différents fication du tracé des remparts les
l’emploi de certains termes va au- sites. éloigna d’une source d’eau, parti-
delà de leur simple signification, En territoire hostile, l’activité agri- culièrement importante en cas de
donc de leur traduction. Nous avons cole, qui occupait de grands es- siège. Une des tours des murs de
donc décidé de les laisser dans leur paces dans les villes conquises, fut l’enceinte d’origine fut donc conser-
langue d’origine et de réaliser ce drastiquement réduite et déplacée vée et consolidée car elle permettait
chapitre pour les présenter et les à l’extérieur du mur d’enceinte. Le de contrôler la source ; un haut pont
expliquer. nombre d’habitants et les catégo- franchissait le dénivelé de la vallée
ries socioprofessionnelles s’en trou- pour raccorder la tour, de ce fait ex-
Il s’agit de termes liés aux transfor- vaient profondément modifiés ; tous centrée, à la nouvelle ligne fortifiée.
mations morphologiques introduites les espaces précédemment destinés Dans le cas d’Asilah, il n’existait pas
par les Portugais dans les villes aux productions agricoles ou à l’éle- de forte orographie naturelle. La ville
d’Afrique du Nord au fur et à mesure vage étaient donc fortement réduits se développait déjà le long de la mer
de leurs conquêtes. Ces transforma- voire totalement supprimés. et le tracé de l’atalho a été effectué
tions visaient à adapter les espaces perpendiculairement à la ligne du
aux exigences et aux coutumes des La principale raison était d’ordre mi- front de mer : un long mur rectiligne
nouveaux occupants. litaire. Les garnisons étaient néces- - doublé, à l’extérieur, d’un fossé -
sairement limitées et pour pouvoir a entravé tout développement de la
assurer une défense appropriée, il ville vers l’intérieur. Il est possible
Atalho - était nécessaire de réduire le péri- aujourd’hui encore de percevoir
mètre à défendre. le tracé des murs “pré-portugais“
Immédiatement après la conquête
Parfois, les transformations furent puisqu’une voie carrossable a été
d’un site, les Portugais avaient pour
draconiennes. Dans le cas de Ceuta, construite sur leurs fondations pen-
principe de réduire, parfois drasti-
la ville portugaise fut en effet réduite dant le protectorat espagnol.
quement, les dimensions des villes
à un seul quartier, l’isthme qui relie
dans lesquelles ils s’installaient.
la terre ferme au mont Acho. Deux Le cas d’Azemmour est en revanche
Cette sorte de “réduction“ prend le
courts tronçons de murailles érigés complètement différent. La cité se
nom d’atalho (“atállio“ en phoné-
entre les deux plages permettaient dresse sur les rives de l’Oum er Rbia
tique française) et se matérialise
de créer un espace indépendant, et exploite un dénivelé vers le fleuve
par la construction, à l’intérieur
protégé par les remparts et par la pour protéger son plus long côté ; au
du mur d’enceinte existant, de nou-
mer - où la marine portugaise pen- début de la domination directe por-
velles murailles. À la suite de cette
sait avoir systématiquement une tugaise, le problème de la sécurité
construction, une partie des quar-
nette supériorité. se posa et la solution retenue fut
tiers se retrouvent donc à l’extérieur
Dans les grandes villes de Tanger et celle de réduire la ville intra-muros
de l’enceinte fortifiée (vient de tal-
de Safi, les réductions furent réali- en réalisant une citadelle fortifiée.
har : tailler, couper).
sées le long des courbes de niveau, Un mur orthogonal au fleuve et au
Il s’agit objectivement d’un choix
de façon à exploiter l’orographie petit côté des remparts scinde donc
d’ordre rigoureusement utilitariste,
favorable : les quartiers “bas“ furent la médina, reliant entre eux les deux
pragmatique et militaire destiné à
séparés des quartiers “hauts“, plus côtés longs.

90
L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Un “semblant“ de glossaire
À la réduction du système défensif La couraça est le signe évident du Le cas le plus évident de couraça se
s’ajoutait la destruction systéma- besoin de maintenir le lien avec la trouve à Ksar Seghir, ville forteresse
tique des quartiers désormais situés mer et, parallèlement de la pression qui a vu le cours de son fleuve se
à l’extérieur et abandonnés ; les exercée par les populations locales modifier alors qu’initialement il en
matériaux pouvaient ainsi être réu- sur les places fortes en quelque léchait les remparts.
tilisés pour la construction des nou- sorte isolées de l’arrière-pays. Il
veaux remparts et le terrain libéré s’agit d’une sorte de projection des Lors de la fondation de la ville, anté-
afin d’empêcher l’ennemi d’y trouver fortifications sur la mer, une galerie cédente à l’installation portugaise,
refuge. fortifiée qui, sortant des remparts celle-ci fut dotée d’un port fluvial,
de la ville, se prolonge vers l’océan proche des remparts qui en assu-
Les atalho furent donc des actes pour permettre une défense plus raient la protection. Au fil du temps,
de transformation urbaine particu- proche et mieux articulée. à cause de l’éloignement du lit du
lièrement importants parce qu’ils Consolidée à son extrémité par une fleuve et de l’augmentation des di-
donnèrent de nouvelles formes aux tour, la couraça permet les dépla- mensions des embarcations, pour
cités fortifiées, formes qui devinrent cements à couvert entre la ville et la les accostages, il fut indispensable
les formes des villes historiques : mer et facilite donc le débarquement d’utiliser la baie qui se trouvait alors
aujourd’hui les tracés des remparts et l’embarquement des troupes et du assez éloignée des remparts.
des médinas sont ceux des interven- matériel sous la pression ennemie.
tions portugaises qui ont donc défi- Elle permet également de “conqué- Les Portugais construisirent une
nitivement marqué les aggloméra- rir“ la plage et de dissuader l’enne- longue galerie couverte et forti-
tions nord-africaines, tant dans leur mi de toute installation destinée à fiée s’achevant par une porte pro-
forme défensive que dans leur forme boucher le passage. tégée par deux petites tours qui,
urbaine. à l’époque, avaient les pieds dans
Cette construction se note sur- l’eau. Aujourd’hui, suite à l’ensable-
Couraça - tout dans les installations plus an- ment progressif de la baie, les tours
ciennes. Bien que difficile à recon- se trouvent au milieu de la plage, à
Indissolublement liés à l’océan, les naître, elle est présente aujourd’hui quelques dizaines de mètres de la
Portugais incluaient systématique- encore à Ceuta à côté des fonde- ligne d’eau.
ment la bande côtière à la partie ments d’un restaurant. Malheureu-
protégée de la ville ; les différentes sement, la couraça de Tanger ne Avec le temps et la modification des
réductions n’ont jamais séparé les peut être appréciée que dans les do- géométries générales des fortifica-
villes de l’eau. C’est précisément cuments historiques où sa présence tions et l’augmentation de la portée
dans la jonction avec la mer que se est parfaitement visible. des canons, le rôle de cet élément
trouve un second élément de l’archi- Dans le cas d’Azemmour et d’Asi- défensif diminua. Dans le cas de
tecture militaire qui marqua la pré- lah, la couraça a une dimension très Mazagão/El Jadida c’est la struc-
sence portugaise : la couraça (“co_ limitée à cause de la localisation ture même des fortifications qui se
uráça“ en phonétique française). des remparts qui se dressent déjà charge de la défense précédemment
à la limite des eaux, ne laissant que assurée par la couraça : les bastions
peu d’espace aux Portugais et aux de l’Ange et de Saint Sébastien pro-
assaillants. tègent l’accès vers et depuis la mer,

