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De l’imprévisible en architecture Conception d’une

station du futur RER londonien


Olivier Tric

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Olivier Tric. De l’imprévisible en architecture Conception d’une station du futur RER londonien.
Lieux Communs - Les Cahiers du LAUA, 1995, Le projet architectural et urbain, 3, pp.81-113. �hal-
03173560�

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Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 81 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité "

DE L'IM PR ÉVISIB LE EN A la suite d'une décision du Parlem ent b ri­


tannique en 1990, B ritis h R ail et London
A R C H IT E C T U R E
U nderground (les équivalents de la SNCF et
conception d'une station du m étro parisien) décident d 'u n ir leurs ef­
fo rts et de créer une société m ix te ,
du futur rer londonien.
CROSSRAIL, pour réaliser une prem ière ligne
de transport rapide à grande capacité d'une
centaine de kilom ètres de long. Cette ligne
O liv ie r TRIC tra v e rs e ra it Londres en son ce ntre , à
P AD D IN G TO N STATIO N , une des p rin c i­
pales gares du réseau ferré britannique. Cette
gare est im portante, non seulem ent par son
Cette étude, soulignant un des aspects tra fic de voyageurs vers la C ornouailles et
fondamentaux du processus de conception, l ’aéroport londonien d'H eathrow , m ais aussi
s'inscrit dans un doctorat sur les démarches de parce qu'elle est abondamment desservie par
quatre architectes contemporains : J. Nouvel, les d iffé re n ts tra n s p o rts en com m un
D. Perrault, N. Foster, B.& C. Barto. (illu s tra tio n ci-contre).

Paddington Station est aussi l'u n e des plus


anciennes gares du royaum e (1850). E lle est
considérée comme la plus belle et c'est sous
elle que fu t construite en 1863, la prem ière
ligne au monde du m étro po lita in à vapeur !
Q uatre s'y croisent actuellem ent ; il n 'é ta it
donc pas question p o u r les anglais de
d é sta bilise r ce vénérable é d ific e chargé
d'histoire en creusant une nouvelle ligne sous
ses fondations (1).
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 82 Laboratoire "Architecture, Usage, A ltérité'

Par chance, la gare est bordée sur son flanc sud IN TE N TIO N IN IT IA LE :
par une très large m ais courte avenue, « un coup de sabre ! »
Eastboume Terrace, qui semble presque inoccu­
pée tan t elle est large m algré les bus et les Le tra vail d'A lsop consista à analyser et c ri­
taxis q u i attendent en permanence les voya­ tiquer ce schéma en m ontrant q u 'il n'était pas
geurs (2). Sa longueur (400 m) et sa largeur (40 aussi cla ir et pratique qu’il y paraissait au
m ) conviennent particulièrem ent bien aux d i­ prem ier abord et su rtou t q u 'il ne tenait pas
m ensions d'une station souterraine (300 de assez compte du contexte de la gare et du sys­
long sur 20 de large). Il fu t donc décidé que la tème de c ircu la tio n existant. En ré a lité sa
n ou ve lle lig n e lo n g e ra it la gare et serait critique lu i perm ettait de m ettre en place une
creusée sous Eastbourne Terrace. Les h u it stratégie, destinée à convaincre les ingénieurs
membres du com ité d irecteur de Crossrail, de la nécessité de donner un m axim um de
constatant que les dernières réalisations de lum ière naturelle.
stations souterraines étaient tro p semblables
et m anquaient de qualités esthétiques, déci­ Reprenant à la base les données techniques
dèrent d'associer des architectes aux ingé­ (deux tunnels entourant une plate-form e cen­
nieurs civ ils dès le début des études. Celles-ci trale à 15 mètres de profondeur sous terre) et
se développeraient, dans la prem ière phase, la situation existante, il donna l'im age (4)
au sein d'une équipe commune (environ 40 des travaux m inim um q ui lu i sem blaient, à
personnes) mais la mise au p o in t d é fin itive première vue, nécessaires d'effectuer :
serait le seul fa it des ingénieurs civils .
* Garder les deux niveaux de circu la tio n de
W illia m ALSOP fu t choisi parm i les tro is l'avenue (niveau 127 m des bus et 124 m des
architectes so llicité s « essentiellement pour taxis) car ils séparent de façon efficace les
ses qualités inventives mais aussi parce qu'il mouvements des nom breux taxis de la circula­
semblait le moins cher au niveau des hono­ tion des bus et des véhicules ordinaires.
raires d ’étude » 1 .
I l a v a it été re m a rq u é p a r L o n d o n * Enlever le m inim um de terre pour accéder à
U nderground à l'occasion de l'étude d'une la plate-form e des bille ts (niveau 119 m ) et à
station de m étro de la Jubilee Line et par celle des quais d'em barquem ent, d ix mètres
B ritis h R ailw ay lo rs de la réalisation de la plus bas (niveau 109 m).
Tottenham H aie Station près du nouvel aé­
ro p o rt de Stansted co n s tru it par N orm an * O u vrir aux voyageurs un accès direct depuis
Foster. la gare de chemin de fer vers la plate-form e
des bille ts de Crossrail (niveau 119).
La m aîtrise d'ouvrage, représentée par la
C om m ission C rossrail, est essentiellem ent * Fracturer le sol pour donner de la lum ière
form ée d'in gé n ie urs c iv ils . Ceux-ci avaient naturelle dans le h a ll des tickets (119 m ) et
établi en 1991 un programme précis des flu x de en p ro fite r pour créer un nouvel objet archi­
personnes et des contraintes techniques ac­ tectural qui m arquerait une des entrées p rin ­
compagné de schémas descriptifs. Dans un cipales de la gare, actuellem ent confondue
prem ier temps, W. A lsop se borna à traduire avec celles des nom breux im m eubles de bu­
les données du programm e en dessins (3). Ces reaux.
dessins donnaient de la station une image ba­ A ce schéma, Crossrail répond que le niveau
nale, fo n c tio n n e lle et réalisable par des de la plate-form e enterrée n ’étant qu'à 15 m
techniques éprouvées. On pouvait effective­ sous le niveau du sol, il est in fin im e n t m oins
m ent construire une telle station.

1- M onsieur John Berry, architecte de B ritish R ailw ay et


coordinateur de l'ensem ble du pro je t Crossrail, in te rvie w
réalisée en m ars 1993 par O. Trie.
T « V M w -— i O iu y r v .