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Un “semblant“ de glossaire
et empêchent de recevoir des tirs di- rôle de lieu de stockage des mar- Les terreiro sont devenus des es-
rects. La petite protection située im- chandises et de place d’armes. paces sous-exploités mais pouvant
médiatement à côté de la porte de la Lors des cérémonies, la population offrir un fort potentiel de dévelop-
Mer pourrait être identifiée comme se rassemblait sur le terreiro tout pement. Celui d’Azemmour avait
reste de la couraça. comme les chevaliers avant les in- été abandonné - il se trouve entre la
cursions dans l’arrière-pays. résidence du Gouverneur et la porte
Terreiro - de la kasbah - mais il est en train de
De ce fait, le terreiro - seul espace trouver une fonction publique inté-
Terme d’origine rurale, indiquant public et collectif en plein air - finit ressante et utile ; celui d’Asilah est
traditionnellement un espace ouvert par caractériser tous les sites an- de plus en plus utilisé pour les acti-
situé dans le voisinage immédiat de ciennement lusitaniens. Dans le cas vités touristiques.
l’édifice principal de la communau- de Ceuta, ville sous contrôle ibérique
té, souvent le palais féodal qui ac- depuis 1415, le terreiro s’est trans- Dès lors, contrairement à la tradition
cueillait les principales cérémonies formé pour devenir l’actuelle place locale, les noyaux urbains ayant subi
publiques, laïques et religieuses. d’Afrique sur laquelle se dresse la une présence portugaise possèdent
cathédrale. Dans les autres villes, une place, souvent centrale, qui les
Dans les enclaves militaires, le ter- passées sous le contrôle de dynas- caractérise aujourd’hui encore.
reiro (“tér_réirue“ en phonétique ties régnantes nord-africaines, le
française) était de fait le seul espace sort du terreiro est moins “noble“,
Les Atalho/Couraça/Terreiro dans les forteresses
en plein air qui n’était pas directe- les collectivités passées et pré- portugaises en Afrique du Nord
ment intéressé par les fonctions de sentes étant moins enclines à l’utili-
guerre. Il joua en conséquence le sation des places publiques.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La grande transition : ou l’histoire des fortifications


entre Moyen-âge et Renaissance
L’héritage portugais en Afrique du et installée dans la ville éponyme, comme le souligne Rafael Moreira :
Nord permet de retracer une période située sur la côte de l’Algarve. “C’est justement cette internationa-
significative de l’histoire des fortifi- Les nouvelles techniques militaires lisation du problème qui fit du Ma-
cations. Il permet en effet d’appré- furent en quelque sorte développées roc, dans les premières décades du
hender les grandes transformations et testées en Afrique du Nord, ter- XVIème siècle, le champ d’expérimen-
morphologiques qui ont caractérisé rain de la première expérience colo- tation de l’architecture militaire ex-
la géométrie des fortifications au niale. L’Afrique du Nord fut l’espace tra-européenne le plus intéressant,
cours du passage entre les carac- du développement des techniques véritable laboratoire d’expérimen-
téristiques propres au Moyen-âge à de défense. La prise de Ceuta eut tations et de solutions pour adapter
celles de la Renaissance. lieu au cours de la période finale des l’art de la guerre de la Méditerranée
La grandeur portugaise, qui com- guerres médiévales alors basées à d’autres latitudes, où seront tes-
mença avec la conquête de Ceuta sur la défense à l’arme blanche et tées, retenues et perfectionnées les
et continua avec les grandes décou- les “machines“ traditionnelles. La futures formes destinées à dominer
vertes maritimes des XVIème et XVIIème nouveauté venait des armes à feu le monde“ (Moreira, 1992).
siècles, procède également de la qui se développaient et qui, un siècle On part de simples tours et de rem-
capacité lusitanienne d’intégrer plus tard, devaient radicalement parts linéaires, pour passer au déve-
dans l’action d’expansion deux inno- transformer l’art du siège et de la loppement de tours complexes et de
vations technologiques cruciales : défense. donjons circulaires puis de proto-
la navigation au plus près, de façon L’analyse de la composante mili- bastions pour arriver à la défense
beaucoup plus efficace, et le front taire de l’héritage portugais permet croisée du front bastionné qui culmi-
bastionné. d’appréhender le passage des forti- nera, au XVIIIème siècle, avec les forti-
Alors que la première permit aux fications du Moyen-âge à celles de la fications dites “à la Vauban“.
caravelles et aux navires portugais Renaissance, des remparts de Ksar Le rythme des transformations ne
de se déplacer sur les eaux avec une Seghir aux fortifications de Safi, Asi- fut pas linéaire ni régulier comme
liberté et une agilité nettement su- lah et Azemmour en passant par il pourrait résulter d’une lecture ac-
périeures à celles des leurs concur- la splendide Aguz/Souira Kedima tuelle. Il s’agit même d’expérimen-
rents et adversaires, la seconde per- pour arriver à celles de Mazagan/ tations conditionnées par les situa-
mit la construction d’installations El Jadida. Ces exemples témoignent tions contingentes, l’orographie, les
pratiquement inexpugnables aux des modifications radicales que la disponibilités financières et les be-
quatre coins du globe. morphologie des fortifications a soins immédiats. Elles étaient liées
Pour les innovations dans la naviga- subi, entre la dernière époque de également à des choix différents et
tion, il faut inévitablement remonter triomphe de l’arme blanche et celle à des divers courants de pensée qui,
à la mythique École di Sagres, nom de l’usage massif des armes à feu et en se développant simultanément,
de l’activité d’échange d’informa- en particulier des canons. produisaient des éléments contem-
tions et de compétences entre car- L’importance du développement porains mais caractéristiques de
tographes, navigateurs, ingénieurs des fortifications nord-africaines périodes différentes. C’est le cas
navals et militaires, encouragée procède également de leur rôle de des deux tours principales d’Asilah,
par l’Infant Henri (1394-1460 - cin- terrain d’expérimentation du déve- la tour de Menagem et celle de la
quième fils du roi Jean I, d’Avis, pro- loppement de nouvelles formes qui porte Al Homar, réalisées au cours
tagoniste de la conquête de Ceuta) permirent l’expansion lusitanienne des mêmes années mais la pre-