5
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 85 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité "

cher de creuser au m ilie u de l'avenue une


tranchée sur toute la hauteur, la longueur et
la largeur de la station, puis de reconstruire
par dessus les différents niveaux des circula­
tions piétonnes et autom obiles. L'évacuation
des déblais (130 000 m3 environ) sera gran­
dem ent fa c ilité e par l'existence de cette
tranchée ouverte.

L'équipe des architectes décide alors de lais­


ser la lum ière naturelle descendre jusqu’au
fond de la tranchée, au niveau des quais. Elle
étudie pour cela différentes options mais plus
particulièrem ent deux :
* Dans une optio n (5), deux failles latérales
éclairent les parois longues de la station, au
d ro it de chacune des deux voies ferrées.

* Dans l'autre (6), une longue boîte de verre,


enchâssée dans l'axe de l'avenue, fracture le
sol et jette la lum ière naturelle sur la plate­
form e centrale des quais d'embarquement et
de débarquem ent des voyageurs (niveau
109 m).
7
Dans les deux cas, le niveau prin cip al d 'a rri­
vée des flu x voyageurs dans le hall des t i­
ckets est tra ité en mezzanines, centrales ou
latérales, sauvegardant une grande hauteur
sous plafond dans l'axe de la plate-form e ou
sur les bords. Les prem iers croquis (dessin ci-
contre, 7), antérieurs à ces deux options,
e x p rim a ie n t un d é sir bien p lu s ra d ica l
d'apporter le m axim um de lum ière naturelle.
La to ta lité de la largeur de la tranchée était
couverte de verre ; m ais ces dispositions,
laissant tro p peu de place aux différentes c ir­
culations autom obiles, ne pouvaient êtres re­
tenues. Curieusem ent, le prem ier dessin en
haut à gauche exprim e la solution q ui sera
finalem ent choisie tant en ce q ui concerne la
boîte de verre que la disp ositio n des esca­
la to rs 2.

2- Ce n'est pas la prem ière fois que nous rencontrons une


telle pré m on ition : dans l'étude concernant la conception
de l ’h ô te l « La Pérouse » à Nantes p a r B. et C. Barto
(Etude concernant un doctorat en cours sur le Processus
de C onception a rch ite ctu ra le ), sur les quelques 300
planches to ta lis a n t un m illie r de dessins, les deux
prem ières planches fo n t de la même m anière le tou r des
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 86 Laboratoire "Architecture, Usage, Altérité'

Il fa u t d ire que l'idée de créer une fa ille en du temps de faire évoluer les premières idées
p le in m ilie u de l'avenue et d 'y encastrer une jusqu'à la réalisation. C'est pourquoi la
lame de verre é ta it dans la tête de W. Alsop peinture joue un rôle im portant car en
dès q u 'il sut que la ligne du RER passait exac­ continuant à peindre, tu crées un autre type de
tem ent sous Eastbourne Terrace ; et ceci, bien travail qui te permet de t'observer et de
avant d 'a v o ir é tu d ié les déta ils du p ro ­ prendre de la distance par rapport au projet
gramme. Une telle attitu d e rappelle celle que lui-même.
D. P errault avait prise quand il avait décidé, A insi sur ce projet de Crossrail, j'essaie
avant de recevoir le programme du concours de actuellement de rassembler toutes mes
la B ib liothèque de France, d 'in s ta lle r une peintures pour réaliser une sorte de calendrier
vaste place sur lè site3. Chez W. A lsop, le (diary)... car c'est intéressant de vo ir
concept prom oteur d'architecture est le plus comment les choses peuvent être reprises dans
souvent d'ordre plastique. le projet. La peinture est un tra va il
parallèle : stockage des idées et reprise ou
non de celles-ci. Pour moi, la peinture n o u rrit
fonction de la peinture la conception 5.
Peindre est vraiment utile au début du projet
L'agence de Pow er House est rem plie de pour bien comprendre les choses ; tu fais tes
peintures accrochées aux m urs ou remisées essais en dessinant et tant que tu as besoin de
verticales à même le sol (8). A vant de tester changer des choses, tu peins. Mais à partir du
la fa isa b ilité d'une idée par le dessin tech­ moment où tout est plus ou moins fixé, tu ne
nique ou les maquettes, W. Alsop cherche la peins plus » 6.
qualité et la diversité des émotions que pour­
ra it pro du ire l'idée, en peignant : A in si quand il y a une d iffic u lté majeure, il
« Quand j ’ai un nouveau dossier, je m ’en vais entre dans la pièce q u i voisine son bureau et
à la campagne, à mon atelier au bord de la lu i sert d'atelier. L ’espace est restreint, 12 à
mer ; je passe quelques jours à réfléchir et à 15 m2, beaucoup m oins grand que son atelier
peindre juste pour avoir des sensations »4. p rin cip a l où il p e in t souvent avec son ami
I l ajoute : «S ur un projet, tu t'observes en Bruce MC LEAN, peintre de m étier. L'atelier
train de travailler. Tu es en train d'apprendre de l'agence est dans un désordre permanent et
et par conséquent tu observes ce que tu fais et sym pathique : les tubes, papiers, chiffons
tu te dis que tu peux faire mieux. Tout au long maculés de peinture voisinent avec des ma­
de la démarche tu vas au-delà de ce que tu quettes, un vélo, un casque de m oto... une cafe­
connais ; tu essayes d ’aller au-delà de tes a tière (9). A lsop réalisa a insi de très nom ­
priori et c'est très dur. breuses peintures de toutes tailles ; du form at
Etablir une recette pour faire l'architecture ne de ses carnets de croquis (20 x 25 cm ou double
m'intéresse pas, je ne veux pas être mené par page 20 x 50 cm) jusqu'à de très grandes pein­
le bout du nez. Je veux toujours garder ma tures (10 à 12 m2) réalisées en com m un avec
liberté de choix. Ceci est important car la Bruce (10) :
démarche architecturale suit un processus « Tous les lundis soirs je vais à l'atelier de
complexe qui est très lent ; parce que ça prend Bruce et nous travaillons ensemble sur la
même toile. Quelquefois nous pensons à
d iffé re ntes po ssib ilité s en une succession de très petits l'architecture, quelquefois nous ne pensons à
croquis, certains inachevés, exécutés avec une extrême
ra p id ité ! Est-ce à d ire que dès le début, avant même de
rien ; c'est une façon de découvrir les
m a îtris e r toutes les données, on p e u t a vo ir déjà une choses »7.
approche in tu itiv e et synth étiqu e de la p ro p o sitio n
fin a le ?
3- cf. l'é tu d e de la dém arche de conception de D. Perrault
p o u r la B ib lio thèq ue de France, in « Le processus de
conception architecturale », DEA O liv ie r Trie, U niversité 5- W. A lsop interview é par O. Trie, mars 1993.
de Rennes II, 1992. 6- W. Alsop interview é par O. Trie, 1994.
4- W . A lsop interview é par O. Trie, septembre 1992. 7- W. Alsop interview é par O. Trie, septem bre 1992.
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 91

C’est par la peinture que l'idée de la grande


e nta ille est née et s'est transform ée en une
lame de verre surgissant des profondeurs (11).
Une boîte dans laquelle les voyageurs circu­
leraient ou descendraient par d'étroits esca­
lators enserrés entre les parois de verre (12).
La m atière du verre (13), leurs couleurs éven­
tuelles (14), des rayons lasers ou incrustations
colorées (15), le mouvem ent incessant des per­
sonnes créeraient une d iv e rs ité d'im ages
aléatoires, fugacés, in d é fin im e n t réfléchies
par le parallélism e des deux lames.

La lame de verre (4 m de large sur 20 m de


haut) s'é tira n t sur toute la longueur de la
plate-form e des quais (264 m), perm ettait de
ré p a rtir les 8 escalators. Entre chacun d'eux la
lum ière in o n d a it le quai ou se glissait sur les
côtés (18, dessin ci-contre). La section trans­
versale m ontre la boîte de verre d'où sort
l'escalator q u i descend sur le quai (17, page
précédente). La différence de niveau entre les
quais et la mezzanine du hall des tickets n'est
que de 10 m et perm et une relation visuelle
directe : du hall, il est possible de contempler
la foule des voyageurs attendant la rame. Une
variante, fo rt belle, incurve le p ro fil haut de
la boîte accentuant l'e ffe t dynam ique d'une
lam e q u i ém ergerait du sol (16). L 'A va n t
Projet Sommaire (A.P.S.) est presque term iné
quand la m aîtrise d'ouvrage opte pour un
système de forage du tunnel plus adéquat à
l'a rg ile Londonien : le N ATM (New A ustrian
T u n n e lin g M e th o d ). P a ra llè le m e n t les
ingénieurs décidèrent d'enfoncer le niveau des
voies de 8 m p o u r ne pas a jo ute r à
l'encom brem ent des lignes existantes et les
croiser toutes par-dessous ; en p a rtic u lie r
Central Line. En conséquence la profondeur de
la tranchée passait de 15 m à 23 m et la
q u a n tité de déblais de 130 000 à près de
200 000 m3 ! Une telle excavation devenait
grotesque au regard des espaces nécessaires au
fonctionnem ent d'une station. La volonté de
fa ire descendre la lu m iè re n a tu re lle sur
presque 25 m de hauteur apparaissait de plus
en plus comme une gageure.
(
Les Cahiers du LAUA, n ° 3,1995 93 Laboratoire "Architecture, Usage, A ltérité'

Jusqu'à m a in ten a nt le tra v a il des deux contraintes de programme ou du seul désir de


équipes, m a îtrise d 'o uvrag e et m aîtrise l'architecte et la contem plation de ce nouvel
d'oeuvre, se déroulait dans de bonnes condi­ objet entraîne à son tou r une m od ificatio n de
tions. Les acteurs, bien que représentant des l'idée que l'o n s'en fa it. Sans cesse l'objet et sa
intérêts différents, coopéraient au même but : représentation m entale se m o d ifie n t suc­
réaliser un modèle de référence en matière de cessivement. C'est ce qu'étudie avec tan t de
station souterraine. Les équipes se voyaient persévérance et de perspicacité E. M o rin dans
deux fois p ar semaine environ et corres­ ses ouvrages 9 et q u 'il nomme la causalité ré­
pondaient en permanence. Les ingénieurs sem­ cursive 10.
b la ie n t accepter ce d ia lo g u e in é d it où
l'a rc h ite c te é ta it leader en m atière de L'im pression de re p a rtir presqu'à zéro était
confort. Le projet se développait sans qu'on ressentie par chacun. I l n 'é ta it plus question
puisse distin gu e r qui d irig e a it véritablem ent de réaliser une tranchée sur toute la longueur.
le processus. Les ingénieurs de C rossrail Il fa lla it trouver autre chose... Les nouveaux
n'apparaissaient plus comme les seuls repré­ prem iers croquis de W. A lsop sont singuliè­
sentants des usagers. London U nderground rement émouvants. La page de son carnet, (ci-
avait effectué une enquête auprès des voya­ contre, 19) in titu lé e pou r la prem ière fois
geurs du m étro pour mesurer si la présence de N .A .T.M . synthétise, par quatre croquis la­
lum ière naturelle dans les souterrains du mé­ pidaires parfaitem ent à l ’échelle de la réa­
tro était un souhait partagé par une m ajorité. lité , le form idable reflux des profondeurs.

La réponse fu t sans am biguïté ; mais malgré * le 1er croquis m ontre une profonde et étroite
cette enquête c'était l'architecte qui se tro u ­ tranchée sur laquelle est posée une sorte
v a it de fa it porteur de l'idée et défenseur des d'auvent capteur de lum ière.
intérêts des usagers et de leur confort : sur ce
plan, les ingénieurs de la m aîtrise d'ouvrage * le 2ème, m ontre la distance irré d u c tib le
avaient laissé échapper une p a rt de leurs entre la tranchée de surface du h a ll des t i­
re sponsabilités. « La plupart des ingénieurs ckets (-5 m) et the tube, 20 mètres plus bas,
civils ne connaissent rien à l'architecture. A sorte de cytoplasme navigant dans les p ro ­
l ’époque Victorienne, oui, mais au 2Oéme fondeurs. La liaison entre les deux n’est plus
siècle, ils ont oublié qu'ils étaient respon­ signifiée que par quelques petits tra its incer­
sables aussi de l ’esthétique »8. tains.