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

mière date de la fin du Moyen-âge,


alors que la seconde est proto-re-
naissance. On peut observer une si-
tuation similaire à Azemmour, entre
la modernité des proto-bastions et
l’aspect traditionnel du donjon cir-
culaire du palais du Gouverneur.

Les installations - Au
déclin du Moyen-âge
Les premières installations portu-
gaises remontent à la première moi-
tié du XVème siècle, lorsque, dès la
prise de possession des sites, ceux-
ci étaient adaptés aux nécessités
défensives lusitaniennes. Chaque
fois que cela était possible, les an-
ciennes murailles étaient conser-
vées et renforcées.
Les parties des fortifications qui
n’étaient pas directement modifiées fortifications de Ksar Seghir, mais les trajets, en s’éloignant des struc-
pour être adaptées aux nouvelles aussi de Safi où les hautes murailles tures locales traditionnelles dont la
géométries défensives étaient quoi font également office de chemine- composition n’accordait pas la prio-
qu’il en soit consolidées et renfor- ment entre les deux pôles du sys- rité aux liaisons linéaires et directes.
cées. Ceci comportait, en général, tème défensif : la Ketchla et le Châ- Les tracés urbains contemporains
l’introduction de puissantes es- teau de la Mer. se ressentent aujourd’hui encore de
carpes à la base des murailles et ces choix, comme on peut le voir sur-
des tours. À l’époque, la défense était fonda- tout à l’intérieur des murs d’Asilah,
Les ouvrages restaient typiquement mentalement basée sur l’apport mais aussi dans la partie “basse“ de
médiévaux c’est-à-dire hauts, - sou- humain direct ; les garnisons avaient Safi - où les commerçants portugais
vent plus hauts que les constructions donc besoin de pouvoir effectuer rapi- étaient plus nombreux et où les rues
existantes - peu épais et dotés de dement le déplacement des troupes dessinent des îlots plutôt réguliers.
chemins de ronde protégés par des à l’intérieur des forteresses, de façon
Ksar Seghir - Vue des murailles de la première
créneaux permettant l’usage d’arcs à être présents en nombre suffisant période portugaise ; sur l’image à gauche, les mu-
et d’arbalètes contre l’ennemi. sur le lieu où se déroulait la bataille. railles étaient encore verticales et hautes.
Les meurtrières étaient très petites Dans la configuration urbaine des
En 2010 et 2011, des travaux de restauration ont
et souvent peu nombreuses, parfois petites villes, on peut noter la ten- porté sur le rétablissement et la consolidation de
même inexistantes. C’est le cas des tative de redresser au maximum plusieurs escarpes.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Safi, tour - donjon d’accès au château - Bien que


fortement remaniée pendant la période coloniale,
on peut observer la pureté et la linéarité de cette
tour sans encorbellements ni embrasures mais
dotée d’une seule fenêtre et de meurtrières pour
tir à l’arc.

Remparts de Safi - Rectilignes, hauts, dotés d’une


tour à base rectangulaire sur l’angle nord-ouest. On
peut encore voir le rapport entre l’escarpe inclinée
et le rempart vertical, beaucoup plus haut que la
précédente .
Asilah - Vue de l’extérieur, la tour présente plu-
sieurs ouvertures ; les cheminements en partie
La tour de Menagem haute ne permettent pas l’installation de pièces
d’artillerie. En outre, toutes ses faces étant rigou-
reusement planes, elles n’offrent que peu de résis-
La tour de Menagem fut dessinée tance aux tirs ennemis.
par le maître Boytac, architecte royal
et concepteur notamment du mo-
nastère dos Jerónimos à Lisbonne. À l’aube de la Renaissance
Il fut l’un des derniers architectes
et ingénieurs militaires : les com- À la fin du XVème siècle, les armes
pétences furent ensuite séparées et à feu commencent à jouer un rôle
les carrières uniques devinrent im- significatif dans les guerres, surtout
possibles. Sa défense était conçue à lors des sièges où leur transport et
l’ancienne, avec d’importants dépla- leur positionnement devient pos-
cements entre les différents sites sible et efficace.
de la ville, et des remparts dotés de Alors que le domaine d’utilisation et
défenses plutôt traditionnelles, bien la diffusion des armes à feu légères
que la plupart des tours soient déjà étaient encore limitées, l’artillerie
rondes. pouvait se positionner de façon à
La tour de Menagem, comme nous provoquer de gros dommages dans
l’avons déjà dit, était la principale les murailles et ouvrir des brèches.
tour de la ville. Sa valeur politique et
esthétique devait être soulignée et de Les premières artilleries de siège
ce fait sa conception “à l’ancienne“, préféraient les bombardes aux ca-
était encore compréhensible, mais nons et obusiers. Les différences
sa défense directe par chute et sa étant liées principalement au rap-
hauteur disproportionnée à la dé- port entre la longueur et le calibre
fense démontrent les limites de la du canon, les bombardes étaient
conception militaire, avec un chant privilégiées parce qu’elles pouvaient
du cygne de la tour haute, carrée, et lancer des projectiles plus lourds sur
dépourvue de canons. les murailles au détriment de la por-