* le 3ème croquis redessine l'é ta t de surface


un processus récursif avec une longue flèche horizontale sym boli­
sant l'a fflu x des voyageurs et une autre,
L'enfoncement de la ligne obligea l'équipe des courte, raide et dirigée vers le bas, avec le
architectes (4 à 6 personnes su iva nt les m ot « lum ière ».
moments) à opérer un form idable retour en ar­
rière. W . A lsop et son p rin cip al associé, Peter * le dernier croquis jeté en bas de page m ontre
Clash, re p rire n t les études à zéro. un rectangle enferm ant le m ot « lig h t », posé
Dans la démarche architecturale, quand on à même un tra it de sol.
rencontre une d iffic u lté majeure qui remet en
question l'ensem ble du projet, on a toujours
l'im pression de re p a rtir à zéro. En réalité ce
n'est jam ais vra im e n t le cas, car la pensée 9- En p a rtic u lie r Introduction à la pensée complexe, ESF,
tra vaille sur un objet qui est en constante évo­ 1990, et Mes démons, Stock ,1994 .
10- E. M o rin distin g u e tro is sortes de causalités : La
lu tio n ; l'o b je t change sous l'e ffe t des causalité linéaire, la causalité circu la ire rétroactive (feed­
back) et la causalité récursive, en boucle, « où les effets
p ro d u its sont eux mêmes producteurs du processus q u i
8- W . A lsop interview é par O. T rie mars 1993. les génère (autoproduction) ».
U s Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 95 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité '

Plusieurs jours se passent où Crossrail semble


oublié. Les pages du carnet parlent d'autres
projets. Une tentative ne se dessine que p lu ­
sieurs pages après, en coupe (ci-contre, 21) :
« une échelle de Jacob » tombe d'un creux, et
perce un cytoplasm e à 2 noyaux... fe rro ­
viaires. Deux petits bonshommes se regar­
dent ; l'u n en haut, l'autre en bas sur le bord du
quai. Ils donnent l'échelle. Sur la même page,
un début de coupe en long m ontre deux
escalators dans dés tranchées obliques forées
dans l'épaisseur de terre. Peter Clash pousse
plus lo in l'idée et conçoit deux grandes formes,
regroupant deux paires d'escalators opposés
et prenant le jo u r et l'a ir de la ventilation en
surface : Shafts conbined w ith « caves » est-
il é crit sur sa page de carnet de croquis qui
retrace au jo u r le jo u r l'é volution du projet (20,
page précédente). L'idée de rassembler en
opposition les escalators est née du dessin de
ces form es creusées dans la terre q u i, en
s’élargissant sym étriquem ent, in v ite n t à une
te lle d isp ositio n . Ces deux grandes formes
réglées étaient donc séduisantes parce qu'elles
sem blaient résoudre sim ultaném ent tro is
questions im portantes (la d isp o sitio n des
escalators, l'a rrivé e de la lum ière et la prise
d 'a ir de v e n tila tio n ) m ais elles s'avéraient
d iffic ile m e n t réalisables par des techniques
sim ples. Les études ultérieures s'attachèrent
donc à tro uve r une form e plus adaptée à un
creusement moins onéreux et en même temps à
prendre sérieusement en compte les problèmes
de v e n tila tio n q u i, ju sq u'à m aintenant,
étaient plus sous-entendus que résolus !

Cet exem ple nous renseigne sur certains as­


pects de la démarche de projet : la conception
se réalise par une succession de dessins souvent
inexacts, a p p ro x im a tifs , v o ire inopérants
pour les questions q u'ils prétendent résoudre,
mais ces dessins vous font dévier et tomber sur
autre chose qu'on avait laissé en suspens et
q u 'ils solutionnent soudainement. La démar­
che de conception est peuplée de surprises,
bonnes et mauvaises, car tou t aussi souvent on
découvre que ce q u i paraissait satisfaire la
p lu p a rt des données se révèle soudain
inadapté à l'une d ’entre elles, im pérative.
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 ,1995 97 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité "

Il nous fau t alors à nouveau revenir en arrière


et reconsidérer chaque chose et leur ensemble.

UNE DÉM ARCHE TÉLÉOLOGIQUE

Dans le projet, quel q u 'il soit, toutes les don­


nées ne sont pas prises en compte dès le début,
n i en même temps ; on les inscrit peu à peu et
successivement au cours de la démarche par un
processus d'agrégativité où ce ne sont pas tant
les choses qui sont étudiées pour elles-mêmes,
que leurs relations entr'elles : on ne sait pas si
c'est vra i ou faux mais peu à peu on énonce, on
corrige, on s'approche de quelque chose de
pertine n t par son in tu itio n et en m obilisant
l'ensemble de ses connaissances. On est guidé
dans ce tra vail par un désir, une intention, qui
s'exprim ent de façon perm anente sinon le
p rojet se désagrège et perd sa cohérence. La
conception architecturale est un processus
éminem ment téléologique.

A près une succession d'études menées par


P. Clash, une propo sitio n globale fu t l'objet
d'une mise au p o in t machine, soumise à la
discussion et finalem ent acceptée par les in ­
génieurs des deux commissions, élargie et res­
treinte, de C rossrail (22, 23).

M ais W. A lsop n'est pas satisfait : l'idée de


la lame coupant la terre a disparu ; il ne reste
que deux, trois saignées qui ne font pas une dé­
chirure.

La ré fle xion en était là quand une nouvelle


donnée, im prévisible pour tous, p a rvin t à la
m aîtrise d'ouvrage. La société autrichienne
N .A .T .M . proposait un nouveau modèle de
tu n n e lie r p lu s perform ant. Il p o rta it le cu­
rieux nom de « Moscow H yb rid ». Il avançait
plus vite et la section du forage pouvait être
m odifiée par transform ation du bouclier. Le
tunnelier pou va it donc être u tilisé pour forer
l'espace de la station. D 'autre part, le niveau
de la plate-form e changeait à nouveau pour
prendre sa position d é fin itive , 3 m plus haut,
(cote 104 m). Les quais n'étaient donc plus à
23 m mais à 20 m sous la terre ; à peine 5 m
plus bas que le projet in itia l...
U s Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 98 laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité 1

W . A lsop saisit l'occasion pou r reprendre forme ». L'ingénieur p rin cip a l in te rv in t alors
l'id é e d u « coup de sabre » sur toute la de façon décisive : « Il nous faut écouter les
longueur de la station mais en pratiquant une architectes car ils nous apportent une autre
saignée beaucoup plus étroite ; non plus 20 m manière de voir. D ’autre part c'est, de tout le
de large m ais 5 à 6 m, juste assez pour le réseau, la seule station où l'on peut amener
passage des escalators. largement le jour du fait que l'axe de la voie
coïncide avec celui de la rue ; il faut donc le
« Nous n'avons pas d'ingénieur attaché au bu­ faire ! »12
reau mais j ’aime travailler dès le début avec
un ingénieur. Par exemple nous parlons d'une une dialogique du compromis
idée : une faille? peut-être dans une rue? peut-
être en verre ? D'abord tu lances l'idée, « Quand tu fais le premier croquis que tu
ensuite tu les écoutes. Pendant ce temps tu considères comme du bon travail, raconte W .
travailles. Cela commence dans un carnet de A ls o p 13, tu vas le présenter au client et une
croquis, ensuite nous nous rencontrons et tu leur discussion s'ensuit qui t'oblige à retravailler.
montres d'autres dessins ; ils ne comprennent J'aime l ’idée de co m p ro m is entre le client et
toujours pas que c'est la rue entière mais cela moi-même. Mon idée, c ’est qu’il y a l'archi­
leur donne un feeling concernant les rapports tecte, le client maître d'ouvrage, les ingé­
entre la gare existante, le nouvel aspect de la nieurs etc... et au milieu il y a l'objet, le bâ­
rue et la lumière. Ils peuvent laisser aller leur timent. Chacun à son idée mais la communi­
imagination... Petit à petit, tu introduis une cation s'établit. Le rôle de l'architecte, c'est
idée, et certaines choses qu'ils disent mo­ d'essayer de faire se rejoindre les points de
difient cette idée chez eux ; et chez toi bien vue pour que les a-priori soient dissipés, au­
sûr ! Le vrai conflit commence plus tard quand tant les leurs que les nôtres, car nous avons
tu dois leur dire : "hé bien, ça mesure presque nous aussi des a-priori... Le compromis permet
400 m de long ! »n de trouver quelque chose de plus fort que ce que
W . A lsop se re n d it lui-m êm e à la réunion tu as toi-même proposé, de plus fort que ce que
program m ée avec la d ire ctio n de C rossrail l'autre a proposé... La qualité de la discussion
formée de cinq ingénieurs. Ces derniers refusè­ se joue sur l'objet. Tu commences avec quelque
rent de revenir à une tranchée, si étroite soit- chose que tu connais et à la fin tu as une vraie
elle, q u i court sur toute la longueur de la sta­ surprise : le processus t'a fa it découvrir non
tio n. Ils en restaient à la dernière proposition seulement un n ouvel o b je t mais aussi de
où seulem ent tro is poches étaient à excaver. nouvelles personnes ! »
Ils a ffirm a ie n t q u 'ils m aîtrisaient parfa ite ­
m ent la lum ière a rtific ie lle (ce qui est vrai) L'exem ple précédent où W. A lsop a tapé du
et q u 'ils étaient capables de créer une am­ poing, n'est pas contradictoire avec l'idée du
biance to u t à fa it confortable. Ils avancèrent com prom is car il ne peut y en avoir sur cer­
q u 'il serait p lu s rationnel et m oins coûteux tains choix fondam entaux et l'a ttitu d e réso­
d 'u tilis e r les parties hautes, ouvrant sur l'ex­ lue de W. A lsop a certainem ent m o d ifié le
té rie u r et donnant le jo u r, pour disposer les point de vue de certains ingénieurs, même si, a
équipem ents techniques... L'ambiance de la posteriori, on peut penser que cette décision
station s'assom brissait et, avec elle, celle de n'était pas vraim ent surprenante. Elle corres­
la réunion... Seul l'ing é nieu r en chef, respon­ pondait en effet à la logique du choix in itia l
sable de C rossrail se taisait. P ro fita n t d'un de B ritish Rail et London U nderground de
silence un peu plus long que les autres, Alsop faire p articiper des architectes à la concep-
posa un poing sur la table et d it : « Non, il y
aura de la lumière ; je veux de la lumière na­
turelle sur toute la longueur de la plate- 12- in te rv ie w de M onsieur John B erry, architecte de
B ritish R ailxay, coordinateur de l'ensem ble du p ro je t
Crossrail, mars 1993.
11- W. A lsop interview é par O. Trie mars 1992. 13- W. Alsop interview é par O. T rie m ars 1992.
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 99 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité 1

tio n des stations. Ce n'é ta it pas non plus un des architectes pour les concevoir avec nous de
hasard si W . A lso p a va it été finalem ent façon différente.
choisi pour réaliser la station la plus im p o r­
tante et la plus complexe de la ligne. En effet,
lors de la séance décisive, il s'était présenté un chem inem ent hasardeux
avec 6 ou 7 grandes peintures q u 'il avait ac­
Cet épisode révèle l'im prévisibilité perma­
crochées aux m urs de la salle :« il n'est pas sûr
nente de to u t système d'acteurs. On ne sait
que les ingénieurs aient apprécié la peinture
jamais comment va réagir tel ou tel in d iv id u .
en tant que telle, disait l'architecte de
Le degré d'incertitude est très élevé au niveau
Crossrail qui supervisait les différents
des personnes. C'est notre présence active qui
projets, mais les peintures représentaient
fa it basculer un ensemble compliqué en un
l'e s p rit de créativité q u 'ils recherchaient
système complexe. (E. M O R IN ) : on peut
chez un architecte » 14. La p eintu re avait
parvenir à m aîtriser une réaction en chaîne
certainement joué un rôle non négligeable dans
sauf quand elle est humaine...
le choix de W. A lsop, mais aussi sa présence
chaleureuse et son charisme. Les plus hauts « Dans le projet, e xpliqu e A lso p , des choses
responsables a tte n d a ie n t que l'a rch ite cte
s'ajoutent continuellement et cela devient plus
rajoute une dimension esthétique aux nécessi­
complexe ; mais la complexité, ce n'est pas un
tés purem ent fonctionnelles d'une station,
problème, tu te poses des questions auxquelles
mais sans tro p se rendre compte qu'une dimen­
tu ne répondras jamais, auxquelles tu ne
sion esthétique est indissociable du reste et
pourras jamais répondre. I l faut apprendre à
q u 'e lle p a rticip e à la conception même de
vivre avec ce fait, à ne pas s'inquiéter. Il faut
l'ouvrage.
rester calme et détendu... on vivra plus
lo n g te m p s! » 15. C 'est là une excellente
Cet épisode illu s tre parfaitem ent le caractère recommandation car en architecture, l'incom-
dialogique de toute démarche de projet dans
plétude ne se retrouve pas qu'au niveau des
laquelle le système d'acteurs p rin cip al, maî­
acteurs mais aussi à celui du program m e.
trise d'ouvrage-m aîtrise d'oeuvre, se trouve
C ertains élém ents g arde n t u n caractère
tantôt en étroite collaboration tantôt en oppo­ indécidable ; p arfo is sans que les p ro ta ­
s itio n flagrante to u t en restant indissocia­
gonistes ne le sachent eux mêmes ! Lorsque ce
blement lié parce que tendu vers un même but :
projet a été lancé, q u i se serait douté qu'un
réaliser une belle station. Cette antonym ie, nouveau tu n n e lie r a lla it apparaître sur le
co o p é ra tio n /co n flit, est le refle t des logiques marché international ? Q ui se serait douté que
différentes mais complémentaires que suivent
cette technologie p o u rra it aider au creuse­
les acteurs réunis dans une même démarche de
ment vertical de la tranchée ?
projet. Ces deux logiques peuvent être anta­ Sur une des pages d'un des v in g t carnets de
goniques mais restent néanmoins nécessaires croquis qui, comme les peintures, restituent sa
l'une à l'autre ; c'est pourquoi elles obligent au trajectoire (ses trajectoires ?), W illia m A lsop
compromis : com prom is entre les acteurs p rin ­
a collé en date du 16 novembre 1992 (en plein
c ip a u x, m a îtris e d 'o u vra g e e t m aîtrise
tra va il de Crossrail) une cita tion de Bernard
d'oeuvre, mais com prom is aussi au sein d'une S H A W . « the reasonable man adapts
équipe, ic i celle de la m aîtrise d'ouvrage.
himself to the world. The unreasonable one
Les antagonismes se sont révélés à l'in té rie u r
persits in tryin g to adapt the world to
même du groupe des ingénieurs et ne furent ré­
himself. Therefore ail progress dépends on
solus que par le rappel du contexte in itia l : les
the unreasonable man »16.
stations sont tro p semblables, faisons appel à
15- W. Alsop interview é par O. Trie mars 1992.
16- « l ’homme raisonnable s'adapte lui-mêm e au monde.
14- in te rv ie w de M onsieur John B erry, architecte de L'homme déraisonnable s'obstine à essayer d'adapter le monde
B ritis h R ailxay, coordinateu r de l'ensem ble du pro je t à lui-même. Par conséquent tout progrès dépend de l ’homme
Crossrail, mars 1993. déraisonnable ».
fl
Les Cahiers du LAUA, n ° 3,1995 101