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La grande transition : ou l’histoire des fortifications


entre Moyen-âge et Renaissance
tée et de la précision. À calibre iden- Safi, front sud du château de la Mer - Réalisé par les défensive est ici encore limité. Entre les tours, se
Portugais au début du XVIème siècle, il montre déjà trouve une courtine parfaitement lisse et orthogo-
tique, elles étaient en outre moins l’introduction des tours circulaires - mais unique- nale à la ligne d’attaque. Pour information, la tour
lourdes et plus simples à fabriquer. ment dans la partie appelée à supporter le poids de gauche, légèrement détachée du corps du châ-
des attaques ennemies. Bien que légèrement, leurs teau, s’est partiellement écroulé en 2010 et il n’y a
dimensions ont déjà été augmentées alors que les que peu d’espoir de sauver le reste car l’ensemble
Dans la stratégie défensive, les mu- remparts verticaux représentent encore une part de la saillie rocheuse dont la base est creusée par
railles existantes furent adaptées : plus importante des tours. L’usage d’artillerie la force des vagues, menace de s’écrouler.
elles furent épaissies, abaissées et
renforcées. Les angles furent adap-
tés aux nouveaux instruments balis-
tiques avec l’introduction de fronts
polygonaux ou ronds. On commença
aussi à réaliser des plans de tir pour
les canons défensifs, les armes à feu
qui devaient battre le terrain pour
empêcher le positionnement de
l’artillerie ennemie et les différents
déplacements des assaillants.

La transformation morphologique
conduisit à l’introduction de nou-
veaux types de meurtrières qui
prirent le nom d’embrasures, et à
l’augmentation généralisée de la
dimension des tours, de façon à per-
mettre l’installation des canons mais
aussi de supporter les puissantes
vibrations provoquées par les tirs.

Safi - Ketchla, front tourné vers l’extérieur. On


peut admirer la puissante demi-lune, partie de la
forteresse Almohade et que les Portugais ont ren-
forcée et dotée d’infrastructures pour l’utilisation
de l’artillerie, 4 casemates et 4 embrasures de tir
ainsi qu’une série de canons sur la couverture où
se trouve un vaste plan de tir. Sur la gauche, un
bastion d’angle des remparts qui intègre le besoin
de superficies arrondies. L’ensemble est destiné à
protéger la ville mais aussi et surtout le palais.

Safi - Ketchla, plan de tir sur la couverture armée


de canons.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La grande transition : ou l’histoire des fortifications


entre Moyen-âge et Renaissance
Les tours armées, rondes de poudres qui induit à ne les posi-
tionner en grand nombre que dans
Concernant la forme géométrique des espaces ouverts ou des locaux
extérieure des tours, on assiste à très ventilés.
l’abandon définitif des tours rectan-
gulaires ou carrées en faveur des Tours rondes à Asilah et Azemmour
tours circulaires. Cette transforma-
tion est liée à l’emploi des armes Les donjons d’Asilah (Bab el Homar)
à feu qui lancent des projectiles de et d’Azemmour (San Cristoforo)
plus en plus gros et de plus en plus illustrent parfaitement ce proces-
rapides qui détériorent les fortifica- sus de transformation. Leurs di-
tions. mensions permettent de loger les
La force d’impact d’un projectile est batteries de canons et d’absorber
proportionnelle à l’angle d’impact. leurs vibrations et parallèlement
De ce fait, c’est à 90 degrés qu’on ils n’offrent aucun pan plat aux tirs
obtient la capacité de destruction adverses.
maximale mais cette capacité dimi- Alors que la tour d’Asilah accueille
nue rapidement avec la modifica- la porte en forme de coude d’accès
tion de l’angle d’impact. Contraire à à la ville, celle d’Azemmour est plus
la tour carrée, la tour ronde n’offre marginale et conserve encore, sur
qu’une ligne orthogonale au plan le sommet, la possibilité du tir tom-
de tir et possède donc une géomé- bant.
trie plus appropriée aux nouveaux
besoins. Asilah, porte de terre ou Bab el Homar - Au rez-
de-chaussée de la tour canonnière, on peut noter
La nécessité de loger l’artillerie ne l’entrée et au premier étage, les embrasures pour
modifie pas seulement les dimen- les canons qui, situés un peu en hauteur, sont pro-
sions des bouches à feu, qui prennent tégés du feu ennemi et sans couverture de façon à
faciliter la dissipation des fumées.
le nom d’embrasures, mais oblige
aussi à modifier les dimensions et Azemmour - Tour St. Christophe, adossée aux rem-
la structure des tours. Compte tenu parts et, dans sa partie arrière, à l’atalho. Ici les ca-
de leurs dimensions, pour pouvoir nons sont disposés dans deux ordres de casemates
manœuvrer, les canons ont besoin internes dont les embrasures ont été murées. Sur
la partie haute, une fenêtre servant plus à l’obser-
de beaucoup d’espace d’où la néces- vation qu’au tir d’artillerie et une série de mâchi-
sité d’augmenter le diamètre des coulis permettant de défendre le pied de la tour,
tours. De plus, ils sont très lourds sans terre-plein ni escarpe de consolidation.
et le recul provoqué par l’explosion
Azemmour - Tour St. Christophe, une ouverture de
oblige à concevoir des ouvrages net- tir pour arme à feu. Vu ses dimensions et sa hauteur
tement plus grands et plus solides. par rapport au sol, cette ouverture semble destinée
En outre, chaque coup de canon pro- aux armes de petit calibre du type espringale ou
fusil.
duit un grand volume de fumées et