Les ingénieurs de Crossrail, aidés par l'équipe


autrichienne inventrice de « l'h yb rid e mosco­
v ite », éta ie n t eux capables de cré a tivité
p u is q u 'ils surent dévier la technologie du
N A TM pour creuser plus vite et moins cher une
tranchée é tro ite et profonde. Ils perm irent
ainsi que le projet prenne sa tournure d é fin i­
tiv e . M ais il fa lla it m o d ifie r tous les des­
sins ! Il y a d ix ans cela aurait représenté un
tra v a il m anuel considérable, m aintenant ce
n'est plus le cas grâce au dessin machine des 7
postes de tra v a il que com portait l'agence en
93/94. Tout le monde, y com pris le Staff, sui­
v a it l'é vo lu tio n du projet bien que seulement
tro is à quatre personnes, sur les quinze qui
co nstituaient l'agence, y tra v a illa ie n t régu­
lièrem ent. Chez Alsop en effet tout le monde
s'intéresse aux différentes études ; l'échelle
de l'agence le permet, mais aussi son mode de
fonctionnem ent. Chaque semaine se tient une
réunion où l'ensemble du personnel débat de
tous les problèmes rencontrés : adm inistration,
salaires, maintenance, confort des personnes,
ou avancement des différentes études. Chacun
in te rvie n t comme il l'entend sous la direction
le plus souvent du num éro deux de l'agence,
l'économ iste chargé de la lo g istiq u e de
l'agence et des projets. Ces réunions se ter­
m inent fréquemment dans la bière dont le rôle
est autant de fa ire passer les mauvaises
nouvelles que de fêter les bonnes. La présence
de nombreuses peintures accrochées ou pour la
p lu p a rt stockées dos au m ur (24), était cer­
tainem ent pour quelque chose dans cette am­
biance laborieuse mais cordiale qui règne dans
l'agence. Il n'est pas rare de v o ir un groupe de
dessinateurs p a rle r d 'u n p ro jet autour de
quelques peintures posées sur la table ou à
même le sol (25) ; car chez W . A lsop,
l'architecture n'est pas seulement un espace,
elle est aussi une m atière et une couleur qu’il
faudra déterm iner.

En ce qui concerne Crossrail, on n ’en était pas


encore là ; il fa lla it d é fin ir le volum e de la
tranchée, en p a rtic u lie r sa largeur. Le fa it
q u 'e lle puisse être excavée à l'a id e de la
technologie N A T M renforça Alsop dans son
choix.
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Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 103 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité "

M ais les parois n'étaient plus rectilignes ;


elles présentaient une suite de voûtes v e rti­
cales juxtaposées (26 et 27). Il fa lla it donc
fixe r l'écartem ent m inim um de ces deux parois
pour y loger la boîte de verre et les escalators.
P. Clash re p rit l'écartem ent de 4 m et le
p rin cip e des h u it escalators alignés répartis
to u t au long de la plate form e des quais (28).
M ais les escaliers mécaniques, au lie u des
10 m p ré v u s in itia le m e n t, fra n c h is s a it
désorm ais les 15 m . Leurs développés
passaient de 17 à 26 m de longueur et créaient
des zones d'om bre trop im portantes au niveau
des quais. La lum ière ne pouvait plus passer.
I l fa lla it donc disposer autrem ent les
escalators. On se rappela du groupem ent par
paires inversées qui avait été précédemment
dessiné (22 p. 96) et on l'appliqua à p a rtir du
h a ll des tic k e ts (n iv e a u 119 m ). Cela
dégageait totalem ent les bords et le centre de
la station q u i se tro uva ie n t alors inondés de
lu m iè re . M ais l'écartem ent m in im um des
parois de la boîte de verre passait de 4 m à
8 m , soit une tranchée d'écartem ent moyen
égal à 10 m. On ne pou va it pas se perm ettre
d'enlever une telle largeur, en surface, à la
c irc u la tio n des autom obiles, des taxis, des 29
autobus.
Un com prom is fu t trouvé en inclinant les bords
de la boîte de verre (29). La section d evint
trapézoïdale, (3 m en haut, 7 m en bas). La
quantité de lum ière pénétrant dans la tran­
chée é ta it m oindre m ais il fu t possible de
supporter le poids de la circulation des vo i­
tures et des bus par des colonnes encastrées
dans les arêtes verticales des entrevous de la
tranchée, et en pied, dans les arêtes horizon­
tales des entrevous du ra d ie r de fond (30,
pages suivantes).