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Les saillies et les naissance : le front bastionné. Les


proto-bastions caractéristiques de tir des armes à
feu continuaient à s’améliorer, en
en augmentant la précision, la puis-
La consolidation des fortifications sance et la portée. Les murs étaient
existantes était une pratique cou- toujours plus dangereusement su-
rante dans les places fortes. Le coût jets aux impacts des projectiles et
et les temps de réalisation d’une l’importance de l’artillerie pendant
nouvelle fortification étaient très les sièges ne cessait d’augmenter.
élevés. L’avènement des artilleries Les différents bastions avaient donc
a donc conduit à consolider les en- une double mission : frapper le ter-
ceintes en introduisant des modifi- rain ouvert sur lequel devait s’instal-
cations ponctuelles mais capables ler l’ennemi et protéger les murs en
d’augmenter fortement la capacité cas d’attaque rapprochée.
défensive des sites. L’installation d’armes à feu lourdes
pénalisait toujours plus fortement
Pour la protection du pied des murs les murailles médiévales, totale-
- les points les plus faibles - des ment incapables d’offrir la place Le cas d’Azemmour est embléma-
saillis furent réalisées. Ces modifi- nécessaire à l’installation des ca- tique de cette période, les deux pro-
cations apportées au développement nons et d’en absorber les vibrations. to-bastions qui ont été ajoutés aux
linéaire permettaient de frapper lon- Simultanément, les ingénieurs mili- murs en direction de la mer sont des
gitudinalement les murs, obligeant taires commencèrent à comprendre spécimens formidables ; la façon
les assaillants à se défendre sur qu’un bastion avait intérêt à ne pas d’utiliser les canons commence à
deux côtés lors de leur approche. faire “cavalier seul“ dans ce rôle. orienter la forme des bastions et ce
fait s’affirmera au fil des décennies.
Des bastions furent ensuite Une solution consistait à former une Éloignés d’environ 130 mètres l’un
construits, points forts de la défense coalition entre les différents bas- de l’autre, ils peuvent se couvrir mu-
qui prenaient les caractéristiques tions, de façon à ce qu’ils puissent tuellement et créer de vastes zones
des donjons : massifs et pouvant cumuler leurs capacités et leurs battues de deux côtés.
fonctionner de façon autonome, ils puissances de feu. Les deux proto-bastions fonctionnent
étaient en mesure de produire une comme un point de mise à feu du
importante capacité de feu. Il s’agis- système défensif qui passe d’un fonc-
Azemmour - Proto-bastion sur l’angle nord-ouest,
sait souvent de transformations des le plus puissant. On notera que cette fortification est tionnement par points à un fonction-
donjons circulaires - comme ceux encore dotée de murs fondamentalement verticaux, nement en tir croisé (comme une dé-
d’Asilah et d’Azemmour. dotés de mâchicoulis pour la défense rapprochée. fense sportive passant du marquage
Une escarpe consolide la base de la fortification.
Le proto-bastion fonctionne comme saillis pour individuel au marquage de zone.)
Le croisement des caractéristiques la défense des murs, deux embrasures sont posi-
des saillis et de celles des bastions tionnées de façon à battre le pied des murs. Dans Azemmour - Muraille entre deux bastions. Renfor-
la partie extérieure, deux ordres de casemates pro- cés à leur base par une escarpe très importante, les
laisse entrevoir la grande nouveauté posent des ouvertures pour le tir d’artillerie et sur murs accueillent des bastions qui les protègent et
révolutionnaire de la défense re- la couverture un plan de tir a été installé. battent le terrain situé au nord.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La grande transition : ou l’histoire des fortifications


entre Moyen-âge et Renaissance
La Fortaleza roqueira[5] ficative eu égard également à sa angles sont positionnées de façon à
construction ex nihilo qui n’oblige protéger tous les murs et permettre
Les nouvelles caractéristiques pas à la “récupération“ des configu- également de battre sur les espaces
conduisirent à développer un sys- rations précédentes. environnant la fortification.
tème de proto-bastions qui, bien Sa forme rappelle celle de la forte-
qu’efficaces avaient un développe- resse de Vila Viçosa (Portugal) et un La ville de la Renaissance est,
ment limité. Le rôle des armes à plan de Léonard de Vinci. Elle illustre lorsque cela est possible, une ville
feu et leurs caractéristiques obli- le rôle devenu prioritaire des armes idéale. Le schéma de ses fortifica-
geaient à concevoir les sièges - tant à feu ; ses tours circulaires sur deux tions en est partie intégrante et c’est
en phase de défense que d’assaut même lui qui en détermine la mor-
- comme des batailles de position phologie. On part de l’élaboration du
basées sur une conception géomé- modèle de fortification à partir des
trique toujours plus complexe. conditions du terrain, des exigences
La nécessité d’une véritable concep- et de la forme du lieu à fortifier, pour
tion des fortifications s’imposa petit arriver à la réalisation d’espaces
à petit afin de les adapter aux nou- fortifiés dont la configuration est une
veaux impératifs militaires. composante du système défensif.
Les nouvelles fortifications pou-
Aguz-Souira Kedima - La forteresse vue du port. La
vaient profiter de leur condition pour tour de l’angle sud-est protège également sa porte.
intégrer les nouvelles géométries, Les crénelures sont récentes, réalisées lors d’une
comme dans le cas d’Aguz/Suira restauration dans les années 1980. Un nouveau
chantier de restauration est en cours.
Kedima.
Aguz-Souira Kedima - La forteresse, à base carrée
Aguz est une petite place forti- d’environ 40 mètres de côté, se trouve sur le bord
de la plage. Un des angles a également servi de
fiée, réalisée rapidement en 1521, brise-lames lors des périodes de mer agitée. Po-
clé de voûte du passage entre une sitionnées sur deux des angles, les tours permet-
époque et l’autre : on pénètre indis- taient de couvrir les murs avec des tirs d’enfilade.
cutablement dans la Renaissance.
Aguz-Souira Kedima - Tour sud-est (en grande
Le passage d’une période à l’autre partie reconstruite) - on peut observer les trois
n’est pas net ni immédiat mais, à embrasures internes ; deux sont orientées de façon
l’instar de tous les processus histo- à pouvoir défendre les murs et une est tournée vers
riques, il demande du temps et les l’extérieur.

limites nettes sont généralement


arbitraires ou aléatoires. Ici, la for- Dans le cas nord africain, les Portu-
teresse revêt une importance signi- gais réalisèrent deux fortifications
Renaissances que l’on peut admirer
aujourd’hui encore : Ceuta et Maza-
gan/El Jadida. Ce sont des défenses
[5] Terme par lequel sont désignées au Portugal les qui fonctionnent en système et qui
premières fortifications à remparts de la Renais-
sance. intègrent donc les meilleures tech-