des interdépendances complexes


L 'a g ré g a tiv ité , c'est à dire la cohérence tech­
nique et architecturale du système, s'exprime
ic i de façon to u t à fa it dém onstrative. Elle est
le résultat d'un ensemble de com prom is entre
l'éclairem ent et l ’encombrement des escaliers
mécaniques, la largeur obligée des voies de
circu la tio n d on t les charges ne peuvent être
descendues qu'aux seuls points des fondations.
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 106 Laboratoire "Architecture, Lisage, A lté rité "

capables de les recevoir : les deux arêtes p o u rra ie n t être plus fines si elles étaient
horizontales, intersection des tro is forages placées sous l'axe de la voie de circulation des
h o riz o n ta u x fo rm a n t l'e xca va tio n de la bus mais alors sa base ne serait plus dans l'axe
station. Ces deux arêtes constituent en effet la de l'arête du radier et l'ensemble serait désé­
seule structure capable de ré p artir les lourdes q u ilib ré . Dans le p ro jet a rch itectu ra l, plus
charges transmises par les colonnes (31). encore que dans le projet de génie c iv il, chaque
élément pris à part p ou rrait être rendu encore
On ne peut m o d ifie r un seul de ces éléments plus perform ant mais cela se fe ra it au d é tri­
sans m o d ifie r l ’ensemble car chaque élément m ent de la cohérence esthétique ou fonction­
est re lié aux autres par diffé re n tes con­ nelle de l'ensemble de la construction. Cette
traintes. La cohérence technique et architec­ surdétermination de très nom breux éléments
turale est globale et on ne peut comprendre constitutifs du projet rend la démarche incer­
une partie sans la référer à l'ensemble et l'en­ taine et oblige le concepteur à tâtonner sans
semble ne peut se comprendre qu'en connais­ cesse car il ne cherche pas l'o p tim isa tio n de
sant le rôle et la disposition de chacune de ses chaque partie mais le u r adéquation optim ale
parties. Ce ne sont pas tan t les parties que au to u t. A chaque étape, le sa voir et
leurs relations q u 'il faut comprendre. Enterrés l'expérience acquise sont nécessaires mais plus
à 20 m sous terre, nous sommes tou t proche de encore l'in tu itio n car c'est elle q u i guidera les
l'é to n n a n te fo rm u le de Pascal : « Toutes acteurs au travers de cet extrao rd in a ire et
choses étant causées (ou) et causantes, aidées permanent ajustement des choses cherchant
(ou) et aidantes, médiates (ou) et immédiates leur pertinence globale.
et toutes s'entretenant par un lieu naturel et
insensible qui lie les plus éloignées et les plus un système déviant
différentes, je tiens pour impossible de
connaître les parties sans connaître le tout, L'incertitude de la démarche, conséquence de
non plus que de connaître le tout sans connaître l'im p ré v is ib ilité des réactions du système
particulièrement les parties »17. d'acteurs et de l'incom plétude de certaines
données, entraîne le système à dévier fré ­
Cette agrégativité des éléments, des implexes quemment dans des directions q u i n'avaient
d ira it J.- L. Le M oigne 18, se rencontre dans pas été pressenties. Par exemple, la décision
to u t p ro jet architectural et la démarche de d'enfoncer le tunnel 5 m plus profond, obligea
conception d o it s'efforcer progressivement de les escalators à franchir une plus grande dé­
prendre en compte chacun de ces implexes pour n ive lla tio n . Dans la situ a tio n in itia le , l'es­
les com biner ensemble de façon que chacun sentiel de la descente se faisait à l'e xté rie u r
trouve sa place, non pas la plus perform ante de la boîte de verre, au m ilie u d'une tranchée
pour lui-m êm e mais la plus pertinente pour le large de 20 m (32). Dans la solution retenue, la
tout. La place, le rôle et la nature de chacun durée de la descente (ou la montée) en escala­
de ces im plexes sont eux-mêmes le résultat to r se trouve augmentée de 50% et e lle
d 'u n com prom is. Dans l'exem ple que nous s'effectue en totalité à l'intérieur de l'étroite
étudions, les colonnes qui supportent la route boîte de verre, elle-m êm e é troitem ent en­
châssée dans la tranchée creusée.
A in si, dans le prem ier cas, le bien-être des
17- Pensées sur la religions et sur quelques autres sujets,
E ditions du Luxem bourg, Paris,1951, p. 140. gens est lié à l'am biance de la station elle-
18- A u lie u d'éléments nous devrions parler d'unités actives même dont les m urs avaient 15 m de haut.
(la modélisation des systèmes complexes, 1990), car ces entités Dans le second cas, les m urs étant toujours
sont en continuelle m od ifica tion au cours de la démarche
de conception. C ette tra n sfo rm a tio n est le fa it du derrière du verre, l ’essentiel du co nfo rt dé­
mécanisme de récursion (cf. note 9) par lequel les effets et pend du traitem ent de ces vastes parois v i­
p ro d u its sont eux mêmes producteurs et causateurs (E. trées. Les études d'ambiance ne sont donc plus
M o rin ) selon un processus en boucle ou en hélice ; alors
que dans le processus de rétroaction, effets et pro du its centrées sur les m urs en maçonnerie mais sur
sont toujours les mêmes.
Les Cahiers du LAUA, n ° 3,1995
107 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité '

TYPICAL SECTION THROUCH PLATFÎORM SCALE 1 : 2 5


Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 109 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité "

les parois de verre d'une immense boîte de


24 m de haut sur 280 m de long parcourues par
des escalators (34). Le processus a dévié. Les
escalators deviennent alors, en plus du verre,
les éléments essentiels de la recherche esthé­
tique (33) et le tra va il d'A lsop débuta encore
une fois par la peinture, relayée par les des­
sins dém onstratifs et détaillés de P. Clash.

Les nouvelles études concernant les parois de


verre p rire n t trois directions différentes mais
com plém entaires : la transparence, l'opacité,
le tra n s lu c id e . Si la transparence est
nécessaire vers le haut pou r prendre le
m axim um de lum ière et m ontrer le surprenant
festonnage de la tranchée, elle ne l'est plus
vers le bas. Le jeu entre la matière du verre et
celle des parois courbes en béton, les reflets ou
le u r absence suivant que le sablage du verre
est in té rie u r ou extérieur à la boîte (35) et les
couleurs créeront une in fin ité d'images où se
m êleront réel et v irtu e l (36), lum ière vraie et
a rtific ie lle , im a g in a tio n s colorées (37)
fig u ra tio n s lib re s, messages p u b licita ire s,
plus de 10 000 m2 de parois de toutes sortes
in v itè re n t les architectes à proposer au
m aître d 'o uvrag e de réserver un budget
p a rtic u lie r pou r l'in te rv e n tio n d'artistes de
tempéraments différents.