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

niques défensives de l’époque. La cible. Contrairement au tir incident,


grande innovation du front bastion- le tir rasant tend à frapper tous les
né est la couverture croisée entre points proches du mur d’enceinte.
chaque bastion. Le tir rasant des Il constitue donc une sorte de ligne
batteries peut effleurer le flanc du défensive. Dans le tir incident en re-
bastion, empêchant toute tentative vanche, l’intégration de la valeur de
d’approche de l’ennemi. la distance est fondamentale pour
pouvoir toucher l’ennemi en phase
Avec cette configuration, l’efficacité d’approche. Entre les bastions, un
des coups portés augmente, moins vaste terrain se trouve sous le tir
au niveau de leur puissance qu’à ce- croisé, ce qui empêche l’ennemi de
lui de leur probabilité de toucher la disposer d’une direction protégée
qui ne soit pas celle de l’éloigne-
Ceuta, remparts et fossé Royal - Ce front bastionné ment.
se dresse sur l’emplacement des murailles cali-
fales et berbères de la cité qui ont été intégrés au
moment de la construction des remparts Renais- Bien entendu le tir incident n’est pas
sance. On peut noter la géométrie des bastions qui supprimé mais il n’est utilisé que
met en lumière la défense collaborative entre les pour le bombardement à distance et
bastions. Les forteresses essaient d’offrir la super-
ficie minimum à l’impact des projectiles ennemis. non plus pour la défense rapprochée.
De ce fait, les bastions se terminent par de véri-
tables pointes effilées. Les fortifications de Ceuta sont sans
conteste celles qui nous sont par-
Ceuta, Remparts et fossé Royal - L’image montre le
mur et le bastion de la Bandera (da Bandera) vu du
venues en meilleur état. D’une part
bastion San Sébastien. On peut noter les créneaux parce que leur utilisation militaire
adaptés au tir d’artillerie, entièrement positionnée s’est poursuivie jusqu’à une période
sur les couvertures, les remparts n’ayant pas de
casemates. L’orillon protège et cache la canonnière
relativement récente, et d’autre part
du bastion de la Bandera qui peut battre le rempart pour la valeur monumentale de la dé-
de Saint Sébastien sans être dérangée ou touchée fense bastionnée de la cité - à laquelle
par les siégeant. Le fossé relie les deux côtés de participe le front bastionné portugais
l’isthme, transformant les quartiers anciens de la
cité en une sorte d’île. Au fil du temps, des fortifi- - symbole de son autonomie et de son
cations furent construites également dans la partie appartenance à la couronne portu-
“continentale“ du fossé, avec l’ajout de fortifica- gaise d’abord, puis espagnole.
tions extérieures venant renforcer la fortification
plus ancienne.
Les principales transformations
Ceuta, Fossé Royal - On peut admirer les géomé- eurent lieu lorsque Jean III décida de
tries de la fortification renaissance dans laquelle le réaliser une nouvelle citadelle forti-
flanc du bastion est positionné de façon à permettre
au canon placé derrière l’orillon de l’autre bastion
fiée et inexpugnable, Mazagão, suite
de le défendre. Les remparts mesurent une tren- aux défaites militaires successives
taine de mètres de hauteur sur la mer et ils sont et aux intérêts de plus en plus mar-
presque entièrement borgnes, à part les embra-
sures placées derrière les orillons.
qués pour d’autres terres.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La grande transition : ou l’histoire des fortifications


entre Moyen-âge et Renaissance
Ce fut l’ultime construction militaire portugaise. La conception fut réali-
portugaise et elle fut également la sée par l’ingénieur militaire en chef
plus grandiose. La couronne portu- du royaume d’Espagne, Benedetto
gaise avait bien compris la nécessité da Ravenna, qui opérait à cette pé-
de configurer une présence capable riode à Gibraltar et qui fut “prêté“ au
d’une importante force défensive. souverain portugais par son cousin
Pour la rendre imprenable, elle déci- le roi d’Espagne.
da de faire participer les meilleures La réalisation est sans conteste
compétences disponibles et de les moderne. Il ne s’agit pas du renfor-
doter d’un support financier consi- cement d’une fortification existante
dérable. mais d’une construction ex-nihilo,
À l’époque, les géométries les plus à commencer par le choix du site
innovantes étaient conçues en Italie, d’installation, à cheval sur le front
déjà en pleine époque Renaissance de mer. Le plan de l’appareil défensif
comme l’a confirmé Francisco da est entièrement assujetti aux carac-
Hollanda émissaire de la couronne téristiques de l’artillerie lourde et
la ville qui se dressera à l’intérieur
Mazagan / El Jadida - Le front nord de la citadelle, des remparts en sera tributaire dans
les remparts en dièdre vus du bastion de Saint
Antoine, vers Saint Sébastien que l’on aperçoit au
toutes ses caractéristiques.
fond, avec son église en front de mer et sa canon-
nière, protégée par la petite tour d’angle qui permet La forteresse a la forme d’une étoile
de battre le terrain environnant, avec le concours à quatre branches, reliées entre
des canons installés sur les remparts, derrière les
meurtrières. L’image a été réalisée avant la der- elles par des pans de mur formant
nière intervention sur ce vaste espace créé par le un dièdre vers l’intérieur. Il s’agit
remplissage du fossé et qui servit de terminus aux d’une conception géométrique se-
bus municipaux.
condaire des étoiles bastionnées
Mazagan / El Jadida - Vue de l’orillon du bastion qui seront largement répandues
de Saint Antoine. La configuration n’est pas encore quelques décennies plus tard. Les
définitive, la structure multi-étages sera rempla- batteries positionnées le long du
cée par une véritable “oreille“ curviligne destinée
à protéger et à cacher les embrasures chargées
puissant chemin de ronde per-
de couvrir le mur et le proche bastion. Dans ce cas mettent d’organiser un vaste camp
spécifique, on peut noter la porte de la Trahison, à défensif et soumis au feu croisé.
côté d’une embrasure en casemate. À côté de ces
deux ouvertures, une autre grande ouverture de tir
sert une casemate. Les dimensions de l’embrasure Cette forme sera limitée aux instal-
permettent de comprendre que le calibre du canon lations de petites dimensions parce
était particulièrement élevé. qu’il n’était pas intéressant d’intro-
Mazagan / El Jadida - Front sud, rempart avec duire un nombre supérieur de bas-
dièdre et bastion de l’Ange, vu du bastion do Ser- tions, les espaces perdus pour la
rão. Les remparts en dièdre rentrant sont encore réalisation des dièdres étant parti-
léchés par le fossé défensif qui, de ce côté, est uti-
lisé comme petit port de pêche. culièrement importants. Cette forme

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

La grande transition : ou l’histoire des fortifications


entre Moyen-âge et Renaissance
devint alors inappropriée suite au Les larges murs qui relient les bas-
développement des bastions dont tions entre eux ont une hauteur
les géométries furent encore plus moyenne d’environ 14 mètres et
limitées et à cause du dièdre qui une largeur à la base d’environ 10
tendait à produire des angles morts mètres, suffisants pour résister aux
ou, du moins, dangereux et peu effi- attaques portées par des armées
caces. dotées de canons modernes. Sur
les remparts, les créneaux ont été
Les géométries spécifiques des bas- remplacés par une épaisse protec-
tions ont désormais atteint une cer- tion maçonnée de forme elliptique
taine maturité bien qu’elles soient de façon à se protéger des frappes
encore incomplètes. Les orillons arrivant à cette hauteur.
existent et remplissent leur mission
bien que les angles de tir ne soient La conception de la forteresse est
pas encore totalement coordonnés complétée par Miguel de Arruda,
entre eux. ex-ingénieur militaire qui, en 1548,
reçu le titre - fraîchement créé - de
Le bastion de l’Ange, dirigé sur le “Mestre das obras de fortificação
large, a encore une configuration do Reino, África e Índia“ (Maître des
destinée à privilégier le tir incident. œuvres de fortification du Royaume,
Ce qui est compréhensible puisque Afrique et Inde) soit six ans après la
sa fonction n’est pas la de se dé- fin de la construction de Mazagan.
fendre d’une attaque terrestre mais
de frapper les embarcations tentant Mazagan / El Jadida - Bastion de l’Ange et batte-
rie contre les assauts navals, vus de la petite tour
de s’approcher. Doté d’une longue défensive du port. On peut noter l’asymétrie du
batterie tournée vers l’océan, à l’ins- bastion.
tar du bastion de Saint Sébastien,
Mazagan / El Jadida - Meurtrière pour bouches à
il est asymétrique et possède des feu lourdes, réalisées sur le chemin de ronde. Elle
orillons uniquement vers la terre, où permet à l’artillerie de la forteresse de battre le
ils sont utiles. terrain extérieur.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Les rois portugais entre 1415 et 1769


En 1415, la dynastie des Avis (connue aussi en tant que Dinastia Joanina) régna sur le Portugal continental. Etait roi D. João I, le dixième roi du Por-
tugal. En 1769, la maison royale était la maison de Bragança et le roi en charge était D. José I, dit le Reformateur ; il fut le 25ème roi du Portugal.

Nom du roi Règne de Règne jusqu’en Evènements pendant son règne :


Maison d’Avis - Dinastia Joanina - Dynastie d’Aviz
Dit le Prince de Bonne Mémoire
Dom João I Fut le plus long règne de l’histoire 1385 1433 1415 Conquête de Ceuta
de Portugal
Dom Duarte I Dit l’Eloquent 1433 1438
Régence de 1438 à 1448 Découverte des iles Açores, de Madeira et de l’archipel
Dit l’Africain du Cap Vert.
Dom Afonso V 1438 1481 1458 - Prise de Ksar Seghir
Entre le 11 et le 15 de novembre 1471 - Prise d’Asilah et Tanger
1477 fut roi Dom João II 1471 - Contrat de protection d’Azemmour
1483 - Diogo Cão arrive à l’embouchure du fleuve Congo
Dom João II Dit le Prince Parfait 1481 1495 1488 - Bartolomeu Dias franchit le Cap de Bonne Esperance
1494 - Traité de Tordesillas
1497 - Vasco da Gama ouvre le chemin maritime des Indes
(arrive à Calicut, Karnataka, Inde)
1500 - Pedro Álvares Cabral découvre le chemin maritime pour
le Brésil)
Dom Manuel I Dit le Bienheureux 1495 1521
1506 - Prise de Castelo Real de Mogador (Essaouira) et de Santa
Cruz de Cabo de Guer (Agadir)
1508 - Prise de Safi
1513 - Prise d’Azemmour
Prise de Diu et Bombay en Inde et de Macao en Chine
1521 - Construction de la forteresse d’Aguz/Suira Kedima
1525 - Abandon de la forteresse d’Aguz/Suira Kedima
Dom João III Dit le Pieux 1521 1557 1541 - Perte de Safi et Agadir
1541 - Abandon d’Azemmour et Asilah
1542 - Construction de la forteresse de Mazagão
1550 - Abandon de Ksar Seghir
Régence de 1557 à 1568
Dom Sebastião I 1557 1578 1578 - Bataille de Ksar el Kebir - des Trois Rois
Dit le Désiré
Dom Henrique I Dit le Chaste 1578 1580 Prend le pouvoir à la mort de Dom Sebastião
Reconnu par quelques historiens, il sera roi pendant un seul
Antonio Dit le Déterminé
mois, avant de succomber face à Felipe II d’Espagne
Casa de Habsburgo - Dinastia Filipina - Casa de Áustria - Dynastie de Habsbourg
Felipe I Dit le Prudent 1581 1598 Etait Philippe II d’Espagne
Felipe II Dit le Pieux 1598 1621 Etait Philippe III d’Espagne
Felipe III Dit le Grand 1521 1640 Etait Philippe IV d’Espagne
Dinastia de Bragança / Dinastia Brigantina - Dynastie de Bragance
Dom João IV Dit Le Restaurateur 1640 1656
Régence entre 1656 et 1661
Dom Afonso VI 1656 1683
Dit le Victorieux
Dom Pedro II Dit le Pacifique 1683 1706
Dom João V Dit le Capuce 1707 1750
1755 Tremblement de terre
Dom José I Dit le Réformateur 1750 1777
1769 Abandon de la place de Mazagão.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

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107
L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Sommaire