UNE RECONCEPTION PERMANENTE

Im prévisibilité, incertitude, incomplétude,


déviance fo n t p artie intrinsèque de la dé­
marche de conception du projet architectural.
Il n'est pas question pour l'architecte de chas­
ser l'im p ré visib le du processus mais bien au
contraire de s'en servir. Dans le cas présent, il
s'agissait autant de d é fin ir une stratégie,
(parce que les surprises successives étaient
aussi bien techniques qu'hum aines) que de
créer un état d'e sprit capable de dévier à son
p ro fit les conséquences de ces surgissements
inattendus, et W . A lsop considérait, à la fin
de l'étude d é fin itive en 1994, que le processus
de C rossrail avait été particulièrem ent calme
par rapport à la p lu p a rt des surprises qu'on
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 112 Laboratoire "Architecture, Usage, Altérité'

rencontre dans un projet habituel. Cela serait * Mais dans la deuxième phase, l'enfoncement
peut-être dû au degré peu élevé de complexité de la ligne rend le creusement d'une large
des implexes, ces unités actives sur lesquelles tranchée p ro h ib itif et inadéquat, car le vo­
s'appuient le raisonnem ent et la logique de lume dégagé aurait été démesuré par rapport
projet. aux nécessités fonctionnelles. La démarche
des architectes et le u r volonté d 'in tro d u ire la
Dans un tel projet, où la part de Génie C iv il lum ière naturelle sont sérieusement remises en
est im portante, les données ont un haut degré question. M ais la volonté têtue des deux
de d é fin itio n logique qui laisse peu de liberté acteurs p rin cip au x, l'in g é n ie u r en chef et
d 'in te rp ré ta tio n ; il n 'y a pas 36 manières de l'architecte, le rappel des objectifs in itia u x et
faire monter ou descendre des voyageurs, n i de les nouvelles données techniques définissent
les faire chem iner d'un p o in t à un autre. Les un nouveau contexte qui réenclenche le proces­
flu x de passagers sont canalisés, divisés, sus. Celui-ci se développe sur les mêmes objets
réunis selon des nécessités précises. A insi non (la tranchée, le flu x des passagers, le prism e
seulement le degré de com plexité serait moins de verre, les escalators) mais leurs contenus
élevé m ais le nom bre et la com plexité des signifiants se sont m odifiés à tel p o in t q u 'il
im plexes eux-mêmes seraient plus faibles que fa u t les re d é fin ir ; et cette reconception se
dans la p lu p a rt des program m es a rch i­ développe à p a rtir du nouveau contexte psy­
tecturaux où l'a ctivité des personnes est beau­ chologique (le système d'acteurs est le même
coup plus diverse et complexe que le sim ple mais les points de vue ont évolué) et technique
fa it de voyager. I l a rrive en effet rarem ent que les acteurs doivent se réapproprier peu à
qu'une station de m étro, un pont, une gare ne peu. Ce mouvement de récursion répété sans
donnent pas satisfaction sur l'essentiel. Ce qui cesse, non seulement au sein de chaque in d i­
est rem arquable dans ce projet de création vid u mais aussi à l'in té rie u r de chaque équipe
d'une quinzaine de stations de métro rapide, comme à celui du système re lia n t l'ensemble
c'est que la notio n d'esthétique est devenue des acteurs, n'est-il pas c o n s titu tif de la dé­
aussi im p o rta nte que la fonction u tilita ire . marche du projet ? C est q u 'il nous semble au
Dans le projet de Paddington Station, les d if­ vu de cette succession de cycles de reconception
férents acteurs des m aîtrises d'oeuvre et où contexte, implexes et concepts se m odifient
d'ouvrage ont réuni dans un même processus continuellem ent et m utuellem ent en vue d'at­
des données techniques et fonctionnelles im ­ teindre un même objectif.
pératives et un désir esthétique lié au p laisir
et au bien-être procurés par la lum ière natu­ « Tout est question d'imagination et de tech­
relle. C'est en effet sur cette présence que les nique » d it D. Perrault ; nous pourrions rajou­
principales divergences entre les acteurs sont ter... et de contexte. Cette o p in io n paraît ic i
apparues ; c'est sur elle que les architectes d'autant plus vraie que c'est par une lu m i­
n’ont jamais cédé et c'est par elle que la pro­ neuse opération mentale presque saugrenue,
blém atique de conception s'est développée. mais parfaitem ent adaptée à la situ a tio n ,
qu'on a pu envisager le coup de sabre dans une
* Nous avons constaté que dans la prem ière rue, sim plem ent pour m ettre le soleil v in g t
phase des études, la station occupe une grande cinq mètres sous terre et lu i perm ettre chaque
tranchée presqu'aussi large que haute et la jo u r 19, été comme hive r pendant quelques m i­
réussite de son ambiance repose principale­ nutes, de descendre sur le q u a i... et m onter
ment sur le traitem ent des parois de maçonne­ dans le train.
rie, le prism e jouant dans ce cas le rôle
d ’un capteur de lum ière, totalem ent transpa­ *
rent, qu'on traverse ou qu'on n'em prunte que U n tiré à part couleur peut être obtenu auprès du L A U A po u r la
p a rtie lle m e n t. somme de cinquante francs.

19- Eastboume Terrace est orientée nord-est/sud-ouest.


U s Cahiers du L A U A ,n°3 , 1995 113 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité "

Postface

Cette étude a été réalisée après un séjour d'une O utre W illia m A lsop dont la personnalité
semaine, entre 92 et 94, dans l'agence de W. chaleureuse perm et toutes les questions et
A lsop, d'une part à p a rtir d'une sélection de Peter Clash dont la précision du dessin à
55 peintures, sur la centaine éxécutées à m ain-levée m 'a dévo ilé la com plexité du
propos de C rossrail, et d'autre part à p a rtir projet, je tiens à remercier tous les membres de
de 190 croquis de W. Alsop, choisis dans ses l ’agence qui ont toujours répondu à nos ques­
nom breux sketchbooks, et 650 dessins de P. tions les plus diverses avec une grande atten­
Clash tirés des ses cahiers retraçant au jo u r le tio n, et particulièrem ent Em m anuelle Poggi,
jo u r les avancées et les hésitations de la sans laquelle cette étude aurait eu bien du m al
conception. à se faire.

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