6 Introduction
9 Les vestiges d’une épopée
13 354 ans de présence - Trois siècles et demi d’histoire
13 La constitution du protectorat : 1415 à 1541
15 Le retranchement : 1542 à 1769
19 Le processus de valorisation de l’héritage culturel : la construction du fait patrimonial
20 Un tremplin privé en faveur du développement local
23 Les acteurs publics du patrimoine et l’impact local
27 Les installations dans la péninsule tingitane
27 Ceuta/Sebta (Espagne) - 1415 à 1640
35 Ksar Seghir - Alcàcer Ceguer 1458 à 1550
41 Tanger - 1471 à 1662
47 Asilah - Arzila - 1471 à 1589)
55 La région centrale
55 Azemmour - Azamor - 1471, 1513 à 1541
63 El Jadida - Mazagão - Al Mahdouma - Mazagan - 1502 à 1769
73 Safi - Safim - 1508 à 1541
81 Souira Kedima - Aguz 1521 à 1525
85 Agadir - Santa Cruz de Cabo de Guer - 1505 à 1541
87 Essaouira - Le château royal de Mogador - 1506 à 1541
88 Les places mineures ou incertaines
90 Un “semblant“ de glossaire
90 Atalho -
91 Couraça -
92 Terreiro -
94 La grande transition : ou l’histoire des fortifications entre Moyen–âge et Renaissance
104 Les rois portugais entre 1415 et 1769
105 Bibliographie

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

L’héritage portugais au Maroc : un patrimoine d’actualité fait partie du projet Mutual He-
ritage: from historical integration to contemporary active participation, un projet sur le pa-
trimoine architectural et urbain récent dans le monde méditerranéen, financé par l’Union
européenne dans le cadre du programme Euromed Heritage 4. Mutual Heritage vise à
identifier, documenter et promouvoir le patrimoine récent des XIXème et XXème siècles,
afin d’encourager l’intégration du patrimoine culturel dans la vie économique et sociale
actuelle.

Le patrimoine partagé récent doit être reconnu et préservé comme une composante signi-
ficative d’une identité méditerranéenne complexe et multiple. Parce qu’il est récent -et
souvent importé et imposé-, ce patrimoine est plutôt négligé et souffre d’un manque d’in-
térêt. La valeur potentielle du patrimoine architectural et urbain des deux siècles derniers
nécessite donc d’être mise en valeur afin de jouer un rôle dynamique dans les stratégies
de développement.

Le consortium Mutual Heritage (www.mutualheritage.net) est coordonné par Romeo Cara-


belli (carabelli@univ-tours.fr) et il est composé de Citeres (UMR 6173 Université François
Rabelais et CNRS - Tours, France), Casamémoire et l’Ecole Nationale d’Architecture (Casa-
blanca et Rabat, Maroc), l’Association pour la Sauvegarde de la Medina (Tunis, Tunisie) et
Riwaq (Ramallah, Palestine). Il associe les universités de Ferrara et Florence, Tizi-Ouzou
et Vienne (Italie, Algérie et Autriche), l’Instituto de Cultura Mediterránea (Espagne) et les
associations Heriscape et Patrimoines Partagés (Italie et France).

Mutual Heritage: from historical integration to contemporary active participation

Un projet sur les patrimoines architecturaux et urbains récents dans le monde méditer-
ranéen. Mutual Heritage développe des instruments et des compétences afin de facili-
ter l’intégration du patrimoine récent dans la vie quotidienne actuelle. L’intégration est la
meilleure solution pour engendrer un processus de développement territorial soucieux de
la population locale, ainsi que pour pérenniser l’héritage historique et valoriser le patri-
moine culturel. Le patrimoine partagé des XIXe et XXe siècles doit être reconnu et préservé
comme une des caractéristiques principales de l’identité méditerranéenne.

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L’HERITAGE PORTUGAIS AU MAROC, UN PATRIMOINE D’ACTUALITE

Ce guide du patrimoine bâti par les Portugais en Déjà reconnus comme patrimoine pendant la période
Afrique du Nord aborde une composante méconnue de coloniale française mais intégrés que récemment à la
l’histoire : l’héritage matériel bâti par la couronne por- vie patrimoniale active, ces vestiges restent relative-
tugaise entre 1415, prise de Ceuta et 1769, départ de ment marginaux, tant parce qu’ils sont quantitativement
Mazagão (actuelle El Jadida). Au cours de cette épopée limités que parce qu’ils ne portent pas de valeurs identi-
historique, les Portugais ont érigé un chapelet de for- taires directement liées à la population actuelle.
tifications côtières qui font aujourd’hui partie de l’héri-
tage monumental marocain. Bien que difficile à reconnaître, au regard de l’histoire de
l’architecture militaire, le patrimoine luso-marocain se
L’héritage matériel actuel est encore clairement visible ; révèle particulièrement riche, diversifié et intéressant.
il n’est désormais pas plus portugais que marocain mais Tous les types de défense de l’époque dite “de transi-
commun aux deux nations : portugais pour sa constitu- tion“ sont représentés : à partir des structures médié-
tion, marocain pour sa localisation. vales jusqu’à à celles de la Renaissance, des tours car-
rées simples à de véritables fronts bastionnés.
Il s’agit en grande partie de remparts et de construc-
tions militaires, constructions dotées d’une grande Il s’agit de postes de contrôle et de défense des an-
inertie formelle ; de ce fait, ils sont encore lisibles et ils ciennes portes, encore bien présents à Asilah et à Azem-
marquent plusieurs villes de la côte marocaine : Ksar mour ou des remparts protégeant la ville et qui assurent
Seghir, Tanger, Asilah, Azemmour, El Jadida, Safi et la jonction entre les différents châteaux - comme ceux
Suira Kedima. Des liens avec les villes d’Agadir et Es- qui relient la Kechla et le Château de la mer à Safi. On
saouira sont inévitables, comme ils le sont avec la ville note ensuite les systèmes plus complexes de la moder-
espagnole de Ceuta. nité, comme les proto-bastions d’Azemmour et la cita-
delle bastionnée d’El Jadida.
Le caractère allogène du patrimoine architectural luso-
marocain lui confère des valeurs historiques et symbo- L’épopée portugaise en Afrique du Nord marque une
liques particulières : il résulte de pratiques urbaines étape fondamentale de l’histoire : le début de la globa-
exportées du Portugal vers les territoires coloniaux, lisation telle que nous la connaissons aujourd’hui, six
s’adaptant au territoire local et générant une pratique siècles plus tard. On assiste ici aux prémices de ce qui
nouvelle et spécifique. deviendra un patrimoine mutuel remarquable.

Ce document a été réalisé avec l’aide financière de l’Union


Européenne. Le contenu de ce document relève de la
seule responsabilité du laboratoire CITERES, partenaire
du projet Mutual Heritage et ne peut en aucun cas être
considéré comme reflétant l’avis de l’Union Européenne.

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